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Toc toc toc, c’est Despentes

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Il y a une vieille jeune fille : Amélie Nothomb. Et une jeune vieille fille : Virginie Despentes. On est en droit, largement, de préférer la première, mais ce n’est pas une compétition. Déjà, je ne peux plus supporter, physiquement si j’ose dire, les titres des livres de Virginie : King Kong theory, à présent Apocalypse bébé. Je lui conseille, pour le suivant (car hélas il y aura un suivant) Ploum ploum tralala. C’est un excellent film avec Saturnin Fabre qui n’était pas écrivain, mais acteur, et qui lui savait à la fois écrire et jouer la comédie. Virginie ne sait que jouer la comédie. Littérairement, s’entend. Nous ne comprenons pas, après toutes ces années de prose colmatée, où elle voudrait en venir. Elle bâcle avec effort, dans un souci de plaire déguisé en mépris de crachat, des romans où les hommes et les femmes n’existent que sous forme de femmes, elles-mêmes cadenassées dans de simples figurations schématiques relevant, au mieux, du spectacle de marionnettes.

Je ne sache pas qu’on fasse profession d’écrire pour choquer Jérôme Garcin. Cette littérature, qui s’annonce systématiquement libérée de toutes les emprises (celles de la mode, des habitudes, des mœurs, et notamment du goût) est hémorragique ; elle se répand, bavarde, coule, jaillit mais oublie ce qui, chez les écrivains qui sont écrivains, est primordial : le monde. Rien que cela. Abrutie par son propre projet, entraînée par ses historiettes qui ne sont sordides que parce qu’elles sont bancales, Virginie omet de faire apparaître, en fond sonore, le monde dans lequel sont censées se dérouler ces rédactions de quatrième déguisées en roman. La réalité n’existe jamais, si bien que le lecteur n’a jamais de repère : tout pourrait, finalement, se dérouler dans Apocalypse bébé en novembre 1952. Virginie n’est pas présente dans l’univers et l’univers n’est pas présent non plus chez Virginie.

Ne reste donc, comme un papier peint sans son mur, qu’un scénario plaqué sur un peu de prose, à moins que ce ne soit le contraire. Tout est réciproque dans cette littérature, tout est interchangeable et tout est bijectif : les psychologies, les dialogues, les situations. Despentes écrirait l’inverse de tout ce qu’elle écrit que nul, finalement, ne s’en apercevrait. Il n’y a pas de rencontre ici, avec une voix, avec un auteur, avec une femme : ainsi la concrétude de l’œuvre vient-elle du dehors, des articles publiés, des photos prises, des tee-shirts portés. Tout glisse dans ces pages, tout fond, tout s’efface à mesure qu’on lit, et on se dit qu’Apocalypse bébé aurait pu durer trois pages ou mille sans qu’il n’en ait été ni affecté, ni modifié, ni surtout amélioré. Le pire étant, puisque je viens d’y consacrer somme toute quelques lignes, qu’il n’y a même pas rien à dire à son sujet.

*Cet article a été publié dans le numéro d’octobre du magazine Transfuge que nous remercions

Proche-Orient : après le gel, le dégel

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Les négociations entre Israéliens et Palestiniens, entamées il y a quelques jours à peine, vont-elles avorter à cause de la reprise de la construction dans les colonies ? C’est ce que semble penser la presse mondiale qui s’indigne de ce nouveau coup dur. Pourtant, les bulldozers convoqués pour fournir aux médias et aux colons des images de « fin de gel » cachent une réalité beaucoup plus nuancée. Les réactions très modérées de Mahmoud Abbas, le président palestinien, et les autres porte-paroles officiels et officieux de l’Autorité palestinienne auraient dû nous mettre la puce à l’oreille : cette crise sonne faux. Tout semble indiquer qu’Israéliens et Palestiniens n’ont pas – encore ? – décidé de torpiller les pourparlers lancés au début du mois à Washington. En fait, malgré les images passées en boucle sur nos écrans, « la fin du moratoire sur la construction en Cisjordanie » ne signifie pas une reprise de la colonisation. C’est entre ces deux notions Netanyahou et Abbas cherchent un compromis qui leur permettra de poursuivre les discussions.

La question du développement et de l’élargissement des implantations existantes – un accord tacite entre les deux partis impose depuis longtemps un moratoire sur la construction des nouvelles colonies – était depuis la victoire de la droite israélienne aux législatives de 2009 le principal obstacle à la reprise du dialogue public entre Ramallah et Jérusalem. Face à un gouvernement qui a Benyamin Netanyahou pour Premier ministre et Avigdor Lieberman comme ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Abbas est pourtant parvenu sans trop de difficultés à imposer le « gel de la colonisation » comme condition préalable à la reprise des négociations officielles. Profitant au maximum du manque de crédibilité dont souffrent les dirigeants israéliens auprès des chancelleries et opinions publiques, la tactique palestinienne, intelligente et efficace, a donc parfaitement fonctionné.

Les règles du jeu ont changé

Même parmi les colons qui ont fêté hier la fin du moratoire, les plus lucides comprennent que le gouvernement actuel – le meilleur possible pour eux – ne pourra pas revenir en arrière. Comme par hasard, certains dirigeants du Likoud, le parti de Netanyahou, multiplient les appels à élargir la coalition en intégrant des centristes de Kadima. Le message, adressé plutôt aux colons qu’à Tzipi Livni, chef de Kadima, est clair : contrairement à vous, Netanyahou a une alternative. Les colons sont donc sommés de se rendre à l’évidence : pour la droite au pouvoir, ces dix mois de gel des constructions ont créé de nouvelles règles du jeu. Parlant lundi soir dans un meeting organisé pour marquer la fin du moratoire (et donc, pour lui et les autres participants, une relance de la construction), Israël Katz, ministre des Transports et l’un des leaders de l’aile droite du Likoud, le parti de Netanyahou, a utilisé des formules nouvelles. Il a parlé de « bloc d’implantations » et du devoir du gouvernement de « conserver les colonies et leurs habitants ». Une oreille non israélienne n’entend pas forcément, derrière les mots, la petite musique, mais pour les connaisseurs de la droite israélienne, clé politique incontournable de tout accord, il s’agit d’un changement de taille. Il ne s’agit plus de « Judée et Samarie » mais des implantations et de leurs habitants. Autrement dit, tout ce qui est au-delà des limites municipales est négociable.

Le ministre des Transports n’a d’ailleurs fait que reprendre à son compte des formules utilisées depuis un petit moment par son Premier ministre. « Bibi » souhaite se mettre d’accord avec le président palestinien sur une liste des colonies qui resteraient – contre des compensations territoriales – israéliennes. Celles-ci sont regroupées dans des « blocs » occupant une surface relativement restreinte, où vit une large majorité de la population israélienne de la Cisjordanie. L’idée est donc d’annexer, dans le cadre d’un arrangement définitif sur les frontières, un minimum de surface abritant maximum d’habitants.

Un tel accord – très probablement tacite – aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d’abord à Netanyahou de réaliser l’exploit dont rêve tout homme politique : contenter deux camps diamétralement opposés. Dans ce cas la « quadrature du cercle » consiste à construire dans les colonies « blanchies » pour faire plaisir à la droite tout en gelant la construction dans les implantations « hors liste » pour contenter Washington et permettre à Ramallah de rester dans le jeu.

Autre avantage – et non des moindres – d’une telle solution : le nombre des colonies à l’avenir assuré ne manquera pas – tôt ou tard – de diviser les colons eux-mêmes. De toute évidence, cette liste comprendra les villes et bourgades proches de la frontière d’avant la guerre des Six jours (la ligne verte) dont les habitants sont plus modérés et plus attachés aux valeurs démocratiques. Ce processus pourrait donc isoler les franges les plus extrémistes d’un côté et gagner à la cause des deux Etats des citoyens qui se sentent déjà mal à l’aise dans le camp où leur adresse les a assignés presque d’office.

Quelle que soit la réponse palestinienne attendue le 4 octobre après la réunion au Caire de la Ligue arabe, le gouvernement Netanyahou décrit il y deux ans à peine comme « le plus à droite de l’histoire israélienne », continue son glissement idéologique. Comme l’avait constaté Ariel Sharon au début de la décennie, la réalité, insensible aux discours électoraux, finit par imposer sa logique.

Ils causent dans le poste

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Vous aimez lire Cyril Bennasar ou François Miclo ? Alors vous adorerez les voir, et en plus les entendre puisque, paraît-il, les deux sont possibles simultanément à la télévision.

Premier rendez-vous dès ce matin, sur LCI à 10 h 10, où Cyril Bennasar sera sur le plateau de « Choisissez votre camp ! », l’émission de débat animée par Valérie Expert (rediffusion ce même mardi à 14h10).

Quant à François Miclo, on le verra à partir de 23 h 05, sur France 3, où il sera l’un des invités de « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddei (voir l’émission).

Bref, si vous n’avez pas de télé, il est encore temps de vous faire inviter pour le brunch ou le digestif…

La Muraymania, ça suffit !

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Philippe Muray

Depuis janvier 2010, c’est-à-dire depuis exactement cinq ans, Philippe Muray est partout. « Je suis partout » est devenu sa seconde nature – et c’est sans surprise. Depuis cinq ans, un déluge sans précédent de pensée moisie s’est abattu sur la France. Qui se souvient encore du sarkozysme et de sa droite moderniste et hyperfestive ? Depuis cinq ans, la pensée unique n’a plus qu’une seule voix : celle de Philippe Muray. La contagion surréaliste de l’entre-deux-guerres ou la frénésie existentialiste d’après-guerre nous paraissent à présent des phénomènes culturels bien timorés, au regard de l’ampleur de l’ouragan murayien qui a dévasté la France.

Le visage de Philippe Muray est sur tous les tee-shirts, sur tous les porte-clefs amusants, en fond d’écran sur tous les Zaïpodes et tous les Zipades. C’est encore lui qui ricane au fond de toutes les boules à neige. Muray est partout : tous nos enfants apprennent par cœur à l’école Tombeau pour une touriste innocente, qu’ils nous récitent en riant à Noël. Muray est dans l’annuaire, dans le Lagarde et Michard, dans tous les menus au restaurant, à la télé, à l’opéra, au théâtre, dans toutes les expos et jusque dans les replis nostalgiques de la moindre performance d’art post-contemporain.[access capability= »lire_inedits »]

La France a indubitablement changé de visage depuis que la pyramide du Louvre, symbole de l’esprit des Lumières, a été détruite et remplacée par cette gigantesque statue de la tête de Muray fumant un cigare et affublé des oreilles de Mickey – comme celui-ci en arbora réellement le jour où il se rendit à Eurodisney –, réalisée par un éminent plasticien saoudien. Muray est partout : depuis cinq ans, tous les nouveau-nés s’appellent Philippe, Festif ou Festyves. Et quel sera bientôt, à coup sûr, le jeu vidéo préféré des petits Festif et des petites Festève ? Festivisator, évidemment, dans lequel l’effigie électronique de Philippe Muray traque des Panurgian mutans et les massacre en leur jetant des livres de Céline ou de Léon Bloy qui se transforment en boules de feu.

