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France 2 fait lanterner le CRIF

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Cela fait maintenant plus d’un an que Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, a accepté la demande de Richard Prasquier, président du CRIF, de former un groupe d’experts pour faire toute la lumière possible sur l’affaire Enderlin-Al Dura. Réunies sous l’égide de Patrick Gaubert, président de la LICRA, les deux parties s’accordent pour faire venir Jamal Al Dura à Paris, pour qu’il soit soumis à des examens médico-légaux. Ceux-ci devraient confirmer, ou infirmer la version de France 2, selon laquelle il a été grièvement blessé par des tirs israéliens à Gaza le 30 septembre 2000. Aujourd’hui, Richard Prasquier s’impatiente et le fait savoir à Patrick de Carolis. Ce dernier argue du fait que, bloqué à Gaza, Jamal Al Dura, ne peut aller faire renouveler son passeport périmé à Ramallah. Les autorités israéliennes ont fait savoir à Richard Prasquier qu’à ce jour aucune demande de laissez-passer n’a été formulée ni par France 2, ni par Jamal Al Dura. Elles ajoutent qu’elles ne mettraient aucun obstacle à ses déplacements si une telle demande leur parvenait. Alors Patrick, qu’est-ce qu’on attend ?

Atchoum pachtoun

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Enfin une bonne nouvelle en provenance d’Afghanistan : l’essentiel de l’épidémie H1N1 serait passée et les établissements scolaires qui étaient fermés depuis plusieurs semaines vont pouvoir rouvrir. Le ministre de l’éducation nationale recommande cependant de continuer à porter un masque dans les transports. On peut penser que les femmes en burqua en sont dispensées pour éviter l’asphyxie pure et simple. Il ne faut pas oublier tout de même que la Grippe A a fait onze morts dans le pays, soit à peu près le score moyen d’un taliban quand il ouvre le feu dans une cour de récréation s’il a bien pris soin de se moucher afin de ne pas éternuer pendant une rafale, ce qui est toujours dommageable pour la précision du tir.

Ils étaient où, les drapeaux français ?

drapeau-algerien

Finalement, ce débat sur l’identité nationale, dont on attend toujours qu’il commence vraiment, ne tombait pas si mal. Les matches de barrage pour la qualification à la Coupe du Monde, laquelle bien entendu hante les nuits de tous les Français, se sont chargés de nous le rappeler. On glissera rapidement sur la métaphysique question de la main de Thierry Henry, pauvre organe de hasard qui a maintenant reçu la lourde charge de masquer, à lui seul, toute la réalité, pour en arriver à deux phénomènes étranges qui, si la bonne foi n’avait pas déserté l’arène du débat, ne devraient pas manquer d’en interroger les participants, en premier lieu les plumes qui se relaient depuis un mois dans toute la presse pour affirmer qu’il n’y a pas d’identité nationale, qu’il n’y en a jamais eu, n’y en aura jamais, que ces termes ne veulent rien dire et que si par inadvertance il leur arrivait qu’ils aient un sens, il ne pourrait être que sombre comme les heures de notre histoire, collaborationniste, extrême-droitier, barréso-maurrassien, menteur comme la terre, bref raciste.

Ces deux phénomènes sont apparus concomitamment quoiqu’ils soient d’apparence contradictoire. Le premier n’est pas neuf, puisque nous le revivons au bas mot tous les quatre ans mais son occurrence ne manquait pas de sel : le rassemblement de tous les Français derrière les Bleus pour conjurer le ciel de leur accorder le fameux ticket pour l’Afrique du Sud. Au moment même où un chœur de vierges effarouchées réaffirmait ce que nul n’aurait jamais dû oublier, qu’il n’y a pas d’identité française, ce réflexe ininterrogé qui consiste à se ranger spontanément comme un seul homme derrière une équipe griffée France ne laissait de piquer la curiosité de l’observateur de Sirius. Quoi donc ? Ces esprits forts à qui on ne la fait pas avec le coup moisi de la nation n’échappaient pas, pour aucun d’entre eux, au chauvinisme ranci qui fait les joies du sport, et particulièrement des sponsors et autres annonceurs de ces événements populaires ? Comment ? Parce qu’on leur a dit qu’ils étaient français, ils soutiendraient tous l’équipe de France ? Décidément, la réaction avait de beaux jours devant elle. C’était presque faire le jeu du Front National que de soutenir l’équipe de Raymond Domenech.

C’est là qu’intervint providentiellement le second phénomène. Le hasard voulait qu’au soir de ce 18 novembre 2009, il n’y eut pas que la France qui disputât un match de barrage, mais aussi l’Algérie dont le départ était mal entamé. Peu importait à nos fiers supporters, pouvait-on supputer, que l’Algérie ou l’Egypte l’emportât. Tant que nous, on y était. Mais non. C’était encore douter de la clairvoyance de ce peuple libre. Car le match franco-irlandais n’était pas même achevé que la liesse, selon le mot désormais consacré, s’emparait des rues de toutes les villes de France dignes de ce nom. Paris n’était plus qu’un brasier d’enthousiasme, un creuset du bonheur. Partout des voitures klaxonnant d’enthousiasme, des grappes de jeunes gens hissés sur la portière et même sur le toit, des bolides sillonnant les boulevards pour partager leur sentiment de délicieuse victoire. Partout, dans les mains, à l’arrière des voitures, enroulé sur la tête, flottant au vent, des drapeaux. Un drapeau, en fait. Qui n’était pas bleu blanc rouge.

La communion de la foule se faisait sous les couleurs algériennes. Quiconque a traversé les rues de Paris à cet instant-là s’en souviendra toute sa vie : la ville repeinte en rouge blanc vert où l’immense gonfanon bleu blanc rouge qui bat sous l’arc de triomphe était cerné de partisans de l’équipe d’Algérie dont la fierté s’habillait des teintes ultra-méditerranéennes.

Ce second phénomène possède donc l’avantage immense de nous apprendre que contrairement à ce que pouvait laisser prévoir le premier, les habitants de l’Hexagone ne sont pas tous prêts à obtempérer à l’ordre de mobilisation nationale proféré en choeur par la Coupe du Monde de football et le Ministre de l’Intégration. Monsieur Besson a du souci à se faire.

Mais il en a plus à se faire encore si l’on considère l’autre enseignement de ce phénomène : c’est que si la population de ce pays refuse d’arborer le drapeau français, elle ne rechigne pas à brandir l’Algérien. Qu’il y a donc une bonne partie de ce pays à rééduquer, si elle croit pouvoir mettre sa dignité dans des colifichets d’un autre âge témoignant d’une insupportable fermeture d’esprit à l’autre. A moins que l’on argue du fait que l’identité nationale (qui n’existe pas, rappelons-le) ne puisse être invoquée que dans le cas où l’on vivrait dans un autre pays que le sien, ce que ne manqueront pas de plaider les contempteurs de la proposition Besson. On ne doute pas d’ailleurs que les Français expatriés en Algérie aient manifesté avec des cocardes toute la nuit pour fêter la victoire de Thierry Henry. On dit même que les anciens du FLN en ont été ravis, à qui cela rappelait leur jeunesse.

Enfin, si l’on sort de ces gamineries pour passer dans le symbolique, on s’étonne que personne dans ce pays, parmi le pouvoir, les hommes politiques, les intellectuels, les psychanalystes, les sociologues, ne prenne la mesure de l’injure faite, sinon au peuple français, au moins au bon sens l’autre soir. Il ne s’agissait pas du match que l’Algérie vaita gagné ; il s’agissait du match que la France avait gagné. Et nulle part, dans les rues, de supporters des Bleus en délire, nulle part les insignes rituels de la France qui resurgit à l’improviste les jours de rencontre sportive. France ! qu’as-tu fait de tes drapeaux ? France ! Où sont tes supporters prêts à mettre le feu pour fêter ta victoire ? France ! Où est passé ton amour de Platoche et de Zizou ? France ! qu’as-tu fait des promesses de 1998 ?

Nos gouvernants n’ont sans doute pas à l’esprit qu’un peuple contemporain qui ne s’exprime même plus les soirs de victoire footballistique est soit mort, soit en train de conspirer sa révolte.

La seconde réponse est la plus probable.

