Accueil Site Page 2961

David Sylvian, ovni pop

0

Alliant sa voix de soul à un raffinement musical et à une élégance des textes, mariant musiques populaire et expérimentale, David Sylvian est un ovni de la pop.

En 1976, au beau milieu de la période punk, le groupe de David Sylvian (Japan), bricolé avec son frère cadet et trois autres lycéens, est repéré par Hansa Records, découvreur de Boney M. La maison de disque allemande a besoin d’un groupe local, pour pénétrer le marché britannique. Japan participe aux auditions, mais un groupe mieux looké lui souffle la première place : The Cure.

[access capability= »lire_inedits »]Hansa Records lâche The Cure après avoir écouter la maquette de Killing an Arab : « Ça ne marchera jamais ! » Le producteur investit alors sur Japan. Le groupe se cherche et glisse du glam rock de David Bowie vers la sophistication de Roxy Music, des guitares vers les synthétiseurs. Les ventes ne décollent toujours pas. Le label tente un dernier coup (y a de ces génies !)  : sortir un album de Japan au Japon ! Et il se débarrasse du groupe.

Virgin Records récupère alors Japan. La rencontre avec le public et la critique musical se fait avec le titre épuré Ghost, extrait du cinquième album, un immense succès commercial. La presse qui démolissait Japan, l’encense maintenant. Mais quand tout va bien, il faut chercher la femme. Une photographe japonaise, Yuka Fujii, qui sortait avec le bassiste, se met à flirter avec Sylvian. Japan se sépare en 1982.

David Sylvian collabore, alors, avec le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto à la bande originale du film Furyo, mettant en scène David Bowie, Takeshi Kitano et Ryuichi Sakamoto. Naît ainsi leur titre le plus connu à ce jour : Forbidden Colours. Fort de ce succès, Virgin propose un contrat à David Sylvian. En 1984, il sort son premier album solo, Brilliant Trees, empruntant l’inspiration de certains de ces morceaux aux romans de Milan Kundera, de Jean Cocteau ou de Jean-Paul Sartre. La presse est unanime. Sylvian a enfin trouvé sa voie : seul, il est excellent. Enfin, seul c’est beaucoup dire quand on voit le nombre de pointures qui contribuent à ses albums.

Sylvian est assez déstabilisant pour sa maison de disque. Un délai de six à douze ans peut s’écouler avant qu’il ne sorte un album solo ou se mette en tête de travailler sous un autre nom ou en collaboration avec d’autres musiciens. C’est pas comme ça qu’on se fait un nom auprès du public. Il vient même avec des projets d’albums instrumentaux. En 1991, quand il retrouve ses comparses de Japan, il enregistre sous le nom de Rain Tree Crow. La division marketing de Virgin devait être contente. En 2003, d’un commun accord, David Sylvian quitte la major pour créer son propre label, Samadhi Sound.

Dégagé des conventions, David Sylvian livre des albums plus personnels et radicaux. Les sorties du label ne se cantonnent pas aux projets du Britannique. Les signatures du label sont éclectiques : le compositeur américain Harold Budd, un jeune chanteur suédois Thomas Feiner, le groupe folk anglais Sweet Billy Pilgrim. Terriblement bien produits, les disques de Samadhi Sound bénéficient tous d’un évident souci du détail. Le catalogue ne peut être écouter d’un oreille distraite, il demande du temps pour être apprécié, mais offre à qui veut l’entendre une musique toute en délicatesse.

[/access]

Vichy : le mot de trop !

0
Pierre Laval

Eric Besson rendra désormais les coups. Sans doute est-il habitué à figurer, pour ses anciens camarades, le Judas idéal. Mais être comparé à Laval, ça ne passe pas ou plus. L’homme le plus détesté de France, à en croire Marianne, porte plainte contre Jean-Christophe Cambadélis et Gérard Mordillat en raison « de propos publics qu’ils ont tenus récemment, assimilant son action et celle des agents de son ministère aux heures sombres du régime de Vichy et à l’entreprise criminelle d’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale ». Le premier a expliqué à Libération que ce sarkozyste nouveau portait la marque de la nouvelle droite : « Il fait du lepénisme culturel, sinon programmatique… Pour moi, c’est Pierre Laval. Il n’a jamais été reconnu. Mais, comme il s’estime plus intelligent que les autres, il finit par démontrer qu’il peut l’être à gauche comme à droite. Sans aucun état d’âme. » Le second a qualifié le ministère de Besson de « ministère de la xénophobie ».

[access capability= »lire_inedits »]Un peu plus tard, Jean-Paul Huchon en remet une couche en déclarant que Besson est en train de devenir « un nouveau Marquet, un nouveau Déat », allusion à deux socialistes devenus ministres du maréchal Pétain.

Le ministre entend poursuivre systématiquement en justice tous propos similaires. Et c’est heureux.

Comparer une politique que l’on combat aux pires heures de notre histoire est inacceptable. La parole se décomplexe plutôt pour le pire que pour le meilleur. On peut débattre sans s’envoyer des insultes à la figure. On peut s’opposer, on peut s’affronter, on peut critiquer avec intelligence et passion, sans tenir des propos blessants, injurieux et injustifiés.

Aujourd’hui, dans la haine vouée au « traître Eric Besson », certains socialistes ont allègrement dépassé les bornes. Peut-on appeler « rafles » la chasse aux sans-papiers ? Peut-on exhumer Vichy pour dénoncer le ministère de l’identité nationale et de l’immigration ? Peut-on dénoncer la politique migratoire au prisme de Pétain ? Jusqu’où poussera-t-on ces comparaisons sans raison ?[/access]

« Je préfèrerais ne pas… »

0
Du débat sur l’identité nationale : mangez-en ! Honoré Daumier, Gargantua.

« Qu’entendez-vous par là ? Etes-vous dans la lune ? Je veux que vous m’aidiez à collationner ces feuilles, tenez. » Et je les lui tendis.
« Je préférerais ne pas », dit-il.
Herman Melville, Bartleby le scribe

Une des créations les plus troublantes et les plus mystérieuses de la littérature est sans doute celle de Bartleby de Melville qui, on aura beau dire, est infiniment plus convaincant dans cette novela que dans l’indigeste pavé de Moby Dick. Bartleby, employé aux écritures chez un avoué de New York, oppose aux injonctions de ses collègues, de ses supérieurs, de ses contemporains et finalement du monde entier un « I would prefer not to », traduit en général assez habilement en français par « Je préfèrerais ne pas ». Cela conduira finalement cet antihéros, messie du non-vouloir, à se laisser mourir plutôt que de prendre part à quoi que ce soit de l’activité humaine.

[access capability= »lire_inedits »] »I would prefer not to », sur lequel Deleuze a écrit des pages remarquables n’est pas une opposition frontale à l’action, c’est plutôt le désir de rester à côté, à la marge. C’est une façon d’être là le moins possible, de limiter sa présence au monde et aux autres à une manière de minimum syndical existentiel. D’ailleurs, à quoi bon s’opposer, semble nous demander Bartleby. La puissance de ce que l’on doit affronter est telle, la folie tellement généralisée, la bêtise et la cruauté tellement universelles qu’il vaut mieux faire semblant la plupart du temps. Et quand, vraiment, il n’est plus possible de ne pas répondre aux convocations de l’existence, se contenter d’un « I would prefer no to. »

C’est à la silhouette maigre et voûtée de ce martyr du négatif que nous pensons fraternellement quand on nous demande notre avis sur l’identité nationale, ou plus précisément sur le débat organisé autour de l’identité nationale.
– Tu ne veux pas nous dire ce que tu en penses ?
– Je préférerais ne pas.
– Mais enfin, explique-toi ! Bartleby, ce n’est pas ton genre, tout de même. Tu as des avis sur tout, d’habitude ! L’économie de marché, la révolution bolivarienne, le vin naturel, la poésie, les paysages, la burqa, le communisme ! On te le reproche assez. Péremptoire, définitif, hyperbolique, méchant comme une teigne ! Donne ton avis, allez…
– Je préfèrerais ne pas.

En même temps, l’héroïque posture de Bartleby n’est pas tenable très longtemps. Nous n’avons pas sa sagesse acédique. Mais on sent que, si on devait prendre part à ce débat, vraiment y prendre part, on deviendrait vite désobligeant. Désobligeant au sens étymologique du terme, c’est-à-dire que nous manquerions à nos obligations, à ce que nous estimons précisément, en tant que Français, être nos obligations et qui sont assez bien définies par cet article de la Constitution de 1793, que l’on peut voir toujours imprimé sur les titres de réfugiés aujourd’hui : « Le Peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. »

Et il faut éviter d’être désobligeant dans une démocratie : il faut éviter de renvoyer les uns à on sait quelle « étrangeté » qui justifiera à peu près tout contre des parties entières de la population, et il faut éviter d’être désobligeants en transformant les promoteurs de ce débat en ministres vichystes, d’abord parce que c’est historiquement faux et ensuite parce que ce sont eux qui cherchent l’analogie, qui cherchent cette disqualification tellement énorme qu’elle se retourne contre leurs adversaires. Sans compter, évidemment, le piège linguistique et dialectique qui s’est refermé sur ceux qui ont dit publiquement, comme Martine Aubry, qu’ils n’y prendraient pas part. Ne pas y prendre part, c’est bien entendu choisir une position. Et choisir une position, c’est, même involontairement, légitimer ce débat.

Pour nous, c’est beaucoup plus simple : ce débat ne devrait tout simplement pas avoir lieu. Il y a des sujets dont une République ne discute pas sans risquer de perdre son âme.

Surtout quand ces sujets ne font pas problème en tant que tels dans la société, ou s’ils le font, ne sont tout de même pas d’une urgence primordiale dans un pays qui compte cinq millions de chômeurs, à peine moins de mal-logés et où une personne sur deux déclare que sa première crainte est de devenir sans domicile fixe. Et là, apparemment, cette peur n’a plus ni couleur, ni religion. On serait méchant, on quitterait un instant notre attitude de prudence bartlebienne, on dirait que, s’il y a identité nationale, en 2010, c’est avant tout cette certitude de vivre dans un pays qui vous laissera vous désintégrer socialement sans lever le petit doigt.

Que des universitaires, des sociologues, des historiens, des démographes tiennent des colloques sur cette jolie question de l’identité nationale, pourquoi pas, mais qu’elle devienne l’alpha et l’oméga de la vie publique française depuis des mois a quelque chose de profondément malsain pour plusieurs raisons. Pendant que des racistes soudain décomplexés ne vont pas hésiter à donner leurs « contributions » sur des sites officiels au point que ceux-ci sont obligés de les censurer, on oublie tranquillement la crise économique, comme si le politique avait décidé à tout prix de cacher son impuissance manifeste dans ce domaine en faisant rouler ses muscles sur une question, l’identité nationale, qui n’est évidemment pas de son ressort.

L’immigration, par exemple, est de la compétence du politique. Décider qui vient ou ne vient pas, si c’est une chance ou une menace, s’il faut des quotas, si l’assimilation est préférable à l’intégration, si l’islam est soluble, et selon quelles modalités, dans la laïcité : là, d’accord, il y a un débat possible, voire utile. Mais rien n’est pire que de vouloir faire passer ce sujet en contrebande, presque honteusement, derrière un autre, de les confondre, surtout en période préélectorale quand on s’aperçoit que la partie n’est pas trop bien engagée pour son camp.

Un débat public, c’est comme une guerre. Il est toujours préférable de savoir pourquoi on la mène et quels sont ses buts exacts avant de l’entamer. Sinon, c’est l’Afghanistan. Et entre une tribune présidentielle auto-justificatrice dans un quotidien du soir et la récupération de la votation suisse sur les minarets, il y a par les temps qui courent comme un sale parfum d’Afghanistan idéologique dans notre République.

Alors, encore une fois, le débat sur l’identité nationale, I would prefer not to.[/access]

Islamisme, antiracisme, même combat ?