Le café gay le plus « trendy » s’appelle l’HOMO-Festivus

Muray est la coqueluche de tous les rappeurs, de tous les coiffeurs, de tous les restaurateurs. Les estivants lisent tous Muray sur la plage et il suffit qu’ils lèvent la tête pour qu’ils déchiffrent des citations de Muray sur les banderoles tirées par les avions. Muray est dans toutes les pages people, sur CNN et sur Al-Jazira, dans toutes les musiques d’attente téléphonique. Dans le Marais, le café gay le plus trendy du moment est l’HOMO-Festivus. Les cours d’histoire sont désormais complétés par des cours de post-histoire, dispensés par les néo-hussards noirs du murayisme. Enfin, Muray a même conquis nos raves. Depuis quatre étés, la techno antifestive fait fureur. Le principe de la danse techno y subsiste, mais désormais la frénésie extatique des corps s’y déploie jusqu’au petit matin dans un abyssal silence. La techno de notre temps est une techno sans musique, sans beat, sans rien.

En cinq ans, la mafia murayienne s’est infiltrée partout, elle aussi. Vous apercevez une ombre ricanante en train de tirer les ficelles en coulisses ? Vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un murayien. Anne Sefrioui, la veuve de Philippe Muray, dirige désormais Le Monde des livres. Elisabeth Lévy présente depuis trois ans le « 20 heures » sur France 2, de sa voix criarde et dérapante. Michel Desgranges, l’éditeur de Muray aux Belles Lettres, plastronne à la tête de Gallimard, qui prépare les sept pléiades du Journal de Muray et un huitième tome consacré à ses listes de courses. La direction du Monde est tombée entre les mains de son ami Philippe Delaroche. Enfin, chacun sait que notre actuel ministre de la Culture, le terrifiant Georges Liébert, était lui aussi l’éditeur et l’ami de Philippe Muray. Quant à la loi de pénalisation du festivisme, votée à l’unanimité en mai 2012, chacun a pu en constater le caractère liberticide et les effets dévastateurs. La renaissance actuelle du bal-musette dans nos banlieues suffit à démontrer son caractère profondément réactionnaire. Je ne dirai rien de la liaison obscure qui s’est opérée depuis deux ans entre l’islamisme et le murayisme. Depuis que Ben Laden a cité abondamment Muray en français dans sa vidéo de septembre 2013, on sait que l’ouvrage de Philippe Muray Chers djihadistes est désormais étudié et appris par cœur partout dans le monde dans les écoles coraniques d’obédience extrémiste.

Depuis le bannissement de Philippe Sollers sur l’île d’Elbe en avril 2011, tous les ennemis de Philippe Muray vivent dans la terreur. Jacques Henric et Catherine Millet se sont exilés en Patagonie, Scarpetta en Laponie et Daniel Lindenberg en Malaisie – où il est mort dans des conditions affreuses, des suites de l’infection d’une morsure d’orang-outang. Quant à la fin tragique d’Arnaud Viviant, suicidé par auto-crucifixion à un ginkgo biloba, chacun s’en souvient encore avec tristesse et horreur.

Avec le monopole intellectuel de la gauche, c’est la démocratie qu’on assassine

En dépit de tout, certains esprits grincheux osent encore affirmer que la démocratie n’est pas en danger. Pourtant, c’est le fondement même de la démocratie qui a été réduit en poussière : le monopole absolu de la gauche dans le monde intellectuel, à l’école et dans les médias. Le droit naturel, le droit de sang, le droit divin de la gauche à débattre a été confisqué par une horde de roquets aux ordres. Le plus atterrant est que ce sont eux qui prétendent désormais donner à la gauche des leçons de pluralisme. Comme si la gauche n’avait pas toujours été l’essence du pluralisme ! Les nouveaux nazis grincheux pluralistes qui sont à nos fenêtres et parfois à nos portes ont sapé méthodiquement – et parfois dans le désordre – le droit inaliénable et dérangeant de la gauche au monopole du pluralisme. Pourtant, qui peut prendre au sérieux des pluralistes en bottes brunes qui brandissent haut la main le petit livre bleu (leur trop fameux Après l’Histoire) et dont tous les principes se résument en vérité à un seul : le Führerprinzip. Celui-ci se nomme désormais Philippe Muray.

En défendant ici solennellement la nécessité démocratique de voir la gauche recouvrer son monopole sur le pluralisme, la morale et la pensée, je ne refuse nullement tout droit de cité à la droite, comme le prétendent certains. La droite a un droit plein et entier à l’existence, du moment qu’elle se maintient à l’intérieur des frontières de ses propres monopoles légitimes, qui font la singularité respectable de sa tradition : la méchanceté, la bêtise, l’obéissance, l’ignorance, la moisissure, la nostalgie frelatée et l’intolérance.[/access]

Keynes is my homeboy

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Vous aimez le rap ? Moi guère plus. J’avoue, je rechigne à apprécier ses subtilités rythmiques et sa prose toute en vindicte et complaintes. Ni popu ni bling-bling, je cale avec tout ce qui n’émane d’Orelsan, Corneille ou MC Solaar. Les clips stars du genre, anti-meufs, anti-homos et surtout anti-flics, désespèrent les substrats de mon adolescence rebelle et leurs souvenirs déjà anciens de rock’n’roll attitude.

On n’est pas sérieux quand on a 40 ans, dit le poète. Sauf quand, au détour de promenades virtuelles, l’on déniche – ce n’est pas tous les jours fête – un match scandé entre économistes, et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit de Keynes et Hayek, icônes respectivement de l’interventionnisme et du libéralisme.

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L’on doit ce duo de titans modernes, allégrement joué et filmé, impeccablement scénarisé (bagnole de luxe, palace, champagne et jolies pépées), au docte Russel Roberts, professeur d’économie, et au réalisateur John Papola. Mis en ligne en janvier, « Craignez les bulles et les crises » expose leurs théories antagonistes sauf sur un point : la crise financière résulte d’une mauvaise coordination entre l’épargne et l’investissement.

Vous n’y comprenez rien ? Chantez !

Sarkozy, c’est pas Pétain

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Photo : Feuillu

Bon, bien sûr, lors de ce fameux déjeuner du 16 septembre à Bruxelles sur la question rom, quand il s’est mis en colère, Nicolas Sarkozy a déclaré « Je suis le chef de l’Etat français, je ne laisserai pas insulter mon pays. » On peut penser que De Gaulle ou Chirac auraient sans doute, d’instinct, plutôt dit « Je suis le président de la République Française, je ne laisserai pas insulter mon pays. » Mitterrand, c’est plus douteux car la jeunesse est lente à mourir et Giscard n’aurait pas haussé le ton de toute façon parce qu’il a toujours été trop poli pour ça. Mais assez de psychiatrisation n’est-ce pas ? Lacan, lui-même remarquait d’ailleurs que l’inconscient est structuré comme un langage et non le langage comme un inconscient.

Pas de Roms place Saint-Pierre

Bon, bien sûr l’instrumentalisation d’une communauté à des fins de politique intérieure a pu énerver les âmes sensibles comme Benoit XVI ou une commissaire européenne. Mais sincèrement, qu’est-ce qu’un Pape enfermé au Vatican peut connaître de la réalité du terrain ? Rappelons tout de même que Benoît XVI avait déjà parfaitement montré sa méconnaissance de l’économie de marché et de son merveilleux fonctionnement chaque jour attesté, dans son Encyclique de juin 2009 Caritas in Veritate : « L’accroissement systémique des inégalités entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre les populations des différents pays, c’est-à-dire l’augmentation massive de la pauvreté au sens relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger la démocratie ». On dirait du Jean-Luc Mélenchon, ce qui est tout de même un comble. En plus, sur la question rom, il n’est pas du tout certain que le Vatican ait prévu des aires de stationnement sur son territoire d’un demi kilomètre carré et, de toute manière, ce n’est pas le pape qui se farcit des roulottes pleines de rempailleurs de chaises place Saint-Pierre ou dans les jardins de Castel Gandolfo.

Bon, bien sûr, il y a eu cette circulaire maladroite qui visait nommément les Roms mais apparemment, c’est un lapsus scripti (pas de psychiatrisation, bon dieu !) d’un conseiller du ministre de l’Intérieur. Et puis d’abord personne ne l’a vraiment relue cette circulaire et Besson, lui-même, n’était même pas au courant, c’est dire. Ou alors ce conseiller était ivre, comme celui de Fillon qui a insulté la police. Ceci étant dit, politiquement, écrire une circulaire avec 2 grammes dans le sang est aussi dangereux que de conduire dans le même état.

Amalgame scandaleux

Tout cela pour dénoncer l’amalgame décidément scandaleux qui est fait entre la politique actuelle du gouvernement et celle de Vichy. Il n’y a absolument rien de commun entre les deux et l’on s’étonne que l’association des Amis du maréchal Pétain n’ait pas entamé un sit-in de protestation sur la tombe du grand homme à l’île d’Yeu.

Eux aussi devraient en avoir assez d’être instrumentalisés par une gauche qui n’a plus que cette comparaison à la bouche, cette gauche incapable de proposer un projet alternatif pour les retraites et à peine de mobiliser 3 millions de personnes à deux semaines d’intervalle[1. A propos de la mobilisation du 23, l’impayable Eric Woerth a inventé le concept de « décélération notable » pour qualifier une mobilisation équivalente à la précédente. La « décélération notable », j’ai comme l’impression qu’on va la voir arriver dans sa carrière politique lors du prochain remaniement.].

En effet, on rappellera ici que la devise de l’Etat Français était Travail, Famille, Patrie et comme je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal, je vais vous montrer, simplement en prenant quelques exemples dans l’actualité récente que la politique sarkozyste ne peut pas être pétainiste puisqu’elle n’aime ni le travail, ni la famille, ni la patrie.

Pour le travail, il suffit d’ouvrir le journal (enfin les journaux qui ont encore des pages « Social » à côté des pages « Economie », ce qui devient aussi rare qu’un moins de 25 ans avec un emploi). On dirait que l’on s’achemine tout doucement vers la France des années 2030 telle que l’imagine Houellebecq à la fin de son dernier roman, La carte et le territoire. Une Arcadie peuplée de néo ruraux branchés et connectés au monde entier, vivant dans des villages de la Creuse ou du Loiret. La désindustrialisation est le stade ultime du sarkozysme et tenir la chronique des délocalisations, fermetures de sites, licenciements, chantages à l’emploi pour faire accepter des baisses de salaire (chez les Conti de Toulouse tout récemment) prendrait des proportions homériques comme dans l’Iliade au Chant II où sont recensés dans une liste interminable tous les navires grecs et ceux de leurs alliés.

La terre ne ment pas mais on ment à la terre

Et puis, on ne peut pas dire non plus que le gouvernement soit pétainiste en matière d’agriculture. Le slogan de Bruno Lemaire, ce n’est pas « La terre ne ment pas », mais plutôt « On ment à la terre ». Si vous voulez expérimenter ces temps-ci la profonde absurdité de l’économie de marché, faites producteur de lait comme métier. Non seulement vous ne pourrez pas en vivre mais en plus, à l’autre bout de la chaine, le consommateur ne pourra pas l’acheter tellement il devient cher.

