Dans le Monde daté du jeudi 7 octobre, j’ai découvert en page 7 une élégante publicité faisant la promotion des croisières proposées par la « Compagnie du Ponant ». Jusque là rien de très spécial. Expéditions « cinq étoiles, grand confort », voyages à bord du Boréal un yacht « à nul autre pareil », une expérience « unique », doublée d’une « subtile alliance de raffinement et d’intimité ». Bref, une jolie page de pub plan-plan, innervée de la moins inventive des proses mercatiques.
Mais en y regardant d’un peu plus près, on apprend que cette compagnie – assurant une prestation très haut-de-gamme de « yachting de croisière » – propose un exceptionnel séjour de prestige fin novembre, en Antarctique, avec pour « invité d’honneur » un certain… Michel Rocard.
L’ancien premier ministre de François Mitterrand semble vivre une retraite hyperactive. Ce bouillonnant octogénaire qui a obtenu de Nicolas Sarkozy le poste d’« ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique » est de tous les engagements. Sa nouvelle mission officielle l’obligeant certainement à ce sacrifice douloureux qu’est la participation à des croisières de super-riches facturées aux vacanciers entre 4000 et 10.000 euros les quinze jours, suivant le type de cabine. Assurément le juste prix pour entendre l’ancien Premier-Ministre socialiste prodiguer « ses idées et ses projets d’actions en faveur d’une meilleure gouvernance de l’océan Arctique », et – à n’en pas douter – partager avec lui, à l’occasion, un cocktail sans alcool au bar de l’entrepont, avec Gopher, le Doc et le capitaine. L’ambassadeur et le conférencier de luxe sont dans un bateau, l’ambassadeur tombe à l’eau, qu’est-ce qu’il reste ?
Ah, la croisière va bien s’amuser !
Si j’en crois Cyril Bennasar, avec lequel je reste en profond désaccord, notre liberté tiendrait essentiellement à notre latitude à foutre le feu à un exemplaire du Coran, puis à lui pisser dessus. Soit ! Cela doit être là l’un des aspects de la liberté chez les modernes qu’une lecture par trop inattentive de Benjamin Constant m’avait fait perdre de vue.
Poursuivons donc jusqu’au bout la logique bennasarienne : si jamais nous ne foutions pas le feu à un exemplaire du Coran et si nous ne pissions pas dessus chaque jour, alors notre liberté de penser en serait gravement diminuée et restreinte. Et celui qui ne se livrerait pas à ça serait, évidemment, l’agent masqué de cet islamisme qui rampe et étouffe de son étreinte serrée les valeurs de la République. Je n’ai pas tout saisi de cette grande logique dans laquelle semble tenir à elle seule notre liberté, mais, à tout prendre, ce n’est pas pisser qu’il serait requis de faire mais chier. L’urine a un côté un peu trop oriental, donc nécessairement islamiste, puisqu’elle nous ramène aux acousmataï pythagoriciennes et à la dialectique apollinienne (« Tu n’urineras pas face au soleil »), alors que la défécation est bien davantage le propre de l’Occident. Voyez la correspondance de Mozart, mais également cette ligne brune qui unit dans le nihilisme du trou de balle et Diderot et Bataille.
Donc, brûler des livres, c’est ce qui garantit notre liberté. Pourvu que Delanoë ne se prenne pas à nous organiser des Nuits de Cristal en lieu et place des Nuits Blanches, parce que j’ai la nette impression que nous deviendrions très vite très libres.
Non, la liberté que nous avons acquise n’est pas celle du briquet, de l’urètre ou de l’anus. C’est dans la tête que ça se passe, cher Monsieur. Notre liberté, c’est celle de l’esprit. S’avilir à aller en dessous, c’est se résoudre à n’avoir ni tête ni esprit.
Je ne suis pas, par exemple, d’accord avec Onfray. Mais alors pas du tout. Il a commis le crime impardonnable de n’avoir rien compris à Sade et n’a pas saisi que le marquis érigeait une métaphysique catholique et antichrétienne, comme Maurice Liver puis Philippe Sollers l’ont montré. Or, si l’on peut me trouver un jour en possession de livres d’Onfray, jamais on me trouvera en train d’en brûler un seul. Ni d’uriner dessus.
Nous ne sommes pas des porcs !
Pour une seule chose : nous ne sommes pas des porcs ! Nous ne pissons pas en public. Nous ne sommes pas des porcs : nous ne mettons pas le feu aux livres.
Nous ne mettons pas le feu aux livres et, comme nous sommes êtres doués de raison, nous ne confondons pas islam et islamisme. Comme nous plaçons au-dessus de tout notre raison, nous ne croyons pas que Ben Laden est dans chaque ascenseur.
Oui, il se trouve bien que, dans certaines contrées du monde, certains foutent le feu aux livres qui leur déplaisent. Les Talibans en ont incendié par milliers. Maariv a même vu un adjoint au maire de Or Yehuda organiser, en mai 2008, un autodafé d’exemplaires du Nouveau Testament. Devraient-ils être pour nous des exemples ? Evidemment que non quand on n’a pas oublié – mais faut-il un jour les avoir connus – les vers de Heinrich Heine dans Almansor : « Quand on commence à brûler des livres, on finit par brûler des hommes. »
Mais bon, feu de cela. Ce qui retient l’attention de Cyril Bennasar, ce sont deux choses : le responsable de la mosquée de Strasbourg a porté plainte pour racisme et le maire de Strasbourg a lancé une pétition appelant à la vigilance antiraciste.
Sur la deuxième récrimination de l’ami Cyril, une petite rectification s’impose : cette pétition est antérieure à l’affaire du Coran brûlé. Au passage, ce dernier acte a eu lieu à Bischheim, non pas à Strasbourg (vu de Paris, je sais, c’est la même chose, nous parlons tous boche ici). Cette pétition suivait une dizaine d’actes de vandalisme perpétrés contre des Strasbourgeois et des notables. Mon ami Faruk Gunaltaï, le directeur de l’Odyssée, a réchappé à un incendie criminel qui visait son habitation. Le professeur Israël Nizand a vu sa maison taguée de graffitis antisémites. Mais, pas de souci, hein, le racisme et l’antisémitisme sont des fadaises, des billevesées, des instruments de propagande aux mains des islamistes, non ? Mon ami Faruk et sa famille ne pensent pas la même chose que Cyril Bennasar. C’est certainement le problème de Faruk : être un turc athée, bouffeur d’imams, de curés et de tout ce que vous voudrez n’ouvre pas le droit au blasphème, surtout chez les gens qui ne kiffent pas ces Turcs qui y vont un peu trop fort dans l’assimilation au point d’avoir les humeurs du petit père Combes.
Quant à la plainte du responsable de la mosquée de Strasbourg, je n’y trouve personnellement rien à redire. Elle s’inscrit dans la doxa la plus française qui soit. Quand on est un bon français, on va devant le tribunal dès lors qu’un problème se pose. Et si possible on y va pour antiracisme. Je concède une chose : Abdelaziz Choukri, délégué général de la mosquée de Strasbourg, ne doit pas être un si bon Français que ça, c’est-à-dire un être animé par un antiracisme viscéral et ce que Philippe Muray appelait le « désir de pénal ». Car le gars qui a fait la vidéo, Choukri l’a appelé. Et le gars, dont Cyril Bennasar nous dit qu’il est le parangon de la liberté de penser, n’a pas voulu lui parler. Depuis quand, en France, parlerait-on à un Arabe ? Non mais !
Je suis d’accord avec François Miclo, il faut critiquer, déconstruire et non pas détruire mais l’incendiaire alsacien n’a pas détruit le Coran en brûlant un exemplaire et quelles qu’aient été ses intentions, son acte a révélé le caractère incritiquable, indéconstructible et intouchable de ce texte. Quand elle pointe une liberté d’expression garantie par la loi mais entravée dans le réel, la provocation est un acte critique. Les réactions que cet outrage a suscitées donnent matière à critique. Critiquons, donc !
Les responsables de la mosquée de Strasbourg parlent « d’actes ignobles et honteux » contre un livre saint et, rappelons-le, portent plainte pour « incitation à la haine raciale ». Ne peuvent-ils distinguer l’offense faite à leurs croyances d’une incitation à la haine pour leur « race » ? Peut être qu’en islam, cette distinction n’a pas de sens et que la liberté de blasphémer, comme toutes les limites posées par la loi au débordement des pratiques religieuses dans l’espace public, sont vécues comme des brimades islamophobes mais si les guides spirituels musulmans n’expliquent pas la laïcité ou le droit français au blasphème à leurs ouailles, qui le fera ?
Dans cette affaire, ils dénoncent « une provocation qui sera lourde de conséquences » et assurent par ailleurs qu’ils appellent au calme. J’espère qu’ils seront entendus et que le calme sera la seule conséquence.
Le CFCM voit dans la vidéo une atteinte inacceptable et dangereuse aux valeurs de la République. Quel dommage qu’une aussi éloquente indignation ne pousse ses responsables à aller convaincre certains jeunes en banlieue qui se réclament de l’islam que brûler une femme, ce n’est pas bien non plus.
Le processus judiciaire commence par un interrogatoire du prévenu par la police pour un délit qui, je me répète, relève du blasphème et non de l’incitation à la haine raciale et se poursuivra au Tribunal correctionnel. Parti comme ça, je me demande si les juges vont rendre la justice au nom du peuple français ou de l’inquisition musulmane. Pas de chance pour l’accusé, en correctionnelle, il n’y a pas de jury populaire mais seulement des magistrats syndiqués.
Le maire de Strasbourg qui en appelle à « un front républicain de refus de l’inacceptable », assorti d’une pétition tout aussi républicaine pour réagir à la crémation coranique qui fait déborder le vase des actes racistes. La leçon républicaine du jour aurait pu s’intituler : « Apprenons aux musulmans le droit au blasphème », mais le maire a préféré revenir à l’antifascisme, l’antiracisme et au combat qui continue contre l’extrême droite. C’est moins subtil et moins délicat mais ça rassemble à gauche.
