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Plutôt Stone que Moore


Plutôt Stone que Moore

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Prêcher des convaincus est sans doute intellectuellement la chose la plus stérile qui soit. On peut comprendre le besoin, surtout quand on est minoritaire, de se retrouver entre soi mais ne pas sortir du cercle condamne à la ratiocination inefficace.

Ce qu’on a appelé du nom si générique et flou d’altermondialisme et qui a redonné, dès le mitan des années 1990, un regain d’espoir à tous ceux qui ne se satisfaisaient pas du nouvel ordre mondial capitaliste et du présent perpétuel promis par Fukuyama après la chute du Mur, risque néanmoins à tout instant cette impasse théorique. En se limitant à des constats renouvelés de forums sociaux en forums sociaux, de contre-sommets du G8 en contre sommets comme celui, meurtrier, de Gênes en 2001, cette mouvance prend le risque de tourner en rond dans la nuit et de se brûler à son feu, pour paraphraser Debord qui savait que toute critique du Spectacle prend le risque d’être elle-même spectaculaire.

En son temps, déjà, Marcuse dans L’homme unidimensionnel avait lui aussi montré la capacité des sociétés capitalistes ou des démocraties bourgeoises, comme on voudra, à intégrer leur propre contestation en leur sein et à gérer ses marginaux comme fausse preuve de sa tolérance.

Michaël Moore et d’Oliver Stone, deux cinéastes américains, que l’on peut qualifier d’adversaire du système et dont verra prochainement les films, illustrent ce paradoxe. L’un d’entre eux a réussi à le surmonter, et pas celui qu’on croit.

Michaël Moore, anticapitaliste de choc, est de tous les bons combats. Avec sa dégaine de working class hero américain, son surpoids popu, il a successivement dénoncé les ravages de la restructuration du secteur automobile (Roger et moi), une société fondée sur la violence et le culte des armes à feu (Bowling for colombine), la présidence Bush (Farheneit 911), j’en passe et des meilleures et, tout récemment, à la Mostra de Venise, Capitalism : a love story, appelant à la destruction de l’économie de marché. Soyons honnête, le programme ne nous déplait pas.

Seulement voilà, Michael Moore, non seulement semble de plus en plus caricatural de film en film, non seulement il flirte avec un certain cynisme (les interviews du grand homme coûtent 2000 euros en moyenne) mais surtout, il ne convainc personne en dehors d’un public acquis, et encore il semblerait à voir les critiques dans les journaux que même ce public commence à s’apercevoir que les ficelles sont un peu grosses, et certains plans franchement obscènes quand caméra à l’épaule, on filme une expulsée en gros plan en la plaignant en voix off pour en rajouter.

Quitte à surprendre certains Causeurs, j’aime profondément l’Amérique et sa capacité à secréter ses propres anticorps quand elle va trop loin ou est sur le point de se renier et je n’aime pas, ou plus Michael Moore.

D’abord parce qu’il est inefficace : sa palme d’or très politique au festival de Cannes n’a pas empêché une réélection triomphale de Bush en 2004 et si la preuve du pudding, c’est qu’il se mange, comme disait Engels, alors Moore n’a rien cuisiné du tout ou un gâteau qui n’existe pas.

Il est intéressant de le comparer avec Oliver Stone, lui aussi présent à la Mostra de Venise pour un documentaire, South of the border, consacré à Chavez et montrant le décalage entre l’image donnée par les médias « foxisés » et la réalité du terrain. À Venise, il a même eu le droit à la visite du président bolivarien en tournée sur le Vieux continent.

Oliver Stone tourne en général des films commerciaux. On le lui reproche souvent. Et pourtant au bout du compte, il aura beaucoup plus fait, en adaptant les canons hollywoodiens, pour une critique intelligente de l’Amérique comme société capitaliste, parfois belliciste et impérialiste, que Moore avec son humour à deux balles.

Je manque peut-être de conscience politique ou de sérieux mais je me suis rendu compte pour la première fois de la mutation financière du capitalisme avec l’inoubliable Wall Street (1987) où Michael Douglas en trader annonçait ceux de Fanny Mae ou Freddy Mac. Un film comme Tueurs nés, que les fines bouches de la critique du Bloc Central avaient trouvé tellement complaisant, était la plus belle dénonciation de l’ultra-violence et de l’absence de repères d’une certaine jeunesse américaine. Et son biopic sur Nixon reste un monument difficilement dépassable sur les risques de dérive autoritaire à la Maison Blanche mais aussi les moyens de la combattre.

En fait, cette différence entre Moore et Stone, cette efficacité tellement plus durable, moins journalistique de Stone, sont dues au fait qu’il refuse l’idée d’avoir un public ou un auditoire conquis d’avance et qu’il n’a pas ce mépris intellectualiste pour la fiction.

Et finalement, cette honnêteté intellectuelle, cette modestie ouvrent non seulement la possibilité de débats mais aussi, encore plus importante, celle, qui sait, de convaincre.

Octobre 2009 · N°16

Article extrait du Magazine Causeur



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