La famille, maintenant : on rappellera que François Baroin avant de faire marche arrière, provisoirement, avait quand même imaginé de faire ses économies budgétaires en supprimant la possibilité donnée aux parents et à leurs enfants qui étudient, de cumuler l’aide personnalisée au logement et l’allègement fiscal. Quant à la fin la demi-part accordée aux foyers fiscaux ayant des enfants à charge, elle est toujours sur le tapis.
Et voilà qu’aujourd’hui, ce sont les derniers jeunes qui croient encore au mariage qui vont être fiscalement bolossés. En effet, les couples qui se marient remplissent, pour la même année fiscale, trois déclarations: deux individuelles et une commune. À partir de la déclaration de revenus 2011, pour l’impôt payé en 2012, les couples auront obligation de choisir entre deux déclarations individuelles ou une déclaration commune. Il paraît que c’est une niche fiscale, comme le bouclier du même nom, qui lui ne bouge pas. On voit bien que le sarkozysme n’est pas un familialisme puisqu’en fait, son citoyen idéal, c’est celui qui est plein de pognon et qui vit à la colle, comme on disait dans le monde d’avant.

Il nous reste la patrie. Ah ça, la patrie, on pourrait y croire, avec Sarkozy. Et pourtant, non.
Regardez comme on fait les cadors, là, à Bruxelles. Et que je te regarde Barroso droit dans les yeux, façon western italien. Et que je suis sur le point de déclarer la guerre à de grandes puissances comme le Luxembourg ou la Roumanie. Oui, mais en attendant, la patrie, elle aimerait peut-être bien un débat parlementaire qui n’a toujours pas eu lieu à propos de notre engagement en Afghanistan, sous commandement américain. Et si possible avant qu’on franchisse le cap des cinquante soldats tués dans une guerre qui fait gagner du terrain un peu plus chaque jour à l’ennemi qu’elle est censée combattre.

La patrie, oui, il serait effectivement prendre l’Otan d’en parler, monsieur le Président.

« Je n’ai pas fait chanter Muray »

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Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat.

Compositeur, chanteur et producteur, fondateur du label discographique Tricatel, vous avez écrit et produit l’album-culte de Houellebecq en 2000. Vous avez même donné une série de concerts à l’auteur des Particules élémentaires. Pouvez-vous nous raconter cette collaboration ?

D’abord, je ne l’ai pas fait chanter mais parler, ce qui n’était pas facile au début, même si, par la suite, le carton de ses livres l’a délié. Nous nous sommes rencontrés vers 1995 par l’intermédiaire de Jean-Yves Jouannais et nous avons mis ensuite cinq ans à achever ce disque, à tâtons, car nous n’avions alors aucune référence, à part peut-être certains écueils et poncifs que nous souhaitions éviter.

[access capability= »lire_inedits »]Tricatel a été sollicité pour éditer l’album de Philippe Muray, Minimum Respect (enregistré entre 2003 et 2006). Alors qu’il est presque à la mode, regrettez-vous de ne pas l’avoir inscrit à votre catalogue ?

Je connaissais et aimais ses livres depuis longtemps lorsque je l’ai rencontré, et j’étais très triste de ne pouvoir embrayer sur son projet. Mais c’était une période difficile pour moi, notamment financièrement : ça n’aurait pas été lui rendre service que de sortir son disque tel quel. D’autre part, il me semblait que la musique ne collait pas avec le texte ; cela donnait un fond sonore un peu ironique et décalé, bref ça m’avait paru moins bien que ses bouquins, et trop proche sur la forme de ce qu’on avait essayé de faire et de ne pas faire avec Présence humaine pour que je m’y recolle : Houellebecq m’en avait fait pas mal baver, il aurait fallu que ce disque soit totalement différent pour que je recommence, même si je voyais bien que Muray était aussi sincère et gentil que l’autre peut se montrer épouvantable. Quant au fait qu’il soit devenu « à la mode », je trouve cela très mérité, et ça ne change évidemment rien à tout le bien que je pense de lui. 

La chanson est-elle un moyen, pour les écrivains, d’élargir leur public ?

Je ne pense pas que ce soit le bon angle d’approche. Le public qui s’intéresse aux disques un peu hors-piste est souvent plus rare que celui des livres. Pour un écrivain établi, la chanson n’est pas un facteur d’élargissement mais de rétrécissement de l’audience. Le groupe Air, qui d’ordinaire applique mes recettes avec un succès que mes propres tentatives ne connaissent jamais, a voulu percevoir les dividendes de l’album de Houellebecq en faisant un disque avec… Alessandro Baricco. Cette fois-ci, le crime n’a pas payé.

Houellebecq nourrissait-il de véritables ambitions de chanteur ?

Non, je pense qu’il s’est beaucoup amusé, au début, à jouer avec le cliché du type qu’on regarde sur scène, mais il me paraissait justement très important qu’il ne chante jamais au sens littéral : il n’était pas question de faire un disque de célébrité (ce qu’il n’était pas au début du projet) mais de tenter autre chose. Houellebecq a été courageux : il n’avait rien à gagner à se confronter aux infrastructures actuelles du rock, qui ne brillent pas par leur subtilité, et aux sarcasmes du milieu littéraire.  

Tricatel a également publié, en 2001, un album de l’écrivain Jonathan Coe, 9th & 13th. Cet album se distingue par l’accord et l’entremêlement des mots et de la musique…

Jonathan Coe est un écrivain considérable. Je suis triste qu’il n’y ait aucun équivalent en France de Testament à l’anglaise ou de Rotters Club. Dans 9th and 13th, il juxtapose les accords 9e et 13e et les rues portant le même chiffre à New York : on est effectivement dans ce que musique et littérature peuvent produire de plus singulier.

Le « disque d’écrivain » est-il un genre ?

Le premier qui me vienne à l’esprit est La Devanture des ivresses, que Jack-Alain Léger a publié sous le nom de Melmoth en 1969, puis l’album Obsolète qu’il a sorti en 1971 sous le pseudonyme de Dashiell Hedayat : ses deux essais ont été des coups de maître. Il y a ensuite certaines chansons de Ferré, comme La Solitude, Night and Day, ou Je t’aimais bien, tu sais : des textes somptueux aux flashes époustouflants (« Ton cancer a deux jours et tu as 18 ans »…) qui  communient avec une musique ravélienne. Ce n’est pas un « disque d’écrivain », mais ça ressemble à un « disque d’écrivain parfaitement réussi ».

L’album d’Ingrid Caven, édité par Tricatel en 2000, Chambre 1040, comporte beaucoup de textes de l’écrivain Jean-Jacques Schuhl (conjoint de la chanteuse). Comment ce projet est-il venu à vous ?

Les choses se sont toujours faites sans préméditation : je n’ai jamais essayé de positionner le label d’une manière ou d’une autre. Faire de la musique n’est pas toujours facile, mais l’une des joies que cela procure est de pouvoir rencontrer des gens qui n’en font pas, de s’évader d’un milieu professionnel qui, dans l’ensemble, est en contradiction avec ce que la musique peut avoir de merveilleux. Je ne sais pas si je préfère passer une soirée avec un programmateur de radio ou avec quelqu’un qui travaille dans le gardiennage (je parle d’expérience). Alors oui, c’est très agréable de pouvoir échanger et faire des choses avec des personnages aussi différents que Jack-Alain Léger, Yves Adrien, Elisabeth Barillé, Virginie Despentes, Bertrand Delcour, Jonathan Coe, Marie-Dominique Lelièvre, Jean Parvulesco ou Jean-Jacques Schuhl… Si j’étais dans le milieu littéraire (ou le gardiennage), je n’aurais pas forcément cette possibilité.

Il y a des écrivains qui font des disques, et les chanteurs qui font des livres. Passer de la littérature à la musique est-il naturel ?

Dans les deux cas se posent des questions de légitimité qui me semblent dérisoires. Chanter ou écrire, ce sont des choses assez naturelles : on n’a pas besoin de passer de permis pour ça. Pour en avoir le statut social, il suffit d’aller dans le métro se faire imprimer des cartes de visite. Ce qu’on fait après, ça, c’est autre chose. L’Académie française est truffée d’écrivains qui n’ont jamais écrit une ligne intéressante de leur vie, voire pas de ligne du tout. Certains textes d’Yves Simon ou de Pierre Vassiliu (Film, par exemple) sont façonnés comme des nouvelles. Dans l’autre sens, une romancière comme Barillé possède, dans ses livres, un véritable sens mélodique qui ne demande qu’à s’épanouir dans l’écriture de chansons. La plus grande difficulté, quand on écrit des paroles, qu’on soit écrivain ou non, est de s’affranchir des règles. On a souvent tendance, au début, à accorder trop d’importance aux rimes et aux pieds, au détriment de la musicalité, et bien sûr du sens de ce qu’on veut exprimer.[/access]

Nos amis les hommes : l’insomniaque

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Si la vie n’est pas facile pour les cohabitantes de ronfleurs, elle est carrément dramatique pour les affublées d’insomniaques chroniques. Il y a ceux qui tournent en rond, ceux qui fument une clope, ceux qui font la toupie dans leur lit – qui est aussi le vôtre -, il y en a même qui veulent parler – pour une fois !-, bref, pas de profil type, mais un point commun. Ils prennent tous un air de bambi pour vous dire « Oh, pardon, ma chérie, je t’ai réveillée ? ». Non, mon lapin, je me disais simplement que 3 plombes du mat’, c’était le bon moment pour amidonner tes chemises !!!

Vous rétorquerez, avec raison, que vous, quand vous ne dormez pas, vous prenez un somnifère, sans pour autant réveiller tout le quartier. Mais les hommes n’avalent pas de médocs. Jamais. Pourquoi ? On l’ignore, mais c’est comme ça. Ils veulent bien les acheter et les déposer sur leur table de chevet, mais ne poussent pas le vice jusqu’à les consommer. Bien entendu, les méthodes « lait chaud avec du miel d’acacia et trois goûtes d’essence de peupliers » donnent les mêmes résultats que l’eucalyptus pour les ronfleurs.

Evidemment, il serait normal de profiter de cette aubaine qui veut que vous soyez tous deux éveillés dans un lit pendant que les enfants dorment pour vérifier que vos hormones fonctionnent toujours comme il se doit. Malheureusement, les insomnies de Monsieur lui filent la migraine ! Pauvre Loulou.

Mais il y a tout de même une chose qui fonctionne, et même très bien. Prenez un air inspiré, faites un grand sourire et murmurez-lui « Tu sais, Chéri, je me demande si nous ne devrions pas faire un petit quatrième, maintenant que Théo rentre à la maternelle ? »

Promis, juré, dans les deux minutes qui suivent, il dort comme un sénateur.

Peut-être même qu’il ronfle !

Taillandier, en trois mystères

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C’est en 2005, il y a six ans, que François Taillandier se lançait dans l’aventure de La Grande Intrigue, imposante suite romanesque en cinq tomes retraçant l’histoire d’une famille française de Vernery-sur-Arre entre 1955 et 2010. Cet ensemble, comportant aussi des incursions plongeant beaucoup plus loin dans le passé, permet à Taillandier de déployer son art de l’observation des métamorphoses de la vie concrète – un art qui suscitait la vive admiration de Philippe Muray. Après Option Paradis en 2005, Telling en 2006 et Il n’y a personne dans les tombes en 2007, François Taillandier publie coup sur coup les deux derniers tomes : Les romans vont où ils veulent et Time to Turn[1. J’aborderai ici le quatrième tome et me pencherai prochainement sur Time to Turn].