De Libération au Figaro, les médias évoquent « le livre saint » et l’acte « haineux et raciste ». Là aussi, la confusion règne et quand la religion offensée est celle des plus pauvres et des plus stigmatisés, le discernement s’éclipse, on criminalise le blasphème, la censure est permise et la sanction bienvenue. Pour défendre le nouvel ordre moral, il n’est plus interdit d’interdire.
Ce n’est pas bien de brûler un livre mais ce petit incendie nous éclaire davantage sur notre société que les travaux d’un sociologue sur l’islamisation des esprits ou qu’une longue exégèse du Coran. Je partage la réprobation morale générale, mais la question n’est pas de savoir s’il est bien ou pas de brûler un livre mais s’il est encore permis de le faire. Je n’aime pas ça, mais je me battrai pour qu’on puisse le faire. C’est aussi ça, les Lumières.
On ne brûle pas le Coran. On ne brûle pas la Bible. On ne brûle pas la Torah, ni le Livre de Mormon. On ne fout pas le feu aux Paradis perdus de Milton, ni aux Cent vingt journées de Sodome. On n’approche pas une allumette d’un exemplaire de Par-delà le bien et le mal ni de Rigodon. On ne brandit pas son Zippo contre le Journal d’un homme trompé ni contre Babylone nous y étions, nus parmi les bananiers ni contre Farenheit 451, pourtant à température idéale. On ne se réchauffe les mains devant aucun exemplaire d’Autodafé, ce merveilleux roman d’Elias Canetti. Et la main épargne des flammes tous les livres. On ne jette rien au bûcher, même les vanités.
Pourquoi ? Parce que, précisément, les Lumières ne se nourrissent pas du feu des livres, mais de la critique. Pour parler en derridien approximatif, elles ont substitué la déconstruction à la destruction. C’est ce qui fonde tout ce que nous sommes : nous ne considérons plus celui avec lequel nous sommes en désaccord comme un ennemi qu’il faut tuer, mais comme un adversaire qu’il faut convaincre. Nous ne considérons plus les livres que nous trouvons infâmes comme des objets tout justes destinés au feu, mais comme des textes que notre raison peut analyser et juger.
Brûler un livre, c’est renoncer à sa faculté de juger
Lorsque le marquis de Sade livre ses attaques les plus virulentes contre la Bible et pense l’athéisme dans sa radicalité métaphysique, il le fait avec des arguments rationnels. Il ne brûle aucun livre. Il critique, destitue les textes de leur sacralité, moque, tourne au ridicule. Mais, comme il l’écrit dans la Philosophie dans le boudoir : « Dès l’instant où il n’y a plus de Dieu, à quoi sert d’insulter son nom ? » Sade trouvera bien une utilité au blasphème : c’est le fond de l’érotique blasphématoire qui irradie tous ses livres comme un feu sacré.
Les Lumières ont érigé la raison en instance toute-puissante, qui peut s’exercer sur quelque texte que ce soit. C’est ce qui fonde ce qu’on appelle, en philosophie, la modernité. Dès lors, lorsque l’on se trouve à brûler un livre au lieu d’en critiquer le contenu, alors l’on renonce à sa faculté de juger. Et ce renoncement-là est la pire abdication qui soit.
Le zozo qui a brûlé un exemplaire du Coran il y a quelques jours en Alsace pour faire le con glorieux sur Internet n’a rien d’un héritier de la civilisation des Lumières, il se comporte comme le premier taliban venu. Sa petite vidéo est une fatwa qu’il lance contre la raison, contre les Lumières, bref contre ce que nous sommes. Et les lanceurs de fatwa, qu’ils soient barbus ou alsaciens, on ne peut les tenir qu’en piètre estime.
Des remparts de Carcassonne à l’élégante grisaille lilloise, la scène est immuablement la même : Monsieur est déjà au volant, trépigne, regarde l’heure et ronge son frein, tandis que Madame termine de ranger la cuisine, cherche ses clés pour les fourrer dans son sac, les trouve mais ne retrouve plus son sac et Monsieur est aux bords de l’apoplexie. Enfin, Madame s’assied gracieusement à la place du mort sous les moqueries de Monsieur dont on peut se demander pourquoi il n’a pas levé ses fesses pour venir en aide à Madame. Le volant n’allait pas s’envoler, on n’est pas au badminton !
On pourrait en rester là, mais voilà que Monsieur s’égare ce qui, bien entendu, est la faute de Madame, infoutue de lire une carte routière ! Elle a oublié de passer son brevet d’éclaireur avant de se présenter devant Monsieur le Maire, l’innocente.
– Mais je t’avais dit qu’il fallait tourner là!
– Là, en voiture, ça ne veut rien dire!
– Mais si, je t’avais dit après la grosse ferme blanche!
– Je conduis, moi, j’ai pas le temps de regarder le paysage!
Comme on ne se parle plus, Monsieur branche la radio, préférant encore les pub débiles et les chansons à la con à l’odieux silence pincé de Madame. Silence qui s’alourdit encore, car Madame voulait justement écouter le dernier Bénabar pour se calmer. L’explosion n’est plus loin, elle se produira quand Monsieur, qui a oublié toute cette histoire en écoutant les infos, ouvre inconsciemment la fenêtre, alors que Madame, frissonnante, allait brancher le chauffage.
22 minutes après le départ, très précisément, Monsieur et Madame parlent divorce. C’est en tout cas ce qu’il ressort d’une enquête fouillée menée par le constructeur automobile Seat. 22 minutes, pile poil.
Cela frôle la caricature, direz-vous ? Il n’empêche, toujours d’après cette enquête, un conducteur sur cinq refuse de reprendre le volant tant que son partenaire reste à ses côtés dans la voiture. (Mesdames, n’oubliez jamais de d’embarquer un vélo pliant dans le coffre). Mieux encore, 22% des personnes interrogées refusent dorénavant de conduire au côté de leur moitié.
Tant mieux, ils devront acheter 2 bagnoles plutôt qu’une. Ce qui devrait faire les affaires de Seat.
La vidéo d’un internaute alsacien qui brûle un exemplaire du Coran – et, les plaisanteries les plus courtes étant les meilleures, pisse sur les flammes pour éteindre le feu – a provoqué le tollé auquel on pouvait s’attendre dans la communauté musulmane. Le délégué général de la mosquée de Strasbourg, Abdelaziz Choukri, qui a alerté les autorités, s’est entretenu avec l’auteur du blasphème, avant de porter plainte pour incitation à la haine raciale. Le Parquet a déjà annoncé que le jeune provocateur serait poursuivi.
Dans l’ambiance qui règne ces temps-ci en Alsace, où les vandalismes à caractère raciste ou antisémite augmentent, on a vite fait de mettre dans le même sac délits racistes et sacrilège. Or, s’en prendre à des personnes ou des groupes en raison de leur origine ethnique, de leurs croyances ou de leurs mœurs et critiquer ou ridiculiser des croyances ou des idées, ce n’est pas la même chose.
Agresser des juifs, des musulmans, des chrétiens, ou profaner leurs tombes, c’est peut être du racisme mais se moquer du caractère sacré du Coran, de la Torah ou des Evangiles, sûrement pas.
Qu’à cela ne tienne, l’islam outragé invoque le racisme. Une offense faite à la « race musulmane » sans doute ? Dans un monde où rappelons-le, les races n’existent pas.
Mais cet amas de contradictions n’empêchera ni les politiques ni, semble-t-il, les médias, de brandir le fatal anathème.
Délit de blasphème ?
La République est dans son rôle quand elle protège les citoyens contre les violences discriminatoires mais le caractère saint ou non d’un texte, ce n’est pas son affaire. L’autodafé de ce jeune homme qui n’a jamais brûlé personne ne relève pas de la haine ou du racisme mais du blasphème. Or si toute la société française condamne et punit les expressions ou les actes racistes, le délit de blasphème n’existe plus depuis les Lumières et les religieux ont fini par se faire une raison, prenant de la distance avec les blasphémateurs ou se cassant le nez sur la justice qui jusqu’à présent défend ce droit au nom de la liberté d’expression.
L’islam qui, sur ses terres historiques, punit de mort ceux qui prennent des libertés avec le Coran ou le Prophète s’accommode mal de ce droit au blasphème reconnu en Occident. En Europe, le délit d’outrage aux religions est tombé en désuétude, il existe en Irlande mais pas en Angleterre, se maintient là où les corbeaux font les lois avec les voix des grenouilles de bénitier. La législation du Concordat en Alsace et Moselle prévoit toujours trois ans de prison pour les bouffeurs de curés bouffeurs de choucroute mais il y a longtemps que personne n’a tâté du cachot. Ça pourrait changer si l’on écoute les doléances d’un culte venu du sud comme les cigognes mais qui lui, ne repartira pas.
En France, où les héritiers de Voltaire préfèrent la liberté d’expression qui s’use si l’on ne s’en sert pas à la paix des culs-bénits, le blasphème n’est pas puni par la loi. À l’ONU, les pays musulmans tentent de faire adopter un délit de blasphème à un monde laïc qui s’y oppose. Dans notre affaire, le dialogue de sourds qui s’est tenu entre le profanateur qui déclare « on est en France et on peut brûler un livre de Winnie l’Ourson, comme le Coran » et l’autorité musulmane qui répond « si on ne réagit pas, on autorise les gens à brûler un livre saint », témoigne de ce décalage des approches et des civilisations.
La liberté de croire est garantie par notre droit mais la liberté de se moquer aussi. Si la loi reconnaissait la sainteté d’une croyance ou d’une idéologie, elle rendrait celle-ci intouchable et réprimerait bientôt non seulement les provocations insultantes mais aussi toute caricature et toute critique, empêchant toute remise en question et toute adaptation à la modernité.
Aucun homme de foi n’aime voir son crédo ridiculisé ou les objets saints de son culte être traités comme de l’ordinaire profane. Mais c’est le prix à payer pour vivre dans le monde libre de la raison et du progrès. La liberté de penser et de s’exprimer par le rire ou la provocation ne peut s’arrêter aux sujets décrétés tabous par les croyants. C’est en acceptant, même en faisant la grimace, la critique de soi jusqu’à la raillerie, qu’on évolue et si la France peut aider l’islam à devenir un islam de France, c’est en l’obligeant à souffrir cette critique, incontournable condition de cette révolution-évolution qu’attend l’immense majorité des Français, à commencer par les musulmans.
