Il n’a échappé à personne que l’Allemagne fêtait ce dimanche les vingt ans de sa réunification, c’est-à-dire du rattachement de la République Démocratique Allemande à sa voisine, la République Fédérale (Allemande, elle aussi). Les commentateurs n’ont pas manqué d’épiloguer sur le coût de l’opération – forcément kolossal – et sur sa signification historique : la fin de la guerre froide. Mais curieusement, ils n’ont pas relevé que ce dimanche, l’Allemagne soldait également une autre guerre, et dans la plus grande discrétion : celle de 14-18.
Fidèle à sa signature, la République a en effet procédé au remboursement de la dernière tranche des emprunts émis par l’Allemagne de Weimar entre 1924 et 1930, afin de financer le paiement des « dommages de guerre » infligés par le Traité de Versailles. Ces versements, on s’en souvient, avaient contribué à déstabiliser le régime post-impérial et facilité l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir. L’événement, mineur en soit, puisqu’il portait sur un reliquat de quelques millions d’euros, laisse cependant songeur.
D’une part, parce que pour des générations d’étudiants français, le slogan « L’Allemagne paiera! » a longtemps constitué l’archétype d’une diplomatie irréaliste; or l’Allemagne, au bout du compte, a payé jusqu’au dernier Mark-or de ce qu’elle devait aux « marchés ».
D’autre part, parce que l’on pouvait à bon droit croire que les conséquences cataclysmiques de ces « réparations » (Troisième Reich, guerre planétaire, Shoah…) avaient rendu irrecevable toute réclamation des débiteurs, Anglo-Saxons pour l’essentiel, une fois la paix revenue; or, pas du tout : ces derniers ont bel et bien fini par obtenir gain de cause. Près d’un siècle après.
Avec Time to turn, François Taillandier pose les dernières pierres énigmatiques de La Grande Intrigue, sa virtuose suite romanesque en cinq tomes. Les deux récits principaux de Time to turn racontent deux histoires d’amour. La première, celle de Nicolas Rubien et Anne-Lise, est empreinte de fatigue, de lassitude et de tristesse. La seconde, descendant d’une génération, est celle qui unit Greg, le fils de Nicolas, et Clara, ancienne disciple du prophète Charlemagne. Celle-là est, en revanche, proprement désastreuse. Ces deux amours douloureuses, poursuivies par « les rires de l’homme en noir », inspirent à François Taillandier des réflexions très sombres sur la passion amoureuse. Il semble pencher du côté de l’hypothèse romantique, qui veut voir dans l’agression, la destruction de soi et de l’autre, la vérité de la passion amoureuse. Eloge de l’amour d’Alain Badiou est, je crois, plus proche de la vérité en pensant l’amour comme un désastre créateur de monde. « Le sentiment de s’être trouvés, d’être opposants au même monde, compta beaucoup dans leur amour. » Cette dimension de construction de monde, et même d’un « contre-monde », est évoquée à propos de Clara et Greg, mais ne parvient pas à prendre corps dans le temps. A la joie exigeante et lumineuse de la « fidélité à l’événement », Clara et Greg préfèrent malgré tout le turn. Leur hostilité à notre monde ne les conduit pas à se détourner en acte du turn.
Anticipation du pire
La plus grande partie de Time to turn a lieu en 2010. Pourtant, le roman évoque plutôt un voyage en 2020, l’exploration – d’autant plus angoissante qu’elle semble horriblement plausible – d’une version aggravée et encore plus irrespirable de notre monde. Time to turn est un roman d’anticipation du pire. Ce pire apparaît d’abord sous la forme d’une publicité d’origine inconnue, une sorte de slogan métaphysique qui envahit infernalement tous les espaces publics et qui surgit de manière aléatoire sur les écrans d’ordinateur : « Time to turn ! ». Ce mystérieux mot d’ordre persécuteur révèle, derrière la métaphysique des « pragmas », un « fascisme » du changement, un fanatisme du devenir. « On aurait dit qu’on cherchait à fragiliser les ultimes repères qui pouvaient aider un être humain à savoir qui il était, et où il était. […] C’était un mot d’ordre à devenir fou. » A travers lui, le Capital ordonne désormais à ses victimes consentantes : « Déracine-toi toi-même ! »
L’une des inventions les plus terribles et les plus profondes de Time to turn est la division de la société en trois catégories sommaires, hermétiquement séparées les unes des autres : les « illus », les « pragmas » et les « intellos ». « Du côté des illus et des intellos, le turn passa moins bien. Les illus se méfiaient de ce qui leur apparaissait comme un mot d’ordre antireligieux – ou plutôt une invention concurrentielle destinée à prendre des parts de marché à la spiritualité. » Ce nouveau monde se caractérise donc par l’effondrement simultané du sens critique et de la foi authentiques. Le triomphe de la mentalité pragma frappe toutes les classes sociales : « Entre le pragma de base et le pragma de luxe, le pragma précaire et le pragma blindé, […] on aurait vainement cherché une différence de conception du monde. » Quant aux « illus », ils confondent la foi avec l’hystérie de masse, « l’autisme communautaire et fusionnel ». Leurs conversions, appelées désormais « turn illu », s’apparentent à des « virages brutaux, rapides, et comme hébétés ».
Il est un turn pour rire et un turn pour pleurer
L’un des tours de force de Time to turn est de dévoiler, derrière la haine entre « pragmas » et « illus », leur absolue complicité métaphysique. « Pragmas » et « illus » sont les deux faces d’un seul et même enfer : « Le goût du politique décroissait chez les illuminés comme chez les pragmatiques. […] Un trait commun aux immenses masses de pragmas et aux masses un peu moins immenses, mais visibles, d’illus, était leur abandon des formes élaborées du langage. […] Le rapport au langage est un rapport au temps ; or les pragmas vivaient dans le temps immédiat de l’acte concret, de la transaction, de la consommation, et les illus dans une projection d’éternité qui se passait de toute histoire, donc de toute durée réelle, donc de tout langage. […] Les concepts ne servaient plus à abstraire et à généraliser, mais à donner substance et passion au groupe, à l’entre-soi. »
Cependant, Time to turn est loin de se résumer à la seule lutte des « pragmas » et des « illus ». Dans ce roman foisonnant d’intuitions très vives, nous rencontrons également de surprenantes méditations sur le Vatican compris comme situationnisme, sur le Syllabus, sur Dan Muzo (dont Taillandier livre une parodie hilarante), sur la crémation, sur les maisons de famille et le « capital background », ainsi que la description bouleversante de la crise de larmes d’une femme « pragma ». Enfin, derrière le turn idéologique se cache un autre turn, infiniment plus précieux, que nous pourrions baptiser le turn narratif. Et Time to turn est peut-être et avant tout l’exploration du mystère de ce turn-là : « Ce turn qui est déjà là, toujours déjà là, dans l’unité composite du fait et du sens qu’on lui donne. » Car il est un turn pour rire et un turn pour pleurer. Un turn qui abolit le sens et un turn qui lui donne naissance.
À présent, La Grande Intrigue peut commencer.
Voilà : les primaires ouvertes et populaires à gauche ont l’air sacrément mal barrées. Autant dire qu’il faut presque faire une croix dessus. La faute à Claude Bartolone, fabiusien, député-président du conseil général de Seine-Saint-Denis qui, fin septembre, a lâché, l’air de rien, à la presse que Martine Aubry et DSK passeraient un accord pour éviter de se déchirer devant les militants. Et que la primaire serait de « ratification ». Tollé dans les rangs des putatifs petits candidats à l’affrontement à gauche (de Valls à Hollande en passant par Moscovici), recadrage de Martine Aubry qui assure que les primaires auront lieu et qu’elles seront transparentes avec « des candidats de qualité ». Mais dans le fond, personne n’y croit tellement. Parce qu’à gauche, tout le monde sait que ces primaires populaires, transparentes, ouvertes à l’ensemble des partis de gauche ne sont pas forcément une excellente idée. Et que le montage sorti des cerveaux d’Arnaud Montebourg, qu’on a chargé de la rénovation du parti, et d’Olivier Ferrand, le patron du think tank Terra Nova, ne tient pas la route une seconde.
[access capability= »lire_inedits »]D’abord, regardons froidement les autres pays où l’on a testé les primaires dites « ouvertes », c’est-à-dire lors desquelles n’importe qui peut voter, adhérent ou non du parti. Les deux seuls exemples européens qui sont allés au bout du processus − Italie et Grèce − sont disséqués en permanence à Solferino, entre spécialistes. On retourne les modes d’organisation de l’affaire, on regarde comment les partis se sont entendus pour arriver unis, on se demande comment faire voter un maximum de gens en un minimum de temps pour un coût réduit. Mais dans les réunions, il y a toujours un moment où quelqu’un fait remarquer que, dans ces deux pays, en dépit d’une stratégie sans faille, la gauche a fini par se faire étaler à la fin. « Autant dire qu’à chaque fois, on se dit qu’on est mal barré, et ces réunions se terminent dans un désespoir assez grand », remarque un participant. C’est juste que mettre autant de pognon et d’énergie à créer une machine à perdre dénote pour le moins une volonté de pouvoir discutable. En général, il se trouve alors quelqu’un d’autre pour faire croire que le modèle, c’est la victoire de Barack Obama aux Etats-Unis. Mais là non plus, l’argument ne résiste guère à l’analyse : systèmes politiques tellement différents, bipartisme, élection indirecte. On va arrêter là le bréviaire de science politique pour les nuls.