Le temps, le langage, le récit

L’œuvre romanesque de François Taillandier, inaugurée en 1992 avec Les Nuits Racine, est une méditation profonde et personnelle, inlassablement poursuivie, sur trois thèmes : le temps, le langage et le récit. Le mystère de la personne humaine tient pour lui à ces trois énigmes : qu’on le veuille ou non, l’humain, ça tempore, ça parle, ça raconte. Taillandier explore ces faits anthropologiques fondamentaux que fuient obstinément les modernes et autres winners. Il dévoile ainsi le manque absolu de réalisme et de sérieux des mystiques utilitaristes et pragmatistes qui tiennent depuis plus d’un siècle et pour quelques jours encore le haut du pavé. Pour Taillandier, ces trois mystères en forment un seul, qui est le mystère du Dieu de la révélation. La Grande Intrigue est là pour nous rappeler que ces trois mystères, nous ne les possédons pas : ils nous possèdent.

Les romans vont où ils veulent comptent deux personnages de romanciers catholiques aux culs résolument non-bénis : Sobel, romancier africain ayant échappé au massacre du peuple bantama, en 1993 et Taillandier lui-même. Tous deux partagent, outre le goût de triturer avec amour la langue française de l’intérieur, le dessein de « rouvrir et redéployer le temps – le temps généalogique, le temps historique ». Tous deux tiennent à graver la trace de mondes et de formes de vie disparus pour la confronter au présent, pour qu’elle agisse dans le présent. « L’homme classique de Vernery-sur-Arre tel que nous l’avons évoqué a été happé dans l’anéantissement historique en même temps que le Bantama classique, lequel ne survivra, s’il survit, qu’en devenant le figurant de son propre pays. » Ce monde défunt, sombré dans l’oubli, Taillandier en décrit, sans dévotion ni idéalisation, les grandeurs et les misères.
« Des conquêtes, des guerres, pour donner contentement à l’homme de Vernery-sur-Arre ! Pour que des Maudon, des La Ronzière, des Salambert croient que c’est quelque chose, être français ! De loin, d’ailleurs. De loin. Dans ce monde-là, on croit de loin, on adhère de loin. […] La vraie religion. Les belles-lettres. Notre belle langue. Tout le toutim. Parfait – à bonne distance. […] Pour le chrétien vénéricois, le Christ est très bien – là où il est. »

Taillandier écrit encore que « le temps circule dans le sens qu’il veut, pas dans le sens que nous croyons ». Si ses romans vont où ils veulent, si leur narration ne peut être linéaire, c’est par fidélité à la vérité du temps. Explorant la circulation du temps au sein d’une famille française, Taillandier observe : « Il n’en reste pas moins que tout ce que les êtres emportent dans le silence de la tombe demeure là, dans le présent, comme une latence, une imminence. […] Tout l’inabouti, tout le douloureux, tous les rhumatismes et les entorses de l’âme, les coinçages de vertèbres et les nodosités musculaires, toutes ces pages inconnues, toutes celles arrachées du livre par des mains pieuses ou que guide le remords, tout ça demeure quelque part, entassé, formant pesée sur les destins qui sortent de là… »

Unilog, langue marchandise

Puis il y a le mystère du langage. Les mots en sauront toujours davantage sur nous que nous n’en saurons jamais sur eux. Les romans vont où ils veulent mêle avec violence les mots du présent et ceux de jadis. Dans un chapitre aussi terrifiant qu’hilarant, il nous dévoile tous les secrets d’Unilog, la langue universelle inventée par Fou-Fou, homme d’affaires chinois n°1 des rencontres sur Internet. Unilog, la première langue qui est intégralement une marchandise. Sans avoir versé mon obole à Fou-Fou, je me suis permis d’utiliser Unilog dans mon sous-titre[2. Oui, mais la rédac chef a refusé le sous-titre. Alors, dans sa clémence, elle laisse l’allusion….EL ]. Script process taiãdié (NR)  +++ signifie : « Le roman de Taillandier est très beau. » On retiendra, parmi tant de réjouissantes horreurs, la traduction en Unilog de « Tu enfanteras dans la douleur » : Deal : H kid process et celle de « Eloï, lamma sabactani ? », l’admirable : Genitor ??? turn  ?

Les cent premières pages des Romans vont où ils veulent ont moins de force et de densité que les deux cents suivantes, qui sont d’une grande beauté. Celle-ci culmine dans les toutes dernières pages avec trois secrets bouleversants, montés des profondeurs de l’enfance. Je me permettrai de dévoiler le deuxième, celui qui concerne la vérité du langage : « On bredouillait, je m’en aperçus très vite. Et moi le premier. Moi je pressentais, je crois l’avoir toujours pressenti, que Dieu était en nous par le langage – mais que c’était un Dieu perdu. […] Que nous étions tombés de là aussi, qu’il fallait y remonter avec effort ; que je parlais, que nous parlons dans ce qui reste du langage après la Chute. »

Enfin, vient le troisième mystère de la personne humaine : le parlant-temporant ne peut pas faire autrement que de se raconter, et de raconter aux autres, des histoires. Et le réel, toujours, échappe : il fait son boulot de réel. Le réel est semblable à l’un des ancêtres de la famille Rubien, le vieil Etienne Maudon, qui plongea dans les dernières années de sa vie dans un mutisme buté et définitif. Taillandier prête l’oreille à cette bouche close, et il entend : « De toute façon, quoi que tu fasses, tu seras sûr d’être passé à côté, tu n’auras pas compris, tu ne peux pas savoir, c’est toujours à côté, c’est toujours autre chose, c’est toujours plus compliqué (ou plus simple). […] Laisse les morts enterrer leurs mots. »

Raconter, pour Taillandier, est toujours aussi impossible que nécessaire. La Grande Intrigue répète jusqu’à la fin cette litanie véridique : « C’est à peine commencé. On n’a rien dit. On n’a rien dit du tout. A peu près rien. » « Tout récit, écrit encore Taillandier, est un champ d’affrontement entre le teller, qui veut trouver du sens, et le réel, qui n’en a peut-être pas (mais qui en a peut-être). » Le vrai Dieu de la révélation, par définition, est celui qui, en un certain sens, ne révèle rien. « Quand donc nous donnerez-vous la clef, mon Dieu ? Vous voyez bien qu’on est là à se raconter des histoires, à bricoler, à supposer… Indéfiniment… »

La théorie des contreforts

Et moi non plus, cela va de soi, je n’ai encore rien dit des Romans vont où ils veulent. Absolument rien. Allez y voir vous-mêmes, vous verrez bien que c’est tout autre chose… Je n’ai rien dit de l’étrange Immola, ni du prophète « Charlemagne ». Je n’ai pas dit un mot du très beau chapitre sur le père Jean Noirac, arrivé en 1967 à Vernery-sur-Arre et succédant au vieux curé Bordessoule, ni du singulier et touchant abbé Audelys.
Pas un mot non plus sur Jean et Robert de La Ronzière, les deux ancêtres colonisateurs. « Ces deux hommes, ces deux frères que tout sépare, le caractère, l’activité, le style d’existence, représentent deux universalités qui furent complémentaires ou complices, et sans doute n’auraient pas dû l’être : celle du christianisme, d’une part, et d’autre part celle du capitalisme productiviste et conquérant. » Je n’ai pas écrit un traitre mot, enfin, sur les pages splendides consacrées à l’aqueduc d’Arausio, à la théorie des contreforts de Nicolas Rubien, à l’alliance invincible, enfin, de Taillandier avec son enfance. « Ce petit garçon veille comme une sentinelle sur mes sommeils, sur mes réveils. Et moi je veille aussi sur lui. Je n’en dirais pas autant de celui que j’étais à vingt ans, par exemple, ou à trente. Non. C’est en deçà, et au-delà. C’est avant quinze ans, c’est après quarante : là, on se tend la main. Ayez quinze ans, ayez quarante ans. C’est là qu’on est ! »

Je n’ai absolument rien dit, enfin, d’une phrase que j’ai écrite sur un post-it daté, conformément à une vieille tradition, il y a plusieurs années, retranscription fidèle d’une parole prononcée un soir d’ivresse par le poète Basile de Koch, mon très cher ami : « C’est quand même dommage d’être l’animal le plus fragile de la création et de ne pas en profiter ! ». L’art de Taillandier, précisément, est une invitation à profiter de la grâce d’être fêlés.

LES ROMANS VONT OU ILS VEULENT

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Jules Verne, ou l’épopée modeste

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Jules Verne
Jules Verne.

Depuis que Michel Serres et Michel Butor se sont intéressés à lui, on sait que Jules Verne, c’est beaucoup plus que Jules Verne. L’époque où notre cher Lagarde et Michard ne le mentionnait même pas semble révolue. L’auteur pour enfants est devenu une manière de sorcier qui a jonglé sans trop le savoir lui-même avec tous les archétypes de l’inconscient collectif. Il se croyait un bon papy, positiviste républicain, épris de progrès scientifique émancipateur et le voilà plus proche du visionnaire rimbaldien qui donne à l’enfance ce pouvoir magique de transformer le monde simplement en le décrivant d’un regard neuf.

Désormais, quand Jules Verne est réédité, comme c’est le cas pour cette Île mystérieuse en Folio, c’est dans la collection classique et le texte est accompagné d’une préface et d’un appareil critique, comme pour ses illustres contemporains. Ici, l’appareil critique en question est volumineux mais passionnant. On le doit à Jacques Noiray, qui nous gratifie même d’un lexique des termes de marine qui est, à lui seul, une invitation au voyage.

[access capability= »lire_inedits »]Bien plus qu’une robinsonnade

L’Île mystérieuse a longtemps été considérée comme une simple robinsonnade. La robinsonnade était, dans la littérature pour la jeunesse du XIXe siècle, un genre littéraire en soi. Jules Verne en a lui-même écrit plusieurs, comme Deux ans de vacances. La robinsonnade, c’est le bonheur d’être seul au monde, de le refaire aux couleurs qui nous plaisent. C’est l’utopie à la portée des tout-petits. On aura beau faire, l’homme ne se contentera jamais du monde tel qu’il ne va pas. Et tant pis s’il faut pour cela que tout commence par une révolution ou, en l’occurrence, un naufrage qui n’est jamais qu’une révolution en miniature.

Mais L’Île mystérieuse dépasse assez vite ce cadre. Le naufrage y est, pour commencer, un naufrage aérien. Pour un peu, on se croirait dans la série Lost, dont le succès mondial montre que rien ne change jamais dans notre désir de catastrophe comme moyen de mieux renaître. C’est exactement le cas des naufragés de L’Île mystérieuse qui cherchaient à fuir la ville de Richmond, assiégée pendant la guerre de Sécession. Si toutes les figures obligées de la robinsonnade sont encore là, comme la lutte contre une nature sauvage, le roman se double d’une interrogation des plus ambiguës sur ce qui fonde la notion d’humanité. Un bagnard solitaire sur une île voisine – « Malheur à l’homme seul ! » – apparaît beaucoup moins humain qu’un orang-outang, Jup, qui devient un personnage à part entière. Quant au capitaine Nemo, dont on découvre qu’il est celui qui a protégé de manière occulte les naufragés, il n’est plus le surhomme de Vingt mille lieues sous les mers mais un guerrier fatigué, agonisant même, sur le point de perdre la foi en ses combats.

