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2012, tous aux urnes (funéraires) !

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2012

2012 sera catastrophique et ne sera pas. C’est la thèse de quelques millénaristes énervés, reprise par l’Allemand Roland Emmerich, émigré à Hollywood pour blockbusteriser à gogo. Après les extraterrestres pas extra du tout dans Independance Day, et le dérèglement climatique à son climax dans Le jour d’après, il nous livre sa lecture du calendrier maya, alors qu’on croyait naïvement que seul le grégorien avait un sens. Emmerich nous fait le coup d’un soleil brûlant, qui réchauffe la terre de l’intérieur, comme un vulgaire micro-onde importé d’un pays du bloc asiatique qui ne répondrait pas aux exigences des normes européennes, mais ceci est un autre débat. De débat, dans 2012, il n’en est pas question. Mais de hauts et de bas, oui : la température monte, l’eau également, et notre civilisation tombe de haut : 2012 donc, ça va mal finir, on va y passer, et c’est bien fait pour nous, Occidentaux replets que nous sommes.

Après la bagatelle – pour un massacre – de 2h38, on oscille entre la moquerie condescendante, l’ennui, et l’admiration pour la maîtrise sans borne des spécialistes des effets spéciaux hollywoodiens. Sauf que l’on évacue rapidement les deux derniers, pour ne retenir qu’une palanquée de poncifs hilarants qui feraient volontiers passer un film misérabiliste belgo-hexagonal tourné sous un ciel plombé de novembre pour un feu d’artifice dans l’empyrée vespéral de juillet.

Les clichés véhiculés par 2012 sont révélateurs de l’esprit dominant dans les cercles éclairés de l’intelligentsia médiatico-cinématographique plumée par Madoff qui prône désormais la croissance partagée et l’amour universel. À ce titre d’épitomés de medley post-crise dans un monde multipolaire, ces lieux communs méritent qu’on se penche un tout petit peu sur eux. En prenant garde de ne pas basculer dans la faille de San Andreas[1. La faille de San Andreas est une faille géologique à la jonction des plaques tectoniques du Pacifique et de l’Amérique. Elle provoque des séismes de forte intensité en Californie. Ses effets potentiellement dévastateurs sont montrés dans les grandes largeurs dans 2012.], bien entendu :

1. L’Afrique survit, s’élève même au sens littéral du terme, puisque la tectonique des plaques, perturbée par le réchauffement du centre de la terre, la hisse au dessus de tous les autres continents, lui évitant ainsi d’être submergée par les eaux. Symbole… C’est la seule surprise du scénario, qui surfe sur l’atmosphère crisique ambiante : le capitalisme est mauvais, l’Occident et les pays riches alignent les âneries, mais il y a une justice immanente : l’Africain, même si pas « entré dans l’histoire », comme dirait notre président, est sauf car il a été bien sage et connaît la vraie vie. On n’est pas loin ici d’une adaptation du mythe du bon sauvage, transposé par le kaléidoscope politiquement correct de la machinerie hollywoodienne. Seul hic de la bien-pensance du scénar : sauvés par d’énormes arches flottantes, des centaines de milliers de Chinois travailleurs et malins, d’Européens mous et inexistants, de Russes à fourrure et à blondes à seins refaits, et d’Américains obèses mais lucides vont rappliquer aussi sec sur le seul continent à sec… Les pauvres Hottentots n’en avaient pas pris assez avec les premiers Hollandais du Cap ? On en remet une couche, histoire de bien leur montrer qui est le patron. Surprise : le Cran n’a pas encore réagi à ce bégaiement historique.

2. Corollaire de la mauvaise conscience évoquée au point précédent : au cœur du pouvoir américain, la lutte entre jeune+noir+gentil et vieux+blanc+méchant bat son plein. Le digne président américain est noir, effet Obama oblige. Sa fille est une fille bien, évidemment. Les deux jeunes scientifiques qui alertent sur la catastrophe à venir sont respectivement un Indien et un Africain-Américain. En revanche, le cynique sans cœur qui ne veut sauver que les riches est dans la cinquantaine, blanc et gras. Comme l’autre figure négative du film, un milliardaire russe énorme et toqué (en astrakan), dont on précise bien qu’il a obligé sa petite amie à se faire refaire les seins, histoire de prouver combien il est vil : voilà un argument gonflé qui doit faire mouche chez les starlettes de Hollywood.

3. À l’Est, plein de nouveau : le Chinois est productif et malin, tout en étant humain, au fond : il a su manager ses hémisphères droit et gauche. Résultat, les Chinois sont des potes. Ce sont nos nouveaux amis, qui, en à peine deux ans, construisent les arches qui sauveront l’humanité. Bravo les gars ! L’atelier du monde montre sa maîtrise technologique, ça valait le coup de délocaliser.
 
4. Les Européens sont totalement à l’ouest. Passifs, à l’exécutif pléthorique, ils parlent néanmoins d’une seule voix : celle de la chancelière allemande, comme le réalisateur. Ach so ! L’identité nationale française en prend un coup. À noter, dans le concert soporifique des huiles de la vieille Europe, cette manie des Italiens de n’en faire qu’à leur tête. Il est vrai que ces Latins sont incontrôlables : Emmerich le vit tous les jours à Los Angeles où des hordes de Latinos incontrôlables passent la frontière pour servir de techniciens de surface dans les maisons cossues de Beverly Hills, au risque de peser à la baisse sur le salaire de l’Américain moyen.

5. La famille décomposée, recomposée, dérecomposée ou redécomposée puis re-recomposée – et où tout le monde s’aime – est le rempart, avec comme valeurs-valises la solidarité, la fraternité, l’égalité, tous ces « té » qui ne bouillent que pour un mot : l’humanité telle qu’on ne l’a jamais connue, sauf dans les discours du PS. Famille, je vous aime : d’ailleurs, les méchants sont tous divorcés donc seuls.

6. La référence à la religion et à Dieu est omniprésente, comme dans toute vulgate cinématographique américaine qui se respecte, et toute fin du monde imminente (mais là, seuls les dinosaures pourraient en témoigner). Toutes les religions sont représentées, pour ne léser personne. Mais une seule en prend plein la calotte : la catholique, qui voit Saint-Pierre de Rome s’affaler lourdement sur le sol romain. Emmerich a précisé qu’il avait filmé la destruction de la Mecque, mais qu’au montage, il avait posé un voile pudique sur la scène, de peur d’être victime d’une fatwa qui « l’obligerait à vivre avec des gardes du corps jusqu’à la fin de ses jours ». Allah étant miséricordieux, il avait peu à craindre, mais il se méfiait des barbus exaltés qui voient des mécréants partout. Grâce à cette saine prudence, Emmerich pourra encore tourner et gagner des millions. C’est en emmerichant qu’on devient riche. Et ça marche : 2012 a déjà rapporté 250 millions de dollars, seul dieu dont l’existence n’est pas discutable.

Restons concret : alors que le pouvoir d’achat est au centre des préoccupations de chacun, un ticket de 10 euros pour découvrir des lieux communs dans une salle bondée où une foule atteinte de jeunîte aiguë mâche du pop-corn et jette ses canettes sur le sol -apparemment peu attentive au fait qu’il faut garder notre planète propre avant qu’elle n’explose, mais on n’était pas à une projection du film d’Hulot- c’est pas rien. Du vécu.

Surtout, le film passe à côté du seul vrai événement de 2012. Ce ne sont pas les urnes funéraires qui nous attendent, mais les urnes électorales. C’est une question de probabilité. Les Mayas avaient sans doute l’équivalent des outils de prévision concoctés par un Patrick Buisson pour l’Elysée, mais on est prêt à parier son billet (10 euros, répétons-le), que les prévisions du second sur 2012 sont plus sûres que celles des premiers. Sauf à rêver d’une révolution qui immergerait les arches de l’UMP, du PS et autres frêles esquifs. Mais le succès panurgesque de 2012, après ceux de Independance Day et du Jour d’après, mène plutôt à penser que tout change pour que rien ne change. On n’échappera donc pas à la vague présidentielle, ses effets spéciaux, son scénario convenu, ses rôles récurrents.

On vous l’avait dit : 2012, ça va mal finir.

Je ne veux pas aller au Village

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Il n’y a pas de métaphore innocente, ni en poésie, ni en politique. Quand Lautréamont parle de la rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection dans Maldoror ou que Paul Eluard voit la terre « bleue comme une orange », la métaphore libère la raison et la perception. La métaphore émancipe. D’autres, au contraire, inquiètent.

La semaine dernière, Cecile Duflot, leader maxima des Verts, présentait la liste Europe Ecologie pour partir à l’assaut de la Région Ile-de-France. Comme d’habitude, l’ensemble se résume à un casting. Quand ils ne prennent pas un juge aux mains blanches du pôle financier, ils enrôlent une figure médiatique du combat pour les SDF, le désormais célèbre Augustin Legrand, fondateur des Enfants de Don Quichotte. Il n’est pas rancunier, Augustin Legrand. J’ai quand même le souvenir que les tentes des SDF plantées au bord du Canal Saint-Martin avaient fini par sérieusement agacer le quartier. Et pas seulement les commerçants, qui sont de petits boutiquiers roteurs, poujadistes et racistes. Mais aussi la néo-bourgeoisie éclairée (c’est-à-dire celle qui votre écologiste) du quartier, un peu fatiguée au bout de plusieurs semaines de devoir slalomer entre les tentes quechuas d’ivrognes célestes pour aller faire ses courses, avec le bébé porté par papa dans le sac kangourou et maman qui veut son jus de mangue Max Havelaar sans oublier un adorable petit haut équitable chez Zadig et Voltaire, qui ira très bien sur la jupe tibétaine.

Elle a raison d’y croire, Cécile Duflot. L’Ile-de-France, c’est jouable pour Europe Ecologie. Ils ont écrasé le PS dans tous les secteurs du jeu en juin 2009 et ont même eu des pointes à plus de 30% dans l’est parisien. En plus, quand ils regardent du côté de Dijon, et qu’ils voient que le débat idéologique se résume à un jeu de chaises musicales entre deux centristes honteux, Peillon et Royal, qui n’osent pas faire leur coming out, ils se disent n’y a pas de raison de se priver et que la bête se meurt.

Or donc, que nous dit Cecile Duflot, quand elle présente la liste pour l’Ile-de-France dont elle sera la tête ? Elle appelle à « une région village qui rassemble les Franciliens ».
Et là, j’ai peur. Un village, au départ, je trouve ça très joli, moi. Aragon aussi, d’ailleurs. Chanter les usines de Magnitogorsk ne l’empêche pas d’avoir écrit ce chef d’œuvre, « Le conscrit aux cent villages », un grand poème de la Résistance

Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud

Fains-la-Folie Aumur Andance
Guillaume-Peyrouse Escarmin
Dancevoir Parmilieu Parmain
Linthes-Pleurs Caresse Abondance.