L’histoire est connue. En 1952, Bernard Frank écrit, dans Les Temps modernes, un papier intitulé « Grognards et hussards ». Il s’en prend à une poignée de gandins – Antoine Blondin, Roger Nimier, Jacques Laurent et Michel Déon – qui, dans des romans comme Le Hussard bleu, L’Europe buissonnière ou Les Corps tranquilles, se moquent des diktats politiques de l’après-guerre et préfèrent séduire plutôt que convaincre. S’ils admirent Chardonne et Morand, ce sont donc des fascistes. Au début des années 1950, c’est une sacrée carte de visite : « Comme tous les fascistes, les hussards détestent la discussion. Ils se délectent de la phrase courte dont ils se croient les inventeurs. Ils la manient comme s’il s’agissait d’un couperet. À chaque phrase, il y a mort d’homme. Ce n’est pas grave. C’est une mort pour rire. »
Aujourd’hui, n’importe quel plumitif intenterait, pour une telle assertion, une action en justice. A l’époque, rien. Au contraire, tous ont salué le talent de Bernard Frank, refusant seulement de se voir encager dans un groupe. Jacques Laurent précisa qu’il préférait les fantassins aux « hussards » et Martine Carol, adorable Caroline chérie, à tout le reste. Pendant la guerre d’Algérie, les « hussards » aggravèrent leur cas, avec quelques autres dont le maquisard et flibustier Jacques Perret, en attaquant, plume à l’assaut, de Gaulle rebaptisé « La grande Zorah ». La cause était perdue ; la défaite fut pleine de panache, c’est-à-dire riche en textes de grand style. Mauriac sous de Gaulle de Laurent et Le Vilain temps de Perret restent des chefs-d’œuvre de pamphlets, tous deux condamnés pour une exquise infamie : offense au chef de l’Etat.
Destinés à cramer la vie le souffle au cœur puis à se retirer pour un très long moment dans une maison de famille, un bar de palace ou en bord de mer, les « hussards » n’existent pas. Ils ne s’appréciaient pas forcément les uns les autres, ne se fréquentaient, à l’occasion, que dans les colonnes des mêmes revues – La Table ronde, Arts, La Parisienne notamment. En somme, ils n’ont été que la géniale invention d’un Bernard Frank qui se cherchait une place au soleil. Ce qui est facile à comprendre quand on le lit : « Ils aiment les femmes (Stendhal, Elle), les autos (Buffon, Auto-Journal), la vitesse (Morand), les salons (Stendhal, Proust), les alcools (un peu tout le monde), la plaisanterie (leur mauvais goût). »
La définition est plaisante. Sartre est renvoyé dans les cordes. Sagan se faufile avec son Bonjour tristesse. Roger Vailland – communiste, libertin, alcoolique et drogué au regard froid – n’est pas loin non plus.
Au milieu des années 1980, Jérôme Garcin crut reconnaître des « néo-hussards » : Patrick Besson, Eric Neuhoff, Denis Tillinac et Didier Van Cauwelaert. Pourquoi pas, même si Tillinac était enterré en Corrèze et Van Cauwelaert inconnu au bataillon des mots. Besson et Neuhoff, par contre, furent d’une belle aventure qui ne s’est pas privée de saluer Frank, Nimier, Blondin et Laurent : la revue Rive droite.
« Vendanges tardives », un livre hors saison qui rend plus léger l’automne naissant
C’était en 1990. Ça a duré quatre numéros avec, pour éditeur, Thierry Ardisson – alors romancier inspiré et pas encore animateur pubard en bout de course. Au sommaire : Frébourg, Saint-Vincent, Parisis, Leroy, le trop oublié Jean-Michel Gravier ou encore Frédéric Fajardie. Mais aussi Jean-François Coulomb, homme de télé, de presse écrite, de ce qui lui plaît. Coulomb offrit à Rive droite une histoire d’amour triste sur fond de bataille napoléonienne : Paris-Austerlitz. Vingt ans après, cette nouvelle clôt Vendanges tardives, petit livre hors saison qui rend plus léger l’automne naissant. En exergue de ce recueil de quatorze textes ciselés en puncheur orfèvre de la langue française, deux clins d’œil, à Bernard Frank – « L‘insolence consiste à écrire peu » – et à Patrick Besson : « Aucun problème ne résiste à la vodka pamplemousse ».
Qu’il situe son récit à Paris, en Egypte ou dans un cimetière, Coulomb pose son ambiance comme il sifflerait une coupe de champagne, poursuit son intrigue tantôt en douceur tantôt pied au plancher et soigne ses chutes, toutes des banderilles de grâce cruelle. Il arrive que ses héros reviennent d’une guerre en Irak. Ou qu’ils boivent des daiquiris à la santé d’Hemingway, au Floridita de La Havane. Ou qu’ils ressemblent à Romain Gary juste avant l’ultime bye-bye, regardant une jeune demoiselle lire un de ses livres. Ils cachent leurs blessures derrière des lunettes noires et sous un costume en lin froissé. N’attendant rien, ils n’espèrent pas davantage. Ils ne croient plus en l’amour, ce chien de l’enfer. Puis ils y croient encore un peu, forcément. La faute à des héroïnes inoubliables. Chez Coulomb, elles s’appellent Aglaé et Alix de Chanturejolles, jumelles coquines ; Zelda ; Constance ; Carla ; ou Olympe de Vinezac.
L’apparition d’Olympe, aux premières lignes de Vendanges tardives, c’est Ursula Andress sortant des flots dans James Bond 007 contre Dr No : « Olympe est nue. Elle sait que je la regarde. Allongée sur le ventre, sa main effleure l’eau de la piscine. L’air sent la lavande. Sous le soleil, les oliviers ont des reflets d’argent. C’est l’heure de la sieste. La chaleur fige tout. Seules les cigales s’agitent. Délicieusement dorée, Olympe de Vinezac a un corps parfait. Digne du ciseau de Canova. D’un geste lent, elle essuie quelques gouttes de sueur qui perlent sur sa nuque. Entoure sa tête de ses bras. Ecarte légèrement les jambes, comme pour mieux se caler sur le matelas. Elle s’offre, pour ne pas avoir à s’abandonner ».
Jean-François Coulomb se lit et se relit comme une ivresse à prolonger, comme un auteur précieux à ranger, dans sa bibliothèque, près de quelques autres qui, eux aussi, savent que la passion des femmes, des paysages, de la vitesse, de la lenteur, de l’alcool et des plaisanteries mélancoliques, c’est l’ultime art de survivre en milieu hostile.
Sarah Palin prononce un discours lors d’un meeting du Tea Party à Turlock (Californie), le 10 juin 2010. Photographie : Russel Reno.
Les élections dites de midterm (mi-mandat) aux Etats-Unis sont rarement favorables au président en place, car elles interviennent dans une période où les électeurs s’aperçoivent que le dieu (ou le diable) qui a été porté à la Maison Blanche deux ans plus tôt est un mortel faillible comme vous et moi. Rappelons-nous Bill Clinton : élu triomphalement en 1992, il prend une claque sévère aux midterm de 1994… et se fait réélire dans un fauteuil en 1996.
On n’accordera donc qu’une valeur descriptive, et non pas prédictive, à ce relevé d’impressions recueillies sur place six semaines avant le vote du 2 novembre.
Ayant soigneusement évité d’arpenter les couloirs du Congrès à Washington, de frapper aux portes des salles de rédaction du New York Times ou de CNN, de solliciter les experts habituels de l’analyse fine et subtile de la vie politique américaine à l’usage de ces ignares de Français, je suis allé, comme on dit « sur le terrain ». Non pour illustrer l’adage des prétendus grands reporters albertlondrisés clamant, la main sur le cœur, que « seul le terrain ne ment pas », mais parce que j’aime l’Amérique des petites villes, des grands espaces, des bistrots au milieu de nulle part.
[access capability= »lire_inedits »]Cette fois-ci, j’ai sillonné le Far West, comme on disait quand j’étais enfant et qu’Yves Montand nous bourrait le mou en chantant « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit… ». En fait de plaines, ce sont essentiellement des montagnes dont la hauteur et la beauté rivalisent sans peine avec celles du lieu de ma résidence habituelle.
La magie Obama ne fera pas de miracle le 2 novembre
Comme tous les Américains, les habitants de ces régions reculées sont appelés aux urnes, et cela se voit au bord des routes avec une floraison de panneaux invitant les passants à apporter leurs suffrages à Jim Machin, Willy Dugenou ou Alicia McMiche qui rêvent de devenir député, sénateur, ou plus modestement shériff ou procureur du comté. Dès qu’on ouvre la télé, on est abreuvé de spots vantant les mérites de ces candidats ou dénonçant les turpitudes de leurs adversaires, car la publicité négative (la plus marrante pour les observateurs extérieurs) est une des spécialités de la culture démocratique des Etats-Unis. Une voix lugubre commente des images en noir et blanc montrant le concurrent dans des poses désavantageuses et fait la liste de ses turpitudes : promesses non tenues, fraude fiscale, vie privée agitée… rien ne lui sera épargné. Et il suffit de zapper pour voir que le candidat étrillé ne se prive pas de rendre la politesse à son adversaire.
À l’issue de deux semaines de tribulations dans le Colorado, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, et l’Utah avec le nez en l’air, les yeux et les oreilles grands ouverts, il ne fait pas de doute que la magie Obama ne fera pas de miracle le 2 novembre. Même ses partisans les plus fidèles, ces liberals (intellectuels de gauche) qui animent souvent la vie culturelle des villes petites et moyennes, n’ont plus la pêche de l’élection présidentielle de 2008.
En fait, ils sont partagés entre leurs idéaux progressistes les amenant à soutenir le grand projet présidentiel d’extension au plus grand nombre de la Sécurité sociale et le fait d’avoir, en tant que classe moyenne, à en supporter le coût. Quant à ces mêmes membres des classes moyennes qui ne partagent pas la philosophie sociale des liberals, ils sont carrément furieux et vont se défouler aux meetings du « Tea Party » et faire une ovation à sa figure emblématique, Sarah Palin.