On voit pourquoi relire L’Île Mystérieuse, aujourd’hui, peut se révéler des plus salubres. D’abord, il est toujours agréable de renouer avec ses émotions d’enfance, avec un certain goût pour le grand air dans ce monde climatisé et rapetissé. Mais surtout, dans ce roman, Jules Verne nous invite à relativiser nos fantasmes prométhéens de post-humanité. Et, comme les personnages de L’Île mystérieuse, à conserver jusque dans l’épopée le sens de la modestie.[/access]

Toc toc toc, c’est Despentes

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Il y a une vieille jeune fille : Amélie Nothomb. Et une jeune vieille fille : Virginie Despentes. On est en droit, largement, de préférer la première, mais ce n’est pas une compétition. Déjà, je ne peux plus supporter, physiquement si j’ose dire, les titres des livres de Virginie : King Kong theory, à présent Apocalypse bébé. Je lui conseille, pour le suivant (car hélas il y aura un suivant) Ploum ploum tralala. C’est un excellent film avec Saturnin Fabre qui n’était pas écrivain, mais acteur, et qui lui savait à la fois écrire et jouer la comédie. Virginie ne sait que jouer la comédie. Littérairement, s’entend. Nous ne comprenons pas, après toutes ces années de prose colmatée, où elle voudrait en venir. Elle bâcle avec effort, dans un souci de plaire déguisé en mépris de crachat, des romans où les hommes et les femmes n’existent que sous forme de femmes, elles-mêmes cadenassées dans de simples figurations schématiques relevant, au mieux, du spectacle de marionnettes.

Je ne sache pas qu’on fasse profession d’écrire pour choquer Jérôme Garcin. Cette littérature, qui s’annonce systématiquement libérée de toutes les emprises (celles de la mode, des habitudes, des mœurs, et notamment du goût) est hémorragique ; elle se répand, bavarde, coule, jaillit mais oublie ce qui, chez les écrivains qui sont écrivains, est primordial : le monde. Rien que cela. Abrutie par son propre projet, entraînée par ses historiettes qui ne sont sordides que parce qu’elles sont bancales, Virginie omet de faire apparaître, en fond sonore, le monde dans lequel sont censées se dérouler ces rédactions de quatrième déguisées en roman. La réalité n’existe jamais, si bien que le lecteur n’a jamais de repère : tout pourrait, finalement, se dérouler dans Apocalypse bébé en novembre 1952. Virginie n’est pas présente dans l’univers et l’univers n’est pas présent non plus chez Virginie.

Ne reste donc, comme un papier peint sans son mur, qu’un scénario plaqué sur un peu de prose, à moins que ce ne soit le contraire. Tout est réciproque dans cette littérature, tout est interchangeable et tout est bijectif : les psychologies, les dialogues, les situations. Despentes écrirait l’inverse de tout ce qu’elle écrit que nul, finalement, ne s’en apercevrait. Il n’y a pas de rencontre ici, avec une voix, avec un auteur, avec une femme : ainsi la concrétude de l’œuvre vient-elle du dehors, des articles publiés, des photos prises, des tee-shirts portés. Tout glisse dans ces pages, tout fond, tout s’efface à mesure qu’on lit, et on se dit qu’Apocalypse bébé aurait pu durer trois pages ou mille sans qu’il n’en ait été ni affecté, ni modifié, ni surtout amélioré. Le pire étant, puisque je viens d’y consacrer somme toute quelques lignes, qu’il n’y a même pas rien à dire à son sujet.

*Cet article a été publié dans le numéro d’octobre du magazine Transfuge que nous remercions

Proche-Orient : après le gel, le dégel

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Les négociations entre Israéliens et Palestiniens, entamées il y a quelques jours à peine, vont-elles avorter à cause de la reprise de la construction dans les colonies ? C’est ce que semble penser la presse mondiale qui s’indigne de ce nouveau coup dur. Pourtant, les bulldozers convoqués pour fournir aux médias et aux colons des images de « fin de gel » cachent une réalité beaucoup plus nuancée. Les réactions très modérées de Mahmoud Abbas, le président palestinien, et les autres porte-paroles officiels et officieux de l’Autorité palestinienne auraient dû nous mettre la puce à l’oreille : cette crise sonne faux. Tout semble indiquer qu’Israéliens et Palestiniens n’ont pas – encore ? – décidé de torpiller les pourparlers lancés au début du mois à Washington. En fait, malgré les images passées en boucle sur nos écrans, « la fin du moratoire sur la construction en Cisjordanie » ne signifie pas une reprise de la colonisation. C’est entre ces deux notions Netanyahou et Abbas cherchent un compromis qui leur permettra de poursuivre les discussions.

La question du développement et de l’élargissement des implantations existantes – un accord tacite entre les deux partis impose depuis longtemps un moratoire sur la construction des nouvelles colonies – était depuis la victoire de la droite israélienne aux législatives de 2009 le principal obstacle à la reprise du dialogue public entre Ramallah et Jérusalem. Face à un gouvernement qui a Benyamin Netanyahou pour Premier ministre et Avigdor Lieberman comme ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Abbas est pourtant parvenu sans trop de difficultés à imposer le « gel de la colonisation » comme condition préalable à la reprise des négociations officielles. Profitant au maximum du manque de crédibilité dont souffrent les dirigeants israéliens auprès des chancelleries et opinions publiques, la tactique palestinienne, intelligente et efficace, a donc parfaitement fonctionné.

Les règles du jeu ont changé

Même parmi les colons qui ont fêté hier la fin du moratoire, les plus lucides comprennent que le gouvernement actuel – le meilleur possible pour eux – ne pourra pas revenir en arrière. Comme par hasard, certains dirigeants du Likoud, le parti de Netanyahou, multiplient les appels à élargir la coalition en intégrant des centristes de Kadima. Le message, adressé plutôt aux colons qu’à Tzipi Livni, chef de Kadima, est clair : contrairement à vous, Netanyahou a une alternative. Les colons sont donc sommés de se rendre à l’évidence : pour la droite au pouvoir, ces dix mois de gel des constructions ont créé de nouvelles règles du jeu. Parlant lundi soir dans un meeting organisé pour marquer la fin du moratoire (et donc, pour lui et les autres participants, une relance de la construction), Israël Katz, ministre des Transports et l’un des leaders de l’aile droite du Likoud, le parti de Netanyahou, a utilisé des formules nouvelles. Il a parlé de « bloc d’implantations » et du devoir du gouvernement de « conserver les colonies et leurs habitants ». Une oreille non israélienne n’entend pas forcément, derrière les mots, la petite musique, mais pour les connaisseurs de la droite israélienne, clé politique incontournable de tout accord, il s’agit d’un changement de taille. Il ne s’agit plus de « Judée et Samarie » mais des implantations et de leurs habitants. Autrement dit, tout ce qui est au-delà des limites municipales est négociable.

Le ministre des Transports n’a d’ailleurs fait que reprendre à son compte des formules utilisées depuis un petit moment par son Premier ministre. « Bibi » souhaite se mettre d’accord avec le président palestinien sur une liste des colonies qui resteraient – contre des compensations territoriales – israéliennes. Celles-ci sont regroupées dans des « blocs » occupant une surface relativement restreinte, où vit une large majorité de la population israélienne de la Cisjordanie. L’idée est donc d’annexer, dans le cadre d’un arrangement définitif sur les frontières, un minimum de surface abritant maximum d’habitants.

Un tel accord – très probablement tacite – aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d’abord à Netanyahou de réaliser l’exploit dont rêve tout homme politique : contenter deux camps diamétralement opposés. Dans ce cas la « quadrature du cercle » consiste à construire dans les colonies « blanchies » pour faire plaisir à la droite tout en gelant la construction dans les implantations « hors liste » pour contenter Washington et permettre à Ramallah de rester dans le jeu.

Autre avantage – et non des moindres – d’une telle solution : le nombre des colonies à l’avenir assuré ne manquera pas – tôt ou tard – de diviser les colons eux-mêmes. De toute évidence, cette liste comprendra les villes et bourgades proches de la frontière d’avant la guerre des Six jours (la ligne verte) dont les habitants sont plus modérés et plus attachés aux valeurs démocratiques. Ce processus pourrait donc isoler les franges les plus extrémistes d’un côté et gagner à la cause des deux Etats des citoyens qui se sentent déjà mal à l’aise dans le camp où leur adresse les a assignés presque d’office.

Quelle que soit la réponse palestinienne attendue le 4 octobre après la réunion au Caire de la Ligue arabe, le gouvernement Netanyahou décrit il y deux ans à peine comme « le plus à droite de l’histoire israélienne », continue son glissement idéologique. Comme l’avait constaté Ariel Sharon au début de la décennie, la réalité, insensible aux discours électoraux, finit par imposer sa logique.

Ils causent dans le poste

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Vous aimez lire Cyril Bennasar ou François Miclo ? Alors vous adorerez les voir, et en plus les entendre puisque, paraît-il, les deux sont possibles simultanément à la télévision.

Premier rendez-vous dès ce matin, sur LCI à 10 h 10, où Cyril Bennasar sera sur le plateau de « Choisissez votre camp ! », l’émission de débat animée par Valérie Expert (rediffusion ce même mardi à 14h10).

Quant à François Miclo, on le verra à partir de 23 h 05, sur France 3, où il sera l’un des invités de « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddei (voir l’émission).

Bref, si vous n’avez pas de télé, il est encore temps de vous faire inviter pour le brunch ou le digestif…

La Muraymania, ça suffit !

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Philippe Muray

Philippe Muray

Depuis janvier 2010, c’est-à-dire depuis exactement cinq ans, Philippe Muray est partout. « Je suis partout » est devenu sa seconde nature – et c’est sans surprise. Depuis cinq ans, un déluge sans précédent de pensée moisie s’est abattu sur la France. Qui se souvient encore du sarkozysme et de sa droite moderniste et hyperfestive ? Depuis cinq ans, la pensée unique n’a plus qu’une seule voix : celle de Philippe Muray. La contagion surréaliste de l’entre-deux-guerres ou la frénésie existentialiste d’après-guerre nous paraissent à présent des phénomènes culturels bien timorés, au regard de l’ampleur de l’ouragan murayien qui a dévasté la France.

Le visage de Philippe Muray est sur tous les tee-shirts, sur tous les porte-clefs amusants, en fond d’écran sur tous les Zaïpodes et tous les Zipades. C’est encore lui qui ricane au fond de toutes les boules à neige. Muray est partout : tous nos enfants apprennent par cœur à l’école Tombeau pour une touriste innocente, qu’ils nous récitent en riant à Noël. Muray est dans l’annuaire, dans le Lagarde et Michard, dans tous les menus au restaurant, à la télé, à l’opéra, au théâtre, dans toutes les expos et jusque dans les replis nostalgiques de la moindre performance d’art post-contemporain.[access capability= »lire_inedits »]

La France a indubitablement changé de visage depuis que la pyramide du Louvre, symbole de l’esprit des Lumières, a été détruite et remplacée par cette gigantesque statue de la tête de Muray fumant un cigare et affublé des oreilles de Mickey – comme celui-ci en arbora réellement le jour où il se rendit à Eurodisney –, réalisée par un éminent plasticien saoudien. Muray est partout : depuis cinq ans, tous les nouveau-nés s’appellent Philippe, Festif ou Festyves. Et quel sera bientôt, à coup sûr, le jeu vidéo préféré des petits Festif et des petites Festève ? Festivisator, évidemment, dans lequel l’effigie électronique de Philippe Muray traque des Panurgian mutans et les massacre en leur jetant des livres de Céline ou de Léon Bloy qui se transforment en boules de feu.

