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On réécrit le match

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A la veille d’une nouvelle mobilisation sur le projet de loi sur les retraites, il n’est pas inutile de se pencher sur le cas d’Eugène Saccomano.

Lundi soir, lors de son émission « On refait le match », il a passé son temps à dénigrer le championnat de France de football, fustigeant son manque de spectacle récurrent, son faible niveau technique et le week-end -épouvantable, selon lui- que nous avaient infligé les joueurs de notre Ligue 1. Lui qui radote sans cesse en rappelant à peu près une semaine sur deux qu’il ne faut pas dire « En Arles » mais « à Arles », semble avoir des problèmes de mémoire irrémédiables puisqu’il a oublié que le Pays de Montbéliard, où se situe la ville de Sochaux, avait été rattaché à la France en 1792. En effet, les spectateurs du stade Bonal ont assisté à un spectacle magnifique, à des buts dont les images, selon Pierre Ménes, un journaliste en pleine possession de ses facultés mentales, « auraient fait le tour de la planète s’ils avaient été inscrits par Messi ou Ronaldo ».

Rien de tel, pour Monsieur Saccomano qui avait construit son sommaire autour de la nullité du championnat. Celui que ses confrères appelaient encore récemment Maître Sacco, n’est pas -rassurons-nous- atteint par l’Alzheimer. Il est seulement touché par un syndrome bien connu dans les maisons de retraite : l’hypertrophie du Moi qui se traduit par le refus du réel, la mauvaise foi insupportable et le radotage chronique. Il a encore combien d’années de contrat, au fait ?

L’Algérie en VO (Version Officielle)

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Lorsque Hors-la-Loi a été présenté à Cannes, le 21 juin 2010, une manifestation regroupant anciens combattants, harkis, pieds-noirs et députés UMP de la droite populaire[1. Courant de l’UMP auquel appartiennent Thierry Mariani et Lionnel Luca qui entend rappeler à Nicolas Sarkozy ses promesses électorales sur la sécurité et l’immigration] a défilé sur la Croisette en mémoire de « toutes les victimes de la guerre d’Algérie ». Quelques irréductibles nostalgiques de l’Algérie française menés par des élus au bord du FN dénonçant le film d’un Franco-Algérien que personne n’avait vu, c’était plus qu’il n’en fallait pour ne pas se faire entendre. La musique médiatique nous joua l’air des manœuvres électorales sur fond de racisme pour expliquer la grogne et le réalisateur traita la chose par le mépris, donnant rendez-vous à l’opinion après la sortie du film pour en parler.

Nous y sommes, parlons-en ! Hors-la-loi sort aujourd’hui et un débat s’impose.
Les historiens qui l’ont vu relèvent de nombreux anachronismes, des invraisemblances, des erreurs grossières mais c’est le lot de tous les films qui racontent une période de notre histoire de susciter des pinaillages de spécialistes. Le problème est ailleurs. Du début à la fin, Hors-la-loi est un mensonge par omission. L’auteur nous montre une seule Algérie et une seule France.

Où est l’Algérie de Jean Daniel et d’Albert Camus ?

Tous les Européens sont des voleurs de terre, des profiteurs et des assassins. Les médecins qui soignaient les petits Arabes, les instituteurs et l’école dont sont sortis les cadres de la Révolution nationale ne sont pas là.
L ’Algérie de mon père dont le meilleur copain est mort dans les rangs du FLN, celle de ma mère qui apprenait à lire aux petits musulmans, celle de ma grand-mère, juive rapatriée en 1962 qui parlait français mais chez qui les mots du cœur sont toujours venus en arabe, est totalement absente. Ces mêmes mots que la mère emploie dans le film. Compliqué, le contexte colonial ! Pas chez Bouchareb.
La France de Jean Daniel et d’Albert Camus est passée aux oubliettes. Celle du dirigeant communiste constantinois qui eut les mains tranchées à la hache par les manifestants en colère est ignorée.

Chez Bouchareb, le récit des massacres de Sétif s’écrit au singulier – un lieu, un jour, un coupable.
On y voit une manifestation pacifique de gens désarmés qui réclament des droits, tomber dans une véritable embuscade. Un policier français tue de sang-froid un porteur du drapeau algérien, la foule panique et tandis que des colons apparaissent aux balcons et tirent au fusil sur les gens, la police puis l’armée bloquent les rues et finissent à la mitrailleuse. Les deux seules victimes pieds-noirs sont des tireurs désarmés par une foule en état de légitime défense.
Or Sétif, ce n’est pas ça mais une manifestation qui dégénère après la mort du porteur de l’étendard nationaliste dans des heurts avec la police et, dans la même journée du 8 mai, des civils européens assassinés par la foule. La police intervient, suppléée par les tirailleurs sénégalais et, au soir, il y a autant de morts chez les pieds-noirs que chez les Arabes. Pendant les deux mois qui suivent, des fermes de colons isolées sont attaquées aux cris de djihad, les femmes violées, les familles égorgées et mutilées, un climat de terreur s’installe et une répression aveugle et atroce menée par l’armée aidée de milices s’organise. On compte plusieurs milliers de victimes chez les musulmans pour 102 morts européens.
Il ne s’agit pas en rappelant les morts pieds-noirs de justifier une répression aveugle et disproportionnée, mais au moins de tenter de l’expliquer.

Dans Hors-la-loi, les Français de métropole sont montrés à travers le même objectif borgne. On ne voit que les acteurs d’un appareil répressif prêt à tout, de la torture aux exécutions sommaires, pour combattre le FLN en France. Le film va jusqu’à nous montrer des attentats à la bombe contre les populations civiles des bidonvilles de Nanterre commis par un groupe paramilitaire couvert par l’Etat[2. La « Main rouge » ( barbouzes et colons radicaux couverts par les services secrets français) a éliminé des militants et des pourvoyeurs en armes du FLN en Afrique du Nord et en Europe dans les années 1950]. Outre que ces meurtres aveugles et massifs ne correspondent à rien de connu, la France opposée à la guerre et favorable à l’indépendance est presque totalement absente. Le seul porteur de valises est une femme amoureuse qui ne rêve que de coucher avec l’occupé.
Les Français de Charonne et ceux qui, lors du référendum d’avril 1962 sur les accords d’Evian, se prononcent à 90 % pour l’indépendance, sont donc terriblement absents ou incarnés par une femme aveuglée par l’amour. C’est un peu court.

Dans cette histoire dont il manque la moitié, seule reste l’image d’une France prête au massacre pour garder l’Algérie française. Faut-il rappeler que l’armée avait gagné cette guerre militairement ? Mais l’histoire imposait la décolonisation et dans une situation intenable moralement et politiquement, pour ne pas que la France devienne l’Afrique du sud, l’Etat et l’opinion en métropole ont renoncé à l’Algérie. D’où l’incompréhension des pieds-noirs, le putsch des généraux et l’OAS.

Alors que le temps pourrait apaiser les passions, réunir les mémoires et permettre de s’entendre sur un récit commun, la France et l’Algérie se livrent une véritable guerre des mémoires. En 2005, des députés français demandaient par la loi que l’on insiste à l’école sur « les aspects positifs de la colonisation » mais le projet était retiré par Chirac. En février 2010, les parlementaires algériens reprenaient l’idée développée par l’organisation nationale des moudjahidines ou « les enfants des martyrs » de « criminalisation de la colonisation Française » (proposition abandonnée par le gouvernement en juillet). C’est dans ce contexte que sort ce film dont le propos est conforme en tous points au récit officiel Algérien et à l’histoire racontée dans les manuels scolaires. Ce que Bouchareb laisse voir de la présence française, on le retrouve dans l’histoire officielle du régime et dans le discours des « Indigènes de la République ».

Quand les salauds ont disparu de l’histoire, ne restent que les justes. Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir

Même là où on le dit, pour l’en glorifier, impitoyable avec le FLN, Hors-la-loi ne risque pas de fâcher le régime algérien qui contrôle pourtant étroitement ses historiens[3. Voir l’entretien de Benjamin Stora dans L’Histoire, septembre 2010. « France-Algérie : la guerre des mémoires » : « Depuis un colloque à Essaouira au Maroc en mars dernier, le ministère algérien de l’Education a exigé que les historiens invités à des conférences à l’étranger lui soumettent au préalable leurs communications. Par ailleurs, avant de lancer des commandes de livres, les bibliothèques doivent soumettre leur choix à une commission du ministère de la Culture. Les chercheurs sont de fait sous surveillance.» ] C’est que le FLN dont il est question dans le film n’est pas celui dont le pouvoir actuel est issu. Ben Bella fut en effet renversé par le coup d’Etat de Boumediene en 1965 qui installa la junte militaire encore au pouvoir. Les acteurs de cette première époque, dans la grande tradition soviétique, ont longtemps été écartés des livres d’histoire.

Dans le film, les cadres révolutionnaires sont cyniques et quand un personnage qui ressemble furieusement à Ben Bella organise la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, on l’entend compter sur la répression qui s’abattra sur les Arabes en France pour faire avancer la cause avec l’aide des opinions internationales qui ne manqueront pas de condamner la France.
Bouchareb déclare dans un entretien : « Ce fut une guerre sale mais juste ». À Alger tout le monde est d’accord. Les révolutionnaires aux mains sales ont fait place nette. Quand les salauds ont disparu, ne restent que les justes.

Ce récit hémiplégique de l’histoire qui ne montre que des méchants blancs et qui, sous l’apparence d’une critique sévère du FLN d’avant 1962 s’inscrit dans la ligne de l’histoire officielle du régime, pourrait être une production du ministère algérien de l’Information. Il est l’œuvre d’un réalisateur franco-algérien, un homme qui a la double-nationalité, qui réalise une coproduction de la France et de l’Algérie. On pouvait espérer que son travail soit un pont entre les deux mémoires, une tentative d’écrire un récit commun. Ce n’est pas pour cette fois-ci. L’auteur réagit aux critiques en France : « Je ne veux pas prendre l’histoire à ma charge, moi, je fais du cinéma. » On peut l’entendre mais le même confiait au journal El Watan : « Avec mon film, on va rétablir la vérité, tout sortir des placards ». On se demande, du Français ou de l’Algérien, quel Bouchareb il faut croire.
Quand on pense que le film a été financé en partie par le service public français, dont la région PACA, il y avait peut être de quoi envahir la Croisette, finalement.

Les récits du passé compliquent la cohabitation au présent

Si les récits du passé séparent les peuples qui ont chacun le leur, ils peuvent compliquer la cohabitation au présent surtout quand les enfants des colons et ceux des colonisés appartiennent pour partie au même peuple (celui de France).
Dans le film, le soir du 17 octobre 1961, on entend dans une rame du métro parisien les clameurs de manifestants encadrés par le FLN qui crient : « vive l’Algérie !». Ces images rappellent les soirées d’après-match de football, quand l’Algérie joue et que les Français supportent. Certains, d’origine algérienne, le font bruyamment, parfois cassent tout sur leur passage et vont même jusqu’à brûler le drapeau français. Les autres supportent le bruit et la casse. Ce n’est pas la tendresse pour sa patrie d’origine qui est gênante, mais l’hostilité pour son pays natal.
Je ne veux pas présumer des intentions de l’auteur mais il est difficile de ne pas voir dans cette scène du film un rapprochement entre l’attitude des jeunes d’aujourd’hui et celle de leurs aînés. Ce que les uns font, leurs parents le faisaient déjà il y a 50 ans et la France, coloniale hier comme aujourd’hui, désapprouve. Or crier « vive l’Algérie ! » quand on est algérien en 1961 et le faire quand on est français en 2010, ça n’a pas le même sens.