L’argument principal est de circonstance : le Président de la République est au plus bas, la droite semble en apparence s’enfoncer dans un chaos sans nom. Les chances de l’opposition de pouvoir enfin emporter une élection de Ligue 1 ont l’air un peu sérieuses. Et subitement, alors que le jeu s’ouvre, les petits partis sont censés sacrifier leurs ambitions présidentielles (en français, leur chance de faire 5% et d’exister au niveau national pour le quinquennat à venir) pour se ranger, dès l’automne 2011, derrière le champion du PS ? Difficile à croire. D’ailleurs, tout le monde sait que les négociations n’ont pas vraiment commencé. Mélenchon veut y aller, vu qu’il a neutralisé Besancenot et le PCF en même temps. Eva Joly se voit en grande épuratrice de la nation française, coupable, forcément coupable. Et les autres, j’imagine, ne vont pas se priver des temps de parole officiels et des invitations sur les plateaux télé une fois les signatures réunies. Alors, si les primaires sont ouvertes aux seuls députés PS pleins d’ambition, le sujet va un peu manquer d’ampleur − et le PS de voix au premier tour…
A-t-on vraiment besoin de démocratie dans un parti ?
Au sein même du PS, on ricane de cette invention : « Les primaires, c’est juste fait pour faire plaisir à Montebourg, dit un député socialiste. Or tout le monde sait qu’il ne représente rien, si ce n’est qu’il a vaguement aidé à élire Aubry. » Et on se demande si ce n’est pas la remise en route de la machine à perdre : cinq mois de chouettes débats internes, de querelles d’Allemands sur les nuances de projets entre François Hollande ou Manuel Valls. Alors que, pendant ce temps, Sarkozy, si c’est lui, foncera déjà tête baissée sur la voie du deuxième mandat.
Et dans le fond, qu’il y aurait-il de scandaleux à ce que les socialistes s’entendent entre eux pour présenter un candidat à la primaire dite « de ratification » ? Faut gagner ou pas ? A-t-on vraiment besoin de démocratie dans un parti ?
On va laisser aux socialistes le temps de trouver les arguments pour nous expliquer qu’en fait, après réflexion, ils vont laisser tomber leur chouette projet. Il faudra faire le gros dos le temps que les commentateurs politiques passent à un autre sujet. Mais ils devraient savoir faire. Surtout si la primaire de confirmation fait sortir DSK de l’urne. Le chouchou de la presse, le candidat favori des journaux de gauche n’aura qu’un geste à faire pour que personne ne lui en tienne rigueur. Au moins dans les éditos. À toutes fins utiles, je rappelle qu’il y a des électeurs, des vrais, à convaincre pour la présidentielle.[/access]
L’Europe de l’antiterrorisme peine à exister. Alors qu’hier le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière déclarait qu’il n’y avait aucune raison d’être alarmiste, en l’absence « d’indications concrètes d’attentats imminents », et qu’en France, on a définitivement abandonné la piste de la mystérieuse kamikaze islamiste, Londres redouble ses avertissements quant aux risques terroristes encourus par la France et l’Allemagne. Cette alerte serait motivée par des renseignements précis en provenance des services secrets pakistanais.
Et c’est vrai qu’en matière de terrorisme, les services pakistanais s’y connaissent. On les a notamment désignés comme ayant téléguidé les commandos de tueurs djihadistes qui on fait 166 morts en novembre 2008 à Bombay, et on ne vous parle même pas de l’attentat de 2002 à Karachi…
Je ne sais plus bien quand on a annoncé l’imminence d’un remaniement, mais j’ai l’impression que c’était il y a des lustres. Je suis certain d’en avoir entendu parler tout l’été, à moins que ce soit dès l’été dernier, ou alors le précédent. Seule certitude, il a du être annoncé après la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Quoique…
D’un côté, je comprends. On doit pas rigoler tous les jours à l’Elysée (surtout les soirs où Carla invite Pierre Arditi ou Calogéro à diner). Et c’est clair que depuis le renoncement au dogme de l’infaillibilité fillonnesque, la vie du président est devenue plus gaie : pas un jour sans qu’un éventuel premier ministre tire le tapis ou glisse une peau de banane sous les pieds d’un concurrent. Le 9 septembre, MAM déclare à Valeurs Actuelles : « Je suis disponible » Bing boum, trois jours plus tard, Brice Hortefeux découvre opportunément qu’un membre de son cabinet était pigiste undercover au Monde. Et il suffit que Copé rentre dans le rang des enfants sages de l’UMP pour qu’aussitôt un scud tiré par Martin Hirsch (mais téléguidé par qui ?) calme ses ambitions. Quant à ceux qui n’ont pas eu leur ration d’échos du Canard, il se croient tous obligés, histoire de ne pas être virés de la short list de Matignon, de s’afficher encore plus sarkozystes que Sarkozy et même qu’Hortefeux. Cela vaut pour le petit Baroin, mais aussi pour Borloo qui crie victoire à chaque fois que le président réduit à néant une de ses lois-fétiches. Oui, depuis qu’il a décidé de remanier, Nicolas rigole, ça le change des sondages : même ceux d’Opinion Way pour le Figaro sont mauvais !
Très sincèrement, moi aussi ce pantomime m’amuse, ce n’est pas tous les jours qu’un feuilleton made in France mérite la moyenne. Je crois que je rirais moins si j’étais, comme certains, électeur de l’UMP, ou si je croyais, comme la plupart de mes concitoyens, qu’un gouvernement a vocation à gouverner. Comme je pense que les vraies décisions se prennent soit à l’Elysée soit à Bruxelles, je ne crois pas que la guerre interministérielle en dentelles et la paralysie générale qui en découle soient préjudiciables en quoi que ce soit aux intérêts du pays. Comme qui dirait, tant qu’y font rien, font pas de bêtises !
Tous résolument tournés vers l’intérieur
Ils risquent d’autant moins d’en faire que les concurrents (traduisez « alliés ») ou les adversaires de l’UMP, plutôt que profiter de cet encéphalogramme plat ont choisi de ne s’intéresser, eux aussi, qu’à leurs problèmes de boutique. Ainsi Hervé Morin du Nouveau Centre, en pleine alerte rouge aux alertes à la bombe ne pense plus qu’à son destin présidentiel. Ne riez pas, ça prouve au moins que malgré tous ses reniements, il a retenu l’essentiel du corpus théorique bayrouiste.
Le Front national, lui est en pré-campagne, mais c’est uniquement pour sa propre présidence. Remarquez, celle-là, c’est forcément quelqu’un du FN qui la remportera, on se rassure comme on peut.
Quant à la gauche, elle n’en est même pas à s’entredéchirer pour les primaires, mais à s’entredéchirer pour savoir si on va ou non s’entredéchirer aux primaires. Le petit peuple des métallos et des caissières retient son souffle: Moscovici sautera-t-il le pas ? Les nouveaux adhérents pourront-ils prendre part au scrutin ? Anne Sinclair pressera-t-elle son mari de rentrer à Sarcelles?
Toujours à gauche, les petits ne sont pas en reste de miasmes introspectifs : les états d’âme de Besancenot ; l’absence d’états d’âme d’Eva Joly ; la valse hésitation du PC qui n’en finit pas de se demander s’il préfère la valise ou le cercueil, c’est à dire le ralliement à Mélenchon ou bien le suicide assisté par scrutin uninominal. Mouais, à la réflexion, c’est plutôt le choix entre le cercueil et le cercueil…
Bref, le seul grand problème qui intéresse nos politiques, c’est ce qui se passe chez les politiques. Alors que pour les vrais gens, l’angoisse face à l’avenir est devenue la norme, tous les partis sont résolument tournés vers l’intérieur. On ne se donne même plus la peine de ne parler aux Français pour ne rien leur dire. Le politique devient encore plus autocentré que le journalisme. Et ça, c’est grave…
Pas une semaine ne se passe sans qu’un incident, une information, un documentaire ne mette en lumière la progression en France et en Europe d’un islam radical qui semble imposer son emprise à un nombre croissant de musulmans et qui alimente chez les autres peur et suspicion. Cette peur relève-t-elle d’un fantasme islamophobe ou assistons-nous à une régression réelle ?
Le problème de l’islamisme radical est réel : il se manifeste partout dans le monde, donc aussi en Occident, en Europe, en France. Les estimations les plus fiables situent à hauteur de 7% les musulmans qui penchent pour l’islamisme : cela va du sympathisant inactif au militant clandestin qui attend les ordres pour agir au sein de cellules dormantes, sans oublier des financiers, idéologues et entraîneurs militaires. Et 7%, cela fait près de 80 millions dans le monde. Heureusement, ceux qui jouent aux héros sont une infime minorité. Les démocraties doivent se protéger avec les moyens qui sont les leurs, même si nos ennemis jouent sur les failles de nos systèmes. Le cadre juridique reste important même s’il ne faut pas négliger les guerres de l’ombre, policières, militaires, celle des services, celle aussi, très importante aujourd’hui, de l’espace cybernétique.
Justement : Internet permet aujourd’hui aux musulmans d’Europe de vivre à l’heure de leurs pays d’origine où progresse l’islamisme. En somme, comment combattre ici un phénomène qui se déploie dans une grande partie du monde islamique ?
Vous ne voyez pas ce qui s’y passe ! Il faut compter sur les Etats de genèse islamique qui luttent contre le même phénomène, car les islamistes qui visent nos démocraties jugent aussi illégitimes les Etats des sociétés à majorité islamique. En ce moment, ces Etats cherchent à coordonner leur lutte idéologique contre le phénomène islamiste et sa diffusion. De l’Arabie saoudite du roi Abdallah à l’université Al-Azhar du Caire, le sunnisme élabore la doctrine de la wasatiyya, l’« islam du juste milieu », pour contrer son interprétation radicale. J’ai rencontré, au printemps, le nouveau grand cheikh d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb : francophone et francophile, il est aussi en lien avec le soufisme, avec l’islam intérieur et spirituel, et il a traduit en arabe un des livres que Michel Chodkiewicz a consacré à Ibn’Arabî. Lors de cet entretien, il m’a confirmé qu’il avait une stratégie pour lutter contre la vision qui réduit l’islam à la guerre de tous contre tous. Il veut réintroduire la complexité dans l’édifice théologique pour y amener la discussion, la controverse, la disputation, qui aménage une place au débat d’idées et à la pluralité des points de vue.[access capability= »lire_inedits »]
Excellente nouvelle, mais les porteurs de cet « islam du juste milieu » dont on ne voit guère de manifestations sont-ils des intellectuels isolés ou sont-ils en prise avec les sociétés ?