Quel que soit le résultat final des midterm, même si les démocrates parviennent, à l’arraché, à conserver une courte majorité au Sénat, dont seul le tiers des sièges est renouvelé, cette campagne a installé le mouvement Tea Party et Sarah Palin au cœur du dispositif de l’élection présidentielle de 2012. Le Tea Party doit son nom à un épisode fameux de la révolution américaine, en 1773, au cours duquel les colons américains de Boston jetèrent dans le port les cargaisons de thé des navires britanniques pour protester contre la taxation trop élevée de ce breuvage par la Couronne. Ce mouvement est parvenu à cristalliser par des méthodes modernes (réseaux sociaux, buzz internet etc.) tous les mécontents de la politique de la Maison Blanche et a réussi à décloisonner les diverses chapelles conservatrices. Les « libertariens » moralement laxistes y côtoient les évangéliques rigoristes, et les artisans, petits commerçants, gens du small business se retrouvent dans le Tea Party en compagnie de notables bien nantis qui croient qu’Obama conduit la nation américaine vers le communisme…
Moquée au début, y compris dans l’establishment républicain, Sarah Palin s’est révélée une redoutable tacticienne en abandonnant son poste de gouverneur de l’Alaska pour faire surgir le Tea Party Movement à l’échelle nationale. Et cela a payé : dans de nombreux Etats, les hommes et les femmes qu’elle a soutenus l’ont emporté lors des primaires républicaines pour les candidatures à la Chambre et au Sénat et pour des postes de gouverneur. La plus spectaculaire de ces victoires s’est produite dans le Delaware, où une jeune femme de 32 ans, Christine O’Donnell, une excitée favorable à la chasteté avant le mariage, a balayé Mike Castell, un républicain modéré, gouverneur de l’Etat et aspirant à la succession au Sénat du vice-président Joe Biden.
Certes, parmi les gens investis par le Tea Party, on trouve quelques hurluberlus comme cette Sharron Angle, candidate dans le Nevada contre Harry Reid, le président démocrate du Sénat, qui veut supprimer le département (ministère) de l’éducation et privatiser la Sécurité sociale. Sarah Palin, cependant, se garde bien de sortir du discours conservateur mainstream : moins d’Etat, moins d’impôts, retour aux reaganomics qui firent merveille dans les années 1980.
Aujourd’hui, l’appareil démocrate a bien conscience qu’il est trop tard pour renvoyer les gens du Tea Party dans l’enfer de l’extrémisme hors du réel sociétal. Alors qu’ils avaient misé, au départ, sur la « localisation » de cette campagne électorale, en la purgeant au maximum des querelles nationales, l’omniprésence médiatique de Sarah Palin et de ses affidés contraint la Maison Blanche à mettre les mains dans le cambouis pour limiter les dégâts. Obama, qui se réservait jusque-là pour les affaires du monde, va reprendre du service en allant se montrer dans des Etats où l’issue est incertaine : Wisconsin, Pennsylvanie, Colorado.
Pour 2012, il semble que Sarah Palin ait marqué des points importants, sinon décisifs pour décrocher l’investiture républicaine à la candidature présidentielle. Quant à Barack Obama, il lui faut absolument se « recentrer », sortir de l’image de gauchiste irresponsable, dépensier et étatiste que ses adversaires ont réussi à imposer à une bonne partie de l’opinion. Pour lui, ce sera moins facile que pour Bill Clinton, dont la plasticité idéologique était légendaire. Dès les élections passées, on verra de nouvelles têtes à la Maison Blanche : après le départ du gourou économique Larry Summers, retourné à Harvard, c’est le Guéant local, Rahm Emanuel, qui devrait s’en aller à la conquête de la mairie de Chicago. Obama contre Palin, c’est l’affiche de ces deux prochaines années politiques aux Etats-Unis, avec le monde comme spectateur d’un combat qui ne devrait pas être trop ennuyeux.[/access]
Une première ! Cette fois-ci, la manif contre la réforme des retraites a été convoquée un samedi. Pour les syndicats son bilan est positif : la mobilisation, disent-il s’est élargie avec succès aux familles et aux jeunes. Contents d’eux, ils estiment pouvoir s’approprier l’argument central de la réforme des retraites du gouvernement, la solidarité intergénérationnelle, pour légitimer leur contestation. Et c’est vrai, ce samedi, toutes les générations étaient représentées dans le cortège parisien. Des parents avec les poussettes jusqu’aux retraités en passant par les quinquas syndiqués, tous ont défilé dans une chaleur fusionnelle.
Et puis, il y a cette catégorie approximative, les jeunes. Ils sont là, eux aussi. Ces jeunes, qui jusque là étaient restés à l’écart du mouvement social, sont propulsés au-devant de la scène par les syndicats. Plus question de rester en retrait des retraites car « La retraite, c’est une affaire de jeunes » martèlent les organisations d’étudiants. Ce qui laisse songeur… Les jeunes militent pour la fin de leur vie active alors qu’ils ne l’ont même pas encore entamée, voilà qui est encourageant. La relève est assurée… Penser à l’après-travail et non au travail lui-même. Penser au retrait du monde et non à sa transformation, vouloir le quitter, ventre à terre, avant même de tenter de le conquérir tambour battant, quelle force de caractère pour cette génération que l’on dit « sacrifiée ».
En réalité, ils assument pleinement leur rôle de martyrs. C’est leur philosophie fataliste qui domine. Il faut les voir à l’œuvre. Comme pour chaque conflit social, ils sacrifient leurs études pour aller s’agiter dans la rue, dans cette rue qu’ils prennent pour une fête à thème. Mais leurs T-shirts à l’effigie du Che dissimulent mal leurs âmes conservatrices et apeurées. Ils jouent aux protestataires mais prônent le statu quo.
Un mois à peine après la rentrée, des ados en colère commencent à bloquer leurs lycées. Les étudiants syndiqués préparent les assemblées générales et les futurs blocages des facs. Et tous se voient déjà rejouer le scénario gagnant de 2006 qui avait enterré le Contrat Première Embauche (CPE)[1. Il faut rappeler que le CPE était un CDI, certes assorti d’une période d’essai de deux ans mais où le mérite au moins pouvait encore être reconnu. Son abandon a été le début de la fin. En donnant plus de souplesse aux entreprises, il aurait permis d’embaucher plus facilement et aurait évité que les jeunes diplômés ne se retrouvassent sans rien après leur stage de fin d’études] du gouvernement Villepin. CPE qui, en passant, manque cruellement aujourd’hui.
Le CDD, idole des jeunes
A les voir défiler, on ne peut que se demander où sont passés les jeunes diplômés ?
Car au final, parmi tous les jeunes, ce sont eux qui sont les plus légitimes pour prendre la parole. Ce sont eux qu’on devrait entendre, qui devraient crier leur incompréhension face à un gouvernement, qui avait pourtant fait campagne sur la revalorisation du travail et la méritocratie. Ce sont eux, ces plus de 25 ans, qui ont effectué un parcours sans faute, suivi de bonnes études, et ne demandent qu’à être insérés dans la vie active. Ce sont eux qui ont accumulé des diplômes toujours de plus en plus spécifiques pour coller au mieux à la logique des recruteurs. Ce sont eux qui ont additionné des stages espérant à chaque fois que le dernier se transforme en un malheureux CDD, ou si ce n’est pas le cas, en priant le ciel de pouvoir les revendre comme une expérience professionnelle alors même que ces stages ne sont reconnus comme tels ni par les employeurs ni par le Pôle Emploi. Où donc est la logique dans tout ça ? Oui, les grands perdants du projet de loi, ce sont bien ces jeunes diplômés, sans emploi et invisibles car non comptabilisés dans les chiffres du chômage puisqu’ils n’ont jamais « travaillé » en tant que salariés.
Ce sont eux qui auraient dû défiler samedi pour protester non pas contre le report de l’âge légal de départ à la retraite, mais contre le report de l’âge réel d’entrée dans la vie active.
En s’attaquant bille en tête au chômage, Nicolas Sarkozy aurait été cohérent avec ses promesses électorales. En faisant de la retraite sa réforme-phare, il plonge le pays dans la déprime généralisée.
Mais la déprime n’a pas fait de victime samedi. La Nuit Blanche a remplacé le Grand Soir.
Il n’a échappé à personne que l’Allemagne fêtait ce dimanche les vingt ans de sa réunification, c’est-à-dire du rattachement de la République Démocratique Allemande à sa voisine, la République Fédérale (Allemande, elle aussi). Les commentateurs n’ont pas manqué d’épiloguer sur le coût de l’opération – forcément kolossal – et sur sa signification historique : la fin de la guerre froide. Mais curieusement, ils n’ont pas relevé que ce dimanche, l’Allemagne soldait également une autre guerre, et dans la plus grande discrétion : celle de 14-18.
Fidèle à sa signature, la République a en effet procédé au remboursement de la dernière tranche des emprunts émis par l’Allemagne de Weimar entre 1924 et 1930, afin de financer le paiement des « dommages de guerre » infligés par le Traité de Versailles. Ces versements, on s’en souvient, avaient contribué à déstabiliser le régime post-impérial et facilité l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir. L’événement, mineur en soit, puisqu’il portait sur un reliquat de quelques millions d’euros, laisse cependant songeur.
D’une part, parce que pour des générations d’étudiants français, le slogan « L’Allemagne paiera! » a longtemps constitué l’archétype d’une diplomatie irréaliste; or l’Allemagne, au bout du compte, a payé jusqu’au dernier Mark-or de ce qu’elle devait aux « marchés ».
D’autre part, parce que l’on pouvait à bon droit croire que les conséquences cataclysmiques de ces « réparations » (Troisième Reich, guerre planétaire, Shoah…) avaient rendu irrecevable toute réclamation des débiteurs, Anglo-Saxons pour l’essentiel, une fois la paix revenue; or, pas du tout : ces derniers ont bel et bien fini par obtenir gain de cause. Près d’un siècle après.
