La scène s’est passée à l’aéroport de Stuttgart, au pays de notre bien aimée Trudi. Un quadragénaire a prétendu, lors du passage du portique de sécurité, avoir un explosif dans le calbute. La PAF allemande, peu connue pour son sens de l’humour et de la métaphore, a interrogé le prétentieux qui a insisté de manière convaincante jusqu’à ce qu’on découvre qu’il mentait. Trois hypothèses pour expliquer ce comportement qui va quand même lui valoir au minimum mille euros d’amende sans préjuger du coût de l’intervention policière certainement faite de manipulations complexes. Primo : l’homme qui s’apprêtait à partir s’ennuyer pour des vacances égyptiennes avec femme et enfant a voulu éviter les charmes de l’hôtel club avec bobonne faisant la danse du ventre pendant les animations. Secundo : il n’a pas vu, comme Cyrille B., le film sur La Domination Masculine où sont stigmatisés ce genre de propos machistes. Tertio: c’est malgré tout un geste militant face à la politique intrusive des contrôles d’embarquement, il a eu les boules.
Otages français : le temps des soldes

Il s’est produit, ces dernières semaines, un virage à 180° dans l’approche, par les autorités françaises, du problème des ressortissants français enlevés par des bandes armées sévissant dans les zones de conflits comme l’Irak, l’Afghanistan ou la région sub-saharienne.
Il était de tradition, jusqu’alors, de mobiliser l’opinion publique en la sensibilisant au sort inique réservé à des innocents, dont le seul crime avait été de faire leur travail de journaliste, de diplomate ou d’employé d’ONG.
Certains d’entre eux, et surtout d’entre elles, étaient devenus des icônes parés de toutes les vertus : leur martyre sublime nous renvoyait à la médiocrité morale de nos existences hédonistes.
Comment peut-on décemment se pavaner au Fouquet’s pour les uns, à la Closerie pour les autres alors qu’Ingrid Bétancourt pourrit au fond de la jungle colombienne ou que Florence Aubenas n’a pas vu le jour depuis des mois dans un cul de basse fosse de la banlieue de Bagdad ? En fait, on le peut. A condition de pétitionner comme des malades, de sommer le gouvernement de tout faire – je dis bien tout ! – pour que soit donné satisfaction aux ravisseurs. Les comités Bétancourt ou Aubenas éclosent en masse dans nos villes et nos villages. Surtout ne pas oublier… On rappelle les propos tenus à leur retour de captivité par les Jean-Paul Kaufmann ou Philippe Rochot, otages du Hezbollah libanais, racontant leur joie de prisonniers saisissant au vol le son d’une radio où l’on parlait d’eux…
Une bien étrange théorie se développe dans les cercles dirigeants de la compassion militante : la vie des otages serait protégée par le vacarme médiatique produit dans les pays dont ils sont originaires. « Ils » n’oseront pas affronter un peuple levé en masse pour sauver la vie de deux des siens, tel était le viatique moral justifiant qu’on se mobilise pour cette cause plutôt que pour les retraites ou la sécu.
Et lorsque les héros reviennent en fanfare, enfin libérés grâce aux espèces sonnantes et trébuchantes versées aux bandits par le trésor public et/ou l’indulgence judiciaire pour quelques poseurs de bombes, le peuple français crie Hosannah !
Il semble que l’on ait fini par comprendre que cette méthode avait un petit inconvénient : il n’a pas échappé aux humanistes porteurs de turbans et de mitraillettes à tir rapide (marre de faire de la pub à l’industrie russe de l’armement !) que l’on pouvait tirer quelques avantages financiers et politiques non négligeables en invitant, pour quelque temps, un journaliste ou un humanitaire français à passer quelques semaines, voire quelque mois en leur compagnie. A la différence de ce qui se passe avec les agences de voyage, le règlement du séjour s’effectue à l’issue de ce dernier, et fait l’objet d’âpres négociations commerciales entre les parties.
Il s’est même constitué un marché, avec une cote établissant la valeur marchande d’un otage en fonction de sa nationalité. Un groupe de barbus à cours d’argent peut revendre à un seigneur de la guerre disposant de liquidités un otage qu’il s’était gardé comme une poire pour la soif, et pour lequel les autorités nationales dont il relève se montrent un peu lentes à passer la monnaie. Le Britannique, sur ce marché, ne vaut pas tripette, les Anglais ayant comme principe de ne jamais céder au chantage même si, régulièrement, les égorgeurs saignent un sujet de Sa Majesté pour essayer de les faire craquer. Sans succès, et avec la garantie que les Anglais, dotés d’une bonne mémoire, d’un glaive vengeur et d’un bras séculier leur feront payer le juste prix de leurs forfaits à la première occasion. En revanche, le Français était jusqu’à présent une sorte de jackpot à pattes tant l’émotion provoquée dans son pays par ses malheurs faisait monter son cours à la bourse des voyous de Kandahar.
Le plus dur, si on veut changer de tactique et adopter l’approche londonienne du problème, c’est de commencer. Le taliban, ou le jihadiste d’Al Qaïda, sont loin d’être des imbéciles. Ils ont quelques raisons de penser que ce durcissement n’est peut-être que superficiel, et qu’il ne résistera pas à une vidéo gore diffusée par leurs soins sur la toile, dans le style de celle de l’exécution de Daniel Pearl.
Cela concerne aujourd’hui deux journalistes français de FR3 enlevés fin décembre en Afghanistan, et un bénévole humanitaire français détenu depuis une semaine au Mali par Al Qaïda Maghreb Islamique. Des deux premiers, on n’a pas révélé les noms, et je n’écrirai pas ici celui du troisième, pour être dans la nouvelle ligne. Une ligne dure, peut-être, dont les effets vont peut-être plonger des familles dans le malheur, mais qui a la vertu de nous ramener au réel. Que nous le voulions ou non, nous sommes en guerre. Nous avons choisi de participer au combat planétaire contre un terrorisme pratiqué par des gens qui nous haïssent non pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Ils connaissent nos faiblesses, celles résultant précisément des valeurs qu’ils exècrent : le respect de l’individu, celui de la vie, des convictions politiques et religieuses de chacun, l’amour de la liberté et de la démocratie. Nous préférons l’humiliation collective à la mort d’un innocent, et ceux qui envoient des jeunes gens et jeunes filles se faire exploser sur les marchés ont beau appartenir à l’espèce humaine, ils ne sont en rien nos semblables. En rien. Ils tueront peut-être ceux qui se sont aventurés, sans doute imprudemment, près de leurs repaires. Maigre consolation, certes, mais leur crime aura cessé de payer. Et la note les attend, quelque part, un jour…
Les délicatesses de Carlos

On a beau être un militant révolutionnaire et un terroriste assumé, on n’en a pas moins sa délicatesse, voire des susceptibilités de chochotte. À en croire son avocate et épouse Me Isabelle Coutant-Peyre, le citoyen vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous son nom de guerre « Carlos », n’est « pas mécontent » d’être le héros d’un long-métrage et d’une série télévisée actuellement en cours de postproduction. Certes, il ne s’agit pas d’un « budget hollywoodien », ce qui visiblement, chagrine Carlos, mais tout de même, une « vraie fiction », si on m’autorise cet oxymore. Un réalisateur renommé (Olivier Assayas, également co-scénariste avec Dan Franck), un producteur honorablement connu dans le métier (Daniel Lecomte), une diffusion prévue sur Canal + pour la série et une sortie mondiale pour le film, le projet a de quoi flatter l’égo du héros qui, de la prison française où il purge une condamnation à perpétuité, adore pérorer et donner des entretiens dans lequel il commente avec gourmandise sa vie et son œuvre[1. Ainsi, il y a quelques mois, ce militant inébranlable apportait par téléphone, son soutien au Parti antisioniste de Dieudonné.]. Bref, Carlos (dont le personnage est, parait-il, incarné par un excellent comédien, vénézuélien et nommé Sanchez, ça ne s’invente pas), se voit déjà en haut de l’affiche et il aime ça. Le champion des peuples se voit en people.
On ne savait pas, cependant, l’ami Ramirez Sanchez aussi sensible à son image qu’une Miss prise la main (façon de parler) dans le pot de yaourt. Et chatouilleux sur les questions de droit, avec ça. En conséquence, il poursuit Films en Stock et Canal en référé devant le tribunal de Nanterre, exigeant la communication de l’œuvre et la suspension de la diffusion durant trois mois – ce qui lui donnerait le temps d’apporter les corrections nécessaires. Un personnage improbable répondant au patronyme de Vernochet s’est invité aux réjouissances. Co-auteur avec Carlos d’un livre-entretien à la gloire de celui-ci, il aimerait bien être reconnu comme co-auteur du film. Et peut-être associé aux bénéfices ? C’est qu’Ilich Ramirez Sanchez, « citoyen comme les autres », est un type bankable. « Carlos, ça fait vendre », lance Me Coutant-Peyre. En plus, ces salauds vont se faire de l’argent grâce aux exploits d’un pauvre petit tueur innocent, vous trouvez ça moral, vous ?
Donc, Carlos est vexé de ne pas avoir été engagé comme consultant par la production, parce que voyez-vous, il aurait été ravi de collaborer. Non seulement, personne ne lui a rien demandé, mais ce qu’il a lu dans la presse ne lui plait pas. Dan Frank le qualifie de « psychopathe », ce qui n’est pas gentil. « Les informations parues dans la presse nous font penser que Carlos est présenté comme un personnage ignoble, un terroriste sanguinaire baignant dans le sexe et l’alcool, s’émeut son avocate. Mais dans d’autres régions du monde, on voit les choses autrement. » Au terme d’un petit dégagement assez dégoûtant dans lequel elle compare son client à Jean Moulin, on comprend qu’il souhaite être qualifié de résistant. Et la légion d’honneur, en prime ? Il soupçonne quelques manquements à la vérité historique, affirmant par exemple, que la prise d’otages des ministres du Pétrole de l’OPEP, à Vienne (trois morts) n’était pas une commande irakienne mais libyenne. Sans compter qu’il serait question de plusieurs attentats pour lesquels il n’a pas été jugé.
