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Faut-il castrer Berlusconi ?


Faut-il castrer Berlusconi ?

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Le plus chic des rendez-vous du prochain week-end se situera, samedi 19 septembre, au 90 via Cristoforo Columbo, à Rome. On attend, en effet, une palanquée de people accourus de toute l’Europe pour manifester leur soutien au quotidien italien La Repubblica, dont le siège se trouve dans cette artère dédiée au hardi navigateur génois. La direction de ce journal a battu le rappel et sonné le tocsin après que le premier ministre Silvio Berlusconi a décidé de le poursuivre en diffamation pour la campagne menée durant tout cet été par La Repubblica concernant sa vie sexuelle.

Se rassembler dans une ville agréable en cette fin d’été ensoleillée avec la bonne conscience d’airain conférée par la défense de la liberté de la presse menacée par le pouvoir politique est un luxe que même les pauvres peuvent s’offrir grâce aux compagnies aériennes low cost qui desservent la Ville éternelle.

Si Umberto Eco, Roberto Benigni, Claude Lanzmann, Daniel Pennac et toute une série de prix Nobel ont signé un texte de soutien à La Repubblica, c’est que l’affaire doit être grave et exige que tous les démocrates se mobilisent pour la liberté d’expression mise à mal par un voyou des médias reconverti dans la politique.

C’est peu dire que de ce côté-ci des Alpes, le cavaliere n’a pas bonne presse. Le parcours de ce personnage parti d’une petite entreprise de bâtiment pour devenir un magnat des médias avant de se lancer avec succès en politique fait horreur à ceux qui, à droite comme à gauche, estiment qu’il est indécent de confier les rênes de l’Etat à un personnage ayant fait sa fortune dans le commerce de la vulgarité.

Ceux qui vont au-delà des apparences assez peu classieuses de Berlusconi et examinent sans préjugés la politique intérieure et extérieure menée par les divers gouvernements qu’il a dirigés sont amenés à porter un jugement nettement plus nuancé sur le personnage.

Côté lumière, il faut le créditer d’une ardeur réformatrice, notamment en matière fiscale et sociale qui a sorti l’Italie de la spirale infernale de l’endettement causé par l’énormité et l’inefficience des services publics. Jusqu’au déclenchement de la crise économique mondiale, l’Italie faisait figure de modèle pour la manière dont elle réduisait sa dette sans que cela provoque de mouvements sociaux de l’ampleur de ceux des années 1970.

La politique étrangère de Berlusconi, fondée sur le réalisme le plus cynique et la défense active des intérêts économiques nationaux n’est peut-être pas très ragoutante, mais on ne peut lui dénier une certaine efficacité pour atteindre ses objectifs. Comme il a compris que l’Europe ne sera jamais en mesure d’être autre chose qu’un grand marché incapable de transposer sa puissance économique dans le domaine politique, il « joue perso » à l’international.

C’est ainsi qu’il est devenu une sorte de parrain de l’espace méditerranéen, sans se lancer pour autant dans la construction d’usines à gaz du genre Union pour la Méditerranée. C’est lui qui persuade, lors d’un coup de téléphone de dernière minute entre Kehl et Strasbourg, les Turcs d’accepter la candidature du Danois Anders Fogh Rasmussen au secrétariat général de l’OTAN. C’est lui qui convainc Kadhafi de recevoir en Libye les immigrés clandestins expulsés d’Italie, ce qui a eu pour conséquence un tarissement radical des arrivées de sans-papiers à Lampedusa. C’est lui enfin qui entretient les meilleures relations du monde avec Poutine et Medvedev, et promeut avec Gazprom le projet de gazoduc Southstream, concurrent du projet européen Nabucco, qui vise à diminuer la dépendance de l’UE par rapport au gaz russe. C’est tout bénéfice pour l’ENI, le géant italien des hydrocarbures. Berlusconi se retrouve d’ailleurs sur ce point en phase avec Angela Merkel, qui soutient l’autre projet, Northstream, destiné à amener ce gaz directement en Allemagne sans traverser la Pologne. Ce triangle Allemagne-Italie-Russie est une configuration géopolitique qui a eu, jadis un certain poids en Europe…

Côté ombre, on notera, pour la condamner, la manière dont Silvio Berlusconi a utilisé sa majorité parlementaire pour faire voter des lois le mettant à l’abri des poursuites judiciaires dans diverses affaires de corruption dont il était accusé.

Il existe donc suffisamment de bons procès à intenter, métaphoriquement s’entend, aux pratiques politiques de Silvio Berlusconi pour ne pas lui en faire de mauvais.

Car celui que mène actuellement Ezio Mauro, le directeur de La Repubblica, contre le premier ministre est du genre plutôt douteux, puisqu’il concerne exclusivement sa vie privée, en dépit des efforts du journal pour donner une dimension politique à ses accusations.

Tout commence ce printemps, avec les déclarations de Veronica Lario, l’épouse de Berlusconi, qui accuse son mari de fréquenter des jeunes filles mineures et de promouvoir dans la vie politique des jeunes femmes en fonction de leur physique. Veronica Lario, ancienne actrice et deuxième épouse de Berlusconi, agit ainsi dans le cadre d’une procédure de divorce engagée par elle, où de considérables sommes d’argent sont en jeu. Au passage elle s’étonne de la participation de son mari à l’anniversaire d’une certaine Noemi Letizia, si vous voyez ce que je veux dire…

Il n’en fallait pas plus pour lâcher la meute des paparazzis et des fouineurs à plumes aux trousses d’un Premier ministre dont on subodore la lubricité sans entraves. Va y avoir du lourd ! On presse, sans succès, la jeune Noemi de révéler la vraie nature de ses relations avec « papounet ». On fait sortir, dans des journaux étrangers[1. Berlusconi avait obtenu de la justice italienne l’interdiction de la publication de ces photos dans les medias transalpins.], des photos de fêtes données par Silvio dans sa propriété de Sardaigne, où l’on peut admirer des jeunes femmes peu farouches dans des tenues très légères. Au passage, ces photos embarrassent le Premier ministre tchèque Mirek Topolanek, surpris à prendre, en public, une douche en tenue d’Adam. Enfin, pour donner une touche finale à ce tableau un rien coquin, surgit une prostituée de luxe qui affirme, enregistrements à l’appui, avoir eu des relations intimes tarifées avec l’illustre septuagénaire. S’ajoutent à cela les « promotions canapé » dont auraient bénéficié quelques jolies femmes lui ayant accordé leurs faveurs. Sur ce dernier point, le seul qui justifierait une controverse politique, on pourra remarquer qu’il n’y a pas si longtemps un de nos plus éminents présidents de la République, aujourd’hui décédé, se comportait de manière similaire sans que personne n’y trouvât à redire. Autres temps, autres mœurs…

Faut-il alors s’offusquer que Silvio Berlusconi porte plainte contre un journal réputé sérieux qui se comporte en la matière comme le plus bas de gamme des magazines pipoles ? Est-ce porter atteinte à la liberté d’expression que de défendre son droit au respect de la vie privée, même si celle-ci heurte la morale courante ? En demandant un million d’euros de dommages-intérêts à La Repubblica, Berlusconi ne cherche pas à mettre sur la paille l’un des plus prospères groupe de presse européen, pour qui cette somme constitue une broutille. Il convient donc, en la matière, de raison garder et de ne pas crier au loup quand on voit seulement un vieux cochon.



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