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2012 : dernière élection avant liquidation


2012 : dernière élection avant liquidation
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn.
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn.

Soyons, pour une fois, péremptoire, et décrétons que la Ve République prendra fin à l’issue de l’élection présidentielle du printemps 2012. Si les événements me donnent tort, tant pis, on aura le droit de se moquer de moi, à moins que ce papier tombe dans le gouffre insondable de l’Oubli, cette providence des journalistes.

Le système politique instauré en 1958, modifié en 1962 avec l’élection du chef de l’État au suffrage universel, amendé par Jacques Chirac en 2000 avec l’introduction du quinquennat, est en train d’agoniser sous nos yeux. La coïncidence de la durée du mandat présidentiel avec celle de la législature de l’Assemblée nationale a introduit, de fait, un régime présidentiel à l’américaine, sans toutefois que le pouvoir législatif ait les moyens de limiter la toute-puissance de l’exécutif. Alors, ça coince, et l’actuel président n’est qu’en partie responsable de cette situation.

[access capability= »lire_inedits »]L’hyper-présidence n’est pas l’œuvre de Sarkozy, mais celle de Chirac

Cette « hyper-présidence » dans laquelle les détracteurs compulsifs de Nicolas Sarkozy voient sa malignité intrinsèque de fossoyeur de la démocratie n’est que la conséquence des réformes institutionnelles avalisées par le référendum du 24 septembre 2000, où le peuple approuva la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Les cotes de popularité de Nicolas Sarkozy (basse) et de François Fillon (élevée) révèlent que les Français ont bien compris que le régime avait changé : la distinction entre un président donnant les grandes orientations et s’occupant des affaires du monde et un premier ministre gérant « l’intendance » avec une réelle liberté de manœuvre est devenue inopérante. Lorsqu’on n’est pas content, on sanctionne le capitaine et on épargne le second.

L’agitation politique de cette rentrée, pour peu que l’on essaye de la décrypter, incite à penser que les stratèges des principaux partis ont déjà pris acte de la « parlementarisation » rampante du régime. On présente un candidat à la présidence de la République, non pas pour établir un lien quasi mystique entre un homme (ou une femme) et le peuple français, sauf dans le cas du délirant Villepin, mais pour être en mesure de négocier, au sein d’une future coalition, le poids de sa sous-famille à l’Assemblée et au gouvernement en cas de victoire.

L’événement majeur de cette rentrée est donc l’échec – provisoire ? − de Nicolas Sarkozy à faire de l’UMP l’unique parti fédérant toute la droite parlementaire derrière sa candidature à un second mandat. Bien que totalement dépourvu de charisme, le chef du « Nouveau centre », Hervé Morin, semble bien décidé à faire acte de candidature, et ne devrait y renoncer que s’il obtient de substantielles assurances de voir grossir son groupe parlementaire et sa part de gâteau ministériel. Et ce n’est même pas gagné, parce que grande est la tentation, pour Morin, d’essayer de récupérer ne serait-ce qu’une partie de la grosse pelote électorale amassée par Bayrou en 2007. Christine Boutin devrait également se signaler par quelque coup d’éclat médiatique et menacer d’être candidate jusqu’à ce que l’Élysée lui donne un sucre. Seul, mû par la haine de Sarkozy et l’indestructible certitude de sa légitimité à incarner la France, Dominique Galouzeau de Villepin ira jusqu’au bout d’un projet dont il n’est pas hasardeux de prévoir l’échec piteux : on ne se trompe pas d’époque impunément.

Même à l’extrême gauche, on joue au poker menteur. Avec ses amis

À gauche, le lancement de la candidature Éva Joly qui, telle la créature de Frankenstein, vient d’échapper à l’emprise de son concepteur, Dany Cohn-Bendit, repose sur l’hypothèse selon laquelle son succès attendu placera les Verts-Europe Écologie en position de force dans les négociations avec le PS. Dany aurait préféré un deal avec le PS avant l’élection présidentielle, garantissant un groupe parlementaire Vert en échange d’un soutien au candidat socialiste dès le premier tour, mais il a été borduré par le duo Duflot-Joly. Dans ces conditions, il n’est pas très optimiste sur les chances de son ancienne protégée de faire un bon score, car il connaît mieux que personne les limites de la dame : confuse dans l’expression, pourvue d’un accent nordique rugueux à l’oreille latine, totalement incompétente sur tout ce qui ne relève pas de sa marotte, la lutte contre la corruption, elle risque de se révéler l’erreur majeure de casting de la présidentielle 2012.