Le café gay le plus « trendy » s’appelle l’HOMO-Festivus

Muray est la coqueluche de tous les rappeurs, de tous les coiffeurs, de tous les restaurateurs. Les estivants lisent tous Muray sur la plage et il suffit qu’ils lèvent la tête pour qu’ils déchiffrent des citations de Muray sur les banderoles tirées par les avions. Muray est dans toutes les pages people, sur CNN et sur Al-Jazira, dans toutes les musiques d’attente téléphonique. Dans le Marais, le café gay le plus trendy du moment est l’HOMO-Festivus. Les cours d’histoire sont désormais complétés par des cours de post-histoire, dispensés par les néo-hussards noirs du murayisme. Enfin, Muray a même conquis nos raves. Depuis quatre étés, la techno antifestive fait fureur. Le principe de la danse techno y subsiste, mais désormais la frénésie extatique des corps s’y déploie jusqu’au petit matin dans un abyssal silence. La techno de notre temps est une techno sans musique, sans beat, sans rien.

En cinq ans, la mafia murayienne s’est infiltrée partout, elle aussi. Vous apercevez une ombre ricanante en train de tirer les ficelles en coulisses ? Vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un murayien. Anne Sefrioui, la veuve de Philippe Muray, dirige désormais Le Monde des livres. Elisabeth Lévy présente depuis trois ans le « 20 heures » sur France 2, de sa voix criarde et dérapante. Michel Desgranges, l’éditeur de Muray aux Belles Lettres, plastronne à la tête de Gallimard, qui prépare les sept pléiades du Journal de Muray et un huitième tome consacré à ses listes de courses. La direction du Monde est tombée entre les mains de son ami Philippe Delaroche. Enfin, chacun sait que notre actuel ministre de la Culture, le terrifiant Georges Liébert, était lui aussi l’éditeur et l’ami de Philippe Muray. Quant à la loi de pénalisation du festivisme, votée à l’unanimité en mai 2012, chacun a pu en constater le caractère liberticide et les effets dévastateurs. La renaissance actuelle du bal-musette dans nos banlieues suffit à démontrer son caractère profondément réactionnaire. Je ne dirai rien de la liaison obscure qui s’est opérée depuis deux ans entre l’islamisme et le murayisme. Depuis que Ben Laden a cité abondamment Muray en français dans sa vidéo de septembre 2013, on sait que l’ouvrage de Philippe Muray Chers djihadistes est désormais étudié et appris par cœur partout dans le monde dans les écoles coraniques d’obédience extrémiste.

Depuis le bannissement de Philippe Sollers sur l’île d’Elbe en avril 2011, tous les ennemis de Philippe Muray vivent dans la terreur. Jacques Henric et Catherine Millet se sont exilés en Patagonie, Scarpetta en Laponie et Daniel Lindenberg en Malaisie – où il est mort dans des conditions affreuses, des suites de l’infection d’une morsure d’orang-outang. Quant à la fin tragique d’Arnaud Viviant, suicidé par auto-crucifixion à un ginkgo biloba, chacun s’en souvient encore avec tristesse et horreur.

Avec le monopole intellectuel de la gauche, c’est la démocratie qu’on assassine

En dépit de tout, certains esprits grincheux osent encore affirmer que la démocratie n’est pas en danger. Pourtant, c’est le fondement même de la démocratie qui a été réduit en poussière : le monopole absolu de la gauche dans le monde intellectuel, à l’école et dans les médias. Le droit naturel, le droit de sang, le droit divin de la gauche à débattre a été confisqué par une horde de roquets aux ordres. Le plus atterrant est que ce sont eux qui prétendent désormais donner à la gauche des leçons de pluralisme. Comme si la gauche n’avait pas toujours été l’essence du pluralisme ! Les nouveaux nazis grincheux pluralistes qui sont à nos fenêtres et parfois à nos portes ont sapé méthodiquement – et parfois dans le désordre – le droit inaliénable et dérangeant de la gauche au monopole du pluralisme. Pourtant, qui peut prendre au sérieux des pluralistes en bottes brunes qui brandissent haut la main le petit livre bleu (leur trop fameux Après l’Histoire) et dont tous les principes se résument en vérité à un seul : le Führerprinzip. Celui-ci se nomme désormais Philippe Muray.

En défendant ici solennellement la nécessité démocratique de voir la gauche recouvrer son monopole sur le pluralisme, la morale et la pensée, je ne refuse nullement tout droit de cité à la droite, comme le prétendent certains. La droite a un droit plein et entier à l’existence, du moment qu’elle se maintient à l’intérieur des frontières de ses propres monopoles légitimes, qui font la singularité respectable de sa tradition : la méchanceté, la bêtise, l’obéissance, l’ignorance, la moisissure, la nostalgie frelatée et l’intolérance.[/access]

Keynes is my homeboy

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Vous aimez le rap ? Moi guère plus. J’avoue, je rechigne à apprécier ses subtilités rythmiques et sa prose toute en vindicte et complaintes. Ni popu ni bling-bling, je cale avec tout ce qui n’émane d’Orelsan, Corneille ou MC Solaar. Les clips stars du genre, anti-meufs, anti-homos et surtout anti-flics, désespèrent les substrats de mon adolescence rebelle et leurs souvenirs déjà anciens de rock’n’roll attitude.

On n’est pas sérieux quand on a 40 ans, dit le poète. Sauf quand, au détour de promenades virtuelles, l’on déniche – ce n’est pas tous les jours fête – un match scandé entre économistes, et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit de Keynes et Hayek, icônes respectivement de l’interventionnisme et du libéralisme.

[youtube]d0nERTFo-Sk[/youtube]

L’on doit ce duo de titans modernes, allégrement joué et filmé, impeccablement scénarisé (bagnole de luxe, palace, champagne et jolies pépées), au docte Russel Roberts, professeur d’économie, et au réalisateur John Papola. Mis en ligne en janvier, « Craignez les bulles et les crises » expose leurs théories antagonistes sauf sur un point : la crise financière résulte d’une mauvaise coordination entre l’épargne et l’investissement.

Vous n’y comprenez rien ? Chantez !

Sarkozy, c’est pas Pétain

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Photo : Feuillu
Photo : Feuillu

Bon, bien sûr, lors de ce fameux déjeuner du 16 septembre à Bruxelles sur la question rom, quand il s’est mis en colère, Nicolas Sarkozy a déclaré « Je suis le chef de l’Etat français, je ne laisserai pas insulter mon pays. » On peut penser que De Gaulle ou Chirac auraient sans doute, d’instinct, plutôt dit « Je suis le président de la République Française, je ne laisserai pas insulter mon pays. » Mitterrand, c’est plus douteux car la jeunesse est lente à mourir et Giscard n’aurait pas haussé le ton de toute façon parce qu’il a toujours été trop poli pour ça. Mais assez de psychiatrisation n’est-ce pas ? Lacan, lui-même remarquait d’ailleurs que l’inconscient est structuré comme un langage et non le langage comme un inconscient.

Pas de Roms place Saint-Pierre

Bon, bien sûr l’instrumentalisation d’une communauté à des fins de politique intérieure a pu énerver les âmes sensibles comme Benoit XVI ou une commissaire européenne. Mais sincèrement, qu’est-ce qu’un Pape enfermé au Vatican peut connaître de la réalité du terrain ? Rappelons tout de même que Benoît XVI avait déjà parfaitement montré sa méconnaissance de l’économie de marché et de son merveilleux fonctionnement chaque jour attesté, dans son Encyclique de juin 2009 Caritas in Veritate : « L’accroissement systémique des inégalités entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre les populations des différents pays, c’est-à-dire l’augmentation massive de la pauvreté au sens relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger la démocratie ». On dirait du Jean-Luc Mélenchon, ce qui est tout de même un comble. En plus, sur la question rom, il n’est pas du tout certain que le Vatican ait prévu des aires de stationnement sur son territoire d’un demi kilomètre carré et, de toute manière, ce n’est pas le pape qui se farcit des roulottes pleines de rempailleurs de chaises place Saint-Pierre ou dans les jardins de Castel Gandolfo.

Bon, bien sûr, il y a eu cette circulaire maladroite qui visait nommément les Roms mais apparemment, c’est un lapsus scripti (pas de psychiatrisation, bon dieu !) d’un conseiller du ministre de l’Intérieur. Et puis d’abord personne ne l’a vraiment relue cette circulaire et Besson, lui-même, n’était même pas au courant, c’est dire. Ou alors ce conseiller était ivre, comme celui de Fillon qui a insulté la police. Ceci étant dit, politiquement, écrire une circulaire avec 2 grammes dans le sang est aussi dangereux que de conduire dans le même état.

Amalgame scandaleux

Tout cela pour dénoncer l’amalgame décidément scandaleux qui est fait entre la politique actuelle du gouvernement et celle de Vichy. Il n’y a absolument rien de commun entre les deux et l’on s’étonne que l’association des Amis du maréchal Pétain n’ait pas entamé un sit-in de protestation sur la tombe du grand homme à l’île d’Yeu.

Eux aussi devraient en avoir assez d’être instrumentalisés par une gauche qui n’a plus que cette comparaison à la bouche, cette gauche incapable de proposer un projet alternatif pour les retraites et à peine de mobiliser 3 millions de personnes à deux semaines d’intervalle[1. A propos de la mobilisation du 23, l’impayable Eric Woerth a inventé le concept de « décélération notable » pour qualifier une mobilisation équivalente à la précédente. La « décélération notable », j’ai comme l’impression qu’on va la voir arriver dans sa carrière politique lors du prochain remaniement.].

En effet, on rappellera ici que la devise de l’Etat Français était Travail, Famille, Patrie et comme je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal, je vais vous montrer, simplement en prenant quelques exemples dans l’actualité récente que la politique sarkozyste ne peut pas être pétainiste puisqu’elle n’aime ni le travail, ni la famille, ni la patrie.

Pour le travail, il suffit d’ouvrir le journal (enfin les journaux qui ont encore des pages « Social » à côté des pages « Economie », ce qui devient aussi rare qu’un moins de 25 ans avec un emploi). On dirait que l’on s’achemine tout doucement vers la France des années 2030 telle que l’imagine Houellebecq à la fin de son dernier roman, La carte et le territoire. Une Arcadie peuplée de néo ruraux branchés et connectés au monde entier, vivant dans des villages de la Creuse ou du Loiret. La désindustrialisation est le stade ultime du sarkozysme et tenir la chronique des délocalisations, fermetures de sites, licenciements, chantages à l’emploi pour faire accepter des baisses de salaire (chez les Conti de Toulouse tout récemment) prendrait des proportions homériques comme dans l’Iliade au Chant II où sont recensés dans une liste interminable tous les navires grecs et ceux de leurs alliés.

La terre ne ment pas mais on ment à la terre

Et puis, on ne peut pas dire non plus que le gouvernement soit pétainiste en matière d’agriculture. Le slogan de Bruno Lemaire, ce n’est pas « La terre ne ment pas », mais plutôt « On ment à la terre ». Si vous voulez expérimenter ces temps-ci la profonde absurdité de l’économie de marché, faites producteur de lait comme métier. Non seulement vous ne pourrez pas en vivre mais en plus, à l’autre bout de la chaine, le consommateur ne pourra pas l’acheter tellement il devient cher.