Cette version « modérée » de l’islam correspond à la phase actuelle qui est, trans-historiquement, contemporaine du phénomène que décrit Hobbes pour l’Europe du XVIIe siècle qui vient de sortir de la terrible épreuve de la guerre des religions. Le prince neutralise le pontife, et c’est sa religion qui devient celle du sujet. Maintenant, c’est à nous, les intellectuels, d’élaborer le prolongement théorique de Hobbes. Nous devons détacher conceptuellement la religion de la politique et du juridique, vider le théologico-politique de son énergie, comme le fit Hobbes pour le christianisme. Or le théologico-politique continue d’être au centre, même chez ceux qui prônent ladite wasatiyya. Avons-nous les moyens de passer du « jugement de Dieu » au jugement des hommes ? Telle est la question. Elle est destinale pour l’islam et elle est l’horizon du penseur critique. C’est la tâche de l’heure. Et elle se mène en ce moment en arabe, en persan, en turc, mais aussi en anglais, allemand, français.
Vous parlez d’islamistes assumés et organisés, politiquement ou militairement, et d’enjeux géopolitiques, mais qu’en est-il de la « rue musulmane », de « l’islam de France et de Papa » ? Dans La Maladie de l’islam, vous diagnostiquiez une islamisation diffuse. La distinction entre islam et islamisme à laquelle nous tenons tant, et à raison, est-elle en train de s’effacer dans les faits ? Autrement dit, assistons-nous à une « islamisation de l’islam » ?
La véritable maladie est bien cet islamisme diffus qui contamine le sens commun islamique et fait des ravages. Son succès doit beaucoup aux télévisions satellitaires, et pas seulement à celles qui se présentent franchement comme propagatrices d’un message religieux. L’islamisme diffus est très présent, par exemple, sur Al-Jazira : il fournit la substance de l’identité polémique qui se veut alternative par rapport à l’identité hégémonique de l’Occident. Son message s’introduit dans les consciences au nom de la différence qui est au centre du multiculturalisme. Le concept de différence est ainsi perverti car il n’est pas intégré dans une dialectique qui permette de penser ensemble le même et le différent − il y a du même dans le différent et du différent dans le même, ce qui nous invite à guetter le ressemblant dans le dissemblable. C’est par cette dialectique que j’appréhende l’islam, en particulier par rapport au christianisme et au judaïsme. Et c’est ainsi qu’on peut limiter les dégâts causés par l’islamisme diffus. On parle beaucoup de la « globalisation ». Qu’est-ce que la globalisation ? Ce n’est pas quelque chose d’abstrait : pour moi, c’est tout simplement la civilisation. Et cette civilisation a été mondialisée par le vecteur de la latinisation. L’entrée de l’islam dans la mondialisation, c’est-à-dire dans la civilisation, exige de tester ce qui, dans les lettres arabes, rejoint les lettres latines, ce qui est identique dans leur différence et ce qui est ressemblant dans leur dissemblance manifeste.
On invoque souvent, pour expliquer cette islamisation diffuse, les discriminations et les difficultés sociales. L’islam est-il une identité de substitution pour ceux qui ne trouvent pas leur place dans la République ?
L’islam est une question qui se pose à la République depuis la conquête de l’Algérie en 1830 : il suffit de revenir aux rapports que Tocqueville consacra à ce territoire. Il dénonçait le fait que l’administration française s’appuyait sur des autorités religieuses locales ignorantes mais dociles, cela par facilité, alors que la tâche était de restaurer la grande tradition théologique et de promouvoir la pédagogie qui adapterait à l’esprit du droit positif la complexité traditionnelle. Tocqueville estimait que ce qui se pratiquait alors finirait nécessairement par produire un fanatisme qui se retournerait contre la République. Nous y sommes.
Derrière l’accusation d’islamophobie, il y a l’idée qu’on dénigre une croyance. Mais est-ce avec une religion ou avec une culture que nous avons des difficultés ?
Le grand problème, c’est que l’émigration d’origine islamique s’est faite à partir de campagnes, donc à partir de structures anthropologiques plus en rapport avec l’espace coutumier patriarcal, moins touchées par le processus de modernisation. Le message islamiste s’articule à cette dominance patriarcale, c’est la raison pour laquelle la différence religieuse s’exprime dans le choc culturel : au moment où nos sociétés reconnaissent et vivent l’égalité des sexes et des genres, au moment où elle acceptent l’homosexualité comme une identité parmi d’autres, au moment où se développent le PACS, le mariage homosexuel, la légitimité de l’adoption dans ces structures, alors la structure patriarcale réagit et le fait sous la bannière de l’islam.
Au-delà des relations entre hommes et femmes, on assiste à un retournement qui voit le groupe peser de façon de plus en plus contraignante sur les individus. Dans ces conditions, vous réjouissez-vous, comme beaucoup de médias en France, de la progression de la pratique du ramadan chez nos concitoyens musulmans ?
Le phénomène cultuel ne me gêne pas si ceux qui s’y adonnent respectent les règles de la loi positive, qui constituent la table commune autour de quoi s’élabore le pacte de la citoyenneté. Mais dès que le culte se fait prescriptif, agressif, militant, dès qu’il porte atteinte à la liberté du sujet, là je m’insurge. Tant que les jeûneurs acceptent que je déjeune, rien ne me trouble, même si, personnellement, je vis ce retour à la pratique religieuse (dans toutes les croyances) comme une régression.
Mais c’est précisément l’intolérance à ce qui n’est pas lui ou avec ce qui le met en cause qui se manifeste souvent dans l’islam concret. De Salman Rushdie à l’affaire des « caricatures de Mahomet », toute critique est vécue comme une agression et suscite en réplique des menaces, tentatives d’intimidation voire une violence qui n’est pas que verbale. Devrions-nous, dans un souci d’apaisement, cesser d’en parler ?
Ce n’est pas à nous de nous plier à l’islam, à ses tabous et à ses interdits, c’est à l’islam de s’adapter à la liberté qui peut blesser, qui peut choquer. L’islam sera obligé de s’y faire. Les affaires de Rushdie, de la conférence papale à Ratisbonne, des caricatures danoises constituent une forme d’initiation de l’islam à la liberté : ce sont des expériences qui, objectivement, participent à sa sécularisation. Nous devons surtout résister au lobbying que mène à l’ONU l’Organisation de la Conférence islamique pour imposer une loi sur le respect des croyances, autrement dit pour interdire le blasphème. Voter des textes de ce genre reviendrait à faire triompher les tabous et à renforcer les domaines de l’impensé et de l’impensable.
Vous êtes en France l’un des rares intellectuels musulmans à pouvoir vous prévaloir d’une légitimité intellectuelle et théologique tout en menant une critique très dure. Etes-vous menacé ?
Pour l’instant, je ne subis pas de menaces. Mais toutes les conditions sont réunies pour que ces menaces apparaissent. Il faut dire que beaucoup de musulmans, ici en France comme dans les pays arabes et jusqu’en Arabie, se manifestent pour me remercier d’oser dire crûment ce qu’ils pensent et n’osent pas dire. Peut-être ma parole critique est-elle intimidante car elle est émise à partir du savoir et de l’amour du sujet. Par ma critique, je cherche à donner à l’islam les moyens de sa modernité, c’est-à-dire du dépassement de ses archaïsmes. Je mets ma maîtrise occidentale au service de la matière islamique et je montre que cette matière est assez ductile pour s’adapter au siècle, c’est-à-dire à la civilisation. C’est notamment ce que j’ai essayé de faire dans mon dernier essai, Pari de civilisation.
Alors que la burqa concerne, dans les faits, une ultra-minorité, la loi qui l’interdit a été considérée par beaucoup de musulmans comme stigmatisante. Vous, vous avez approuvé ce texte…
J’ai donné ma position dans la déposition auprès de la commission parlementaire et dans une libre opinion parue dans Le Monde du 28-29 décembre 2009. Que je sois contre la burqa peut ne pas compter. Mais ce qui compte, c’est la position d’Al-Azhar et de son cheikh cité plus haut. Eh bien, l’institution sunnite la plus influente y est, elle aussi, opposée : elle rappelle que la burqa appartient plus à la coutume patriarcale qu’aux normes islamiques et invite les musulmans de France à s’adapter aux normes culturelles de leur pays d’accueil. De plus, cet été, l’Etat syrien a tenu à rappeler explicitement sa genèse laïque et, pour ce faire, il a mené campagne contre la burqa et renvoyé autoritairement dans leurs foyers plus de deux mille enseignantes qui portaient le voile intégral. Ceux qui affirment que la loi stigmatise sont ceux qui jouent sur nos faiblesses et développent une stratégie de grignotage en se glissant dans les failles de la démocratie. Ne cédons pas à ce processus de culpabilisation.
La République a connu un affrontement très dur avec l’Eglise. Faut-il, pour faire naître ce fameux « islam de France », en passer par un nouvel affrontement républicain ?
Oui. C’est dans l’épreuve de la liberté (comme avec Rushdie, Benoît XVI ou les caricatures de Copenhague) que l’islam se sécularisera. C’est en se heurtant à la République qu’il deviendra républicain.
Erudit, savant et poète, Abdelwahab Meddeb est professeur à Paris X et producteur de l’émission « Cultures d’islam » sur France Culture. Parmi ses ouvrages, signalons La Maladie de l’islam (Seuil, 2002), Sortir de la malédiction, essai (Seuil 2008) et Pari de civilisation (Seuil, 2009). Il codirige avec Benjamin Stora L’Histoire des relations entre juifs et musulmans du Coran à nos jours qui paraîtra en 2012 aux éditions Albin Michel.
Au sommaire du prochain numéro de Causeur, on vous l’a déjà dit, un dossier sur « L’Europe, fille ainée de l’Islam » qui vaudra le voyage. Ce qu’on ne vous a pas dit, en revanche, c’est que les non-abonnés, ou ceux dont l’abonnement est parvenu à échéance, pourront recevoir chez eux ce numéro 28. Par quel miracle. Eh bien en s’abonnant ou en se réabonnant dans les plus bref délais ! Magique non ?