Mais enfin jamais il ne lui serait venu à l’idée d’ériger le village en modèle politique. Bien au contraire. Le village, c’est la mort, l’ennui, l’espionnage mutuel et constant comme unique distraction. L’un des premiers a s’être extasié sur le concept de village est un « lou ravi » américain, Marshall Mac Luhan, chantre du « village planétaire » que Guy Debord a bien raison de rhabiller pour l’hiver dans Les commentaires sur la société du spectacle : « Mac Luhan parlait de village planétaire, si instamment accessible à tous sans fatigue. Mais les villages ont toujours été dominés par le conformisme, l’isolement, les ragots toujours répétés sur quelques mêmes familles. Et c’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire »

Rien de grand ne s’est jamais fait dans un village, il ne faut pas rêver. Un village, c’est agité par les passions élémentaires et abruti par l’endogamie. C’est la communauté fermée par excellence, celle à qui on peut faire croire à peu près n’importe quoi. Un livre récent de Jean Teulé raconte une histoire vraie : comment, en plein 19ème siècle, tout un village s’est précipité un jour de marché, sans raison apparente, sur un pauvre garçon qu’ils ont dévoré vif comme dans un film gore de série Z[1. Mangez-le si vous voulez (Julliard 2009)]. Et puisqu’on parle de cinéma, je rappelle à ceux qui l’ont vu que Délivrance, le film de Boorman, montre à quel point des dégénérés vivant certes dans une belle simplicité volontaire, une belle sobriété heureuse sont en fait des sadiques sodomites et zoophiles.

Plus généralement, l’idée de transformer une région comme l’Ile-de-France en village traduit de fait un inconscient réactionnaire, voire crypto-pétainiste. On sait depuis la Commune que lorsqu’on veut balayer une révolution qui invente de nouvelles façons d’être ensemble, et ce genre d’invention n’est possible que dans les villes où bouillonnent heureusement idées, théories et utopies, Thiers et les Versaillais envoient des bataillons de la Garde Nationale recrutés dans les villages de l’Ouest pour aller massacre du partageux et le finir à la mitrailleuse lourde dans les jardins du Luxembourg.

Le Village ne mentirait pas, serait humain, authentique alors que la Ville serait le lieu de toutes les chutes. Cet inconscient vert qui devient explicite dans l’aile avancée des Décroissants est profondément ambigu et il n’y a rien d’étonnant à voir une certaine droite identitaire, obsédée par la pureté de la race et les communautés ethniquement homogènes, tenter régulièrement des hybridations idéologiques avec la Décroissance. C’est logique : tous ces white trash, ces red neck à la française, ces rurbains malheureux (ni village, ni ville) ont des fantasmes de fermes fortifiées dans lesquelles on pourra résister aux hordes négro-mahométanes en cultivant du poireau et en s’entraînant au fusil Ithaca.

Non, décidément, pas de village. Les villes sont polluées, délinquantes, inabordables mais il y a mille façons de s’y perdre, de jouir de cette chose si rare aujourd’hui et qui pour le coup ressemble à une espèce en voie de disparition : l’anonymat. Les villes, ce sont aussi les possibilités poétiques de la rencontre amoureuse (Nadja de Breton ne se passe pas à Trifouilly les Oies que je sache) et du hasard objectif, des joyeuses conjurations politiques, des insomnies lumineuses dans les salles d’art et d’essai ou des navigations nocturnes dans le fauteuil club d’un bar d’hôtel avec un verre de Bushmill Malt qui met des couleurs aux souvenirs.
Je ne veux décidément pas vivre dans le monde de Cécile Duflot. Je me souviens que le Village, c’est aussi cet endroit insituable où est enfermé le numéro 6 incarné par le regretté Patrick Mac Gohan.
Et si le monde délocalisé que nous vivons est un cauchemar mal climatisé, celui, relocalisé, qu’elle nous annonce, sera à coup sûr un enfer étouffant.

De la dictature de l’amour des enfants

Le scoop du siècle est tombé lundi sur les téléscripteurs du monde entier. Nicolas Sarkozy veut-il faire entrer le Pétomane au Panthéon ? Non. Eric Raoult a émis l’idée de nationaliser Gallimard et Flammarion ? Non. La commune d’Alfortville, dans le Val de Marne, vient de décrocher l’effrayant label « Ville amie des enfants ». La mairie de gauche, emmenée par le député-maire Rouquet (PS), s’est longuement – et bruyamment – félicitée de cette réussite dans la presse. Le Parisien nous apprend ainsi qu’il existe un « club très fermé » des villes « amies des enfants » : moins de 200 communes sur 36,000 en sont. Mais c’est quoi être une ville « amie des enfants » ? Mme. Santiago, élue à la petite enfance, se vautre dans la langue de bois la plus délicieuse sans – naturellement – répondre à la question : « C’est une façon de bénéficier des richesses des uns et des autres pour engager de nouveaux projets ». De nouveaux projets certainement « innovants » et nous projetant dans une « dynamique collective de progrès ». Bon, on s’en doute, ce label de l’UNICEF est là pour amuser la galerie. Il dégouline de moraline moderniste, ce macaron « Ville amie des enfants »… il implique certainement l’existence de villes ennemies des enfants, voir des gens parfaitement humains qui n’aimeraient pas – mais alors là pas du tout – les enfants… On pressent que Neuilly-sur-Seine ou Nice ne l’auront jamais ce label, qui est réservé à une élite d’édiles d’élite concentrant leurs efforts politiques sur une population qui n’a même pas le droit de vote. Pour tout vous dire, moi je n’y crois pas ! A la crèche les zenfants !

Eloge d’Herman Van Rompuy

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Je n’ai pas l’honneur d’avoir été présenté à lady Catherine Ashton, désignée pour diriger la diplomatie européenne (on aura noté la prudence linguistique de la presse française qui ne se risque pas encore à féminiser le titre de Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère… ) et je me permettrai donc pas de porter de jugement hâtif sur madame la baronne.

Ayant quelque peu fréquenté la vie politique belge à la fin du siècle dernier, je fais partie des rares privilégiés à connaître le visage, le parcours et les petites manies du nouveau président du Conseil européen. N’ayant jamais été un fan des Flamands bigots et rageusement nationalistes, je n’en suis que plus à l’aise pour trouver outranciers, voire à la limite du racisme anti-belge, les commentaires qui ont accompagné sa nomination. Gris, sans relief, quasi inconnu des grands de ce monde, discret au delà du raisonnable, plus petit dénominateur commun, choisi pour ne faire de l’ombre à personne, voilà les amabilités que lui ont values sa promotion.

On le montre déjà en intendant obséquieux opinant du chef à la moindre injonction de Nicolas, Angela ou Gordon.
Les plus bruyants dans cette character assassination sont les commentateurs eurobéats du genre Bernard Guetta (mais il n’est pas le seul) qui n’ont pas encore enregistré dans leur petite tête d’éditorialiste que leur rêve fédéral européen s’est envolé pour toujours, ce que même un Michel Rocard a fini par comprendre. Ils font donc porter à ce pauvre Van Rompuy, et accessoirement à Catherine Ashton le poids de leur frustration.

Revenons donc à ce brave Herman. Pour qui connaît un peu les Flamands, ces bons vivants susceptibles, excellents convives et grandes gueules, plus madrés que subtils, accueillants à tous, sauf à leurs compatriotes francophones et farouchement nationalistes, il tranche nettement dans le tableau. Certes, il est catho, et même catho grave, revenu à la foi après l’avoir perdu dans sa jeunesse. C’est un homme politique wallon, Gérard Deprez qui a trouvé la meilleure formule pour décrire la personnalité de Van Rompuy, « un bon vivant camouflé dans un cierge ». C’est un féru de philosophie thomiste et un amateur de poésie orientale – il parsème son blog de haïku de son cru que seule ma méconnaissance crasse du néerlandais m’empêche d’apprécier à leur juste valeur.

Bon et alors ? Un pilier de sacristie doublé d’un esthète délicat, c’est un peu court pour prétendre incarner notre belle Union européenne sur la planète, d’être le « numéro de téléphone » vainement cherché jadis dans l’annuaire par cette fripouille d’Henry Kissinger, rétorqueront les offusqués du vendredi matin.

Ce n’est pas parce la Belgique est un petit pays qu’il est plus facile d’y faire de la politique, bien au contraire. En proie à des forces centrifuges qui menacent chaque jour davantage son unité, voire son existence comme Etat-nation, le royaume de Belgique a engendré une génération d’hommes et de femmes politiques ayant la capacité de gérer une machine institutionnelle incroyablement complexe. Ils sont capables de naviguer de compromis en compromis, pour retarder une échéance pourtant inéluctable, celle qui verra un jour la Flandre choisir d’assumer seule son destin.

Dans cette catégorie de politiciens, Herman van Rompuy est loin d’être le moins doué, même s’il ne joue pas le jeu de la pipolisation et de la médiatisation dans lequel excellent certains de ses collègues, Flamands comme francophones. Depuis son arrivée à la tête du gouvernement fédéral, en décembre 2008, les tensions communautaires se sont plutôt apaisées, alors que son prédécesseur Yves Leterme, également membre du parti chrétien-social flamand les avaient, lui, portées à incandescence. Son remplacement pose d’ailleurs un sérieux problème, car on craint que personne ne soit capable d’empêcher Yves Leterme, toujours aussi populaire en Flandre, de redevenir Premier ministre…

Les institutions européennes issues du Traité de Lisbonne, les plus baroques que l’on ait pu imaginer dans l’histoire de la coopération entre les nations, semblent avoir aujourd’hui plus besoin d’un bon artisan de la fabrication des compromis que d’un leader flamboyant prêt à renverser la table.. et à se retrouver à poil.

Et il n’est pas sûr, de surcroît, que ce Van Rompuy n’étonne pas son monde, amenant ceux qui le moquent aujourd’hui à faire amende honorable, ce qui serait nouveau.