Eloge de la fessée

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Dans la série Les écrans de fumée de l’UMP pour faire diversion sur les chiffres catastrophiques du chômage et sur la violence des rapports de production toujours plus grande, la pédiatre Antier, députée de droite, fait la gentille sociétale en déposant une loi pour interdire la fessée. L’ami François est déjà intervenu sur cette douloureuse question mais comme la pédiatre Antier ne fait pas les choses à moitié, il faut organiser la résistance. Non seulement, ils nous affament mais en plus ils veulent normaliser la sexualité. En effet, toutes ces charmantes perversions entre adultes consentants, que deviendront-elles si ces derniers ont eu une enfance aussi aseptisée qu’une salle d’attente? Alors un conseil : lisez, ou relisez le délicieux livre de Jacques Serguine, Eloge de la fessée (Folio). Vous verrez tout ce que les générations futures risquent de perdre à cause de la pédiatre Antier. Et en attendant, chers Causeurs, fessez-vous les uns les autres. Amen.

Les trains ratés de Ségolène

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Il ne suffit pas de détester Ségolène Royal. Encore faut-il savoir pourquoi. Le vrai pourquoi, s’entend. Pas l’épidermique, ni le politique. Pour tout dire, nous pensons que les gens qui apprécient son style ou partagent ses opinions ont encore plus de raisons que quiconque d’être furieux contre elle. C’est quand même eux qu’elle a grugés le plus raide.

Le divorce à l’italienne avec Vincent Peillon, savamment mis en scène et pré-vendu aux médias à la manière du mariage de Tony Parker et Eva Longoria, est en effet le énième épisode d’un soap en apparence assez traditionnel dans son écriture (la petite nana sortie de nulle part qui à la fin triomphe des gros méchants, genre Erin Brokovitch), mais en réalité son scénario est résolument moderne. On est plus près de Twin Peaks que de Plus belle la vie : on n’y comprendra rien si on oublie que tout ce qui se passe d’important n’est pas montré à l’écran. Non pas parce qu’il y a dissimulation – ce qui en politique est un non-événement – mais parce que ce qui est crucial, c’est ce qui n’est pas advenu.

Ce qui n’est pas advenu, c’est essentiellement une chose : le divorce de Ségolène d’avec un parti qui n’a jamais vraiment voulu d’elle. A deux cents occasions, elle a dit et redit que le parti était usé, sclérosé, fossilisé. On peut partager ce constat, ou pas. Mais, en partant du postulat que Ségolène croit à ce qu’elle dit, on est bien obligé de se demander ce qu’elle fiche encore là-dedans. Ce constat de mort clinique de la gauche social-démocrate dans sa forme-parti du moment n’a en soi rien de neuf, d’autres l’ont fait avant elle. Parier sur la mort du parti a toujours fait partie de la vie d’un parti, et plus spécialement de ce parti. C’est d’ailleurs ainsi qu’est né le PCF à Tours en 1920 après la Révolution d’Octobre. C’est ainsi que les socialistes qui refusaient la guerre d’Algérie ont fondé le PSU. Quant au plus illustre des socialistes français du XXe siècle, c’est essentiellement à l’extérieur du PS qu’il a fait sa vie politique : François Mitterrand n’a rejoint la grande famille socialiste qu’à l’occasion du Congrès d’Epinay, pour en devenir illico le chef. Avant d’arriver à ses fins, le maire de Château-Chinon avait navigué dans une myriade de micro-partis ou de clubs centre-gauche fauchés, mais qui présentaient tous le même avantage: c’était lui le chef, charbonnier est maître chez soi !

Oui, pour sauver la social-démocratie dénoncée par icelle comme grabataire, l’électrochoquer, la transcender, la ressusciter, Ségolène aurait dû sortir du PS, préliminaire obligé à toute velléité de reconquista. Elle a eu de multiples occasions pour le faire, et par le haut. Elle pouvait quitter le parti après la présidentielle, où l’appareil a tout fait pour lui savonner la planche –l’histoire entière de ce complot florentin reste à écrire, mais bon, on a des yeux pour voir. Elle aurait pu claquer la porte après les journées des dupes à Reims. Elle pouvait aussi tirer sa révérence après les palinodies de commission de récolement. Elle aurait même pu, à la limite, s’appuyer sur la bérézina des européennes pour tenter une OPA plus ou moins amicale sur le nouvel électorat vert qui, massivement, correspond au noyau dur de celui qui fut le sien à la présidentielle. Mais bon, elle ne l’a pas fait. Et comme elle ne nous a pas confessé pourquoi, et que Françoise Degois n’est plus sur France Inter pour nous l’expliquer, il ne nous reste plus donc qu’à conjecturer

Si on penche pour une vision analytique, on dira que Ségolène n’a pas franchi le Rubicon (à l’envers, de fait) parce qu’il lui est insupportable de conceptualiser que le parti institutionnel voire intermédiaire, le parti des conseillers généraux madrés et des jeunes chargés de mission à lunettes Mikli la rejette, ne l’aime pas.

Le cynique, lui y verra une histoire de cagnotte (une campagne, comme dirait une amie commune, ça se paye pas avec des saucisses). Une histoire de fédés qu’on peut peut-être garder ou gagner (il faut un appareil même si on le déteste, seul moyen de mettre les braves militants en rangs d’oignons pour aller faire le boulot). Il faudrait pas non plus négliger la noria de désirdaveniristes trépignants à placer qui aux cantonales, qui aux régionales, voire dans un cabinet de maire quelconque pour les moins doués. Quitter Solferino, ça commence forcément un peu comme un saut dans le vide. Pas sûr que même les plus vaillants y soient prêts. Pas sûr, par exemple qu’une Najat Belkacem ou une Delphine Batho restent ségolénistes très longtemps si ses perspectives immédiates d’ascension politique se transmutent en aller-simple pour une traversée du désert, exercice dont on ne sort grandi que quand on n’y laisse pas sa peau. À preuve Aurélie Filippetti, qui fut longtemps plus ségoléniste que Ségo avant de l’abandonner en rase campagne (des européennes), ce qui ne veut pas dire, qu’elle ne reviendra pas un jour, of course.

Enfin, on pourra opter pour une approche au ras des pâquerettes. Si Ségolène n’a pas été capable de quitter le parti pour mieux le reconquérir, c’est tout bêtement qu’elle n’en avait pas le cran, dirons pour rester poli quand on parle d’une dame.

N’est pas Mitterrand qui veut. Si ma tante en avait, on l’appellerait Tonton.

Pour l’honneur de la France

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L'équipe de France doit rendre son titre.
L'équipe de France doit rendre son titre.

Je m’étais couchée sans vraiment savoir. Pendant que je devisais avec un camarade, quelqu’un avait téléphoné, nous informant au passage du but encaissé. Puis, nous étions passés à autre chose. Au bruit ou plutôt à son absence, nous avions noté que l’équipe de France n’avait pas accompli le moindre exploit. Plus tard, avant de sombrer, j’ai mollement pensé qu’il n’y avait pas eu de séance de penalties, laquelle aurait été rythmée par des salves de clameurs joyeuses ou désespérées. Ça ne m’a pas empêchée de dormir.

C’est néanmoins la première nouvelle qui est parvenue à mon cortex à travers les brumes du réveil. La France est qualifiée pour l’Afrique du sud. Bon. Mais j’ai tout de suite remarqué que tout le monde tirait une gueule d’enterrement – ça s’entend très bien à la radio. Quand les mots « main », « arbitre », « Thierry Henry » se sont enfin assemblés en phrases, j’ai pensé qu’il y avait de quoi. Les confrères ont été impeccables, personne n’ayant eu l’indécence ou l’inconscience de saluer trop bruyamment cette victoire volée. Les joueurs font profil bas, à l’exception de quelques-uns dont Thierry Henry qui s’en lave la main, déclarant dans Le Parisien qu’il est « joueur pas arbitre », et Domenech qui finit par mériter l’unanimisme qui se fait contre sa personne. Notre coach au cœur de midinette a trouvé presque regrettable que la sélection irlandaise soit privée d’Afrique du sud. Presque regrettable ? Je dirais plutôt que c’est parfaitement dégueulasse.

Je m’étonne cependant que la patrie des droits de l’homme se résigne aussi facilement à ce déni de justice diffusé en mondorama. Puisque la faute de Henry a été entérinée par l’arbitre, faisons comme si elle n’avait pas existé. Il n’y aurait plus rien à faire, à part, pour les joueurs eux-mêmes, ne pas la ramener. Et je soupçonne un peu mes amis footeux de se dire dans leur petto que si ce n’est pas glorieux, c’est quand même bien que la France y soit. Ayant renoncé au patriotisme des stades depuis l’automne 1998, je reconnais que l’absence de la France en Afrique du sud comporterait en outre quelques bénéfices collatéraux, comme celui de réduire l’intensité du déluge médiatique pendant l’événement. Mais peu importe.