Dans le Monde daté du jeudi 7 octobre, j’ai découvert en page 7 une élégante publicité faisant la promotion des croisières proposées par la « Compagnie du Ponant ». Jusque là rien de très spécial. Expéditions « cinq étoiles, grand confort », voyages à bord du Boréal un yacht « à nul autre pareil », une expérience « unique », doublée d’une « subtile alliance de raffinement et d’intimité ». Bref, une jolie page de pub plan-plan, innervée de la moins inventive des proses mercatiques.
Mais en y regardant d’un peu plus près, on apprend que cette compagnie – assurant une prestation très haut-de-gamme de « yachting de croisière » – propose un exceptionnel séjour de prestige fin novembre, en Antarctique, avec pour « invité d’honneur » un certain… Michel Rocard.
L’ancien premier ministre de François Mitterrand semble vivre une retraite hyperactive. Ce bouillonnant octogénaire qui a obtenu de Nicolas Sarkozy le poste d’« ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique » est de tous les engagements. Sa nouvelle mission officielle l’obligeant certainement à ce sacrifice douloureux qu’est la participation à des croisières de super-riches facturées aux vacanciers entre 4000 et 10.000 euros les quinze jours, suivant le type de cabine. Assurément le juste prix pour entendre l’ancien Premier-Ministre socialiste prodiguer « ses idées et ses projets d’actions en faveur d’une meilleure gouvernance de l’océan Arctique », et – à n’en pas douter – partager avec lui, à l’occasion, un cocktail sans alcool au bar de l’entrepont, avec Gopher, le Doc et le capitaine. L’ambassadeur et le conférencier de luxe sont dans un bateau, l’ambassadeur tombe à l’eau, qu’est-ce qu’il reste ?
Ah, la croisière va bien s’amuser !
Si j’en crois Cyril Bennasar, avec lequel je reste en profond désaccord, notre liberté tiendrait essentiellement à notre latitude à foutre le feu à un exemplaire du Coran, puis à lui pisser dessus. Soit ! Cela doit être là l’un des aspects de la liberté chez les modernes qu’une lecture par trop inattentive de Benjamin Constant m’avait fait perdre de vue.
Poursuivons donc jusqu’au bout la logique bennasarienne : si jamais nous ne foutions pas le feu à un exemplaire du Coran et si nous ne pissions pas dessus chaque jour, alors notre liberté de penser en serait gravement diminuée et restreinte. Et celui qui ne se livrerait pas à ça serait, évidemment, l’agent masqué de cet islamisme qui rampe et étouffe de son étreinte serrée les valeurs de la République. Je n’ai pas tout saisi de cette grande logique dans laquelle semble tenir à elle seule notre liberté, mais, à tout prendre, ce n’est pas pisser qu’il serait requis de faire mais chier. L’urine a un côté un peu trop oriental, donc nécessairement islamiste, puisqu’elle nous ramène aux acousmataï pythagoriciennes et à la dialectique apollinienne (« Tu n’urineras pas face au soleil »), alors que la défécation est bien davantage le propre de l’Occident. Voyez la correspondance de Mozart, mais également cette ligne brune qui unit dans le nihilisme du trou de balle et Diderot et Bataille.
Donc, brûler des livres, c’est ce qui garantit notre liberté. Pourvu que Delanoë ne se prenne pas à nous organiser des Nuits de Cristal en lieu et place des Nuits Blanches, parce que j’ai la nette impression que nous deviendrions très vite très libres.
Non, la liberté que nous avons acquise n’est pas celle du briquet, de l’urètre ou de l’anus. C’est dans la tête que ça se passe, cher Monsieur. Notre liberté, c’est celle de l’esprit. S’avilir à aller en dessous, c’est se résoudre à n’avoir ni tête ni esprit.
Je ne suis pas, par exemple, d’accord avec Onfray. Mais alors pas du tout. Il a commis le crime impardonnable de n’avoir rien compris à Sade et n’a pas saisi que le marquis érigeait une métaphysique catholique et antichrétienne, comme Maurice Liver puis Philippe Sollers l’ont montré. Or, si l’on peut me trouver un jour en possession de livres d’Onfray, jamais on me trouvera en train d’en brûler un seul. Ni d’uriner dessus.
Nous ne sommes pas des porcs !
Pour une seule chose : nous ne sommes pas des porcs ! Nous ne pissons pas en public. Nous ne sommes pas des porcs : nous ne mettons pas le feu aux livres.
Nous ne mettons pas le feu aux livres et, comme nous sommes êtres doués de raison, nous ne confondons pas islam et islamisme. Comme nous plaçons au-dessus de tout notre raison, nous ne croyons pas que Ben Laden est dans chaque ascenseur.
Oui, il se trouve bien que, dans certaines contrées du monde, certains foutent le feu aux livres qui leur déplaisent. Les Talibans en ont incendié par milliers. Maariv a même vu un adjoint au maire de Or Yehuda organiser, en mai 2008, un autodafé d’exemplaires du Nouveau Testament. Devraient-ils être pour nous des exemples ? Evidemment que non quand on n’a pas oublié – mais faut-il un jour les avoir connus – les vers de Heinrich Heine dans Almansor : « Quand on commence à brûler des livres, on finit par brûler des hommes. »
Mais bon, feu de cela. Ce qui retient l’attention de Cyril Bennasar, ce sont deux choses : le responsable de la mosquée de Strasbourg a porté plainte pour racisme et le maire de Strasbourg a lancé une pétition appelant à la vigilance antiraciste.
Sur la deuxième récrimination de l’ami Cyril, une petite rectification s’impose : cette pétition est antérieure à l’affaire du Coran brûlé. Au passage, ce dernier acte a eu lieu à Bischheim, non pas à Strasbourg (vu de Paris, je sais, c’est la même chose, nous parlons tous boche ici). Cette pétition suivait une dizaine d’actes de vandalisme perpétrés contre des Strasbourgeois et des notables. Mon ami Faruk Gunaltaï, le directeur de l’Odyssée, a réchappé à un incendie criminel qui visait son habitation. Le professeur Israël Nizand a vu sa maison taguée de graffitis antisémites. Mais, pas de souci, hein, le racisme et l’antisémitisme sont des fadaises, des billevesées, des instruments de propagande aux mains des islamistes, non ? Mon ami Faruk et sa famille ne pensent pas la même chose que Cyril Bennasar. C’est certainement le problème de Faruk : être un turc athée, bouffeur d’imams, de curés et de tout ce que vous voudrez n’ouvre pas le droit au blasphème, surtout chez les gens qui ne kiffent pas ces Turcs qui y vont un peu trop fort dans l’assimilation au point d’avoir les humeurs du petit père Combes.
Quant à la plainte du responsable de la mosquée de Strasbourg, je n’y trouve personnellement rien à redire. Elle s’inscrit dans la doxa la plus française qui soit. Quand on est un bon français, on va devant le tribunal dès lors qu’un problème se pose. Et si possible on y va pour antiracisme. Je concède une chose : Abdelaziz Choukri, délégué général de la mosquée de Strasbourg, ne doit pas être un si bon Français que ça, c’est-à-dire un être animé par un antiracisme viscéral et ce que Philippe Muray appelait le « désir de pénal ». Car le gars qui a fait la vidéo, Choukri l’a appelé. Et le gars, dont Cyril Bennasar nous dit qu’il est le parangon de la liberté de penser, n’a pas voulu lui parler. Depuis quand, en France, parlerait-on à un Arabe ? Non mais !
Je suis d’accord avec François Miclo, il faut critiquer, déconstruire et non pas détruire mais l’incendiaire alsacien n’a pas détruit le Coran en brûlant un exemplaire et quelles qu’aient été ses intentions, son acte a révélé le caractère incritiquable, indéconstructible et intouchable de ce texte. Quand elle pointe une liberté d’expression garantie par la loi mais entravée dans le réel, la provocation est un acte critique. Les réactions que cet outrage a suscitées donnent matière à critique. Critiquons, donc !
Les responsables de la mosquée de Strasbourg parlent « d’actes ignobles et honteux » contre un livre saint et, rappelons-le, portent plainte pour « incitation à la haine raciale ». Ne peuvent-ils distinguer l’offense faite à leurs croyances d’une incitation à la haine pour leur « race » ? Peut être qu’en islam, cette distinction n’a pas de sens et que la liberté de blasphémer, comme toutes les limites posées par la loi au débordement des pratiques religieuses dans l’espace public, sont vécues comme des brimades islamophobes mais si les guides spirituels musulmans n’expliquent pas la laïcité ou le droit français au blasphème à leurs ouailles, qui le fera ?
Dans cette affaire, ils dénoncent « une provocation qui sera lourde de conséquences » et assurent par ailleurs qu’ils appellent au calme. J’espère qu’ils seront entendus et que le calme sera la seule conséquence.
Le CFCM voit dans la vidéo une atteinte inacceptable et dangereuse aux valeurs de la République. Quel dommage qu’une aussi éloquente indignation ne pousse ses responsables à aller convaincre certains jeunes en banlieue qui se réclament de l’islam que brûler une femme, ce n’est pas bien non plus.
Le processus judiciaire commence par un interrogatoire du prévenu par la police pour un délit qui, je me répète, relève du blasphème et non de l’incitation à la haine raciale et se poursuivra au Tribunal correctionnel. Parti comme ça, je me demande si les juges vont rendre la justice au nom du peuple français ou de l’inquisition musulmane. Pas de chance pour l’accusé, en correctionnelle, il n’y a pas de jury populaire mais seulement des magistrats syndiqués.
Le maire de Strasbourg qui en appelle à « un front républicain de refus de l’inacceptable », assorti d’une pétition tout aussi républicaine pour réagir à la crémation coranique qui fait déborder le vase des actes racistes. La leçon républicaine du jour aurait pu s’intituler : « Apprenons aux musulmans le droit au blasphème », mais le maire a préféré revenir à l’antifascisme, l’antiracisme et au combat qui continue contre l’extrême droite. C’est moins subtil et moins délicat mais ça rassemble à gauche.