La famille, maintenant : on rappellera que François Baroin avant de faire marche arrière, provisoirement, avait quand même imaginé de faire ses économies budgétaires en supprimant la possibilité donnée aux parents et à leurs enfants qui étudient, de cumuler l’aide personnalisée au logement et l’allègement fiscal. Quant à la fin la demi-part accordée aux foyers fiscaux ayant des enfants à charge, elle est toujours sur le tapis.
Et voilà qu’aujourd’hui, ce sont les derniers jeunes qui croient encore au mariage qui vont être fiscalement bolossés. En effet, les couples qui se marient remplissent, pour la même année fiscale, trois déclarations: deux individuelles et une commune. À partir de la déclaration de revenus 2011, pour l’impôt payé en 2012, les couples auront obligation de choisir entre deux déclarations individuelles ou une déclaration commune. Il paraît que c’est une niche fiscale, comme le bouclier du même nom, qui lui ne bouge pas. On voit bien que le sarkozysme n’est pas un familialisme puisqu’en fait, son citoyen idéal, c’est celui qui est plein de pognon et qui vit à la colle, comme on disait dans le monde d’avant.

Il nous reste la patrie. Ah ça, la patrie, on pourrait y croire, avec Sarkozy. Et pourtant, non.
Regardez comme on fait les cadors, là, à Bruxelles. Et que je te regarde Barroso droit dans les yeux, façon western italien. Et que je suis sur le point de déclarer la guerre à de grandes puissances comme le Luxembourg ou la Roumanie. Oui, mais en attendant, la patrie, elle aimerait peut-être bien un débat parlementaire qui n’a toujours pas eu lieu à propos de notre engagement en Afghanistan, sous commandement américain. Et si possible avant qu’on franchisse le cap des cinquante soldats tués dans une guerre qui fait gagner du terrain un peu plus chaque jour à l’ennemi qu’elle est censée combattre.

La patrie, oui, il serait effectivement prendre l’Otan d’en parler, monsieur le Président.

« Je n’ai pas fait chanter Muray »

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Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat.
Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat.

Compositeur, chanteur et producteur, fondateur du label discographique Tricatel, vous avez écrit et produit l’album-culte de Houellebecq en 2000. Vous avez même donné une série de concerts à l’auteur des Particules élémentaires. Pouvez-vous nous raconter cette collaboration ?

D’abord, je ne l’ai pas fait chanter mais parler, ce qui n’était pas facile au début, même si, par la suite, le carton de ses livres l’a délié. Nous nous sommes rencontrés vers 1995 par l’intermédiaire de Jean-Yves Jouannais et nous avons mis ensuite cinq ans à achever ce disque, à tâtons, car nous n’avions alors aucune référence, à part peut-être certains écueils et poncifs que nous souhaitions éviter.

[access capability= »lire_inedits »]Tricatel a été sollicité pour éditer l’album de Philippe Muray, Minimum Respect (enregistré entre 2003 et 2006). Alors qu’il est presque à la mode, regrettez-vous de ne pas l’avoir inscrit à votre catalogue ?

Je connaissais et aimais ses livres depuis longtemps lorsque je l’ai rencontré, et j’étais très triste de ne pouvoir embrayer sur son projet. Mais c’était une période difficile pour moi, notamment financièrement : ça n’aurait pas été lui rendre service que de sortir son disque tel quel. D’autre part, il me semblait que la musique ne collait pas avec le texte ; cela donnait un fond sonore un peu ironique et décalé, bref ça m’avait paru moins bien que ses bouquins, et trop proche sur la forme de ce qu’on avait essayé de faire et de ne pas faire avec Présence humaine pour que je m’y recolle : Houellebecq m’en avait fait pas mal baver, il aurait fallu que ce disque soit totalement différent pour que je recommence, même si je voyais bien que Muray était aussi sincère et gentil que l’autre peut se montrer épouvantable. Quant au fait qu’il soit devenu « à la mode », je trouve cela très mérité, et ça ne change évidemment rien à tout le bien que je pense de lui. 

La chanson est-elle un moyen, pour les écrivains, d’élargir leur public ?

Je ne pense pas que ce soit le bon angle d’approche. Le public qui s’intéresse aux disques un peu hors-piste est souvent plus rare que celui des livres. Pour un écrivain établi, la chanson n’est pas un facteur d’élargissement mais de rétrécissement de l’audience. Le groupe Air, qui d’ordinaire applique mes recettes avec un succès que mes propres tentatives ne connaissent jamais, a voulu percevoir les dividendes de l’album de Houellebecq en faisant un disque avec… Alessandro Baricco. Cette fois-ci, le crime n’a pas payé.

Houellebecq nourrissait-il de véritables ambitions de chanteur ?

Non, je pense qu’il s’est beaucoup amusé, au début, à jouer avec le cliché du type qu’on regarde sur scène, mais il me paraissait justement très important qu’il ne chante jamais au sens littéral : il n’était pas question de faire un disque de célébrité (ce qu’il n’était pas au début du projet) mais de tenter autre chose. Houellebecq a été courageux : il n’avait rien à gagner à se confronter aux infrastructures actuelles du rock, qui ne brillent pas par leur subtilité, et aux sarcasmes du milieu littéraire.  

Tricatel a également publié, en 2001, un album de l’écrivain Jonathan Coe, 9th & 13th. Cet album se distingue par l’accord et l’entremêlement des mots et de la musique…

Jonathan Coe est un écrivain considérable. Je suis triste qu’il n’y ait aucun équivalent en France de Testament à l’anglaise ou de Rotters Club. Dans 9th and 13th, il juxtapose les accords 9e et 13e et les rues portant le même chiffre à New York : on est effectivement dans ce que musique et littérature peuvent produire de plus singulier.

Le « disque d’écrivain » est-il un genre ?

Le premier qui me vienne à l’esprit est La Devanture des ivresses, que Jack-Alain Léger a publié sous le nom de Melmoth en 1969, puis l’album Obsolète qu’il a sorti en 1971 sous le pseudonyme de Dashiell Hedayat : ses deux essais ont été des coups de maître. Il y a ensuite certaines chansons de Ferré, comme La Solitude, Night and Day, ou Je t’aimais bien, tu sais : des textes somptueux aux flashes époustouflants (« Ton cancer a deux jours et tu as 18 ans »…) qui  communient avec une musique ravélienne. Ce n’est pas un « disque d’écrivain », mais ça ressemble à un « disque d’écrivain parfaitement réussi ».

L’album d’Ingrid Caven, édité par Tricatel en 2000, Chambre 1040, comporte beaucoup de textes de l’écrivain Jean-Jacques Schuhl (conjoint de la chanteuse). Comment ce projet est-il venu à vous ?

Les choses se sont toujours faites sans préméditation : je n’ai jamais essayé de positionner le label d’une manière ou d’une autre. Faire de la musique n’est pas toujours facile, mais l’une des joies que cela procure est de pouvoir rencontrer des gens qui n’en font pas, de s’évader d’un milieu professionnel qui, dans l’ensemble, est en contradiction avec ce que la musique peut avoir de merveilleux. Je ne sais pas si je préfère passer une soirée avec un programmateur de radio ou avec quelqu’un qui travaille dans le gardiennage (je parle d’expérience). Alors oui, c’est très agréable de pouvoir échanger et faire des choses avec des personnages aussi différents que Jack-Alain Léger, Yves Adrien, Elisabeth Barillé, Virginie Despentes, Bertrand Delcour, Jonathan Coe, Marie-Dominique Lelièvre, Jean Parvulesco ou Jean-Jacques Schuhl… Si j’étais dans le milieu littéraire (ou le gardiennage), je n’aurais pas forcément cette possibilité.

Il y a des écrivains qui font des disques, et les chanteurs qui font des livres. Passer de la littérature à la musique est-il naturel ?

Dans les deux cas se posent des questions de légitimité qui me semblent dérisoires. Chanter ou écrire, ce sont des choses assez naturelles : on n’a pas besoin de passer de permis pour ça. Pour en avoir le statut social, il suffit d’aller dans le métro se faire imprimer des cartes de visite. Ce qu’on fait après, ça, c’est autre chose. L’Académie française est truffée d’écrivains qui n’ont jamais écrit une ligne intéressante de leur vie, voire pas de ligne du tout. Certains textes d’Yves Simon ou de Pierre Vassiliu (Film, par exemple) sont façonnés comme des nouvelles. Dans l’autre sens, une romancière comme Barillé possède, dans ses livres, un véritable sens mélodique qui ne demande qu’à s’épanouir dans l’écriture de chansons. La plus grande difficulté, quand on écrit des paroles, qu’on soit écrivain ou non, est de s’affranchir des règles. On a souvent tendance, au début, à accorder trop d’importance aux rimes et aux pieds, au détriment de la musicalité, et bien sûr du sens de ce qu’on veut exprimer.[/access]

Nos amis les hommes : l’insomniaque

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Si la vie n’est pas facile pour les cohabitantes de ronfleurs, elle est carrément dramatique pour les affublées d’insomniaques chroniques. Il y a ceux qui tournent en rond, ceux qui fument une clope, ceux qui font la toupie dans leur lit – qui est aussi le vôtre -, il y en a même qui veulent parler – pour une fois !-, bref, pas de profil type, mais un point commun. Ils prennent tous un air de bambi pour vous dire « Oh, pardon, ma chérie, je t’ai réveillée ? ». Non, mon lapin, je me disais simplement que 3 plombes du mat’, c’était le bon moment pour amidonner tes chemises !!!

Vous rétorquerez, avec raison, que vous, quand vous ne dormez pas, vous prenez un somnifère, sans pour autant réveiller tout le quartier. Mais les hommes n’avalent pas de médocs. Jamais. Pourquoi ? On l’ignore, mais c’est comme ça. Ils veulent bien les acheter et les déposer sur leur table de chevet, mais ne poussent pas le vice jusqu’à les consommer. Bien entendu, les méthodes « lait chaud avec du miel d’acacia et trois goûtes d’essence de peupliers » donnent les mêmes résultats que l’eucalyptus pour les ronfleurs.

Evidemment, il serait normal de profiter de cette aubaine qui veut que vous soyez tous deux éveillés dans un lit pendant que les enfants dorment pour vérifier que vos hormones fonctionnent toujours comme il se doit. Malheureusement, les insomnies de Monsieur lui filent la migraine ! Pauvre Loulou.

Mais il y a tout de même une chose qui fonctionne, et même très bien. Prenez un air inspiré, faites un grand sourire et murmurez-lui « Tu sais, Chéri, je me demande si nous ne devrions pas faire un petit quatrième, maintenant que Théo rentre à la maternelle ? »

Promis, juré, dans les deux minutes qui suivent, il dort comme un sénateur.

Peut-être même qu’il ronfle !

Taillandier, en trois mystères

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C’est en 2005, il y a six ans, que François Taillandier se lançait dans l’aventure de La Grande Intrigue, imposante suite romanesque en cinq tomes retraçant l’histoire d’une famille française de Vernery-sur-Arre entre 1955 et 2010. Cet ensemble, comportant aussi des incursions plongeant beaucoup plus loin dans le passé, permet à Taillandier de déployer son art de l’observation des métamorphoses de la vie concrète – un art qui suscitait la vive admiration de Philippe Muray. Après Option Paradis en 2005, Telling en 2006 et Il n’y a personne dans les tombes en 2007, François Taillandier publie coup sur coup les deux derniers tomes : Les romans vont où ils veulent et Time to Turn[1. J’aborderai ici le quatrième tome et me pencherai prochainement sur Time to Turn].