Mon cher Alain Finkielkraut qui ne peut se résoudre à lâcher l’équipe de France affirme que la seule solution décente serait de rejouer les deux matchs (aller et retour)[1. Il sera ce soir sur le plateau de Frédéric Taddéi sur France 3. Pour parler identité nationale, mais le foot en fait partie, non ?]. À Khartoum ? Non, Alain. La France ne doit pas aller en Afrique du sud. C’est la seule solution élégante.

Des cojones, les mecs ! Oui, chers Bleus (permettez que je vous appelle par votre petit nom), vous devez ignorer les pressions de vos sponsors et les suppliques de vos supporteurs. D’ailleurs, les Français sont d’accord avec moi, le silence glacial qui a accueilli le faux but l’atteste mieux que tous les sondages : non seulement, on n’est pas manchots en matière de foot (tous arbitres !) mais en plus, on n’est pas malhonnêtes. On préfère la défaite au déshonneur.

Allez, les gars, du panache, de la classe, vous incarnez la France, que diable ! Refusez cette qualification mal acquise et rendez à l’Irlande la place qu’elle aurait pu gagner sur le terrain. Vous avez mal joué, soyez beaux joueurs. Je sais, on ne sait pas quelle aurait été l’issue du match sans cette égalisation volée. Vous n’aviez qu’à détromper l’arbitre hier, il aurait refusé le but. Vous auriez pu sauver l’honneur – et le match car le sentiment d’avoir bien agi aurait porté vos ballons dans les cadres adverses pendant les tirs au but. Vous auriez certainement gagné. À la loyale.

Prenez exemple sur vos adversaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces Irlandais perdent avec classe. Pas d’insultes ou de coup de boule, pas de magasins français saccagés à Dublin, pas de supporters molestés. Ils l’ont mauvaise, c’est sûr. Et ils ont raison. Mais ils le disent plutôt poliment.

Je vous assure, votre but volé, on n’en veut pas. Et il ne vous portera pas chance. N’allez pas en Afrique du Sud. De toute façon, vous perdrez.

Un avant-goût de paradis pour Kadhafi

A l’occasion du sommet de la FAO de Rome, Mouammar Kadhafi a pris une initiative inédite qui prouve qu’il n’a pas fini de se renouveler dans sa gymnastique anti-occidentale. Cet humaniste raffiné s’est en effet offert les services d’une agence d’hôtesses, afin de réunir dans un hôtel de luxe une centaine de jeunes Italiennes qu’il voulait physiquement « plaisantes ». Les jeunes femmes, qui pensaient participer au lancement d’un produit (pour un cachet d’une soixantaine d’euros) ont dû subir la logorrhée habituelle de leader africain, les exhortant à changer de religion en des termes pachydermiques : « Convertissez-vous à l’Islam, Jésus a été envoyé pour les Hébreux, pas pour vous, en revanche Mahomet a été envoyé pour tous les humains. » Plusieurs journaux italiens rapportent que Kadhafi a même remis à chacune des belles Italiennes – à qui on avait toutefois défendu la jupe et le décolleté – un exemplaire du « glorieux Coran ». Misérable provoc ou fantasme érotique sénile ? Plan média post-raélien ou lubie comique ? S’il n’est pas certain que Kadhaf’ rejoigne un jour le paradis des 72 vierges du Coran, l’histoire retiendra que le leader libyen a tenté une répétition générale…

Symbolique ta mère !

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bebe

Il faut en finir avec le retard français. Cette antienne sert de feuille de route aux médias et aux politiques, chacun choisissant dans la longue liste des refus de modernité celui qui lui va le mieux au teint. De ce point de vue, les mœurs sont un terrain de jeux de prédilection de la république des lettres et des faiseurs d’opinion. Certes, les choses ne sont pas toujours simples parce que, comme l’avait annoncé Muray, le moderne se cogne souvent au moderne de sorte qu’un moderne chasse l’autre. Les mêmes qui hurlent à la pédophilie et réclament les sanctions les plus sévères quand une adolescente de 17 ans se tire avec un coquin de quadra rencontré sur Internet exigent que le droit avance dans les plus brefs délais pour se mettre en conformité avec le désir d’enfant devenu un droit pour tous. Il y a 30 ans, on voulait jouir sans entraves – ce qui était un peu niais, mais au moins sympathique. Les filles découvraient qu’elles pouvaient dire « un enfant, si je veux ». Aujourd’hui, c’est plutôt « un enfant quand je veux », comme je veux, avec qui je veux, et que ça saute. Mais au bout du compte, l’objectif est de pouvoir reproduire le modèle de papa-maman, même si c’est sous la forme de papa-papa et de maman-maman. Le combat pour l’homoparentalité s’affiche sous les espèces du progrès et de l’émancipation, mais quand on regarde bien, il n’est pas très rock and roll. Passons.

Emmanuelle donc va pouvoir adopter un enfant. Et même adoptater. Il faut vous dire qu’Emmanuelle, je la connais depuis un petit bout de temps, parce que, comme le répètent les gazettes, cela fait onze ans que cette instit de Lons-Le-Saunier se bat pour adopter un enfant. Dans le cours de ses démêlés administrativo-judiciaires, un titre de Libé nous avait enchantés, Philippe Muray et moi-même. Quelque chose comme : « Un couple de lesbiennes se voit refuser le droit à l’adoptation ». Cette coquille en forme d’aveu révélait bien le caractère vaguement incongru de cette adoptation-là qui était surtout une injonction à s’adapter au nouvel ordre. Aujourd’hui, Libé mesure « l’absurdité du chemin de croix qu’ont dû emprunter pendant onze ans Emmanuelle B. et Laurence R. pour faire valoir leur envie de parentalité ». Quelle envie impérieuse pourrais-je bien faire valoir auprès de la justice de mon pays ?

Si la décision du tribunal enjoignant au Conseil général du Doubs de délivrer son agrément à Emmanuelle a été saluée de toutes parts comme une glorieuse avancée vers un monde meilleur, c’est parce que, contrairement à ce que font beaucoup de gens dans son cas, Emmanuelle n’a jamais caché qu’elle vivait avec Laurence. Mais il ne s’agit pas de s’arrêter en si bon chemin. La France est à la traîne, combien de fois faudra-t-il vous le dire. Alors que d’autres pays ont légalisé l’adoption homosexuelle et que la Cour européenne des droits de l’Homme condamne régulièrement nos pratiques discriminatoires, combien de temps allons-nous résister à la marche du progrès ?

Précisons que dans le cas précis d’Emmanuelle, il n’y a nullement scandale. L’ennui, c’est ce qui va suivre. En effet, Emmanuelle adoptera seule. Du point de vue de la loi, elle sera la mère d’un enfant de père inconnu. Or, contrairement à ce que jacassent les défenseuses des droits de l’enfant, le problème n’est pas qu’un enfant soit élevé par deux hommes ou deux femmes. Les parents hétérosexuels et parfaitement toxiques sont légion. Je connais pas mal de garçons qui ont fait des enfants par « les voies naturelles » avant de changer de camp, si on peut dire. Leurs enfants vont bien, merci. La vie concrète se débrouille toujours.

L’ordre symbolique, c’est un peu moins fun. Ça ne se change pas par pétition, ni pour assouvir les envies de parentalité. Et, jusqu’à preuve du contraire, c’est fondé sur la division entre les sexes – et aussi sur la distinction entre les morts et les vivants : il n’est pas très étonnant qu’une dame ait récemment exigé d’avoir un enfant de son mari mort et que les pleureuses de service se soient déchaînées contre la justice sans cœur qui le lui a refusé. Personne ne prétend qu’une veuve est incapable d’élever un enfant. Mais on peut trouver fâcheuse l’idée que les morts puissent se reproduire. Pour l’instant.