Et si on envoyait une respectable potiche à l’Élysée ?

Sous la défunte IVe République, que j’ai bien connue dans ma jeunesse, on votait d’abord – à la proportionnelle – et on marchandait ensuite en fonction des résultats des élections.

Aujourd’hui, les marchandages se déroulent avant l’élection, mais l’esprit « IVe » est bel et bien de retour. Même à l’extrême gauche, on joue au poker menteur avec ses amis les plus proches : ainsi le PCF avance la potentielle candidature d’un illustre inconnu, le député André Chassaigne, pour limiter les appétits de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, a quelques chances de créer la surprise à gauche. L’homme a du métier, doit à son passé trotskyste (tendance Lambert) une habileté certaine à naviguer dans les « orgas », et bénéficie d’un indéniable talent d’orateur populaire.

Comme le spectre des errements de la IVe République (instabilité gouvernementale chronique, alliances contre nature, etc.) ne dissuade plus de tenter de rééquilibrer les pouvoirs entre président et Parlement et que le bipartisme n’a aucune chance de jamais s’imposer dans notre pays, le prochain président, quel qu’il soit, ne pourra se dispenser de s’atteler à l’achèvement de la réforme des institutions. La suppression du poste de premier ministre et l’instauration d’un véritable régime présidentiel auraient l’avantage d’assurer la stabilité de l’exécutif, mais il implique la fin du cumul des mandats, pour que le Parlement puisse jouer pleinement son rôle de contrôle du pouvoir, comme c’est le cas aux États-Unis et dans la plupart des démocraties occidentales. On pourrait aussi abolir l’élection du président au suffrage universel et placer à l’Élysée une respectable potiche. Cela se pratique dans des pays très civilisés qui n’ont pas la chance d’avoir conservé une dynastie royale pour faire le job. Dans tous les cas, le statu quo est intenable, et les derniers soubresauts de la vie politique nationale démontrent qu’il faut agir, sauf à vouloir accroître le bordel ambiant.

Quelques nouvelles, pour conclure, de la météo politicienne pour les jours et semaines à venir. À en juger par quelques sondages triomphalement arborés par le Nouvel Obs, la gauche a le vent en poupe. Elle bénéficie en outre d’un avantage tactique, car l’incertitude entretenue sur le champion qui portera les couleurs du PS bloque les stratèges de l’UMP : on ne combat pas Martine Aubry comme Dominique Strauss-Kahn ou Ségolène Royal. Alors on se contente, en attendant, de droitiser le discours, pour ne pas laisser, comme aux régionales, l’électorat de la droite populaire retourner chez Le Pen. Pour le reste, on neutralise Chirac avec l’argent de l’UMP et on colmate au mieux les fuites consécutives à la secousse sécuritaire de l’été. Le remaniement devrait marquer la fin de l’« ouverture » et la mise en place d’une équipe homogène dont la fidélité inoxydable à Nicolas Sarkozy sera l’alpha et l’oméga.

DSK cèdera-t-il à la tentation de Marrakech ou aux amicales pressions ?

La gauche, cependant, est stratégiquement faible en raison des profondes divergences qui séparent le PS du plus fort de ses alliés potentiels, les écologistes. Le Meccano qui peut tenir à l’échelle de régions aux compétences limitées risque de sérieusement tanguer quand il s’agira d’établir un programme de gouvernement : quid du nucléaire, des bio et nanotechnologies, des infrastructures de transport ? Ce n’est pas en leur faisant coucou avec le care que Martine Aubry calmera les « décroissants » qui dominent la nébuleuse écologiste. Et ces braves vieux cocos scientistes et productivistes ne sont plus là pour faire contrepoids…

Dans ces conditions, on comprend un peu les hésitations de DSK à se lancer dans une aventure qui sera loin d’être un long fleuve tranquille, il pourrait bien céder à la tentation de Marrakech… Mais que faire avec un sondage qui vous met à 59-41 contre Sarko au second tour ? Encore deux comme ça et t’es coincé, Dominique ![/access]

Septembre 2010 · N° 27

Article extrait du Magazine Causeur



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