0
Néron assistant au supplice d’une martyre chrétienne.

Finkielkraut, Camus, Zemmour, Sarkozy, Hortefeux, Valls, Chirac, Frêche, Morano… et j’en passe. Il y a quelque chose de lassant, mais aussi de délirant qui interpelle dans ces explosions médiatiques et métronomiques, dont on ne sait si elles sont motivées par la jubilation de voir un puissant ou supposé tel trébucher ou par une colère sincère. Les deux, mon chef de meute, répondraient les indignés, s’ils savaient faire preuve parfois d’honnêteté intellectuelle. On se souvient de la remarque de Baudrillard sur le racisme, selon laquelle l’association SOS Racisme semble avoir formé son nom sur le modèle de celle qui défend les baleines. Donc SOS Racisme = SOS Baleines : il y a chez les antiracistes la volonté inconsciente de sauver le racisme comme objet idéal d’opposition. On ne sera jamais assez antiraciste. C’est pour cela que la consommation médiatique de « racistes » n’a jamais été si importante qu’aux temps de la criminalisation du racisme. Comment qualifier autrement que de ferveur religieuse cette volonté forcenée de rejeter dans les ténèbres extérieures ceux qui, à la faveur d’une simple phrase maladroite ou même parfois à la faveur de rien du tout, et alors même qu’en général ils ne cessent de réaffirmer leur stricte adhésion au dogme antiraciste, sont offerts soudainement et malgré eux en holocauste afin d’apaiser la fureur sacrée de ce Moloch moderne qu’est l’antiracisme. Personne, en France, aujourd’hui, parmi les sphères dirigeantes ou même seulement influentes, ne s’affirme ouvertement raciste, et pourtant la meute médiatique ne cesse de dénicher des racistes cachés, tels les antiques marranes, un peu partout aux quatre coins de l’Hexagone qui compte, à coups de vidéos volées et de petites phrases qui dérapent.

[access capability= »lire_inedits »]Durkheim, lorsqu’il identifiait le religieux et le social, soulignait que le crime était nécessaire à la société pour s’éprouver en tant que groupement humain partageant des valeurs communes. Lorsque le criminel ou supposé tel heurte les valeurs propres à une communauté, celle-ci réaffirme son existence en tant que communauté à travers la condamnation et le châtiment du coupable. Plus encore que les procédures judiciaires toujours compliquées à mettre en œuvre et trop soucieuses du droit des accusés, le lynchage médiatique est aujourd’hui une institution pénale sui generis qui se charge du rôle éminemment social de châtier les coupables. Grâce à elle, on ne s’embarrasse plus de fioritures juridiques et on va droit à l’essentiel. Taïaut ! Taïaut !

Heureusement, le lynchage médiatique ne tue pas. C’est même sans doute pour cela qu’il a pu être érigé en culte central de la religion antiraciste puisque, on le sait depuis René Girard, les religions établies sur le culte des sacrifices sanglants n’ont pas survécu à l’avènement du christianisme. Car l’antiracisme est bien une religion, ou plutôt une secte qui a réussi et qui trouve que les hérétiques sont toujours trop nombreux, beaucoup trop nombreux. Les hérétiques, quand il y en a un, ça va, c’est quand… Vous connaissez l’antienne.

Ainsi la France, surtout dans sa partie « souchienne », et malgré le réchauffement de la planète, est « frileuse », c’est-à-dire au fond du fond de son moi refoulé, raciste et « islamophobe » − le dernier-né des vocables créés par l’inventive démonologie du clergé de l’antiracisme, avec l’aide, faut-il le rappeler, d’un autre clergé, beaucoup moins métaphorique celui-là, je veux parler bien sûr du clergé chiite iranien − parce qu’elle n’accepte pas assez vite et avec assez d’enthousiasme l’islamisation d’une partie de sa population (outre les Français immigrés et enfants d’immigrés originellement musulmans, on parle de 60 000 convertis parmi les « souchiens »), et la transformation de ses paysages urbains par la construction de nombreuses mosquées (200 actuellement, selon des sources impeccables comme Le Monde). 60 000 convertis, 200 mosquées en construction, souvent grâce à des subventions publiques, ce n’est pas si mal quand même pour un pays dans lequel l’islamophobie ne cesse, paraît-il, de faire des progrès. En tant que « souchien », on a parfois l’impression de faire partie d’un troupeau houspillé sans relâche par les pasteurs du culte antiraciste pour gagner au plus vite le paradis enchanté de l’étable multiculturelle, diverse et/ou métissée, on ne sait plus trop. Allez, au trot, Blanchette, et on arrête de regarder en arrière !

Pendant ce temps-là, en Irak, l’épuration ethnique et religieuse s’accélère. Des bombes sont posées dans les églises, des femmes chrétiennes sont violées, des fidèles assassinés. En quelques années, le nombre de chrétiens a été divisé par trois dans cette vieille terre chrétienne, passant d’un million à moins de 400 000 personnes. Ces dernières semaines, une ville entière, c’est-à-dire 6 000 personnes, a été vidée de ses habitants à la suite de plusieurs attentats qui ont fait souffler un vent de panique parmi la population chrétienne. On est loin des graffitis, parfaitement idiots et répréhensibles, faut-il le préciser, de Castres ou de Toul.

Pendant ce temps-là, en Egypte, des lieux de culte, parfois des monastères parmi les plus anciens du monde chrétien, sont attaqués à l’arme lourde par des islamistes lors de heurts que la presse occidentale présente comme des « affrontements interreligieux ». Des femmes chrétiennes sont enlevées, converties de force et mariées à des musulmans, dans l’indifférence de tous, policiers compris.

Pendant ce temps-là, le Pakistan, soutenu à bout de bras par les deux superpuissances que sont la Chine et les Etats-Unis, parque ses trois millions de chrétiens dans des ghettos insalubres dans lesquels ils exercent les métiers dont personne ne veut dans ce « pays des purs ». Fin 2008, à Islamabad, un mur hérissé de tessons de bouteille a été construit autour de la « colonie française », le nom d’un ghetto où vivent 5 000 chrétiens sans eau courante, électricité ou ramassage d’ordures, pour isoler les bons Pakistanais musulmans des chrétiens accusés, dans ce pays, de tous les maux : ignorance, superstition, prostitution, alcoolisme, trafic de drogue. De temps en temps, une foule en furie se charge de faire appliquer, de façon assez expéditive, les lois anti-blasphème du coin, en lynchant quelques chrétiens. La dernière fois, c’était donc au mois d’août 2009, lorsque des chrétiens de Gojra ont été tués au cours d’une émeute provoquée par des rumeurs (infondées) de profanation du Coran. Les conséquences de l’exercice de la démocratie directe au Pakistan sont un peu plus sévères, avouons-le, que ce que l’on connaît chez nos amis suisses.

Selon une association proche du Vatican, les trois quart des persécutions religieuses dans le monde touchent aujourd’hui des chrétiens. Et si elles ne sont pas limitées aux pays musulmans, c’est bien en « terre d’islam », sur de très antiques terres chrétiennes, telles l’Egypte et l’Irak, qu’elles ont pris le plus d’ampleur.

Il n’est pas question ici de défendre une quelconque réciprocité dans le traitement des minorités religieuses, ici et là-bas. Quel cinglé pourrait envisager une chose pareille ? J’ai entendu, au cours d’un débat qui l’opposait à un « théologien musulman » égyptien, Oskar Freysinger, le député suisse à l’origine de la votation sur les minarets, se réclamer d’une politique du chacun chez soi qui fait froid dans le dos. Vous faites ce que voulez avec vos chrétiens d’Orient, disait-il en substance à son interlocuteur, et nous faisons ce que nous voulons avec nos musulmans. Ce qui revient à une démission complète du projet de tolérance religieuse que l’on défend en France et plus largement en Europe depuis quelques siècles. Raison pour laquelle il faut s’indigner du sort des chrétiens en terre d’islam. Et si possible agir. Comment ? Si vous avez une idée, je suis preneur.

Cette indifférence au sort de minorités qui courent de bien plus grands dangers que les nôtres, Freysinger la partage avec tous les antiracistes si prompts à stigmatiser le racisme occidental et l’islamophobie qui monte. Alors, je leur demande : où sont-ils quand on massacre les chrétiens d’Orient ?

J’en viens à me demander s’il n’existe pas une alliance objective, ou même une identité profonde, entre l’antiracisme qui triomphe ici et l’islamisme qui sévit là-bas. René Girard, en conclusion de son dernier ouvrage, se demandait si l’islam n’avait pas « pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque [c’est-à-dire sacrificielle, selon la terminologie girardienne] plus puissante que toutes les autres », et plus puissante peut-être que le christianisme lui-même, suis-je tenté d’ajouter les jours de déprime. L’islamisme nous prouve aujourd’hui que l’archaïque avait des ressources cachées. Avec l’antiracisme lyncheur, nous avons nous-mêmes recréé une religion archaïque fondée sur une idée chrétienne devenue folle : celle de l’unité du genre humain.

Assisterions-nous à une régression sacrificielle de l’humanité, ici sous la forme tragi-comique du lynchage médiatique antiraciste, là-bas sous la forme cauchemardesque de l’attentat de masse et de la purification religieuse, sous l’effet de l’affaissement spirituel de l’Occident et de la disparition de son magistère moral dans le reste du monde ? C’est la question que je me pose. Tant qu’on a le droit de la poser.[/access]

Vox populi, vox diaboli

0

« Boîte de Pandore », « déversoir à fantasmes racistes et xénophobes », « cadeau de Noël pour Marine Le Pen » : tels sont les commentaires en forme de condamnation sans appel de l’initiative d’Eric Besson d’ouvrir le site de son ministère aux contributions du peuple, à l’occasion du « grand débat sur l’identité nationale ». Le seul fait d’y apporter sa contribution équivaudrait, selon les censeurs autoproclamés, à cautionner les immondices verbales déversées à cette occasion par la racaille raciste sur la scène publique avec la caution de l’Etat.

Ce débat, lancé par Sarkozy et son nouveau féal Besson, n’est certes pas exempt de pollution électoraliste, et il eût été plus convenable de l’organiser au deuxième semestre 2010, après les élections régionales et avant que la machine de l’élection présidentielle de 2012 ne commence à chauffer.

[access capability= »lire_inedits »]Mais même dans cette hypothèse, on peut être certain qu’aurait tout pareillement surgi cette parole raciste et xénophobe : les sentiments qui la sous-tendent existent dans l’esprit de nombre de nos concitoyens, il n’y a donc pas de raison qu’ils restent limités aux propos de comptoir, si l’on veut bien y prêter l’oreille. Ce n’est pas de la théorie élaborée, fondées sur des discours pseudo-scientifiques et sur une idéologie suprématiste comme celle qui s’est développée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le racisme d’aujourd’hui n’est ni savant, ni littéraire : il est populaire, brut de décoffrage et ne se réclame que de l’expérience de celui qui s’en fait le porte-parole.

Le pari de Sarkozy et de Besson, c’est qu’on ne lutte pas contre ce type de racisme et de xénophobie en faisant taire et en stigmatisant ceux qui l’expriment. Guaino, un homme curieux de tout, a sans doute étudié Mao Zedong, et s’est souvenu de cette campagne lancée par le Grand Timonier en 1956, intitulée « Que cent fleurs s’épanouissent ». On trouvera dans les ouvrages indispensables de Simon Leys et de Jon Halliday et Jung Chang[1. Jung Chang, Jon Halliday, Mao. L’histoire inconnue, Gallimard. Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao, Champ Libre.] la description détaillée de cet épisode de la geste maoïste.

Cette campagne faisait suite au catastrophique  » Grand bond en avant » qui avait lamentablement échoué sur le plan économique et provoqué des famines meurtrières à travers tout le pays. Le Grand Leader invitait alors toutes les forces vives de la Chine à exprimer leurs critiques et leurs propositions pour améliorer les choses, un débat dont le Parti communiste ferait, promettait-il, le meilleur usage. Les intellectuels, économistes ou ingénieurs insatisfaits sortirent alors du silence imposé par l’appareil totalitaire pour dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Quelques mois plus tard, un changement de ligne à 180 degrés mettait fin aux « Cent fleurs », et ceux qui avaient imprudemment ouvert la bouche furent victimes d’une impitoyable épuration « antidroitière » dont les morts se comptent par centaines de milliers.

La France de 2009 ne se trouve pas, fort heureusement, dans la situation économique et politique de la Chine de 1956. Il ne s’agit pas de faire sortir les racistes du bois pour les zigouiller ou les mettre au trou. Plus modestement, les responsables actuels cherchent un moyen de remettre en marche la machine à intégrer − et, n’ayons pas peur du mot, à assimiler − que fut la France des trois Républiques successives. Notons au passage que cette assimilation fut globalement un succès, malgré la persistance dans une partie de la population de sentiments hostiles aux populations qu’elle concernait. Faire émerger l’ampleur de ce refus de l’étranger, en étudier les ressorts n’est pas immoral en soi : il permet de combler une lacune que les idéologues des sciences humaines qui dominent cette discipline depuis quatre décennies ont sciemment laissé béante. Et pourquoi pas, son analyse par les experts pourrait contribuer à trouver des moyens de lutter plus efficacement contre les préjugés et les discriminations. Mao n’était pas un monstre lorsqu’il invitait les gens à s’exprimer. Il le devint quand il transforma ce vent de liberté en piège mortel.