Arnaud Montebourg, membre du Parti Socialiste, député de Saône-et-Loire, et avocat de profession, se passionne depuis toujours pour la télévision. On imagine aisément la jeunesse nivernaise de notre Saint Just joufflu, au regard enjôleur, fasciné par le poste de télévision familial ; vraisemblablement un imposant Ducretet Thomson en bois, ou un grésillant Radiola en bakélite blanche, renvoyant les images glorieuses d’une ORTF finissante, entre « Bonne nuit les petits », « Vidocq » et les aventures de Georges Pompidou.
« C’est le moment de taper sur TF1 ! »
Ce lourd héritage de passion cathodique semble littéralement déborder Arnaud. Dernier exemple en date : le secrétaire national du Parti socialiste à la « Rénovation », aliboron rocambolesque, a dit publiquement dans un langage confondant de brutalité tout le mal qu’il pensait de la chaîne de télévision détenue par le groupe Bouygues, TF1. La séquence vidéo qui est à l’origine de ce « buzz » montre Arnaud Montebourg s’exprimer en « off », juste avant que le documentariste Pierre Carles ne commence à l’interroger pour son film Fin de concession. Plus satisfait qu’Artaban, avec une cravate, et un micro-cravate, le député gourmand se livre au journaliste sur le ton soyeux de la confidence : « C’est le moment de taper sur TF1, c’est pour ça que je vais vous donner un coup de main ! » Lorsque Carles interroge Montebourg sur un éventuel conflit ancré de longue date entre sa personne et la chaîne privée, l’élu-brimborion pérore : « Non, c’est la télévision de la droite, c’est tout. C’est la télévision des idées qui détruisent la France, la télévision de l’individualisme, la télévision du fric, la télévision du matraquage sur l’insécurité. » Brrrr… L’individualisme bourgeois. L’argent sale de la finance. L’ignoble gouvernement policier des corps et des esprits. « TF1 ! TF Haine ! » (Entendre : TF1 / T-FN !), hurlaient en chœur les valeureux combattants antiracistes de l’entre-deux-tour des élections présidentielles de 2002, lorsqu’ils prétendirent comiquement imputer aux journaux d’une seule et unique chaîne de télévision privée, le vote nationaliste d’un quart du pays.
Certainement fort heureux de son effet, le délectable Arnaud Montebourg a reçu un courrier recommandé de la part de la direction de TF1, demandant explicitement des excuses au député de Saône-et-Loire. Mais l’impétrant socialiste au regard qui pense s’est cru obligé – à son tour – de demander des comptes à la chaîne qu’il avait initialement insultée, sans évidemment répondre de ses insultantes avanies… Ecrivant à Nonce Paolini, Pdg de TF1, Montebourg demande – sans coup férir – que la première chaîne française formule d’improbables « excuses » aux Français. Arnaud tonne : « Les rapports de proximité politique entre les orientations éditoriales de TF1 et le pouvoir actuel posent le problème dans une démocratie comme la nôtre ! » Car, oui, Arnaud se méfie comme de la peste de la télévision privée, au moins depuis qu’il a de la barbe au menton. Avocat de l’association de téléspectateurs « TV Carton Jaune », il s’est érigé – dès les années 90 – en pourfendeur de la chaîne privée, coupable de plusieurs « bidonnages » regrettables, dont la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre-d’Arvor. Pas touche au Lider Maximo ! En 1996, fidèle à ses obsessions, Montebourg fonde une nouvelle association… « Changer la Une », qui milite contre la reconduction de l’autorisation accordée à Bouygues par le CSA, pour exploiter la première chaîne. À l’époque la presse se frotte les mains : l’AFP parle du « combat » de la petite association, Les Echos d’une « bataille », et La Tribune d’une « croisade » contre TF1. Mais les effets de manche, tout autant que les cris d’orfraie sont vains : Bouygues garde la main la « Une » privatisée en 1987, et peut continuer à développer sa petite fabrique d’images populaires.
Mitterrand, parrain de la télé privée
Demeure l’acharnement, singulièrement amusant de la part d’Arnaud Montebourg, socialiste éclairé, qui a vécu sa maturation intellectuelle dans l’horizon des années Mitterrand… et qui n’a pas pu louper qu’à partir du début des années 1980 le paysage audiovisuel français avait sacrément changé. Arnaud, sans l’ombre d’un doute, a saisi que François Mitterrand avait littéralement poussé au cul un projet télévisuel outrageusement privé, porté par Publicis et la Compagnie Générale des Eaux (ex-Vivendi), brillamment baptisé Canal +. Une chaîne à la tête de laquelle il a placé un ami intime, et fidèle compagnon politique de plusieurs décennies, André Rousselet. Ce même François Mitterrand, à qui nous devons la promesse de campagne électorale de l’ouverture de la bande hertzienne, et sa libéralisation effective… ayant permis la naissance et le développement de puissants groupes privés comme NRJ.
Cet incontournable François Mitterrand, à l’ombre duquel Arnaud Montebourg a appris à penser dans la doctrine socialiste la plus stricte et intransigeante, a également contribué au lancement des cinquième et sixième canaux télévisés français. La « Cinq » de Berlusconi (1986-1992), première chaîne de télévision hexagonale généraliste commerciale privée à avoir obtenu son autorisation, n’était assurément pas un modèle de vertu. M6, chaîne privée née au même moment, n’est pas particulièrement connue pour sa contribution au débat public. Et pas un mot de l’avocat glorieux, défenseur nivernais flamboyant de la veuve, de l’orphelin et du
Mais Montebourg se fiche que la radio-poubelle et la télé-poubelle jaillissent de partout… et d’abord du dispositif médiatique mis en place par la gauche dans les années 1980. Non, ce qui lui semble urgent et prioritaire, c’est de se concentrer sur la pénible chaîne de télévision du groupe Bouygues ! Comme il a raison, Arnaud Montebourg, de mobiliser contre TF1 sa virtuose pugnacité !
Ma main est au feu – et Pierre Carles sera encore vraisemblablement là pour filmer en faux « off » complice : dans quelques années nous regretterons sans doute un diffuseur qui, en 1987, promettait fièrement le « mieux-disant culturel ». Oui, TF1. 1987. Une éternité. Ne vaut-il mieux pas une promesse non tenue, que pas de promesse du tout ?
Série en passe de devenir mythique, raflant toutes les récompenses, Mad Men réconcilie le zappeur contemporain avec un certain classicisme formel. Mais, au fond, comment la vie d’une agence de pub dans le New York des années 1960 arrive-t-elle à intéresser à ce point les téléspectateurs et critiques du monde entier ?
C’est tout d’abord que Mad Men redonne à voir un monde perdu. Celui des Trente Glorieuses, quand l’économie servait l’idée de progrès et réciproquement. Mais ce n’est là qu’un cadre général de l’action de la série. Les personnages – attachants cyniques, faibles, avec des dents qui rayent le parquet, avec des fêlures aussi – évoluent dans un monde moral aujourd’hui devenu impensable, où il est valorisant de picoler et fumer en permanence au bureau, coucher avec les secrétaires sans prendre de procès pour harcèlement, tromper son conjoint sans trop de remords, abandonner un enfant illégitime à une nourrice pour privilégier une carrière… Le succès de Mad Men tient sans doute à ce vent de liberté perdue que l’on sent souffler contre nos joues rosies de métrosexuels trop sages.
Cependant Mad Men ne brosse pas un portrait complaisant de cet Ancien régime patriarcal où les « comportements à risque » étaient socialement acceptés. Les individus qui peuplent ce monde apparemment libre y sont engoncés dans les codes sociaux, dans l’obligation de « donner le change », dans les mariages ratés… Ils se débattent, dissimulent, se mentent, trichent avec des modèles conformistes d’une époque finissante dont on sait qu’elle volera en éclat avec les beatniks, la contestation des campus, l’année 68…
Les années fumeuses, buveuses et baiseuses
Dès lors intervient peut-être une seconde raison du succès de Mad Men : l’autosatisfaction. En contemplant ces années 1960 américaines misogynes, ségrégationnistes (seuls les noirs servent des sandwichs dans les étages de bureaux), fumeuses, buveuses et baiseuses, le téléspectateur conformément moderne aime à se comparer et à se dire « comme c’est mieux maintenant ! » les bureaux, bars et chambres d’hôtel ne sentent plus la clope, les minorités ont des droits, les femmes ne se laissent plus faire, les blancs hétéros n’ont plus le pouvoir symbolique, et on met des capotes…
Esthétiquement parlant, enfin, Mad Men est une série qui s’inscrit dans l’engouement actuel pour le Vintage. Les actifs tertiaires d’aujourd’hui, ceux qui, il y a 10 ans, se rendaient à leur start-up en roller en sirotant leur jus de goyave bio et en rêvant de Kate Moss, retrouvent, par procuration, l’attrait des costumes sombres, de la gomina et des cravates fines, des Lucky Strike au coin de la bouche, du gros whisky qui tâche, et des formes abondantes de la secrétaire faussement prude.
Dès lors, Mad Men reflète-t-il une nostalgie durable pour un monde qui assumait et contrôlait les parts maudites de l’homme occidental ? Ou un simple engouement passager pour un design et quelques valeurs old school ?
Don Draper, le personnage principal, reprend un petit verre avant de répondre.
N’ayant pas été voir l’expo de Larry Clarke (et pour cause, elle ne sera ouverte au public que le 8 octobre), je ne sais si ses photos olé-olé de très jeunes gens méritaient qu’on interdise l’entrée du Musée d’art moderne de la ville de Paris au moins de dix-huit ans. Cela ne m’empêchera pas, néanmoins, d’être un rien sceptique face aux accusations de censure lancées à cette occasion par les élus Verts au Conseil de Paris.
Sans même avoir eu sous les yeux les pièces du dossier, j’ai du mal à prendre au sérieux ce procès en pudibonderie instruit contre Bertrand Delanoë et son adjoint à la culture Christophe Girard. Et pourquoi pas les accuser d’homophobie, pendant qu’on y est ?