C’est exactement la même chose pour l’homoparentalité. Qu’un enfant puisse être élevé par deux femmes ou deux hommes ne signifie pas qu’il peut avoir deux pères ou deux mères. Sur France 5, l’autre soir, une journaliste se désolait que des hommes aient à cacher leur homosexualité pour avoir une chance de devenir père. À mon avis, ils feraient mieux d’y renoncer une heure durant (douche comprise), ça leur simplifierait la vie, mais ce que j’en dis. Les hommes et les femmes ont encore besoin les uns des autres pour se reproduire, serait-ce via des médiations techniques. Mais peut-être est-ce avec cette altérité-là que veulent en finir les ravis de l’adoptation. Peut-être parviendront-ils pour notre malheur, en tout cas pour le mien, à réaliser l’affriolante prophétie de Vigny dans « La Colère de Samson » :

« Bientôt, se retirant dans un hideux royaume,
La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome,
Et, se jetant, de loin, un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté. »

Que l’on donne le droit à des homosexuels affichés d’adopter seuls, comme n’importe quel autre citoyen, aucun problème. Mais la reconnaissance de l’adoption homosexuelle reviendrait à légaliser un gros mensonge anthropologique. On me dira que dans une adoption « classique », les parents adoptifs ne sont pas les vrais parents. Certes, mais cette filiation légale s’inscrit dans le même dispositif symbolique que la filiation naturelle. Seulement, les militants de l’homoparentalité ne voient aucune raison de s’embêter avec les vieilles lois de la nature. Puisque la science le peut et que je le veux, où est le problème ? Qu’ils prennent patience, on pourra certainement pratiquer un jour l’auto-reproduction, ce qui nous dispensera de la peine d’avoir à fréquenter nos prochains de tous sexes. Et c’est ainsi que l’évolution du droit nous privera du droit à l’évolution.

Les Experts à France Télécom

Rembrandt, <em>La leçon d'anatomie,</em> 1632.
Rembrandt, La leçon d'anatomie, 1632.

Quand, à la fin du XVIIIe siècle, le jeune chirurgien Bichat conseille à ses carabins de fermer leurs livres et d’ouvrir quelques cadavres, mine de rien, il fait sortir la médecine du règne de l’observation de surface, donc superficielle.

Avant Bichat, symptôme et signes sont équivalents : tu tousses, tu meurs, donc tu es mort d’une mauvaise toux ou au pire d’une pneumonie. Après Bichat, comme l’a rappelé Foucault, ça ne le fait plus : grâce à sa politique d’ouverture, on sait qu’en fait les poumons sont hors de cause et que le vrai coupable se trouvait plutôt du côté des coronaires. Disons-le, c’est grâce à ce genre d’innovations (assises sur 600 autopsies pratiquées en deux ans à l’Hôtel-Dieu), qu’on sait par voie d’inversion, que ce n’est pas parce qu’on a l’air en pleine forme qu’on n’est pas gravement malade.

Depuis cette révolution, la mort bénéficie d’un nouveau statut : elle est désormais partie prenante de l’aventure médicale. Elle n’est plus mécaniquement le point final obligé d’une maladie répertoriée : ses causes sont à rechercher individu par individu dans des lésions internes que seule l’autopsie révèlera.

Le XIXe siècle étant ce qu’il est, rien de ce qui est médical ne le reste longtemps. Très vite, les enquêtes policières s’emparent de ce nouvel outil : grâce à la magie de l’autopsie, on ne la fait plus au limier moustachu de la Sûreté qui s’aperçoit bien vite que l’apparente crise cardiaque résulte en réalité d’un empoisonnement au cyanure.

Portant désormais un regard clinique sur la scène de crime, le détective, flanqué de son nouveau meilleur ami, le légiste, traquera chaque indice prétendument invisible qui lui permettra de remonter à l’assassin. Tant pis pour le meurtrier qui voudrait camoufler son crime en suicide ! Grâce au scalpel, la vérité reprend ses droits : la victime sera dédouanée de son acte impie, l’assassin démasqué sera jugé au nom du peuple français et les héritiers se consoleront avec l’assurance-vie du défunt. Si en revanche, le suicide en est bien un, alors, l’honnête détective remballe sa panoplie, les héritiers s’assoient sur l’assurance, seul le désordre garde son quant à soi.

Histoire de calmer ses zélotes parfois trop portés sur les interprétations sauvages, Freud aimait à dire : « Sometimes, a cigar is just a cigar. » En conséquence de quoi, on peut dire que « sometimes, a suicide is just a suicide ». Une évidence impossible à admettre pour nombre de mes confrères qui font profession de savoir. Pour eux, on ne saurait bousculer l’ordre établi des conséquences et des causes et ce d’autant moins quand le suicide à lieu au sein d’une entreprise organisée. Alors, forts des principes de la méthode expérimentale pour les nuls, sociologues et psychiatres endossent en douce le trench-coat mythique du privé pour établir l’autopsie psychologique c’est-à-dire les causes psychologiques du passage à l’acte suicidaire.

Premier écueil : difficile de faire parler les morts. Pourtant le père de Sherlock Holmes, Conan Doyle, devenu expert en la matière a publié un certain nombre d’ouvrages spirites. Vers la fin de sa vie tables tournantes, photographies d’esprits en mal de substance charnelle et séances d’occultisme ont constitué l’essentiel de son activité. Mais nos experts en suicidologie ne sont pas capables de tels exploits. Ils se contentent, après avoir extorqué un contrat juteux à l’entreprise du salarié autotrépassé, d’interroger ses proches et ses moins proches, constituant ainsi un panel représentatif des relations sociales du défunt (qu’attendent-ils pour mettre Facebook à contribution ?). En pondérant grâce à une équation subtile la douleur légitime de la famille, les critiques du syndicaliste et l’atmosphère délétère de la rumeur publique, ils en arrivent à ce type de conclusion qui figurait noir sur blanc dans un récent rapport de l’Inserm : « En résumé, nous observons un cumul de problèmes de santé mentale et de toxicomanies chez les individus décédés par suicide. Ces problèmes ne sont pas récents et prennent racine dans le parcours de vie des individus. » Purée, il fallait le trouver, non ! Et c’est avec autant de perspicacité que les auteurs ajoutent que dans certain cas, une rupture amoureuse, un deuil récent, des difficultés financières, professionnelles etc. peuvent être la goutte d’eau qui fera déborder un vase déjà plein à ras bord.

Elémentaire mon cher Watson, il faudrait être fou pour commettre un acte pareil et nous venons de le démontrer !

Et, de délire en délire, les suicidologues prescrivent l’attitude à avoir face à ce mal du siècle.

A l’avant-garde de ce délire interprétatif devenu business supra-rentable, on trouve les Experts de Technologia, la psy-entreprise mandatée notamment par France Télécom pour expliciter le pourquoi du comment. Il n’y a qu’à lire leur prose pour déceler toute l’acuité de leur regard clinique : « Nous avons été frappés de la symbolique qui s’attachait parfois aux lieux. Ainsi dans une entreprise un salarié s’est suicidé selon le même protocole qu’une précédente victime 5 ans auparavant… Comment traiter cet aspect de la morbidité ? Il nous a semblé important, même symboliquement de prévoir parfois des travaux pour modifier, rénover, les locaux dans lesquels un drame est survenu. Bien entendu, la rénovation des locaux ne garantit pas que l’acte n’aurait pas eu lieu mais tout au moins, cela reste un signe positif en direction des salariés proches.»

Oserai-je, oserai-je rappeler l’histoire du fou qui repeint son plafond ?

Moi-même , accrochée au pinceau, j’ai comme l’impression que le sol se dérobe sous mes pieds… Comme ça d’un coup de pinceau, on efface « la symbolique » et tout cela au nom de l’éthique et du bien commun, et des contrats à venir ? Jusqu’à présent en cas de pépin, fut-il mineur, seuls les rescapés avaient droit aux pitoyables cellules d’assistance psychologique. Voilà maintenant que les mêmes charlots ont tapis rouge pour se faire un peu de monnaie sur le dos des suicidés.

Faut pas essayer de faire parler les morts quand on n’a rien à leur dire.

Bon voyage sur le Titanic !

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J’avoue ressentir une certaine admiration pour ma consœur Françoise Degois, ci-devant journaliste politique à France-Inter, qui vient de rejoindre le cabinet de Ségolène Royal avec le titre ronflant de conseillère spéciale de la présidente de la région Poitou-Charente, chargée de mettre en place les « politiques de civilisation ». Tudieu ! Quel panache ! Quitter le marais des scribouillards frustrés, s’élever au dessus des petites mesquineries de la politique au jour le jour pour aller mettre en œuvre les théories d’Edgar Morin entre Poitiers et Parthenay, ça ne manque pas d’allure ! Surtout que la conjoncture ne semble guère favorable à l’ex-candidate socialiste à la présidentielle de 2007, qui voit les rangs de ses soutiens s’éclaircir chaque jour un peu plus. Un ancien collègue du Monde, Daniel Carton, avait cru remarquer que Françoise Degois, ainsi que deux autres de ses consœurs, avaient pour Ségolène les yeux de Chimène, ce qui influençait notablement leur traitement de la campagne présidentielle. Les dames lui intentèrent un procès, qu’elles perdirent. Carton plein !

