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Mort d’un romancier populaire


Mort d’un romancier populaire

Dans les années 70, Guillaume Musso et Marc Levy s’appelaient Patrick Cauvin. C’est dire si l’époque était plus sympathique. Un écrivain pouvait vendre des centaines de milliers d’exemplaires sans prendre ses lecteurs pour des cons. Il pouvait aussi écrire un français dont la pauvreté n’annonce pas la novlangue de demain, à base de sabir informatique et d’anglais véhiculaire.

Adolescents surdoués dans la France de Giscard

Mais Patrick Cauvin vient de mourir. Il avait 77 ans et avait obtenu un succès phénoménal avec E=Mc2 mon amour. C’était l’histoire de Roméo et Juliette, ou plutôt de Tristan et Iseult vécue par des adolescents surdoués dans la France de Giscard. On se souvient de l’avoir lu en édition club. C’était un livre de « la bibliothèque des parents. » On n’était un peu méfiant, toujours, avec les livres de la « bibliothèque des parents. » On avait seulement treize ans mais on était déjà très snob : on ne croyait qu’à la littérature et la littérature était une affaire d’écrivains morts. On avait dû lire ça un jour de disette. Et la disette s’est transformée en festin.

On aurait voulu être comme les héros : très intelligents, très amoureux, très drôles et puis s’enfuir à Venise. On se souvient d’avoir lu dans la foulée un autre roman de Cauvin sur un sujet similaire, l’amour impossible. Les protagonistes étaient un catcheur et une libraire qui louchait. Impossible de retrouver le titre mais, en même temps, il n’y a pas beaucoup d’histoires dont je me souvienne trente ans après. Même en admettant que l’adolescence fasse de nous des particulièrement plaques sensibles, les photographies de la mémoire pâlissent tout de même assez vite.

Si par hasard vous lisez un Musso ou un Lévy (on a tous le droit au mauvais goût), il est possible que vous passiez un moment distrayant mais ne venez pas me dire que vous vous en souvenez six mois après.

…alias Claude Klotz

Patrick Cauvin était sur le plan littéraire le représentant des années minitel là où Musso et Levy (Marc) sont ceux des années téléphone portable. Le minitel, c’était une technologie faite pour relier tout le monde sans distinction d’origine. C’était gratuit, ou presque. Un genre de service public. Le portable, lui, n’est pas là pour relier mais pour montrer que son porteur est dans le vent dominant de la quincaillerie électronique. Quand Musso et Levy mettent en scène des riches et des fantômes, Cauvin mettait en scène des vivants un peu cassés par leur intelligence ou leur physique. Cela ne l’empêchait pas de faire des best-sellers. Il était d’un temps où la littérature, et donc la société, savaient encore s’occuper des perdants, et les aimer aussi.
Prof de français dans une banlieue d’avant l’effondrement, Patrick Cauvin s’appelait en fait Claude Klotz. Il avait choisi de nom de Cauvin pour raconter ses histoires d’amour parce qu’il avait déjà utilisé le vrai pour raconter des horreurs. Les horreurs en questions étaient des genres de polars très brefs, très violents, écrits dans un style behavioriste qui est aussi à la même époque, celui de Jean-Patrick Manchette.
Ils mettaient notamment scène un héros récurrent Reiner et avaient pour titre Sbang Sbang, Putsch Punch ou Darakan. On les trouvait, au début des années 80, édités ou réédités par 10-18, avec des couvertures de Monory. C’était bien vu pour ces romans glacés qui sont peut-être les véritables chefs d’œuvre de l’écrivain : le froid, en littérature comme pour l’alimentation, ça conserve mieux.
Sous le nom de Klotz, parce que décidément, comme tout romancier populaire, il savait d’instinct ce qui travaille l’imaginaire d’une époque, il a aussi connu un grand succès aves Les Innommables, un roman sur la préhistoire qui prenait pourtant un parti-pris à la limite de l’expérimental : écrire dans le langage des hommes préhistoriques eux-mêmes.
Il croyait parler du passé. On peut se demander s’il n’annonçait pas l’avenir.

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