Il n’a échappé à personne que l’Allemagne fêtait ce dimanche les vingt ans de sa réunification, c’est-à-dire du rattachement de la République Démocratique Allemande à sa voisine, la République Fédérale (Allemande, elle aussi). Les commentateurs n’ont pas manqué d’épiloguer sur le coût de l’opération – forcément kolossal – et sur sa signification historique : la fin de la guerre froide. Mais curieusement, ils n’ont pas relevé que ce dimanche, l’Allemagne soldait également une autre guerre, et dans la plus grande discrétion : celle de 14-18.
Fidèle à sa signature, la République a en effet procédé au remboursement de la dernière tranche des emprunts émis par l’Allemagne de Weimar entre 1924 et 1930, afin de financer le paiement des « dommages de guerre » infligés par le Traité de Versailles. Ces versements, on s’en souvient, avaient contribué à déstabiliser le régime post-impérial et facilité l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir. L’événement, mineur en soit, puisqu’il portait sur un reliquat de quelques millions d’euros, laisse cependant songeur.
D’une part, parce que pour des générations d’étudiants français, le slogan « L’Allemagne paiera! » a longtemps constitué l’archétype d’une diplomatie irréaliste; or l’Allemagne, au bout du compte, a payé jusqu’au dernier Mark-or de ce qu’elle devait aux « marchés ».
D’autre part, parce que l’on pouvait à bon droit croire que les conséquences cataclysmiques de ces « réparations » (Troisième Reich, guerre planétaire, Shoah…) avaient rendu irrecevable toute réclamation des débiteurs, Anglo-Saxons pour l’essentiel, une fois la paix revenue; or, pas du tout : ces derniers ont bel et bien fini par obtenir gain de cause. Près d’un siècle après.
Avec Time to turn, François Taillandier pose les dernières pierres énigmatiques de La Grande Intrigue, sa virtuose suite romanesque en cinq tomes. Les deux récits principaux de Time to turn racontent deux histoires d’amour. La première, celle de Nicolas Rubien et Anne-Lise, est empreinte de fatigue, de lassitude et de tristesse. La seconde, descendant d’une génération, est celle qui unit Greg, le fils de Nicolas, et Clara, ancienne disciple du prophète Charlemagne. Celle-là est, en revanche, proprement désastreuse. Ces deux amours douloureuses, poursuivies par « les rires de l’homme en noir », inspirent à François Taillandier des réflexions très sombres sur la passion amoureuse. Il semble pencher du côté de l’hypothèse romantique, qui veut voir dans l’agression, la destruction de soi et de l’autre, la vérité de la passion amoureuse. Eloge de l’amour d’Alain Badiou est, je crois, plus proche de la vérité en pensant l’amour comme un désastre créateur de monde. « Le sentiment de s’être trouvés, d’être opposants au même monde, compta beaucoup dans leur amour. » Cette dimension de construction de monde, et même d’un « contre-monde », est évoquée à propos de Clara et Greg, mais ne parvient pas à prendre corps dans le temps. A la joie exigeante et lumineuse de la « fidélité à l’événement », Clara et Greg préfèrent malgré tout le turn. Leur hostilité à notre monde ne les conduit pas à se détourner en acte du turn.
Anticipation du pire
La plus grande partie de Time to turn a lieu en 2010. Pourtant, le roman évoque plutôt un voyage en 2020, l’exploration – d’autant plus angoissante qu’elle semble horriblement plausible – d’une version aggravée et encore plus irrespirable de notre monde. Time to turn est un roman d’anticipation du pire. Ce pire apparaît d’abord sous la forme d’une publicité d’origine inconnue, une sorte de slogan métaphysique qui envahit infernalement tous les espaces publics et qui surgit de manière aléatoire sur les écrans d’ordinateur : « Time to turn ! ». Ce mystérieux mot d’ordre persécuteur révèle, derrière la métaphysique des « pragmas », un « fascisme » du changement, un fanatisme du devenir. « On aurait dit qu’on cherchait à fragiliser les ultimes repères qui pouvaient aider un être humain à savoir qui il était, et où il était. […] C’était un mot d’ordre à devenir fou. » A travers lui, le Capital ordonne désormais à ses victimes consentantes : « Déracine-toi toi-même ! »
L’une des inventions les plus terribles et les plus profondes de Time to turn est la division de la société en trois catégories sommaires, hermétiquement séparées les unes des autres : les « illus », les « pragmas » et les « intellos ». « Du côté des illus et des intellos, le turn passa moins bien. Les illus se méfiaient de ce qui leur apparaissait comme un mot d’ordre antireligieux – ou plutôt une invention concurrentielle destinée à prendre des parts de marché à la spiritualité. » Ce nouveau monde se caractérise donc par l’effondrement simultané du sens critique et de la foi authentiques. Le triomphe de la mentalité pragma frappe toutes les classes sociales : « Entre le pragma de base et le pragma de luxe, le pragma précaire et le pragma blindé, […] on aurait vainement cherché une différence de conception du monde. » Quant aux « illus », ils confondent la foi avec l’hystérie de masse, « l’autisme communautaire et fusionnel ». Leurs conversions, appelées désormais « turn illu », s’apparentent à des « virages brutaux, rapides, et comme hébétés ».
Il est un turn pour rire et un turn pour pleurer
L’un des tours de force de Time to turn est de dévoiler, derrière la haine entre « pragmas » et « illus », leur absolue complicité métaphysique. « Pragmas » et « illus » sont les deux faces d’un seul et même enfer : « Le goût du politique décroissait chez les illuminés comme chez les pragmatiques. […] Un trait commun aux immenses masses de pragmas et aux masses un peu moins immenses, mais visibles, d’illus, était leur abandon des formes élaborées du langage. […] Le rapport au langage est un rapport au temps ; or les pragmas vivaient dans le temps immédiat de l’acte concret, de la transaction, de la consommation, et les illus dans une projection d’éternité qui se passait de toute histoire, donc de toute durée réelle, donc de tout langage. […] Les concepts ne servaient plus à abstraire et à généraliser, mais à donner substance et passion au groupe, à l’entre-soi. »
Cependant, Time to turn est loin de se résumer à la seule lutte des « pragmas » et des « illus ». Dans ce roman foisonnant d’intuitions très vives, nous rencontrons également de surprenantes méditations sur le Vatican compris comme situationnisme, sur le Syllabus, sur Dan Muzo (dont Taillandier livre une parodie hilarante), sur la crémation, sur les maisons de famille et le « capital background », ainsi que la description bouleversante de la crise de larmes d’une femme « pragma ». Enfin, derrière le turn idéologique se cache un autre turn, infiniment plus précieux, que nous pourrions baptiser le turn narratif. Et Time to turn est peut-être et avant tout l’exploration du mystère de ce turn-là : « Ce turn qui est déjà là, toujours déjà là, dans l’unité composite du fait et du sens qu’on lui donne. » Car il est un turn pour rire et un turn pour pleurer. Un turn qui abolit le sens et un turn qui lui donne naissance.
À présent, La Grande Intrigue peut commencer.
Voilà : les primaires ouvertes et populaires à gauche ont l’air sacrément mal barrées. Autant dire qu’il faut presque faire une croix dessus. La faute à Claude Bartolone, fabiusien, député-président du conseil général de Seine-Saint-Denis qui, fin septembre, a lâché, l’air de rien, à la presse que Martine Aubry et DSK passeraient un accord pour éviter de se déchirer devant les militants. Et que la primaire serait de « ratification ». Tollé dans les rangs des putatifs petits candidats à l’affrontement à gauche (de Valls à Hollande en passant par Moscovici), recadrage de Martine Aubry qui assure que les primaires auront lieu et qu’elles seront transparentes avec « des candidats de qualité ». Mais dans le fond, personne n’y croit tellement. Parce qu’à gauche, tout le monde sait que ces primaires populaires, transparentes, ouvertes à l’ensemble des partis de gauche ne sont pas forcément une excellente idée. Et que le montage sorti des cerveaux d’Arnaud Montebourg, qu’on a chargé de la rénovation du parti, et d’Olivier Ferrand, le patron du think tank Terra Nova, ne tient pas la route une seconde.
[access capability= »lire_inedits »]D’abord, regardons froidement les autres pays où l’on a testé les primaires dites « ouvertes », c’est-à-dire lors desquelles n’importe qui peut voter, adhérent ou non du parti. Les deux seuls exemples européens qui sont allés au bout du processus − Italie et Grèce − sont disséqués en permanence à Solferino, entre spécialistes. On retourne les modes d’organisation de l’affaire, on regarde comment les partis se sont entendus pour arriver unis, on se demande comment faire voter un maximum de gens en un minimum de temps pour un coût réduit. Mais dans les réunions, il y a toujours un moment où quelqu’un fait remarquer que, dans ces deux pays, en dépit d’une stratégie sans faille, la gauche a fini par se faire étaler à la fin. « Autant dire qu’à chaque fois, on se dit qu’on est mal barré, et ces réunions se terminent dans un désespoir assez grand », remarque un participant. C’est juste que mettre autant de pognon et d’énergie à créer une machine à perdre dénote pour le moins une volonté de pouvoir discutable. En général, il se trouve alors quelqu’un d’autre pour faire croire que le modèle, c’est la victoire de Barack Obama aux Etats-Unis. Mais là non plus, l’argument ne résiste guère à l’analyse : systèmes politiques tellement différents, bipartisme, élection indirecte. On va arrêter là le bréviaire de science politique pour les nuls.