France 2 fait lanterner le CRIF

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Cela fait maintenant plus d’un an que Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, a accepté la demande de Richard Prasquier, président du CRIF, de former un groupe d’experts pour faire toute la lumière possible sur l’affaire Enderlin-Al Dura. Réunies sous l’égide de Patrick Gaubert, président de la LICRA, les deux parties s’accordent pour faire venir Jamal Al Dura à Paris, pour qu’il soit soumis à des examens médico-légaux. Ceux-ci devraient confirmer, ou infirmer la version de France 2, selon laquelle il a été grièvement blessé par des tirs israéliens à Gaza le 30 septembre 2000. Aujourd’hui, Richard Prasquier s’impatiente et le fait savoir à Patrick de Carolis. Ce dernier argue du fait que, bloqué à Gaza, Jamal Al Dura, ne peut aller faire renouveler son passeport périmé à Ramallah. Les autorités israéliennes ont fait savoir à Richard Prasquier qu’à ce jour aucune demande de laissez-passer n’a été formulée ni par France 2, ni par Jamal Al Dura. Elles ajoutent qu’elles ne mettraient aucun obstacle à ses déplacements si une telle demande leur parvenait. Alors Patrick, qu’est-ce qu’on attend ?

Atchoum pachtoun

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Enfin une bonne nouvelle en provenance d’Afghanistan : l’essentiel de l’épidémie H1N1 serait passée et les établissements scolaires qui étaient fermés depuis plusieurs semaines vont pouvoir rouvrir. Le ministre de l’éducation nationale recommande cependant de continuer à porter un masque dans les transports. On peut penser que les femmes en burqua en sont dispensées pour éviter l’asphyxie pure et simple. Il ne faut pas oublier tout de même que la Grippe A a fait onze morts dans le pays, soit à peu près le score moyen d’un taliban quand il ouvre le feu dans une cour de récréation s’il a bien pris soin de se moucher afin de ne pas éternuer pendant une rafale, ce qui est toujours dommageable pour la précision du tir.

Ils étaient où, les drapeaux français ?

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drapeau-algerien

Finalement, ce débat sur l’identité nationale, dont on attend toujours qu’il commence vraiment, ne tombait pas si mal. Les matches de barrage pour la qualification à la Coupe du Monde, laquelle bien entendu hante les nuits de tous les Français, se sont chargés de nous le rappeler. On glissera rapidement sur la métaphysique question de la main de Thierry Henry, pauvre organe de hasard qui a maintenant reçu la lourde charge de masquer, à lui seul, toute la réalité, pour en arriver à deux phénomènes étranges qui, si la bonne foi n’avait pas déserté l’arène du débat, ne devraient pas manquer d’en interroger les participants, en premier lieu les plumes qui se relaient depuis un mois dans toute la presse pour affirmer qu’il n’y a pas d’identité nationale, qu’il n’y en a jamais eu, n’y en aura jamais, que ces termes ne veulent rien dire et que si par inadvertance il leur arrivait qu’ils aient un sens, il ne pourrait être que sombre comme les heures de notre histoire, collaborationniste, extrême-droitier, barréso-maurrassien, menteur comme la terre, bref raciste.

Ces deux phénomènes sont apparus concomitamment quoiqu’ils soient d’apparence contradictoire. Le premier n’est pas neuf, puisque nous le revivons au bas mot tous les quatre ans mais son occurrence ne manquait pas de sel : le rassemblement de tous les Français derrière les Bleus pour conjurer le ciel de leur accorder le fameux ticket pour l’Afrique du Sud. Au moment même où un chœur de vierges effarouchées réaffirmait ce que nul n’aurait jamais dû oublier, qu’il n’y a pas d’identité française, ce réflexe ininterrogé qui consiste à se ranger spontanément comme un seul homme derrière une équipe griffée France ne laissait de piquer la curiosité de l’observateur de Sirius. Quoi donc ? Ces esprits forts à qui on ne la fait pas avec le coup moisi de la nation n’échappaient pas, pour aucun d’entre eux, au chauvinisme ranci qui fait les joies du sport, et particulièrement des sponsors et autres annonceurs de ces événements populaires ? Comment ? Parce qu’on leur a dit qu’ils étaient français, ils soutiendraient tous l’équipe de France ? Décidément, la réaction avait de beaux jours devant elle. C’était presque faire le jeu du Front National que de soutenir l’équipe de Raymond Domenech.

C’est là qu’intervint providentiellement le second phénomène. Le hasard voulait qu’au soir de ce 18 novembre 2009, il n’y eut pas que la France qui disputât un match de barrage, mais aussi l’Algérie dont le départ était mal entamé. Peu importait à nos fiers supporters, pouvait-on supputer, que l’Algérie ou l’Egypte l’emportât. Tant que nous, on y était. Mais non. C’était encore douter de la clairvoyance de ce peuple libre. Car le match franco-irlandais n’était pas même achevé que la liesse, selon le mot désormais consacré, s’emparait des rues de toutes les villes de France dignes de ce nom. Paris n’était plus qu’un brasier d’enthousiasme, un creuset du bonheur. Partout des voitures klaxonnant d’enthousiasme, des grappes de jeunes gens hissés sur la portière et même sur le toit, des bolides sillonnant les boulevards pour partager leur sentiment de délicieuse victoire. Partout, dans les mains, à l’arrière des voitures, enroulé sur la tête, flottant au vent, des drapeaux. Un drapeau, en fait. Qui n’était pas bleu blanc rouge.

La communion de la foule se faisait sous les couleurs algériennes. Quiconque a traversé les rues de Paris à cet instant-là s’en souviendra toute sa vie : la ville repeinte en rouge blanc vert où l’immense gonfanon bleu blanc rouge qui bat sous l’arc de triomphe était cerné de partisans de l’équipe d’Algérie dont la fierté s’habillait des teintes ultra-méditerranéennes.

Ce second phénomène possède donc l’avantage immense de nous apprendre que contrairement à ce que pouvait laisser prévoir le premier, les habitants de l’Hexagone ne sont pas tous prêts à obtempérer à l’ordre de mobilisation nationale proféré en choeur par la Coupe du Monde de football et le Ministre de l’Intégration. Monsieur Besson a du souci à se faire.

Mais il en a plus à se faire encore si l’on considère l’autre enseignement de ce phénomène : c’est que si la population de ce pays refuse d’arborer le drapeau français, elle ne rechigne pas à brandir l’Algérien. Qu’il y a donc une bonne partie de ce pays à rééduquer, si elle croit pouvoir mettre sa dignité dans des colifichets d’un autre âge témoignant d’une insupportable fermeture d’esprit à l’autre. A moins que l’on argue du fait que l’identité nationale (qui n’existe pas, rappelons-le) ne puisse être invoquée que dans le cas où l’on vivrait dans un autre pays que le sien, ce que ne manqueront pas de plaider les contempteurs de la proposition Besson. On ne doute pas d’ailleurs que les Français expatriés en Algérie aient manifesté avec des cocardes toute la nuit pour fêter la victoire de Thierry Henry. On dit même que les anciens du FLN en ont été ravis, à qui cela rappelait leur jeunesse.

Enfin, si l’on sort de ces gamineries pour passer dans le symbolique, on s’étonne que personne dans ce pays, parmi le pouvoir, les hommes politiques, les intellectuels, les psychanalystes, les sociologues, ne prenne la mesure de l’injure faite, sinon au peuple français, au moins au bon sens l’autre soir. Il ne s’agissait pas du match que l’Algérie vaita gagné ; il s’agissait du match que la France avait gagné. Et nulle part, dans les rues, de supporters des Bleus en délire, nulle part les insignes rituels de la France qui resurgit à l’improviste les jours de rencontre sportive. France ! qu’as-tu fait de tes drapeaux ? France ! Où sont tes supporters prêts à mettre le feu pour fêter ta victoire ? France ! Où est passé ton amour de Platoche et de Zizou ? France ! qu’as-tu fait des promesses de 1998 ?

Nos gouvernants n’ont sans doute pas à l’esprit qu’un peuple contemporain qui ne s’exprime même plus les soirs de victoire footballistique est soit mort, soit en train de conspirer sa révolte.

La seconde réponse est la plus probable.