Carlos entend faire respecter ses droits « au nom », « à l’image », « à la vie privée » et à la « présomption d’innocence ». Ce n’est pas une blague. Comme le souligne Richard Malka, avocat de Films en Stock et ami de Causeur, au cours d’une plaidoirie implacable et fort documentée, « on aurait aimé qu’il se préoccupe plus de l’innocence de ses victimes que de sa présomption d’innocence. » Mais il est vrai que l’intéressé a sur la question des vues qui lui sont propres dont il faisait part au Nouvel Observateur en 2004 : « J’ai calculé, nous avons tué lors de nos opérations plus de 1.500 personnes moins de 2.000 en tout cas. On m’a déjà posé la question [du remord] mais même pas 10 % de ces personnes étaient innocentes. Quand vous avez des morts de pauvres gens innocents qui n’ont rien fait à personne et qui se font tuer pour des circonstances qui les dépassent on ne peut pas se féliciter, mais pourquoi condamner ? » C’est vrai, ajoute Malka, on se demande bien pourquoi.
« La loi doit être la même pour tous », a affirmé Me Coutant-Lapeyre, visiblement moins au fait des mœurs politiques françaises que des usages du terrorisme international : « Si Nicolas Sarkozy demandait à visionner un film sur lui, on le lui accorderait », dit-elle. Malka a beau jeu de rappeler qu’il y a quelques mois, Daniel Lecomte a opposé à toutes les tentatives de Rachida Dati pour visionner avant sa diffusion un documentaire qui lui était consacré une fin de non-recevoir. Il serait pour le moins étonnant qu’un meurtrier obtienne ce que la ministre de la Justice n’a pas obtenu.
Reste qu’il fallait oser. Rappelant quelques étapes de la brillante carrière de tueur de Carlos, Malka se déclare d’accord avec sa consœur : « Oui, Carlos est un personnage public et politique et même, un personnage historique, l’inventeur du terrorisme moderne. » À ce titre, il est malvenu à demander qu’on le traite comme un citoyen lambda.
On ne sait jamais, disent les professionnels. La décision sera rendue le 4 février. En vérité, on voit mal un tribunal français accorder à qui que ce soit, fût-il un tueur de grand chemin, le droit d’exercer une censure préalable sur une œuvre qui lui est consacrée. « Et pourquoi ne pas confier à Pol Pot le soin d’écrire sa biographie ? », questionne Malka. Carlos n’a pas réussi à nous priver de nos libertés avec ses bombes, il n’y parviendra pas avec ses procédures. » S’il attaque le film après sa diffusion, cela donnera certainement lieu à d’intéressants débats sur la liberté de création, s’agissant d’une fiction dont la ressemblance avec la réalité n’a rien de fortuit.
Dans le bureau de la magistrate où sont entassées une quinzaine de personnes, les journalistes sont peu nombreux, dix ou quinze fois moins que pour le procès des photos nues de Miss Paris – une affaire autrement importante. L’atmosphère est bizarrement détendue. Me Coutant-Lapeyre minaude vaguement. « Je serais enchantée, dit-elle à son adversaire, de recevoir vos BD dédicacées. » Comme c’est charmant.
Cette étrange procès a pourtant, remarque encore Malka, quelque chose de réjouissant. Il est en effet assez satisfaisant de voir un homme qui, toute sa vie, a conspué la démocratie bourgeoise et ses institutions demander réparation devant nos tribunaux. C’est bien la meilleure preuve de sa défaite.
Google, faut pas les chercher !
Hier, à Washington, Nancy Pelosi a fait applaudir Google par la Chambre des Représentants qu’elle préside, après que la firme américaine eut menacé la Chine de représailles si elle continuait à lancer ses hackers démocratiques et populaires aux trousses des militants chinois des droits de l’Homme. « L’annonce que Google va complètement réexaminer ses activités en Chine et ne tolèrera plus la censure de son moteur de recherche devrait servir d’exemple aux autres sociétés et aux gouvernements », a notamment déclaré Nancy Pelosi. Frédéric Mitterrand, qui veut taxer Google en France, cherche à joindre Hu Jintao, le président chinois, depuis hier.
L’ère de l’insécurité aérienne

Après l’attentat manqué de Noël, la sécurité du transport aérien et les problèmes liés au contrôle des passagers sont de nouveau à l’ordre du jour. À la suite du 11 septembre, un premier resserrement des mesures de sécurité avait alourdi et prolongé les procédures d’embarquement. Depuis l’attentat raté de Richard Reid, le « shoe bomber« , nous sommes tous priés d’ôter nos chaussures et grâce aux terroristes qui planifiaient en 2006 de faire sauter un avion à l’aide d’explosifs liquides, nous sommes privés de notre trousse de toilette en cabine. Désormais, après l’échec d’Umar Farouk Abdel Muttalib, le jeune Nigérian qui a essayé de faire sauter le vol Amsterdam-Detroit avec quelques dizaines de grammes d’explosifs, on promet de nous mettre tous à poil – technologiquement bien sûr. On n’ose pas imaginer la solution qui sortira du chapeau des responsables de la sécurité le jour où on apprendra qu’un terroriste avait placé des explosifs dans ses intestins, comme le font déjà les trafiquants de drogue…
Comme disent les Américains, nous sommes de toute évidence en train d’aboyer sous le mauvais arbre : nous cherchons toujours l’arme. Or, on sait désormais que l’arme peut être l’avion – comme ce fut le cas le 11 septembre – voire le terroriste lui-même. Or, par inertie et manque d’audace politique, les responsables de la sécurité continuent obstinément à chercher l’arme qui n’en est plus une. Enfin, il faut intégrer une évidence aussi simple que terrible : un homme résolu, bien entraîné et prêt à mourir peut faire s’écraser un avion – voire dérailler un train ou précipiter un car dans un ravin – les mains nues. Au lieu d’admettre cette triste réalité, en prendre acte et en tirer les conclusions, on nous propose une solution technologique de plus. Et il ne s’agit même pas d’un engin capable de lire les pensées mais d’une machine de plus consacrée à détecter les armes.
L’honnêteté intellectuelle oblige cependant à reconnaître que ces mesures ont porté leurs fruits. Si depuis 66 mois aucun passager n’a perdu la vie à cause d’un attentant, ce n’est pas parce que les organisations terroristes n’ont pas essayé. Il ne faut pas oublier que dans les cas d’Abdel Muttalib et de Richard Reid, le défi des nouvelles mesures de sécurité n’a été que partiellement relevé par les terroristes qui, faute de détonateurs (détectables), n’ont pas réussi à fabriquer un engin fiable. Mais la logique actuelle a atteint ses limites car au Yemen, en Afghanistan ou derrière les écrans d’ordinateurs du monde entier, de gros cerveaux se penchent sur le problème et ils finiront par trouver une solution meurtrière, ce n’est qu’une question de temps.
En fait, pour arrêter Farouk Abdel Muttalib à Schiphol, il n’y avait nul besoin de fouille sophistiquée. Il aurait suffi d’examiner les billets d’avion et l’itinéraire du passager. Premier indice : Abdel Muttalib avait acheté à Accra (Ghana) des billets pour un périple bien curieux : Accra-Lagos, Lagos-Amsterdam, Amsterdam-Detroit. Pourquoi ? Des vols directs relient régulièrement Accra et New York. Deuxième fait qui aurait dû éveiller les suspicions : Abdel Muttalib avait acheté ses billets tardivement et surtout, selon Yossi Melman du quotidien israélien Haaretz, il les a payés cher (2 800 dollars) et en cash. Ces seuls faits aurait dû suffire à l’isoler du reste des passagers, à l’interroger professionnellement, à le fouiller méthodiquement et à envoyer une photocopie de son passeport à toutes les agences concernées. Payer une place en première classe et un million de miles aux passagers soupçonnés à tort reviendrait moins cher que d’acheter et d’entretenir des centaines de machines, sans parler des files d’attente interminables capable de faire sortir de leurs gonds n’importe qui, même des préfets.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, même dans les opérations terroristes les plus sophistiquées – comme le dernier attentant manqué – les planificateurs ne pensent pas à tout, et les billets d’Abdel Muttalib en sont le dernier exemple. Comme les services français (voir l’affaire Rainbow Warrior), israéliens (l’affaire de Lillehammer) ou américains (le dernier attentat en Afghanistan contre la CIA), Al Qaeda n’est pas infaillible, loin de là ! Le terroriste ne ressemble que très rarement à un « voisin de palier », et même lorsque c’est le cas, il s’agit d’une ressemblance superficielle. En revanche, son comportement et son itinéraire s’écartent tellement souvent du normal et du probable qu’ils le trahissent. Ce sont ces petits indices qui devraient intéresser aujourd’hui les responsables de la sécurité aéroportuaire.
La sécurité des aéroports doit changer de paradigme et se tourner vers la composante humaine de l’équation : l’homme qui voyage et celui qui le contrôle. Mais le plus important est le constat suivant : la terreur est à notre civilisation ce que l’accident de la route est à la voiture. Elle fait désormais partie de notre vie, et le mieux qu’on peut espérer de nos institutions est de la réduire à un minimum tolérable et cela à un prix économique raisonnable.
Pauline n’ira plus à la plage

En art, on oublie trop souvent que seule la tradition est révolutionnaire.