Le temps, le langage, le récit

L’œuvre romanesque de François Taillandier, inaugurée en 1992 avec Les Nuits Racine, est une méditation profonde et personnelle, inlassablement poursuivie, sur trois thèmes : le temps, le langage et le récit. Le mystère de la personne humaine tient pour lui à ces trois énigmes : qu’on le veuille ou non, l’humain, ça tempore, ça parle, ça raconte. Taillandier explore ces faits anthropologiques fondamentaux que fuient obstinément les modernes et autres winners. Il dévoile ainsi le manque absolu de réalisme et de sérieux des mystiques utilitaristes et pragmatistes qui tiennent depuis plus d’un siècle et pour quelques jours encore le haut du pavé. Pour Taillandier, ces trois mystères en forment un seul, qui est le mystère du Dieu de la révélation. La Grande Intrigue est là pour nous rappeler que ces trois mystères, nous ne les possédons pas : ils nous possèdent.

Les romans vont où ils veulent comptent deux personnages de romanciers catholiques aux culs résolument non-bénis : Sobel, romancier africain ayant échappé au massacre du peuple bantama, en 1993 et Taillandier lui-même. Tous deux partagent, outre le goût de triturer avec amour la langue française de l’intérieur, le dessein de « rouvrir et redéployer le temps – le temps généalogique, le temps historique ». Tous deux tiennent à graver la trace de mondes et de formes de vie disparus pour la confronter au présent, pour qu’elle agisse dans le présent. « L’homme classique de Vernery-sur-Arre tel que nous l’avons évoqué a été happé dans l’anéantissement historique en même temps que le Bantama classique, lequel ne survivra, s’il survit, qu’en devenant le figurant de son propre pays. » Ce monde défunt, sombré dans l’oubli, Taillandier en décrit, sans dévotion ni idéalisation, les grandeurs et les misères.
« Des conquêtes, des guerres, pour donner contentement à l’homme de Vernery-sur-Arre ! Pour que des Maudon, des La Ronzière, des Salambert croient que c’est quelque chose, être français ! De loin, d’ailleurs. De loin. Dans ce monde-là, on croit de loin, on adhère de loin. […] La vraie religion. Les belles-lettres. Notre belle langue. Tout le toutim. Parfait – à bonne distance. […] Pour le chrétien vénéricois, le Christ est très bien – là où il est. »

Taillandier écrit encore que « le temps circule dans le sens qu’il veut, pas dans le sens que nous croyons ». Si ses romans vont où ils veulent, si leur narration ne peut être linéaire, c’est par fidélité à la vérité du temps. Explorant la circulation du temps au sein d’une famille française, Taillandier observe : « Il n’en reste pas moins que tout ce que les êtres emportent dans le silence de la tombe demeure là, dans le présent, comme une latence, une imminence. […] Tout l’inabouti, tout le douloureux, tous les rhumatismes et les entorses de l’âme, les coinçages de vertèbres et les nodosités musculaires, toutes ces pages inconnues, toutes celles arrachées du livre par des mains pieuses ou que guide le remords, tout ça demeure quelque part, entassé, formant pesée sur les destins qui sortent de là… »

Unilog, langue marchandise

Puis il y a le mystère du langage. Les mots en sauront toujours davantage sur nous que nous n’en saurons jamais sur eux. Les romans vont où ils veulent mêle avec violence les mots du présent et ceux de jadis. Dans un chapitre aussi terrifiant qu’hilarant, il nous dévoile tous les secrets d’Unilog, la langue universelle inventée par Fou-Fou, homme d’affaires chinois n°1 des rencontres sur Internet. Unilog, la première langue qui est intégralement une marchandise. Sans avoir versé mon obole à Fou-Fou, je me suis permis d’utiliser Unilog dans mon sous-titre[2. Oui, mais la rédac chef a refusé le sous-titre. Alors, dans sa clémence, elle laisse l’allusion….EL ]. Script process taiãdié (NR)  +++ signifie : « Le roman de Taillandier est très beau. » On retiendra, parmi tant de réjouissantes horreurs, la traduction en Unilog de « Tu enfanteras dans la douleur » : Deal : H kid process et celle de « Eloï, lamma sabactani ? », l’admirable : Genitor ??? turn  ?

Les cent premières pages des Romans vont où ils veulent ont moins de force et de densité que les deux cents suivantes, qui sont d’une grande beauté. Celle-ci culmine dans les toutes dernières pages avec trois secrets bouleversants, montés des profondeurs de l’enfance. Je me permettrai de dévoiler le deuxième, celui qui concerne la vérité du langage : « On bredouillait, je m’en aperçus très vite. Et moi le premier. Moi je pressentais, je crois l’avoir toujours pressenti, que Dieu était en nous par le langage – mais que c’était un Dieu perdu. […] Que nous étions tombés de là aussi, qu’il fallait y remonter avec effort ; que je parlais, que nous parlons dans ce qui reste du langage après la Chute. »

Enfin, vient le troisième mystère de la personne humaine : le parlant-temporant ne peut pas faire autrement que de se raconter, et de raconter aux autres, des histoires. Et le réel, toujours, échappe : il fait son boulot de réel. Le réel est semblable à l’un des ancêtres de la famille Rubien, le vieil Etienne Maudon, qui plongea dans les dernières années de sa vie dans un mutisme buté et définitif. Taillandier prête l’oreille à cette bouche close, et il entend : « De toute façon, quoi que tu fasses, tu seras sûr d’être passé à côté, tu n’auras pas compris, tu ne peux pas savoir, c’est toujours à côté, c’est toujours autre chose, c’est toujours plus compliqué (ou plus simple). […] Laisse les morts enterrer leurs mots. »

Raconter, pour Taillandier, est toujours aussi impossible que nécessaire. La Grande Intrigue répète jusqu’à la fin cette litanie véridique : « C’est à peine commencé. On n’a rien dit. On n’a rien dit du tout. A peu près rien. » « Tout récit, écrit encore Taillandier, est un champ d’affrontement entre le teller, qui veut trouver du sens, et le réel, qui n’en a peut-être pas (mais qui en a peut-être). » Le vrai Dieu de la révélation, par définition, est celui qui, en un certain sens, ne révèle rien. « Quand donc nous donnerez-vous la clef, mon Dieu ? Vous voyez bien qu’on est là à se raconter des histoires, à bricoler, à supposer… Indéfiniment… »

La théorie des contreforts

Et moi non plus, cela va de soi, je n’ai encore rien dit des Romans vont où ils veulent. Absolument rien. Allez y voir vous-mêmes, vous verrez bien que c’est tout autre chose… Je n’ai rien dit de l’étrange Immola, ni du prophète « Charlemagne ». Je n’ai pas dit un mot du très beau chapitre sur le père Jean Noirac, arrivé en 1967 à Vernery-sur-Arre et succédant au vieux curé Bordessoule, ni du singulier et touchant abbé Audelys.
Pas un mot non plus sur Jean et Robert de La Ronzière, les deux ancêtres colonisateurs. « Ces deux hommes, ces deux frères que tout sépare, le caractère, l’activité, le style d’existence, représentent deux universalités qui furent complémentaires ou complices, et sans doute n’auraient pas dû l’être : celle du christianisme, d’une part, et d’autre part celle du capitalisme productiviste et conquérant. » Je n’ai pas écrit un traitre mot, enfin, sur les pages splendides consacrées à l’aqueduc d’Arausio, à la théorie des contreforts de Nicolas Rubien, à l’alliance invincible, enfin, de Taillandier avec son enfance. « Ce petit garçon veille comme une sentinelle sur mes sommeils, sur mes réveils. Et moi je veille aussi sur lui. Je n’en dirais pas autant de celui que j’étais à vingt ans, par exemple, ou à trente. Non. C’est en deçà, et au-delà. C’est avant quinze ans, c’est après quarante : là, on se tend la main. Ayez quinze ans, ayez quarante ans. C’est là qu’on est ! »

Je n’ai absolument rien dit, enfin, d’une phrase que j’ai écrite sur un post-it daté, conformément à une vieille tradition, il y a plusieurs années, retranscription fidèle d’une parole prononcée un soir d’ivresse par le poète Basile de Koch, mon très cher ami : « C’est quand même dommage d’être l’animal le plus fragile de la création et de ne pas en profiter ! ». L’art de Taillandier, précisément, est une invitation à profiter de la grâce d’être fêlés.

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Jules Verne, ou l’épopée modeste

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Jules Verne
Jules Verne.
Jules Verne
Jules Verne.

Depuis que Michel Serres et Michel Butor se sont intéressés à lui, on sait que Jules Verne, c’est beaucoup plus que Jules Verne. L’époque où notre cher Lagarde et Michard ne le mentionnait même pas semble révolue. L’auteur pour enfants est devenu une manière de sorcier qui a jonglé sans trop le savoir lui-même avec tous les archétypes de l’inconscient collectif. Il se croyait un bon papy, positiviste républicain, épris de progrès scientifique émancipateur et le voilà plus proche du visionnaire rimbaldien qui donne à l’enfance ce pouvoir magique de transformer le monde simplement en le décrivant d’un regard neuf.

Désormais, quand Jules Verne est réédité, comme c’est le cas pour cette Île mystérieuse en Folio, c’est dans la collection classique et le texte est accompagné d’une préface et d’un appareil critique, comme pour ses illustres contemporains. Ici, l’appareil critique en question est volumineux mais passionnant. On le doit à Jacques Noiray, qui nous gratifie même d’un lexique des termes de marine qui est, à lui seul, une invitation au voyage.

[access capability= »lire_inedits »]Bien plus qu’une robinsonnade

L’Île mystérieuse a longtemps été considérée comme une simple robinsonnade. La robinsonnade était, dans la littérature pour la jeunesse du XIXe siècle, un genre littéraire en soi. Jules Verne en a lui-même écrit plusieurs, comme Deux ans de vacances. La robinsonnade, c’est le bonheur d’être seul au monde, de le refaire aux couleurs qui nous plaisent. C’est l’utopie à la portée des tout-petits. On aura beau faire, l’homme ne se contentera jamais du monde tel qu’il ne va pas. Et tant pis s’il faut pour cela que tout commence par une révolution ou, en l’occurrence, un naufrage qui n’est jamais qu’une révolution en miniature.

Mais L’Île mystérieuse dépasse assez vite ce cadre. Le naufrage y est, pour commencer, un naufrage aérien. Pour un peu, on se croirait dans la série Lost, dont le succès mondial montre que rien ne change jamais dans notre désir de catastrophe comme moyen de mieux renaître. C’est exactement le cas des naufragés de L’Île mystérieuse qui cherchaient à fuir la ville de Richmond, assiégée pendant la guerre de Sécession. Si toutes les figures obligées de la robinsonnade sont encore là, comme la lutte contre une nature sauvage, le roman se double d’une interrogation des plus ambiguës sur ce qui fonde la notion d’humanité. Un bagnard solitaire sur une île voisine – « Malheur à l’homme seul ! » – apparaît beaucoup moins humain qu’un orang-outang, Jup, qui devient un personnage à part entière. Quant au capitaine Nemo, dont on découvre qu’il est celui qui a protégé de manière occulte les naufragés, il n’est plus le surhomme de Vingt mille lieues sous les mers mais un guerrier fatigué, agonisant même, sur le point de perdre la foi en ses combats.

On voit pourquoi relire L’Île Mystérieuse, aujourd’hui, peut se révéler des plus salubres. D’abord, il est toujours agréable de renouer avec ses émotions d’enfance, avec un certain goût pour le grand air dans ce monde climatisé et rapetissé. Mais surtout, dans ce roman, Jules Verne nous invite à relativiser nos fantasmes prométhéens de post-humanité. Et, comme les personnages de L’Île mystérieuse, à conserver jusque dans l’épopée le sens de la modestie.[/access]