Nuit gravement à la nuit

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Harcelée de toutes parts par les professionnels de la nuit, qui voient se multiplier les interdictions, contrôles divers, voire fermetures administratives d’établissements, la Ville de Paris a décidé de réagir en force. Monsieur le Maire-le-plus–branché-du-monde n’appréciant sans doute pas de passer pour un rabat-joie ou pire, un antifestif, il a donc concocté une usine à gaz destinée à réconcilier la municipalité avec les patrons de boite. Le bidule participatif en question a été joliment intitulé « Paris Nightlife », un anglicisme subtil qui fait a peu près aussi classieux dans le registre clubbing que « Macumba Wonder Lounge, Free drinks gratuits jusqu’à 22h30 heures pour les girls non accompagnées, ambiance hot garantie ». Le pire c’est Paris-Nightlife a été présenté à la presse mercredi dernier à 11 heures du matin. Or à cette heure-là, un travailleur de la nuit, ça dort, et faut quand même être assez doué pour ne pas s’en douter. Visiblement la concertation est déjà bien engagée…

Afghanistan : Obama se hâte lentement

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Flickr / U.S. Army
Flickr / U.S. Army

Malgré les pressions et les pertes record de l’armée américaine, Barack Obama ne se précipite pas pour élaborer une nouvelle stratégie en Afghanistan. Comme tout le monde, il sait que le succès des Talibans repose sur deux éléments : une base arrière sûre au Pakistan, notamment dans la province de Waziristân, et la désespérante défaillance du « non-Etat » afghan. D’un côté un vide de gouvernance, de l’autre de quoi le remplir et entre les deux une frontière qui n’existe que sur les cartes d’état-major. Et si le diagnostic est le début de la solution, le remède semble pour le moment échapper à la Maison blanche et au Pentagone.
Il y un peu plus d’un an, le candidat Obama paraissait sûr de son coup. Il savait ce qu’il fallait faire. Face au sénateur McCain, il affirmait que l’Afghanistan était le principal défi des Etats-Unis et s’était engagé, s’il était élu, à renforcer le contingent US. Aujourd’hui, il n’a toujours pas donné l’ordre d’envoyer les 40 000 soldats supplémentaires réclamés par le général McCristal, le commandant en chef des troupes américaines en Afghanistan.

Le problème d’Obama est qu’il a compris l’essentiel : il n’y a pas de solution militaire. Faute d’une vision stratégique régionale, le succès d’une « inondation » de l’Afghanistan par des GI’s ne peut être qu’éphémère. Or, les dernières « élections » présidentielles afghanes ont révélé le bilan désespérant du fameux « state-building » et les récentes révélations concernant le frère cadet du président Karzai – impliqué dans un trafic de drogue et payé par la CIA – ne font que renforcer le sentiment que cet arbre-là ne donnera que des fruits amers.

Sur le front du Pakistan, la situation est tout aussi inquiétante – et même plus compte tenu de la taille et de la puissance, notamment nucléaire, de ce pays. Sans l’engagement de l’armée pakistanaise dans une guerre systématique visant à prendre le contrôle effectif des zones tribales – notamment mais pas seulement le Waziristân – et une politique déterminée de la part du gouvernement d’Islamabad de contenir les militants islamistes et traiter les problèmes qui les font prospérer, les efforts et les sacrifices de l’Otan en Afghanistan resteront vains. Aucune stratégie ne peut être élaborée sans l’accord des Pakistanais, car une pression d’un côté de la (théorique) frontière produit des effets immédiats de l’autre côté. Si les Américains décidaient finalement d’envoyer plus de troupes dans le cadre du « surge », les insurgés traverseront simplement la frontière pour trouver refuge au Pakistan – comme l’avait probablement fait Oussama ben Laden –, ce qui déplacera le problème et rendra la prise de contrôle du sud Waziristan encore plus difficile et couteuse pour l’armée pakistanaise.

Obama applique au dossier son approche globale, suivant les recommandations de Stephen P. Cohen, du Brookings Institute, à qui la Maison Blanche vient de commander un rapport, histoire de montrer que le président ne reste pas les bras croisés.
« Le Pakistan d’abord » : ainsi pourrait-on résumer la « doctrine Obama ». Or, pour stabiliser le Pakistan, il faut s’attaquer à ses relations avec l’Inde, autrement dit s’occuper de la question du Cachemire. L’envoyé spécial de Washington en Afghanistan-Pakistan, le diplomate chevronné Richard Holbrooke, s’est donc attelé à ce dossier.
Parallèlement, Obama a profité de sa dernière visite en Chine pour demander à ses hôtes d’utiliser leur influence sur Islamabad. Il n’est pas certain que les Indiens apprécient une intervention chinoise dans leur arrière-cour, mais le président américain semble, là encore, suivre Cohen qui recommande d’impliquer des pays tiers pour parvenir à une stabilisation régionale. En attendant la mise en place de ce vaste et subtil dispositif diplomatique, la dimension militaire de l’équation est réduite à des actions de pompiers dont le rôle principal est de limiter les dégâts, le temps de réunir les conditions d’une lutte efficace et définitive contre l’incendie. L’ennui, c’est que pendant qu’Obama prépare l’avenir à long terme, la situation sur le terrain pourrit et la donne risque de changer. Comme au Moyen Orient.

Les mois passent et l’Amérique donne l’image d’une Administration rongée par le doute et d’un président qui hésite de franchir le pas. Et si Washington doute, que peut-on attendre des Afghans ? Même si l’option d’un « lâchage » américain n’est sans doute pas la plus probable, chaque Afghan lucide est obligé d’envisager son propre « scénario de sortie », autrement dit de réfléchir au moyen de ne pas être égorgé si les Américains décidaient de partir « à la saigonnaise ». Pour le régime de Kaboul, cet état d’esprit est désastreux.  Mais ce n’est pas tout. À Islamabad, Karachi et Lahore aussi la possibilité d’un retrait américain unilatéral ne peut plus être écartée. Dans ces circonstances, les services pakistanais n’ont pas besoin de nouveaux arguments pour justifier un double jeu vis-à-vis des Talibans afghans. Or l’objectif suprême des Etats-Unis est justement de convaincre les Pakistanais de lâcher cette carte et de s’engager franchement à étouffer tous les foyers du militantisme.

Festina lente, hâte-toi lentement, disait l’empereur Auguste. L’état actuel de l’Empire américain ne permet pas ce luxe au président Obama. S’il n’agit pas rapidement il sera bientôt trop tard. Pour l’Afghanistan, pour l’Amérique. Et pour le monde entier.

Le Colonel est cinglé

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<em>Le Monde de Glen Baxter</em> vient de paraître aux éditions Hoebeke.
Le Monde de Glen Baxter vient de paraître aux éditions Hoebeke.

Depuis tantôt trente ans, Glen Baxter publie des recueils de dessins légendés. Jusque là, rien de plus banal – mais jusque là seulement parce que, chez cet énergumène, tout est savamment décalé. Dans son art, à coup sûr, Baxter est fou au sens où Chesterton écrivait : « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison. » Mais à ce compte-là, et puisque je donne dans la cuistrerie ces temps-ci, Boileau ne disait-il pas déjà qu’« un désordre savant est un effet de l’art » ?

Le savant désordre baxtérien est partout. Dans son dessin bien sûr, trop poli pour être honnête : le trait en est naïf et les couleurs léchées, si bien qu’à première vue il semble tout droit sorti d’une BD pour enfants des années vingt. Mais déjà, certains détails mettent la puce à l’œil. Pourquoi diable Oncle Edward découpe-t-il la dinde de Noël à la tronçonneuse ? Et d’ailleurs, comment se fait-il que les personnages principaux de Baxter soient toujours des oncles, des cowboys, des explorateurs ou des scouts ?

Attention, j’ai pas dit qu’il était gay ! Il semble plutôt que ce grand garçon n’ait jamais grandi, comme Peter Pan et son inventeur James M. Barrie[1. Sans parler de Michaël Jackson – qui avait quand même baptisé sa propriété Neverland.]. Quoi qu’il en soit, inutile de chercher des réponses dans ses légendes : elles ne font qu’épaissir le doute sur un dessin déjà « déconstruit ». Visiblement Le Monde de Glen Baxter » (titre de son dernier recueil, publié comme toujours chez Hoëbeke) lui est très personnel.

Eh bien, ça ne m’empêche pas de m’y sentir chez moi – comme certains amis au royaume de Patagonie, ou d’autres, moins boute-en-train, à l’université populaire de Caen. En demandant à rencontrer le personnage, je m’attendais donc à devoir jongler entre ses divers degrés d’humour sans rater trop de marches… Ce que j’ignorais en revanche, c’est que Mr Baxter ne souhaite s’exprimer qu’en anglais. Je l’ai compris, mais un peu tard, quand je suis entré dans le grand salon de l’hôtel d’Aubusson. Cinq heures du soir, un coin de canapé cosy, sur la table une théière et dans ses yeux une île.

Où qu’il aille, me suis-je dit, ce type-là transporte avec lui sa petite Angleterre ; il n’en sortira pas. À moi donc de traverser la Manche qui nous sépare – moi qui ne sais pas nager en anglais.
Quand je pense que ce gougnafier lit Roussel et Perec dans le texte ! Mais bon, c’est moi qui ai demandé à le voir…

– D’où vous vient ce titre de « colonel » ? Vous avez vraiment fait l’armée ?
– Inutile ! Je suis né colonel, et en grand uniforme ! Mes parents étaient les premiers surpris, d’ailleurs.
– Euh et depuis, aucune promotion ? Vous n’avez jamais voulu devenir général ?
– Trop prétentieux… Colonel, c’est parfait pour moi.
– Le décalage systématique entre dessins et légendes peut provoquer chez le lecteur non averti un malaise, voire une certaine angoisse…
Anguish est un autre mot pour English[2. Jeu de mots sur « angoisse » et « anglais » (qui perd beaucoup à la traduction).].
– Vos cowboys sont de grands amateurs d’art moderne, mais en revanche ils détestent le tofu ; vous partagez leurs goûts ?
– Je préfère le figuratif à l’abstrait ; quant au tofu, je crois les avoir convaincus : c’est l’aliment parfait, qui peut remplacer tous les autres.
– Et votre fascination pour Google ?
– Vous n’avez qu’à googler « google » sur Google, et vous comprendrez…
– Est-il vrai que, depuis votre enfance bègue, vous rêvez de pratiquer le yodl ?
– Oui, c’est une technique vocale très étrange pratiquée à la fois par les Suisses, les Pygmées, les cowboys et les fermiers japonais.
– Il y aurait donc un lien entre le tofu des cowboys et le yodling japonais ?
– Sans doute…
– Depuis trente ans, vous faites des dessins légendés. Vous n’avez jamais été tenté de séparer les deux ? Dessiner d’un côté, écrire de l’autre ?
– Si, une fois j’ai essayé de faire disparaître les dessins : ça a donné un poème… Hélas, il m’a été confisqué par la douane américaine.
– (…)
– Vous ne saviez pas ? Il est interdit d’importer de la poésie aux Etats-Unis !
– Il paraît que vous ne répondez jamais aux questions personnelles ?
– D’abord, comment savez-vous que vous parlez à Glen Baxter ?
– C’est votre attachée de presse qui me…
– Glen Baxter porte une moustache, pas moi !
– Ok, dans quel pays étranger Glen Baxter est-il le plus connu ?
– La France, la Belgique, la Hollande, les Etats-Unis, le Japon… Il paraît que c’est plus difficile en Iran.
– Vous dites pratiquer le « sabotage » du monde réel. Qu’est ce que vous lui reprochez ?
– Il est absurde, non ? A propos, il vous reste combien de questions ?
– Euh comme vous voulez, cinq minutes ça va ?
– Sept[3. L’entretien durera encore 35 minutes.].
– Quelques questions sur vos goûts, ça va ?
– Parfait.
– Qu’est-ce que vous admirez chez Raymond Roussel ?
– J’aime beaucoup Impressions d’Afrique, mais mon préféré c’est Locus Solus : Roussel décrit des choses incroyables, et puis il en donne des explications encore plus incroyables. (Sans même que je m’en rende compte, Baxter vient de décrire son propre travail. Réveille-toi Basile, c’est l’heure du thé !)
– Vous allez au cinéma ?
– Quand j’étais enfant, les films étaient projetés en continu. On entrait n’importe quand, et on voyait le film par le milieu ; c’était beaucoup mieux. Quel ennui, d’aller au cinéma et de voir un film par le début !
– Vous écoutez de la musique ?
– Je suis très intéressé par le ukulélé ; je le pratique moi-même, mal hélas. Mais j’ai une grande admiration pour le Ukulele Orchestra of Great Britain. Ils jouent tous les répertoires, de Beethoven aux Sex Pistols. J’ai même rencontré dans un bar à Amsterdam un couple qui a créé un duo ukulélé-scie : très intéressant !
– Une référence en philosophie ?
– Wittgenstein, bien sûr ! Tout est simple et direct chez lui : 1.1, 1.2, 1.3. C’est construit presque comme des haïkus. D’ailleurs, parfois mes cowboys discutent de son œuvre, et ils en viennent à parler allemand. (Baxter se met à citer « dans le texte », sans que je sache trop si c’est Wittgenstein ou les cowboys).

