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Islamisme, antiracisme, même combat ?


Islamisme, antiracisme, même combat ?
Néron assistant au supplice d’une martyre chrétienne.
Néron assistant au supplice d’une martyre chrétienne.

Finkielkraut, Camus, Zemmour, Sarkozy, Hortefeux, Valls, Chirac, Frêche, Morano… et j’en passe. Il y a quelque chose de lassant, mais aussi de délirant qui interpelle dans ces explosions médiatiques et métronomiques, dont on ne sait si elles sont motivées par la jubilation de voir un puissant ou supposé tel trébucher ou par une colère sincère. Les deux, mon chef de meute, répondraient les indignés, s’ils savaient faire preuve parfois d’honnêteté intellectuelle. On se souvient de la remarque de Baudrillard sur le racisme, selon laquelle l’association SOS Racisme semble avoir formé son nom sur le modèle de celle qui défend les baleines. Donc SOS Racisme = SOS Baleines : il y a chez les antiracistes la volonté inconsciente de sauver le racisme comme objet idéal d’opposition. On ne sera jamais assez antiraciste. C’est pour cela que la consommation médiatique de « racistes » n’a jamais été si importante qu’aux temps de la criminalisation du racisme. Comment qualifier autrement que de ferveur religieuse cette volonté forcenée de rejeter dans les ténèbres extérieures ceux qui, à la faveur d’une simple phrase maladroite ou même parfois à la faveur de rien du tout, et alors même qu’en général ils ne cessent de réaffirmer leur stricte adhésion au dogme antiraciste, sont offerts soudainement et malgré eux en holocauste afin d’apaiser la fureur sacrée de ce Moloch moderne qu’est l’antiracisme. Personne, en France, aujourd’hui, parmi les sphères dirigeantes ou même seulement influentes, ne s’affirme ouvertement raciste, et pourtant la meute médiatique ne cesse de dénicher des racistes cachés, tels les antiques marranes, un peu partout aux quatre coins de l’Hexagone qui compte, à coups de vidéos volées et de petites phrases qui dérapent.

[access capability= »lire_inedits »]Durkheim, lorsqu’il identifiait le religieux et le social, soulignait que le crime était nécessaire à la société pour s’éprouver en tant que groupement humain partageant des valeurs communes. Lorsque le criminel ou supposé tel heurte les valeurs propres à une communauté, celle-ci réaffirme son existence en tant que communauté à travers la condamnation et le châtiment du coupable. Plus encore que les procédures judiciaires toujours compliquées à mettre en œuvre et trop soucieuses du droit des accusés, le lynchage médiatique est aujourd’hui une institution pénale sui generis qui se charge du rôle éminemment social de châtier les coupables. Grâce à elle, on ne s’embarrasse plus de fioritures juridiques et on va droit à l’essentiel. Taïaut ! Taïaut !

Heureusement, le lynchage médiatique ne tue pas. C’est même sans doute pour cela qu’il a pu être érigé en culte central de la religion antiraciste puisque, on le sait depuis René Girard, les religions établies sur le culte des sacrifices sanglants n’ont pas survécu à l’avènement du christianisme. Car l’antiracisme est bien une religion, ou plutôt une secte qui a réussi et qui trouve que les hérétiques sont toujours trop nombreux, beaucoup trop nombreux. Les hérétiques, quand il y en a un, ça va, c’est quand… Vous connaissez l’antienne.

Ainsi la France, surtout dans sa partie « souchienne », et malgré le réchauffement de la planète, est « frileuse », c’est-à-dire au fond du fond de son moi refoulé, raciste et « islamophobe » − le dernier-né des vocables créés par l’inventive démonologie du clergé de l’antiracisme, avec l’aide, faut-il le rappeler, d’un autre clergé, beaucoup moins métaphorique celui-là, je veux parler bien sûr du clergé chiite iranien − parce qu’elle n’accepte pas assez vite et avec assez d’enthousiasme l’islamisation d’une partie de sa population (outre les Français immigrés et enfants d’immigrés originellement musulmans, on parle de 60 000 convertis parmi les « souchiens »), et la transformation de ses paysages urbains par la construction de nombreuses mosquées (200 actuellement, selon des sources impeccables comme Le Monde). 60 000 convertis, 200 mosquées en construction, souvent grâce à des subventions publiques, ce n’est pas si mal quand même pour un pays dans lequel l’islamophobie ne cesse, paraît-il, de faire des progrès. En tant que « souchien », on a parfois l’impression de faire partie d’un troupeau houspillé sans relâche par les pasteurs du culte antiraciste pour gagner au plus vite le paradis enchanté de l’étable multiculturelle, diverse et/ou métissée, on ne sait plus trop. Allez, au trot, Blanchette, et on arrête de regarder en arrière !