Ce type de clin d’œil, si c’en est un, n’est pas de nature à aider des jeunes qui sont français mais ne se reconnaissent pas Français à sortir des complications identitaires dans lesquelles ils se débattent. Les difficultés des jeunes d’origine maghrébine pour trouver leur place dans la société française sont réelles. Fallait-il les charger du poids d’une guerre pas tout-à-fait finie ? J’en doute mais Rachid Bouchareb a sa réponse : « Moi, je fais du cinéma ! »

Pope music à Londres

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Photo : C. G. P. Grey

C’était pour lui le déplacement de tous les dangers. Attendu à Londres comme au coin d’un bois, on comprend pourquoi un pape a mis quasiment cinq cent ans à se décider avant d’effectuer au Royaume-Uni une visite d’Etat officielle.

Depuis que le bon roi Henry VIII s’est mis en marge de la grande famille chrétienne pour pouvoir répudier et décapiter ses femmes en toute tranquillité, les relations entre les Britanniques et les papistes sont fraîches, très fraîches. Jusqu’à cette malencontreuse « Anglicanorum coetibus » en novembre dernier qui facilite l’intégration dans le giron romain des prêtres anglicans hostiles aux ordinations de femmes et d’homosexuels. On dit que Sa Majesté a moyennement apprécié la concurrence déloyale sous couvert d’oecuménisme. Voilà qui n’a pas arrangé l’image rétrograde de Benedict, comme on l’appelle ici. Là où Jean-Paul II avait fait un tabac il y a vingt-huit ans avec une simple balade eucharistique entièrement financée par l’Eglise catholique, déclenchant une vague inédite de vocations, les fastes de la visite d’Etat, ses réceptions somptueuses dans les palais royaux quand tout le pays se serre la ceinture et ses dix millions de livres à la charge du contribuable – dont pas loin de deux pour la seule sécurité de His Holyness – ont fait grincer les dents. Avec pour unique résultat l’arrestation de six balayeurs des rues algériens qui avaient commis quelques mauvaises blagues à la cantine de Veolia. Les retombées économiques, militaires et scientifiques du petit séjour étant plus qu’improbables, les Britanniques font grise mine.

C’est oublier un peu vite que Benoit XVI est aussi le chef d’un Etat qui entretient des relations diplomatiques avec 178 capitales et reçoit les honneurs des Etats qu’il visite. Peu de divisions certes, pour reprendre le mot célèbre du camarade Staline, mais parlez-en à Jaruzelski et à Gorbatchev. Ils ont leur petite idée sur la façon dont un pape a aidé à faire tomber les murs en douceur, plus efficacement qu’une escouade de blindés soviétiques.

Un chef d’Etat et d’Eglise rencontre la Reine, le Premier ministre (quinze minutes), le Premier ministre bis (dix minutes) et une représentante du Labour (cinq minutes). Laquelle lui demande officiellement, après un débat interne assez vif, d’employer des gays et d’ordonner des femmes. On ignore sa réponse. Etrangement, malgré les réticences exprimées par les uns et les autres dans la presse, aucune célébrité politique ne manquait à la réception royale. De Lady Thatcher à Brown qui a interrompu la rédaction de son livre sur la récession (Gordon, tourne la page !), et naturellement le sémillant Blair, fraîchement converti et grand prosélyte, ils étaient venus, ils étaient tous là pour voir le Pape, se faire voir et entendre le rossignol écossais Susan Boyle reprendre son grand standard, « I dreamed a dream », j’ai rêvé un rêve. Un vrai programme de bénédictin.

Le Vatican n’est pas une démocratie parlementaire, se sont plaints quelques grincheux. Certes. Quand le Royaume-Uni a fastueusement reçu le président chinois en 2005, bien peu de voix se sont élevées. C’est que Hu Jintao arrivait avec des contrats plein les manches et un milliard de consommateurs. De quoi être très conciliant.

Il n’empêche, 80% des Britanniques se demandent pourquoi déployer un tel apparat pour accueillir le plus grand théocrate du monde.
Si les dogmes anglicans et catholiques sont cousins germains ou frères de lait, comme on voudra, c’est peu dire que leur approche très différente des questions de société les oppose. Du préservatif aux traitements pour la fertilité, du droit à l’avortement au statut des femmes et des homosexuels, nombreux sont les sujets qui fâchent. Sans oublier le plus important aux yeux des Britanniques, celui des abus sexuels commis par certains prêtres et leur traitement pour le moins opaque par la hiérarchie catholique. Sur les vingt-deux hommes emprisonnés pendant plus d’un an pour pédophilie avérée, quatorze le sont toujours. Pédophiles sans aucun doute, mais surtout prêtres. Sur tous ces points, la très majoritaire et très progressiste église anglicane mène sa propre voie, à l’inverse de Rome, de son Pape et de leurs six millions de fidèles brits qui font ici figures de dinosaures.

Du haut de sa tribune dans le Guardian « The new adventures of Stephen Fry », le comédien et réalisateur mène contre-manifestations et pétitions, soutenu par l’éminent professeur Dawkins, théoricien de l’évolution, du rationalisme et de la laïcité. Sans oublier l’aide précieuse quoiqu’inattendue du désopilant cardinal Walter Kasper. Après avoir comparé le Royaume-Uni au tiers-monde pour l’aspect bigarré de ses habitants et déploré son « athéisme agressif », le président du conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens (sic) a dû malheureusement renoncer à son séjour londonien pour de subites raisons de santé tandis que, très embarrassé, le Vatican s’extasiait sur le multiculturalisme en vogue outre-Manche.

Parcours du combattant eucharistique

Mais en quatre petits jours secs, mine de rien et sans désemparer, Benedict a fait beaucoup plus que le tarif papal syndical. Plus chaleureux, moins rigide que l’image attendue et en anglais please, il n’a rien oublié. Tout y est passé, un vrai pro. Il a dénoncé, en vrac, l’obsession de la réussite matérielle, le réchauffement climatique et le culte de la célébrité, il a loué les valeurs, le respect des autres, la dignité de l’individu, il a demandé l’effacement de la dette et l’aide aux plus pauvres, il a remercié l’Angleterre pour sa conduite exemplaire pendant la guerre et sa lutte contre le nazisme (et désamorcé au passage toute nouvelle allusion à son origine allemande et ses années de Hitlerjugend). Discours bien rôdé et imparable. Parcours du combattant eucharistique. Etape désormais obligatoire de toute visite papale, il a rencontré des victimes d’abus sexuels auxquelles il a répété sa condamnation et sa compassion. Célébré des vêpres œcuméniques à Westminster avec l’archevêque de Canterbury et béatifié un obscur cardinal converti au catholicisme au milieu du XIXème siècle. Après une dernière prière à Hyde Park parmi des dizaines de milliers de fidèles agitant de délicieuses banderoles très britanniques genre « We love Pope more than beans on toast » (??), il est remonté dans son « sheperd one », Berger One, comme l’ont surnommé les journalistes.

Contrat rempli, au pas de course. Benoit XVI a convaincu les Anglais, croyants ou non croyants, que ses préoccupations étaient les leurs. Sa dignité et sa sincérité ont fait le reste. Ceux qui lui prédisaient un voyage de cauchemar en seront pour leurs frais.

Pour autant, paroles, paroles diront-ils et bien peu de faits concrets. Les femmes, les gays et les victimes des abus sexuels ont toujours quelques raisons de manifester devant les grilles de la résidence du Vatican à Wimbledon. « Une curiosité anachronique » n’a pas hésité à titrer le Guardian. Noyées dans un discours très consensuel, ses allusions pourtant à peine voilées à l’excès de tolérance qui risque de marginaliser la religion et son plaidoyer pour qu’elle ne reste ni silencieuse, ni privée, ne seront sans doute pas comprises par une communauté plus sensible à l’ouverture aux « réalités modernes » qu’au discours d’un théologien militant de 83 ans.

Peut-on rire du rire?

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Je vous avais prévenu : Gérald Sibleyras ne respecte rien ! C’est à l’être le plus sacré, le plus intouchable de notre société qu’il s’en prend à présent dans sa nouvelle comédie, Stand up : le comique. Franchissant les limites de la décence, Sibleyras se permet de rire des comiques. Un tueur à gages décide de devenir comique professionnel. Il terrorise son comique préféré ainsi que le metteur en scène du Festival du rire de Morlaix afin qu’ils l’aident à se lancer dans le métier.

Dans Stand up, joué avec beaucoup de talent par Grégoire Bonnet, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Uchan et Anne-Sophie Germanaz, du mardi au samedi, au Théâtre Tristan Bernard, l’humoriste moderne révèle sa face cachée : il est tout-puissant (dans la pièce, il est même armé), plein de bonnes intentions (de gauche) et, bien sûr, pas drôle…

2012 : dernière élection avant liquidation

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Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn.

Soyons, pour une fois, péremptoire, et décrétons que la Ve République prendra fin à l’issue de l’élection présidentielle du printemps 2012. Si les événements me donnent tort, tant pis, on aura le droit de se moquer de moi, à moins que ce papier tombe dans le gouffre insondable de l’Oubli, cette providence des journalistes.

Le système politique instauré en 1958, modifié en 1962 avec l’élection du chef de l’État au suffrage universel, amendé par Jacques Chirac en 2000 avec l’introduction du quinquennat, est en train d’agoniser sous nos yeux. La coïncidence de la durée du mandat présidentiel avec celle de la législature de l’Assemblée nationale a introduit, de fait, un régime présidentiel à l’américaine, sans toutefois que le pouvoir législatif ait les moyens de limiter la toute-puissance de l’exécutif. Alors, ça coince, et l’actuel président n’est qu’en partie responsable de cette situation.

[access capability= »lire_inedits »]L’hyper-présidence n’est pas l’œuvre de Sarkozy, mais celle de Chirac

Cette « hyper-présidence » dans laquelle les détracteurs compulsifs de Nicolas Sarkozy voient sa malignité intrinsèque de fossoyeur de la démocratie n’est que la conséquence des réformes institutionnelles avalisées par le référendum du 24 septembre 2000, où le peuple approuva la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Les cotes de popularité de Nicolas Sarkozy (basse) et de François Fillon (élevée) révèlent que les Français ont bien compris que le régime avait changé : la distinction entre un président donnant les grandes orientations et s’occupant des affaires du monde et un premier ministre gérant « l’intendance » avec une réelle liberté de manœuvre est devenue inopérante. Lorsqu’on n’est pas content, on sanctionne le capitaine et on épargne le second.

L’agitation politique de cette rentrée, pour peu que l’on essaye de la décrypter, incite à penser que les stratèges des principaux partis ont déjà pris acte de la « parlementarisation » rampante du régime. On présente un candidat à la présidence de la République, non pas pour établir un lien quasi mystique entre un homme (ou une femme) et le peuple français, sauf dans le cas du délirant Villepin, mais pour être en mesure de négocier, au sein d’une future coalition, le poids de sa sous-famille à l’Assemblée et au gouvernement en cas de victoire.