Eric Rohmer, royaliste de cœur et cinéaste de génie, a illustré cet apparent paradoxe par des films tellement français que si notre pays disparaissait, on aimerait que les archéologues du futur tombent plutôt sur un dévédé de Ma nuit chez Maud que sur un roman de Christine Angot. Ce serait tout de même mieux pour comprendre qui nous fûmes réellement, pour comprendre ce qui ne mourait pas en nous, malgré toutes les mondialisations malheureuses et tous les désenchantements programmés d’une planète uniformisée par un progrès suicidaire.
En effet, qui mieux que Rohmer pour donner à voir et à savoir ce qu’a été notre façon nationale de jouer avec l’amour et le hasard et d’oublier qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Comment nous avions l’art, également, de parler de sentiments et de raison, un pull bleu marine sur les épaules, tout en contemplant la sensualité rêveuse de Marie Renoir dans L’Amie de mon amie ou la désinvolture acidulée d’Amanda Langlet dans Pauline à la plage.
Eric Rohmer, né en 1920, était l’aîné d’une bande d’élégants voyous cinéphiles et cinéphages que l’on a appelé la Nouvelle Vague à la fin des années 1950. Parce que Godard a tourné La Chinoise au moment du maoïsme, que Chabrol a passé sa carrière à stigmatiser le bourgeois sanguinaire, le garagiste beauf ou la Bovary en robe Paco Rabanne et que Rohmer lui-même a fait jouer à Pascal Gregory un édile du PS dans L’arbre, le maire et la médiathèque, on a souvent cru, par une erreur d’optique assez amusante, que ces garçons dans le vent, barricadés dans les Cahiers du Cinéma, étaient des avant-gardistes las du monde ancien.
C’est oublier un peu vite que Godard ne croit qu’au sujet et à l’individu, pariant toujours sur Pierrot Le Fou et Michel Poiccard contre les flics du structuralisme, que Chabrol est un misanthrope gourmand qui fait lire Céline à des chocolatiers suisses, qu’Alain Cavalier tourne des films splendides de noirceur mais est fasciné par l’OAS comme dans Le combat dans l’Ile ou L’Insoumis et, last but not the least, que Truffaut préfère adapter David Goodis et William Irish plutôt que de faire semblant de s’intéresser aux idées générales.
C’est que la Nouvelle Vague, et Rohmer au premier chef, ont eu une intuition géniale, la même que celle du prince Salina dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »
Tout changer, cela signifiait rejeter une narration cinématographique usée qui mimait le récit littéraire et à laquelle on ne croyait plus. Tout changer, c’était aussi transformer jusqu’à la nature du son et de l’image avec le Nagra et le 16 mm, c’est à dire savoir dompter sans complexe la technologie. Ce n’est pas un hasard si dans L’Anglaise et le Duc (2001), Rohmer fait appel au dernier cri en matière d’image de synthèse pour parler de la Révolution française et, néanmoins, approuver la lucidité désespérée d’une Grace Elliot royaliste contre la naïveté sympathique et dangereuse de Philippe d’Orléans.
Ne rien changer, en revanche, c’était cajoler cette idée réactionnaire mais incontestable et délicieuse d’un éternel féminin. Ne rien changer, c’était conserver ce goût du français, la langue la plus précise et la plus agréable qui soit pour la conversation, idéale pour disserter du tracé des frontières et de celui des émotions, une langue préservée depuis l’Astrée[1. Sujet du tout dernier film de Rohmer, Les amours d’Astrée et Céladon.] et objet d’une course de relais dans le Temps avec Marivaux, Musset et Morand dans le rôle des passeurs. Cette même langue qui se retrouvait, toujours aussi pure, une nuit enneigée de Noël, à Clermont-Ferrand, dans la bouche délicieuse de Françoise Fabian.
Mais le plus important, pour nous, c’est que nous avons appris les jeunes filles avec Rohmer, le Rohmer des Comédies et Proverbes, ces trésors improbables qui scintillaient dans les sinistres années 1980. Nous avions vingt ans, et sur l’écran nous voyions des garçons qui roulaient en 4L sur des voies rapides mais parlaient comme chez Chardonne. La carte du tendre se superposait magiquement au plan de Cergy-Pontoise. Nous désirions ces femmes qui peignaient des abat-jours dans des boutiques branchées de province. Elles étaient belles comme les amies de nos mères mais avaient la distance amusée des Précieuses et nous disaient, comme Madame Deshouillères : « Un amant sûr d’être aimé / Cesse toujours d’être aimable. »
Quant à nos petites amies, finalement, leur inconstance nous surprenait à peine. Nous étions renseignés depuis longtemps par Pascale Ogier dans Les nuits de la pleine lune : danser sur Elie et Jacno n’empêche pas de badiner avec l’amour, bien au contraire. Et, de toute façon, ce sont toujours elles qui pleurent à la fin.
Comme nous allons, maintenant, pleurer Eric Rohmer.
C’est loin, l’Amérique…

Fan absolu de James Ellroy, j’ai bien sûr acheté dès le matin de sa sortie Underworld USA, son dernier roman et ultime volet de la trilogie éponyme, entamée avec les fabuleux American Tabloïd (1995) et American Death Trip (2001). Cela dit, depuis, il est resté intact sur ma table de nuit. Je ne l’ai même pas sorti de son sac plastique de « L’Ecume des pages « . Je fais durer le plaisir. Et ça risque d’être long : je n’ai toujours pas lu une ligne de La main de Dante, le dernier roman de Nick Tosches, paru il y a sept ans pas plus que de La Princesse du sang le dernier texte, inachevé, de Jean-Patrick Manchette publié il y a une bonne douzaine d’années.
Mais bon, regarder ma dernière acquisition en chien de faïence ne m’empêche pas de d’entretenir mon vice. Et pour rien au monde, je n’aurais loupé l’interview de James Ellroy ce matin sur Inter chez Nicolas Demorand. Pour ne rien vous cacher, je ne connais pas bien ce garçon. Contrairement à Elisabeth, le matin, j’écoute plutôt Europe, son Marc-O, son Elkkabach et son Canteloup. Et pour tout vous dire cet entretien m’a un peu décontenancé. Non pas que l’intervieweur soit mauvais, il est largement au-dessus de la moyenne, il aime et respecte (et connaît !) l’auteur à qui il s’adresse, ses questions sont pertinentes, et souvent inattendues. Mais je l’ai senti totalement distancé par Ellroy, son refus du chichi, sa percussion, ces uppercuts à répétition.
Au tout début de l’interview, avant même que Nicolas ait abordé la question qui fâche, Ellroy s’empresse de déclarer liminairement « Je suis très à droite ! ». J’imagine que Demorand avait choisi de conserver cette question délicate entre toutes, surtout en France, pour la fin de l’entretien. Et j’imagine que James Ellroy le finaud s’en doutait un peu, et qu’il a décidé, dès l’entame, de semer sa zone. Oui, son livre est politique, et oui il veut donc parler de politique, et aller au choc. Ça commence donc très rock n’roll, mais Nicolas, prudent, évite la confrontation d’emblée, et préfère lui parler de littérature et d’histoire contemporaine ( le livre évoque les années Johnson-Nixon) et du subtil rapport entre personnages réels et fictifs. Sauf qu’Ellroy, lui, veut en découdre, il veut expliquer que c’est parce qu’il est de droite qu’il a voulu faire ce livre tel qu’il l’a fait , à savoir « raconter le cauchemar privé de la politique publique « . Ce que Nicolas, visiblement un peu gêné aux entournures d’admirer un écrivain aussi peu progressiste traduit à sa façon en le sollicitant d’avouer qu’il est un « pessimiste radical ». Sauf qu’Ellroy l’envoie aussitôt bouler : « Je suis un optimiste radical ! Je crois que les gens changent Je crois en Dieu, je crois que la vie est superbe, et je crois que c’est un plaisir d’écrire des romans » Et à partir de là, James-la-terreur déroule, personne ne l’empêchera plus de parler politique, et surtout pas son intervieweur complètement déboussolé…
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Lequel est donc bien obligé de venir, assez solennellement sur le terrain miné choisi par son invité: « James Ellroy, ça veut dire quoi être de droite pour un romancier ? » Réponse hilare de l’intéressé : « Ça veut dire que je veux payer moins d’impôts et garder le plus possible de mon blé. » Relativement indigné, Nicolas réplique aussitôt » Mais c’est comme pour n’importe quel chef d’entreprise ! » Ce qui oblige Ellroy à mettre les points sur les i, et même un peu les poings : « Moi, j’en ai marre des réflexes anti-patrons. Je vais fonder ma propre entreprise, et racheter France Inter. Vous devrez tous saluer le drapeau américain en entrant. Et ma mascotte sera le pittbull. » Tout le reste de l’entretien sera à l’avenant : Nicolas a beau s’accrocher, il ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, si Ellroy dit vraiment ce qu’il pense, ou s’il multiplie à l’envi les provocations. On sent que Nicolas Demorand cherche désespérément à faire la part des choses, et c’est justement là son erreur : le discours d’Ellroy est consubstantiellement sincère et provocant. Impossible de séparer ce que Dieu a uni.
En résumé, on reconnaîtra volontiers à Demorand son honnêteté, son absence de haine idéologique, sa connaissance rigoureuse de l’auteur et son œuvre, toutes choses pas si courantes ces dernières décennies. On déplorera néanmoins le décalage total qui s’est établi entre l’interviewé et l’intervieweur, qu’on aurait senti manifestement plus à l’aise face à un Rambaud, un d’Ormesson ou une Darrieussecq, bref face à un écrivain français standard, qui respecte les codes en vigueur y compris ceux de la fausse impertinence et de la provoc à deux balles. Là, il a affaire à un vrai déjanté, et en plus américain, réac, chrétien, féministe, et à part ça génial et ravi de l’être. Ça fait beaucoup pour un seul Demorand…
Le bras d’honneur islandais

Olafur Grimsson, le président de la République d’Islande a pris un coup de sang : il a refusé de promulguer la loi dite « Icesave » votée – de justesse par l’Althing, le parlement de l’île. Cette loi était la conséquence de l’accord passé avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas concernant le remboursement des pertes occasionnées pour les investisseurs de ces deux pays à la suite de la faillite, en octobre 2006, des principales banques islandaises.