De Libération au Figaro, les médias évoquent « le livre saint » et l’acte « haineux et raciste ». Là aussi, la confusion règne et quand la religion offensée est celle des plus pauvres et des plus stigmatisés, le discernement s’éclipse, on criminalise le blasphème, la censure est permise et la sanction bienvenue. Pour défendre le nouvel ordre moral, il n’est plus interdit d’interdire.
Ce n’est pas bien de brûler un livre mais ce petit incendie nous éclaire davantage sur notre société que les travaux d’un sociologue sur l’islamisation des esprits ou qu’une longue exégèse du Coran. Je partage la réprobation morale générale, mais la question n’est pas de savoir s’il est bien ou pas de brûler un livre mais s’il est encore permis de le faire. Je n’aime pas ça, mais je me battrai pour qu’on puisse le faire. C’est aussi ça, les Lumières.
On ne brûle pas le Coran. On ne brûle pas la Bible. On ne brûle pas la Torah, ni le Livre de Mormon. On ne fout pas le feu aux Paradis perdus de Milton, ni aux Cent vingt journées de Sodome. On n’approche pas une allumette d’un exemplaire de Par-delà le bien et le mal ni de Rigodon. On ne brandit pas son Zippo contre le Journal d’un homme trompé ni contre Babylone nous y étions, nus parmi les bananiers ni contre Farenheit 451, pourtant à température idéale. On ne se réchauffe les mains devant aucun exemplaire d’Autodafé, ce merveilleux roman d’Elias Canetti. Et la main épargne des flammes tous les livres. On ne jette rien au bûcher, même les vanités.
Pourquoi ? Parce que, précisément, les Lumières ne se nourrissent pas du feu des livres, mais de la critique. Pour parler en derridien approximatif, elles ont substitué la déconstruction à la destruction. C’est ce qui fonde tout ce que nous sommes : nous ne considérons plus celui avec lequel nous sommes en désaccord comme un ennemi qu’il faut tuer, mais comme un adversaire qu’il faut convaincre. Nous ne considérons plus les livres que nous trouvons infâmes comme des objets tout justes destinés au feu, mais comme des textes que notre raison peut analyser et juger.
Brûler un livre, c’est renoncer à sa faculté de juger
Lorsque le marquis de Sade livre ses attaques les plus virulentes contre la Bible et pense l’athéisme dans sa radicalité métaphysique, il le fait avec des arguments rationnels. Il ne brûle aucun livre. Il critique, destitue les textes de leur sacralité, moque, tourne au ridicule. Mais, comme il l’écrit dans la Philosophie dans le boudoir : « Dès l’instant où il n’y a plus de Dieu, à quoi sert d’insulter son nom ? » Sade trouvera bien une utilité au blasphème : c’est le fond de l’érotique blasphématoire qui irradie tous ses livres comme un feu sacré.
Les Lumières ont érigé la raison en instance toute-puissante, qui peut s’exercer sur quelque texte que ce soit. C’est ce qui fonde ce qu’on appelle, en philosophie, la modernité. Dès lors, lorsque l’on se trouve à brûler un livre au lieu d’en critiquer le contenu, alors l’on renonce à sa faculté de juger. Et ce renoncement-là est la pire abdication qui soit.
Le zozo qui a brûlé un exemplaire du Coran il y a quelques jours en Alsace pour faire le con glorieux sur Internet n’a rien d’un héritier de la civilisation des Lumières, il se comporte comme le premier taliban venu. Sa petite vidéo est une fatwa qu’il lance contre la raison, contre les Lumières, bref contre ce que nous sommes. Et les lanceurs de fatwa, qu’ils soient barbus ou alsaciens, on ne peut les tenir qu’en piètre estime.
Des remparts de Carcassonne à l’élégante grisaille lilloise, la scène est immuablement la même : Monsieur est déjà au volant, trépigne, regarde l’heure et ronge son frein, tandis que Madame termine de ranger la cuisine, cherche ses clés pour les fourrer dans son sac, les trouve mais ne retrouve plus son sac et Monsieur est aux bords de l’apoplexie. Enfin, Madame s’assied gracieusement à la place du mort sous les moqueries de Monsieur dont on peut se demander pourquoi il n’a pas levé ses fesses pour venir en aide à Madame. Le volant n’allait pas s’envoler, on n’est pas au badminton !
On pourrait en rester là, mais voilà que Monsieur s’égare ce qui, bien entendu, est la faute de Madame, infoutue de lire une carte routière ! Elle a oublié de passer son brevet d’éclaireur avant de se présenter devant Monsieur le Maire, l’innocente.
– Mais je t’avais dit qu’il fallait tourner là!
– Là, en voiture, ça ne veut rien dire!
– Mais si, je t’avais dit après la grosse ferme blanche!
– Je conduis, moi, j’ai pas le temps de regarder le paysage!
Comme on ne se parle plus, Monsieur branche la radio, préférant encore les pub débiles et les chansons à la con à l’odieux silence pincé de Madame. Silence qui s’alourdit encore, car Madame voulait justement écouter le dernier Bénabar pour se calmer. L’explosion n’est plus loin, elle se produira quand Monsieur, qui a oublié toute cette histoire en écoutant les infos, ouvre inconsciemment la fenêtre, alors que Madame, frissonnante, allait brancher le chauffage.
22 minutes après le départ, très précisément, Monsieur et Madame parlent divorce. C’est en tout cas ce qu’il ressort d’une enquête fouillée menée par le constructeur automobile Seat. 22 minutes, pile poil.
Cela frôle la caricature, direz-vous ? Il n’empêche, toujours d’après cette enquête, un conducteur sur cinq refuse de reprendre le volant tant que son partenaire reste à ses côtés dans la voiture. (Mesdames, n’oubliez jamais de d’embarquer un vélo pliant dans le coffre). Mieux encore, 22% des personnes interrogées refusent dorénavant de conduire au côté de leur moitié.
Tant mieux, ils devront acheter 2 bagnoles plutôt qu’une. Ce qui devrait faire les affaires de Seat.
La vidéo d’un internaute alsacien qui brûle un exemplaire du Coran – et, les plaisanteries les plus courtes étant les meilleures, pisse sur les flammes pour éteindre le feu – a provoqué le tollé auquel on pouvait s’attendre dans la communauté musulmane. Le délégué général de la mosquée de Strasbourg, Abdelaziz Choukri, qui a alerté les autorités, s’est entretenu avec l’auteur du blasphème, avant de porter plainte pour incitation à la haine raciale. Le Parquet a déjà annoncé que le jeune provocateur serait poursuivi.
Dans l’ambiance qui règne ces temps-ci en Alsace, où les vandalismes à caractère raciste ou antisémite augmentent, on a vite fait de mettre dans le même sac délits racistes et sacrilège. Or, s’en prendre à des personnes ou des groupes en raison de leur origine ethnique, de leurs croyances ou de leurs mœurs et critiquer ou ridiculiser des croyances ou des idées, ce n’est pas la même chose.
Agresser des juifs, des musulmans, des chrétiens, ou profaner leurs tombes, c’est peut être du racisme mais se moquer du caractère sacré du Coran, de la Torah ou des Evangiles, sûrement pas.
Qu’à cela ne tienne, l’islam outragé invoque le racisme. Une offense faite à la « race musulmane » sans doute ? Dans un monde où rappelons-le, les races n’existent pas.
Mais cet amas de contradictions n’empêchera ni les politiques ni, semble-t-il, les médias, de brandir le fatal anathème.
Délit de blasphème ?
La République est dans son rôle quand elle protège les citoyens contre les violences discriminatoires mais le caractère saint ou non d’un texte, ce n’est pas son affaire. L’autodafé de ce jeune homme qui n’a jamais brûlé personne ne relève pas de la haine ou du racisme mais du blasphème. Or si toute la société française condamne et punit les expressions ou les actes racistes, le délit de blasphème n’existe plus depuis les Lumières et les religieux ont fini par se faire une raison, prenant de la distance avec les blasphémateurs ou se cassant le nez sur la justice qui jusqu’à présent défend ce droit au nom de la liberté d’expression.
L’islam qui, sur ses terres historiques, punit de mort ceux qui prennent des libertés avec le Coran ou le Prophète s’accommode mal de ce droit au blasphème reconnu en Occident. En Europe, le délit d’outrage aux religions est tombé en désuétude, il existe en Irlande mais pas en Angleterre, se maintient là où les corbeaux font les lois avec les voix des grenouilles de bénitier. La législation du Concordat en Alsace et Moselle prévoit toujours trois ans de prison pour les bouffeurs de curés bouffeurs de choucroute mais il y a longtemps que personne n’a tâté du cachot. Ça pourrait changer si l’on écoute les doléances d’un culte venu du sud comme les cigognes mais qui lui, ne repartira pas.
En France, où les héritiers de Voltaire préfèrent la liberté d’expression qui s’use si l’on ne s’en sert pas à la paix des culs-bénits, le blasphème n’est pas puni par la loi. À l’ONU, les pays musulmans tentent de faire adopter un délit de blasphème à un monde laïc qui s’y oppose. Dans notre affaire, le dialogue de sourds qui s’est tenu entre le profanateur qui déclare « on est en France et on peut brûler un livre de Winnie l’Ourson, comme le Coran » et l’autorité musulmane qui répond « si on ne réagit pas, on autorise les gens à brûler un livre saint », témoigne de ce décalage des approches et des civilisations.
La liberté de croire est garantie par notre droit mais la liberté de se moquer aussi. Si la loi reconnaissait la sainteté d’une croyance ou d’une idéologie, elle rendrait celle-ci intouchable et réprimerait bientôt non seulement les provocations insultantes mais aussi toute caricature et toute critique, empêchant toute remise en question et toute adaptation à la modernité.
Aucun homme de foi n’aime voir son crédo ridiculisé ou les objets saints de son culte être traités comme de l’ordinaire profane. Mais c’est le prix à payer pour vivre dans le monde libre de la raison et du progrès. La liberté de penser et de s’exprimer par le rire ou la provocation ne peut s’arrêter aux sujets décrétés tabous par les croyants. C’est en acceptant, même en faisant la grimace, la critique de soi jusqu’à la raillerie, qu’on évolue et si la France peut aider l’islam à devenir un islam de France, c’est en l’obligeant à souffrir cette critique, incontournable condition de cette révolution-évolution qu’attend l’immense majorité des Français, à commencer par les musulmans.