L’événement majeur de cette rentrée est donc l’échec – provisoire ? − de Nicolas Sarkozy à faire de l’UMP l’unique parti fédérant toute la droite parlementaire derrière sa candidature à un second mandat. Bien que totalement dépourvu de charisme, le chef du « Nouveau centre », Hervé Morin, semble bien décidé à faire acte de candidature, et ne devrait y renoncer que s’il obtient de substantielles assurances de voir grossir son groupe parlementaire et sa part de gâteau ministériel. Et ce n’est même pas gagné, parce que grande est la tentation, pour Morin, d’essayer de récupérer ne serait-ce qu’une partie de la grosse pelote électorale amassée par Bayrou en 2007. Christine Boutin devrait également se signaler par quelque coup d’éclat médiatique et menacer d’être candidate jusqu’à ce que l’Élysée lui donne un sucre. Seul, mû par la haine de Sarkozy et l’indestructible certitude de sa légitimité à incarner la France, Dominique Galouzeau de Villepin ira jusqu’au bout d’un projet dont il n’est pas hasardeux de prévoir l’échec piteux : on ne se trompe pas d’époque impunément.

Même à l’extrême gauche, on joue au poker menteur. Avec ses amis

À gauche, le lancement de la candidature Éva Joly qui, telle la créature de Frankenstein, vient d’échapper à l’emprise de son concepteur, Dany Cohn-Bendit, repose sur l’hypothèse selon laquelle son succès attendu placera les Verts-Europe Écologie en position de force dans les négociations avec le PS. Dany aurait préféré un deal avec le PS avant l’élection présidentielle, garantissant un groupe parlementaire Vert en échange d’un soutien au candidat socialiste dès le premier tour, mais il a été borduré par le duo Duflot-Joly. Dans ces conditions, il n’est pas très optimiste sur les chances de son ancienne protégée de faire un bon score, car il connaît mieux que personne les limites de la dame : confuse dans l’expression, pourvue d’un accent nordique rugueux à l’oreille latine, totalement incompétente sur tout ce qui ne relève pas de sa marotte, la lutte contre la corruption, elle risque de se révéler l’erreur majeure de casting de la présidentielle 2012.

Et si on envoyait une respectable potiche à l’Élysée ?

Sous la défunte IVe République, que j’ai bien connue dans ma jeunesse, on votait d’abord – à la proportionnelle – et on marchandait ensuite en fonction des résultats des élections.

Aujourd’hui, les marchandages se déroulent avant l’élection, mais l’esprit « IVe » est bel et bien de retour. Même à l’extrême gauche, on joue au poker menteur avec ses amis les plus proches : ainsi le PCF avance la potentielle candidature d’un illustre inconnu, le député André Chassaigne, pour limiter les appétits de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, a quelques chances de créer la surprise à gauche. L’homme a du métier, doit à son passé trotskyste (tendance Lambert) une habileté certaine à naviguer dans les « orgas », et bénéficie d’un indéniable talent d’orateur populaire.

Comme le spectre des errements de la IVe République (instabilité gouvernementale chronique, alliances contre nature, etc.) ne dissuade plus de tenter de rééquilibrer les pouvoirs entre président et Parlement et que le bipartisme n’a aucune chance de jamais s’imposer dans notre pays, le prochain président, quel qu’il soit, ne pourra se dispenser de s’atteler à l’achèvement de la réforme des institutions. La suppression du poste de premier ministre et l’instauration d’un véritable régime présidentiel auraient l’avantage d’assurer la stabilité de l’exécutif, mais il implique la fin du cumul des mandats, pour que le Parlement puisse jouer pleinement son rôle de contrôle du pouvoir, comme c’est le cas aux États-Unis et dans la plupart des démocraties occidentales. On pourrait aussi abolir l’élection du président au suffrage universel et placer à l’Élysée une respectable potiche. Cela se pratique dans des pays très civilisés qui n’ont pas la chance d’avoir conservé une dynastie royale pour faire le job. Dans tous les cas, le statu quo est intenable, et les derniers soubresauts de la vie politique nationale démontrent qu’il faut agir, sauf à vouloir accroître le bordel ambiant.

Quelques nouvelles, pour conclure, de la météo politicienne pour les jours et semaines à venir. À en juger par quelques sondages triomphalement arborés par le Nouvel Obs, la gauche a le vent en poupe. Elle bénéficie en outre d’un avantage tactique, car l’incertitude entretenue sur le champion qui portera les couleurs du PS bloque les stratèges de l’UMP : on ne combat pas Martine Aubry comme Dominique Strauss-Kahn ou Ségolène Royal. Alors on se contente, en attendant, de droitiser le discours, pour ne pas laisser, comme aux régionales, l’électorat de la droite populaire retourner chez Le Pen. Pour le reste, on neutralise Chirac avec l’argent de l’UMP et on colmate au mieux les fuites consécutives à la secousse sécuritaire de l’été. Le remaniement devrait marquer la fin de l’« ouverture » et la mise en place d’une équipe homogène dont la fidélité inoxydable à Nicolas Sarkozy sera l’alpha et l’oméga.

DSK cèdera-t-il à la tentation de Marrakech ou aux amicales pressions ?

La gauche, cependant, est stratégiquement faible en raison des profondes divergences qui séparent le PS du plus fort de ses alliés potentiels, les écologistes. Le Meccano qui peut tenir à l’échelle de régions aux compétences limitées risque de sérieusement tanguer quand il s’agira d’établir un programme de gouvernement : quid du nucléaire, des bio et nanotechnologies, des infrastructures de transport ? Ce n’est pas en leur faisant coucou avec le care que Martine Aubry calmera les « décroissants » qui dominent la nébuleuse écologiste. Et ces braves vieux cocos scientistes et productivistes ne sont plus là pour faire contrepoids…

Dans ces conditions, on comprend un peu les hésitations de DSK à se lancer dans une aventure qui sera loin d’être un long fleuve tranquille, il pourrait bien céder à la tentation de Marrakech… Mais que faire avec un sondage qui vous met à 59-41 contre Sarko au second tour ? Encore deux comme ça et t’es coincé, Dominique ![/access]

L’Euro baisse, le franc remonte

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Quel beau révélateur ! Alors qu’une immense majorité des élites économiques, politiques et médiatiques persistent à croire que l’euro est une bonne chose, qui nous aurait même protégés pendant la crise, le peuple français pense de plus en plus le contraire.

La fracture monétaire

Un nouveau sondage révèle en effet que 60% des Français (contre 53% des Allemands) sont mécontents de l’euro, ce qui fait de nos compatriotes les plus eurosceptiques de la zone, les Britanniques étant plus de 80% à penser que l’euro n’apporterait aucun bénéfice. À peine 33% de la population pense que l’euro a apporté des bénéfices économiques à notre pays. Bref, la rupture avec la monnaie unique semble consommée. Rappelons pour faire bonne mesure que près de 40% des Français souhaitent le retour du franc.
Nul doute que les élites en tireront la conclusion qu’elles seules sont à même d’apprécier les bienfaits de cette monnaie unique que le bas peuple est incapable de comprendre. Cela serait sans doute un bon éditorial pour Alain Duhamel, Libération ou le Monde, qui soutiennent la monnaie unique avec la foi des religieux les plus extrêmes. Pourtant de plus en plus d’économistes réputés (Alain Cotta, Christian Saint Etienne, Jacques Sapir, Gérard Lafay) prennent position contre la monnaie unique, sans compter ceux qui critiquent la politique de la BCE…

Populisme et réalité

D’ailleurs, une analyse de la monnaie unique permet de conclure à sa dangerosité et je n’ai jamais croisé le fer avec une argumentation un tant soit peu solide la défendant. Ses partisans se contentent en général de dire qu’il serait trop compliqué de revenir en arrière, que cela reviendrait à tuer l’Europe ou que revenir au franc est passéiste. Mais d’une solide argumentation économique, il n’est jamais question.
Le décalage d’opinion entre les élites et le peuple tient sans doute au fait que si la monnaie unique a des avantages pour les premières (facilité pour les voyages intra-européens, protection des épargnants par la politique anti-inflationniste), ses inconvénients ne sont que pour le second (destruction d’emplois dans l’industrie du fait de sa surévaluation, compression du pouvoir d’achat dans une course sans fin à la compétitivité). Bref, le peuple a compris, lui, que l’euro ne servait pas l’intérêt général.

Depuis leur bulle, certaines élites ne parviennent pas à comprendre les travers de cette construction monétaire inique. Mais l’analyse qu’on en fait révèle la fracture sociale. Autrement dit, une divergence d’intérêts.

Que peut la littérature ?

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« Pourquoi, se demande Alain Finkielkraut, est-il nécessaire de lire ? Il n’y a pas d’accès au réel direct, pur, nu, dépouillé de toute mise en forme préalable. Il n’y a pas d’expérience sans référence : les mots sont logés dans les choses, une instance tierce se glisse entre nous et les autres, nous et le monde, nous et nous-mêmes. Et puisque la littérature est décidément toute-puissante, la question est de savoir à quelle bibliothèque on confie son destin. »

Ce soir, à 20 heures, à Strasbourg, Alain Finkielkraut, Renaud Camus, Elisabeth Lévy, Jérôme Leroy, Basile de Koch et Bertrand Burgalat évoqueront leurs bibliothèques idéales, leur amour de la littérature et rendront hommage à Philippe Muray. Rencontre animée par François Miclo. Le programme des Bibliothèques idéales.

Auto-insatisfaction

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Photo: Today is a good day

Je ne suis pas une exégète de Philippe Muray, comme d’aucuns dans cette boutique. Mais, ma foi, sa notoriété posthume vient encore de prendre 10 points ce samedi 19 septembre grâce à cette vidéo mise en ligne sur le site de Libé.

On y cause du « Parking day ». Une manifestation festive, citoyenne, mondiale, artistique, ludique, créative (aucun mot ne manque) qui grosso modo, vise à installer des chaises et des ballots de paille sur les places de parking dans Paris afin d’inciter « au dialogue », autour « d’un café » – qu’on imagine équitable – pour trouver des solutions à la « place de la voiture en ville et imaginer une mobilité douce ».

Evidemment la scène se passe près du canal Saint Martin, au cœur du Boboland sacré. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un petit pays où des journalistes de gauche et des graphistes de modes pleins aux as ont acheté des ateliers à rénover au milieu des Afghans qui campent dans le square Villemin et des familles immigrées qui s’entassent dans les logements sociaux de la mairie du Xème arrondissement.

Revenons à notre manifestation festive : on y croise des percussionnistes, des amateurs de vélo à cheveux longs, des écolos, des babas qui boivent des jus d’algues bleues. Evidemment, eux s’arrêtent pour causer de la place de la bagnole sur les quais du canal Saint-Martin. Bizarrement, je n’ai pas vu de chauffagiste avec sa camionnette venant du fond de la Seine Saint-Denis s’arrêter pour manger un sandwich au tofu et réclamer une mobilité plus douce pour transporter ses chauffe-eau depuis Bobigny. Mais j’ai pas dû bien regarder. Si ça se trouve, le chauffagiste aurait pu être un Malien sans-papiers et emmener ses nouveaux amis bobos au concert Touche pas à ma Nation ou à son concurrent Rock Sans Papiers qui se tenaient tous deux ce samedi. Enfin, à pied hein, puisqu’on est contre la bagnole.

D’ailleurs, moi aussi je suis contre. Y’en a trop, ça pue, ça fait du bruit. J’ai pas de leçon de morale à recevoir, je roule à vélo depuis 15 ans, quand mes amis écolos découvraient à peine l’existence des deux roues et que le Velib’ n’avait pas été inventé. Mais chaque fois que j’entends parler du trop de voitures, je me souviens de mon enfance provinciale. Sans voiture, on était mort, il en fallait même une pour essayer de prendre un train. Aujourd’hui je pense à ceux de mes amis qui habitent en banlieue et ont décidé de se passer du métro ou du bus et de leurs fréquences aléatoires, pour rouler en voiture. Au moins quand ils téléphonent en roulant, ils ne racontent pas leur vie à tout un wagon. Ou bien à ceux qui travaillent à la Défense et ont essayé trois fois de prendre la ligne 1 ou le RER A et sont arrivés systématiquement en retard à leurs rendez-vous.