Londres et La Haye ont déjà indemnisé à hauteur de 3,5 milliards d’euros les victimes de ce krach nordique, et se tournent maintenant vers l’Etat islandais, devenu propriétaire du système bancaire du pays, pour récupérer ces avances.
C’est un exemple parfait de la pratique consistant à privatiser les profits et à socialiser les pertes. La fuite en avant éperdue des banquiers islandais pendant les périodes de vaches grasses boursières, suivie avec bienveillance par un gouvernement dirigé par la droite libérale, avait abouti au gonflement effarant de la dette extérieure de ces banques. À la veille de la crise, cette dette représentait plus de huit fois le PIB de cette île qui ne compte qu’un peu plus de 300.000 habitants.
La loi retoquée par le président prévoyait que les Islandais allaient se serrer la ceinture jusqu’en 2024 pour honorer une dette représentant 40% de son PIB. La Constitution du pays prévoyant que le président de la République peut soumettre à référendum une loi votée par le parlement, mais contestée par au moins 20% de la population, ce dernier ne pouvait que donner satisfaction aux quelques 60.000 pétitionnaires opposés à ce racket.
Car il s’agit bien d’un racket opéré par deux pays réputés pour leur avidité financière sur une petite nation ne disposant ni d’armée performante, ni de pétrole pour résister aux pressions des puissants.
En effet, si l’on regarde dans le détail la nature de la créance contractée par les investisseurs britanniques et bataves auprès des établissements financiers islandais, on s’aperçoit qu’elle est principalement fondée sur des opérations dites de « carry trade« . Oyez ! Oyez ! Titulaires de livret A à 1,25% à la Caisse d’épargne vous n’êtes que des ploucs à peine sortis de l’économie des billets planqués sous le matelas. Le « carry trade » consiste à emprunter dans une devise pratiquant des taux de crédit bas, comme le yen japonais hier ou l’euro aujourd’hui, pour le placer dans une devise rémunérant mieux les sommes placées. Ainsi, on fait son beurre sur le différentiel de taux d’intérêt qui, dans le cas islandais, pouvait monter jusqu’à 7% !
On admettra qu’il s’agit là d’une manière plutôt économe d’efforts de gagner son bifteck, et même plus.
Le hic, c’est que ce système, pour fonctionner, exige que la devise de placement, en l’occurrence la couronne islandaise, reste relativement stable. Si elle se dévalue par trop sur le marché des devises, le profit des investisseurs fond beaucoup plus vite que les glaces qui recouvrent une grande partie de l’île.
Avec la complicité des principales agences de notations financières la dette islandaise était fort bien cotée, et les investisseurs se contentaient de ces évaluations bidon pour s’en mettre plein les poches avec l’esprit tranquille.
Or, il s’est avéré que les actifs des banques de Reykjavik étaient largement pourris par leur implication dans les subprimes aux Etats-Unis, et les prêts accordés sans garanties suffisantes aux ménages et entreprises islandaises, qui se sont toujours comportés comme des cigales, à la différence des autres pays scandinaves qui gèrent leur avoirs avec une prudence et une austérité luthérienne.
Il aurait suffi aux investisseurs aux yeux brillants devant la perspective de profits juteux d’étudier, ne serait-ce que superficiellement, l’histoire financière islandaise et de sa propension à faire marcher la planche à billets pour revenir à une vision moins optimiste de l’avenir de ses économies.
L’Islande va-t-elle refaire le coup de l’emprunt russe que les Soviets se sont refusé à honorer ? Il ne fait pas de doute que le référendum, qui doit se tenir à la fin du mois de février, avalisera le refus du Président de la république de rembourser les épiciers bataves et les petits messieurs de la City. Les Islandais, qui supportent déjà trois mois d’obscurité presque totale par an, ne sont pas masos au point de se laisser gruger et de dire merci.
Londres, qui a un long contentieux avec Reykjavik sur les zones de pêche, menace de bloquer la demande d’adhésion de l’Islande à l’Union européenne si elle ne crache pas au bassinet. On notera que le ton employé à l’égard des Islandais et au moins aussi dur que celui utilisé face à l’Iran, et que l’on ne renvoie pas aux calendes la perspective de sanctions. Et pourtant l’Islande est membre de l’OTAN, et ne menace personne d’effacement de la carte du monde.
« So what ? » répondent les descendants des Vikings, qui parlent tous un anglais convenable. Cette demande d’adhésion a été formulée dans un moment de panique, et le calme étant en partie revenu, elle a largement perdue en attrait dans une population qui craint de voir remise en cause sa zone de pêche exclusive étendue à 200 milles des côtes, et sa tradition de chasse à la baleine…
Si les Islandais devaient se serrer la ceinture à la suite des restrictions punitives de crédits internationaux dont ils seraient frappés s’ils ne remboursaient pas les créances de leurs banques faillies, ce serait alors dans l’honneur et la dignité. C’est assez rare pour être salué bien bas.
Grippe, l’Etat responsable, mais pas coupable

De pandémie, la grippe H1N1 a été rétrogradée en polémique, la menace déclassée en farce avec comme seule consolation l’espoir d’une éventuelle promotion au prestigieux et convoité statut d' »affaire ». En tout cas, il est presque certain aujourd’hui que la dangerosité du virus a été largement surestimée. Si l’heure des comptes n’a pas encore sonné, les décisions publiques sur ce dossier sont déjà vertement critiquées.
Beaucoup de pays et l’OMS elle-même ont, comme la France, pris le virus trop au sérieux. Sauf qu’à cette erreur d’analyse, le gouvernement français en a ajouté une deuxième en sur-réagissant. À la lumière des mêmes données, d’autres gouvernements ont pris des décisions beaucoup plus prudentes. Résultat, la France qui représente à peu près 1% de la population mondiale possède des stocks importants de Tamiflu (médicament censé traiter les symptômes grippaux mais dont l’efficacité est mise en doute) et a commandé 10 % des vaccins produits dans le monde. Enfin, à ces décisions problématiques s’est ajoutée l’organisation d’une campagne de vaccination dans des centres spécialement créés à cet effet et non par les médecins généralistes.
Dans ces conditions, la confiance dans la capacité de l’Etat à gérer une crise est sérieusement entamée. Nombre de citoyens se disent qu’ils ont eu raison de donner tort au gouvernement. Prêts à lui intenter un procès en passivité il y a quelques semaines ils sont aujourd’hui décidés à l’inculper pour suractivité et gaspillage des deniers publics.
Si procès il y a, il faut qu’il soit équitable. Pour juger les décisions prises pendant l’été et l’automne, il faut commencer par se demander de quelle information disposaient les décideurs (et notamment la troïka Bachelot-Fillon-Sarkozy) au moment où ils ont fait les arbitrages majeurs. Que savaient-ils du virus et du risque de pandémie ? Quelles propositions leur avaient concocté les fonctionnaires des différents ministères et agences compétents ?
L’essentiel est pourtant ailleurs. Au-delà des problèmes de santé publique, toute cette affaire de grippe A pose la question du « risque » et de son acceptation ou plutôt de son refus. « Délivrez-nous du risque », voilà ce que les citoyens demandent à leurs gouvernants. C’est peut-être de cette illusion-là que nous guériront les vaccins inutiles.
Aujourd’hui, la gestion de certains risques, liés notamment à l’environnement et à la santé publique doit se faire à l’enseigne ou plutôt sous la menace du « principe de précaution ». La définition la plus claire de ce principe se trouve dans la loi Barnier du 2 février 1995 : « L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. » Il suffit de remplacer « environnement » par « santé publique » et on voit la nasse dans laquelle est enfermé n’importe quel ministre face à une épidémie annoncée à grand renfort de tam-tam. Qu’il ne fasse rien ou qu’il agisse, il a de fortes chances d’être coupable.
De plus, derrière une apparence de clarté, ce texte est aussi ambigu qu’un verset des saintes écritures. Que signifient, s’il vous plaît, des mesures « effectives et proportionnées » ou encore un coût « économiquement acceptable » ? La proportionnalité d’une mesure (en l’occurrence l’achat de vaccins) et l’acceptabilité de son coût sont justement sujettes à débat. En fonction du contexte, la même décision peut être qualifiée de bonne, d’erreur légitime ou de faute.
Si madame Bachelot a acheté des montagnes de vaccins, ce n’est pas parce qu’elle est vendue aux trusts pharmaceutiques mais parce que nous ne voulons plus courir le moindre risque. Baignés dans une culture d’assurance, nourris au sein de l’Etat-providence, nous voulons vivre dans le Palais de cristal de Peter Sloterdijk. Dans ce monde dont l’homme occidental a expulsé la mort, chaque changement de notre routine climatisée et aseptisée est considéré comme un accident. Mais certains risques nous effraient plus que d’autres. Je connais personnellement plus de personnes qui se méfient des requins que du sucre, même si les squales sont beaucoup moins dangereux que le diabète.
Dans notre grande salle de gym nous ne savons plus apprécier la nature et l’intensité des menaces. Un rien nous effraie. Il serait assez malvenu de reprocher au gouvernement sa gestion de crise car elle est parfaitement raccord avec le conte de fées que nous lui demandons de nous raconter.