L’histoire est connue. En 1952, Bernard Frank écrit, dans Les Temps modernes, un papier intitulé « Grognards et hussards ». Il s’en prend à une poignée de gandins – Antoine Blondin, Roger Nimier, Jacques Laurent et Michel Déon – qui, dans des romans comme Le Hussard bleu, L’Europe buissonnière ou Les Corps tranquilles, se moquent des diktats politiques de l’après-guerre et préfèrent séduire plutôt que convaincre. S’ils admirent Chardonne et Morand, ce sont donc des fascistes. Au début des années 1950, c’est une sacrée carte de visite : « Comme tous les fascistes, les hussards détestent la discussion. Ils se délectent de la phrase courte dont ils se croient les inventeurs. Ils la manient comme s’il s’agissait d’un couperet. À chaque phrase, il y a mort d’homme. Ce n’est pas grave. C’est une mort pour rire. »
Aujourd’hui, n’importe quel plumitif intenterait, pour une telle assertion, une action en justice. A l’époque, rien. Au contraire, tous ont salué le talent de Bernard Frank, refusant seulement de se voir encager dans un groupe. Jacques Laurent précisa qu’il préférait les fantassins aux « hussards » et Martine Carol, adorable Caroline chérie, à tout le reste. Pendant la guerre d’Algérie, les « hussards » aggravèrent leur cas, avec quelques autres dont le maquisard et flibustier Jacques Perret, en attaquant, plume à l’assaut, de Gaulle rebaptisé « La grande Zorah ». La cause était perdue ; la défaite fut pleine de panache, c’est-à-dire riche en textes de grand style. Mauriac sous de Gaulle de Laurent et Le Vilain temps de Perret restent des chefs-d’œuvre de pamphlets, tous deux condamnés pour une exquise infamie : offense au chef de l’Etat.
Destinés à cramer la vie le souffle au cœur puis à se retirer pour un très long moment dans une maison de famille, un bar de palace ou en bord de mer, les « hussards » n’existent pas. Ils ne s’appréciaient pas forcément les uns les autres, ne se fréquentaient, à l’occasion, que dans les colonnes des mêmes revues – La Table ronde, Arts, La Parisienne notamment. En somme, ils n’ont été que la géniale invention d’un Bernard Frank qui se cherchait une place au soleil. Ce qui est facile à comprendre quand on le lit : « Ils aiment les femmes (Stendhal, Elle), les autos (Buffon, Auto-Journal), la vitesse (Morand), les salons (Stendhal, Proust), les alcools (un peu tout le monde), la plaisanterie (leur mauvais goût). »
La définition est plaisante. Sartre est renvoyé dans les cordes. Sagan se faufile avec son Bonjour tristesse. Roger Vailland – communiste, libertin, alcoolique et drogué au regard froid – n’est pas loin non plus.
Au milieu des années 1980, Jérôme Garcin crut reconnaître des « néo-hussards » : Patrick Besson, Eric Neuhoff, Denis Tillinac et Didier Van Cauwelaert. Pourquoi pas, même si Tillinac était enterré en Corrèze et Van Cauwelaert inconnu au bataillon des mots. Besson et Neuhoff, par contre, furent d’une belle aventure qui ne s’est pas privée de saluer Frank, Nimier, Blondin et Laurent : la revue Rive droite.
« Vendanges tardives », un livre hors saison qui rend plus léger l’automne naissant
C’était en 1990. Ça a duré quatre numéros avec, pour éditeur, Thierry Ardisson – alors romancier inspiré et pas encore animateur pubard en bout de course. Au sommaire : Frébourg, Saint-Vincent, Parisis, Leroy, le trop oublié Jean-Michel Gravier ou encore Frédéric Fajardie. Mais aussi Jean-François Coulomb, homme de télé, de presse écrite, de ce qui lui plaît. Coulomb offrit à Rive droite une histoire d’amour triste sur fond de bataille napoléonienne : Paris-Austerlitz. Vingt ans après, cette nouvelle clôt Vendanges tardives, petit livre hors saison qui rend plus léger l’automne naissant. En exergue de ce recueil de quatorze textes ciselés en puncheur orfèvre de la langue française, deux clins d’œil, à Bernard Frank – « L‘insolence consiste à écrire peu » – et à Patrick Besson : « Aucun problème ne résiste à la vodka pamplemousse ».
Qu’il situe son récit à Paris, en Egypte ou dans un cimetière, Coulomb pose son ambiance comme il sifflerait une coupe de champagne, poursuit son intrigue tantôt en douceur tantôt pied au plancher et soigne ses chutes, toutes des banderilles de grâce cruelle. Il arrive que ses héros reviennent d’une guerre en Irak. Ou qu’ils boivent des daiquiris à la santé d’Hemingway, au Floridita de La Havane. Ou qu’ils ressemblent à Romain Gary juste avant l’ultime bye-bye, regardant une jeune demoiselle lire un de ses livres. Ils cachent leurs blessures derrière des lunettes noires et sous un costume en lin froissé. N’attendant rien, ils n’espèrent pas davantage. Ils ne croient plus en l’amour, ce chien de l’enfer. Puis ils y croient encore un peu, forcément. La faute à des héroïnes inoubliables. Chez Coulomb, elles s’appellent Aglaé et Alix de Chanturejolles, jumelles coquines ; Zelda ; Constance ; Carla ; ou Olympe de Vinezac.
L’apparition d’Olympe, aux premières lignes de Vendanges tardives, c’est Ursula Andress sortant des flots dans James Bond 007 contre Dr No : « Olympe est nue. Elle sait que je la regarde. Allongée sur le ventre, sa main effleure l’eau de la piscine. L’air sent la lavande. Sous le soleil, les oliviers ont des reflets d’argent. C’est l’heure de la sieste. La chaleur fige tout. Seules les cigales s’agitent. Délicieusement dorée, Olympe de Vinezac a un corps parfait. Digne du ciseau de Canova. D’un geste lent, elle essuie quelques gouttes de sueur qui perlent sur sa nuque. Entoure sa tête de ses bras. Ecarte légèrement les jambes, comme pour mieux se caler sur le matelas. Elle s’offre, pour ne pas avoir à s’abandonner ».
Jean-François Coulomb se lit et se relit comme une ivresse à prolonger, comme un auteur précieux à ranger, dans sa bibliothèque, près de quelques autres qui, eux aussi, savent que la passion des femmes, des paysages, de la vitesse, de la lenteur, de l’alcool et des plaisanteries mélancoliques, c’est l’ultime art de survivre en milieu hostile.
Sarah Palin prononce un discours lors d’un meeting du Tea Party à Turlock (Californie), le 10 juin 2010. Photographie : Russel Reno.
Sarah Palin prononce un discours lors d’un meeting du Tea Party à Turlock (Californie), le 10 juin 2010. Photographie : Russel Reno.
Les élections dites de midterm (mi-mandat) aux Etats-Unis sont rarement favorables au président en place, car elles interviennent dans une période où les électeurs s’aperçoivent que le dieu (ou le diable) qui a été porté à la Maison Blanche deux ans plus tôt est un mortel faillible comme vous et moi. Rappelons-nous Bill Clinton : élu triomphalement en 1992, il prend une claque sévère aux midterm de 1994… et se fait réélire dans un fauteuil en 1996.
On n’accordera donc qu’une valeur descriptive, et non pas prédictive, à ce relevé d’impressions recueillies sur place six semaines avant le vote du 2 novembre.
Ayant soigneusement évité d’arpenter les couloirs du Congrès à Washington, de frapper aux portes des salles de rédaction du New York Times ou de CNN, de solliciter les experts habituels de l’analyse fine et subtile de la vie politique américaine à l’usage de ces ignares de Français, je suis allé, comme on dit « sur le terrain ». Non pour illustrer l’adage des prétendus grands reporters albertlondrisés clamant, la main sur le cœur, que « seul le terrain ne ment pas », mais parce que j’aime l’Amérique des petites villes, des grands espaces, des bistrots au milieu de nulle part.
[access capability= »lire_inedits »]Cette fois-ci, j’ai sillonné le Far West, comme on disait quand j’étais enfant et qu’Yves Montand nous bourrait le mou en chantant « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit… ». En fait de plaines, ce sont essentiellement des montagnes dont la hauteur et la beauté rivalisent sans peine avec celles du lieu de ma résidence habituelle.
La magie Obama ne fera pas de miracle le 2 novembre
Comme tous les Américains, les habitants de ces régions reculées sont appelés aux urnes, et cela se voit au bord des routes avec une floraison de panneaux invitant les passants à apporter leurs suffrages à Jim Machin, Willy Dugenou ou Alicia McMiche qui rêvent de devenir député, sénateur, ou plus modestement shériff ou procureur du comté. Dès qu’on ouvre la télé, on est abreuvé de spots vantant les mérites de ces candidats ou dénonçant les turpitudes de leurs adversaires, car la publicité négative (la plus marrante pour les observateurs extérieurs) est une des spécialités de la culture démocratique des Etats-Unis. Une voix lugubre commente des images en noir et blanc montrant le concurrent dans des poses désavantageuses et fait la liste de ses turpitudes : promesses non tenues, fraude fiscale, vie privée agitée… rien ne lui sera épargné. Et il suffit de zapper pour voir que le candidat étrillé ne se prive pas de rendre la politesse à son adversaire.
À l’issue de deux semaines de tribulations dans le Colorado, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, et l’Utah avec le nez en l’air, les yeux et les oreilles grands ouverts, il ne fait pas de doute que la magie Obama ne fera pas de miracle le 2 novembre. Même ses partisans les plus fidèles, ces liberals (intellectuels de gauche) qui animent souvent la vie culturelle des villes petites et moyennes, n’ont plus la pêche de l’élection présidentielle de 2008.
En fait, ils sont partagés entre leurs idéaux progressistes les amenant à soutenir le grand projet présidentiel d’extension au plus grand nombre de la Sécurité sociale et le fait d’avoir, en tant que classe moyenne, à en supporter le coût. Quant à ces mêmes membres des classes moyennes qui ne partagent pas la philosophie sociale des liberals, ils sont carrément furieux et vont se défouler aux meetings du « Tea Party » et faire une ovation à sa figure emblématique, Sarah Palin.