Mais oui, inventons la mobilité douce et faisons des pique-niques festifs au bord du canal Saint-Martin. Flagellons-nous dès que nous prenons une voiture ou un avion, vu que les tarifs parfois de la SNCF (mobilité durable par excellence) sont plus élevés.

Sinon, j’ai deux petites questions à poser à mes amis du « Parking day » avant de venir avec mon tupperware (ah zut, le plastique c’est pas bio, mon bocal donc) : que pensent-ils de l’augmentation de la carte orange mijotée par la majorité rose-verte du Conseil Régional d’Ile de France (on parle de 85 euros pour deux zones, pour favoriser ceux qui ont un abonnement plus large, faudra m’expliquer d’ailleurs.) Seconde question : la pub Mercedes, sur une voiture verte attention, qui précède le reportage de Libé.fr, elle est écolo-compatible ?

Chaleurs d’été à la télé

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Chaleur

Il ne me reste pas assez de temps à vivre pour rattraper mes retards de lecture. Il y a tous les livres que je n’ai pas lus et tous ceux que j’aimerais relire. Pourtant, il m’arrive de passer des soirées entières devant la télé. Que Renaud Camus me pardonne mais certains soirs, quand j’entends le mot « culture », je sors ma télécommande et j’arpente le paysage audiovisuel en quête de plaisirs clinquants, bidons ou carrément bidonnés.

Je m’arrête souvent sur les reportages de flics. Sans bouger de mon canapé, par la caméra embarquée et la voix off, je participe à une enquête de police et, à la fin de l’émission, j’ai coffré des escrocs, des voleurs ou des assassins. Il faut beaucoup de patience pour suivre les planques et les filatures, des heures et des heures de travail pour accumuler des preuves, constituer des dossiers pour confondre les bandits alors que, même en floutant leurs visages, on voit au premier coup d’œil où passe la frontière entre le bien et le mal et qui sont les crapules. Un peu comme dans ces films de vengeance où le héros en prend plein la gueule pendant tout le film et, à la fin, châtie les méchants comme ils le méritent et même un peu plus, car, quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Je m’impatiente, mais j’exulte au moment des arrestations.
« Bouge pas ! À plat ventre par terre ! Les mains dans le dos ! Ferme ta gueule !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? C’est pas moi m’sieur, c’est pas d’ma faute !
– Ta gueule, on t’a dit ! Garde ça pour le juge ! »

[access capability= »lire_inedits »]Les dialogues manquent d’originalité, mais pourquoi chercher l’inédit quand on peut aller à l’essentiel ?

Puis viennent les interrogatoires, les aveux et la taule. Quand ça tourne mal, les voyous sont relâchés faute de preuves. Je m’endors alors en rêvant d’abus de pouvoir et de violences policières. J’imagine parfois des ordures qu’aucun Badinter ne pourra jamais réinsérer et que des policiers conscients de leur devoir décident de buter avant de les enterrer dans la forêt, épargnant à la société laborieuses palabres et dépenses inutiles.

Les soirs de chance, je tombe sur du catch féminin. Ces femelles fermement décidées à en découdre me fascinent. Je ne me fais pas trop d’illusions, je me doute que, dans la vie, ces filles sont normales : elles veulent qu’on les embrasse, qu’on n’oublie pas leur anniversaire et elles pleurent quand on les quitte, mais elles ont le bon goût de réserver ça à leur mari. Sur le ring, elles s’offrent à des millions de téléspectateurs en minishorts roses et bustiers au bord de l’explosion, distribuant manchettes et mandales. Je ne me lasse pas du spectacle de ces poupées Barbie bien en chair aux postures guerrières et, après les combats, je sombre dans le sommeil avec des envies de crêpage de chignon pour moi tout seul et de violences conjugales modérées et consenties.

Ploucs et chèvres douées de parole

Mais ma préférence va sans aucun doute aux émissions de célibataires. Elles sont nombreuses et variées, mettant en scène des ploucs à la recherche d’une chèvre douée de la parole − enfin dans les limites du supportable − ou de trentenaires chez qui l’horloge biologique est devenue une alarme assourdissante. Tous et toutes sont au bord du désespoir, revenus des aventures sans lendemain, cherchant chaussure à leur pied, couvercle à leur pot et autre âme sœur qui ne pourra toucher la marchandise qu’après avoir promis le mariage. On est prévenu d’entrée : pas sérieux s’abstenir !

Pour plaire avant la dernière ligne droite, les filles sont parfois tatouées et piercées de part en part, avec des seins en plastique et maquillées comme si elles sortaient des pompes funèbres mais rêvent de prince charmant et de mariage en blanc. Sous les décolletés et les jupes courtes, les peaux cuivrées sous les lampes dissimulent mal des âmes de mémères à la recherche de celui qu’elles ne tarderont pas à appeler « Papa » quand elles auront pondu leur œuf. Les émissions les rassemblent souvent en troupeaux dans des bars ou au bord de piscines pour qu’on les voie en maillot et, si ces poulaillers ambulants peuvent donner des envies de renard, on comprend vite en les entendant parler qu’il vaut mieux chasser des filles sauvages et farouches mais pas trop que cette volaille qui semble avoir été élevée loin de la nature des hommes. Ces grandes filles qui semblent n’avoir rien appris cherchent encore des garçons honnêtes, fidèles et pas menteurs. Leur besoin de se caser est si fort qu’elles semblent prêtes à se contenter de ceux-là et ça tombe bien, car, dans ce genre de programmes, il n’y a que ça.

Je sais, ce n’est pas très beau de rire du malheur des dindes, mais personne ne les a obligées à se mettre sur le marché de la séduction par le biais du télé-achat.

Pour séduire une femme, il faut être un homme

Les hommes qui s’inscrivent sur les listes des prétendants au mariage sans passer par la case « drague et sexe » sont loin des images que nous en donnent les chansons réalistes. Certains sont blonds et beaux et sentent peut-être le sable chaud, mais tous n’ont pas grand-chose d’autre à offrir qu’un cœur à prendre. Qu’ils cherchent un ventre pour y planter une famille ou une histoire d’amour qui dure, tous courent après un contrat, un serment, une garantie et des entraves avant même d’avoir joui. Tous veulent être rassurés sur la nature des intentions de leur future partenaire. Dans le flou, ils sont mal à l’aise et le mensonge leur fait horreur.

Les uns sortent d’un divorce qu’ils continuent de voir comme un échec là où tout homme normalement constitué savoure une libération et remettent leur sort et leur vie sexuelle entre les mains d’une fille un peu futée autoproclamée « coach » qui mettra plusieurs émissions à leur faire comprendre que, pour séduire une femme, il faut d’abord être un homme.

Les autres sont puceaux et sont passés de l’école d’ingénieurs au boulot d’ingénieur sans avoir vu le temps défiler et sans avoir pris le temps de prendre quelques femmes au passage. Timides et balourds, ils sont déjà du gibier avant même d’avoir rêvé d’être chasseurs. La première qui dira « oui » sera probablement la bonne et ils en rêvent en appelant ça « l’amour ».

Tout ce petit monde est fait pour s’entendre et je m’amuse au spectacle de ce que Deleuze nommait « cette sale petite manie de vouloir être aimé ». Quand je m’endors sur ces images, s’il m’arrive de rêver mariage, famille et amour-toujours, je demande qu’on me pince pour me ramener à une réalité chaotique, instable et pleine de surprises, où le goût que j’ai pris de la liberté et qui ne passera plus, comme un animal domestique qui a goûté au sang, ouvre à jamais le champ des possibles à 360 degrés. Mais ça, on ne le trouve pas à la télé ![/access]

Schiffter, flâneur classieux et sentimental

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Didier Pruvot/Flammarion

Que faire dans ce que Baudouin de Bodinat nomme « le peu d’avenir que contient le temps où nous vivons » ? L’époque, agrégat de manageurs et de managés volontaires, ne propose guère qu’expédients sécuritaires d’une part, et remèdes euphorisants des babas du blabla philosophique d’autre part. L’époque, il est vrai, n’aime pas les dandies.
Qu’est-ce qu’un dandy? C’est Mastroianni dans la Dolce vita, Jacques Dutronc dans Joseph et la fille avec sa vieille veste kaki, sa dégaine délicatement cabossée et ses yeux de gentleman cambrioleur plantés dans ceux de Hafsia Herzi. C’est, du côté des mots et de l’esprit buissonnier, Frédéric Schiffter, “nihiliste petit-bourgeois”, classieux et dilettante. Point commun à tous : l’élégance comme art de survivre.

Braconnages philosophiques

Dans sa Philosophie sentimentale, flânerie autour de ses quelques auteurs de chevet et des phrases qui nous restent d’eux quand nous avons tout oublié, Schiffter aurait d’ailleurs pu citer Jacques Dutronc : “J’aime les filles de chez Castel / J’aime les filles de chez Régine / J’aime les filles qu’on voit dans Elle / J’aime les filles des magazines.”

Schiffter fait partie de ceux qui pensent que les jeunes filles aident à supporter l’immonde et que la plus touchante des réponses, quand un journaliste demande à une actrice, Brigitte Bardot en l’occurrence, quel est le plus beau jour de sa vie, est : “Une nuit.” Et de nous rappeler, en écho, la pensée de José Ortega y Gasset : « L’amour est la tentative d’échanger deux solitudes. »
Schiffter n’écrit pas de manuel pour être heureux, encore moins d’antimanuel pour se palucher sans entraves. Avec Schopenhauer, il sait que « L’histoire d’une vie est toujours l’histoire d’une souffrance » et L’Ecclésiaste lui est un précieux compagnon de déroute : « Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ? »
Aux figures imposées des philosophes élyséens et autres rebelles de Caen, il préfère les braconnages hors des lopins balisés. Déjà, lorsqu’il était étudiant, il choisissait Jean-Patrick Manchette et Raymond Chandler plutôt que Kant ou Levinas. La philosophie, c’est aussi un roman noir. Question de style et de plaisir lui qui, avec Pessoa, se souvient qu’il est essentiel de « vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l’ennui, suffisamment méditée pour n’y tomber jamais. »

Les temps retrouvés

Avec sa Philosophie sentimentale, Schiffter offre un livre de l’inquiétude, du temps perdu et du temps retrouvé. Le temps, pour le philosophe est une arme de guerre à l’heure du règne des VRP, des DRH, des VIP. Le temps et la lenteur, toujours, contre les sigles et les acronymes. Nietzsche ne disait pas autre chose : « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave. » Le temps, chez Schiffter, est celui de l’ennui enchanteur et des fugues chez Montaigne, Chamfort ou, plus récemment chez Michel Houellebecq. C’est aussi le temps du flirt et des corps amoureux, des lunettes noires et de la plage loin du bavardage des fâcheux et des bonnes femmes.
C’est enfin le temps des larmes. Schiffter est né en Haute-Volta en 1956 : il ne connaitra la France qu’à dix ans, après la mort de son père. Et il faut lire, dans Philosophie sentimentale, ces pages sur le coeur mis à nu d’un orphelin à perpétuité, quand surgissent les silhouettes bouleversantes de ce père mort beaucoup trop tôt et d’une mère malade, qui boit un peu trop, une mère aux gestes “beaux comme les tremblements des mains dans l’alcoolisme”, selon la formule paradoxale et poignante de Lautréamont.