L’argument principal est de circonstance : le Président de la République est au plus bas, la droite semble en apparence s’enfoncer dans un chaos sans nom. Les chances de l’opposition de pouvoir enfin emporter une élection de Ligue 1 ont l’air un peu sérieuses. Et subitement, alors que le jeu s’ouvre, les petits partis sont censés sacrifier leurs ambitions présidentielles (en français, leur chance de faire 5% et d’exister au niveau national pour le quinquennat à venir) pour se ranger, dès l’automne 2011, derrière le champion du PS ? Difficile à croire. D’ailleurs, tout le monde sait que les négociations n’ont pas vraiment commencé. Mélenchon veut y aller, vu qu’il a neutralisé Besancenot et le PCF en même temps. Eva Joly se voit en grande épuratrice de la nation française, coupable, forcément coupable. Et les autres, j’imagine, ne vont pas se priver des temps de parole officiels et des invitations sur les plateaux télé une fois les signatures réunies. Alors, si les primaires sont ouvertes aux seuls députés PS pleins d’ambition, le sujet va un peu manquer d’ampleur − et le PS de voix au premier tour…
A-t-on vraiment besoin de démocratie dans un parti ?
Au sein même du PS, on ricane de cette invention : « Les primaires, c’est juste fait pour faire plaisir à Montebourg, dit un député socialiste. Or tout le monde sait qu’il ne représente rien, si ce n’est qu’il a vaguement aidé à élire Aubry. » Et on se demande si ce n’est pas la remise en route de la machine à perdre : cinq mois de chouettes débats internes, de querelles d’Allemands sur les nuances de projets entre François Hollande ou Manuel Valls. Alors que, pendant ce temps, Sarkozy, si c’est lui, foncera déjà tête baissée sur la voie du deuxième mandat.
Et dans le fond, qu’il y aurait-il de scandaleux à ce que les socialistes s’entendent entre eux pour présenter un candidat à la primaire dite « de ratification » ? Faut gagner ou pas ? A-t-on vraiment besoin de démocratie dans un parti ?
On va laisser aux socialistes le temps de trouver les arguments pour nous expliquer qu’en fait, après réflexion, ils vont laisser tomber leur chouette projet. Il faudra faire le gros dos le temps que les commentateurs politiques passent à un autre sujet. Mais ils devraient savoir faire. Surtout si la primaire de confirmation fait sortir DSK de l’urne. Le chouchou de la presse, le candidat favori des journaux de gauche n’aura qu’un geste à faire pour que personne ne lui en tienne rigueur. Au moins dans les éditos. À toutes fins utiles, je rappelle qu’il y a des électeurs, des vrais, à convaincre pour la présidentielle.[/access]
L’Europe de l’antiterrorisme peine à exister. Alors qu’hier le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière déclarait qu’il n’y avait aucune raison d’être alarmiste, en l’absence « d’indications concrètes d’attentats imminents », et qu’en France, on a définitivement abandonné la piste de la mystérieuse kamikaze islamiste, Londres redouble ses avertissements quant aux risques terroristes encourus par la France et l’Allemagne. Cette alerte serait motivée par des renseignements précis en provenance des services secrets pakistanais.
Et c’est vrai qu’en matière de terrorisme, les services pakistanais s’y connaissent. On les a notamment désignés comme ayant téléguidé les commandos de tueurs djihadistes qui on fait 166 morts en novembre 2008 à Bombay, et on ne vous parle même pas de l’attentat de 2002 à Karachi…
Je ne sais plus bien quand on a annoncé l’imminence d’un remaniement, mais j’ai l’impression que c’était il y a des lustres. Je suis certain d’en avoir entendu parler tout l’été, à moins que ce soit dès l’été dernier, ou alors le précédent. Seule certitude, il a du être annoncé après la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Quoique…
D’un côté, je comprends. On doit pas rigoler tous les jours à l’Elysée (surtout les soirs où Carla invite Pierre Arditi ou Calogéro à diner). Et c’est clair que depuis le renoncement au dogme de l’infaillibilité fillonnesque, la vie du président est devenue plus gaie : pas un jour sans qu’un éventuel premier ministre tire le tapis ou glisse une peau de banane sous les pieds d’un concurrent. Le 9 septembre, MAM déclare à Valeurs Actuelles : « Je suis disponible » Bing boum, trois jours plus tard, Brice Hortefeux découvre opportunément qu’un membre de son cabinet était pigiste undercover au Monde. Et il suffit que Copé rentre dans le rang des enfants sages de l’UMP pour qu’aussitôt un scud tiré par Martin Hirsch (mais téléguidé par qui ?) calme ses ambitions. Quant à ceux qui n’ont pas eu leur ration d’échos du Canard, il se croient tous obligés, histoire de ne pas être virés de la short list de Matignon, de s’afficher encore plus sarkozystes que Sarkozy et même qu’Hortefeux. Cela vaut pour le petit Baroin, mais aussi pour Borloo qui crie victoire à chaque fois que le président réduit à néant une de ses lois-fétiches. Oui, depuis qu’il a décidé de remanier, Nicolas rigole, ça le change des sondages : même ceux d’Opinion Way pour le Figaro sont mauvais !
Très sincèrement, moi aussi ce pantomime m’amuse, ce n’est pas tous les jours qu’un feuilleton made in France mérite la moyenne. Je crois que je rirais moins si j’étais, comme certains, électeur de l’UMP, ou si je croyais, comme la plupart de mes concitoyens, qu’un gouvernement a vocation à gouverner. Comme je pense que les vraies décisions se prennent soit à l’Elysée soit à Bruxelles, je ne crois pas que la guerre interministérielle en dentelles et la paralysie générale qui en découle soient préjudiciables en quoi que ce soit aux intérêts du pays. Comme qui dirait, tant qu’y font rien, font pas de bêtises !
Tous résolument tournés vers l’intérieur
Ils risquent d’autant moins d’en faire que les concurrents (traduisez « alliés ») ou les adversaires de l’UMP, plutôt que profiter de cet encéphalogramme plat ont choisi de ne s’intéresser, eux aussi, qu’à leurs problèmes de boutique. Ainsi Hervé Morin du Nouveau Centre, en pleine alerte rouge aux alertes à la bombe ne pense plus qu’à son destin présidentiel. Ne riez pas, ça prouve au moins que malgré tous ses reniements, il a retenu l’essentiel du corpus théorique bayrouiste.
Le Front national, lui est en pré-campagne, mais c’est uniquement pour sa propre présidence. Remarquez, celle-là, c’est forcément quelqu’un du FN qui la remportera, on se rassure comme on peut.
Quant à la gauche, elle n’en est même pas à s’entredéchirer pour les primaires, mais à s’entredéchirer pour savoir si on va ou non s’entredéchirer aux primaires. Le petit peuple des métallos et des caissières retient son souffle: Moscovici sautera-t-il le pas ? Les nouveaux adhérents pourront-ils prendre part au scrutin ? Anne Sinclair pressera-t-elle son mari de rentrer à Sarcelles?
Toujours à gauche, les petits ne sont pas en reste de miasmes introspectifs : les états d’âme de Besancenot ; l’absence d’états d’âme d’Eva Joly ; la valse hésitation du PC qui n’en finit pas de se demander s’il préfère la valise ou le cercueil, c’est à dire le ralliement à Mélenchon ou bien le suicide assisté par scrutin uninominal. Mouais, à la réflexion, c’est plutôt le choix entre le cercueil et le cercueil…
Bref, le seul grand problème qui intéresse nos politiques, c’est ce qui se passe chez les politiques. Alors que pour les vrais gens, l’angoisse face à l’avenir est devenue la norme, tous les partis sont résolument tournés vers l’intérieur. On ne se donne même plus la peine de ne parler aux Français pour ne rien leur dire. Le politique devient encore plus autocentré que le journalisme. Et ça, c’est grave…
Pas une semaine ne se passe sans qu’un incident, une information, un documentaire ne mette en lumière la progression en France et en Europe d’un islam radical qui semble imposer son emprise à un nombre croissant de musulmans et qui alimente chez les autres peur et suspicion. Cette peur relève-t-elle d’un fantasme islamophobe ou assistons-nous à une régression réelle ?
Le problème de l’islamisme radical est réel : il se manifeste partout dans le monde, donc aussi en Occident, en Europe, en France. Les estimations les plus fiables situent à hauteur de 7% les musulmans qui penchent pour l’islamisme : cela va du sympathisant inactif au militant clandestin qui attend les ordres pour agir au sein de cellules dormantes, sans oublier des financiers, idéologues et entraîneurs militaires. Et 7%, cela fait près de 80 millions dans le monde. Heureusement, ceux qui jouent aux héros sont une infime minorité. Les démocraties doivent se protéger avec les moyens qui sont les leurs, même si nos ennemis jouent sur les failles de nos systèmes. Le cadre juridique reste important même s’il ne faut pas négliger les guerres de l’ombre, policières, militaires, celle des services, celle aussi, très importante aujourd’hui, de l’espace cybernétique.
Justement : Internet permet aujourd’hui aux musulmans d’Europe de vivre à l’heure de leurs pays d’origine où progresse l’islamisme. En somme, comment combattre ici un phénomène qui se déploie dans une grande partie du monde islamique ?
Vous ne voyez pas ce qui s’y passe ! Il faut compter sur les Etats de genèse islamique qui luttent contre le même phénomène, car les islamistes qui visent nos démocraties jugent aussi illégitimes les Etats des sociétés à majorité islamique. En ce moment, ces Etats cherchent à coordonner leur lutte idéologique contre le phénomène islamiste et sa diffusion. De l’Arabie saoudite du roi Abdallah à l’université Al-Azhar du Caire, le sunnisme élabore la doctrine de la wasatiyya, l’« islam du juste milieu », pour contrer son interprétation radicale. J’ai rencontré, au printemps, le nouveau grand cheikh d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb : francophone et francophile, il est aussi en lien avec le soufisme, avec l’islam intérieur et spirituel, et il a traduit en arabe un des livres que Michel Chodkiewicz a consacré à Ibn’Arabî. Lors de cet entretien, il m’a confirmé qu’il avait une stratégie pour lutter contre la vision qui réduit l’islam à la guerre de tous contre tous. Il veut réintroduire la complexité dans l’édifice théologique pour y amener la discussion, la controverse, la disputation, qui aménage une place au débat d’idées et à la pluralité des points de vue.[access capability= »lire_inedits »]
Excellente nouvelle, mais les porteurs de cet « islam du juste milieu » dont on ne voit guère de manifestations sont-ils des intellectuels isolés ou sont-ils en prise avec les sociétés ?
