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L’Algérie en VO (Version Officielle)


L’Algérie en VO (Version Officielle)

Lorsque Hors-la-Loi a été présenté à Cannes, le 21 juin 2010, une manifestation regroupant anciens combattants, harkis, pieds-noirs et députés UMP de la droite populaire[1. Courant de l’UMP auquel appartiennent Thierry Mariani et Lionnel Luca qui entend rappeler à Nicolas Sarkozy ses promesses électorales sur la sécurité et l’immigration] a défilé sur la Croisette en mémoire de « toutes les victimes de la guerre d’Algérie ». Quelques irréductibles nostalgiques de l’Algérie française menés par des élus au bord du FN dénonçant le film d’un Franco-Algérien que personne n’avait vu, c’était plus qu’il n’en fallait pour ne pas se faire entendre. La musique médiatique nous joua l’air des manœuvres électorales sur fond de racisme pour expliquer la grogne et le réalisateur traita la chose par le mépris, donnant rendez-vous à l’opinion après la sortie du film pour en parler.

Nous y sommes, parlons-en ! Hors-la-loi sort aujourd’hui et un débat s’impose.
Les historiens qui l’ont vu relèvent de nombreux anachronismes, des invraisemblances, des erreurs grossières mais c’est le lot de tous les films qui racontent une période de notre histoire de susciter des pinaillages de spécialistes. Le problème est ailleurs. Du début à la fin, Hors-la-loi est un mensonge par omission. L’auteur nous montre une seule Algérie et une seule France.

Où est l’Algérie de Jean Daniel et d’Albert Camus ?

Tous les Européens sont des voleurs de terre, des profiteurs et des assassins. Les médecins qui soignaient les petits Arabes, les instituteurs et l’école dont sont sortis les cadres de la Révolution nationale ne sont pas là.
L ’Algérie de mon père dont le meilleur copain est mort dans les rangs du FLN, celle de ma mère qui apprenait à lire aux petits musulmans, celle de ma grand-mère, juive rapatriée en 1962 qui parlait français mais chez qui les mots du cœur sont toujours venus en arabe, est totalement absente. Ces mêmes mots que la mère emploie dans le film. Compliqué, le contexte colonial ! Pas chez Bouchareb.
La France de Jean Daniel et d’Albert Camus est passée aux oubliettes. Celle du dirigeant communiste constantinois qui eut les mains tranchées à la hache par les manifestants en colère est ignorée.

Chez Bouchareb, le récit des massacres de Sétif s’écrit au singulier – un lieu, un jour, un coupable.
On y voit une manifestation pacifique de gens désarmés qui réclament des droits, tomber dans une véritable embuscade. Un policier français tue de sang-froid un porteur du drapeau algérien, la foule panique et tandis que des colons apparaissent aux balcons et tirent au fusil sur les gens, la police puis l’armée bloquent les rues et finissent à la mitrailleuse. Les deux seules victimes pieds-noirs sont des tireurs désarmés par une foule en état de légitime défense.
Or Sétif, ce n’est pas ça mais une manifestation qui dégénère après la mort du porteur de l’étendard nationaliste dans des heurts avec la police et, dans la même journée du 8 mai, des civils européens assassinés par la foule. La police intervient, suppléée par les tirailleurs sénégalais et, au soir, il y a autant de morts chez les pieds-noirs que chez les Arabes. Pendant les deux mois qui suivent, des fermes de colons isolées sont attaquées aux cris de djihad, les femmes violées, les familles égorgées et mutilées, un climat de terreur s’installe et une répression aveugle et atroce menée par l’armée aidée de milices s’organise. On compte plusieurs milliers de victimes chez les musulmans pour 102 morts européens.
Il ne s’agit pas en rappelant les morts pieds-noirs de justifier une répression aveugle et disproportionnée, mais au moins de tenter de l’expliquer.

Dans Hors-la-loi, les Français de métropole sont montrés à travers le même objectif borgne. On ne voit que les acteurs d’un appareil répressif prêt à tout, de la torture aux exécutions sommaires, pour combattre le FLN en France. Le film va jusqu’à nous montrer des attentats à la bombe contre les populations civiles des bidonvilles de Nanterre commis par un groupe paramilitaire couvert par l’Etat[2. La « Main rouge » ( barbouzes et colons radicaux couverts par les services secrets français) a éliminé des militants et des pourvoyeurs en armes du FLN en Afrique du Nord et en Europe dans les années 1950]. Outre que ces meurtres aveugles et massifs ne correspondent à rien de connu, la France opposée à la guerre et favorable à l’indépendance est presque totalement absente. Le seul porteur de valises est une femme amoureuse qui ne rêve que de coucher avec l’occupé.
Les Français de Charonne et ceux qui, lors du référendum d’avril 1962 sur les accords d’Evian, se prononcent à 90 % pour l’indépendance, sont donc terriblement absents ou incarnés par une femme aveuglée par l’amour. C’est un peu court.

Dans cette histoire dont il manque la moitié, seule reste l’image d’une France prête au massacre pour garder l’Algérie française. Faut-il rappeler que l’armée avait gagné cette guerre militairement ? Mais l’histoire imposait la décolonisation et dans une situation intenable moralement et politiquement, pour ne pas que la France devienne l’Afrique du sud, l’Etat et l’opinion en métropole ont renoncé à l’Algérie. D’où l’incompréhension des pieds-noirs, le putsch des généraux et l’OAS.