Philosophie sentimentale

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On réécrit le match

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A la veille d’une nouvelle mobilisation sur le projet de loi sur les retraites, il n’est pas inutile de se pencher sur le cas d’Eugène Saccomano.

Lundi soir, lors de son émission « On refait le match », il a passé son temps à dénigrer le championnat de France de football, fustigeant son manque de spectacle récurrent, son faible niveau technique et le week-end -épouvantable, selon lui- que nous avaient infligé les joueurs de notre Ligue 1. Lui qui radote sans cesse en rappelant à peu près une semaine sur deux qu’il ne faut pas dire « En Arles » mais « à Arles », semble avoir des problèmes de mémoire irrémédiables puisqu’il a oublié que le Pays de Montbéliard, où se situe la ville de Sochaux, avait été rattaché à la France en 1792. En effet, les spectateurs du stade Bonal ont assisté à un spectacle magnifique, à des buts dont les images, selon Pierre Ménes, un journaliste en pleine possession de ses facultés mentales, « auraient fait le tour de la planète s’ils avaient été inscrits par Messi ou Ronaldo ».

Rien de tel, pour Monsieur Saccomano qui avait construit son sommaire autour de la nullité du championnat. Celui que ses confrères appelaient encore récemment Maître Sacco, n’est pas -rassurons-nous- atteint par l’Alzheimer. Il est seulement touché par un syndrome bien connu dans les maisons de retraite : l’hypertrophie du Moi qui se traduit par le refus du réel, la mauvaise foi insupportable et le radotage chronique. Il a encore combien d’années de contrat, au fait ?

L’Algérie en VO (Version Officielle)

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Lorsque Hors-la-Loi a été présenté à Cannes, le 21 juin 2010, une manifestation regroupant anciens combattants, harkis, pieds-noirs et députés UMP de la droite populaire[1. Courant de l’UMP auquel appartiennent Thierry Mariani et Lionnel Luca qui entend rappeler à Nicolas Sarkozy ses promesses électorales sur la sécurité et l’immigration] a défilé sur la Croisette en mémoire de « toutes les victimes de la guerre d’Algérie ». Quelques irréductibles nostalgiques de l’Algérie française menés par des élus au bord du FN dénonçant le film d’un Franco-Algérien que personne n’avait vu, c’était plus qu’il n’en fallait pour ne pas se faire entendre. La musique médiatique nous joua l’air des manœuvres électorales sur fond de racisme pour expliquer la grogne et le réalisateur traita la chose par le mépris, donnant rendez-vous à l’opinion après la sortie du film pour en parler.

Nous y sommes, parlons-en ! Hors-la-loi sort aujourd’hui et un débat s’impose.
Les historiens qui l’ont vu relèvent de nombreux anachronismes, des invraisemblances, des erreurs grossières mais c’est le lot de tous les films qui racontent une période de notre histoire de susciter des pinaillages de spécialistes. Le problème est ailleurs. Du début à la fin, Hors-la-loi est un mensonge par omission. L’auteur nous montre une seule Algérie et une seule France.

Où est l’Algérie de Jean Daniel et d’Albert Camus ?

Tous les Européens sont des voleurs de terre, des profiteurs et des assassins. Les médecins qui soignaient les petits Arabes, les instituteurs et l’école dont sont sortis les cadres de la Révolution nationale ne sont pas là.
L ’Algérie de mon père dont le meilleur copain est mort dans les rangs du FLN, celle de ma mère qui apprenait à lire aux petits musulmans, celle de ma grand-mère, juive rapatriée en 1962 qui parlait français mais chez qui les mots du cœur sont toujours venus en arabe, est totalement absente. Ces mêmes mots que la mère emploie dans le film. Compliqué, le contexte colonial ! Pas chez Bouchareb.
La France de Jean Daniel et d’Albert Camus est passée aux oubliettes. Celle du dirigeant communiste constantinois qui eut les mains tranchées à la hache par les manifestants en colère est ignorée.

Chez Bouchareb, le récit des massacres de Sétif s’écrit au singulier – un lieu, un jour, un coupable.
On y voit une manifestation pacifique de gens désarmés qui réclament des droits, tomber dans une véritable embuscade. Un policier français tue de sang-froid un porteur du drapeau algérien, la foule panique et tandis que des colons apparaissent aux balcons et tirent au fusil sur les gens, la police puis l’armée bloquent les rues et finissent à la mitrailleuse. Les deux seules victimes pieds-noirs sont des tireurs désarmés par une foule en état de légitime défense.
Or Sétif, ce n’est pas ça mais une manifestation qui dégénère après la mort du porteur de l’étendard nationaliste dans des heurts avec la police et, dans la même journée du 8 mai, des civils européens assassinés par la foule. La police intervient, suppléée par les tirailleurs sénégalais et, au soir, il y a autant de morts chez les pieds-noirs que chez les Arabes. Pendant les deux mois qui suivent, des fermes de colons isolées sont attaquées aux cris de djihad, les femmes violées, les familles égorgées et mutilées, un climat de terreur s’installe et une répression aveugle et atroce menée par l’armée aidée de milices s’organise. On compte plusieurs milliers de victimes chez les musulmans pour 102 morts européens.
Il ne s’agit pas en rappelant les morts pieds-noirs de justifier une répression aveugle et disproportionnée, mais au moins de tenter de l’expliquer.

Dans Hors-la-loi, les Français de métropole sont montrés à travers le même objectif borgne. On ne voit que les acteurs d’un appareil répressif prêt à tout, de la torture aux exécutions sommaires, pour combattre le FLN en France. Le film va jusqu’à nous montrer des attentats à la bombe contre les populations civiles des bidonvilles de Nanterre commis par un groupe paramilitaire couvert par l’Etat[2. La « Main rouge » ( barbouzes et colons radicaux couverts par les services secrets français) a éliminé des militants et des pourvoyeurs en armes du FLN en Afrique du Nord et en Europe dans les années 1950]. Outre que ces meurtres aveugles et massifs ne correspondent à rien de connu, la France opposée à la guerre et favorable à l’indépendance est presque totalement absente. Le seul porteur de valises est une femme amoureuse qui ne rêve que de coucher avec l’occupé.
Les Français de Charonne et ceux qui, lors du référendum d’avril 1962 sur les accords d’Evian, se prononcent à 90 % pour l’indépendance, sont donc terriblement absents ou incarnés par une femme aveuglée par l’amour. C’est un peu court.

Dans cette histoire dont il manque la moitié, seule reste l’image d’une France prête au massacre pour garder l’Algérie française. Faut-il rappeler que l’armée avait gagné cette guerre militairement ? Mais l’histoire imposait la décolonisation et dans une situation intenable moralement et politiquement, pour ne pas que la France devienne l’Afrique du sud, l’Etat et l’opinion en métropole ont renoncé à l’Algérie. D’où l’incompréhension des pieds-noirs, le putsch des généraux et l’OAS.

Alors que le temps pourrait apaiser les passions, réunir les mémoires et permettre de s’entendre sur un récit commun, la France et l’Algérie se livrent une véritable guerre des mémoires. En 2005, des députés français demandaient par la loi que l’on insiste à l’école sur « les aspects positifs de la colonisation » mais le projet était retiré par Chirac. En février 2010, les parlementaires algériens reprenaient l’idée développée par l’organisation nationale des moudjahidines ou « les enfants des martyrs » de « criminalisation de la colonisation Française » (proposition abandonnée par le gouvernement en juillet). C’est dans ce contexte que sort ce film dont le propos est conforme en tous points au récit officiel Algérien et à l’histoire racontée dans les manuels scolaires. Ce que Bouchareb laisse voir de la présence française, on le retrouve dans l’histoire officielle du régime et dans le discours des « Indigènes de la République ».

Quand les salauds ont disparu de l’histoire, ne restent que les justes. Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir

Même là où on le dit, pour l’en glorifier, impitoyable avec le FLN, Hors-la-loi ne risque pas de fâcher le régime algérien qui contrôle pourtant étroitement ses historiens[3. Voir l’entretien de Benjamin Stora dans L’Histoire, septembre 2010. « France-Algérie : la guerre des mémoires » : « Depuis un colloque à Essaouira au Maroc en mars dernier, le ministère algérien de l’Education a exigé que les historiens invités à des conférences à l’étranger lui soumettent au préalable leurs communications. Par ailleurs, avant de lancer des commandes de livres, les bibliothèques doivent soumettre leur choix à une commission du ministère de la Culture. Les chercheurs sont de fait sous surveillance.» ] C’est que le FLN dont il est question dans le film n’est pas celui dont le pouvoir actuel est issu. Ben Bella fut en effet renversé par le coup d’Etat de Boumediene en 1965 qui installa la junte militaire encore au pouvoir. Les acteurs de cette première époque, dans la grande tradition soviétique, ont longtemps été écartés des livres d’histoire.

Dans le film, les cadres révolutionnaires sont cyniques et quand un personnage qui ressemble furieusement à Ben Bella organise la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, on l’entend compter sur la répression qui s’abattra sur les Arabes en France pour faire avancer la cause avec l’aide des opinions internationales qui ne manqueront pas de condamner la France.
Bouchareb déclare dans un entretien : « Ce fut une guerre sale mais juste ». À Alger tout le monde est d’accord. Les révolutionnaires aux mains sales ont fait place nette. Quand les salauds ont disparu, ne restent que les justes.

Ce récit hémiplégique de l’histoire qui ne montre que des méchants blancs et qui, sous l’apparence d’une critique sévère du FLN d’avant 1962 s’inscrit dans la ligne de l’histoire officielle du régime, pourrait être une production du ministère algérien de l’Information. Il est l’œuvre d’un réalisateur franco-algérien, un homme qui a la double-nationalité, qui réalise une coproduction de la France et de l’Algérie. On pouvait espérer que son travail soit un pont entre les deux mémoires, une tentative d’écrire un récit commun. Ce n’est pas pour cette fois-ci. L’auteur réagit aux critiques en France : « Je ne veux pas prendre l’histoire à ma charge, moi, je fais du cinéma. » On peut l’entendre mais le même confiait au journal El Watan : « Avec mon film, on va rétablir la vérité, tout sortir des placards ». On se demande, du Français ou de l’Algérien, quel Bouchareb il faut croire.
Quand on pense que le film a été financé en partie par le service public français, dont la région PACA, il y avait peut être de quoi envahir la Croisette, finalement.

Les récits du passé compliquent la cohabitation au présent

Si les récits du passé séparent les peuples qui ont chacun le leur, ils peuvent compliquer la cohabitation au présent surtout quand les enfants des colons et ceux des colonisés appartiennent pour partie au même peuple (celui de France).
Dans le film, le soir du 17 octobre 1961, on entend dans une rame du métro parisien les clameurs de manifestants encadrés par le FLN qui crient : « vive l’Algérie !». Ces images rappellent les soirées d’après-match de football, quand l’Algérie joue et que les Français supportent. Certains, d’origine algérienne, le font bruyamment, parfois cassent tout sur leur passage et vont même jusqu’à brûler le drapeau français. Les autres supportent le bruit et la casse. Ce n’est pas la tendresse pour sa patrie d’origine qui est gênante, mais l’hostilité pour son pays natal.
Je ne veux pas présumer des intentions de l’auteur mais il est difficile de ne pas voir dans cette scène du film un rapprochement entre l’attitude des jeunes d’aujourd’hui et celle de leurs aînés. Ce que les uns font, leurs parents le faisaient déjà il y a 50 ans et la France, coloniale hier comme aujourd’hui, désapprouve. Or crier « vive l’Algérie ! » quand on est algérien en 1961 et le faire quand on est français en 2010, ça n’a pas le même sens.

