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Proche-Orient : après le gel, le dégel


Proche-Orient : après le gel, le dégel

Les négociations entre Israéliens et Palestiniens, entamées il y a quelques jours à peine, vont-elles avorter à cause de la reprise de la construction dans les colonies ? C’est ce que semble penser la presse mondiale qui s’indigne de ce nouveau coup dur. Pourtant, les bulldozers convoqués pour fournir aux médias et aux colons des images de « fin de gel » cachent une réalité beaucoup plus nuancée. Les réactions très modérées de Mahmoud Abbas, le président palestinien, et les autres porte-paroles officiels et officieux de l’Autorité palestinienne auraient dû nous mettre la puce à l’oreille : cette crise sonne faux. Tout semble indiquer qu’Israéliens et Palestiniens n’ont pas – encore ? – décidé de torpiller les pourparlers lancés au début du mois à Washington. En fait, malgré les images passées en boucle sur nos écrans, « la fin du moratoire sur la construction en Cisjordanie » ne signifie pas une reprise de la colonisation. C’est entre ces deux notions Netanyahou et Abbas cherchent un compromis qui leur permettra de poursuivre les discussions.

La question du développement et de l’élargissement des implantations existantes – un accord tacite entre les deux partis impose depuis longtemps un moratoire sur la construction des nouvelles colonies – était depuis la victoire de la droite israélienne aux législatives de 2009 le principal obstacle à la reprise du dialogue public entre Ramallah et Jérusalem. Face à un gouvernement qui a Benyamin Netanyahou pour Premier ministre et Avigdor Lieberman comme ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Abbas est pourtant parvenu sans trop de difficultés à imposer le « gel de la colonisation » comme condition préalable à la reprise des négociations officielles. Profitant au maximum du manque de crédibilité dont souffrent les dirigeants israéliens auprès des chancelleries et opinions publiques, la tactique palestinienne, intelligente et efficace, a donc parfaitement fonctionné.

Les règles du jeu ont changé

Même parmi les colons qui ont fêté hier la fin du moratoire, les plus lucides comprennent que le gouvernement actuel – le meilleur possible pour eux – ne pourra pas revenir en arrière. Comme par hasard, certains dirigeants du Likoud, le parti de Netanyahou, multiplient les appels à élargir la coalition en intégrant des centristes de Kadima. Le message, adressé plutôt aux colons qu’à Tzipi Livni, chef de Kadima, est clair : contrairement à vous, Netanyahou a une alternative. Les colons sont donc sommés de se rendre à l’évidence : pour la droite au pouvoir, ces dix mois de gel des constructions ont créé de nouvelles règles du jeu. Parlant lundi soir dans un meeting organisé pour marquer la fin du moratoire (et donc, pour lui et les autres participants, une relance de la construction), Israël Katz, ministre des Transports et l’un des leaders de l’aile droite du Likoud, le parti de Netanyahou, a utilisé des formules nouvelles. Il a parlé de « bloc d’implantations » et du devoir du gouvernement de « conserver les colonies et leurs habitants ». Une oreille non israélienne n’entend pas forcément, derrière les mots, la petite musique, mais pour les connaisseurs de la droite israélienne, clé politique incontournable de tout accord, il s’agit d’un changement de taille. Il ne s’agit plus de « Judée et Samarie » mais des implantations et de leurs habitants. Autrement dit, tout ce qui est au-delà des limites municipales est négociable.

Le ministre des Transports n’a d’ailleurs fait que reprendre à son compte des formules utilisées depuis un petit moment par son Premier ministre. « Bibi » souhaite se mettre d’accord avec le président palestinien sur une liste des colonies qui resteraient – contre des compensations territoriales – israéliennes. Celles-ci sont regroupées dans des « blocs » occupant une surface relativement restreinte, où vit une large majorité de la population israélienne de la Cisjordanie. L’idée est donc d’annexer, dans le cadre d’un arrangement définitif sur les frontières, un minimum de surface abritant maximum d’habitants.

Un tel accord – très probablement tacite – aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d’abord à Netanyahou de réaliser l’exploit dont rêve tout homme politique : contenter deux camps diamétralement opposés. Dans ce cas la « quadrature du cercle » consiste à construire dans les colonies « blanchies » pour faire plaisir à la droite tout en gelant la construction dans les implantations « hors liste » pour contenter Washington et permettre à Ramallah de rester dans le jeu.

Autre avantage – et non des moindres – d’une telle solution : le nombre des colonies à l’avenir assuré ne manquera pas – tôt ou tard – de diviser les colons eux-mêmes. De toute évidence, cette liste comprendra les villes et bourgades proches de la frontière d’avant la guerre des Six jours (la ligne verte) dont les habitants sont plus modérés et plus attachés aux valeurs démocratiques. Ce processus pourrait donc isoler les franges les plus extrémistes d’un côté et gagner à la cause des deux Etats des citoyens qui se sentent déjà mal à l’aise dans le camp où leur adresse les a assignés presque d’office.

Quelle que soit la réponse palestinienne attendue le 4 octobre après la réunion au Caire de la Ligue arabe, le gouvernement Netanyahou décrit il y deux ans à peine comme « le plus à droite de l’histoire israélienne », continue son glissement idéologique. Comme l’avait constaté Ariel Sharon au début de la décennie, la réalité, insensible aux discours électoraux, finit par imposer sa logique.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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