Que répondre à ça – et dans quelle langue ? De toute façon, j’ai déjà largement dépassé le temps qui m’était imparti et L’Express arrive sous les traits de Marianne – à moins que ce ne soit l’inverse.
Encore impressionné d’avoir rencontré ce maître du « Walk on the wild side », déjà anxieux à l’idée de vous le raconter, je prends congé maladroitement. Merci mille fois, une dédicace s’il vous plaît, et encore pardon Colonel :

– My english is terrible !
– Your anguish is perfect !

Voilà, les jeunes. J’ai vu une île à la jumelle, et je vous donne sa position, pour les navigateurs qui viendraient à croiser dans la région.

France 2 fait lanterner le CRIF

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Cela fait maintenant plus d’un an que Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, a accepté la demande de Richard Prasquier, président du CRIF, de former un groupe d’experts pour faire toute la lumière possible sur l’affaire Enderlin-Al Dura. Réunies sous l’égide de Patrick Gaubert, président de la LICRA, les deux parties s’accordent pour faire venir Jamal Al Dura à Paris, pour qu’il soit soumis à des examens médico-légaux. Ceux-ci devraient confirmer, ou infirmer la version de France 2, selon laquelle il a été grièvement blessé par des tirs israéliens à Gaza le 30 septembre 2000. Aujourd’hui, Richard Prasquier s’impatiente et le fait savoir à Patrick de Carolis. Ce dernier argue du fait que, bloqué à Gaza, Jamal Al Dura, ne peut aller faire renouveler son passeport périmé à Ramallah. Les autorités israéliennes ont fait savoir à Richard Prasquier qu’à ce jour aucune demande de laissez-passer n’a été formulée ni par France 2, ni par Jamal Al Dura. Elles ajoutent qu’elles ne mettraient aucun obstacle à ses déplacements si une telle demande leur parvenait. Alors Patrick, qu’est-ce qu’on attend ?

Atchoum pachtoun

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Enfin une bonne nouvelle en provenance d’Afghanistan : l’essentiel de l’épidémie H1N1 serait passée et les établissements scolaires qui étaient fermés depuis plusieurs semaines vont pouvoir rouvrir. Le ministre de l’éducation nationale recommande cependant de continuer à porter un masque dans les transports. On peut penser que les femmes en burqua en sont dispensées pour éviter l’asphyxie pure et simple. Il ne faut pas oublier tout de même que la Grippe A a fait onze morts dans le pays, soit à peu près le score moyen d’un taliban quand il ouvre le feu dans une cour de récréation s’il a bien pris soin de se moucher afin de ne pas éternuer pendant une rafale, ce qui est toujours dommageable pour la précision du tir.

Ils étaient où, les drapeaux français ?

drapeau-algerien

Finalement, ce débat sur l’identité nationale, dont on attend toujours qu’il commence vraiment, ne tombait pas si mal. Les matches de barrage pour la qualification à la Coupe du Monde, laquelle bien entendu hante les nuits de tous les Français, se sont chargés de nous le rappeler. On glissera rapidement sur la métaphysique question de la main de Thierry Henry, pauvre organe de hasard qui a maintenant reçu la lourde charge de masquer, à lui seul, toute la réalité, pour en arriver à deux phénomènes étranges qui, si la bonne foi n’avait pas déserté l’arène du débat, ne devraient pas manquer d’en interroger les participants, en premier lieu les plumes qui se relaient depuis un mois dans toute la presse pour affirmer qu’il n’y a pas d’identité nationale, qu’il n’y en a jamais eu, n’y en aura jamais, que ces termes ne veulent rien dire et que si par inadvertance il leur arrivait qu’ils aient un sens, il ne pourrait être que sombre comme les heures de notre histoire, collaborationniste, extrême-droitier, barréso-maurrassien, menteur comme la terre, bref raciste.

Ces deux phénomènes sont apparus concomitamment quoiqu’ils soient d’apparence contradictoire. Le premier n’est pas neuf, puisque nous le revivons au bas mot tous les quatre ans mais son occurrence ne manquait pas de sel : le rassemblement de tous les Français derrière les Bleus pour conjurer le ciel de leur accorder le fameux ticket pour l’Afrique du Sud. Au moment même où un chœur de vierges effarouchées réaffirmait ce que nul n’aurait jamais dû oublier, qu’il n’y a pas d’identité française, ce réflexe ininterrogé qui consiste à se ranger spontanément comme un seul homme derrière une équipe griffée France ne laissait de piquer la curiosité de l’observateur de Sirius. Quoi donc ? Ces esprits forts à qui on ne la fait pas avec le coup moisi de la nation n’échappaient pas, pour aucun d’entre eux, au chauvinisme ranci qui fait les joies du sport, et particulièrement des sponsors et autres annonceurs de ces événements populaires ? Comment ? Parce qu’on leur a dit qu’ils étaient français, ils soutiendraient tous l’équipe de France ? Décidément, la réaction avait de beaux jours devant elle. C’était presque faire le jeu du Front National que de soutenir l’équipe de Raymond Domenech.

C’est là qu’intervint providentiellement le second phénomène. Le hasard voulait qu’au soir de ce 18 novembre 2009, il n’y eut pas que la France qui disputât un match de barrage, mais aussi l’Algérie dont le départ était mal entamé. Peu importait à nos fiers supporters, pouvait-on supputer, que l’Algérie ou l’Egypte l’emportât. Tant que nous, on y était. Mais non. C’était encore douter de la clairvoyance de ce peuple libre. Car le match franco-irlandais n’était pas même achevé que la liesse, selon le mot désormais consacré, s’emparait des rues de toutes les villes de France dignes de ce nom. Paris n’était plus qu’un brasier d’enthousiasme, un creuset du bonheur. Partout des voitures klaxonnant d’enthousiasme, des grappes de jeunes gens hissés sur la portière et même sur le toit, des bolides sillonnant les boulevards pour partager leur sentiment de délicieuse victoire. Partout, dans les mains, à l’arrière des voitures, enroulé sur la tête, flottant au vent, des drapeaux. Un drapeau, en fait. Qui n’était pas bleu blanc rouge.

La communion de la foule se faisait sous les couleurs algériennes. Quiconque a traversé les rues de Paris à cet instant-là s’en souviendra toute sa vie : la ville repeinte en rouge blanc vert où l’immense gonfanon bleu blanc rouge qui bat sous l’arc de triomphe était cerné de partisans de l’équipe d’Algérie dont la fierté s’habillait des teintes ultra-méditerranéennes.

Ce second phénomène possède donc l’avantage immense de nous apprendre que contrairement à ce que pouvait laisser prévoir le premier, les habitants de l’Hexagone ne sont pas tous prêts à obtempérer à l’ordre de mobilisation nationale proféré en choeur par la Coupe du Monde de football et le Ministre de l’Intégration. Monsieur Besson a du souci à se faire.

Mais il en a plus à se faire encore si l’on considère l’autre enseignement de ce phénomène : c’est que si la population de ce pays refuse d’arborer le drapeau français, elle ne rechigne pas à brandir l’Algérien. Qu’il y a donc une bonne partie de ce pays à rééduquer, si elle croit pouvoir mettre sa dignité dans des colifichets d’un autre âge témoignant d’une insupportable fermeture d’esprit à l’autre. A moins que l’on argue du fait que l’identité nationale (qui n’existe pas, rappelons-le) ne puisse être invoquée que dans le cas où l’on vivrait dans un autre pays que le sien, ce que ne manqueront pas de plaider les contempteurs de la proposition Besson. On ne doute pas d’ailleurs que les Français expatriés en Algérie aient manifesté avec des cocardes toute la nuit pour fêter la victoire de Thierry Henry. On dit même que les anciens du FLN en ont été ravis, à qui cela rappelait leur jeunesse.

Enfin, si l’on sort de ces gamineries pour passer dans le symbolique, on s’étonne que personne dans ce pays, parmi le pouvoir, les hommes politiques, les intellectuels, les psychanalystes, les sociologues, ne prenne la mesure de l’injure faite, sinon au peuple français, au moins au bon sens l’autre soir. Il ne s’agissait pas du match que l’Algérie vaita gagné ; il s’agissait du match que la France avait gagné. Et nulle part, dans les rues, de supporters des Bleus en délire, nulle part les insignes rituels de la France qui resurgit à l’improviste les jours de rencontre sportive. France ! qu’as-tu fait de tes drapeaux ? France ! Où sont tes supporters prêts à mettre le feu pour fêter ta victoire ? France ! Où est passé ton amour de Platoche et de Zizou ? France ! qu’as-tu fait des promesses de 1998 ?

Nos gouvernants n’ont sans doute pas à l’esprit qu’un peuple contemporain qui ne s’exprime même plus les soirs de victoire footballistique est soit mort, soit en train de conspirer sa révolte.

La seconde réponse est la plus probable.

2012, tous aux urnes (funéraires) !