Ce type de clin d’œil, si c’en est un, n’est pas de nature à aider des jeunes qui sont français mais ne se reconnaissent pas Français à sortir des complications identitaires dans lesquelles ils se débattent. Les difficultés des jeunes d’origine maghrébine pour trouver leur place dans la société française sont réelles. Fallait-il les charger du poids d’une guerre pas tout-à-fait finie ? J’en doute mais Rachid Bouchareb a sa réponse : « Moi, je fais du cinéma ! »

Pope music à Londres

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Photo : C. G. P. Grey
Photo : C. G. P. Grey

C’était pour lui le déplacement de tous les dangers. Attendu à Londres comme au coin d’un bois, on comprend pourquoi un pape a mis quasiment cinq cent ans à se décider avant d’effectuer au Royaume-Uni une visite d’Etat officielle.

Depuis que le bon roi Henry VIII s’est mis en marge de la grande famille chrétienne pour pouvoir répudier et décapiter ses femmes en toute tranquillité, les relations entre les Britanniques et les papistes sont fraîches, très fraîches. Jusqu’à cette malencontreuse « Anglicanorum coetibus » en novembre dernier qui facilite l’intégration dans le giron romain des prêtres anglicans hostiles aux ordinations de femmes et d’homosexuels. On dit que Sa Majesté a moyennement apprécié la concurrence déloyale sous couvert d’oecuménisme. Voilà qui n’a pas arrangé l’image rétrograde de Benedict, comme on l’appelle ici. Là où Jean-Paul II avait fait un tabac il y a vingt-huit ans avec une simple balade eucharistique entièrement financée par l’Eglise catholique, déclenchant une vague inédite de vocations, les fastes de la visite d’Etat, ses réceptions somptueuses dans les palais royaux quand tout le pays se serre la ceinture et ses dix millions de livres à la charge du contribuable – dont pas loin de deux pour la seule sécurité de His Holyness – ont fait grincer les dents. Avec pour unique résultat l’arrestation de six balayeurs des rues algériens qui avaient commis quelques mauvaises blagues à la cantine de Veolia. Les retombées économiques, militaires et scientifiques du petit séjour étant plus qu’improbables, les Britanniques font grise mine.

C’est oublier un peu vite que Benoit XVI est aussi le chef d’un Etat qui entretient des relations diplomatiques avec 178 capitales et reçoit les honneurs des Etats qu’il visite. Peu de divisions certes, pour reprendre le mot célèbre du camarade Staline, mais parlez-en à Jaruzelski et à Gorbatchev. Ils ont leur petite idée sur la façon dont un pape a aidé à faire tomber les murs en douceur, plus efficacement qu’une escouade de blindés soviétiques.

Un chef d’Etat et d’Eglise rencontre la Reine, le Premier ministre (quinze minutes), le Premier ministre bis (dix minutes) et une représentante du Labour (cinq minutes). Laquelle lui demande officiellement, après un débat interne assez vif, d’employer des gays et d’ordonner des femmes. On ignore sa réponse. Etrangement, malgré les réticences exprimées par les uns et les autres dans la presse, aucune célébrité politique ne manquait à la réception royale. De Lady Thatcher à Brown qui a interrompu la rédaction de son livre sur la récession (Gordon, tourne la page !), et naturellement le sémillant Blair, fraîchement converti et grand prosélyte, ils étaient venus, ils étaient tous là pour voir le Pape, se faire voir et entendre le rossignol écossais Susan Boyle reprendre son grand standard, « I dreamed a dream », j’ai rêvé un rêve. Un vrai programme de bénédictin.

Le Vatican n’est pas une démocratie parlementaire, se sont plaints quelques grincheux. Certes. Quand le Royaume-Uni a fastueusement reçu le président chinois en 2005, bien peu de voix se sont élevées. C’est que Hu Jintao arrivait avec des contrats plein les manches et un milliard de consommateurs. De quoi être très conciliant.

Il n’empêche, 80% des Britanniques se demandent pourquoi déployer un tel apparat pour accueillir le plus grand théocrate du monde.
Si les dogmes anglicans et catholiques sont cousins germains ou frères de lait, comme on voudra, c’est peu dire que leur approche très différente des questions de société les oppose. Du préservatif aux traitements pour la fertilité, du droit à l’avortement au statut des femmes et des homosexuels, nombreux sont les sujets qui fâchent. Sans oublier le plus important aux yeux des Britanniques, celui des abus sexuels commis par certains prêtres et leur traitement pour le moins opaque par la hiérarchie catholique. Sur les vingt-deux hommes emprisonnés pendant plus d’un an pour pédophilie avérée, quatorze le sont toujours. Pédophiles sans aucun doute, mais surtout prêtres. Sur tous ces points, la très majoritaire et très progressiste église anglicane mène sa propre voie, à l’inverse de Rome, de son Pape et de leurs six millions de fidèles brits qui font ici figures de dinosaures.

Du haut de sa tribune dans le Guardian « The new adventures of Stephen Fry », le comédien et réalisateur mène contre-manifestations et pétitions, soutenu par l’éminent professeur Dawkins, théoricien de l’évolution, du rationalisme et de la laïcité. Sans oublier l’aide précieuse quoiqu’inattendue du désopilant cardinal Walter Kasper. Après avoir comparé le Royaume-Uni au tiers-monde pour l’aspect bigarré de ses habitants et déploré son « athéisme agressif », le président du conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens (sic) a dû malheureusement renoncer à son séjour londonien pour de subites raisons de santé tandis que, très embarrassé, le Vatican s’extasiait sur le multiculturalisme en vogue outre-Manche.

Parcours du combattant eucharistique

Mais en quatre petits jours secs, mine de rien et sans désemparer, Benedict a fait beaucoup plus que le tarif papal syndical. Plus chaleureux, moins rigide que l’image attendue et en anglais please, il n’a rien oublié. Tout y est passé, un vrai pro. Il a dénoncé, en vrac, l’obsession de la réussite matérielle, le réchauffement climatique et le culte de la célébrité, il a loué les valeurs, le respect des autres, la dignité de l’individu, il a demandé l’effacement de la dette et l’aide aux plus pauvres, il a remercié l’Angleterre pour sa conduite exemplaire pendant la guerre et sa lutte contre le nazisme (et désamorcé au passage toute nouvelle allusion à son origine allemande et ses années de Hitlerjugend). Discours bien rôdé et imparable. Parcours du combattant eucharistique. Etape désormais obligatoire de toute visite papale, il a rencontré des victimes d’abus sexuels auxquelles il a répété sa condamnation et sa compassion. Célébré des vêpres œcuméniques à Westminster avec l’archevêque de Canterbury et béatifié un obscur cardinal converti au catholicisme au milieu du XIXème siècle. Après une dernière prière à Hyde Park parmi des dizaines de milliers de fidèles agitant de délicieuses banderoles très britanniques genre « We love Pope more than beans on toast » (??), il est remonté dans son « sheperd one », Berger One, comme l’ont surnommé les journalistes.

Contrat rempli, au pas de course. Benoit XVI a convaincu les Anglais, croyants ou non croyants, que ses préoccupations étaient les leurs. Sa dignité et sa sincérité ont fait le reste. Ceux qui lui prédisaient un voyage de cauchemar en seront pour leurs frais.

Pour autant, paroles, paroles diront-ils et bien peu de faits concrets. Les femmes, les gays et les victimes des abus sexuels ont toujours quelques raisons de manifester devant les grilles de la résidence du Vatican à Wimbledon. « Une curiosité anachronique » n’a pas hésité à titrer le Guardian. Noyées dans un discours très consensuel, ses allusions pourtant à peine voilées à l’excès de tolérance qui risque de marginaliser la religion et son plaidoyer pour qu’elle ne reste ni silencieuse, ni privée, ne seront sans doute pas comprises par une communauté plus sensible à l’ouverture aux « réalités modernes » qu’au discours d’un théologien militant de 83 ans.

Peut-on rire du rire?

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Je vous avais prévenu : Gérald Sibleyras ne respecte rien ! C’est à l’être le plus sacré, le plus intouchable de notre société qu’il s’en prend à présent dans sa nouvelle comédie, Stand up : le comique. Franchissant les limites de la décence, Sibleyras se permet de rire des comiques. Un tueur à gages décide de devenir comique professionnel. Il terrorise son comique préféré ainsi que le metteur en scène du Festival du rire de Morlaix afin qu’ils l’aident à se lancer dans le métier.

Dans Stand up, joué avec beaucoup de talent par Grégoire Bonnet, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Uchan et Anne-Sophie Germanaz, du mardi au samedi, au Théâtre Tristan Bernard, l’humoriste moderne révèle sa face cachée : il est tout-puissant (dans la pièce, il est même armé), plein de bonnes intentions (de gauche) et, bien sûr, pas drôle…

2012 : dernière élection avant liquidation

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Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn.
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn.

Soyons, pour une fois, péremptoire, et décrétons que la Ve République prendra fin à l’issue de l’élection présidentielle du printemps 2012. Si les événements me donnent tort, tant pis, on aura le droit de se moquer de moi, à moins que ce papier tombe dans le gouffre insondable de l’Oubli, cette providence des journalistes.

Le système politique instauré en 1958, modifié en 1962 avec l’élection du chef de l’État au suffrage universel, amendé par Jacques Chirac en 2000 avec l’introduction du quinquennat, est en train d’agoniser sous nos yeux. La coïncidence de la durée du mandat présidentiel avec celle de la législature de l’Assemblée nationale a introduit, de fait, un régime présidentiel à l’américaine, sans toutefois que le pouvoir législatif ait les moyens de limiter la toute-puissance de l’exécutif. Alors, ça coince, et l’actuel président n’est qu’en partie responsable de cette situation.

[access capability= »lire_inedits »]L’hyper-présidence n’est pas l’œuvre de Sarkozy, mais celle de Chirac

Cette « hyper-présidence » dans laquelle les détracteurs compulsifs de Nicolas Sarkozy voient sa malignité intrinsèque de fossoyeur de la démocratie n’est que la conséquence des réformes institutionnelles avalisées par le référendum du 24 septembre 2000, où le peuple approuva la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Les cotes de popularité de Nicolas Sarkozy (basse) et de François Fillon (élevée) révèlent que les Français ont bien compris que le régime avait changé : la distinction entre un président donnant les grandes orientations et s’occupant des affaires du monde et un premier ministre gérant « l’intendance » avec une réelle liberté de manœuvre est devenue inopérante. Lorsqu’on n’est pas content, on sanctionne le capitaine et on épargne le second.

L’agitation politique de cette rentrée, pour peu que l’on essaye de la décrypter, incite à penser que les stratèges des principaux partis ont déjà pris acte de la « parlementarisation » rampante du régime. On présente un candidat à la présidence de la République, non pas pour établir un lien quasi mystique entre un homme (ou une femme) et le peuple français, sauf dans le cas du délirant Villepin, mais pour être en mesure de négocier, au sein d’une future coalition, le poids de sa sous-famille à l’Assemblée et au gouvernement en cas de victoire.