Eloge de la fessée

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Dans la série Les écrans de fumée de l’UMP pour faire diversion sur les chiffres catastrophiques du chômage et sur la violence des rapports de production toujours plus grande, la pédiatre Antier, députée de droite, fait la gentille sociétale en déposant une loi pour interdire la fessée. L’ami François est déjà intervenu sur cette douloureuse question mais comme la pédiatre Antier ne fait pas les choses à moitié, il faut organiser la résistance. Non seulement, ils nous affament mais en plus ils veulent normaliser la sexualité. En effet, toutes ces charmantes perversions entre adultes consentants, que deviendront-elles si ces derniers ont eu une enfance aussi aseptisée qu’une salle d’attente? Alors un conseil : lisez, ou relisez le délicieux livre de Jacques Serguine, Eloge de la fessée (Folio). Vous verrez tout ce que les générations futures risquent de perdre à cause de la pédiatre Antier. Et en attendant, chers Causeurs, fessez-vous les uns les autres. Amen.

Eloge de la fessée

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Les trains ratés de Ségolène

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Il ne suffit pas de détester Ségolène Royal. Encore faut-il savoir pourquoi. Le vrai pourquoi, s’entend. Pas l’épidermique, ni le politique. Pour tout dire, nous pensons que les gens qui apprécient son style ou partagent ses opinions ont encore plus de raisons que quiconque d’être furieux contre elle. C’est quand même eux qu’elle a grugés le plus raide.

Le divorce à l’italienne avec Vincent Peillon, savamment mis en scène et pré-vendu aux médias à la manière du mariage de Tony Parker et Eva Longoria, est en effet le énième épisode d’un soap en apparence assez traditionnel dans son écriture (la petite nana sortie de nulle part qui à la fin triomphe des gros méchants, genre Erin Brokovitch), mais en réalité son scénario est résolument moderne. On est plus près de Twin Peaks que de Plus belle la vie : on n’y comprendra rien si on oublie que tout ce qui se passe d’important n’est pas montré à l’écran. Non pas parce qu’il y a dissimulation – ce qui en politique est un non-événement – mais parce que ce qui est crucial, c’est ce qui n’est pas advenu.

Ce qui n’est pas advenu, c’est essentiellement une chose : le divorce de Ségolène d’avec un parti qui n’a jamais vraiment voulu d’elle. A deux cents occasions, elle a dit et redit que le parti était usé, sclérosé, fossilisé. On peut partager ce constat, ou pas. Mais, en partant du postulat que Ségolène croit à ce qu’elle dit, on est bien obligé de se demander ce qu’elle fiche encore là-dedans. Ce constat de mort clinique de la gauche social-démocrate dans sa forme-parti du moment n’a en soi rien de neuf, d’autres l’ont fait avant elle. Parier sur la mort du parti a toujours fait partie de la vie d’un parti, et plus spécialement de ce parti. C’est d’ailleurs ainsi qu’est né le PCF à Tours en 1920 après la Révolution d’Octobre. C’est ainsi que les socialistes qui refusaient la guerre d’Algérie ont fondé le PSU. Quant au plus illustre des socialistes français du XXe siècle, c’est essentiellement à l’extérieur du PS qu’il a fait sa vie politique : François Mitterrand n’a rejoint la grande famille socialiste qu’à l’occasion du Congrès d’Epinay, pour en devenir illico le chef. Avant d’arriver à ses fins, le maire de Château-Chinon avait navigué dans une myriade de micro-partis ou de clubs centre-gauche fauchés, mais qui présentaient tous le même avantage: c’était lui le chef, charbonnier est maître chez soi !

Oui, pour sauver la social-démocratie dénoncée par icelle comme grabataire, l’électrochoquer, la transcender, la ressusciter, Ségolène aurait dû sortir du PS, préliminaire obligé à toute velléité de reconquista. Elle a eu de multiples occasions pour le faire, et par le haut. Elle pouvait quitter le parti après la présidentielle, où l’appareil a tout fait pour lui savonner la planche –l’histoire entière de ce complot florentin reste à écrire, mais bon, on a des yeux pour voir. Elle aurait pu claquer la porte après les journées des dupes à Reims. Elle pouvait aussi tirer sa révérence après les palinodies de commission de récolement. Elle aurait même pu, à la limite, s’appuyer sur la bérézina des européennes pour tenter une OPA plus ou moins amicale sur le nouvel électorat vert qui, massivement, correspond au noyau dur de celui qui fut le sien à la présidentielle. Mais bon, elle ne l’a pas fait. Et comme elle ne nous a pas confessé pourquoi, et que Françoise Degois n’est plus sur France Inter pour nous l’expliquer, il ne nous reste plus donc qu’à conjecturer

Si on penche pour une vision analytique, on dira que Ségolène n’a pas franchi le Rubicon (à l’envers, de fait) parce qu’il lui est insupportable de conceptualiser que le parti institutionnel voire intermédiaire, le parti des conseillers généraux madrés et des jeunes chargés de mission à lunettes Mikli la rejette, ne l’aime pas.

Le cynique, lui y verra une histoire de cagnotte (une campagne, comme dirait une amie commune, ça se paye pas avec des saucisses). Une histoire de fédés qu’on peut peut-être garder ou gagner (il faut un appareil même si on le déteste, seul moyen de mettre les braves militants en rangs d’oignons pour aller faire le boulot). Il faudrait pas non plus négliger la noria de désirdaveniristes trépignants à placer qui aux cantonales, qui aux régionales, voire dans un cabinet de maire quelconque pour les moins doués. Quitter Solferino, ça commence forcément un peu comme un saut dans le vide. Pas sûr que même les plus vaillants y soient prêts. Pas sûr, par exemple qu’une Najat Belkacem ou une Delphine Batho restent ségolénistes très longtemps si ses perspectives immédiates d’ascension politique se transmutent en aller-simple pour une traversée du désert, exercice dont on ne sort grandi que quand on n’y laisse pas sa peau. À preuve Aurélie Filippetti, qui fut longtemps plus ségoléniste que Ségo avant de l’abandonner en rase campagne (des européennes), ce qui ne veut pas dire, qu’elle ne reviendra pas un jour, of course.

Enfin, on pourra opter pour une approche au ras des pâquerettes. Si Ségolène n’a pas été capable de quitter le parti pour mieux le reconquérir, c’est tout bêtement qu’elle n’en avait pas le cran, dirons pour rester poli quand on parle d’une dame.

N’est pas Mitterrand qui veut. Si ma tante en avait, on l’appellerait Tonton.

Pour l’honneur de la France

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L'équipe de France doit rendre son titre.
L'équipe de France doit rendre son titre.
L'équipe de France doit rendre son titre.

Je m’étais couchée sans vraiment savoir. Pendant que je devisais avec un camarade, quelqu’un avait téléphoné, nous informant au passage du but encaissé. Puis, nous étions passés à autre chose. Au bruit ou plutôt à son absence, nous avions noté que l’équipe de France n’avait pas accompli le moindre exploit. Plus tard, avant de sombrer, j’ai mollement pensé qu’il n’y avait pas eu de séance de penalties, laquelle aurait été rythmée par des salves de clameurs joyeuses ou désespérées. Ça ne m’a pas empêchée de dormir.

C’est néanmoins la première nouvelle qui est parvenue à mon cortex à travers les brumes du réveil. La France est qualifiée pour l’Afrique du sud. Bon. Mais j’ai tout de suite remarqué que tout le monde tirait une gueule d’enterrement – ça s’entend très bien à la radio. Quand les mots « main », « arbitre », « Thierry Henry » se sont enfin assemblés en phrases, j’ai pensé qu’il y avait de quoi. Les confrères ont été impeccables, personne n’ayant eu l’indécence ou l’inconscience de saluer trop bruyamment cette victoire volée. Les joueurs font profil bas, à l’exception de quelques-uns dont Thierry Henry qui s’en lave la main, déclarant dans Le Parisien qu’il est « joueur pas arbitre », et Domenech qui finit par mériter l’unanimisme qui se fait contre sa personne. Notre coach au cœur de midinette a trouvé presque regrettable que la sélection irlandaise soit privée d’Afrique du sud. Presque regrettable ? Je dirais plutôt que c’est parfaitement dégueulasse.

Je m’étonne cependant que la patrie des droits de l’homme se résigne aussi facilement à ce déni de justice diffusé en mondorama. Puisque la faute de Henry a été entérinée par l’arbitre, faisons comme si elle n’avait pas existé. Il n’y aurait plus rien à faire, à part, pour les joueurs eux-mêmes, ne pas la ramener. Et je soupçonne un peu mes amis footeux de se dire dans leur petto que si ce n’est pas glorieux, c’est quand même bien que la France y soit. Ayant renoncé au patriotisme des stades depuis l’automne 1998, je reconnais que l’absence de la France en Afrique du sud comporterait en outre quelques bénéfices collatéraux, comme celui de réduire l’intensité du déluge médiatique pendant l’événement. Mais peu importe.