Le palais de cristal: A l'intérieur du capitalisme planétaire
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Attention, ma saucisse de Francfort va exploser !
La scène s’est passée à l’aéroport de Stuttgart, au pays de notre bien aimée Trudi. Un quadragénaire a prétendu, lors du passage du portique de sécurité, avoir un explosif dans le calbute. La PAF allemande, peu connue pour son sens de l’humour et de la métaphore, a interrogé le prétentieux qui a insisté de manière convaincante jusqu’à ce qu’on découvre qu’il mentait. Trois hypothèses pour expliquer ce comportement qui va quand même lui valoir au minimum mille euros d’amende sans préjuger du coût de l’intervention policière certainement faite de manipulations complexes. Primo : l’homme qui s’apprêtait à partir s’ennuyer pour des vacances égyptiennes avec femme et enfant a voulu éviter les charmes de l’hôtel club avec bobonne faisant la danse du ventre pendant les animations. Secundo : il n’a pas vu, comme Cyrille B., le film sur La Domination Masculine où sont stigmatisés ce genre de propos machistes. Tertio: c’est malgré tout un geste militant face à la politique intrusive des contrôles d’embarquement, il a eu les boules.
Otages français : le temps des soldes

Il s’est produit, ces dernières semaines, un virage à 180° dans l’approche, par les autorités françaises, du problème des ressortissants français enlevés par des bandes armées sévissant dans les zones de conflits comme l’Irak, l’Afghanistan ou la région sub-saharienne.
Il était de tradition, jusqu’alors, de mobiliser l’opinion publique en la sensibilisant au sort inique réservé à des innocents, dont le seul crime avait été de faire leur travail de journaliste, de diplomate ou d’employé d’ONG.
Certains d’entre eux, et surtout d’entre elles, étaient devenus des icônes parés de toutes les vertus : leur martyre sublime nous renvoyait à la médiocrité morale de nos existences hédonistes.
Comment peut-on décemment se pavaner au Fouquet’s pour les uns, à la Closerie pour les autres alors qu’Ingrid Bétancourt pourrit au fond de la jungle colombienne ou que Florence Aubenas n’a pas vu le jour depuis des mois dans un cul de basse fosse de la banlieue de Bagdad ? En fait, on le peut. A condition de pétitionner comme des malades, de sommer le gouvernement de tout faire – je dis bien tout ! – pour que soit donné satisfaction aux ravisseurs. Les comités Bétancourt ou Aubenas éclosent en masse dans nos villes et nos villages. Surtout ne pas oublier… On rappelle les propos tenus à leur retour de captivité par les Jean-Paul Kaufmann ou Philippe Rochot, otages du Hezbollah libanais, racontant leur joie de prisonniers saisissant au vol le son d’une radio où l’on parlait d’eux…
Une bien étrange théorie se développe dans les cercles dirigeants de la compassion militante : la vie des otages serait protégée par le vacarme médiatique produit dans les pays dont ils sont originaires. « Ils » n’oseront pas affronter un peuple levé en masse pour sauver la vie de deux des siens, tel était le viatique moral justifiant qu’on se mobilise pour cette cause plutôt que pour les retraites ou la sécu.
Et lorsque les héros reviennent en fanfare, enfin libérés grâce aux espèces sonnantes et trébuchantes versées aux bandits par le trésor public et/ou l’indulgence judiciaire pour quelques poseurs de bombes, le peuple français crie Hosannah !
Il semble que l’on ait fini par comprendre que cette méthode avait un petit inconvénient : il n’a pas échappé aux humanistes porteurs de turbans et de mitraillettes à tir rapide (marre de faire de la pub à l’industrie russe de l’armement !) que l’on pouvait tirer quelques avantages financiers et politiques non négligeables en invitant, pour quelque temps, un journaliste ou un humanitaire français à passer quelques semaines, voire quelque mois en leur compagnie. A la différence de ce qui se passe avec les agences de voyage, le règlement du séjour s’effectue à l’issue de ce dernier, et fait l’objet d’âpres négociations commerciales entre les parties.
Il s’est même constitué un marché, avec une cote établissant la valeur marchande d’un otage en fonction de sa nationalité. Un groupe de barbus à cours d’argent peut revendre à un seigneur de la guerre disposant de liquidités un otage qu’il s’était gardé comme une poire pour la soif, et pour lequel les autorités nationales dont il relève se montrent un peu lentes à passer la monnaie. Le Britannique, sur ce marché, ne vaut pas tripette, les Anglais ayant comme principe de ne jamais céder au chantage même si, régulièrement, les égorgeurs saignent un sujet de Sa Majesté pour essayer de les faire craquer. Sans succès, et avec la garantie que les Anglais, dotés d’une bonne mémoire, d’un glaive vengeur et d’un bras séculier leur feront payer le juste prix de leurs forfaits à la première occasion. En revanche, le Français était jusqu’à présent une sorte de jackpot à pattes tant l’émotion provoquée dans son pays par ses malheurs faisait monter son cours à la bourse des voyous de Kandahar.
Le plus dur, si on veut changer de tactique et adopter l’approche londonienne du problème, c’est de commencer. Le taliban, ou le jihadiste d’Al Qaïda, sont loin d’être des imbéciles. Ils ont quelques raisons de penser que ce durcissement n’est peut-être que superficiel, et qu’il ne résistera pas à une vidéo gore diffusée par leurs soins sur la toile, dans le style de celle de l’exécution de Daniel Pearl.
Cela concerne aujourd’hui deux journalistes français de FR3 enlevés fin décembre en Afghanistan, et un bénévole humanitaire français détenu depuis une semaine au Mali par Al Qaïda Maghreb Islamique. Des deux premiers, on n’a pas révélé les noms, et je n’écrirai pas ici celui du troisième, pour être dans la nouvelle ligne. Une ligne dure, peut-être, dont les effets vont peut-être plonger des familles dans le malheur, mais qui a la vertu de nous ramener au réel. Que nous le voulions ou non, nous sommes en guerre. Nous avons choisi de participer au combat planétaire contre un terrorisme pratiqué par des gens qui nous haïssent non pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Ils connaissent nos faiblesses, celles résultant précisément des valeurs qu’ils exècrent : le respect de l’individu, celui de la vie, des convictions politiques et religieuses de chacun, l’amour de la liberté et de la démocratie. Nous préférons l’humiliation collective à la mort d’un innocent, et ceux qui envoient des jeunes gens et jeunes filles se faire exploser sur les marchés ont beau appartenir à l’espèce humaine, ils ne sont en rien nos semblables. En rien. Ils tueront peut-être ceux qui se sont aventurés, sans doute imprudemment, près de leurs repaires. Maigre consolation, certes, mais leur crime aura cessé de payer. Et la note les attend, quelque part, un jour…
Les délicatesses de Carlos

On a beau être un militant révolutionnaire et un terroriste assumé, on n’en a pas moins sa délicatesse, voire des susceptibilités de chochotte. À en croire son avocate et épouse Me Isabelle Coutant-Peyre, le citoyen vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous son nom de guerre « Carlos », n’est « pas mécontent » d’être le héros d’un long-métrage et d’une série télévisée actuellement en cours de postproduction. Certes, il ne s’agit pas d’un « budget hollywoodien », ce qui visiblement, chagrine Carlos, mais tout de même, une « vraie fiction », si on m’autorise cet oxymore. Un réalisateur renommé (Olivier Assayas, également co-scénariste avec Dan Franck), un producteur honorablement connu dans le métier (Daniel Lecomte), une diffusion prévue sur Canal + pour la série et une sortie mondiale pour le film, le projet a de quoi flatter l’égo du héros qui, de la prison française où il purge une condamnation à perpétuité, adore pérorer et donner des entretiens dans lequel il commente avec gourmandise sa vie et son œuvre[1. Ainsi, il y a quelques mois, ce militant inébranlable apportait par téléphone, son soutien au Parti antisioniste de Dieudonné.]. Bref, Carlos (dont le personnage est, parait-il, incarné par un excellent comédien, vénézuélien et nommé Sanchez, ça ne s’invente pas), se voit déjà en haut de l’affiche et il aime ça. Le champion des peuples se voit en people.
On ne savait pas, cependant, l’ami Ramirez Sanchez aussi sensible à son image qu’une Miss prise la main (façon de parler) dans le pot de yaourt. Et chatouilleux sur les questions de droit, avec ça. En conséquence, il poursuit Films en Stock et Canal en référé devant le tribunal de Nanterre, exigeant la communication de l’œuvre et la suspension de la diffusion durant trois mois – ce qui lui donnerait le temps d’apporter les corrections nécessaires. Un personnage improbable répondant au patronyme de Vernochet s’est invité aux réjouissances. Co-auteur avec Carlos d’un livre-entretien à la gloire de celui-ci, il aimerait bien être reconnu comme co-auteur du film. Et peut-être associé aux bénéfices ? C’est qu’Ilich Ramirez Sanchez, « citoyen comme les autres », est un type bankable. « Carlos, ça fait vendre », lance Me Coutant-Peyre. En plus, ces salauds vont se faire de l’argent grâce aux exploits d’un pauvre petit tueur innocent, vous trouvez ça moral, vous ?
Donc, Carlos est vexé de ne pas avoir été engagé comme consultant par la production, parce que voyez-vous, il aurait été ravi de collaborer. Non seulement, personne ne lui a rien demandé, mais ce qu’il a lu dans la presse ne lui plait pas. Dan Frank le qualifie de « psychopathe », ce qui n’est pas gentil. « Les informations parues dans la presse nous font penser que Carlos est présenté comme un personnage ignoble, un terroriste sanguinaire baignant dans le sexe et l’alcool, s’émeut son avocate. Mais dans d’autres régions du monde, on voit les choses autrement. » Au terme d’un petit dégagement assez dégoûtant dans lequel elle compare son client à Jean Moulin, on comprend qu’il souhaite être qualifié de résistant. Et la légion d’honneur, en prime ? Il soupçonne quelques manquements à la vérité historique, affirmant par exemple, que la prise d’otages des ministres du Pétrole de l’OPEP, à Vienne (trois morts) n’était pas une commande irakienne mais libyenne. Sans compter qu’il serait question de plusieurs attentats pour lesquels il n’a pas été jugé.