L’événement majeur de cette rentrée est donc l’échec – provisoire ? − de Nicolas Sarkozy à faire de l’UMP l’unique parti fédérant toute la droite parlementaire derrière sa candidature à un second mandat. Bien que totalement dépourvu de charisme, le chef du « Nouveau centre », Hervé Morin, semble bien décidé à faire acte de candidature, et ne devrait y renoncer que s’il obtient de substantielles assurances de voir grossir son groupe parlementaire et sa part de gâteau ministériel. Et ce n’est même pas gagné, parce que grande est la tentation, pour Morin, d’essayer de récupérer ne serait-ce qu’une partie de la grosse pelote électorale amassée par Bayrou en 2007. Christine Boutin devrait également se signaler par quelque coup d’éclat médiatique et menacer d’être candidate jusqu’à ce que l’Élysée lui donne un sucre. Seul, mû par la haine de Sarkozy et l’indestructible certitude de sa légitimité à incarner la France, Dominique Galouzeau de Villepin ira jusqu’au bout d’un projet dont il n’est pas hasardeux de prévoir l’échec piteux : on ne se trompe pas d’époque impunément.

Même à l’extrême gauche, on joue au poker menteur. Avec ses amis

À gauche, le lancement de la candidature Éva Joly qui, telle la créature de Frankenstein, vient d’échapper à l’emprise de son concepteur, Dany Cohn-Bendit, repose sur l’hypothèse selon laquelle son succès attendu placera les Verts-Europe Écologie en position de force dans les négociations avec le PS. Dany aurait préféré un deal avec le PS avant l’élection présidentielle, garantissant un groupe parlementaire Vert en échange d’un soutien au candidat socialiste dès le premier tour, mais il a été borduré par le duo Duflot-Joly. Dans ces conditions, il n’est pas très optimiste sur les chances de son ancienne protégée de faire un bon score, car il connaît mieux que personne les limites de la dame : confuse dans l’expression, pourvue d’un accent nordique rugueux à l’oreille latine, totalement incompétente sur tout ce qui ne relève pas de sa marotte, la lutte contre la corruption, elle risque de se révéler l’erreur majeure de casting de la présidentielle 2012.

Et si on envoyait une respectable potiche à l’Élysée ?

Sous la défunte IVe République, que j’ai bien connue dans ma jeunesse, on votait d’abord – à la proportionnelle – et on marchandait ensuite en fonction des résultats des élections.

Aujourd’hui, les marchandages se déroulent avant l’élection, mais l’esprit « IVe » est bel et bien de retour. Même à l’extrême gauche, on joue au poker menteur avec ses amis les plus proches : ainsi le PCF avance la potentielle candidature d’un illustre inconnu, le député André Chassaigne, pour limiter les appétits de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, a quelques chances de créer la surprise à gauche. L’homme a du métier, doit à son passé trotskyste (tendance Lambert) une habileté certaine à naviguer dans les « orgas », et bénéficie d’un indéniable talent d’orateur populaire.

Comme le spectre des errements de la IVe République (instabilité gouvernementale chronique, alliances contre nature, etc.) ne dissuade plus de tenter de rééquilibrer les pouvoirs entre président et Parlement et que le bipartisme n’a aucune chance de jamais s’imposer dans notre pays, le prochain président, quel qu’il soit, ne pourra se dispenser de s’atteler à l’achèvement de la réforme des institutions. La suppression du poste de premier ministre et l’instauration d’un véritable régime présidentiel auraient l’avantage d’assurer la stabilité de l’exécutif, mais il implique la fin du cumul des mandats, pour que le Parlement puisse jouer pleinement son rôle de contrôle du pouvoir, comme c’est le cas aux États-Unis et dans la plupart des démocraties occidentales. On pourrait aussi abolir l’élection du président au suffrage universel et placer à l’Élysée une respectable potiche. Cela se pratique dans des pays très civilisés qui n’ont pas la chance d’avoir conservé une dynastie royale pour faire le job. Dans tous les cas, le statu quo est intenable, et les derniers soubresauts de la vie politique nationale démontrent qu’il faut agir, sauf à vouloir accroître le bordel ambiant.

Quelques nouvelles, pour conclure, de la météo politicienne pour les jours et semaines à venir. À en juger par quelques sondages triomphalement arborés par le Nouvel Obs, la gauche a le vent en poupe. Elle bénéficie en outre d’un avantage tactique, car l’incertitude entretenue sur le champion qui portera les couleurs du PS bloque les stratèges de l’UMP : on ne combat pas Martine Aubry comme Dominique Strauss-Kahn ou Ségolène Royal. Alors on se contente, en attendant, de droitiser le discours, pour ne pas laisser, comme aux régionales, l’électorat de la droite populaire retourner chez Le Pen. Pour le reste, on neutralise Chirac avec l’argent de l’UMP et on colmate au mieux les fuites consécutives à la secousse sécuritaire de l’été. Le remaniement devrait marquer la fin de l’« ouverture » et la mise en place d’une équipe homogène dont la fidélité inoxydable à Nicolas Sarkozy sera l’alpha et l’oméga.

DSK cèdera-t-il à la tentation de Marrakech ou aux amicales pressions ?

La gauche, cependant, est stratégiquement faible en raison des profondes divergences qui séparent le PS du plus fort de ses alliés potentiels, les écologistes. Le Meccano qui peut tenir à l’échelle de régions aux compétences limitées risque de sérieusement tanguer quand il s’agira d’établir un programme de gouvernement : quid du nucléaire, des bio et nanotechnologies, des infrastructures de transport ? Ce n’est pas en leur faisant coucou avec le care que Martine Aubry calmera les « décroissants » qui dominent la nébuleuse écologiste. Et ces braves vieux cocos scientistes et productivistes ne sont plus là pour faire contrepoids…

Dans ces conditions, on comprend un peu les hésitations de DSK à se lancer dans une aventure qui sera loin d’être un long fleuve tranquille, il pourrait bien céder à la tentation de Marrakech… Mais que faire avec un sondage qui vous met à 59-41 contre Sarko au second tour ? Encore deux comme ça et t’es coincé, Dominique ![/access]

L’Euro baisse, le franc remonte

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Quel beau révélateur ! Alors qu’une immense majorité des élites économiques, politiques et médiatiques persistent à croire que l’euro est une bonne chose, qui nous aurait même protégés pendant la crise, le peuple français pense de plus en plus le contraire.

La fracture monétaire

Un nouveau sondage révèle en effet que 60% des Français (contre 53% des Allemands) sont mécontents de l’euro, ce qui fait de nos compatriotes les plus eurosceptiques de la zone, les Britanniques étant plus de 80% à penser que l’euro n’apporterait aucun bénéfice. À peine 33% de la population pense que l’euro a apporté des bénéfices économiques à notre pays. Bref, la rupture avec la monnaie unique semble consommée. Rappelons pour faire bonne mesure que près de 40% des Français souhaitent le retour du franc.
Nul doute que les élites en tireront la conclusion qu’elles seules sont à même d’apprécier les bienfaits de cette monnaie unique que le bas peuple est incapable de comprendre. Cela serait sans doute un bon éditorial pour Alain Duhamel, Libération ou le Monde, qui soutiennent la monnaie unique avec la foi des religieux les plus extrêmes. Pourtant de plus en plus d’économistes réputés (Alain Cotta, Christian Saint Etienne, Jacques Sapir, Gérard Lafay) prennent position contre la monnaie unique, sans compter ceux qui critiquent la politique de la BCE…

Populisme et réalité

D’ailleurs, une analyse de la monnaie unique permet de conclure à sa dangerosité et je n’ai jamais croisé le fer avec une argumentation un tant soit peu solide la défendant. Ses partisans se contentent en général de dire qu’il serait trop compliqué de revenir en arrière, que cela reviendrait à tuer l’Europe ou que revenir au franc est passéiste. Mais d’une solide argumentation économique, il n’est jamais question.
Le décalage d’opinion entre les élites et le peuple tient sans doute au fait que si la monnaie unique a des avantages pour les premières (facilité pour les voyages intra-européens, protection des épargnants par la politique anti-inflationniste), ses inconvénients ne sont que pour le second (destruction d’emplois dans l’industrie du fait de sa surévaluation, compression du pouvoir d’achat dans une course sans fin à la compétitivité). Bref, le peuple a compris, lui, que l’euro ne servait pas l’intérêt général.

Depuis leur bulle, certaines élites ne parviennent pas à comprendre les travers de cette construction monétaire inique. Mais l’analyse qu’on en fait révèle la fracture sociale. Autrement dit, une divergence d’intérêts.

Que peut la littérature ?

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« Pourquoi, se demande Alain Finkielkraut, est-il nécessaire de lire ? Il n’y a pas d’accès au réel direct, pur, nu, dépouillé de toute mise en forme préalable. Il n’y a pas d’expérience sans référence : les mots sont logés dans les choses, une instance tierce se glisse entre nous et les autres, nous et le monde, nous et nous-mêmes. Et puisque la littérature est décidément toute-puissante, la question est de savoir à quelle bibliothèque on confie son destin. »

Ce soir, à 20 heures, à Strasbourg, Alain Finkielkraut, Renaud Camus, Elisabeth Lévy, Jérôme Leroy, Basile de Koch et Bertrand Burgalat évoqueront leurs bibliothèques idéales, leur amour de la littérature et rendront hommage à Philippe Muray. Rencontre animée par François Miclo. Le programme des Bibliothèques idéales.

Auto-insatisfaction

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Photo: Today is a good day
Photo: Today is a good day

Je ne suis pas une exégète de Philippe Muray, comme d’aucuns dans cette boutique. Mais, ma foi, sa notoriété posthume vient encore de prendre 10 points ce samedi 19 septembre grâce à cette vidéo mise en ligne sur le site de Libé.

On y cause du « Parking day ». Une manifestation festive, citoyenne, mondiale, artistique, ludique, créative (aucun mot ne manque) qui grosso modo, vise à installer des chaises et des ballots de paille sur les places de parking dans Paris afin d’inciter « au dialogue », autour « d’un café » – qu’on imagine équitable – pour trouver des solutions à la « place de la voiture en ville et imaginer une mobilité douce ».

Evidemment la scène se passe près du canal Saint Martin, au cœur du Boboland sacré. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un petit pays où des journalistes de gauche et des graphistes de modes pleins aux as ont acheté des ateliers à rénover au milieu des Afghans qui campent dans le square Villemin et des familles immigrées qui s’entassent dans les logements sociaux de la mairie du Xème arrondissement.

Revenons à notre manifestation festive : on y croise des percussionnistes, des amateurs de vélo à cheveux longs, des écolos, des babas qui boivent des jus d’algues bleues. Evidemment, eux s’arrêtent pour causer de la place de la bagnole sur les quais du canal Saint-Martin. Bizarrement, je n’ai pas vu de chauffagiste avec sa camionnette venant du fond de la Seine Saint-Denis s’arrêter pour manger un sandwich au tofu et réclamer une mobilité plus douce pour transporter ses chauffe-eau depuis Bobigny. Mais j’ai pas dû bien regarder. Si ça se trouve, le chauffagiste aurait pu être un Malien sans-papiers et emmener ses nouveaux amis bobos au concert Touche pas à ma Nation ou à son concurrent Rock Sans Papiers qui se tenaient tous deux ce samedi. Enfin, à pied hein, puisqu’on est contre la bagnole.

D’ailleurs, moi aussi je suis contre. Y’en a trop, ça pue, ça fait du bruit. J’ai pas de leçon de morale à recevoir, je roule à vélo depuis 15 ans, quand mes amis écolos découvraient à peine l’existence des deux roues et que le Velib’ n’avait pas été inventé. Mais chaque fois que j’entends parler du trop de voitures, je me souviens de mon enfance provinciale. Sans voiture, on était mort, il en fallait même une pour essayer de prendre un train. Aujourd’hui je pense à ceux de mes amis qui habitent en banlieue et ont décidé de se passer du métro ou du bus et de leurs fréquences aléatoires, pour rouler en voiture. Au moins quand ils téléphonent en roulant, ils ne racontent pas leur vie à tout un wagon. Ou bien à ceux qui travaillent à la Défense et ont essayé trois fois de prendre la ligne 1 ou le RER A et sont arrivés systématiquement en retard à leurs rendez-vous.