Comment naît un fantasme raciste et xénophobe ? J’ai assisté tout récemment, en direct, dans le petit coin de France où je demeure, à un phénomène de ce genre dont je me contenterai de faire la description, laissant au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions.

Un patron de PME de la micromécanique, industrie phare de ma région alpine, emploie depuis plus de vingt-cinq ans un ouvrier algérien, à la satisfaction réciproque des deux parties, semble-t-il. Peu avant Noël, l’ouvrier vient voir le patron, en lui annonçant qu’il va devoir subir une opération chirurgicale qui le tiendra éloigné quelques semaines de l’entreprise. Le patron lui souhaite bonne chance, s’enquiert de l’hôpital où l’intervention doit avoir lieu, et lui manifeste sa reconnaissance d’avoir choisi une période creuse dans l’activité de l’usine pour aller se faire soigner. Quelques jours plus tard, le patron se dit qu’il serait sympathique de rendre une petite visite à son ouvrier qui va passer les fêtes, même si ce ne sont pas les siennes, dans un lit d’hôpital. « Mr X….. ? Chambre 26 », lui indique-t-on à la réception. Une minute plus tard, le visiteur se trouve, dans la chambre 26, face à un inconnu d’origine maghrébine. Ce qui s’est passé, on le devine aisément : l’ouvrier à « prêté » sa Carte vitale à un membre de sa famille venu du bled pour lui permettre de recevoir les soins que la République algérienne démocratique et populaire est incapable de lui fournir. Le patron est choqué. Tenant compte des bons et loyaux services de l’ouvrier, il ne le dénonce pas aux autorités, ni ne le licencie, mais raconte cette histoire à ses collègues patrons, qui la racontent ensuite à leur personnel. Tout ce petit monde est aujourd’hui persuadé que « les immigrés » escroquent en masse la Sécurité sociale et sont la cause première du trou abyssal de cette dernière.

Dans cette histoire, qui sont les bons ? Qui sont les mauvais ? J’envie ceux qui portent leurs certitudes à ce sujet en bandoulière morale et pétitionnaire. Ils me font penser à Mao.[/access]

Taisez-vous, les Français !

0

Le dramaturge Edwy Plenel nous avait prévenus : le débat sur l’identité nationale sera une boîte de Pandore d’où sortiront des serpents. Pour le moment, personne n’a encore été mordu et les déclarations qui lèvent des tabous ou les dérapages qui rassurent les majorités silencieuses et scandalisent les bien-pensants posent la question de notre identité commune de façon bien prudente et bien délicate.

Pourtant, c’est encore trop. Le simple fait de s’interroger dans un débat national sur ce que c’est, aujourd’hui, qu’être Français serait en soi, et avant même que soit apportée la moindre réponse, une initiative stigmatisante et excluante. Sommes-nous prêts à heurter des susceptibilités pour discuter ensemble de ce que nous voulons rester ou devenir ?

[access capability= »lire_inedits »]Nous sommes tous composés d’identités multiples, nous avons tous des appartenances religieuses ou pas, des convictions politiques plutôt nationalistes ou internationalistes, nous avons tous une ethnie, une couleur, une histoire particulière qui plonge nos racines ici ou ailleurs. Toutes ces questions, intéressantes par ailleurs, sont en l’occurrence hors-sujet et ne sont pas de nature à déterminer si untel est plus Français que son prochain. Je me fous de la race de mon voisin comme de ses croyances, je veux savoir sur quel consensus nous pouvons vivre ensemble et si je veux le savoir, si la question a besoin d’être posée, c’est que la réponse ne va pas de soi. Il me semble que c’est cela qui a changé.

Les Français d’hier qui ont reçu des vagues successives d’immigrés n’ont pas eu besoin de pratiquer les accommodements et les apaisements qui semblent nécessaires aujourd’hui. L’exigence d’intégration était la règle non négociable. Après une ou deux générations à se faire traiter de « Polaks », de « Ritals » ou de « youpins » dans les cours de récréation, les nouveaux venus devenaient docteurs en médecine et bien Français.

Aujourd’hui, une hospitalité mal comprise, le respect des différences poussé un peu loin et on dirait que le mot « français » est devenu pour certains synonyme de couille molle. Puisse ce débat être l’occasion de redresser les opinions !

Les jeunes Français noirs et arabes qui « niquent la France » viennent de cultures où l’insulte faite à votre identité ne reste pas impunie. Essayez donc de niquer le Prophète à la Courneuve ou à Alger, vous allez voir ! Nous avons un peu trop fait semblant de ne pas entendre, nous les avons un peu trop excusés parce qu’ils sont pauvres. Nos lâchetés ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Nous pouvons profiter de ce débat pour leur faire savoir qu’être Français, ce n’est pas cela, c’est une identité qui se défend. C’est le plus sûr moyen de leur montrer qu’être Français, c’est respectable, et ainsi remonter dans leur estime.

Quand Hortefeux laisse entendre que « Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » (je préfère croire qu’il parle des Arabes, car s’il parle des Auvergnats, il est à côté de la plaque et ne sert à rien), tout le monde saisit la pertinence de la remarque, même les antiracistes effarouchés, j’en suis sûr.

C’est une évidence que certains ne veulent pas voir mais si, dans un immeuble, un quartier ou une ville, les immigrés africains deviennent majoritaires trop vite, ils ne deviendront pas Français mais vivront dans une enclave tiers-mondiste au cœur de la nation, et les attestations administratives n’y pourront rien à moins de considérer que l’identité française relève d’un coup de tampon.

Quand, à Evry, on s’inquiète qu’il y ait aujourd’hui plus de Noirs que de Blancs ,mais avec des pincettes (ce qui prouve que nous sommes des gens délicats, car si l’inverse se produisait sur n’importe quelle terre historiquement noire, nous y verrions des émeutes sur l’air de « C’est Patayo ! », mais passons là-dessus), sommes-nous racistes ?

Pas nécessairement. Parce qu’une majorité noire dans une ville française en quelques années ne change pas seulement son faciès mais sa culture. Or, la culture africaine et ses pratiques, avec les résultats que l’on connaît là où elle est dominante, c’est-à-dire en Afrique, nous n’en voulons pas. La corruption généralisée, l’appartenance clanique, ethnique ou tribale qui interdit tout sentiment national, la soumission à la force qui l’emporte sur le respect de la loi, tout cela n’est plus français depuis que nous ne sommes plus gaulois. Ces progrès accomplis par deux mille ans de civilisation et notre volonté d’en préserver les acquis font partie de notre identité nationale.

La France a su être multiraciale en gardant ses particularismes, ses usages, sa culture ; et les Français ne sont pas racistes, mais la France multiculturelle en promotion depuis quelque temps fait naître des inquiétudes dans la population. Lorsque la laïcité, la liberté et l’égalité des femmes, la sécurité des homosexuels ou des juifs, le droit au blasphème sont remis en cause, nous pouvons refuser ces signes d’une régression de notre mode de vie et affirmer que ces pratiques sont contraires à l’identité française.

Et si en cela nous stigmatisons, eh bien tant pis, stigmatisons ! Et que chaque individu se détermine sur ces exigences claires, quelle que soit sa couleur ou sa religion. Après tout, personne n’est obligé de devenir ou de rester français. Certains ne se sentiront pas visés : qu’ils continuent à faire des nems et des ingénieurs en informatique. D’autres le prendront pour eux : ils sont libres, le continent est immense et plein de ressources.

Nous acceptons tout le monde, mais pas n’importe qui ![/access]

Le débat interdit

0

Vous avez des réponses ? Dommage, parce qu’il n’y a pas de question. La France entière s’est emparée du débat sur l’identité nationale. Pas dans les préfectures et autres salles des fêtes. Dans les bistrots, les dîners en ville et les rédactions, à l’Assemblée et sur les marchés. On ne parle que de ça. Et tout ce qui compte dans la République des Lettres ou presque y est allé d’un couplet ou d’une signature.

Si tout le monde a une réponse, il doit bien y avoir une question. Que nenni. Voilà des semaines que nos directeurs de conscience se relaient sur les ondes et dans les colonnes de la presse imprimée et électronique, répétant, comme pour conjurer le sort : le débat n’aura pas lieu. Et plus il a lieu, plus ils lui intiment de cesser, comme le petit bonhomme de Sempé qui donne des ordres à l’océan. C’est à croire que ces gens-là détestent les questions.

[access capability= »lire_inedits »]Dans cette cohorte d’agents de la pensée convenable, on ne s’en étonnera pas, le camarade Edwy Plenel est le plus rigolo. Involontairement, car l’humour n’est pas le fort du confrère. Son « appel à ne pas débattre ». Une pétition contre le débat, Muray aurait adoré.

La façon dont Plenel vend sa came est une démonstration. J’ai tous les gens qui comptent, nous dit-il. Tout le monde du savoir, toute l’intelligence. Même des gens de droite. Et même (sic) des amis de Carla Bruni. « De Dominique de Villepin à Olivier Besancenot, de Martine Aubry à Daniel Cohn-Bendit, de Marie NDiaye à Patrick Chamoiseau, de Claude Lanzmann à Tahar Ben Jelloun », annonce le site. Et de fait, il y a du beau linge parmi les 35 000 signataires qui jurent qu’ils ne débattront que par la force des baïonnettes. Un paquet de bons esprits de gauche, un peu de people concerné genre Guy Bedos (aucune trace de Marion Cotillard), des penseurs de petit, moyen et très haut vol, bref le cocktail paillette-intello qui vous signe une vraie pétition parisienne.

Et que nous disent ces gens qui comptent ? Qu’ils adorent le débat mais pas celui-là. Que cette question-là ne leur plaît pas, parce qu’elle est posée par la mauvaise personne, dans les mauvais termes et surtout, que certains lui donnent de très mauvaises réponses. Que ça dérape. Intéressant, ce verbe, déraper. Hors de quel chemin tracé à l’avance ? Par rapport à quelle parole préétablie et décrétée acceptable ? En somme, ces représentants de l’esprit et du savoir acceptent qu’on pose des questions à condition de fournir les réponses.

Il est donc fort important que personne n’entende ce que disent les gens qui ne comptent pas, à commencer par les 53 % d’électeurs suisses qui ont voté contre de nouveaux minarets sur lesquels se sont immédiatement déversés les fleuves d’indignation et pelletées de noms d’oiseaux normalement réservés aux lepénistes, crypto-lepénistes, para-lepénistes et futurs lepénistes. Personne, à part Gil Mihaely qui me fait cette judicieuse remarque, n’a observé que, dans la votation helvète, la majorité silencieuse s’est comportée comme une minorité menacée. Cette majorité menacée a peur d’assister à la disparition du monde qu’elle connaît – et peut-être est-ce le cas. Elle résiste au changement en essayant de protéger ses paysages qui seront peut-être le dernier refuge des identités humaines : on aura beau supprimer les frontières, la vie ne sera pas la même dans la steppe que dans la toundra. Peut-être est-ce dérisoire au regard de l’Histoire. Mais cela n’a rien d’infâmant.

C’est dans cette population dite « de souche » (ce qui signifie qu’elle est d’immigration plus ancienne que la population dite « issue de ») que se recrutent les dérapeurs qualifiés de racistes par le langage commun et le tribunal médiatique. À travers un exemple banal, Luc Rosenzweig montre comment le « dérapage » arrive. Emmanuel Todd a pourtant raison quand il dit que « le tempérament égalitaire des Français fait qu’ils n’en ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique ou religieuse ». Si on excepte quelques groupuscules se réclamant d’un mythique Occident blanc, la plupart des gens pensent qu’être français n’a rien à voir avec le fait d’être blanc, noir, arabe, juif ou musulman. En revanche, s’agissant de pratiques culturelles et de comportements collectifs, ils pensent avoir leur mot à dire sur ce qui est tolérable et sur ce qui ne l’est pas (voir l’éditorial). Comme l’écrit Cyril Bennasar, « on accepte tout le monde mais pas n’importe qui ».

Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi, blague suisse à part, le débat s’est focalisé sur l’islam, ce que, bizarrement, personne n’avait anticipé. C’est que l’objet de la discussion n’est pas l’islam comme croyance mais comme ciment communautaire, code social et, parfois, étendard de la détestation de la France. Peu chaut à la grande majorité des Français que leurs concitoyens aillent à la synagogue, à la mosquée ou au sauna. Mais n’en déplaise aux pétitionnaires au grand cœur, nos villes et nos campagnes sont encore peuplées d’êtres primitifs qui n’aiment pas qu’on siffle la Marseillaise, se sentent insultés quand on dit « Nique la France » et aiment que les femmes s’habillent comme des femmes. Ajoutons, au risque de nous répéter, qu’il faut avoir des rapports très lointains avec la logique pour proclamer dans le même élan que l’islam est devenu la deuxième religion de France et qu’il est criminel de se demander si cela a ou doit changer le pacte républicain.

Il serait absurde ou criminel de faire comme si on n’entendait rien de déplaisant dans ce déballage de linge sale en famille. Et si on postule que « les gens » disent à peu près ce qu’ils pensent, ce n’est pas très étonnant. Peut-on croire que dans nos têtes, la pensée correcte aurait éliminé toute noirceur, tout sentiment mauvais, injuste, réducteur, destructeur ? La « parole libérée », ça plaisait quand c’était pour beugler « CRS-SS ! » ou draguer à corps ouvert. Quand on se pose des questions sans réponses du genre « Qui suis-je ? Où vais-je ? », ça plombe tout de suite l’ambiance. Dans le monde des bisounours dont rêvent ceux qui vont par les chemins en clamant « Taisez-vous ! », la parole est innocente parce que la pensée est pure. On aime l’autre 24/24 et dans tous ses aspects. Remarquez que, quand ils sont confrontés à un autre concret qui récuse ce qu’ils disent, nos amoureux du genre humain ont vite la bave aux lèvres. Mais jamais ils ne répondent par l’argumentation à ceux avec qui ils sont en désaccord.

Donc, on discute de l’islam de France ou, plus précisément, de certaines de ses manifestations qui ne sont pas religieuses mais identitaires et, par ailleurs, bruyantes mais minoritaires. Seulement, il déplaît à nos bons esprits qu’on parle de l’islam autrement que pour en célébrer les vertus civilisatrices. Et c’est là que le débat dérape mais pas de la façon dont on nous dit qu’il dérape. Quand un sujet de conversation leur déplaît, les curés antiracistes évoqués par Florentin Piffard ne se contentent pas, comme Jérôme Leroy, de refuser d’y prendre part. Ils prétendent l’interdire et brandissent l’arme fatale contre ceux qui entendent la poursuivre : Vichy, et plus si affinités.

Nous y sommes. Les années 1940 sont de retour et, avec elle, un monde merveilleux réduit à la guerre de l’humanité contre ses ennemis, à l’affrontement entre résistants et collabos. Et comme il suffit de dénoncer les collabos pour être admis dans l’équipe des résistants, c’est sans risque et gratifiant. Qui d’entre nous, adolescent, ne s’est rêvé en héros de l’armée des ombres, mourant sous la torture sans avoir parlé ? Dans cette affaire d’identité nationale, vous signez et vous êtes Jean Moulin.

Leo Strauss parlait de reductio ad hitlerum. Accommodé à la sauce franchouillarde, cela donne la reductio ad petainum. Le numéro spécial de Mediapart consacré à ce débat immonde (dans lequel on peut d’ailleurs lire d’intéressantes réponses à la question qu’il ne fallait pas poser), s’ouvre avec l’affirmation suivante : « Pour la première fois, s’énonce, au sommet de la République, l’idéologie de la droite extrême, celle qui fut au pouvoir avec Philippe Pétain sous Vichy, cette droite à la fois maurrassienne, orléaniste et élitiste qui n’a jamais admis la démocratie libérale. » On respire : la droite chiraco-villepiniste qui est, elle, égalitaire et progressiste, échappe à ce jeu de massacre.

À la suite de Cambadélis qu’épingle Odile Cohen (, ils sont pas mal à se lâcher sur ce registre. Besson, c’est Laval, « béat devant Jospin, Déat devant Sarkozy », selon Jean-François Kahn, vraiment très mal inspiré. Vous l’avez compris, dans ce casting, Sarko, c’est Pétain. Et les musulmans d’aujourd’hui sont les juifs d’hier – j’ai malheureusement oublié qui a écrit que l’étoile verte était en train de succéder à l’étoile jaune, à qui le tour messieurs-dames ? Quant à Hitler, sans doute se planque-t-il en chacun d’entre nous.

On reconnaît donc les « enfants de Pétain » (formule de Marc Cohen) au fait qu’ils posent les questions interdites. Evidemment, il faudrait en rire, même jaune. On peut aussi rappeler à ceux qui manient sans vergogne la comparaison historique la plus douteuse qu’il n’y a pas, en France, de lois raciales et que les seuls qui en réclament sont les partisans de la discrimination positive. On pourrait surtout les inviter à consulter un manuel d’histoire du secondaire, puis à faire quelques pas dans la rue, s’arrêter dans un kiosque à journaux, discuter avec deux ou trois commerçants, emprunter les transports en commun (si possible le RER) et finir par une douche glacée. Peut-être ce contact brutal avec le réel les ramènera-t-il, sinon à la raison, du moins à une décence minimale.[/access]

La Ce-non faite à Nadine

0

[access capability= »lire_inedits »]

[/access]

Longtemps, les enfants des environs de Rio se découvraient le chef lorsqu’il passait devant une statue, un vitrail ou quelque représentation sacrée de sainte Nadine. [access capability= »lire_inedits »]Elle était considérée comme l’exact inverse du bon roi Dagobert, puisqu’on l’honorait comme patronne des casquettes et des mots à l’endroit. Puis, le temps aidant, ils se mirent à parler verlan et à porter leur casquette à l’envers. Cela inspira à Dario Moreno sa célèbre chanson : « Si tu vas à Rio, n’oublie pas de monter là-haut. Et remets ta casquette, gare à tes rouflaquettes, j’appelle Nadine Morano ! »

Philippe de Champaigne, Sainte Nadine à sa table. Peinture de 1644, conservée à la fondation Guy-Carlier.

[/access]

Des vœux et des aveux

0
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.

Du haut de nos montagnes, nous scrutons la plaine. A l’ouest, il y a toujours du nouveau : c’est par là qu’arrivent les perturbations, les climatiques et les autres, les nouvelles venues de la capitale même quand on n’a rien demandé.

En cette période de vœux − une excellente institution qui nous permet d’exercer cette hypocrisie fort utile à la vie en société – il existe des gens qui prennent le contrepied de cette coutume en adoptant une posture où la sincérité le dispute à la transparence.

Ainsi, Lionel Jospin, qui continue de marquer Jacques Chirac à la culotte, livre ses vérités dans un livre et un film de confidences recueillies par Patrick Rotman et Pierre Favier. Ces deux œuvres vont être présentées au public dans les prochaines semaines.

[access capability= »lire_inedits »]Et déjà, le Journal du dimanche nous informe qu’enfin, et pour la première fois, Lionel Jospin confirme qu’il était bien membre de l’OCI, chapelle trotskiste alors dirigée par feu Pierre Lambert, alias Boussel, lorsqu’il a adhéré au PS au début des années 1960.

Ces aveux sont complétés par des regrets : l’ancien premier ministre n’est pas très fiérot d’avoir nié cet engagement lorsque Le Monde, le 5 juin 2001, l’avait révélé sous la signature anonyme de « Service politique ». C’était en fait un outing orchestré par deux anciens de l’OCI convertis au journalisme de référence, Laurent Mauduit et Sylvain Cypel, et mis en musique par un « ex » de la boutique concurrente, Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction. La méthode n’était pas très élégante, mais on doit lui reconnaître une certaine efficacité en matière de mise en ébullition du microcosme. Jospin avait alors prétendu, en bon connaisseur de Jean de la Fontaine, qu’il avait été confondu avec son frère Olivier.

Avec l’âge, donc, c’est le protestant qui revient en force chez Lionel pour mettre ses affaires éthiques en ordre avant de passer devant le tribunal suprême, celui de l’Histoire ou peut-être même plus haut…

Tous comptes faits, à ces aveux carrés et tristounets, on est en droit de préférer la méthode Mitterrand, qui organise subtilement les fuites dans Paris-Match sur Mazarine après avoir persécuté ceux qui, comme Jean-Edern Hallier, avaient tenté de le faire chanter en révélant le pot-aux-roses. C’est retors et romanesque à souhait, comme on aime.

On eût également préféré que ce début d’année 2009 nous offrît la description, par Roland Dumas lui-même, des coups tordus dont il fût un spécialiste éminent dans sa vie politique comme dans ses activités d’avocat.
Mais lui, c’est certain, n’avouera jamais.
[/access]

L’assimilation, une chance pour la France !

0

Le débat n’aura pas lieu, c’est entendu. Il s’est transformé en festival de postures et d’invectives. Ceux qui voulaient l’interdire ont déjà gagné une bataille : on ne s’entend plus et on n’y comprend plus rien.

Même si on est de bonne foi, cette affaire d’identité est tout sauf simple. Reste qu’elle doit avoir quelque importance pour que l’opportunité d’en parler soit elle-même l’enjeu de tels affrontements.

En attendant, puisqu’on en parle, autant essayer de savoir de quoi on parle. Comment une question apparemment banale –  »Qu’est-ce qu’être français ? » – peut-elle être si atrocement scandaleuse ? Elle appelle forcément, nous dit-on, des réponses ethniques, religieuses voire raciales. En clair, elle serait dirigée contre les musulmans, désignés à la vindicte publique par un gouvernement cynique (et stupide au point de se désintéresser de millions d’électeurs).

[access capability= »lire_inedits »]Et pourtant, il n’est pas question d’origine mais de ce que les philosophes du XVIIIe siècle appelaient les « mœurs ». Dans ce débat sur l’identité nationale, on ne parle pas de race ou de religion mais de culture. Ou plus précisément des modalités de fabrication d’une culture commune. Et le sujet mérite d’autant plus d’être abordé que nous semblons avoir égaré la recette.

Dans le concours d’épithètes insultantes qui a étouffé toute possibilité d’échange d’arguments, on peut vaguement percevoir l’écho de deux positions qui s’affrontent. À l’une des extrémités d’un spectre qui compte de multiples nuances, les partisans du métissage croient à un multiculturalisme égalitaire dans lequel toutes les cultures ont la même place dans la Cité. Conformément à sa démographie, la France devrait devenir gentiment une mosaïque de pratiques et de croyances vivant en bonne intelligence sans se menacer les unes et les autres. À mon humble avis, cela revient à croire que l’anthropologie et l’histoire des sociétés sont aussi plastiques que les frontières et, surtout, cela aboutit, au nom de l’égalité et d’un libéralisme de bon aloi, au différentialisme le plus effréné. Il n’y a qu’en matière d’idées que les amoureux de la diversité prônent l’homogénéité la plus radicale.

À l’autre bout de l’arc idéologique, les assimilationnistes pensent qu’il y a une distinction entre la culture d’accueil et celles qui sont accueillies et que, particulièrement en France, les arrivants successifs sont priés de laisser pas mal de leurs particularités à l’entrée et d’adhérer aux usages communs, bien plus que s’ils étaient allés, par exemple, frapper à la porte des Pays-Bas voisins (avant que la tolérance presque illimitée n’y suscite sa contre-réforme).

Ce ne fut pas toujours rigolo mais, à l’arrivée, faire comme les Romains à Rome s’est toujours révélé payant. Pour tous les Romains, qu’ils soient de souche ancienne ou récente. Oui, l’assimilation est une chance pour la France (que Marc Cohen soit remercié pour sa participation à cette coproduction sémantique). Et pitié, qu’on ne me fasse pas le coup des petits Bretons brimés à coup de langue française, on n’en est plus vraiment là. Du reste, la langue française, c’est tout le mal qu’on souhaite aux petits-enfants d’immigrés.

En réalité, personne ne prétend revenir au républicanisme autoritaire des fondateurs de la IIIe République. Un aimable libéralisme est passé par là, nous rendant tous, et c’est heureux, largement tolérants à la différence, et même, en théorie, à la divergence. Il ne s’agit donc pas de réprimer toute manifestation identitaire mais de savoir où l’on place le curseur.

Pour ma part, je hasarderais une formule : « Oui aux minarets, non à la burqa ! » Oui à l’inscription dans les paysages et dans l’Histoire, non à l’emprise sur les corps et les consciences. S’il faut, in fine, retenir un critère de ce qui n’est pas négociable, je suggère celui de la mixité. La présence des femmes dans l’espace public, c’est ce que nous avons inventé de mieux. C’est un droit de l’Homme.
[/access]

David Sylvian, ovni pop

0

Alliant sa voix de soul à un raffinement musical et à une élégance des textes, mariant musiques populaire et expérimentale, David Sylvian est un ovni de la pop.