Carlos entend faire respecter ses droits « au nom », « à l’image », « à la vie privée » et à la « présomption d’innocence ». Ce n’est pas une blague. Comme le souligne Richard Malka, avocat de Films en Stock et ami de Causeur, au cours d’une plaidoirie implacable et fort documentée, « on aurait aimé qu’il se préoccupe plus de l’innocence de ses victimes que de sa présomption d’innocence. » Mais il est vrai que l’intéressé a sur la question des vues qui lui sont propres dont il faisait part au Nouvel Observateur en 2004 : « J’ai calculé, nous avons tué lors de nos opérations plus de 1.500 personnes moins de 2.000 en tout cas. On m’a déjà posé la question [du remord] mais même pas 10 % de ces personnes étaient innocentes. Quand vous avez des morts de pauvres gens innocents qui n’ont rien fait à personne et qui se font tuer pour des circonstances qui les dépassent on ne peut pas se féliciter, mais pourquoi condamner ? » C’est vrai, ajoute Malka, on se demande bien pourquoi.
« La loi doit être la même pour tous », a affirmé Me Coutant-Lapeyre, visiblement moins au fait des mœurs politiques françaises que des usages du terrorisme international : « Si Nicolas Sarkozy demandait à visionner un film sur lui, on le lui accorderait », dit-elle. Malka a beau jeu de rappeler qu’il y a quelques mois, Daniel Lecomte a opposé à toutes les tentatives de Rachida Dati pour visionner avant sa diffusion un documentaire qui lui était consacré une fin de non-recevoir. Il serait pour le moins étonnant qu’un meurtrier obtienne ce que la ministre de la Justice n’a pas obtenu.
Reste qu’il fallait oser. Rappelant quelques étapes de la brillante carrière de tueur de Carlos, Malka se déclare d’accord avec sa consœur : « Oui, Carlos est un personnage public et politique et même, un personnage historique, l’inventeur du terrorisme moderne. » À ce titre, il est malvenu à demander qu’on le traite comme un citoyen lambda.
On ne sait jamais, disent les professionnels. La décision sera rendue le 4 février. En vérité, on voit mal un tribunal français accorder à qui que ce soit, fût-il un tueur de grand chemin, le droit d’exercer une censure préalable sur une œuvre qui lui est consacrée. « Et pourquoi ne pas confier à Pol Pot le soin d’écrire sa biographie ? », questionne Malka. Carlos n’a pas réussi à nous priver de nos libertés avec ses bombes, il n’y parviendra pas avec ses procédures. » S’il attaque le film après sa diffusion, cela donnera certainement lieu à d’intéressants débats sur la liberté de création, s’agissant d’une fiction dont la ressemblance avec la réalité n’a rien de fortuit.
Dans le bureau de la magistrate où sont entassées une quinzaine de personnes, les journalistes sont peu nombreux, dix ou quinze fois moins que pour le procès des photos nues de Miss Paris – une affaire autrement importante. L’atmosphère est bizarrement détendue. Me Coutant-Lapeyre minaude vaguement. « Je serais enchantée, dit-elle à son adversaire, de recevoir vos BD dédicacées. » Comme c’est charmant.
Cette étrange procès a pourtant, remarque encore Malka, quelque chose de réjouissant. Il est en effet assez satisfaisant de voir un homme qui, toute sa vie, a conspué la démocratie bourgeoise et ses institutions demander réparation devant nos tribunaux. C’est bien la meilleure preuve de sa défaite.
Google, faut pas les chercher !
Hier, à Washington, Nancy Pelosi a fait applaudir Google par la Chambre des Représentants qu’elle préside, après que la firme américaine eut menacé la Chine de représailles si elle continuait à lancer ses hackers démocratiques et populaires aux trousses des militants chinois des droits de l’Homme. « L’annonce que Google va complètement réexaminer ses activités en Chine et ne tolèrera plus la censure de son moteur de recherche devrait servir d’exemple aux autres sociétés et aux gouvernements », a notamment déclaré Nancy Pelosi. Frédéric Mitterrand, qui veut taxer Google en France, cherche à joindre Hu Jintao, le président chinois, depuis hier.
L’ère de l’insécurité aérienne

Après l’attentat manqué de Noël, la sécurité du transport aérien et les problèmes liés au contrôle des passagers sont de nouveau à l’ordre du jour. À la suite du 11 septembre, un premier resserrement des mesures de sécurité avait alourdi et prolongé les procédures d’embarquement. Depuis l’attentat raté de Richard Reid, le « shoe bomber« , nous sommes tous priés d’ôter nos chaussures et grâce aux terroristes qui planifiaient en 2006 de faire sauter un avion à l’aide d’explosifs liquides, nous sommes privés de notre trousse de toilette en cabine. Désormais, après l’échec d’Umar Farouk Abdel Muttalib, le jeune Nigérian qui a essayé de faire sauter le vol Amsterdam-Detroit avec quelques dizaines de grammes d’explosifs, on promet de nous mettre tous à poil – technologiquement bien sûr. On n’ose pas imaginer la solution qui sortira du chapeau des responsables de la sécurité le jour où on apprendra qu’un terroriste avait placé des explosifs dans ses intestins, comme le font déjà les trafiquants de drogue…
Comme disent les Américains, nous sommes de toute évidence en train d’aboyer sous le mauvais arbre : nous cherchons toujours l’arme. Or, on sait désormais que l’arme peut être l’avion – comme ce fut le cas le 11 septembre – voire le terroriste lui-même. Or, par inertie et manque d’audace politique, les responsables de la sécurité continuent obstinément à chercher l’arme qui n’en est plus une. Enfin, il faut intégrer une évidence aussi simple que terrible : un homme résolu, bien entraîné et prêt à mourir peut faire s’écraser un avion – voire dérailler un train ou précipiter un car dans un ravin – les mains nues. Au lieu d’admettre cette triste réalité, en prendre acte et en tirer les conclusions, on nous propose une solution technologique de plus. Et il ne s’agit même pas d’un engin capable de lire les pensées mais d’une machine de plus consacrée à détecter les armes.
L’honnêteté intellectuelle oblige cependant à reconnaître que ces mesures ont porté leurs fruits. Si depuis 66 mois aucun passager n’a perdu la vie à cause d’un attentant, ce n’est pas parce que les organisations terroristes n’ont pas essayé. Il ne faut pas oublier que dans les cas d’Abdel Muttalib et de Richard Reid, le défi des nouvelles mesures de sécurité n’a été que partiellement relevé par les terroristes qui, faute de détonateurs (détectables), n’ont pas réussi à fabriquer un engin fiable. Mais la logique actuelle a atteint ses limites car au Yemen, en Afghanistan ou derrière les écrans d’ordinateurs du monde entier, de gros cerveaux se penchent sur le problème et ils finiront par trouver une solution meurtrière, ce n’est qu’une question de temps.
En fait, pour arrêter Farouk Abdel Muttalib à Schiphol, il n’y avait nul besoin de fouille sophistiquée. Il aurait suffi d’examiner les billets d’avion et l’itinéraire du passager. Premier indice : Abdel Muttalib avait acheté à Accra (Ghana) des billets pour un périple bien curieux : Accra-Lagos, Lagos-Amsterdam, Amsterdam-Detroit. Pourquoi ? Des vols directs relient régulièrement Accra et New York. Deuxième fait qui aurait dû éveiller les suspicions : Abdel Muttalib avait acheté ses billets tardivement et surtout, selon Yossi Melman du quotidien israélien Haaretz, il les a payés cher (2 800 dollars) et en cash. Ces seuls faits aurait dû suffire à l’isoler du reste des passagers, à l’interroger professionnellement, à le fouiller méthodiquement et à envoyer une photocopie de son passeport à toutes les agences concernées. Payer une place en première classe et un million de miles aux passagers soupçonnés à tort reviendrait moins cher que d’acheter et d’entretenir des centaines de machines, sans parler des files d’attente interminables capable de faire sortir de leurs gonds n’importe qui, même des préfets.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, même dans les opérations terroristes les plus sophistiquées – comme le dernier attentant manqué – les planificateurs ne pensent pas à tout, et les billets d’Abdel Muttalib en sont le dernier exemple. Comme les services français (voir l’affaire Rainbow Warrior), israéliens (l’affaire de Lillehammer) ou américains (le dernier attentat en Afghanistan contre la CIA), Al Qaeda n’est pas infaillible, loin de là ! Le terroriste ne ressemble que très rarement à un « voisin de palier », et même lorsque c’est le cas, il s’agit d’une ressemblance superficielle. En revanche, son comportement et son itinéraire s’écartent tellement souvent du normal et du probable qu’ils le trahissent. Ce sont ces petits indices qui devraient intéresser aujourd’hui les responsables de la sécurité aéroportuaire.
La sécurité des aéroports doit changer de paradigme et se tourner vers la composante humaine de l’équation : l’homme qui voyage et celui qui le contrôle. Mais le plus important est le constat suivant : la terreur est à notre civilisation ce que l’accident de la route est à la voiture. Elle fait désormais partie de notre vie, et le mieux qu’on peut espérer de nos institutions est de la réduire à un minimum tolérable et cela à un prix économique raisonnable.
Pauline n’ira plus à la plage

En art, on oublie trop souvent que seule la tradition est révolutionnaire.
