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Je ne veux pas aller au Village


Je ne veux pas aller au Village

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Il n’y a pas de métaphore innocente, ni en poésie, ni en politique. Quand Lautréamont parle de la rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection dans Maldoror ou que Paul Eluard voit la terre « bleue comme une orange », la métaphore libère la raison et la perception. La métaphore émancipe. D’autres, au contraire, inquiètent.

La semaine dernière, Cecile Duflot, leader maxima des Verts, présentait la liste Europe Ecologie pour partir à l’assaut de la Région Ile-de-France. Comme d’habitude, l’ensemble se résume à un casting. Quand ils ne prennent pas un juge aux mains blanches du pôle financier, ils enrôlent une figure médiatique du combat pour les SDF, le désormais célèbre Augustin Legrand, fondateur des Enfants de Don Quichotte. Il n’est pas rancunier, Augustin Legrand. J’ai quand même le souvenir que les tentes des SDF plantées au bord du Canal Saint-Martin avaient fini par sérieusement agacer le quartier. Et pas seulement les commerçants, qui sont de petits boutiquiers roteurs, poujadistes et racistes. Mais aussi la néo-bourgeoisie éclairée (c’est-à-dire celle qui votre écologiste) du quartier, un peu fatiguée au bout de plusieurs semaines de devoir slalomer entre les tentes quechuas d’ivrognes célestes pour aller faire ses courses, avec le bébé porté par papa dans le sac kangourou et maman qui veut son jus de mangue Max Havelaar sans oublier un adorable petit haut équitable chez Zadig et Voltaire, qui ira très bien sur la jupe tibétaine.

Elle a raison d’y croire, Cécile Duflot. L’Ile-de-France, c’est jouable pour Europe Ecologie. Ils ont écrasé le PS dans tous les secteurs du jeu en juin 2009 et ont même eu des pointes à plus de 30% dans l’est parisien. En plus, quand ils regardent du côté de Dijon, et qu’ils voient que le débat idéologique se résume à un jeu de chaises musicales entre deux centristes honteux, Peillon et Royal, qui n’osent pas faire leur coming out, ils se disent n’y a pas de raison de se priver et que la bête se meurt.

Or donc, que nous dit Cecile Duflot, quand elle présente la liste pour l’Ile-de-France dont elle sera la tête ? Elle appelle à « une région village qui rassemble les Franciliens ».
Et là, j’ai peur. Un village, au départ, je trouve ça très joli, moi. Aragon aussi, d’ailleurs. Chanter les usines de Magnitogorsk ne l’empêche pas d’avoir écrit ce chef d’œuvre, « Le conscrit aux cent villages », un grand poème de la Résistance

Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud

Fains-la-Folie Aumur Andance
Guillaume-Peyrouse Escarmin
Dancevoir Parmilieu Parmain
Linthes-Pleurs Caresse Abondance.

Mais enfin jamais il ne lui serait venu à l’idée d’ériger le village en modèle politique. Bien au contraire. Le village, c’est la mort, l’ennui, l’espionnage mutuel et constant comme unique distraction. L’un des premiers a s’être extasié sur le concept de village est un « lou ravi » américain, Marshall Mac Luhan, chantre du « village planétaire » que Guy Debord a bien raison de rhabiller pour l’hiver dans Les commentaires sur la société du spectacle : « Mac Luhan parlait de village planétaire, si instamment accessible à tous sans fatigue. Mais les villages ont toujours été dominés par le conformisme, l’isolement, les ragots toujours répétés sur quelques mêmes familles. Et c’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire »

Rien de grand ne s’est jamais fait dans un village, il ne faut pas rêver. Un village, c’est agité par les passions élémentaires et abruti par l’endogamie. C’est la communauté fermée par excellence, celle à qui on peut faire croire à peu près n’importe quoi. Un livre récent de Jean Teulé raconte une histoire vraie : comment, en plein 19ème siècle, tout un village s’est précipité un jour de marché, sans raison apparente, sur un pauvre garçon qu’ils ont dévoré vif comme dans un film gore de série Z[1. Mangez-le si vous voulez (Julliard 2009)]. Et puisqu’on parle de cinéma, je rappelle à ceux qui l’ont vu que Délivrance, le film de Boorman, montre à quel point des dégénérés vivant certes dans une belle simplicité volontaire, une belle sobriété heureuse sont en fait des sadiques sodomites et zoophiles.

Plus généralement, l’idée de transformer une région comme l’Ile-de-France en village traduit de fait un inconscient réactionnaire, voire crypto-pétainiste. On sait depuis la Commune que lorsqu’on veut balayer une révolution qui invente de nouvelles façons d’être ensemble, et ce genre d’invention n’est possible que dans les villes où bouillonnent heureusement idées, théories et utopies, Thiers et les Versaillais envoient des bataillons de la Garde Nationale recrutés dans les villages de l’Ouest pour aller massacre du partageux et le finir à la mitrailleuse lourde dans les jardins du Luxembourg.

Le Village ne mentirait pas, serait humain, authentique alors que la Ville serait le lieu de toutes les chutes. Cet inconscient vert qui devient explicite dans l’aile avancée des Décroissants est profondément ambigu et il n’y a rien d’étonnant à voir une certaine droite identitaire, obsédée par la pureté de la race et les communautés ethniquement homogènes, tenter régulièrement des hybridations idéologiques avec la Décroissance. C’est logique : tous ces white trash, ces red neck à la française, ces rurbains malheureux (ni village, ni ville) ont des fantasmes de fermes fortifiées dans lesquelles on pourra résister aux hordes négro-mahométanes en cultivant du poireau et en s’entraînant au fusil Ithaca.

Non, décidément, pas de village. Les villes sont polluées, délinquantes, inabordables mais il y a mille façons de s’y perdre, de jouir de cette chose si rare aujourd’hui et qui pour le coup ressemble à une espèce en voie de disparition : l’anonymat. Les villes, ce sont aussi les possibilités poétiques de la rencontre amoureuse (Nadja de Breton ne se passe pas à Trifouilly les Oies que je sache) et du hasard objectif, des joyeuses conjurations politiques, des insomnies lumineuses dans les salles d’art et d’essai ou des navigations nocturnes dans le fauteuil club d’un bar d’hôtel avec un verre de Bushmill Malt qui met des couleurs aux souvenirs.
Je ne veux décidément pas vivre dans le monde de Cécile Duflot. Je me souviens que le Village, c’est aussi cet endroit insituable où est enfermé le numéro 6 incarné par le regretté Patrick Mac Gohan.
Et si le monde délocalisé que nous vivons est un cauchemar mal climatisé, celui, relocalisé, qu’elle nous annonce, sera à coup sûr un enfer étouffant.



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