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2012

2012 sera catastrophique et ne sera pas. C’est la thèse de quelques millénaristes énervés, reprise par l’Allemand Roland Emmerich, émigré à Hollywood pour blockbusteriser à gogo. Après les extraterrestres pas extra du tout dans Independance Day, et le dérèglement climatique à son climax dans Le jour d’après, il nous livre sa lecture du calendrier maya, alors qu’on croyait naïvement que seul le grégorien avait un sens. Emmerich nous fait le coup d’un soleil brûlant, qui réchauffe la terre de l’intérieur, comme un vulgaire micro-onde importé d’un pays du bloc asiatique qui ne répondrait pas aux exigences des normes européennes, mais ceci est un autre débat. De débat, dans 2012, il n’en est pas question. Mais de hauts et de bas, oui : la température monte, l’eau également, et notre civilisation tombe de haut : 2012 donc, ça va mal finir, on va y passer, et c’est bien fait pour nous, Occidentaux replets que nous sommes.

Après la bagatelle – pour un massacre – de 2h38, on oscille entre la moquerie condescendante, l’ennui, et l’admiration pour la maîtrise sans borne des spécialistes des effets spéciaux hollywoodiens. Sauf que l’on évacue rapidement les deux derniers, pour ne retenir qu’une palanquée de poncifs hilarants qui feraient volontiers passer un film misérabiliste belgo-hexagonal tourné sous un ciel plombé de novembre pour un feu d’artifice dans l’empyrée vespéral de juillet.

Les clichés véhiculés par 2012 sont révélateurs de l’esprit dominant dans les cercles éclairés de l’intelligentsia médiatico-cinématographique plumée par Madoff qui prône désormais la croissance partagée et l’amour universel. À ce titre d’épitomés de medley post-crise dans un monde multipolaire, ces lieux communs méritent qu’on se penche un tout petit peu sur eux. En prenant garde de ne pas basculer dans la faille de San Andreas[1. La faille de San Andreas est une faille géologique à la jonction des plaques tectoniques du Pacifique et de l’Amérique. Elle provoque des séismes de forte intensité en Californie. Ses effets potentiellement dévastateurs sont montrés dans les grandes largeurs dans 2012.], bien entendu :

1. L’Afrique survit, s’élève même au sens littéral du terme, puisque la tectonique des plaques, perturbée par le réchauffement du centre de la terre, la hisse au dessus de tous les autres continents, lui évitant ainsi d’être submergée par les eaux. Symbole… C’est la seule surprise du scénario, qui surfe sur l’atmosphère crisique ambiante : le capitalisme est mauvais, l’Occident et les pays riches alignent les âneries, mais il y a une justice immanente : l’Africain, même si pas « entré dans l’histoire », comme dirait notre président, est sauf car il a été bien sage et connaît la vraie vie. On n’est pas loin ici d’une adaptation du mythe du bon sauvage, transposé par le kaléidoscope politiquement correct de la machinerie hollywoodienne. Seul hic de la bien-pensance du scénar : sauvés par d’énormes arches flottantes, des centaines de milliers de Chinois travailleurs et malins, d’Européens mous et inexistants, de Russes à fourrure et à blondes à seins refaits, et d’Américains obèses mais lucides vont rappliquer aussi sec sur le seul continent à sec… Les pauvres Hottentots n’en avaient pas pris assez avec les premiers Hollandais du Cap ? On en remet une couche, histoire de bien leur montrer qui est le patron. Surprise : le Cran n’a pas encore réagi à ce bégaiement historique.

2. Corollaire de la mauvaise conscience évoquée au point précédent : au cœur du pouvoir américain, la lutte entre jeune+noir+gentil et vieux+blanc+méchant bat son plein. Le digne président américain est noir, effet Obama oblige. Sa fille est une fille bien, évidemment. Les deux jeunes scientifiques qui alertent sur la catastrophe à venir sont respectivement un Indien et un Africain-Américain. En revanche, le cynique sans cœur qui ne veut sauver que les riches est dans la cinquantaine, blanc et gras. Comme l’autre figure négative du film, un milliardaire russe énorme et toqué (en astrakan), dont on précise bien qu’il a obligé sa petite amie à se faire refaire les seins, histoire de prouver combien il est vil : voilà un argument gonflé qui doit faire mouche chez les starlettes de Hollywood.

3. À l’Est, plein de nouveau : le Chinois est productif et malin, tout en étant humain, au fond : il a su manager ses hémisphères droit et gauche. Résultat, les Chinois sont des potes. Ce sont nos nouveaux amis, qui, en à peine deux ans, construisent les arches qui sauveront l’humanité. Bravo les gars ! L’atelier du monde montre sa maîtrise technologique, ça valait le coup de délocaliser.
 
4. Les Européens sont totalement à l’ouest. Passifs, à l’exécutif pléthorique, ils parlent néanmoins d’une seule voix : celle de la chancelière allemande, comme le réalisateur. Ach so ! L’identité nationale française en prend un coup. À noter, dans le concert soporifique des huiles de la vieille Europe, cette manie des Italiens de n’en faire qu’à leur tête. Il est vrai que ces Latins sont incontrôlables : Emmerich le vit tous les jours à Los Angeles où des hordes de Latinos incontrôlables passent la frontière pour servir de techniciens de surface dans les maisons cossues de Beverly Hills, au risque de peser à la baisse sur le salaire de l’Américain moyen.

5. La famille décomposée, recomposée, dérecomposée ou redécomposée puis re-recomposée – et où tout le monde s’aime – est le rempart, avec comme valeurs-valises la solidarité, la fraternité, l’égalité, tous ces « té » qui ne bouillent que pour un mot : l’humanité telle qu’on ne l’a jamais connue, sauf dans les discours du PS. Famille, je vous aime : d’ailleurs, les méchants sont tous divorcés donc seuls.

6. La référence à la religion et à Dieu est omniprésente, comme dans toute vulgate cinématographique américaine qui se respecte, et toute fin du monde imminente (mais là, seuls les dinosaures pourraient en témoigner). Toutes les religions sont représentées, pour ne léser personne. Mais une seule en prend plein la calotte : la catholique, qui voit Saint-Pierre de Rome s’affaler lourdement sur le sol romain. Emmerich a précisé qu’il avait filmé la destruction de la Mecque, mais qu’au montage, il avait posé un voile pudique sur la scène, de peur d’être victime d’une fatwa qui « l’obligerait à vivre avec des gardes du corps jusqu’à la fin de ses jours ». Allah étant miséricordieux, il avait peu à craindre, mais il se méfiait des barbus exaltés qui voient des mécréants partout. Grâce à cette saine prudence, Emmerich pourra encore tourner et gagner des millions. C’est en emmerichant qu’on devient riche. Et ça marche : 2012 a déjà rapporté 250 millions de dollars, seul dieu dont l’existence n’est pas discutable.

Restons concret : alors que le pouvoir d’achat est au centre des préoccupations de chacun, un ticket de 10 euros pour découvrir des lieux communs dans une salle bondée où une foule atteinte de jeunîte aiguë mâche du pop-corn et jette ses canettes sur le sol -apparemment peu attentive au fait qu’il faut garder notre planète propre avant qu’elle n’explose, mais on n’était pas à une projection du film d’Hulot- c’est pas rien. Du vécu.

Surtout, le film passe à côté du seul vrai événement de 2012. Ce ne sont pas les urnes funéraires qui nous attendent, mais les urnes électorales. C’est une question de probabilité. Les Mayas avaient sans doute l’équivalent des outils de prévision concoctés par un Patrick Buisson pour l’Elysée, mais on est prêt à parier son billet (10 euros, répétons-le), que les prévisions du second sur 2012 sont plus sûres que celles des premiers. Sauf à rêver d’une révolution qui immergerait les arches de l’UMP, du PS et autres frêles esquifs. Mais le succès panurgesque de 2012, après ceux de Independance Day et du Jour d’après, mène plutôt à penser que tout change pour que rien ne change. On n’échappera donc pas à la vague présidentielle, ses effets spéciaux, son scénario convenu, ses rôles récurrents.

On vous l’avait dit : 2012, ça va mal finir.

Je ne veux pas aller au Village

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cecile-duflot

Il n’y a pas de métaphore innocente, ni en poésie, ni en politique. Quand Lautréamont parle de la rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection dans Maldoror ou que Paul Eluard voit la terre « bleue comme une orange », la métaphore libère la raison et la perception. La métaphore émancipe. D’autres, au contraire, inquiètent.

La semaine dernière, Cecile Duflot, leader maxima des Verts, présentait la liste Europe Ecologie pour partir à l’assaut de la Région Ile-de-France. Comme d’habitude, l’ensemble se résume à un casting. Quand ils ne prennent pas un juge aux mains blanches du pôle financier, ils enrôlent une figure médiatique du combat pour les SDF, le désormais célèbre Augustin Legrand, fondateur des Enfants de Don Quichotte. Il n’est pas rancunier, Augustin Legrand. J’ai quand même le souvenir que les tentes des SDF plantées au bord du Canal Saint-Martin avaient fini par sérieusement agacer le quartier. Et pas seulement les commerçants, qui sont de petits boutiquiers roteurs, poujadistes et racistes. Mais aussi la néo-bourgeoisie éclairée (c’est-à-dire celle qui votre écologiste) du quartier, un peu fatiguée au bout de plusieurs semaines de devoir slalomer entre les tentes quechuas d’ivrognes célestes pour aller faire ses courses, avec le bébé porté par papa dans le sac kangourou et maman qui veut son jus de mangue Max Havelaar sans oublier un adorable petit haut équitable chez Zadig et Voltaire, qui ira très bien sur la jupe tibétaine.

Elle a raison d’y croire, Cécile Duflot. L’Ile-de-France, c’est jouable pour Europe Ecologie. Ils ont écrasé le PS dans tous les secteurs du jeu en juin 2009 et ont même eu des pointes à plus de 30% dans l’est parisien. En plus, quand ils regardent du côté de Dijon, et qu’ils voient que le débat idéologique se résume à un jeu de chaises musicales entre deux centristes honteux, Peillon et Royal, qui n’osent pas faire leur coming out, ils se disent n’y a pas de raison de se priver et que la bête se meurt.

Or donc, que nous dit Cecile Duflot, quand elle présente la liste pour l’Ile-de-France dont elle sera la tête ? Elle appelle à « une région village qui rassemble les Franciliens ».
Et là, j’ai peur. Un village, au départ, je trouve ça très joli, moi. Aragon aussi, d’ailleurs. Chanter les usines de Magnitogorsk ne l’empêche pas d’avoir écrit ce chef d’œuvre, « Le conscrit aux cent villages », un grand poème de la Résistance

Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud

Fains-la-Folie Aumur Andance
Guillaume-Peyrouse Escarmin
Dancevoir Parmilieu Parmain
Linthes-Pleurs Caresse Abondance.