Eric Rohmer, royaliste de cœur et cinéaste de génie, a illustré cet apparent paradoxe par des films tellement français que si notre pays disparaissait, on aimerait que les archéologues du futur tombent plutôt sur un dévédé de Ma nuit chez Maud que sur un roman de Christine Angot. Ce serait tout de même mieux pour comprendre qui nous fûmes réellement, pour comprendre ce qui ne mourait pas en nous, malgré toutes les mondialisations malheureuses et tous les désenchantements programmés d’une planète uniformisée par un progrès suicidaire.
En effet, qui mieux que Rohmer pour donner à voir et à savoir ce qu’a été notre façon nationale de jouer avec l’amour et le hasard et d’oublier qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Comment nous avions l’art, également, de parler de sentiments et de raison, un pull bleu marine sur les épaules, tout en contemplant la sensualité rêveuse de Marie Renoir dans L’Amie de mon amie ou la désinvolture acidulée d’Amanda Langlet dans Pauline à la plage.
Eric Rohmer, né en 1920, était l’aîné d’une bande d’élégants voyous cinéphiles et cinéphages que l’on a appelé la Nouvelle Vague à la fin des années 1950. Parce que Godard a tourné La Chinoise au moment du maoïsme, que Chabrol a passé sa carrière à stigmatiser le bourgeois sanguinaire, le garagiste beauf ou la Bovary en robe Paco Rabanne et que Rohmer lui-même a fait jouer à Pascal Gregory un édile du PS dans L’arbre, le maire et la médiathèque, on a souvent cru, par une erreur d’optique assez amusante, que ces garçons dans le vent, barricadés dans les Cahiers du Cinéma, étaient des avant-gardistes las du monde ancien.
C’est oublier un peu vite que Godard ne croit qu’au sujet et à l’individu, pariant toujours sur Pierrot Le Fou et Michel Poiccard contre les flics du structuralisme, que Chabrol est un misanthrope gourmand qui fait lire Céline à des chocolatiers suisses, qu’Alain Cavalier tourne des films splendides de noirceur mais est fasciné par l’OAS comme dans Le combat dans l’Ile ou L’Insoumis et, last but not the least, que Truffaut préfère adapter David Goodis et William Irish plutôt que de faire semblant de s’intéresser aux idées générales.
C’est que la Nouvelle Vague, et Rohmer au premier chef, ont eu une intuition géniale, la même que celle du prince Salina dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »
Tout changer, cela signifiait rejeter une narration cinématographique usée qui mimait le récit littéraire et à laquelle on ne croyait plus. Tout changer, c’était aussi transformer jusqu’à la nature du son et de l’image avec le Nagra et le 16 mm, c’est à dire savoir dompter sans complexe la technologie. Ce n’est pas un hasard si dans L’Anglaise et le Duc (2001), Rohmer fait appel au dernier cri en matière d’image de synthèse pour parler de la Révolution française et, néanmoins, approuver la lucidité désespérée d’une Grace Elliot royaliste contre la naïveté sympathique et dangereuse de Philippe d’Orléans.
Ne rien changer, en revanche, c’était cajoler cette idée réactionnaire mais incontestable et délicieuse d’un éternel féminin. Ne rien changer, c’était conserver ce goût du français, la langue la plus précise et la plus agréable qui soit pour la conversation, idéale pour disserter du tracé des frontières et de celui des émotions, une langue préservée depuis l’Astrée[1. Sujet du tout dernier film de Rohmer, Les amours d’Astrée et Céladon.] et objet d’une course de relais dans le Temps avec Marivaux, Musset et Morand dans le rôle des passeurs. Cette même langue qui se retrouvait, toujours aussi pure, une nuit enneigée de Noël, à Clermont-Ferrand, dans la bouche délicieuse de Françoise Fabian.
Mais le plus important, pour nous, c’est que nous avons appris les jeunes filles avec Rohmer, le Rohmer des Comédies et Proverbes, ces trésors improbables qui scintillaient dans les sinistres années 1980. Nous avions vingt ans, et sur l’écran nous voyions des garçons qui roulaient en 4L sur des voies rapides mais parlaient comme chez Chardonne. La carte du tendre se superposait magiquement au plan de Cergy-Pontoise. Nous désirions ces femmes qui peignaient des abat-jours dans des boutiques branchées de province. Elles étaient belles comme les amies de nos mères mais avaient la distance amusée des Précieuses et nous disaient, comme Madame Deshouillères : « Un amant sûr d’être aimé / Cesse toujours d’être aimable. »
Quant à nos petites amies, finalement, leur inconstance nous surprenait à peine. Nous étions renseignés depuis longtemps par Pascale Ogier dans Les nuits de la pleine lune : danser sur Elie et Jacno n’empêche pas de badiner avec l’amour, bien au contraire. Et, de toute façon, ce sont toujours elles qui pleurent à la fin.
Comme nous allons, maintenant, pleurer Eric Rohmer.
C’est loin, l’Amérique…

Fan absolu de James Ellroy, j’ai bien sûr acheté dès le matin de sa sortie Underworld USA, son dernier roman et ultime volet de la trilogie éponyme, entamée avec les fabuleux American Tabloïd (1995) et American Death Trip (2001). Cela dit, depuis, il est resté intact sur ma table de nuit. Je ne l’ai même pas sorti de son sac plastique de « L’Ecume des pages « . Je fais durer le plaisir. Et ça risque d’être long : je n’ai toujours pas lu une ligne de La main de Dante, le dernier roman de Nick Tosches, paru il y a sept ans pas plus que de La Princesse du sang le dernier texte, inachevé, de Jean-Patrick Manchette publié il y a une bonne douzaine d’années.
Mais bon, regarder ma dernière acquisition en chien de faïence ne m’empêche pas de d’entretenir mon vice. Et pour rien au monde, je n’aurais loupé l’interview de James Ellroy ce matin sur Inter chez Nicolas Demorand. Pour ne rien vous cacher, je ne connais pas bien ce garçon. Contrairement à Elisabeth, le matin, j’écoute plutôt Europe, son Marc-O, son Elkkabach et son Canteloup. Et pour tout vous dire cet entretien m’a un peu décontenancé. Non pas que l’intervieweur soit mauvais, il est largement au-dessus de la moyenne, il aime et respecte (et connaît !) l’auteur à qui il s’adresse, ses questions sont pertinentes, et souvent inattendues. Mais je l’ai senti totalement distancé par Ellroy, son refus du chichi, sa percussion, ces uppercuts à répétition.
Au tout début de l’interview, avant même que Nicolas ait abordé la question qui fâche, Ellroy s’empresse de déclarer liminairement « Je suis très à droite ! ». J’imagine que Demorand avait choisi de conserver cette question délicate entre toutes, surtout en France, pour la fin de l’entretien. Et j’imagine que James Ellroy le finaud s’en doutait un peu, et qu’il a décidé, dès l’entame, de semer sa zone. Oui, son livre est politique, et oui il veut donc parler de politique, et aller au choc. Ça commence donc très rock n’roll, mais Nicolas, prudent, évite la confrontation d’emblée, et préfère lui parler de littérature et d’histoire contemporaine ( le livre évoque les années Johnson-Nixon) et du subtil rapport entre personnages réels et fictifs. Sauf qu’Ellroy, lui, veut en découdre, il veut expliquer que c’est parce qu’il est de droite qu’il a voulu faire ce livre tel qu’il l’a fait , à savoir « raconter le cauchemar privé de la politique publique « . Ce que Nicolas, visiblement un peu gêné aux entournures d’admirer un écrivain aussi peu progressiste traduit à sa façon en le sollicitant d’avouer qu’il est un « pessimiste radical ». Sauf qu’Ellroy l’envoie aussitôt bouler : « Je suis un optimiste radical ! Je crois que les gens changent Je crois en Dieu, je crois que la vie est superbe, et je crois que c’est un plaisir d’écrire des romans » Et à partir de là, James-la-terreur déroule, personne ne l’empêchera plus de parler politique, et surtout pas son intervieweur complètement déboussolé…
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Lequel est donc bien obligé de venir, assez solennellement sur le terrain miné choisi par son invité: « James Ellroy, ça veut dire quoi être de droite pour un romancier ? » Réponse hilare de l’intéressé : « Ça veut dire que je veux payer moins d’impôts et garder le plus possible de mon blé. » Relativement indigné, Nicolas réplique aussitôt » Mais c’est comme pour n’importe quel chef d’entreprise ! » Ce qui oblige Ellroy à mettre les points sur les i, et même un peu les poings : « Moi, j’en ai marre des réflexes anti-patrons. Je vais fonder ma propre entreprise, et racheter France Inter. Vous devrez tous saluer le drapeau américain en entrant. Et ma mascotte sera le pittbull. » Tout le reste de l’entretien sera à l’avenant : Nicolas a beau s’accrocher, il ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, si Ellroy dit vraiment ce qu’il pense, ou s’il multiplie à l’envi les provocations. On sent que Nicolas Demorand cherche désespérément à faire la part des choses, et c’est justement là son erreur : le discours d’Ellroy est consubstantiellement sincère et provocant. Impossible de séparer ce que Dieu a uni.
En résumé, on reconnaîtra volontiers à Demorand son honnêteté, son absence de haine idéologique, sa connaissance rigoureuse de l’auteur et son œuvre, toutes choses pas si courantes ces dernières décennies. On déplorera néanmoins le décalage total qui s’est établi entre l’interviewé et l’intervieweur, qu’on aurait senti manifestement plus à l’aise face à un Rambaud, un d’Ormesson ou une Darrieussecq, bref face à un écrivain français standard, qui respecte les codes en vigueur y compris ceux de la fausse impertinence et de la provoc à deux balles. Là, il a affaire à un vrai déjanté, et en plus américain, réac, chrétien, féministe, et à part ça génial et ravi de l’être. Ça fait beaucoup pour un seul Demorand…
Le bras d’honneur islandais

Olafur Grimsson, le président de la République d’Islande a pris un coup de sang : il a refusé de promulguer la loi dite « Icesave » votée – de justesse par l’Althing, le parlement de l’île. Cette loi était la conséquence de l’accord passé avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas concernant le remboursement des pertes occasionnées pour les investisseurs de ces deux pays à la suite de la faillite, en octobre 2006, des principales banques islandaises.