En 1976, au beau milieu de la période punk, le groupe de David Sylvian (Japan), bricolé avec son frère cadet et trois autres lycéens, est repéré par Hansa Records, découvreur de Boney M. La maison de disque allemande a besoin d’un groupe local, pour pénétrer le marché britannique. Japan participe aux auditions, mais un groupe mieux looké lui souffle la première place : The Cure.

[access capability= »lire_inedits »]Hansa Records lâche The Cure après avoir écouter la maquette de Killing an Arab : « Ça ne marchera jamais ! » Le producteur investit alors sur Japan. Le groupe se cherche et glisse du glam rock de David Bowie vers la sophistication de Roxy Music, des guitares vers les synthétiseurs. Les ventes ne décollent toujours pas. Le label tente un dernier coup (y a de ces génies !)  : sortir un album de Japan au Japon ! Et il se débarrasse du groupe.

Virgin Records récupère alors Japan. La rencontre avec le public et la critique musical se fait avec le titre épuré Ghost, extrait du cinquième album, un immense succès commercial. La presse qui démolissait Japan, l’encense maintenant. Mais quand tout va bien, il faut chercher la femme. Une photographe japonaise, Yuka Fujii, qui sortait avec le bassiste, se met à flirter avec Sylvian. Japan se sépare en 1982.

David Sylvian collabore, alors, avec le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto à la bande originale du film Furyo, mettant en scène David Bowie, Takeshi Kitano et Ryuichi Sakamoto. Naît ainsi leur titre le plus connu à ce jour : Forbidden Colours. Fort de ce succès, Virgin propose un contrat à David Sylvian. En 1984, il sort son premier album solo, Brilliant Trees, empruntant l’inspiration de certains de ces morceaux aux romans de Milan Kundera, de Jean Cocteau ou de Jean-Paul Sartre. La presse est unanime. Sylvian a enfin trouvé sa voie : seul, il est excellent. Enfin, seul c’est beaucoup dire quand on voit le nombre de pointures qui contribuent à ses albums.

Sylvian est assez déstabilisant pour sa maison de disque. Un délai de six à douze ans peut s’écouler avant qu’il ne sorte un album solo ou se mette en tête de travailler sous un autre nom ou en collaboration avec d’autres musiciens. C’est pas comme ça qu’on se fait un nom auprès du public. Il vient même avec des projets d’albums instrumentaux. En 1991, quand il retrouve ses comparses de Japan, il enregistre sous le nom de Rain Tree Crow. La division marketing de Virgin devait être contente. En 2003, d’un commun accord, David Sylvian quitte la major pour créer son propre label, Samadhi Sound.

Dégagé des conventions, David Sylvian livre des albums plus personnels et radicaux. Les sorties du label ne se cantonnent pas aux projets du Britannique. Les signatures du label sont éclectiques : le compositeur américain Harold Budd, un jeune chanteur suédois Thomas Feiner, le groupe folk anglais Sweet Billy Pilgrim. Terriblement bien produits, les disques de Samadhi Sound bénéficient tous d’un évident souci du détail. Le catalogue ne peut être écouter d’un oreille distraite, il demande du temps pour être apprécié, mais offre à qui veut l’entendre une musique toute en délicatesse.

Snow Borne Sorrow [Import]

Price: 56,68 €

12 used & new available from 28,96 €

[/access]

Vichy : le mot de trop !

0
Pierre Laval
Pierre Laval

Eric Besson rendra désormais les coups. Sans doute est-il habitué à figurer, pour ses anciens camarades, le Judas idéal. Mais être comparé à Laval, ça ne passe pas ou plus. L’homme le plus détesté de France, à en croire Marianne, porte plainte contre Jean-Christophe Cambadélis et Gérard Mordillat en raison « de propos publics qu’ils ont tenus récemment, assimilant son action et celle des agents de son ministère aux heures sombres du régime de Vichy et à l’entreprise criminelle d’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale ». Le premier a expliqué à Libération que ce sarkozyste nouveau portait la marque de la nouvelle droite : « Il fait du lepénisme culturel, sinon programmatique… Pour moi, c’est Pierre Laval. Il n’a jamais été reconnu. Mais, comme il s’estime plus intelligent que les autres, il finit par démontrer qu’il peut l’être à gauche comme à droite. Sans aucun état d’âme. » Le second a qualifié le ministère de Besson de « ministère de la xénophobie ».

[access capability= »lire_inedits »]Un peu plus tard, Jean-Paul Huchon en remet une couche en déclarant que Besson est en train de devenir « un nouveau Marquet, un nouveau Déat », allusion à deux socialistes devenus ministres du maréchal Pétain.

Le ministre entend poursuivre systématiquement en justice tous propos similaires. Et c’est heureux.

Comparer une politique que l’on combat aux pires heures de notre histoire est inacceptable. La parole se décomplexe plutôt pour le pire que pour le meilleur. On peut débattre sans s’envoyer des insultes à la figure. On peut s’opposer, on peut s’affronter, on peut critiquer avec intelligence et passion, sans tenir des propos blessants, injurieux et injustifiés.

Aujourd’hui, dans la haine vouée au « traître Eric Besson », certains socialistes ont allègrement dépassé les bornes. Peut-on appeler « rafles » la chasse aux sans-papiers ? Peut-on exhumer Vichy pour dénoncer le ministère de l’identité nationale et de l’immigration ? Peut-on dénoncer la politique migratoire au prisme de Pétain ? Jusqu’où poussera-t-on ces comparaisons sans raison ?[/access]

« Je préfèrerais ne pas… »

0
Du débat sur l’identité nationale : mangez-en ! Honoré Daumier, Gargantua.
Du débat sur l’identité nationale : mangez-en ! Honoré Daumier, Gargantua.

« Qu’entendez-vous par là ? Etes-vous dans la lune ? Je veux que vous m’aidiez à collationner ces feuilles, tenez. » Et je les lui tendis.
« Je préférerais ne pas », dit-il.
Herman Melville, Bartleby le scribe

Une des créations les plus troublantes et les plus mystérieuses de la littérature est sans doute celle de Bartleby de Melville qui, on aura beau dire, est infiniment plus convaincant dans cette novela que dans l’indigeste pavé de Moby Dick. Bartleby, employé aux écritures chez un avoué de New York, oppose aux injonctions de ses collègues, de ses supérieurs, de ses contemporains et finalement du monde entier un « I would prefer not to », traduit en général assez habilement en français par « Je préfèrerais ne pas ». Cela conduira finalement cet antihéros, messie du non-vouloir, à se laisser mourir plutôt que de prendre part à quoi que ce soit de l’activité humaine.

[access capability= »lire_inedits »] »I would prefer not to », sur lequel Deleuze a écrit des pages remarquables n’est pas une opposition frontale à l’action, c’est plutôt le désir de rester à côté, à la marge. C’est une façon d’être là le moins possible, de limiter sa présence au monde et aux autres à une manière de minimum syndical existentiel. D’ailleurs, à quoi bon s’opposer, semble nous demander Bartleby. La puissance de ce que l’on doit affronter est telle, la folie tellement généralisée, la bêtise et la cruauté tellement universelles qu’il vaut mieux faire semblant la plupart du temps. Et quand, vraiment, il n’est plus possible de ne pas répondre aux convocations de l’existence, se contenter d’un « I would prefer no to. »

C’est à la silhouette maigre et voûtée de ce martyr du négatif que nous pensons fraternellement quand on nous demande notre avis sur l’identité nationale, ou plus précisément sur le débat organisé autour de l’identité nationale.
– Tu ne veux pas nous dire ce que tu en penses ?
– Je préférerais ne pas.
– Mais enfin, explique-toi ! Bartleby, ce n’est pas ton genre, tout de même. Tu as des avis sur tout, d’habitude ! L’économie de marché, la révolution bolivarienne, le vin naturel, la poésie, les paysages, la burqa, le communisme ! On te le reproche assez. Péremptoire, définitif, hyperbolique, méchant comme une teigne ! Donne ton avis, allez…
– Je préfèrerais ne pas.

En même temps, l’héroïque posture de Bartleby n’est pas tenable très longtemps. Nous n’avons pas sa sagesse acédique. Mais on sent que, si on devait prendre part à ce débat, vraiment y prendre part, on deviendrait vite désobligeant. Désobligeant au sens étymologique du terme, c’est-à-dire que nous manquerions à nos obligations, à ce que nous estimons précisément, en tant que Français, être nos obligations et qui sont assez bien définies par cet article de la Constitution de 1793, que l’on peut voir toujours imprimé sur les titres de réfugiés aujourd’hui : « Le Peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. »

Et il faut éviter d’être désobligeant dans une démocratie : il faut éviter de renvoyer les uns à on sait quelle « étrangeté » qui justifiera à peu près tout contre des parties entières de la population, et il faut éviter d’être désobligeants en transformant les promoteurs de ce débat en ministres vichystes, d’abord parce que c’est historiquement faux et ensuite parce que ce sont eux qui cherchent l’analogie, qui cherchent cette disqualification tellement énorme qu’elle se retourne contre leurs adversaires. Sans compter, évidemment, le piège linguistique et dialectique qui s’est refermé sur ceux qui ont dit publiquement, comme Martine Aubry, qu’ils n’y prendraient pas part. Ne pas y prendre part, c’est bien entendu choisir une position. Et choisir une position, c’est, même involontairement, légitimer ce débat.

Pour nous, c’est beaucoup plus simple : ce débat ne devrait tout simplement pas avoir lieu. Il y a des sujets dont une République ne discute pas sans risquer de perdre son âme.

Surtout quand ces sujets ne font pas problème en tant que tels dans la société, ou s’ils le font, ne sont tout de même pas d’une urgence primordiale dans un pays qui compte cinq millions de chômeurs, à peine moins de mal-logés et où une personne sur deux déclare que sa première crainte est de devenir sans domicile fixe. Et là, apparemment, cette peur n’a plus ni couleur, ni religion. On serait méchant, on quitterait un instant notre attitude de prudence bartlebienne, on dirait que, s’il y a identité nationale, en 2010, c’est avant tout cette certitude de vivre dans un pays qui vous laissera vous désintégrer socialement sans lever le petit doigt.

Que des universitaires, des sociologues, des historiens, des démographes tiennent des colloques sur cette jolie question de l’identité nationale, pourquoi pas, mais qu’elle devienne l’alpha et l’oméga de la vie publique française depuis des mois a quelque chose de profondément malsain pour plusieurs raisons. Pendant que des racistes soudain décomplexés ne vont pas hésiter à donner leurs « contributions » sur des sites officiels au point que ceux-ci sont obligés de les censurer, on oublie tranquillement la crise économique, comme si le politique avait décidé à tout prix de cacher son impuissance manifeste dans ce domaine en faisant rouler ses muscles sur une question, l’identité nationale, qui n’est évidemment pas de son ressort.

L’immigration, par exemple, est de la compétence du politique. Décider qui vient ou ne vient pas, si c’est une chance ou une menace, s’il faut des quotas, si l’assimilation est préférable à l’intégration, si l’islam est soluble, et selon quelles modalités, dans la laïcité : là, d’accord, il y a un débat possible, voire utile. Mais rien n’est pire que de vouloir faire passer ce sujet en contrebande, presque honteusement, derrière un autre, de les confondre, surtout en période préélectorale quand on s’aperçoit que la partie n’est pas trop bien engagée pour son camp.

Un débat public, c’est comme une guerre. Il est toujours préférable de savoir pourquoi on la mène et quels sont ses buts exacts avant de l’entamer. Sinon, c’est l’Afghanistan. Et entre une tribune présidentielle auto-justificatrice dans un quotidien du soir et la récupération de la votation suisse sur les minarets, il y a par les temps qui courent comme un sale parfum d’Afghanistan idéologique dans notre République.

Alors, encore une fois, le débat sur l’identité nationale, I would prefer not to.[/access]

Islamisme, antiracisme, même combat ?

