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Les analyses pénétrantes de Christine Lagarde

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Depuis lundi matin, les journaux évoquent un entretien que Christine Lagarde a accordé à la chaîne ABC aux Etats-Unis ce dimanche. Notre ministre de l’économie dissertait sur « l’aide » qu’une moindre présence de libido et de testostérone apporte à la gent féminine dans l’exercice des responsabilités publiques.

Intrigué par cette fameuse « aide », je me suis mis en quête d’autres déclarations que Mme Lagarde aurait pu avoir sur ce thème et qui expliciterait davantage sa pensée. Je n’ai pas été déçu du voyage. Le 1er octobre dernier, pour la Tribune, elle a donné un éclairage fort détonnant sur les responsabilités dans la crise financière. Qu’on en juge. Lorsqu’on lui demande si la donne aurait été changée si Lehmann Brothers s’était appelé Lehmann Sisters, Christine Lagarde n’hésite pas : « Oui. J’en suis convaincue. Intuitivement, je pense qu’il y a moins de libido féminine dans le rapport de compétitivité permanent qui se joue dans les salles de marché. ».

Son intuition -féminine, bien entendu- ne la trompe pas. Elle en est convaincue. La testostérone, voilà l’ennemie ! D’ailleurs, plus loin, elle enfonce le clou : « […] le compost financier a été l’élément déterminant. Et si vous regardez la sphère financière, vous y rencontrez une grande majorité de paires de pantalons. ». On notera au passage la délicatesse qui la pousse à préférer évoquer les pantalons à autres choses pour désigner ce qui va par deux chez les messieurs. Et d’oublier au passage les combats féministes d’avant-garde menés par la municipalité parisienne. Mais on comprend malgré tout entre les lignes, que ce qui pose problème, au premier chef, dans les bourses, ce sont bien les couilles.

Point de problème systémique, donc. Alors que le G20 va débuter et que notre Président de la République souhaite apporter à ses partenaires quelques propositions pour réformer le capitalisme mondialisé, sa ministre lui apprend doctement que ce n’est pas la peine et que le problème se situe au niveau de son caleçon. Il suffit simplement de n’embaucher que des traideuses.

Islam : où est le problème ?

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Sayyid Shah Kallimullah Husayni
Portrait de Sayyid Shah Kallimullah Husayni, miniature, vers 1670.

Je n’ai pas de problème avec l’islam. L’islam en a peut-être un avec moi, je veux dire avec nous ou avec vous, mais je n’en ai pas l’impression. Par exemple, j’ai un problème avec le capitalisme qui, après avoir produit de la richesse, produit surtout de la misère en se financiarisant. Il explique ces jours-ci, avec l’aplomb et un art accompli du nonsense, qu’il faut travailler plus et gagner moins alors que les grands patrons travaillent moins et gagnent toujours plus. J’ai un problème, aussi, avec les boutefeux de la guerre civile ethnique qui n’ont pas fait leur service militaire mais veulent rouler des mécaniques rue Myrha[1. Et je n’ai pourtant aucune sympathie pour les gens qui prient dans l’espace public.] dans des apéros « républicains » heureusement virtuels, car ces gens-là aiment bien allumer l’incendie mais envoient toujours les autres les éteindre. The same old story, comme chantait Billie Holliday. Quand il y a une guerre, ceux qui veulent la faire sont rarement ceux qui la font. C’est pour cela qu’il y a assez peu de vieux sur les monuments aux morts et que je serais curieux de connaître, parmi le tout petit nombre d’intellectuels néoconservateurs français qui voulaient envoyer nos pioupious au feu en 2003, combien étaient ou avaient été ne serait-ce qu’officiers de réserve.[access capability= »lire_inedits »]

Irak et Turquie : l’échec du « containment » islamophobe

Comme l’a balancé Eric Raoult à un petit journaliste de Canal+ qui croyait faire le malin en lui demandant ce qu’il pensait du cadeau fait par l’UMP à Chirac dans le remboursement des frais de bouche de la mairie de Paris : « Au lieu de dire des conneries, tu ferais mieux de remercier le président qui a empêché ton grand frère de revenir de Bagdad dans un sac en plastique. »

Les islamophobes, au moins ceux qui le sont sur un plan géopolitique, sincèrement, je ne les comprends pas. Les troupes américaines s’en vont après avoir laissé plusieurs milliers de morts à eux sur le terrain et plusieurs centaines de milliers chez les autochtones. Pour quel résultat ? Eh bien, la création d’une mosaïque de principautés musulmanes très hargneuses où chiites et sunnites vont se mettre sur la tronche de plus belle dès que la dernière section de GI aura quitté la Zone verte. Or, qu’y avait-il avant l’intervention américaine ? Un pays laïque. C’était une dictature, méchante, cruelle, mais laïque, et Saddam Hussein valait ce qu’il valait, il n’empêche qu’il tenait son monde. Alors pourquoi cette guerre ? Ce n’était pas pour sauver la civilisation occidentale ? Ç’aurait été pour de simples questions d’approvisionnement pétrolier ? Je sens qu’on va encore dire que je ramène tout à l’économie.

