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Vox populi, vox diaboli


Vox populi, vox diaboli

« Boîte de Pandore », « déversoir à fantasmes racistes et xénophobes », « cadeau de Noël pour Marine Le Pen » : tels sont les commentaires en forme de condamnation sans appel de l’initiative d’Eric Besson d’ouvrir le site de son ministère aux contributions du peuple, à l’occasion du « grand débat sur l’identité nationale ». Le seul fait d’y apporter sa contribution équivaudrait, selon les censeurs autoproclamés, à cautionner les immondices verbales déversées à cette occasion par la racaille raciste sur la scène publique avec la caution de l’Etat.

Ce débat, lancé par Sarkozy et son nouveau féal Besson, n’est certes pas exempt de pollution électoraliste, et il eût été plus convenable de l’organiser au deuxième semestre 2010, après les élections régionales et avant que la machine de l’élection présidentielle de 2012 ne commence à chauffer.

[access capability= »lire_inedits »]Mais même dans cette hypothèse, on peut être certain qu’aurait tout pareillement surgi cette parole raciste et xénophobe : les sentiments qui la sous-tendent existent dans l’esprit de nombre de nos concitoyens, il n’y a donc pas de raison qu’ils restent limités aux propos de comptoir, si l’on veut bien y prêter l’oreille. Ce n’est pas de la théorie élaborée, fondées sur des discours pseudo-scientifiques et sur une idéologie suprématiste comme celle qui s’est développée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le racisme d’aujourd’hui n’est ni savant, ni littéraire : il est populaire, brut de décoffrage et ne se réclame que de l’expérience de celui qui s’en fait le porte-parole.

Le pari de Sarkozy et de Besson, c’est qu’on ne lutte pas contre ce type de racisme et de xénophobie en faisant taire et en stigmatisant ceux qui l’expriment. Guaino, un homme curieux de tout, a sans doute étudié Mao Zedong, et s’est souvenu de cette campagne lancée par le Grand Timonier en 1956, intitulée « Que cent fleurs s’épanouissent ». On trouvera dans les ouvrages indispensables de Simon Leys et de Jon Halliday et Jung Chang[1. Jung Chang, Jon Halliday, Mao. L’histoire inconnue, Gallimard. Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao, Champ Libre.] la description détaillée de cet épisode de la geste maoïste.

Cette campagne faisait suite au catastrophique  » Grand bond en avant » qui avait lamentablement échoué sur le plan économique et provoqué des famines meurtrières à travers tout le pays. Le Grand Leader invitait alors toutes les forces vives de la Chine à exprimer leurs critiques et leurs propositions pour améliorer les choses, un débat dont le Parti communiste ferait, promettait-il, le meilleur usage. Les intellectuels, économistes ou ingénieurs insatisfaits sortirent alors du silence imposé par l’appareil totalitaire pour dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Quelques mois plus tard, un changement de ligne à 180 degrés mettait fin aux « Cent fleurs », et ceux qui avaient imprudemment ouvert la bouche furent victimes d’une impitoyable épuration « antidroitière » dont les morts se comptent par centaines de milliers.

La France de 2009 ne se trouve pas, fort heureusement, dans la situation économique et politique de la Chine de 1956. Il ne s’agit pas de faire sortir les racistes du bois pour les zigouiller ou les mettre au trou. Plus modestement, les responsables actuels cherchent un moyen de remettre en marche la machine à intégrer − et, n’ayons pas peur du mot, à assimiler − que fut la France des trois Républiques successives. Notons au passage que cette assimilation fut globalement un succès, malgré la persistance dans une partie de la population de sentiments hostiles aux populations qu’elle concernait. Faire émerger l’ampleur de ce refus de l’étranger, en étudier les ressorts n’est pas immoral en soi : il permet de combler une lacune que les idéologues des sciences humaines qui dominent cette discipline depuis quatre décennies ont sciemment laissé béante. Et pourquoi pas, son analyse par les experts pourrait contribuer à trouver des moyens de lutter plus efficacement contre les préjugés et les discriminations. Mao n’était pas un monstre lorsqu’il invitait les gens à s’exprimer. Il le devint quand il transforma ce vent de liberté en piège mortel.

Comment naît un fantasme raciste et xénophobe ? J’ai assisté tout récemment, en direct, dans le petit coin de France où je demeure, à un phénomène de ce genre dont je me contenterai de faire la description, laissant au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions.

Un patron de PME de la micromécanique, industrie phare de ma région alpine, emploie depuis plus de vingt-cinq ans un ouvrier algérien, à la satisfaction réciproque des deux parties, semble-t-il. Peu avant Noël, l’ouvrier vient voir le patron, en lui annonçant qu’il va devoir subir une opération chirurgicale qui le tiendra éloigné quelques semaines de l’entreprise. Le patron lui souhaite bonne chance, s’enquiert de l’hôpital où l’intervention doit avoir lieu, et lui manifeste sa reconnaissance d’avoir choisi une période creuse dans l’activité de l’usine pour aller se faire soigner. Quelques jours plus tard, le patron se dit qu’il serait sympathique de rendre une petite visite à son ouvrier qui va passer les fêtes, même si ce ne sont pas les siennes, dans un lit d’hôpital. « Mr X….. ? Chambre 26 », lui indique-t-on à la réception. Une minute plus tard, le visiteur se trouve, dans la chambre 26, face à un inconnu d’origine maghrébine. Ce qui s’est passé, on le devine aisément : l’ouvrier à « prêté » sa Carte vitale à un membre de sa famille venu du bled pour lui permettre de recevoir les soins que la République algérienne démocratique et populaire est incapable de lui fournir. Le patron est choqué. Tenant compte des bons et loyaux services de l’ouvrier, il ne le dénonce pas aux autorités, ni ne le licencie, mais raconte cette histoire à ses collègues patrons, qui la racontent ensuite à leur personnel. Tout ce petit monde est aujourd’hui persuadé que « les immigrés » escroquent en masse la Sécurité sociale et sont la cause première du trou abyssal de cette dernière.

Dans cette histoire, qui sont les bons ? Qui sont les mauvais ? J’envie ceux qui portent leurs certitudes à ce sujet en bandoulière morale et pétitionnaire. Ils me font penser à Mao.[/access]

Janvier 2010 · N° 19

Article extrait du Magazine Causeur



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