0
Néron assistant au supplice d’une martyre chrétienne.
Néron assistant au supplice d’une martyre chrétienne.

Finkielkraut, Camus, Zemmour, Sarkozy, Hortefeux, Valls, Chirac, Frêche, Morano… et j’en passe. Il y a quelque chose de lassant, mais aussi de délirant qui interpelle dans ces explosions médiatiques et métronomiques, dont on ne sait si elles sont motivées par la jubilation de voir un puissant ou supposé tel trébucher ou par une colère sincère. Les deux, mon chef de meute, répondraient les indignés, s’ils savaient faire preuve parfois d’honnêteté intellectuelle. On se souvient de la remarque de Baudrillard sur le racisme, selon laquelle l’association SOS Racisme semble avoir formé son nom sur le modèle de celle qui défend les baleines. Donc SOS Racisme = SOS Baleines : il y a chez les antiracistes la volonté inconsciente de sauver le racisme comme objet idéal d’opposition. On ne sera jamais assez antiraciste. C’est pour cela que la consommation médiatique de « racistes » n’a jamais été si importante qu’aux temps de la criminalisation du racisme. Comment qualifier autrement que de ferveur religieuse cette volonté forcenée de rejeter dans les ténèbres extérieures ceux qui, à la faveur d’une simple phrase maladroite ou même parfois à la faveur de rien du tout, et alors même qu’en général ils ne cessent de réaffirmer leur stricte adhésion au dogme antiraciste, sont offerts soudainement et malgré eux en holocauste afin d’apaiser la fureur sacrée de ce Moloch moderne qu’est l’antiracisme. Personne, en France, aujourd’hui, parmi les sphères dirigeantes ou même seulement influentes, ne s’affirme ouvertement raciste, et pourtant la meute médiatique ne cesse de dénicher des racistes cachés, tels les antiques marranes, un peu partout aux quatre coins de l’Hexagone qui compte, à coups de vidéos volées et de petites phrases qui dérapent.

[access capability= »lire_inedits »]Durkheim, lorsqu’il identifiait le religieux et le social, soulignait que le crime était nécessaire à la société pour s’éprouver en tant que groupement humain partageant des valeurs communes. Lorsque le criminel ou supposé tel heurte les valeurs propres à une communauté, celle-ci réaffirme son existence en tant que communauté à travers la condamnation et le châtiment du coupable. Plus encore que les procédures judiciaires toujours compliquées à mettre en œuvre et trop soucieuses du droit des accusés, le lynchage médiatique est aujourd’hui une institution pénale sui generis qui se charge du rôle éminemment social de châtier les coupables. Grâce à elle, on ne s’embarrasse plus de fioritures juridiques et on va droit à l’essentiel. Taïaut ! Taïaut !

Heureusement, le lynchage médiatique ne tue pas. C’est même sans doute pour cela qu’il a pu être érigé en culte central de la religion antiraciste puisque, on le sait depuis René Girard, les religions établies sur le culte des sacrifices sanglants n’ont pas survécu à l’avènement du christianisme. Car l’antiracisme est bien une religion, ou plutôt une secte qui a réussi et qui trouve que les hérétiques sont toujours trop nombreux, beaucoup trop nombreux. Les hérétiques, quand il y en a un, ça va, c’est quand… Vous connaissez l’antienne.

Ainsi la France, surtout dans sa partie « souchienne », et malgré le réchauffement de la planète, est « frileuse », c’est-à-dire au fond du fond de son moi refoulé, raciste et « islamophobe » − le dernier-né des vocables créés par l’inventive démonologie du clergé de l’antiracisme, avec l’aide, faut-il le rappeler, d’un autre clergé, beaucoup moins métaphorique celui-là, je veux parler bien sûr du clergé chiite iranien − parce qu’elle n’accepte pas assez vite et avec assez d’enthousiasme l’islamisation d’une partie de sa population (outre les Français immigrés et enfants d’immigrés originellement musulmans, on parle de 60 000 convertis parmi les « souchiens »), et la transformation de ses paysages urbains par la construction de nombreuses mosquées (200 actuellement, selon des sources impeccables comme Le Monde). 60 000 convertis, 200 mosquées en construction, souvent grâce à des subventions publiques, ce n’est pas si mal quand même pour un pays dans lequel l’islamophobie ne cesse, paraît-il, de faire des progrès. En tant que « souchien », on a parfois l’impression de faire partie d’un troupeau houspillé sans relâche par les pasteurs du culte antiraciste pour gagner au plus vite le paradis enchanté de l’étable multiculturelle, diverse et/ou métissée, on ne sait plus trop. Allez, au trot, Blanchette, et on arrête de regarder en arrière !

Pendant ce temps-là, en Irak, l’épuration ethnique et religieuse s’accélère. Des bombes sont posées dans les églises, des femmes chrétiennes sont violées, des fidèles assassinés. En quelques années, le nombre de chrétiens a été divisé par trois dans cette vieille terre chrétienne, passant d’un million à moins de 400 000 personnes. Ces dernières semaines, une ville entière, c’est-à-dire 6 000 personnes, a été vidée de ses habitants à la suite de plusieurs attentats qui ont fait souffler un vent de panique parmi la population chrétienne. On est loin des graffitis, parfaitement idiots et répréhensibles, faut-il le préciser, de Castres ou de Toul.

Pendant ce temps-là, en Egypte, des lieux de culte, parfois des monastères parmi les plus anciens du monde chrétien, sont attaqués à l’arme lourde par des islamistes lors de heurts que la presse occidentale présente comme des « affrontements interreligieux ». Des femmes chrétiennes sont enlevées, converties de force et mariées à des musulmans, dans l’indifférence de tous, policiers compris.

Pendant ce temps-là, le Pakistan, soutenu à bout de bras par les deux superpuissances que sont la Chine et les Etats-Unis, parque ses trois millions de chrétiens dans des ghettos insalubres dans lesquels ils exercent les métiers dont personne ne veut dans ce « pays des purs ». Fin 2008, à Islamabad, un mur hérissé de tessons de bouteille a été construit autour de la « colonie française », le nom d’un ghetto où vivent 5 000 chrétiens sans eau courante, électricité ou ramassage d’ordures, pour isoler les bons Pakistanais musulmans des chrétiens accusés, dans ce pays, de tous les maux : ignorance, superstition, prostitution, alcoolisme, trafic de drogue. De temps en temps, une foule en furie se charge de faire appliquer, de façon assez expéditive, les lois anti-blasphème du coin, en lynchant quelques chrétiens. La dernière fois, c’était donc au mois d’août 2009, lorsque des chrétiens de Gojra ont été tués au cours d’une émeute provoquée par des rumeurs (infondées) de profanation du Coran. Les conséquences de l’exercice de la démocratie directe au Pakistan sont un peu plus sévères, avouons-le, que ce que l’on connaît chez nos amis suisses.

Selon une association proche du Vatican, les trois quart des persécutions religieuses dans le monde touchent aujourd’hui des chrétiens. Et si elles ne sont pas limitées aux pays musulmans, c’est bien en « terre d’islam », sur de très antiques terres chrétiennes, telles l’Egypte et l’Irak, qu’elles ont pris le plus d’ampleur.

Il n’est pas question ici de défendre une quelconque réciprocité dans le traitement des minorités religieuses, ici et là-bas. Quel cinglé pourrait envisager une chose pareille ? J’ai entendu, au cours d’un débat qui l’opposait à un « théologien musulman » égyptien, Oskar Freysinger, le député suisse à l’origine de la votation sur les minarets, se réclamer d’une politique du chacun chez soi qui fait froid dans le dos. Vous faites ce que voulez avec vos chrétiens d’Orient, disait-il en substance à son interlocuteur, et nous faisons ce que nous voulons avec nos musulmans. Ce qui revient à une démission complète du projet de tolérance religieuse que l’on défend en France et plus largement en Europe depuis quelques siècles. Raison pour laquelle il faut s’indigner du sort des chrétiens en terre d’islam. Et si possible agir. Comment ? Si vous avez une idée, je suis preneur.

Cette indifférence au sort de minorités qui courent de bien plus grands dangers que les nôtres, Freysinger la partage avec tous les antiracistes si prompts à stigmatiser le racisme occidental et l’islamophobie qui monte. Alors, je leur demande : où sont-ils quand on massacre les chrétiens d’Orient ?

J’en viens à me demander s’il n’existe pas une alliance objective, ou même une identité profonde, entre l’antiracisme qui triomphe ici et l’islamisme qui sévit là-bas. René Girard, en conclusion de son dernier ouvrage, se demandait si l’islam n’avait pas « pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque [c’est-à-dire sacrificielle, selon la terminologie girardienne] plus puissante que toutes les autres », et plus puissante peut-être que le christianisme lui-même, suis-je tenté d’ajouter les jours de déprime. L’islamisme nous prouve aujourd’hui que l’archaïque avait des ressources cachées. Avec l’antiracisme lyncheur, nous avons nous-mêmes recréé une religion archaïque fondée sur une idée chrétienne devenue folle : celle de l’unité du genre humain.

Assisterions-nous à une régression sacrificielle de l’humanité, ici sous la forme tragi-comique du lynchage médiatique antiraciste, là-bas sous la forme cauchemardesque de l’attentat de masse et de la purification religieuse, sous l’effet de l’affaissement spirituel de l’Occident et de la disparition de son magistère moral dans le reste du monde ? C’est la question que je me pose. Tant qu’on a le droit de la poser.[/access]

Vox populi, vox diaboli

0

« Boîte de Pandore », « déversoir à fantasmes racistes et xénophobes », « cadeau de Noël pour Marine Le Pen » : tels sont les commentaires en forme de condamnation sans appel de l’initiative d’Eric Besson d’ouvrir le site de son ministère aux contributions du peuple, à l’occasion du « grand débat sur l’identité nationale ». Le seul fait d’y apporter sa contribution équivaudrait, selon les censeurs autoproclamés, à cautionner les immondices verbales déversées à cette occasion par la racaille raciste sur la scène publique avec la caution de l’Etat.

Ce débat, lancé par Sarkozy et son nouveau féal Besson, n’est certes pas exempt de pollution électoraliste, et il eût été plus convenable de l’organiser au deuxième semestre 2010, après les élections régionales et avant que la machine de l’élection présidentielle de 2012 ne commence à chauffer.

[access capability= »lire_inedits »]Mais même dans cette hypothèse, on peut être certain qu’aurait tout pareillement surgi cette parole raciste et xénophobe : les sentiments qui la sous-tendent existent dans l’esprit de nombre de nos concitoyens, il n’y a donc pas de raison qu’ils restent limités aux propos de comptoir, si l’on veut bien y prêter l’oreille. Ce n’est pas de la théorie élaborée, fondées sur des discours pseudo-scientifiques et sur une idéologie suprématiste comme celle qui s’est développée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le racisme d’aujourd’hui n’est ni savant, ni littéraire : il est populaire, brut de décoffrage et ne se réclame que de l’expérience de celui qui s’en fait le porte-parole.

Le pari de Sarkozy et de Besson, c’est qu’on ne lutte pas contre ce type de racisme et de xénophobie en faisant taire et en stigmatisant ceux qui l’expriment. Guaino, un homme curieux de tout, a sans doute étudié Mao Zedong, et s’est souvenu de cette campagne lancée par le Grand Timonier en 1956, intitulée « Que cent fleurs s’épanouissent ». On trouvera dans les ouvrages indispensables de Simon Leys et de Jon Halliday et Jung Chang[1. Jung Chang, Jon Halliday, Mao. L’histoire inconnue, Gallimard. Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao, Champ Libre.] la description détaillée de cet épisode de la geste maoïste.

Cette campagne faisait suite au catastrophique  » Grand bond en avant » qui avait lamentablement échoué sur le plan économique et provoqué des famines meurtrières à travers tout le pays. Le Grand Leader invitait alors toutes les forces vives de la Chine à exprimer leurs critiques et leurs propositions pour améliorer les choses, un débat dont le Parti communiste ferait, promettait-il, le meilleur usage. Les intellectuels, économistes ou ingénieurs insatisfaits sortirent alors du silence imposé par l’appareil totalitaire pour dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Quelques mois plus tard, un changement de ligne à 180 degrés mettait fin aux « Cent fleurs », et ceux qui avaient imprudemment ouvert la bouche furent victimes d’une impitoyable épuration « antidroitière » dont les morts se comptent par centaines de milliers.

La France de 2009 ne se trouve pas, fort heureusement, dans la situation économique et politique de la Chine de 1956. Il ne s’agit pas de faire sortir les racistes du bois pour les zigouiller ou les mettre au trou. Plus modestement, les responsables actuels cherchent un moyen de remettre en marche la machine à intégrer − et, n’ayons pas peur du mot, à assimiler − que fut la France des trois Républiques successives. Notons au passage que cette assimilation fut globalement un succès, malgré la persistance dans une partie de la population de sentiments hostiles aux populations qu’elle concernait. Faire émerger l’ampleur de ce refus de l’étranger, en étudier les ressorts n’est pas immoral en soi : il permet de combler une lacune que les idéologues des sciences humaines qui dominent cette discipline depuis quatre décennies ont sciemment laissé béante. Et pourquoi pas, son analyse par les experts pourrait contribuer à trouver des moyens de lutter plus efficacement contre les préjugés et les discriminations. Mao n’était pas un monstre lorsqu’il invitait les gens à s’exprimer. Il le devint quand il transforma ce vent de liberté en piège mortel.