Mais enfin jamais il ne lui serait venu à l’idée d’ériger le village en modèle politique. Bien au contraire. Le village, c’est la mort, l’ennui, l’espionnage mutuel et constant comme unique distraction. L’un des premiers a s’être extasié sur le concept de village est un « lou ravi » américain, Marshall Mac Luhan, chantre du « village planétaire » que Guy Debord a bien raison de rhabiller pour l’hiver dans Les commentaires sur la société du spectacle : « Mac Luhan parlait de village planétaire, si instamment accessible à tous sans fatigue. Mais les villages ont toujours été dominés par le conformisme, l’isolement, les ragots toujours répétés sur quelques mêmes familles. Et c’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire »

Rien de grand ne s’est jamais fait dans un village, il ne faut pas rêver. Un village, c’est agité par les passions élémentaires et abruti par l’endogamie. C’est la communauté fermée par excellence, celle à qui on peut faire croire à peu près n’importe quoi. Un livre récent de Jean Teulé raconte une histoire vraie : comment, en plein 19ème siècle, tout un village s’est précipité un jour de marché, sans raison apparente, sur un pauvre garçon qu’ils ont dévoré vif comme dans un film gore de série Z[1. Mangez-le si vous voulez (Julliard 2009)]. Et puisqu’on parle de cinéma, je rappelle à ceux qui l’ont vu que Délivrance, le film de Boorman, montre à quel point des dégénérés vivant certes dans une belle simplicité volontaire, une belle sobriété heureuse sont en fait des sadiques sodomites et zoophiles.

Plus généralement, l’idée de transformer une région comme l’Ile-de-France en village traduit de fait un inconscient réactionnaire, voire crypto-pétainiste. On sait depuis la Commune que lorsqu’on veut balayer une révolution qui invente de nouvelles façons d’être ensemble, et ce genre d’invention n’est possible que dans les villes où bouillonnent heureusement idées, théories et utopies, Thiers et les Versaillais envoient des bataillons de la Garde Nationale recrutés dans les villages de l’Ouest pour aller massacre du partageux et le finir à la mitrailleuse lourde dans les jardins du Luxembourg.

Le Village ne mentirait pas, serait humain, authentique alors que la Ville serait le lieu de toutes les chutes. Cet inconscient vert qui devient explicite dans l’aile avancée des Décroissants est profondément ambigu et il n’y a rien d’étonnant à voir une certaine droite identitaire, obsédée par la pureté de la race et les communautés ethniquement homogènes, tenter régulièrement des hybridations idéologiques avec la Décroissance. C’est logique : tous ces white trash, ces red neck à la française, ces rurbains malheureux (ni village, ni ville) ont des fantasmes de fermes fortifiées dans lesquelles on pourra résister aux hordes négro-mahométanes en cultivant du poireau et en s’entraînant au fusil Ithaca.

Non, décidément, pas de village. Les villes sont polluées, délinquantes, inabordables mais il y a mille façons de s’y perdre, de jouir de cette chose si rare aujourd’hui et qui pour le coup ressemble à une espèce en voie de disparition : l’anonymat. Les villes, ce sont aussi les possibilités poétiques de la rencontre amoureuse (Nadja de Breton ne se passe pas à Trifouilly les Oies que je sache) et du hasard objectif, des joyeuses conjurations politiques, des insomnies lumineuses dans les salles d’art et d’essai ou des navigations nocturnes dans le fauteuil club d’un bar d’hôtel avec un verre de Bushmill Malt qui met des couleurs aux souvenirs.
Je ne veux décidément pas vivre dans le monde de Cécile Duflot. Je me souviens que le Village, c’est aussi cet endroit insituable où est enfermé le numéro 6 incarné par le regretté Patrick Mac Gohan.
Et si le monde délocalisé que nous vivons est un cauchemar mal climatisé, celui, relocalisé, qu’elle nous annonce, sera à coup sûr un enfer étouffant.

De la dictature de l’amour des enfants

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Le scoop du siècle est tombé lundi sur les téléscripteurs du monde entier. Nicolas Sarkozy veut-il faire entrer le Pétomane au Panthéon ? Non. Eric Raoult a émis l’idée de nationaliser Gallimard et Flammarion ? Non. La commune d’Alfortville, dans le Val de Marne, vient de décrocher l’effrayant label « Ville amie des enfants ». La mairie de gauche, emmenée par le député-maire Rouquet (PS), s’est longuement – et bruyamment – félicitée de cette réussite dans la presse. Le Parisien nous apprend ainsi qu’il existe un « club très fermé » des villes « amies des enfants » : moins de 200 communes sur 36,000 en sont. Mais c’est quoi être une ville « amie des enfants » ? Mme. Santiago, élue à la petite enfance, se vautre dans la langue de bois la plus délicieuse sans – naturellement – répondre à la question : « C’est une façon de bénéficier des richesses des uns et des autres pour engager de nouveaux projets ». De nouveaux projets certainement « innovants » et nous projetant dans une « dynamique collective de progrès ». Bon, on s’en doute, ce label de l’UNICEF est là pour amuser la galerie. Il dégouline de moraline moderniste, ce macaron « Ville amie des enfants »… il implique certainement l’existence de villes ennemies des enfants, voir des gens parfaitement humains qui n’aimeraient pas – mais alors là pas du tout – les enfants… On pressent que Neuilly-sur-Seine ou Nice ne l’auront jamais ce label, qui est réservé à une élite d’édiles d’élite concentrant leurs efforts politiques sur une population qui n’a même pas le droit de vote. Pour tout vous dire, moi je n’y crois pas ! A la crèche les zenfants !

Eloge d’Herman Van Rompuy

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Je n’ai pas l’honneur d’avoir été présenté à lady Catherine Ashton, désignée pour diriger la diplomatie européenne (on aura noté la prudence linguistique de la presse française qui ne se risque pas encore à féminiser le titre de Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère… ) et je me permettrai donc pas de porter de jugement hâtif sur madame la baronne.

Ayant quelque peu fréquenté la vie politique belge à la fin du siècle dernier, je fais partie des rares privilégiés à connaître le visage, le parcours et les petites manies du nouveau président du Conseil européen. N’ayant jamais été un fan des Flamands bigots et rageusement nationalistes, je n’en suis que plus à l’aise pour trouver outranciers, voire à la limite du racisme anti-belge, les commentaires qui ont accompagné sa nomination. Gris, sans relief, quasi inconnu des grands de ce monde, discret au delà du raisonnable, plus petit dénominateur commun, choisi pour ne faire de l’ombre à personne, voilà les amabilités que lui ont values sa promotion.

On le montre déjà en intendant obséquieux opinant du chef à la moindre injonction de Nicolas, Angela ou Gordon.
Les plus bruyants dans cette character assassination sont les commentateurs eurobéats du genre Bernard Guetta (mais il n’est pas le seul) qui n’ont pas encore enregistré dans leur petite tête d’éditorialiste que leur rêve fédéral européen s’est envolé pour toujours, ce que même un Michel Rocard a fini par comprendre. Ils font donc porter à ce pauvre Van Rompuy, et accessoirement à Catherine Ashton le poids de leur frustration.

Revenons donc à ce brave Herman. Pour qui connaît un peu les Flamands, ces bons vivants susceptibles, excellents convives et grandes gueules, plus madrés que subtils, accueillants à tous, sauf à leurs compatriotes francophones et farouchement nationalistes, il tranche nettement dans le tableau. Certes, il est catho, et même catho grave, revenu à la foi après l’avoir perdu dans sa jeunesse. C’est un homme politique wallon, Gérard Deprez qui a trouvé la meilleure formule pour décrire la personnalité de Van Rompuy, « un bon vivant camouflé dans un cierge ». C’est un féru de philosophie thomiste et un amateur de poésie orientale – il parsème son blog de haïku de son cru que seule ma méconnaissance crasse du néerlandais m’empêche d’apprécier à leur juste valeur.

Bon et alors ? Un pilier de sacristie doublé d’un esthète délicat, c’est un peu court pour prétendre incarner notre belle Union européenne sur la planète, d’être le « numéro de téléphone » vainement cherché jadis dans l’annuaire par cette fripouille d’Henry Kissinger, rétorqueront les offusqués du vendredi matin.

Ce n’est pas parce la Belgique est un petit pays qu’il est plus facile d’y faire de la politique, bien au contraire. En proie à des forces centrifuges qui menacent chaque jour davantage son unité, voire son existence comme Etat-nation, le royaume de Belgique a engendré une génération d’hommes et de femmes politiques ayant la capacité de gérer une machine institutionnelle incroyablement complexe. Ils sont capables de naviguer de compromis en compromis, pour retarder une échéance pourtant inéluctable, celle qui verra un jour la Flandre choisir d’assumer seule son destin.

Dans cette catégorie de politiciens, Herman van Rompuy est loin d’être le moins doué, même s’il ne joue pas le jeu de la pipolisation et de la médiatisation dans lequel excellent certains de ses collègues, Flamands comme francophones. Depuis son arrivée à la tête du gouvernement fédéral, en décembre 2008, les tensions communautaires se sont plutôt apaisées, alors que son prédécesseur Yves Leterme, également membre du parti chrétien-social flamand les avaient, lui, portées à incandescence. Son remplacement pose d’ailleurs un sérieux problème, car on craint que personne ne soit capable d’empêcher Yves Leterme, toujours aussi populaire en Flandre, de redevenir Premier ministre…

Les institutions européennes issues du Traité de Lisbonne, les plus baroques que l’on ait pu imaginer dans l’histoire de la coopération entre les nations, semblent avoir aujourd’hui plus besoin d’un bon artisan de la fabrication des compromis que d’un leader flamboyant prêt à renverser la table.. et à se retrouver à poil.

Et il n’est pas sûr, de surcroît, que ce Van Rompuy n’étonne pas son monde, amenant ceux qui le moquent aujourd’hui à faire amende honorable, ce qui serait nouveau.