Mais oui, inventons la mobilité douce et faisons des pique-niques festifs au bord du canal Saint-Martin. Flagellons-nous dès que nous prenons une voiture ou un avion, vu que les tarifs parfois de la SNCF (mobilité durable par excellence) sont plus élevés.

Sinon, j’ai deux petites questions à poser à mes amis du « Parking day » avant de venir avec mon tupperware (ah zut, le plastique c’est pas bio, mon bocal donc) : que pensent-ils de l’augmentation de la carte orange mijotée par la majorité rose-verte du Conseil Régional d’Ile de France (on parle de 85 euros pour deux zones, pour favoriser ceux qui ont un abonnement plus large, faudra m’expliquer d’ailleurs.) Seconde question : la pub Mercedes, sur une voiture verte attention, qui précède le reportage de Libé.fr, elle est écolo-compatible ?

Chaleurs d’été à la télé

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Chaleur

Chaleur

Il ne me reste pas assez de temps à vivre pour rattraper mes retards de lecture. Il y a tous les livres que je n’ai pas lus et tous ceux que j’aimerais relire. Pourtant, il m’arrive de passer des soirées entières devant la télé. Que Renaud Camus me pardonne mais certains soirs, quand j’entends le mot « culture », je sors ma télécommande et j’arpente le paysage audiovisuel en quête de plaisirs clinquants, bidons ou carrément bidonnés.

Je m’arrête souvent sur les reportages de flics. Sans bouger de mon canapé, par la caméra embarquée et la voix off, je participe à une enquête de police et, à la fin de l’émission, j’ai coffré des escrocs, des voleurs ou des assassins. Il faut beaucoup de patience pour suivre les planques et les filatures, des heures et des heures de travail pour accumuler des preuves, constituer des dossiers pour confondre les bandits alors que, même en floutant leurs visages, on voit au premier coup d’œil où passe la frontière entre le bien et le mal et qui sont les crapules. Un peu comme dans ces films de vengeance où le héros en prend plein la gueule pendant tout le film et, à la fin, châtie les méchants comme ils le méritent et même un peu plus, car, quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Je m’impatiente, mais j’exulte au moment des arrestations.
« Bouge pas ! À plat ventre par terre ! Les mains dans le dos ! Ferme ta gueule !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? C’est pas moi m’sieur, c’est pas d’ma faute !
– Ta gueule, on t’a dit ! Garde ça pour le juge ! »

[access capability= »lire_inedits »]Les dialogues manquent d’originalité, mais pourquoi chercher l’inédit quand on peut aller à l’essentiel ?

Puis viennent les interrogatoires, les aveux et la taule. Quand ça tourne mal, les voyous sont relâchés faute de preuves. Je m’endors alors en rêvant d’abus de pouvoir et de violences policières. J’imagine parfois des ordures qu’aucun Badinter ne pourra jamais réinsérer et que des policiers conscients de leur devoir décident de buter avant de les enterrer dans la forêt, épargnant à la société laborieuses palabres et dépenses inutiles.

Les soirs de chance, je tombe sur du catch féminin. Ces femelles fermement décidées à en découdre me fascinent. Je ne me fais pas trop d’illusions, je me doute que, dans la vie, ces filles sont normales : elles veulent qu’on les embrasse, qu’on n’oublie pas leur anniversaire et elles pleurent quand on les quitte, mais elles ont le bon goût de réserver ça à leur mari. Sur le ring, elles s’offrent à des millions de téléspectateurs en minishorts roses et bustiers au bord de l’explosion, distribuant manchettes et mandales. Je ne me lasse pas du spectacle de ces poupées Barbie bien en chair aux postures guerrières et, après les combats, je sombre dans le sommeil avec des envies de crêpage de chignon pour moi tout seul et de violences conjugales modérées et consenties.

Ploucs et chèvres douées de parole

Mais ma préférence va sans aucun doute aux émissions de célibataires. Elles sont nombreuses et variées, mettant en scène des ploucs à la recherche d’une chèvre douée de la parole − enfin dans les limites du supportable − ou de trentenaires chez qui l’horloge biologique est devenue une alarme assourdissante. Tous et toutes sont au bord du désespoir, revenus des aventures sans lendemain, cherchant chaussure à leur pied, couvercle à leur pot et autre âme sœur qui ne pourra toucher la marchandise qu’après avoir promis le mariage. On est prévenu d’entrée : pas sérieux s’abstenir !

Pour plaire avant la dernière ligne droite, les filles sont parfois tatouées et piercées de part en part, avec des seins en plastique et maquillées comme si elles sortaient des pompes funèbres mais rêvent de prince charmant et de mariage en blanc. Sous les décolletés et les jupes courtes, les peaux cuivrées sous les lampes dissimulent mal des âmes de mémères à la recherche de celui qu’elles ne tarderont pas à appeler « Papa » quand elles auront pondu leur œuf. Les émissions les rassemblent souvent en troupeaux dans des bars ou au bord de piscines pour qu’on les voie en maillot et, si ces poulaillers ambulants peuvent donner des envies de renard, on comprend vite en les entendant parler qu’il vaut mieux chasser des filles sauvages et farouches mais pas trop que cette volaille qui semble avoir été élevée loin de la nature des hommes. Ces grandes filles qui semblent n’avoir rien appris cherchent encore des garçons honnêtes, fidèles et pas menteurs. Leur besoin de se caser est si fort qu’elles semblent prêtes à se contenter de ceux-là et ça tombe bien, car, dans ce genre de programmes, il n’y a que ça.

Je sais, ce n’est pas très beau de rire du malheur des dindes, mais personne ne les a obligées à se mettre sur le marché de la séduction par le biais du télé-achat.

Pour séduire une femme, il faut être un homme

Les hommes qui s’inscrivent sur les listes des prétendants au mariage sans passer par la case « drague et sexe » sont loin des images que nous en donnent les chansons réalistes. Certains sont blonds et beaux et sentent peut-être le sable chaud, mais tous n’ont pas grand-chose d’autre à offrir qu’un cœur à prendre. Qu’ils cherchent un ventre pour y planter une famille ou une histoire d’amour qui dure, tous courent après un contrat, un serment, une garantie et des entraves avant même d’avoir joui. Tous veulent être rassurés sur la nature des intentions de leur future partenaire. Dans le flou, ils sont mal à l’aise et le mensonge leur fait horreur.

Les uns sortent d’un divorce qu’ils continuent de voir comme un échec là où tout homme normalement constitué savoure une libération et remettent leur sort et leur vie sexuelle entre les mains d’une fille un peu futée autoproclamée « coach » qui mettra plusieurs émissions à leur faire comprendre que, pour séduire une femme, il faut d’abord être un homme.

Les autres sont puceaux et sont passés de l’école d’ingénieurs au boulot d’ingénieur sans avoir vu le temps défiler et sans avoir pris le temps de prendre quelques femmes au passage. Timides et balourds, ils sont déjà du gibier avant même d’avoir rêvé d’être chasseurs. La première qui dira « oui » sera probablement la bonne et ils en rêvent en appelant ça « l’amour ».

Tout ce petit monde est fait pour s’entendre et je m’amuse au spectacle de ce que Deleuze nommait « cette sale petite manie de vouloir être aimé ». Quand je m’endors sur ces images, s’il m’arrive de rêver mariage, famille et amour-toujours, je demande qu’on me pince pour me ramener à une réalité chaotique, instable et pleine de surprises, où le goût que j’ai pris de la liberté et qui ne passera plus, comme un animal domestique qui a goûté au sang, ouvre à jamais le champ des possibles à 360 degrés. Mais ça, on ne le trouve pas à la télé ![/access]

Schiffter, flâneur classieux et sentimental

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Didier Pruvot/Flammarion
Didier Pruvot/Flammarion

Que faire dans ce que Baudouin de Bodinat nomme « le peu d’avenir que contient le temps où nous vivons » ? L’époque, agrégat de manageurs et de managés volontaires, ne propose guère qu’expédients sécuritaires d’une part, et remèdes euphorisants des babas du blabla philosophique d’autre part. L’époque, il est vrai, n’aime pas les dandies.
Qu’est-ce qu’un dandy? C’est Mastroianni dans la Dolce vita, Jacques Dutronc dans Joseph et la fille avec sa vieille veste kaki, sa dégaine délicatement cabossée et ses yeux de gentleman cambrioleur plantés dans ceux de Hafsia Herzi. C’est, du côté des mots et de l’esprit buissonnier, Frédéric Schiffter, “nihiliste petit-bourgeois”, classieux et dilettante. Point commun à tous : l’élégance comme art de survivre.

Braconnages philosophiques

Dans sa Philosophie sentimentale, flânerie autour de ses quelques auteurs de chevet et des phrases qui nous restent d’eux quand nous avons tout oublié, Schiffter aurait d’ailleurs pu citer Jacques Dutronc : “J’aime les filles de chez Castel / J’aime les filles de chez Régine / J’aime les filles qu’on voit dans Elle / J’aime les filles des magazines.”

Schiffter fait partie de ceux qui pensent que les jeunes filles aident à supporter l’immonde et que la plus touchante des réponses, quand un journaliste demande à une actrice, Brigitte Bardot en l’occurrence, quel est le plus beau jour de sa vie, est : “Une nuit.” Et de nous rappeler, en écho, la pensée de José Ortega y Gasset : « L’amour est la tentative d’échanger deux solitudes. »
Schiffter n’écrit pas de manuel pour être heureux, encore moins d’antimanuel pour se palucher sans entraves. Avec Schopenhauer, il sait que « L’histoire d’une vie est toujours l’histoire d’une souffrance » et L’Ecclésiaste lui est un précieux compagnon de déroute : « Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ? »
Aux figures imposées des philosophes élyséens et autres rebelles de Caen, il préfère les braconnages hors des lopins balisés. Déjà, lorsqu’il était étudiant, il choisissait Jean-Patrick Manchette et Raymond Chandler plutôt que Kant ou Levinas. La philosophie, c’est aussi un roman noir. Question de style et de plaisir lui qui, avec Pessoa, se souvient qu’il est essentiel de « vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l’ennui, suffisamment méditée pour n’y tomber jamais. »

Les temps retrouvés

Avec sa Philosophie sentimentale, Schiffter offre un livre de l’inquiétude, du temps perdu et du temps retrouvé. Le temps, pour le philosophe est une arme de guerre à l’heure du règne des VRP, des DRH, des VIP. Le temps et la lenteur, toujours, contre les sigles et les acronymes. Nietzsche ne disait pas autre chose : « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave. » Le temps, chez Schiffter, est celui de l’ennui enchanteur et des fugues chez Montaigne, Chamfort ou, plus récemment chez Michel Houellebecq. C’est aussi le temps du flirt et des corps amoureux, des lunettes noires et de la plage loin du bavardage des fâcheux et des bonnes femmes.
C’est enfin le temps des larmes. Schiffter est né en Haute-Volta en 1956 : il ne connaitra la France qu’à dix ans, après la mort de son père. Et il faut lire, dans Philosophie sentimentale, ces pages sur le coeur mis à nu d’un orphelin à perpétuité, quand surgissent les silhouettes bouleversantes de ce père mort beaucoup trop tôt et d’une mère malade, qui boit un peu trop, une mère aux gestes “beaux comme les tremblements des mains dans l’alcoolisme”, selon la formule paradoxale et poignante de Lautréamont.

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