Alors que le temps pourrait apaiser les passions, réunir les mémoires et permettre de s’entendre sur un récit commun, la France et l’Algérie se livrent une véritable guerre des mémoires. En 2005, des députés français demandaient par la loi que l’on insiste à l’école sur « les aspects positifs de la colonisation » mais le projet était retiré par Chirac. En février 2010, les parlementaires algériens reprenaient l’idée développée par l’organisation nationale des moudjahidines ou « les enfants des martyrs » de « criminalisation de la colonisation Française » (proposition abandonnée par le gouvernement en juillet). C’est dans ce contexte que sort ce film dont le propos est conforme en tous points au récit officiel Algérien et à l’histoire racontée dans les manuels scolaires. Ce que Bouchareb laisse voir de la présence française, on le retrouve dans l’histoire officielle du régime et dans le discours des « Indigènes de la République ».

Quand les salauds ont disparu de l’histoire, ne restent que les justes. Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir

Même là où on le dit, pour l’en glorifier, impitoyable avec le FLN, Hors-la-loi ne risque pas de fâcher le régime algérien qui contrôle pourtant étroitement ses historiens[3. Voir l’entretien de Benjamin Stora dans L’Histoire, septembre 2010. « France-Algérie : la guerre des mémoires » : « Depuis un colloque à Essaouira au Maroc en mars dernier, le ministère algérien de l’Education a exigé que les historiens invités à des conférences à l’étranger lui soumettent au préalable leurs communications. Par ailleurs, avant de lancer des commandes de livres, les bibliothèques doivent soumettre leur choix à une commission du ministère de la Culture. Les chercheurs sont de fait sous surveillance.» ] C’est que le FLN dont il est question dans le film n’est pas celui dont le pouvoir actuel est issu. Ben Bella fut en effet renversé par le coup d’Etat de Boumediene en 1965 qui installa la junte militaire encore au pouvoir. Les acteurs de cette première époque, dans la grande tradition soviétique, ont longtemps été écartés des livres d’histoire.

Dans le film, les cadres révolutionnaires sont cyniques et quand un personnage qui ressemble furieusement à Ben Bella organise la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, on l’entend compter sur la répression qui s’abattra sur les Arabes en France pour faire avancer la cause avec l’aide des opinions internationales qui ne manqueront pas de condamner la France.
Bouchareb déclare dans un entretien : « Ce fut une guerre sale mais juste ». À Alger tout le monde est d’accord. Les révolutionnaires aux mains sales ont fait place nette. Quand les salauds ont disparu, ne restent que les justes.

Ce récit hémiplégique de l’histoire qui ne montre que des méchants blancs et qui, sous l’apparence d’une critique sévère du FLN d’avant 1962 s’inscrit dans la ligne de l’histoire officielle du régime, pourrait être une production du ministère algérien de l’Information. Il est l’œuvre d’un réalisateur franco-algérien, un homme qui a la double-nationalité, qui réalise une coproduction de la France et de l’Algérie. On pouvait espérer que son travail soit un pont entre les deux mémoires, une tentative d’écrire un récit commun. Ce n’est pas pour cette fois-ci. L’auteur réagit aux critiques en France : « Je ne veux pas prendre l’histoire à ma charge, moi, je fais du cinéma. » On peut l’entendre mais le même confiait au journal El Watan : « Avec mon film, on va rétablir la vérité, tout sortir des placards ». On se demande, du Français ou de l’Algérien, quel Bouchareb il faut croire.
Quand on pense que le film a été financé en partie par le service public français, dont la région PACA, il y avait peut être de quoi envahir la Croisette, finalement.

Les récits du passé compliquent la cohabitation au présent

Si les récits du passé séparent les peuples qui ont chacun le leur, ils peuvent compliquer la cohabitation au présent surtout quand les enfants des colons et ceux des colonisés appartiennent pour partie au même peuple (celui de France).
Dans le film, le soir du 17 octobre 1961, on entend dans une rame du métro parisien les clameurs de manifestants encadrés par le FLN qui crient : « vive l’Algérie !». Ces images rappellent les soirées d’après-match de football, quand l’Algérie joue et que les Français supportent. Certains, d’origine algérienne, le font bruyamment, parfois cassent tout sur leur passage et vont même jusqu’à brûler le drapeau français. Les autres supportent le bruit et la casse. Ce n’est pas la tendresse pour sa patrie d’origine qui est gênante, mais l’hostilité pour son pays natal.
Je ne veux pas présumer des intentions de l’auteur mais il est difficile de ne pas voir dans cette scène du film un rapprochement entre l’attitude des jeunes d’aujourd’hui et celle de leurs aînés. Ce que les uns font, leurs parents le faisaient déjà il y a 50 ans et la France, coloniale hier comme aujourd’hui, désapprouve. Or crier « vive l’Algérie ! » quand on est algérien en 1961 et le faire quand on est français en 2010, ça n’a pas le même sens.

Ce type de clin d’œil, si c’en est un, n’est pas de nature à aider des jeunes qui sont français mais ne se reconnaissent pas Français à sortir des complications identitaires dans lesquelles ils se débattent. Les difficultés des jeunes d’origine maghrébine pour trouver leur place dans la société française sont réelles. Fallait-il les charger du poids d’une guerre pas tout-à-fait finie ? J’en doute mais Rachid Bouchareb a sa réponse : « Moi, je fais du cinéma ! »



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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