Nuit gravement à la nuit

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Harcelée de toutes parts par les professionnels de la nuit, qui voient se multiplier les interdictions, contrôles divers, voire fermetures administratives d’établissements, la Ville de Paris a décidé de réagir en force. Monsieur le Maire-le-plus–branché-du-monde n’appréciant sans doute pas de passer pour un rabat-joie ou pire, un antifestif, il a donc concocté une usine à gaz destinée à réconcilier la municipalité avec les patrons de boite. Le bidule participatif en question a été joliment intitulé « Paris Nightlife », un anglicisme subtil qui fait a peu près aussi classieux dans le registre clubbing que « Macumba Wonder Lounge, Free drinks gratuits jusqu’à 22h30 heures pour les girls non accompagnées, ambiance hot garantie ». Le pire c’est Paris-Nightlife a été présenté à la presse mercredi dernier à 11 heures du matin. Or à cette heure-là, un travailleur de la nuit, ça dort, et faut quand même être assez doué pour ne pas s’en douter. Visiblement la concertation est déjà bien engagée…

Afghanistan : Obama se hâte lentement

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Flickr / U.S. Army
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Malgré les pressions et les pertes record de l’armée américaine, Barack Obama ne se précipite pas pour élaborer une nouvelle stratégie en Afghanistan. Comme tout le monde, il sait que le succès des Talibans repose sur deux éléments : une base arrière sûre au Pakistan, notamment dans la province de Waziristân, et la désespérante défaillance du « non-Etat » afghan. D’un côté un vide de gouvernance, de l’autre de quoi le remplir et entre les deux une frontière qui n’existe que sur les cartes d’état-major. Et si le diagnostic est le début de la solution, le remède semble pour le moment échapper à la Maison blanche et au Pentagone.
Il y un peu plus d’un an, le candidat Obama paraissait sûr de son coup. Il savait ce qu’il fallait faire. Face au sénateur McCain, il affirmait que l’Afghanistan était le principal défi des Etats-Unis et s’était engagé, s’il était élu, à renforcer le contingent US. Aujourd’hui, il n’a toujours pas donné l’ordre d’envoyer les 40 000 soldats supplémentaires réclamés par le général McCristal, le commandant en chef des troupes américaines en Afghanistan.

Le problème d’Obama est qu’il a compris l’essentiel : il n’y a pas de solution militaire. Faute d’une vision stratégique régionale, le succès d’une « inondation » de l’Afghanistan par des GI’s ne peut être qu’éphémère. Or, les dernières « élections » présidentielles afghanes ont révélé le bilan désespérant du fameux « state-building » et les récentes révélations concernant le frère cadet du président Karzai – impliqué dans un trafic de drogue et payé par la CIA – ne font que renforcer le sentiment que cet arbre-là ne donnera que des fruits amers.

Sur le front du Pakistan, la situation est tout aussi inquiétante – et même plus compte tenu de la taille et de la puissance, notamment nucléaire, de ce pays. Sans l’engagement de l’armée pakistanaise dans une guerre systématique visant à prendre le contrôle effectif des zones tribales – notamment mais pas seulement le Waziristân – et une politique déterminée de la part du gouvernement d’Islamabad de contenir les militants islamistes et traiter les problèmes qui les font prospérer, les efforts et les sacrifices de l’Otan en Afghanistan resteront vains. Aucune stratégie ne peut être élaborée sans l’accord des Pakistanais, car une pression d’un côté de la (théorique) frontière produit des effets immédiats de l’autre côté. Si les Américains décidaient finalement d’envoyer plus de troupes dans le cadre du « surge », les insurgés traverseront simplement la frontière pour trouver refuge au Pakistan – comme l’avait probablement fait Oussama ben Laden –, ce qui déplacera le problème et rendra la prise de contrôle du sud Waziristan encore plus difficile et couteuse pour l’armée pakistanaise.

Obama applique au dossier son approche globale, suivant les recommandations de Stephen P. Cohen, du Brookings Institute, à qui la Maison Blanche vient de commander un rapport, histoire de montrer que le président ne reste pas les bras croisés.
« Le Pakistan d’abord » : ainsi pourrait-on résumer la « doctrine Obama ». Or, pour stabiliser le Pakistan, il faut s’attaquer à ses relations avec l’Inde, autrement dit s’occuper de la question du Cachemire. L’envoyé spécial de Washington en Afghanistan-Pakistan, le diplomate chevronné Richard Holbrooke, s’est donc attelé à ce dossier.
Parallèlement, Obama a profité de sa dernière visite en Chine pour demander à ses hôtes d’utiliser leur influence sur Islamabad. Il n’est pas certain que les Indiens apprécient une intervention chinoise dans leur arrière-cour, mais le président américain semble, là encore, suivre Cohen qui recommande d’impliquer des pays tiers pour parvenir à une stabilisation régionale. En attendant la mise en place de ce vaste et subtil dispositif diplomatique, la dimension militaire de l’équation est réduite à des actions de pompiers dont le rôle principal est de limiter les dégâts, le temps de réunir les conditions d’une lutte efficace et définitive contre l’incendie. L’ennui, c’est que pendant qu’Obama prépare l’avenir à long terme, la situation sur le terrain pourrit et la donne risque de changer. Comme au Moyen Orient.

Les mois passent et l’Amérique donne l’image d’une Administration rongée par le doute et d’un président qui hésite de franchir le pas. Et si Washington doute, que peut-on attendre des Afghans ? Même si l’option d’un « lâchage » américain n’est sans doute pas la plus probable, chaque Afghan lucide est obligé d’envisager son propre « scénario de sortie », autrement dit de réfléchir au moyen de ne pas être égorgé si les Américains décidaient de partir « à la saigonnaise ». Pour le régime de Kaboul, cet état d’esprit est désastreux.  Mais ce n’est pas tout. À Islamabad, Karachi et Lahore aussi la possibilité d’un retrait américain unilatéral ne peut plus être écartée. Dans ces circonstances, les services pakistanais n’ont pas besoin de nouveaux arguments pour justifier un double jeu vis-à-vis des Talibans afghans. Or l’objectif suprême des Etats-Unis est justement de convaincre les Pakistanais de lâcher cette carte et de s’engager franchement à étouffer tous les foyers du militantisme.

Festina lente, hâte-toi lentement, disait l’empereur Auguste. L’état actuel de l’Empire américain ne permet pas ce luxe au président Obama. S’il n’agit pas rapidement il sera bientôt trop tard. Pour l’Afghanistan, pour l’Amérique. Et pour le monde entier.

Le Colonel est cinglé

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Le Monde de Glen Baxter vient de paraître aux éditions Hoebeke.
<em>Le Monde de Glen Baxter</em> vient de paraître aux éditions Hoebeke.
Le Monde de Glen Baxter vient de paraître aux éditions Hoebeke.

Depuis tantôt trente ans, Glen Baxter publie des recueils de dessins légendés. Jusque là, rien de plus banal – mais jusque là seulement parce que, chez cet énergumène, tout est savamment décalé. Dans son art, à coup sûr, Baxter est fou au sens où Chesterton écrivait : « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison. » Mais à ce compte-là, et puisque je donne dans la cuistrerie ces temps-ci, Boileau ne disait-il pas déjà qu’« un désordre savant est un effet de l’art » ?

Le savant désordre baxtérien est partout. Dans son dessin bien sûr, trop poli pour être honnête : le trait en est naïf et les couleurs léchées, si bien qu’à première vue il semble tout droit sorti d’une BD pour enfants des années vingt. Mais déjà, certains détails mettent la puce à l’œil. Pourquoi diable Oncle Edward découpe-t-il la dinde de Noël à la tronçonneuse ? Et d’ailleurs, comment se fait-il que les personnages principaux de Baxter soient toujours des oncles, des cowboys, des explorateurs ou des scouts ?

Attention, j’ai pas dit qu’il était gay ! Il semble plutôt que ce grand garçon n’ait jamais grandi, comme Peter Pan et son inventeur James M. Barrie[1. Sans parler de Michaël Jackson – qui avait quand même baptisé sa propriété Neverland.]. Quoi qu’il en soit, inutile de chercher des réponses dans ses légendes : elles ne font qu’épaissir le doute sur un dessin déjà « déconstruit ». Visiblement Le Monde de Glen Baxter » (titre de son dernier recueil, publié comme toujours chez Hoëbeke) lui est très personnel.

Eh bien, ça ne m’empêche pas de m’y sentir chez moi – comme certains amis au royaume de Patagonie, ou d’autres, moins boute-en-train, à l’université populaire de Caen. En demandant à rencontrer le personnage, je m’attendais donc à devoir jongler entre ses divers degrés d’humour sans rater trop de marches… Ce que j’ignorais en revanche, c’est que Mr Baxter ne souhaite s’exprimer qu’en anglais. Je l’ai compris, mais un peu tard, quand je suis entré dans le grand salon de l’hôtel d’Aubusson. Cinq heures du soir, un coin de canapé cosy, sur la table une théière et dans ses yeux une île.

Où qu’il aille, me suis-je dit, ce type-là transporte avec lui sa petite Angleterre ; il n’en sortira pas. À moi donc de traverser la Manche qui nous sépare – moi qui ne sais pas nager en anglais.
Quand je pense que ce gougnafier lit Roussel et Perec dans le texte ! Mais bon, c’est moi qui ai demandé à le voir…

– D’où vous vient ce titre de « colonel » ? Vous avez vraiment fait l’armée ?
– Inutile ! Je suis né colonel, et en grand uniforme ! Mes parents étaient les premiers surpris, d’ailleurs.
– Euh et depuis, aucune promotion ? Vous n’avez jamais voulu devenir général ?
– Trop prétentieux… Colonel, c’est parfait pour moi.
– Le décalage systématique entre dessins et légendes peut provoquer chez le lecteur non averti un malaise, voire une certaine angoisse…
Anguish est un autre mot pour English[2. Jeu de mots sur « angoisse » et « anglais » (qui perd beaucoup à la traduction).].
– Vos cowboys sont de grands amateurs d’art moderne, mais en revanche ils détestent le tofu ; vous partagez leurs goûts ?
– Je préfère le figuratif à l’abstrait ; quant au tofu, je crois les avoir convaincus : c’est l’aliment parfait, qui peut remplacer tous les autres.
– Et votre fascination pour Google ?
– Vous n’avez qu’à googler « google » sur Google, et vous comprendrez…
– Est-il vrai que, depuis votre enfance bègue, vous rêvez de pratiquer le yodl ?
– Oui, c’est une technique vocale très étrange pratiquée à la fois par les Suisses, les Pygmées, les cowboys et les fermiers japonais.
– Il y aurait donc un lien entre le tofu des cowboys et le yodling japonais ?
– Sans doute…
– Depuis trente ans, vous faites des dessins légendés. Vous n’avez jamais été tenté de séparer les deux ? Dessiner d’un côté, écrire de l’autre ?
– Si, une fois j’ai essayé de faire disparaître les dessins : ça a donné un poème… Hélas, il m’a été confisqué par la douane américaine.
– (…)
– Vous ne saviez pas ? Il est interdit d’importer de la poésie aux Etats-Unis !
– Il paraît que vous ne répondez jamais aux questions personnelles ?
– D’abord, comment savez-vous que vous parlez à Glen Baxter ?
– C’est votre attachée de presse qui me…
– Glen Baxter porte une moustache, pas moi !
– Ok, dans quel pays étranger Glen Baxter est-il le plus connu ?
– La France, la Belgique, la Hollande, les Etats-Unis, le Japon… Il paraît que c’est plus difficile en Iran.
– Vous dites pratiquer le « sabotage » du monde réel. Qu’est ce que vous lui reprochez ?
– Il est absurde, non ? A propos, il vous reste combien de questions ?
– Euh comme vous voulez, cinq minutes ça va ?
– Sept[3. L’entretien durera encore 35 minutes.].
– Quelques questions sur vos goûts, ça va ?
– Parfait.
– Qu’est-ce que vous admirez chez Raymond Roussel ?
– J’aime beaucoup Impressions d’Afrique, mais mon préféré c’est Locus Solus : Roussel décrit des choses incroyables, et puis il en donne des explications encore plus incroyables. (Sans même que je m’en rende compte, Baxter vient de décrire son propre travail. Réveille-toi Basile, c’est l’heure du thé !)
– Vous allez au cinéma ?
– Quand j’étais enfant, les films étaient projetés en continu. On entrait n’importe quand, et on voyait le film par le milieu ; c’était beaucoup mieux. Quel ennui, d’aller au cinéma et de voir un film par le début !
– Vous écoutez de la musique ?
– Je suis très intéressé par le ukulélé ; je le pratique moi-même, mal hélas. Mais j’ai une grande admiration pour le Ukulele Orchestra of Great Britain. Ils jouent tous les répertoires, de Beethoven aux Sex Pistols. J’ai même rencontré dans un bar à Amsterdam un couple qui a créé un duo ukulélé-scie : très intéressant !
– Une référence en philosophie ?
– Wittgenstein, bien sûr ! Tout est simple et direct chez lui : 1.1, 1.2, 1.3. C’est construit presque comme des haïkus. D’ailleurs, parfois mes cowboys discutent de son œuvre, et ils en viennent à parler allemand. (Baxter se met à citer « dans le texte », sans que je sache trop si c’est Wittgenstein ou les cowboys).