Quel que soit le résultat final des midterm, même si les démocrates parviennent, à l’arraché, à conserver une courte majorité au Sénat, dont seul le tiers des sièges est renouvelé, cette campagne a installé le mouvement Tea Party et Sarah Palin au cœur du dispositif de l’élection présidentielle de 2012. Le Tea Party doit son nom à un épisode fameux de la révolution américaine, en 1773, au cours duquel les colons américains de Boston jetèrent dans le port les cargaisons de thé des navires britanniques pour protester contre la taxation trop élevée de ce breuvage par la Couronne. Ce mouvement est parvenu à cristalliser par des méthodes modernes (réseaux sociaux, buzz internet etc.) tous les mécontents de la politique de la Maison Blanche et a réussi à décloisonner les diverses chapelles conservatrices. Les « libertariens » moralement laxistes y côtoient les évangéliques rigoristes, et les artisans, petits commerçants, gens du small business se retrouvent dans le Tea Party en compagnie de notables bien nantis qui croient qu’Obama conduit la nation américaine vers le communisme…
Moquée au début, y compris dans l’establishment républicain, Sarah Palin s’est révélée une redoutable tacticienne en abandonnant son poste de gouverneur de l’Alaska pour faire surgir le Tea Party Movement à l’échelle nationale. Et cela a payé : dans de nombreux Etats, les hommes et les femmes qu’elle a soutenus l’ont emporté lors des primaires républicaines pour les candidatures à la Chambre et au Sénat et pour des postes de gouverneur. La plus spectaculaire de ces victoires s’est produite dans le Delaware, où une jeune femme de 32 ans, Christine O’Donnell, une excitée favorable à la chasteté avant le mariage, a balayé Mike Castell, un républicain modéré, gouverneur de l’Etat et aspirant à la succession au Sénat du vice-président Joe Biden.
Certes, parmi les gens investis par le Tea Party, on trouve quelques hurluberlus comme cette Sharron Angle, candidate dans le Nevada contre Harry Reid, le président démocrate du Sénat, qui veut supprimer le département (ministère) de l’éducation et privatiser la Sécurité sociale. Sarah Palin, cependant, se garde bien de sortir du discours conservateur mainstream : moins d’Etat, moins d’impôts, retour aux reaganomics qui firent merveille dans les années 1980.
Aujourd’hui, l’appareil démocrate a bien conscience qu’il est trop tard pour renvoyer les gens du Tea Party dans l’enfer de l’extrémisme hors du réel sociétal. Alors qu’ils avaient misé, au départ, sur la « localisation » de cette campagne électorale, en la purgeant au maximum des querelles nationales, l’omniprésence médiatique de Sarah Palin et de ses affidés contraint la Maison Blanche à mettre les mains dans le cambouis pour limiter les dégâts. Obama, qui se réservait jusque-là pour les affaires du monde, va reprendre du service en allant se montrer dans des Etats où l’issue est incertaine : Wisconsin, Pennsylvanie, Colorado.
Pour 2012, il semble que Sarah Palin ait marqué des points importants, sinon décisifs pour décrocher l’investiture républicaine à la candidature présidentielle. Quant à Barack Obama, il lui faut absolument se « recentrer », sortir de l’image de gauchiste irresponsable, dépensier et étatiste que ses adversaires ont réussi à imposer à une bonne partie de l’opinion. Pour lui, ce sera moins facile que pour Bill Clinton, dont la plasticité idéologique était légendaire. Dès les élections passées, on verra de nouvelles têtes à la Maison Blanche : après le départ du gourou économique Larry Summers, retourné à Harvard, c’est le Guéant local, Rahm Emanuel, qui devrait s’en aller à la conquête de la mairie de Chicago. Obama contre Palin, c’est l’affiche de ces deux prochaines années politiques aux Etats-Unis, avec le monde comme spectateur d’un combat qui ne devrait pas être trop ennuyeux.[/access]
Une première ! Cette fois-ci, la manif contre la réforme des retraites a été convoquée un samedi. Pour les syndicats son bilan est positif : la mobilisation, disent-il s’est élargie avec succès aux familles et aux jeunes. Contents d’eux, ils estiment pouvoir s’approprier l’argument central de la réforme des retraites du gouvernement, la solidarité intergénérationnelle, pour légitimer leur contestation. Et c’est vrai, ce samedi, toutes les générations étaient représentées dans le cortège parisien. Des parents avec les poussettes jusqu’aux retraités en passant par les quinquas syndiqués, tous ont défilé dans une chaleur fusionnelle.
Et puis, il y a cette catégorie approximative, les jeunes. Ils sont là, eux aussi. Ces jeunes, qui jusque là étaient restés à l’écart du mouvement social, sont propulsés au-devant de la scène par les syndicats. Plus question de rester en retrait des retraites car « La retraite, c’est une affaire de jeunes » martèlent les organisations d’étudiants. Ce qui laisse songeur… Les jeunes militent pour la fin de leur vie active alors qu’ils ne l’ont même pas encore entamée, voilà qui est encourageant. La relève est assurée… Penser à l’après-travail et non au travail lui-même. Penser au retrait du monde et non à sa transformation, vouloir le quitter, ventre à terre, avant même de tenter de le conquérir tambour battant, quelle force de caractère pour cette génération que l’on dit « sacrifiée ».
En réalité, ils assument pleinement leur rôle de martyrs. C’est leur philosophie fataliste qui domine. Il faut les voir à l’œuvre. Comme pour chaque conflit social, ils sacrifient leurs études pour aller s’agiter dans la rue, dans cette rue qu’ils prennent pour une fête à thème. Mais leurs T-shirts à l’effigie du Che dissimulent mal leurs âmes conservatrices et apeurées. Ils jouent aux protestataires mais prônent le statu quo.
Un mois à peine après la rentrée, des ados en colère commencent à bloquer leurs lycées. Les étudiants syndiqués préparent les assemblées générales et les futurs blocages des facs. Et tous se voient déjà rejouer le scénario gagnant de 2006 qui avait enterré le Contrat Première Embauche (CPE)[1. Il faut rappeler que le CPE était un CDI, certes assorti d’une période d’essai de deux ans mais où le mérite au moins pouvait encore être reconnu. Son abandon a été le début de la fin. En donnant plus de souplesse aux entreprises, il aurait permis d’embaucher plus facilement et aurait évité que les jeunes diplômés ne se retrouvassent sans rien après leur stage de fin d’études] du gouvernement Villepin. CPE qui, en passant, manque cruellement aujourd’hui.
Le CDD, idole des jeunes
A les voir défiler, on ne peut que se demander où sont passés les jeunes diplômés ?
Car au final, parmi tous les jeunes, ce sont eux qui sont les plus légitimes pour prendre la parole. Ce sont eux qu’on devrait entendre, qui devraient crier leur incompréhension face à un gouvernement, qui avait pourtant fait campagne sur la revalorisation du travail et la méritocratie. Ce sont eux, ces plus de 25 ans, qui ont effectué un parcours sans faute, suivi de bonnes études, et ne demandent qu’à être insérés dans la vie active. Ce sont eux qui ont accumulé des diplômes toujours de plus en plus spécifiques pour coller au mieux à la logique des recruteurs. Ce sont eux qui ont additionné des stages espérant à chaque fois que le dernier se transforme en un malheureux CDD, ou si ce n’est pas le cas, en priant le ciel de pouvoir les revendre comme une expérience professionnelle alors même que ces stages ne sont reconnus comme tels ni par les employeurs ni par le Pôle Emploi. Où donc est la logique dans tout ça ? Oui, les grands perdants du projet de loi, ce sont bien ces jeunes diplômés, sans emploi et invisibles car non comptabilisés dans les chiffres du chômage puisqu’ils n’ont jamais « travaillé » en tant que salariés.
Ce sont eux qui auraient dû défiler samedi pour protester non pas contre le report de l’âge légal de départ à la retraite, mais contre le report de l’âge réel d’entrée dans la vie active.
En s’attaquant bille en tête au chômage, Nicolas Sarkozy aurait été cohérent avec ses promesses électorales. En faisant de la retraite sa réforme-phare, il plonge le pays dans la déprime généralisée.
Mais la déprime n’a pas fait de victime samedi. La Nuit Blanche a remplacé le Grand Soir.
Il n’a échappé à personne que l’Allemagne fêtait ce dimanche les vingt ans de sa réunification, c’est-à-dire du rattachement de la République Démocratique Allemande à sa voisine, la République Fédérale (Allemande, elle aussi). Les commentateurs n’ont pas manqué d’épiloguer sur le coût de l’opération – forcément kolossal – et sur sa signification historique : la fin de la guerre froide. Mais curieusement, ils n’ont pas relevé que ce dimanche, l’Allemagne soldait également une autre guerre, et dans la plus grande discrétion : celle de 14-18.
Fidèle à sa signature, la République a en effet procédé au remboursement de la dernière tranche des emprunts émis par l’Allemagne de Weimar entre 1924 et 1930, afin de financer le paiement des « dommages de guerre » infligés par le Traité de Versailles. Ces versements, on s’en souvient, avaient contribué à déstabiliser le régime post-impérial et facilité l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir. L’événement, mineur en soit, puisqu’il portait sur un reliquat de quelques millions d’euros, laisse cependant songeur.
D’une part, parce que pour des générations d’étudiants français, le slogan « L’Allemagne paiera! » a longtemps constitué l’archétype d’une diplomatie irréaliste; or l’Allemagne, au bout du compte, a payé jusqu’au dernier Mark-or de ce qu’elle devait aux « marchés ».
D’autre part, parce que l’on pouvait à bon droit croire que les conséquences cataclysmiques de ces « réparations » (Troisième Reich, guerre planétaire, Shoah…) avaient rendu irrecevable toute réclamation des débiteurs, Anglo-Saxons pour l’essentiel, une fois la paix revenue; or, pas du tout : ces derniers ont bel et bien fini par obtenir gain de cause. Près d’un siècle après.