Pendant ce temps-là, en Irak, l’épuration ethnique et religieuse s’accélère. Des bombes sont posées dans les églises, des femmes chrétiennes sont violées, des fidèles assassinés. En quelques années, le nombre de chrétiens a été divisé par trois dans cette vieille terre chrétienne, passant d’un million à moins de 400 000 personnes. Ces dernières semaines, une ville entière, c’est-à-dire 6 000 personnes, a été vidée de ses habitants à la suite de plusieurs attentats qui ont fait souffler un vent de panique parmi la population chrétienne. On est loin des graffitis, parfaitement idiots et répréhensibles, faut-il le préciser, de Castres ou de Toul.

Pendant ce temps-là, en Egypte, des lieux de culte, parfois des monastères parmi les plus anciens du monde chrétien, sont attaqués à l’arme lourde par des islamistes lors de heurts que la presse occidentale présente comme des « affrontements interreligieux ». Des femmes chrétiennes sont enlevées, converties de force et mariées à des musulmans, dans l’indifférence de tous, policiers compris.

Pendant ce temps-là, le Pakistan, soutenu à bout de bras par les deux superpuissances que sont la Chine et les Etats-Unis, parque ses trois millions de chrétiens dans des ghettos insalubres dans lesquels ils exercent les métiers dont personne ne veut dans ce « pays des purs ». Fin 2008, à Islamabad, un mur hérissé de tessons de bouteille a été construit autour de la « colonie française », le nom d’un ghetto où vivent 5 000 chrétiens sans eau courante, électricité ou ramassage d’ordures, pour isoler les bons Pakistanais musulmans des chrétiens accusés, dans ce pays, de tous les maux : ignorance, superstition, prostitution, alcoolisme, trafic de drogue. De temps en temps, une foule en furie se charge de faire appliquer, de façon assez expéditive, les lois anti-blasphème du coin, en lynchant quelques chrétiens. La dernière fois, c’était donc au mois d’août 2009, lorsque des chrétiens de Gojra ont été tués au cours d’une émeute provoquée par des rumeurs (infondées) de profanation du Coran. Les conséquences de l’exercice de la démocratie directe au Pakistan sont un peu plus sévères, avouons-le, que ce que l’on connaît chez nos amis suisses.

Selon une association proche du Vatican, les trois quart des persécutions religieuses dans le monde touchent aujourd’hui des chrétiens. Et si elles ne sont pas limitées aux pays musulmans, c’est bien en « terre d’islam », sur de très antiques terres chrétiennes, telles l’Egypte et l’Irak, qu’elles ont pris le plus d’ampleur.

Il n’est pas question ici de défendre une quelconque réciprocité dans le traitement des minorités religieuses, ici et là-bas. Quel cinglé pourrait envisager une chose pareille ? J’ai entendu, au cours d’un débat qui l’opposait à un « théologien musulman » égyptien, Oskar Freysinger, le député suisse à l’origine de la votation sur les minarets, se réclamer d’une politique du chacun chez soi qui fait froid dans le dos. Vous faites ce que voulez avec vos chrétiens d’Orient, disait-il en substance à son interlocuteur, et nous faisons ce que nous voulons avec nos musulmans. Ce qui revient à une démission complète du projet de tolérance religieuse que l’on défend en France et plus largement en Europe depuis quelques siècles. Raison pour laquelle il faut s’indigner du sort des chrétiens en terre d’islam. Et si possible agir. Comment ? Si vous avez une idée, je suis preneur.

Cette indifférence au sort de minorités qui courent de bien plus grands dangers que les nôtres, Freysinger la partage avec tous les antiracistes si prompts à stigmatiser le racisme occidental et l’islamophobie qui monte. Alors, je leur demande : où sont-ils quand on massacre les chrétiens d’Orient ?

J’en viens à me demander s’il n’existe pas une alliance objective, ou même une identité profonde, entre l’antiracisme qui triomphe ici et l’islamisme qui sévit là-bas. René Girard, en conclusion de son dernier ouvrage, se demandait si l’islam n’avait pas « pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque [c’est-à-dire sacrificielle, selon la terminologie girardienne] plus puissante que toutes les autres », et plus puissante peut-être que le christianisme lui-même, suis-je tenté d’ajouter les jours de déprime. L’islamisme nous prouve aujourd’hui que l’archaïque avait des ressources cachées. Avec l’antiracisme lyncheur, nous avons nous-mêmes recréé une religion archaïque fondée sur une idée chrétienne devenue folle : celle de l’unité du genre humain.

Assisterions-nous à une régression sacrificielle de l’humanité, ici sous la forme tragi-comique du lynchage médiatique antiraciste, là-bas sous la forme cauchemardesque de l’attentat de masse et de la purification religieuse, sous l’effet de l’affaissement spirituel de l’Occident et de la disparition de son magistère moral dans le reste du monde ? C’est la question que je me pose. Tant qu’on a le droit de la poser.[/access]

Janvier 2010 · N° 19

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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