Mon cher Alain Finkielkraut qui ne peut se résoudre à lâcher l’équipe de France affirme que la seule solution décente serait de rejouer les deux matchs (aller et retour)[1. Il sera ce soir sur le plateau de Frédéric Taddéi sur France 3. Pour parler identité nationale, mais le foot en fait partie, non ?]. À Khartoum ? Non, Alain. La France ne doit pas aller en Afrique du sud. C’est la seule solution élégante.

Des cojones, les mecs ! Oui, chers Bleus (permettez que je vous appelle par votre petit nom), vous devez ignorer les pressions de vos sponsors et les suppliques de vos supporteurs. D’ailleurs, les Français sont d’accord avec moi, le silence glacial qui a accueilli le faux but l’atteste mieux que tous les sondages : non seulement, on n’est pas manchots en matière de foot (tous arbitres !) mais en plus, on n’est pas malhonnêtes. On préfère la défaite au déshonneur.

Allez, les gars, du panache, de la classe, vous incarnez la France, que diable ! Refusez cette qualification mal acquise et rendez à l’Irlande la place qu’elle aurait pu gagner sur le terrain. Vous avez mal joué, soyez beaux joueurs. Je sais, on ne sait pas quelle aurait été l’issue du match sans cette égalisation volée. Vous n’aviez qu’à détromper l’arbitre hier, il aurait refusé le but. Vous auriez pu sauver l’honneur – et le match car le sentiment d’avoir bien agi aurait porté vos ballons dans les cadres adverses pendant les tirs au but. Vous auriez certainement gagné. À la loyale.

Prenez exemple sur vos adversaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces Irlandais perdent avec classe. Pas d’insultes ou de coup de boule, pas de magasins français saccagés à Dublin, pas de supporters molestés. Ils l’ont mauvaise, c’est sûr. Et ils ont raison. Mais ils le disent plutôt poliment.

Je vous assure, votre but volé, on n’en veut pas. Et il ne vous portera pas chance. N’allez pas en Afrique du Sud. De toute façon, vous perdrez.

Un avant-goût de paradis pour Kadhafi

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A l’occasion du sommet de la FAO de Rome, Mouammar Kadhafi a pris une initiative inédite qui prouve qu’il n’a pas fini de se renouveler dans sa gymnastique anti-occidentale. Cet humaniste raffiné s’est en effet offert les services d’une agence d’hôtesses, afin de réunir dans un hôtel de luxe une centaine de jeunes Italiennes qu’il voulait physiquement « plaisantes ». Les jeunes femmes, qui pensaient participer au lancement d’un produit (pour un cachet d’une soixantaine d’euros) ont dû subir la logorrhée habituelle de leader africain, les exhortant à changer de religion en des termes pachydermiques : « Convertissez-vous à l’Islam, Jésus a été envoyé pour les Hébreux, pas pour vous, en revanche Mahomet a été envoyé pour tous les humains. » Plusieurs journaux italiens rapportent que Kadhafi a même remis à chacune des belles Italiennes – à qui on avait toutefois défendu la jupe et le décolleté – un exemplaire du « glorieux Coran ». Misérable provoc ou fantasme érotique sénile ? Plan média post-raélien ou lubie comique ? S’il n’est pas certain que Kadhaf’ rejoigne un jour le paradis des 72 vierges du Coran, l’histoire retiendra que le leader libyen a tenté une répétition générale…

Symbolique ta mère !

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bebe

Il faut en finir avec le retard français. Cette antienne sert de feuille de route aux médias et aux politiques, chacun choisissant dans la longue liste des refus de modernité celui qui lui va le mieux au teint. De ce point de vue, les mœurs sont un terrain de jeux de prédilection de la république des lettres et des faiseurs d’opinion. Certes, les choses ne sont pas toujours simples parce que, comme l’avait annoncé Muray, le moderne se cogne souvent au moderne de sorte qu’un moderne chasse l’autre. Les mêmes qui hurlent à la pédophilie et réclament les sanctions les plus sévères quand une adolescente de 17 ans se tire avec un coquin de quadra rencontré sur Internet exigent que le droit avance dans les plus brefs délais pour se mettre en conformité avec le désir d’enfant devenu un droit pour tous. Il y a 30 ans, on voulait jouir sans entraves – ce qui était un peu niais, mais au moins sympathique. Les filles découvraient qu’elles pouvaient dire « un enfant, si je veux ». Aujourd’hui, c’est plutôt « un enfant quand je veux », comme je veux, avec qui je veux, et que ça saute. Mais au bout du compte, l’objectif est de pouvoir reproduire le modèle de papa-maman, même si c’est sous la forme de papa-papa et de maman-maman. Le combat pour l’homoparentalité s’affiche sous les espèces du progrès et de l’émancipation, mais quand on regarde bien, il n’est pas très rock and roll. Passons.

Emmanuelle donc va pouvoir adopter un enfant. Et même adoptater. Il faut vous dire qu’Emmanuelle, je la connais depuis un petit bout de temps, parce que, comme le répètent les gazettes, cela fait onze ans que cette instit de Lons-Le-Saunier se bat pour adopter un enfant. Dans le cours de ses démêlés administrativo-judiciaires, un titre de Libé nous avait enchantés, Philippe Muray et moi-même. Quelque chose comme : « Un couple de lesbiennes se voit refuser le droit à l’adoptation ». Cette coquille en forme d’aveu révélait bien le caractère vaguement incongru de cette adoptation-là qui était surtout une injonction à s’adapter au nouvel ordre. Aujourd’hui, Libé mesure « l’absurdité du chemin de croix qu’ont dû emprunter pendant onze ans Emmanuelle B. et Laurence R. pour faire valoir leur envie de parentalité ». Quelle envie impérieuse pourrais-je bien faire valoir auprès de la justice de mon pays ?

Si la décision du tribunal enjoignant au Conseil général du Doubs de délivrer son agrément à Emmanuelle a été saluée de toutes parts comme une glorieuse avancée vers un monde meilleur, c’est parce que, contrairement à ce que font beaucoup de gens dans son cas, Emmanuelle n’a jamais caché qu’elle vivait avec Laurence. Mais il ne s’agit pas de s’arrêter en si bon chemin. La France est à la traîne, combien de fois faudra-t-il vous le dire. Alors que d’autres pays ont légalisé l’adoption homosexuelle et que la Cour européenne des droits de l’Homme condamne régulièrement nos pratiques discriminatoires, combien de temps allons-nous résister à la marche du progrès ?

Précisons que dans le cas précis d’Emmanuelle, il n’y a nullement scandale. L’ennui, c’est ce qui va suivre. En effet, Emmanuelle adoptera seule. Du point de vue de la loi, elle sera la mère d’un enfant de père inconnu. Or, contrairement à ce que jacassent les défenseuses des droits de l’enfant, le problème n’est pas qu’un enfant soit élevé par deux hommes ou deux femmes. Les parents hétérosexuels et parfaitement toxiques sont légion. Je connais pas mal de garçons qui ont fait des enfants par « les voies naturelles » avant de changer de camp, si on peut dire. Leurs enfants vont bien, merci. La vie concrète se débrouille toujours.

L’ordre symbolique, c’est un peu moins fun. Ça ne se change pas par pétition, ni pour assouvir les envies de parentalité. Et, jusqu’à preuve du contraire, c’est fondé sur la division entre les sexes – et aussi sur la distinction entre les morts et les vivants : il n’est pas très étonnant qu’une dame ait récemment exigé d’avoir un enfant de son mari mort et que les pleureuses de service se soient déchaînées contre la justice sans cœur qui le lui a refusé. Personne ne prétend qu’une veuve est incapable d’élever un enfant. Mais on peut trouver fâcheuse l’idée que les morts puissent se reproduire. Pour l’instant.