Cette version « modérée » de l’islam correspond à la phase actuelle qui est, trans-historiquement, contemporaine du phénomène que décrit Hobbes pour l’Europe du XVIIe siècle qui vient de sortir de la terrible épreuve de la guerre des religions. Le prince neutralise le pontife, et c’est sa religion qui devient celle du sujet. Maintenant, c’est à nous, les intellectuels, d’élaborer le prolongement théorique de Hobbes. Nous devons détacher conceptuellement la religion de la politique et du juridique, vider le théologico-politique de son énergie, comme le fit Hobbes pour le christianisme. Or le théologico-politique continue d’être au centre, même chez ceux qui prônent ladite wasatiyya. Avons-nous les moyens de passer du « jugement de Dieu » au jugement des hommes ? Telle est la question. Elle est destinale pour l’islam et elle est l’horizon du penseur critique. C’est la tâche de l’heure. Et elle se mène en ce moment en arabe, en persan, en turc, mais aussi en anglais, allemand, français.
Vous parlez d’islamistes assumés et organisés, politiquement ou militairement, et d’enjeux géopolitiques, mais qu’en est-il de la « rue musulmane », de « l’islam de France et de Papa » ? Dans La Maladie de l’islam, vous diagnostiquiez une islamisation diffuse. La distinction entre islam et islamisme à laquelle nous tenons tant, et à raison, est-elle en train de s’effacer dans les faits ? Autrement dit, assistons-nous à une « islamisation de l’islam » ?
La véritable maladie est bien cet islamisme diffus qui contamine le sens commun islamique et fait des ravages. Son succès doit beaucoup aux télévisions satellitaires, et pas seulement à celles qui se présentent franchement comme propagatrices d’un message religieux. L’islamisme diffus est très présent, par exemple, sur Al-Jazira : il fournit la substance de l’identité polémique qui se veut alternative par rapport à l’identité hégémonique de l’Occident. Son message s’introduit dans les consciences au nom de la différence qui est au centre du multiculturalisme. Le concept de différence est ainsi perverti car il n’est pas intégré dans une dialectique qui permette de penser ensemble le même et le différent − il y a du même dans le différent et du différent dans le même, ce qui nous invite à guetter le ressemblant dans le dissemblable. C’est par cette dialectique que j’appréhende l’islam, en particulier par rapport au christianisme et au judaïsme. Et c’est ainsi qu’on peut limiter les dégâts causés par l’islamisme diffus. On parle beaucoup de la « globalisation ». Qu’est-ce que la globalisation ? Ce n’est pas quelque chose d’abstrait : pour moi, c’est tout simplement la civilisation. Et cette civilisation a été mondialisée par le vecteur de la latinisation. L’entrée de l’islam dans la mondialisation, c’est-à-dire dans la civilisation, exige de tester ce qui, dans les lettres arabes, rejoint les lettres latines, ce qui est identique dans leur différence et ce qui est ressemblant dans leur dissemblance manifeste.
On invoque souvent, pour expliquer cette islamisation diffuse, les discriminations et les difficultés sociales. L’islam est-il une identité de substitution pour ceux qui ne trouvent pas leur place dans la République ?
L’islam est une question qui se pose à la République depuis la conquête de l’Algérie en 1830 : il suffit de revenir aux rapports que Tocqueville consacra à ce territoire. Il dénonçait le fait que l’administration française s’appuyait sur des autorités religieuses locales ignorantes mais dociles, cela par facilité, alors que la tâche était de restaurer la grande tradition théologique et de promouvoir la pédagogie qui adapterait à l’esprit du droit positif la complexité traditionnelle. Tocqueville estimait que ce qui se pratiquait alors finirait nécessairement par produire un fanatisme qui se retournerait contre la République. Nous y sommes.
Derrière l’accusation d’islamophobie, il y a l’idée qu’on dénigre une croyance. Mais est-ce avec une religion ou avec une culture que nous avons des difficultés ?
Le grand problème, c’est que l’émigration d’origine islamique s’est faite à partir de campagnes, donc à partir de structures anthropologiques plus en rapport avec l’espace coutumier patriarcal, moins touchées par le processus de modernisation. Le message islamiste s’articule à cette dominance patriarcale, c’est la raison pour laquelle la différence religieuse s’exprime dans le choc culturel : au moment où nos sociétés reconnaissent et vivent l’égalité des sexes et des genres, au moment où elle acceptent l’homosexualité comme une identité parmi d’autres, au moment où se développent le PACS, le mariage homosexuel, la légitimité de l’adoption dans ces structures, alors la structure patriarcale réagit et le fait sous la bannière de l’islam.
Au-delà des relations entre hommes et femmes, on assiste à un retournement qui voit le groupe peser de façon de plus en plus contraignante sur les individus. Dans ces conditions, vous réjouissez-vous, comme beaucoup de médias en France, de la progression de la pratique du ramadan chez nos concitoyens musulmans ?
Le phénomène cultuel ne me gêne pas si ceux qui s’y adonnent respectent les règles de la loi positive, qui constituent la table commune autour de quoi s’élabore le pacte de la citoyenneté. Mais dès que le culte se fait prescriptif, agressif, militant, dès qu’il porte atteinte à la liberté du sujet, là je m’insurge. Tant que les jeûneurs acceptent que je déjeune, rien ne me trouble, même si, personnellement, je vis ce retour à la pratique religieuse (dans toutes les croyances) comme une régression.
Mais c’est précisément l’intolérance à ce qui n’est pas lui ou avec ce qui le met en cause qui se manifeste souvent dans l’islam concret. De Salman Rushdie à l’affaire des « caricatures de Mahomet », toute critique est vécue comme une agression et suscite en réplique des menaces, tentatives d’intimidation voire une violence qui n’est pas que verbale. Devrions-nous, dans un souci d’apaisement, cesser d’en parler ?
Ce n’est pas à nous de nous plier à l’islam, à ses tabous et à ses interdits, c’est à l’islam de s’adapter à la liberté qui peut blesser, qui peut choquer. L’islam sera obligé de s’y faire. Les affaires de Rushdie, de la conférence papale à Ratisbonne, des caricatures danoises constituent une forme d’initiation de l’islam à la liberté : ce sont des expériences qui, objectivement, participent à sa sécularisation. Nous devons surtout résister au lobbying que mène à l’ONU l’Organisation de la Conférence islamique pour imposer une loi sur le respect des croyances, autrement dit pour interdire le blasphème. Voter des textes de ce genre reviendrait à faire triompher les tabous et à renforcer les domaines de l’impensé et de l’impensable.
Vous êtes en France l’un des rares intellectuels musulmans à pouvoir vous prévaloir d’une légitimité intellectuelle et théologique tout en menant une critique très dure. Etes-vous menacé ?
Pour l’instant, je ne subis pas de menaces. Mais toutes les conditions sont réunies pour que ces menaces apparaissent. Il faut dire que beaucoup de musulmans, ici en France comme dans les pays arabes et jusqu’en Arabie, se manifestent pour me remercier d’oser dire crûment ce qu’ils pensent et n’osent pas dire. Peut-être ma parole critique est-elle intimidante car elle est émise à partir du savoir et de l’amour du sujet. Par ma critique, je cherche à donner à l’islam les moyens de sa modernité, c’est-à-dire du dépassement de ses archaïsmes. Je mets ma maîtrise occidentale au service de la matière islamique et je montre que cette matière est assez ductile pour s’adapter au siècle, c’est-à-dire à la civilisation. C’est notamment ce que j’ai essayé de faire dans mon dernier essai, Pari de civilisation.
Alors que la burqa concerne, dans les faits, une ultra-minorité, la loi qui l’interdit a été considérée par beaucoup de musulmans comme stigmatisante. Vous, vous avez approuvé ce texte…
J’ai donné ma position dans la déposition auprès de la commission parlementaire et dans une libre opinion parue dans Le Monde du 28-29 décembre 2009. Que je sois contre la burqa peut ne pas compter. Mais ce qui compte, c’est la position d’Al-Azhar et de son cheikh cité plus haut. Eh bien, l’institution sunnite la plus influente y est, elle aussi, opposée : elle rappelle que la burqa appartient plus à la coutume patriarcale qu’aux normes islamiques et invite les musulmans de France à s’adapter aux normes culturelles de leur pays d’accueil. De plus, cet été, l’Etat syrien a tenu à rappeler explicitement sa genèse laïque et, pour ce faire, il a mené campagne contre la burqa et renvoyé autoritairement dans leurs foyers plus de deux mille enseignantes qui portaient le voile intégral. Ceux qui affirment que la loi stigmatise sont ceux qui jouent sur nos faiblesses et développent une stratégie de grignotage en se glissant dans les failles de la démocratie. Ne cédons pas à ce processus de culpabilisation.
La République a connu un affrontement très dur avec l’Eglise. Faut-il, pour faire naître ce fameux « islam de France », en passer par un nouvel affrontement républicain ?
Oui. C’est dans l’épreuve de la liberté (comme avec Rushdie, Benoît XVI ou les caricatures de Copenhague) que l’islam se sécularisera. C’est en se heurtant à la République qu’il deviendra républicain.
Erudit, savant et poète, Abdelwahab Meddeb est professeur à Paris X et producteur de l’émission « Cultures d’islam » sur France Culture. Parmi ses ouvrages, signalons La Maladie de l’islam (Seuil, 2002), Sortir de la malédiction, essai (Seuil 2008) et Pari de civilisation (Seuil, 2009). Il codirige avec Benjamin Stora L’Histoire des relations entre juifs et musulmans du Coran à nos jours qui paraîtra en 2012 aux éditions Albin Michel.
Au sommaire du prochain numéro de Causeur, on vous l’a déjà dit, un dossier sur « L’Europe, fille ainée de l’Islam » qui vaudra le voyage. Ce qu’on ne vous a pas dit, en revanche, c’est que les non-abonnés, ou ceux dont l’abonnement est parvenu à échéance, pourront recevoir chez eux ce numéro 28. Par quel miracle. Eh bien en s’abonnant ou en se réabonnant dans les plus bref délais ! Magique non ?