Que répondre à ça – et dans quelle langue ? De toute façon, j’ai déjà largement dépassé le temps qui m’était imparti et L’Express arrive sous les traits de Marianne – à moins que ce ne soit l’inverse.
Encore impressionné d’avoir rencontré ce maître du « Walk on the wild side », déjà anxieux à l’idée de vous le raconter, je prends congé maladroitement. Merci mille fois, une dédicace s’il vous plaît, et encore pardon Colonel :

– My english is terrible !
– Your anguish is perfect !

Voilà, les jeunes. J’ai vu une île à la jumelle, et je vous donne sa position, pour les navigateurs qui viendraient à croiser dans la région.

Le monde de Glen Baxter

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France 2 fait lanterner le CRIF

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Cela fait maintenant plus d’un an que Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, a accepté la demande de Richard Prasquier, président du CRIF, de former un groupe d’experts pour faire toute la lumière possible sur l’affaire Enderlin-Al Dura. Réunies sous l’égide de Patrick Gaubert, président de la LICRA, les deux parties s’accordent pour faire venir Jamal Al Dura à Paris, pour qu’il soit soumis à des examens médico-légaux. Ceux-ci devraient confirmer, ou infirmer la version de France 2, selon laquelle il a été grièvement blessé par des tirs israéliens à Gaza le 30 septembre 2000. Aujourd’hui, Richard Prasquier s’impatiente et le fait savoir à Patrick de Carolis. Ce dernier argue du fait que, bloqué à Gaza, Jamal Al Dura, ne peut aller faire renouveler son passeport périmé à Ramallah. Les autorités israéliennes ont fait savoir à Richard Prasquier qu’à ce jour aucune demande de laissez-passer n’a été formulée ni par France 2, ni par Jamal Al Dura. Elles ajoutent qu’elles ne mettraient aucun obstacle à ses déplacements si une telle demande leur parvenait. Alors Patrick, qu’est-ce qu’on attend ?

Atchoum pachtoun

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Enfin une bonne nouvelle en provenance d’Afghanistan : l’essentiel de l’épidémie H1N1 serait passée et les établissements scolaires qui étaient fermés depuis plusieurs semaines vont pouvoir rouvrir. Le ministre de l’éducation nationale recommande cependant de continuer à porter un masque dans les transports. On peut penser que les femmes en burqua en sont dispensées pour éviter l’asphyxie pure et simple. Il ne faut pas oublier tout de même que la Grippe A a fait onze morts dans le pays, soit à peu près le score moyen d’un taliban quand il ouvre le feu dans une cour de récréation s’il a bien pris soin de se moucher afin de ne pas éternuer pendant une rafale, ce qui est toujours dommageable pour la précision du tir.

Ils étaient où, les drapeaux français ?

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drapeau-algerien

Finalement, ce débat sur l’identité nationale, dont on attend toujours qu’il commence vraiment, ne tombait pas si mal. Les matches de barrage pour la qualification à la Coupe du Monde, laquelle bien entendu hante les nuits de tous les Français, se sont chargés de nous le rappeler. On glissera rapidement sur la métaphysique question de la main de Thierry Henry, pauvre organe de hasard qui a maintenant reçu la lourde charge de masquer, à lui seul, toute la réalité, pour en arriver à deux phénomènes étranges qui, si la bonne foi n’avait pas déserté l’arène du débat, ne devraient pas manquer d’en interroger les participants, en premier lieu les plumes qui se relaient depuis un mois dans toute la presse pour affirmer qu’il n’y a pas d’identité nationale, qu’il n’y en a jamais eu, n’y en aura jamais, que ces termes ne veulent rien dire et que si par inadvertance il leur arrivait qu’ils aient un sens, il ne pourrait être que sombre comme les heures de notre histoire, collaborationniste, extrême-droitier, barréso-maurrassien, menteur comme la terre, bref raciste.

Ces deux phénomènes sont apparus concomitamment quoiqu’ils soient d’apparence contradictoire. Le premier n’est pas neuf, puisque nous le revivons au bas mot tous les quatre ans mais son occurrence ne manquait pas de sel : le rassemblement de tous les Français derrière les Bleus pour conjurer le ciel de leur accorder le fameux ticket pour l’Afrique du Sud. Au moment même où un chœur de vierges effarouchées réaffirmait ce que nul n’aurait jamais dû oublier, qu’il n’y a pas d’identité française, ce réflexe ininterrogé qui consiste à se ranger spontanément comme un seul homme derrière une équipe griffée France ne laissait de piquer la curiosité de l’observateur de Sirius. Quoi donc ? Ces esprits forts à qui on ne la fait pas avec le coup moisi de la nation n’échappaient pas, pour aucun d’entre eux, au chauvinisme ranci qui fait les joies du sport, et particulièrement des sponsors et autres annonceurs de ces événements populaires ? Comment ? Parce qu’on leur a dit qu’ils étaient français, ils soutiendraient tous l’équipe de France ? Décidément, la réaction avait de beaux jours devant elle. C’était presque faire le jeu du Front National que de soutenir l’équipe de Raymond Domenech.

C’est là qu’intervint providentiellement le second phénomène. Le hasard voulait qu’au soir de ce 18 novembre 2009, il n’y eut pas que la France qui disputât un match de barrage, mais aussi l’Algérie dont le départ était mal entamé. Peu importait à nos fiers supporters, pouvait-on supputer, que l’Algérie ou l’Egypte l’emportât. Tant que nous, on y était. Mais non. C’était encore douter de la clairvoyance de ce peuple libre. Car le match franco-irlandais n’était pas même achevé que la liesse, selon le mot désormais consacré, s’emparait des rues de toutes les villes de France dignes de ce nom. Paris n’était plus qu’un brasier d’enthousiasme, un creuset du bonheur. Partout des voitures klaxonnant d’enthousiasme, des grappes de jeunes gens hissés sur la portière et même sur le toit, des bolides sillonnant les boulevards pour partager leur sentiment de délicieuse victoire. Partout, dans les mains, à l’arrière des voitures, enroulé sur la tête, flottant au vent, des drapeaux. Un drapeau, en fait. Qui n’était pas bleu blanc rouge.

La communion de la foule se faisait sous les couleurs algériennes. Quiconque a traversé les rues de Paris à cet instant-là s’en souviendra toute sa vie : la ville repeinte en rouge blanc vert où l’immense gonfanon bleu blanc rouge qui bat sous l’arc de triomphe était cerné de partisans de l’équipe d’Algérie dont la fierté s’habillait des teintes ultra-méditerranéennes.

Ce second phénomène possède donc l’avantage immense de nous apprendre que contrairement à ce que pouvait laisser prévoir le premier, les habitants de l’Hexagone ne sont pas tous prêts à obtempérer à l’ordre de mobilisation nationale proféré en choeur par la Coupe du Monde de football et le Ministre de l’Intégration. Monsieur Besson a du souci à se faire.

Mais il en a plus à se faire encore si l’on considère l’autre enseignement de ce phénomène : c’est que si la population de ce pays refuse d’arborer le drapeau français, elle ne rechigne pas à brandir l’Algérien. Qu’il y a donc une bonne partie de ce pays à rééduquer, si elle croit pouvoir mettre sa dignité dans des colifichets d’un autre âge témoignant d’une insupportable fermeture d’esprit à l’autre. A moins que l’on argue du fait que l’identité nationale (qui n’existe pas, rappelons-le) ne puisse être invoquée que dans le cas où l’on vivrait dans un autre pays que le sien, ce que ne manqueront pas de plaider les contempteurs de la proposition Besson. On ne doute pas d’ailleurs que les Français expatriés en Algérie aient manifesté avec des cocardes toute la nuit pour fêter la victoire de Thierry Henry. On dit même que les anciens du FLN en ont été ravis, à qui cela rappelait leur jeunesse.

Enfin, si l’on sort de ces gamineries pour passer dans le symbolique, on s’étonne que personne dans ce pays, parmi le pouvoir, les hommes politiques, les intellectuels, les psychanalystes, les sociologues, ne prenne la mesure de l’injure faite, sinon au peuple français, au moins au bon sens l’autre soir. Il ne s’agissait pas du match que l’Algérie vaita gagné ; il s’agissait du match que la France avait gagné. Et nulle part, dans les rues, de supporters des Bleus en délire, nulle part les insignes rituels de la France qui resurgit à l’improviste les jours de rencontre sportive. France ! qu’as-tu fait de tes drapeaux ? France ! Où sont tes supporters prêts à mettre le feu pour fêter ta victoire ? France ! Où est passé ton amour de Platoche et de Zizou ? France ! qu’as-tu fait des promesses de 1998 ?

Nos gouvernants n’ont sans doute pas à l’esprit qu’un peuple contemporain qui ne s’exprime même plus les soirs de victoire footballistique est soit mort, soit en train de conspirer sa révolte.

La seconde réponse est la plus probable.