C’est exactement la même chose pour l’homoparentalité. Qu’un enfant puisse être élevé par deux femmes ou deux hommes ne signifie pas qu’il peut avoir deux pères ou deux mères. Sur France 5, l’autre soir, une journaliste se désolait que des hommes aient à cacher leur homosexualité pour avoir une chance de devenir père. À mon avis, ils feraient mieux d’y renoncer une heure durant (douche comprise), ça leur simplifierait la vie, mais ce que j’en dis. Les hommes et les femmes ont encore besoin les uns des autres pour se reproduire, serait-ce via des médiations techniques. Mais peut-être est-ce avec cette altérité-là que veulent en finir les ravis de l’adoptation. Peut-être parviendront-ils pour notre malheur, en tout cas pour le mien, à réaliser l’affriolante prophétie de Vigny dans « La Colère de Samson » :

« Bientôt, se retirant dans un hideux royaume,
La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome,
Et, se jetant, de loin, un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté. »

Que l’on donne le droit à des homosexuels affichés d’adopter seuls, comme n’importe quel autre citoyen, aucun problème. Mais la reconnaissance de l’adoption homosexuelle reviendrait à légaliser un gros mensonge anthropologique. On me dira que dans une adoption « classique », les parents adoptifs ne sont pas les vrais parents. Certes, mais cette filiation légale s’inscrit dans le même dispositif symbolique que la filiation naturelle. Seulement, les militants de l’homoparentalité ne voient aucune raison de s’embêter avec les vieilles lois de la nature. Puisque la science le peut et que je le veux, où est le problème ? Qu’ils prennent patience, on pourra certainement pratiquer un jour l’auto-reproduction, ce qui nous dispensera de la peine d’avoir à fréquenter nos prochains de tous sexes. Et c’est ainsi que l’évolution du droit nous privera du droit à l’évolution.

Les Experts à France Télécom

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Rembrandt, La leçon d'anatomie, 1632.
Rembrandt, <em>La leçon d'anatomie,</em> 1632.
Rembrandt, La leçon d'anatomie, 1632.

Quand, à la fin du XVIIIe siècle, le jeune chirurgien Bichat conseille à ses carabins de fermer leurs livres et d’ouvrir quelques cadavres, mine de rien, il fait sortir la médecine du règne de l’observation de surface, donc superficielle.

Avant Bichat, symptôme et signes sont équivalents : tu tousses, tu meurs, donc tu es mort d’une mauvaise toux ou au pire d’une pneumonie. Après Bichat, comme l’a rappelé Foucault, ça ne le fait plus : grâce à sa politique d’ouverture, on sait qu’en fait les poumons sont hors de cause et que le vrai coupable se trouvait plutôt du côté des coronaires. Disons-le, c’est grâce à ce genre d’innovations (assises sur 600 autopsies pratiquées en deux ans à l’Hôtel-Dieu), qu’on sait par voie d’inversion, que ce n’est pas parce qu’on a l’air en pleine forme qu’on n’est pas gravement malade.

Depuis cette révolution, la mort bénéficie d’un nouveau statut : elle est désormais partie prenante de l’aventure médicale. Elle n’est plus mécaniquement le point final obligé d’une maladie répertoriée : ses causes sont à rechercher individu par individu dans des lésions internes que seule l’autopsie révèlera.

Le XIXe siècle étant ce qu’il est, rien de ce qui est médical ne le reste longtemps. Très vite, les enquêtes policières s’emparent de ce nouvel outil : grâce à la magie de l’autopsie, on ne la fait plus au limier moustachu de la Sûreté qui s’aperçoit bien vite que l’apparente crise cardiaque résulte en réalité d’un empoisonnement au cyanure.

Portant désormais un regard clinique sur la scène de crime, le détective, flanqué de son nouveau meilleur ami, le légiste, traquera chaque indice prétendument invisible qui lui permettra de remonter à l’assassin. Tant pis pour le meurtrier qui voudrait camoufler son crime en suicide ! Grâce au scalpel, la vérité reprend ses droits : la victime sera dédouanée de son acte impie, l’assassin démasqué sera jugé au nom du peuple français et les héritiers se consoleront avec l’assurance-vie du défunt. Si en revanche, le suicide en est bien un, alors, l’honnête détective remballe sa panoplie, les héritiers s’assoient sur l’assurance, seul le désordre garde son quant à soi.

Histoire de calmer ses zélotes parfois trop portés sur les interprétations sauvages, Freud aimait à dire : « Sometimes, a cigar is just a cigar. » En conséquence de quoi, on peut dire que « sometimes, a suicide is just a suicide ». Une évidence impossible à admettre pour nombre de mes confrères qui font profession de savoir. Pour eux, on ne saurait bousculer l’ordre établi des conséquences et des causes et ce d’autant moins quand le suicide à lieu au sein d’une entreprise organisée. Alors, forts des principes de la méthode expérimentale pour les nuls, sociologues et psychiatres endossent en douce le trench-coat mythique du privé pour établir l’autopsie psychologique c’est-à-dire les causes psychologiques du passage à l’acte suicidaire.

Premier écueil : difficile de faire parler les morts. Pourtant le père de Sherlock Holmes, Conan Doyle, devenu expert en la matière a publié un certain nombre d’ouvrages spirites. Vers la fin de sa vie tables tournantes, photographies d’esprits en mal de substance charnelle et séances d’occultisme ont constitué l’essentiel de son activité. Mais nos experts en suicidologie ne sont pas capables de tels exploits. Ils se contentent, après avoir extorqué un contrat juteux à l’entreprise du salarié autotrépassé, d’interroger ses proches et ses moins proches, constituant ainsi un panel représentatif des relations sociales du défunt (qu’attendent-ils pour mettre Facebook à contribution ?). En pondérant grâce à une équation subtile la douleur légitime de la famille, les critiques du syndicaliste et l’atmosphère délétère de la rumeur publique, ils en arrivent à ce type de conclusion qui figurait noir sur blanc dans un récent rapport de l’Inserm : « En résumé, nous observons un cumul de problèmes de santé mentale et de toxicomanies chez les individus décédés par suicide. Ces problèmes ne sont pas récents et prennent racine dans le parcours de vie des individus. » Purée, il fallait le trouver, non ! Et c’est avec autant de perspicacité que les auteurs ajoutent que dans certain cas, une rupture amoureuse, un deuil récent, des difficultés financières, professionnelles etc. peuvent être la goutte d’eau qui fera déborder un vase déjà plein à ras bord.

Elémentaire mon cher Watson, il faudrait être fou pour commettre un acte pareil et nous venons de le démontrer !

Et, de délire en délire, les suicidologues prescrivent l’attitude à avoir face à ce mal du siècle.

A l’avant-garde de ce délire interprétatif devenu business supra-rentable, on trouve les Experts de Technologia, la psy-entreprise mandatée notamment par France Télécom pour expliciter le pourquoi du comment. Il n’y a qu’à lire leur prose pour déceler toute l’acuité de leur regard clinique : « Nous avons été frappés de la symbolique qui s’attachait parfois aux lieux. Ainsi dans une entreprise un salarié s’est suicidé selon le même protocole qu’une précédente victime 5 ans auparavant… Comment traiter cet aspect de la morbidité ? Il nous a semblé important, même symboliquement de prévoir parfois des travaux pour modifier, rénover, les locaux dans lesquels un drame est survenu. Bien entendu, la rénovation des locaux ne garantit pas que l’acte n’aurait pas eu lieu mais tout au moins, cela reste un signe positif en direction des salariés proches.»

Oserai-je, oserai-je rappeler l’histoire du fou qui repeint son plafond ?

Moi-même , accrochée au pinceau, j’ai comme l’impression que le sol se dérobe sous mes pieds… Comme ça d’un coup de pinceau, on efface « la symbolique » et tout cela au nom de l’éthique et du bien commun, et des contrats à venir ? Jusqu’à présent en cas de pépin, fut-il mineur, seuls les rescapés avaient droit aux pitoyables cellules d’assistance psychologique. Voilà maintenant que les mêmes charlots ont tapis rouge pour se faire un peu de monnaie sur le dos des suicidés.

Faut pas essayer de faire parler les morts quand on n’a rien à leur dire.

Bon voyage sur le Titanic !

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J’avoue ressentir une certaine admiration pour ma consœur Françoise Degois, ci-devant journaliste politique à France-Inter, qui vient de rejoindre le cabinet de Ségolène Royal avec le titre ronflant de conseillère spéciale de la présidente de la région Poitou-Charente, chargée de mettre en place les « politiques de civilisation ». Tudieu ! Quel panache ! Quitter le marais des scribouillards frustrés, s’élever au dessus des petites mesquineries de la politique au jour le jour pour aller mettre en œuvre les théories d’Edgar Morin entre Poitiers et Parthenay, ça ne manque pas d’allure ! Surtout que la conjoncture ne semble guère favorable à l’ex-candidate socialiste à la présidentielle de 2007, qui voit les rangs de ses soutiens s’éclaircir chaque jour un peu plus. Un ancien collègue du Monde, Daniel Carton, avait cru remarquer que Françoise Degois, ainsi que deux autres de ses consœurs, avaient pour Ségolène les yeux de Chimène, ce qui influençait notablement leur traitement de la campagne présidentielle. Les dames lui intentèrent un procès, qu’elles perdirent. Carton plein !