Arnaud Montebourg, membre du Parti Socialiste, député de Saône-et-Loire, et avocat de profession, se passionne depuis toujours pour la télévision. On imagine aisément la jeunesse nivernaise de notre Saint Just joufflu, au regard enjôleur, fasciné par le poste de télévision familial ; vraisemblablement un imposant Ducretet Thomson en bois, ou un grésillant Radiola en bakélite blanche, renvoyant les images glorieuses d’une ORTF finissante, entre « Bonne nuit les petits », « Vidocq » et les aventures de Georges Pompidou.
« C’est le moment de taper sur TF1 ! »
Ce lourd héritage de passion cathodique semble littéralement déborder Arnaud. Dernier exemple en date : le secrétaire national du Parti socialiste à la « Rénovation », aliboron rocambolesque, a dit publiquement dans un langage confondant de brutalité tout le mal qu’il pensait de la chaîne de télévision détenue par le groupe Bouygues, TF1. La séquence vidéo qui est à l’origine de ce « buzz » montre Arnaud Montebourg s’exprimer en « off », juste avant que le documentariste Pierre Carles ne commence à l’interroger pour son film Fin de concession. Plus satisfait qu’Artaban, avec une cravate, et un micro-cravate, le député gourmand se livre au journaliste sur le ton soyeux de la confidence : « C’est le moment de taper sur TF1, c’est pour ça que je vais vous donner un coup de main ! » Lorsque Carles interroge Montebourg sur un éventuel conflit ancré de longue date entre sa personne et la chaîne privée, l’élu-brimborion pérore : « Non, c’est la télévision de la droite, c’est tout. C’est la télévision des idées qui détruisent la France, la télévision de l’individualisme, la télévision du fric, la télévision du matraquage sur l’insécurité. » Brrrr… L’individualisme bourgeois. L’argent sale de la finance. L’ignoble gouvernement policier des corps et des esprits. « TF1 ! TF Haine ! » (Entendre : TF1 / T-FN !), hurlaient en chœur les valeureux combattants antiracistes de l’entre-deux-tour des élections présidentielles de 2002, lorsqu’ils prétendirent comiquement imputer aux journaux d’une seule et unique chaîne de télévision privée, le vote nationaliste d’un quart du pays.
Certainement fort heureux de son effet, le délectable Arnaud Montebourg a reçu un courrier recommandé de la part de la direction de TF1, demandant explicitement des excuses au député de Saône-et-Loire. Mais l’impétrant socialiste au regard qui pense s’est cru obligé – à son tour – de demander des comptes à la chaîne qu’il avait initialement insultée, sans évidemment répondre de ses insultantes avanies… Ecrivant à Nonce Paolini, Pdg de TF1, Montebourg demande – sans coup férir – que la première chaîne française formule d’improbables « excuses » aux Français. Arnaud tonne : « Les rapports de proximité politique entre les orientations éditoriales de TF1 et le pouvoir actuel posent le problème dans une démocratie comme la nôtre ! » Car, oui, Arnaud se méfie comme de la peste de la télévision privée, au moins depuis qu’il a de la barbe au menton. Avocat de l’association de téléspectateurs « TV Carton Jaune », il s’est érigé – dès les années 90 – en pourfendeur de la chaîne privée, coupable de plusieurs « bidonnages » regrettables, dont la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre-d’Arvor. Pas touche au Lider Maximo ! En 1996, fidèle à ses obsessions, Montebourg fonde une nouvelle association… « Changer la Une », qui milite contre la reconduction de l’autorisation accordée à Bouygues par le CSA, pour exploiter la première chaîne. À l’époque la presse se frotte les mains : l’AFP parle du « combat » de la petite association, Les Echos d’une « bataille », et La Tribune d’une « croisade » contre TF1. Mais les effets de manche, tout autant que les cris d’orfraie sont vains : Bouygues garde la main la « Une » privatisée en 1987, et peut continuer à développer sa petite fabrique d’images populaires.
Mitterrand, parrain de la télé privée
Demeure l’acharnement, singulièrement amusant de la part d’Arnaud Montebourg, socialiste éclairé, qui a vécu sa maturation intellectuelle dans l’horizon des années Mitterrand… et qui n’a pas pu louper qu’à partir du début des années 1980 le paysage audiovisuel français avait sacrément changé. Arnaud, sans l’ombre d’un doute, a saisi que François Mitterrand avait littéralement poussé au cul un projet télévisuel outrageusement privé, porté par Publicis et la Compagnie Générale des Eaux (ex-Vivendi), brillamment baptisé Canal +. Une chaîne à la tête de laquelle il a placé un ami intime, et fidèle compagnon politique de plusieurs décennies, André Rousselet. Ce même François Mitterrand, à qui nous devons la promesse de campagne électorale de l’ouverture de la bande hertzienne, et sa libéralisation effective… ayant permis la naissance et le développement de puissants groupes privés comme NRJ.
Cet incontournable François Mitterrand, à l’ombre duquel Arnaud Montebourg a appris à penser dans la doctrine socialiste la plus stricte et intransigeante, a également contribué au lancement des cinquième et sixième canaux télévisés français. La « Cinq » de Berlusconi (1986-1992), première chaîne de télévision hexagonale généraliste commerciale privée à avoir obtenu son autorisation, n’était assurément pas un modèle de vertu. M6, chaîne privée née au même moment, n’est pas particulièrement connue pour sa contribution au débat public. Et pas un mot de l’avocat glorieux, défenseur nivernais flamboyant de la veuve, de l’orphelin et du
Mais Montebourg se fiche que la radio-poubelle et la télé-poubelle jaillissent de partout… et d’abord du dispositif médiatique mis en place par la gauche dans les années 1980. Non, ce qui lui semble urgent et prioritaire, c’est de se concentrer sur la pénible chaîne de télévision du groupe Bouygues ! Comme il a raison, Arnaud Montebourg, de mobiliser contre TF1 sa virtuose pugnacité !
Ma main est au feu – et Pierre Carles sera encore vraisemblablement là pour filmer en faux « off » complice : dans quelques années nous regretterons sans doute un diffuseur qui, en 1987, promettait fièrement le « mieux-disant culturel ». Oui, TF1. 1987. Une éternité. Ne vaut-il mieux pas une promesse non tenue, que pas de promesse du tout ?
Série en passe de devenir mythique, raflant toutes les récompenses, Mad Men réconcilie le zappeur contemporain avec un certain classicisme formel. Mais, au fond, comment la vie d’une agence de pub dans le New York des années 1960 arrive-t-elle à intéresser à ce point les téléspectateurs et critiques du monde entier ?
C’est tout d’abord que Mad Men redonne à voir un monde perdu. Celui des Trente Glorieuses, quand l’économie servait l’idée de progrès et réciproquement. Mais ce n’est là qu’un cadre général de l’action de la série. Les personnages – attachants cyniques, faibles, avec des dents qui rayent le parquet, avec des fêlures aussi – évoluent dans un monde moral aujourd’hui devenu impensable, où il est valorisant de picoler et fumer en permanence au bureau, coucher avec les secrétaires sans prendre de procès pour harcèlement, tromper son conjoint sans trop de remords, abandonner un enfant illégitime à une nourrice pour privilégier une carrière… Le succès de Mad Men tient sans doute à ce vent de liberté perdue que l’on sent souffler contre nos joues rosies de métrosexuels trop sages.
Cependant Mad Men ne brosse pas un portrait complaisant de cet Ancien régime patriarcal où les « comportements à risque » étaient socialement acceptés. Les individus qui peuplent ce monde apparemment libre y sont engoncés dans les codes sociaux, dans l’obligation de « donner le change », dans les mariages ratés… Ils se débattent, dissimulent, se mentent, trichent avec des modèles conformistes d’une époque finissante dont on sait qu’elle volera en éclat avec les beatniks, la contestation des campus, l’année 68…
Les années fumeuses, buveuses et baiseuses
Dès lors intervient peut-être une seconde raison du succès de Mad Men : l’autosatisfaction. En contemplant ces années 1960 américaines misogynes, ségrégationnistes (seuls les noirs servent des sandwichs dans les étages de bureaux), fumeuses, buveuses et baiseuses, le téléspectateur conformément moderne aime à se comparer et à se dire « comme c’est mieux maintenant ! » les bureaux, bars et chambres d’hôtel ne sentent plus la clope, les minorités ont des droits, les femmes ne se laissent plus faire, les blancs hétéros n’ont plus le pouvoir symbolique, et on met des capotes…
Esthétiquement parlant, enfin, Mad Men est une série qui s’inscrit dans l’engouement actuel pour le Vintage. Les actifs tertiaires d’aujourd’hui, ceux qui, il y a 10 ans, se rendaient à leur start-up en roller en sirotant leur jus de goyave bio et en rêvant de Kate Moss, retrouvent, par procuration, l’attrait des costumes sombres, de la gomina et des cravates fines, des Lucky Strike au coin de la bouche, du gros whisky qui tâche, et des formes abondantes de la secrétaire faussement prude.
Dès lors, Mad Men reflète-t-il une nostalgie durable pour un monde qui assumait et contrôlait les parts maudites de l’homme occidental ? Ou un simple engouement passager pour un design et quelques valeurs old school ?
Don Draper, le personnage principal, reprend un petit verre avant de répondre.
N’ayant pas été voir l’expo de Larry Clarke (et pour cause, elle ne sera ouverte au public que le 8 octobre), je ne sais si ses photos olé-olé de très jeunes gens méritaient qu’on interdise l’entrée du Musée d’art moderne de la ville de Paris au moins de dix-huit ans. Cela ne m’empêchera pas, néanmoins, d’être un rien sceptique face aux accusations de censure lancées à cette occasion par les élus Verts au Conseil de Paris.
Sans même avoir eu sous les yeux les pièces du dossier, j’ai du mal à prendre au sérieux ce procès en pudibonderie instruit contre Bertrand Delanoë et son adjoint à la culture Christophe Girard. Et pourquoi pas les accuser d’homophobie, pendant qu’on y est ?