Londres et La Haye ont déjà indemnisé à hauteur de 3,5 milliards d’euros les victimes de ce krach nordique, et se tournent maintenant vers l’Etat islandais, devenu propriétaire du système bancaire du pays, pour récupérer ces avances.
C’est un exemple parfait de la pratique consistant à privatiser les profits et à socialiser les pertes. La fuite en avant éperdue des banquiers islandais pendant les périodes de vaches grasses boursières, suivie avec bienveillance par un gouvernement dirigé par la droite libérale, avait abouti au gonflement effarant de la dette extérieure de ces banques. À la veille de la crise, cette dette représentait plus de huit fois le PIB de cette île qui ne compte qu’un peu plus de 300.000 habitants.
La loi retoquée par le président prévoyait que les Islandais allaient se serrer la ceinture jusqu’en 2024 pour honorer une dette représentant 40% de son PIB. La Constitution du pays prévoyant que le président de la République peut soumettre à référendum une loi votée par le parlement, mais contestée par au moins 20% de la population, ce dernier ne pouvait que donner satisfaction aux quelques 60.000 pétitionnaires opposés à ce racket.
Car il s’agit bien d’un racket opéré par deux pays réputés pour leur avidité financière sur une petite nation ne disposant ni d’armée performante, ni de pétrole pour résister aux pressions des puissants.
En effet, si l’on regarde dans le détail la nature de la créance contractée par les investisseurs britanniques et bataves auprès des établissements financiers islandais, on s’aperçoit qu’elle est principalement fondée sur des opérations dites de « carry trade« . Oyez ! Oyez ! Titulaires de livret A à 1,25% à la Caisse d’épargne vous n’êtes que des ploucs à peine sortis de l’économie des billets planqués sous le matelas. Le « carry trade » consiste à emprunter dans une devise pratiquant des taux de crédit bas, comme le yen japonais hier ou l’euro aujourd’hui, pour le placer dans une devise rémunérant mieux les sommes placées. Ainsi, on fait son beurre sur le différentiel de taux d’intérêt qui, dans le cas islandais, pouvait monter jusqu’à 7% !
On admettra qu’il s’agit là d’une manière plutôt économe d’efforts de gagner son bifteck, et même plus.
Le hic, c’est que ce système, pour fonctionner, exige que la devise de placement, en l’occurrence la couronne islandaise, reste relativement stable. Si elle se dévalue par trop sur le marché des devises, le profit des investisseurs fond beaucoup plus vite que les glaces qui recouvrent une grande partie de l’île.
Avec la complicité des principales agences de notations financières la dette islandaise était fort bien cotée, et les investisseurs se contentaient de ces évaluations bidon pour s’en mettre plein les poches avec l’esprit tranquille.
Or, il s’est avéré que les actifs des banques de Reykjavik étaient largement pourris par leur implication dans les subprimes aux Etats-Unis, et les prêts accordés sans garanties suffisantes aux ménages et entreprises islandaises, qui se sont toujours comportés comme des cigales, à la différence des autres pays scandinaves qui gèrent leur avoirs avec une prudence et une austérité luthérienne.
Il aurait suffi aux investisseurs aux yeux brillants devant la perspective de profits juteux d’étudier, ne serait-ce que superficiellement, l’histoire financière islandaise et de sa propension à faire marcher la planche à billets pour revenir à une vision moins optimiste de l’avenir de ses économies.
L’Islande va-t-elle refaire le coup de l’emprunt russe que les Soviets se sont refusé à honorer ? Il ne fait pas de doute que le référendum, qui doit se tenir à la fin du mois de février, avalisera le refus du Président de la république de rembourser les épiciers bataves et les petits messieurs de la City. Les Islandais, qui supportent déjà trois mois d’obscurité presque totale par an, ne sont pas masos au point de se laisser gruger et de dire merci.
Londres, qui a un long contentieux avec Reykjavik sur les zones de pêche, menace de bloquer la demande d’adhésion de l’Islande à l’Union européenne si elle ne crache pas au bassinet. On notera que le ton employé à l’égard des Islandais et au moins aussi dur que celui utilisé face à l’Iran, et que l’on ne renvoie pas aux calendes la perspective de sanctions. Et pourtant l’Islande est membre de l’OTAN, et ne menace personne d’effacement de la carte du monde.
« So what ? » répondent les descendants des Vikings, qui parlent tous un anglais convenable. Cette demande d’adhésion a été formulée dans un moment de panique, et le calme étant en partie revenu, elle a largement perdue en attrait dans une population qui craint de voir remise en cause sa zone de pêche exclusive étendue à 200 milles des côtes, et sa tradition de chasse à la baleine…
Si les Islandais devaient se serrer la ceinture à la suite des restrictions punitives de crédits internationaux dont ils seraient frappés s’ils ne remboursaient pas les créances de leurs banques faillies, ce serait alors dans l’honneur et la dignité. C’est assez rare pour être salué bien bas.
Grippe, l’Etat responsable, mais pas coupable

De pandémie, la grippe H1N1 a été rétrogradée en polémique, la menace déclassée en farce avec comme seule consolation l’espoir d’une éventuelle promotion au prestigieux et convoité statut d' »affaire ». En tout cas, il est presque certain aujourd’hui que la dangerosité du virus a été largement surestimée. Si l’heure des comptes n’a pas encore sonné, les décisions publiques sur ce dossier sont déjà vertement critiquées.
Beaucoup de pays et l’OMS elle-même ont, comme la France, pris le virus trop au sérieux. Sauf qu’à cette erreur d’analyse, le gouvernement français en a ajouté une deuxième en sur-réagissant. À la lumière des mêmes données, d’autres gouvernements ont pris des décisions beaucoup plus prudentes. Résultat, la France qui représente à peu près 1% de la population mondiale possède des stocks importants de Tamiflu (médicament censé traiter les symptômes grippaux mais dont l’efficacité est mise en doute) et a commandé 10 % des vaccins produits dans le monde. Enfin, à ces décisions problématiques s’est ajoutée l’organisation d’une campagne de vaccination dans des centres spécialement créés à cet effet et non par les médecins généralistes.
Dans ces conditions, la confiance dans la capacité de l’Etat à gérer une crise est sérieusement entamée. Nombre de citoyens se disent qu’ils ont eu raison de donner tort au gouvernement. Prêts à lui intenter un procès en passivité il y a quelques semaines ils sont aujourd’hui décidés à l’inculper pour suractivité et gaspillage des deniers publics.
Si procès il y a, il faut qu’il soit équitable. Pour juger les décisions prises pendant l’été et l’automne, il faut commencer par se demander de quelle information disposaient les décideurs (et notamment la troïka Bachelot-Fillon-Sarkozy) au moment où ils ont fait les arbitrages majeurs. Que savaient-ils du virus et du risque de pandémie ? Quelles propositions leur avaient concocté les fonctionnaires des différents ministères et agences compétents ?
L’essentiel est pourtant ailleurs. Au-delà des problèmes de santé publique, toute cette affaire de grippe A pose la question du « risque » et de son acceptation ou plutôt de son refus. « Délivrez-nous du risque », voilà ce que les citoyens demandent à leurs gouvernants. C’est peut-être de cette illusion-là que nous guériront les vaccins inutiles.
Aujourd’hui, la gestion de certains risques, liés notamment à l’environnement et à la santé publique doit se faire à l’enseigne ou plutôt sous la menace du « principe de précaution ». La définition la plus claire de ce principe se trouve dans la loi Barnier du 2 février 1995 : « L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. » Il suffit de remplacer « environnement » par « santé publique » et on voit la nasse dans laquelle est enfermé n’importe quel ministre face à une épidémie annoncée à grand renfort de tam-tam. Qu’il ne fasse rien ou qu’il agisse, il a de fortes chances d’être coupable.
De plus, derrière une apparence de clarté, ce texte est aussi ambigu qu’un verset des saintes écritures. Que signifient, s’il vous plaît, des mesures « effectives et proportionnées » ou encore un coût « économiquement acceptable » ? La proportionnalité d’une mesure (en l’occurrence l’achat de vaccins) et l’acceptabilité de son coût sont justement sujettes à débat. En fonction du contexte, la même décision peut être qualifiée de bonne, d’erreur légitime ou de faute.
Si madame Bachelot a acheté des montagnes de vaccins, ce n’est pas parce qu’elle est vendue aux trusts pharmaceutiques mais parce que nous ne voulons plus courir le moindre risque. Baignés dans une culture d’assurance, nourris au sein de l’Etat-providence, nous voulons vivre dans le Palais de cristal de Peter Sloterdijk. Dans ce monde dont l’homme occidental a expulsé la mort, chaque changement de notre routine climatisée et aseptisée est considéré comme un accident. Mais certains risques nous effraient plus que d’autres. Je connais personnellement plus de personnes qui se méfient des requins que du sucre, même si les squales sont beaucoup moins dangereux que le diabète.
Dans notre grande salle de gym nous ne savons plus apprécier la nature et l’intensité des menaces. Un rien nous effraie. Il serait assez malvenu de reprocher au gouvernement sa gestion de crise car elle est parfaitement raccord avec le conte de fées que nous lui demandons de nous raconter.
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