Comment naît un fantasme raciste et xénophobe ? J’ai assisté tout récemment, en direct, dans le petit coin de France où je demeure, à un phénomène de ce genre dont je me contenterai de faire la description, laissant au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions.

Un patron de PME de la micromécanique, industrie phare de ma région alpine, emploie depuis plus de vingt-cinq ans un ouvrier algérien, à la satisfaction réciproque des deux parties, semble-t-il. Peu avant Noël, l’ouvrier vient voir le patron, en lui annonçant qu’il va devoir subir une opération chirurgicale qui le tiendra éloigné quelques semaines de l’entreprise. Le patron lui souhaite bonne chance, s’enquiert de l’hôpital où l’intervention doit avoir lieu, et lui manifeste sa reconnaissance d’avoir choisi une période creuse dans l’activité de l’usine pour aller se faire soigner. Quelques jours plus tard, le patron se dit qu’il serait sympathique de rendre une petite visite à son ouvrier qui va passer les fêtes, même si ce ne sont pas les siennes, dans un lit d’hôpital. « Mr X….. ? Chambre 26 », lui indique-t-on à la réception. Une minute plus tard, le visiteur se trouve, dans la chambre 26, face à un inconnu d’origine maghrébine. Ce qui s’est passé, on le devine aisément : l’ouvrier à « prêté » sa Carte vitale à un membre de sa famille venu du bled pour lui permettre de recevoir les soins que la République algérienne démocratique et populaire est incapable de lui fournir. Le patron est choqué. Tenant compte des bons et loyaux services de l’ouvrier, il ne le dénonce pas aux autorités, ni ne le licencie, mais raconte cette histoire à ses collègues patrons, qui la racontent ensuite à leur personnel. Tout ce petit monde est aujourd’hui persuadé que « les immigrés » escroquent en masse la Sécurité sociale et sont la cause première du trou abyssal de cette dernière.

Dans cette histoire, qui sont les bons ? Qui sont les mauvais ? J’envie ceux qui portent leurs certitudes à ce sujet en bandoulière morale et pétitionnaire. Ils me font penser à Mao.[/access]

Taisez-vous, les Français !

0

Le dramaturge Edwy Plenel nous avait prévenus : le débat sur l’identité nationale sera une boîte de Pandore d’où sortiront des serpents. Pour le moment, personne n’a encore été mordu et les déclarations qui lèvent des tabous ou les dérapages qui rassurent les majorités silencieuses et scandalisent les bien-pensants posent la question de notre identité commune de façon bien prudente et bien délicate.

Pourtant, c’est encore trop. Le simple fait de s’interroger dans un débat national sur ce que c’est, aujourd’hui, qu’être Français serait en soi, et avant même que soit apportée la moindre réponse, une initiative stigmatisante et excluante. Sommes-nous prêts à heurter des susceptibilités pour discuter ensemble de ce que nous voulons rester ou devenir ?

[access capability= »lire_inedits »]Nous sommes tous composés d’identités multiples, nous avons tous des appartenances religieuses ou pas, des convictions politiques plutôt nationalistes ou internationalistes, nous avons tous une ethnie, une couleur, une histoire particulière qui plonge nos racines ici ou ailleurs. Toutes ces questions, intéressantes par ailleurs, sont en l’occurrence hors-sujet et ne sont pas de nature à déterminer si untel est plus Français que son prochain. Je me fous de la race de mon voisin comme de ses croyances, je veux savoir sur quel consensus nous pouvons vivre ensemble et si je veux le savoir, si la question a besoin d’être posée, c’est que la réponse ne va pas de soi. Il me semble que c’est cela qui a changé.

Les Français d’hier qui ont reçu des vagues successives d’immigrés n’ont pas eu besoin de pratiquer les accommodements et les apaisements qui semblent nécessaires aujourd’hui. L’exigence d’intégration était la règle non négociable. Après une ou deux générations à se faire traiter de « Polaks », de « Ritals » ou de « youpins » dans les cours de récréation, les nouveaux venus devenaient docteurs en médecine et bien Français.

Aujourd’hui, une hospitalité mal comprise, le respect des différences poussé un peu loin et on dirait que le mot « français » est devenu pour certains synonyme de couille molle. Puisse ce débat être l’occasion de redresser les opinions !

Les jeunes Français noirs et arabes qui « niquent la France » viennent de cultures où l’insulte faite à votre identité ne reste pas impunie. Essayez donc de niquer le Prophète à la Courneuve ou à Alger, vous allez voir ! Nous avons un peu trop fait semblant de ne pas entendre, nous les avons un peu trop excusés parce qu’ils sont pauvres. Nos lâchetés ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Nous pouvons profiter de ce débat pour leur faire savoir qu’être Français, ce n’est pas cela, c’est une identité qui se défend. C’est le plus sûr moyen de leur montrer qu’être Français, c’est respectable, et ainsi remonter dans leur estime.

Quand Hortefeux laisse entendre que « Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » (je préfère croire qu’il parle des Arabes, car s’il parle des Auvergnats, il est à côté de la plaque et ne sert à rien), tout le monde saisit la pertinence de la remarque, même les antiracistes effarouchés, j’en suis sûr.

C’est une évidence que certains ne veulent pas voir mais si, dans un immeuble, un quartier ou une ville, les immigrés africains deviennent majoritaires trop vite, ils ne deviendront pas Français mais vivront dans une enclave tiers-mondiste au cœur de la nation, et les attestations administratives n’y pourront rien à moins de considérer que l’identité française relève d’un coup de tampon.

Quand, à Evry, on s’inquiète qu’il y ait aujourd’hui plus de Noirs que de Blancs ,mais avec des pincettes (ce qui prouve que nous sommes des gens délicats, car si l’inverse se produisait sur n’importe quelle terre historiquement noire, nous y verrions des émeutes sur l’air de « C’est Patayo ! », mais passons là-dessus), sommes-nous racistes ?

Pas nécessairement. Parce qu’une majorité noire dans une ville française en quelques années ne change pas seulement son faciès mais sa culture. Or, la culture africaine et ses pratiques, avec les résultats que l’on connaît là où elle est dominante, c’est-à-dire en Afrique, nous n’en voulons pas. La corruption généralisée, l’appartenance clanique, ethnique ou tribale qui interdit tout sentiment national, la soumission à la force qui l’emporte sur le respect de la loi, tout cela n’est plus français depuis que nous ne sommes plus gaulois. Ces progrès accomplis par deux mille ans de civilisation et notre volonté d’en préserver les acquis font partie de notre identité nationale.

La France a su être multiraciale en gardant ses particularismes, ses usages, sa culture ; et les Français ne sont pas racistes, mais la France multiculturelle en promotion depuis quelque temps fait naître des inquiétudes dans la population. Lorsque la laïcité, la liberté et l’égalité des femmes, la sécurité des homosexuels ou des juifs, le droit au blasphème sont remis en cause, nous pouvons refuser ces signes d’une régression de notre mode de vie et affirmer que ces pratiques sont contraires à l’identité française.

Et si en cela nous stigmatisons, eh bien tant pis, stigmatisons ! Et que chaque individu se détermine sur ces exigences claires, quelle que soit sa couleur ou sa religion. Après tout, personne n’est obligé de devenir ou de rester français. Certains ne se sentiront pas visés : qu’ils continuent à faire des nems et des ingénieurs en informatique. D’autres le prendront pour eux : ils sont libres, le continent est immense et plein de ressources.

Nous acceptons tout le monde, mais pas n’importe qui ![/access]

Le débat interdit

0

Vous avez des réponses ? Dommage, parce qu’il n’y a pas de question. La France entière s’est emparée du débat sur l’identité nationale. Pas dans les préfectures et autres salles des fêtes. Dans les bistrots, les dîners en ville et les rédactions, à l’Assemblée et sur les marchés. On ne parle que de ça. Et tout ce qui compte dans la République des Lettres ou presque y est allé d’un couplet ou d’une signature.

Si tout le monde a une réponse, il doit bien y avoir une question. Que nenni. Voilà des semaines que nos directeurs de conscience se relaient sur les ondes et dans les colonnes de la presse imprimée et électronique, répétant, comme pour conjurer le sort : le débat n’aura pas lieu. Et plus il a lieu, plus ils lui intiment de cesser, comme le petit bonhomme de Sempé qui donne des ordres à l’océan. C’est à croire que ces gens-là détestent les questions.

[access capability= »lire_inedits »]Dans cette cohorte d’agents de la pensée convenable, on ne s’en étonnera pas, le camarade Edwy Plenel est le plus rigolo. Involontairement, car l’humour n’est pas le fort du confrère. Son « appel à ne pas débattre ». Une pétition contre le débat, Muray aurait adoré.

La façon dont Plenel vend sa came est une démonstration. J’ai tous les gens qui comptent, nous dit-il. Tout le monde du savoir, toute l’intelligence. Même des gens de droite. Et même (sic) des amis de Carla Bruni. « De Dominique de Villepin à Olivier Besancenot, de Martine Aubry à Daniel Cohn-Bendit, de Marie NDiaye à Patrick Chamoiseau, de Claude Lanzmann à Tahar Ben Jelloun », annonce le site. Et de fait, il y a du beau linge parmi les 35 000 signataires qui jurent qu’ils ne débattront que par la force des baïonnettes. Un paquet de bons esprits de gauche, un peu de people concerné genre Guy Bedos (aucune trace de Marion Cotillard), des penseurs de petit, moyen et très haut vol, bref le cocktail paillette-intello qui vous signe une vraie pétition parisienne.

Et que nous disent ces gens qui comptent ? Qu’ils adorent le débat mais pas celui-là. Que cette question-là ne leur plaît pas, parce qu’elle est posée par la mauvaise personne, dans les mauvais termes et surtout, que certains lui donnent de très mauvaises réponses. Que ça dérape. Intéressant, ce verbe, déraper. Hors de quel chemin tracé à l’avance ? Par rapport à quelle parole préétablie et décrétée acceptable ? En somme, ces représentants de l’esprit et du savoir acceptent qu’on pose des questions à condition de fournir les réponses.

Il est donc fort important que personne n’entende ce que disent les gens qui ne comptent pas, à commencer par les 53 % d’électeurs suisses qui ont voté contre de nouveaux minarets sur lesquels se sont immédiatement déversés les fleuves d’indignation et pelletées de noms d’oiseaux normalement réservés aux lepénistes, crypto-lepénistes, para-lepénistes et futurs lepénistes. Personne, à part Gil Mihaely qui me fait cette judicieuse remarque, n’a observé que, dans la votation helvète, la majorité silencieuse s’est comportée comme une minorité menacée. Cette majorité menacée a peur d’assister à la disparition du monde qu’elle connaît – et peut-être est-ce le cas. Elle résiste au changement en essayant de protéger ses paysages qui seront peut-être le dernier refuge des identités humaines : on aura beau supprimer les frontières, la vie ne sera pas la même dans la steppe que dans la toundra. Peut-être est-ce dérisoire au regard de l’Histoire. Mais cela n’a rien d’infâmant.

C’est dans cette population dite « de souche » (ce qui signifie qu’elle est d’immigration plus ancienne que la population dite « issue de ») que se recrutent les dérapeurs qualifiés de racistes par le langage commun et le tribunal médiatique. À travers un exemple banal, Luc Rosenzweig montre comment le « dérapage » arrive. Emmanuel Todd a pourtant raison quand il dit que « le tempérament égalitaire des Français fait qu’ils n’en ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique ou religieuse ». Si on excepte quelques groupuscules se réclamant d’un mythique Occident blanc, la plupart des gens pensent qu’être français n’a rien à voir avec le fait d’être blanc, noir, arabe, juif ou musulman. En revanche, s’agissant de pratiques culturelles et de comportements collectifs, ils pensent avoir leur mot à dire sur ce qui est tolérable et sur ce qui ne l’est pas (voir l’éditorial). Comme l’écrit Cyril Bennasar, « on accepte tout le monde mais pas n’importe qui ».

Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi, blague suisse à part, le débat s’est focalisé sur l’islam, ce que, bizarrement, personne n’avait anticipé. C’est que l’objet de la discussion n’est pas l’islam comme croyance mais comme ciment communautaire, code social et, parfois, étendard de la détestation de la France. Peu chaut à la grande majorité des Français que leurs concitoyens aillent à la synagogue, à la mosquée ou au sauna. Mais n’en déplaise aux pétitionnaires au grand cœur, nos villes et nos campagnes sont encore peuplées d’êtres primitifs qui n’aiment pas qu’on siffle la Marseillaise, se sentent insultés quand on dit « Nique la France » et aiment que les femmes s’habillent comme des femmes. Ajoutons, au risque de nous répéter, qu’il faut avoir des rapports très lointains avec la logique pour proclamer dans le même élan que l’islam est devenu la deuxième religion de France et qu’il est criminel de se demander si cela a ou doit changer le pacte républicain.

Il serait absurde ou criminel de faire comme si on n’entendait rien de déplaisant dans ce déballage de linge sale en famille. Et si on postule que « les gens » disent à peu près ce qu’ils pensent, ce n’est pas très étonnant. Peut-on croire que dans nos têtes, la pensée correcte aurait éliminé toute noirceur, tout sentiment mauvais, injuste, réducteur, destructeur ? La « parole libérée », ça plaisait quand c’était pour beugler « CRS-SS ! » ou draguer à corps ouvert. Quand on se pose des questions sans réponses du genre « Qui suis-je ? Où vais-je ? », ça plombe tout de suite l’ambiance. Dans le monde des bisounours dont rêvent ceux qui vont par les chemins en clamant « Taisez-vous ! », la parole est innocente parce que la pensée est pure. On aime l’autre 24/24 et dans tous ses aspects. Remarquez que, quand ils sont confrontés à un autre concret qui récuse ce qu’ils disent, nos amoureux du genre humain ont vite la bave aux lèvres. Mais jamais ils ne répondent par l’argumentation à ceux avec qui ils sont en désaccord.

Donc, on discute de l’islam de France ou, plus précisément, de certaines de ses manifestations qui ne sont pas religieuses mais identitaires et, par ailleurs, bruyantes mais minoritaires. Seulement, il déplaît à nos bons esprits qu’on parle de l’islam autrement que pour en célébrer les vertus civilisatrices. Et c’est là que le débat dérape mais pas de la façon dont on nous dit qu’il dérape. Quand un sujet de conversation leur déplaît, les curés antiracistes évoqués par Florentin Piffard ne se contentent pas, comme Jérôme Leroy, de refuser d’y prendre part. Ils prétendent l’interdire et brandissent l’arme fatale contre ceux qui entendent la poursuivre : Vichy, et plus si affinités.

Nous y sommes. Les années 1940 sont de retour et, avec elle, un monde merveilleux réduit à la guerre de l’humanité contre ses ennemis, à l’affrontement entre résistants et collabos. Et comme il suffit de dénoncer les collabos pour être admis dans l’équipe des résistants, c’est sans risque et gratifiant. Qui d’entre nous, adolescent, ne s’est rêvé en héros de l’armée des ombres, mourant sous la torture sans avoir parlé ? Dans cette affaire d’identité nationale, vous signez et vous êtes Jean Moulin.

Leo Strauss parlait de reductio ad hitlerum. Accommodé à la sauce franchouillarde, cela donne la reductio ad petainum. Le numéro spécial de Mediapart consacré à ce débat immonde (dans lequel on peut d’ailleurs lire d’intéressantes réponses à la question qu’il ne fallait pas poser), s’ouvre avec l’affirmation suivante : « Pour la première fois, s’énonce, au sommet de la République, l’idéologie de la droite extrême, celle qui fut au pouvoir avec Philippe Pétain sous Vichy, cette droite à la fois maurrassienne, orléaniste et élitiste qui n’a jamais admis la démocratie libérale. » On respire : la droite chiraco-villepiniste qui est, elle, égalitaire et progressiste, échappe à ce jeu de massacre.

À la suite de Cambadélis qu’épingle Odile Cohen (, ils sont pas mal à se lâcher sur ce registre. Besson, c’est Laval, « béat devant Jospin, Déat devant Sarkozy », selon Jean-François Kahn, vraiment très mal inspiré. Vous l’avez compris, dans ce casting, Sarko, c’est Pétain. Et les musulmans d’aujourd’hui sont les juifs d’hier – j’ai malheureusement oublié qui a écrit que l’étoile verte était en train de succéder à l’étoile jaune, à qui le tour messieurs-dames ? Quant à Hitler, sans doute se planque-t-il en chacun d’entre nous.

On reconnaît donc les « enfants de Pétain » (formule de Marc Cohen) au fait qu’ils posent les questions interdites. Evidemment, il faudrait en rire, même jaune. On peut aussi rappeler à ceux qui manient sans vergogne la comparaison historique la plus douteuse qu’il n’y a pas, en France, de lois raciales et que les seuls qui en réclament sont les partisans de la discrimination positive. On pourrait surtout les inviter à consulter un manuel d’histoire du secondaire, puis à faire quelques pas dans la rue, s’arrêter dans un kiosque à journaux, discuter avec deux ou trois commerçants, emprunter les transports en commun (si possible le RER) et finir par une douche glacée. Peut-être ce contact brutal avec le réel les ramènera-t-il, sinon à la raison, du moins à une décence minimale.[/access]

La Ce-non faite à Nadine

0

[access capability= »lire_inedits »]

[/access]

Longtemps, les enfants des environs de Rio se découvraient le chef lorsqu’il passait devant une statue, un vitrail ou quelque représentation sacrée de sainte Nadine. [access capability= »lire_inedits »]Elle était considérée comme l’exact inverse du bon roi Dagobert, puisqu’on l’honorait comme patronne des casquettes et des mots à l’endroit. Puis, le temps aidant, ils se mirent à parler verlan et à porter leur casquette à l’envers. Cela inspira à Dario Moreno sa célèbre chanson : « Si tu vas à Rio, n’oublie pas de monter là-haut. Et remets ta casquette, gare à tes rouflaquettes, j’appelle Nadine Morano ! »

Philippe de Champaigne, Sainte Nadine à sa table. Peinture de 1644, conservée à la fondation Guy-Carlier.

[/access]

Des vœux et des aveux

0
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.

Du haut de nos montagnes, nous scrutons la plaine. A l’ouest, il y a toujours du nouveau : c’est par là qu’arrivent les perturbations, les climatiques et les autres, les nouvelles venues de la capitale même quand on n’a rien demandé.

En cette période de vœux − une excellente institution qui nous permet d’exercer cette hypocrisie fort utile à la vie en société – il existe des gens qui prennent le contrepied de cette coutume en adoptant une posture où la sincérité le dispute à la transparence.

Ainsi, Lionel Jospin, qui continue de marquer Jacques Chirac à la culotte, livre ses vérités dans un livre et un film de confidences recueillies par Patrick Rotman et Pierre Favier. Ces deux œuvres vont être présentées au public dans les prochaines semaines.

[access capability= »lire_inedits »]Et déjà, le Journal du dimanche nous informe qu’enfin, et pour la première fois, Lionel Jospin confirme qu’il était bien membre de l’OCI, chapelle trotskiste alors dirigée par feu Pierre Lambert, alias Boussel, lorsqu’il a adhéré au PS au début des années 1960.

Ces aveux sont complétés par des regrets : l’ancien premier ministre n’est pas très fiérot d’avoir nié cet engagement lorsque Le Monde, le 5 juin 2001, l’avait révélé sous la signature anonyme de « Service politique ». C’était en fait un outing orchestré par deux anciens de l’OCI convertis au journalisme de référence, Laurent Mauduit et Sylvain Cypel, et mis en musique par un « ex » de la boutique concurrente, Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction. La méthode n’était pas très élégante, mais on doit lui reconnaître une certaine efficacité en matière de mise en ébullition du microcosme. Jospin avait alors prétendu, en bon connaisseur de Jean de la Fontaine, qu’il avait été confondu avec son frère Olivier.

Avec l’âge, donc, c’est le protestant qui revient en force chez Lionel pour mettre ses affaires éthiques en ordre avant de passer devant le tribunal suprême, celui de l’Histoire ou peut-être même plus haut…

Tous comptes faits, à ces aveux carrés et tristounets, on est en droit de préférer la méthode Mitterrand, qui organise subtilement les fuites dans Paris-Match sur Mazarine après avoir persécuté ceux qui, comme Jean-Edern Hallier, avaient tenté de le faire chanter en révélant le pot-aux-roses. C’est retors et romanesque à souhait, comme on aime.

On eût également préféré que ce début d’année 2009 nous offrît la description, par Roland Dumas lui-même, des coups tordus dont il fût un spécialiste éminent dans sa vie politique comme dans ses activités d’avocat.
Mais lui, c’est certain, n’avouera jamais.
[/access]

L’assimilation, une chance pour la France !

0

Le débat n’aura pas lieu, c’est entendu. Il s’est transformé en festival de postures et d’invectives. Ceux qui voulaient l’interdire ont déjà gagné une bataille : on ne s’entend plus et on n’y comprend plus rien.

Même si on est de bonne foi, cette affaire d’identité est tout sauf simple. Reste qu’elle doit avoir quelque importance pour que l’opportunité d’en parler soit elle-même l’enjeu de tels affrontements.

En attendant, puisqu’on en parle, autant essayer de savoir de quoi on parle. Comment une question apparemment banale –  »Qu’est-ce qu’être français ? » – peut-elle être si atrocement scandaleuse ? Elle appelle forcément, nous dit-on, des réponses ethniques, religieuses voire raciales. En clair, elle serait dirigée contre les musulmans, désignés à la vindicte publique par un gouvernement cynique (et stupide au point de se désintéresser de millions d’électeurs).

[access capability= »lire_inedits »]Et pourtant, il n’est pas question d’origine mais de ce que les philosophes du XVIIIe siècle appelaient les « mœurs ». Dans ce débat sur l’identité nationale, on ne parle pas de race ou de religion mais de culture. Ou plus précisément des modalités de fabrication d’une culture commune. Et le sujet mérite d’autant plus d’être abordé que nous semblons avoir égaré la recette.

Dans le concours d’épithètes insultantes qui a étouffé toute possibilité d’échange d’arguments, on peut vaguement percevoir l’écho de deux positions qui s’affrontent. À l’une des extrémités d’un spectre qui compte de multiples nuances, les partisans du métissage croient à un multiculturalisme égalitaire dans lequel toutes les cultures ont la même place dans la Cité. Conformément à sa démographie, la France devrait devenir gentiment une mosaïque de pratiques et de croyances vivant en bonne intelligence sans se menacer les unes et les autres. À mon humble avis, cela revient à croire que l’anthropologie et l’histoire des sociétés sont aussi plastiques que les frontières et, surtout, cela aboutit, au nom de l’égalité et d’un libéralisme de bon aloi, au différentialisme le plus effréné. Il n’y a qu’en matière d’idées que les amoureux de la diversité prônent l’homogénéité la plus radicale.

À l’autre bout de l’arc idéologique, les assimilationnistes pensent qu’il y a une distinction entre la culture d’accueil et celles qui sont accueillies et que, particulièrement en France, les arrivants successifs sont priés de laisser pas mal de leurs particularités à l’entrée et d’adhérer aux usages communs, bien plus que s’ils étaient allés, par exemple, frapper à la porte des Pays-Bas voisins (avant que la tolérance presque illimitée n’y suscite sa contre-réforme).

Ce ne fut pas toujours rigolo mais, à l’arrivée, faire comme les Romains à Rome s’est toujours révélé payant. Pour tous les Romains, qu’ils soient de souche ancienne ou récente. Oui, l’assimilation est une chance pour la France (que Marc Cohen soit remercié pour sa participation à cette coproduction sémantique). Et pitié, qu’on ne me fasse pas le coup des petits Bretons brimés à coup de langue française, on n’en est plus vraiment là. Du reste, la langue française, c’est tout le mal qu’on souhaite aux petits-enfants d’immigrés.

En réalité, personne ne prétend revenir au républicanisme autoritaire des fondateurs de la IIIe République. Un aimable libéralisme est passé par là, nous rendant tous, et c’est heureux, largement tolérants à la différence, et même, en théorie, à la divergence. Il ne s’agit donc pas de réprimer toute manifestation identitaire mais de savoir où l’on place le curseur.

Pour ma part, je hasarderais une formule : « Oui aux minarets, non à la burqa ! » Oui à l’inscription dans les paysages et dans l’Histoire, non à l’emprise sur les corps et les consciences. S’il faut, in fine, retenir un critère de ce qui n’est pas négociable, je suggère celui de la mixité. La présence des femmes dans l’espace public, c’est ce que nous avons inventé de mieux. C’est un droit de l’Homme.
[/access]