Même chose avec la Turquie. Voilà un pays que tout le monde commence à regarder d’un sale œil. Il sert de base arrière aux flottilles dites « de la paix » et son président, Recip Erdogan, musulman modéré[2. Je suis d’accord : c’est un oxymore. Comme « capitalisme moral ».], remet tranquillement mais sûrement en cause les acquis du kémalisme. Rappelons que Mustafa Kemal avait, dès les années 1920, occidentalisé son pays, que sa laïcité intransigeante avait forcé les hommes à se raser et les femmes à se dévoiler, que la séparation entre l’islam et l’Etat a fait de la Turquie le seul pays, avec le Mexique, qui ait en la matière une conception proche de la nôtre. Assez logiquement, les Turcs se disent : « Nous allons adhérer à l’Europe » ; et l’Europe leur dit, en gros dès les années 1960 : « D’accord, mais dans trente ans, le temps que vous vous développiez un peu. »

Trente ans passent… D’accord, mais il faut arrêter avec les Kurdes, vous vous comportez n’importe comment ! Ils se calment et libèrent même le leader condamné à mort. Eh bien tiens, puisqu’on parle de peine de mort, ce serait bien de l’abolir. Les Turcs l’abolissent. Mais voilà, la porte reste toujours fermée. Résultat : le peuple turc, qui se sent tout de même un peu humilié, vote et revote en masse pour l’AKP, le parti de Recip Erdogan.

Donc, si je fais les comptes, les partisans du « choc des civilisations » et du containment de l’islamisme ont surtout réussi à transformer deux Etats pro-occidentaux en deux Etats énervés (et encore l’appellation d’Etat pour ce qui reste de l’Irak est un bien grand mot.)

Le seul Etat qui aurait le droit d’être islamophobe, c’est Israël. Pour le coup, entre le Hezbollah libanais et le Hamas gazaoui, il est en première ligne. C’est sans doute pour ça que l’inflexible « Bibi » Nétanyahou a décidé d’accepter l’idée de pourparlers directs. Pour sauver le soldat Abbas, le dernier Palestinien qui ne soit pas islamiste.

L’islamisme n’est pas consubstantiel à la cause palestinienne, c’est même historiquement une forme assez récente de cette revendication, alors que l’OLP et le Fatah étaient avant tout laïques et progressistes avant d’être débordés par une fraction religieuse qui a prospéré sur le désespoir, la misère et − soyons honnête − une corruption endémique dans l’Autorité palestinienne.

Voile, burqa, islam des caves : problèmes réglés

Mais je reviens dans nos parages et, je le répète, je n’ai pas de problème avec l’islam. Je n’aime pas l’idée qu’un marchand de malbouffe procède à une opération marketing dans plusieurs villes. Mais lui rappeler simplement que l’actionnaire majoritaire de ses mangeoires est la Caisse des dépôts et consignations, donc vous et moi, pourrait peut-être l’inciter à changer de stratégie commerciale. À moins que certains politiques aient intérêt à ce que se créent des ghettos communautarisés comme autant d’abcès de fixation. Je n’ose le penser.

Plus généralement, je suis très étonné qu’on soit islamophobe dans un pays comme le nôtre où, dès qu’un problème se posait en la matière, il était jusqu’à maintenant résolu avec la fermeté républicaine qui s’impose. Le voile à l’Ecole ? Une loi. L’islam des caves ? Un Conseil français du culte musulman initié par Chevènement et parachevé par Sarkozy. La burqa ? Une loi initiée par mon camarade André Gerin. On le voit : la question fait en plus l’objet d’un consensus républicain qui n’exclut que quelques ayatollahs des deux camps, partisans d’un gauchisme angélique ou d’une droite ethnico-saucissono-pinardière.

Non, je n’ai pas de problème avec l’islam parce que les problèmes qu’il pose ont été réglés, se règlent ou se règleront.

À moins, c’est vrai, qu’on fasse soudain un lien entre immigration et délinquance. À moins qu’on refuse de constater que les inégalités sociales, scolaires, sanitaires ont tendance à se concentrer dans les mêmes endroits. À moins qu’on remette en question le droit du sol et l’égalité des citoyens devant la loi. À moins qu’on se mette à essentialiser ou instrumentaliser tels ou tels de nos compatriotes.

À moins donc qu’on cesse d’être Français.

Dans ce cas, comme c’est le seul pays que j’aime pour ce qu’il a eu de générosité et de génie (les deux se confondent toujours, au bout du compte), il ne serait pas impossible que je demande à être déchu de ma nationalité.[/access]

Ils ont du bol, en Bolivie

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Dans les défilés du 12 octobre, si l’on n’a pas vu, comme l’a dit Gil Mihaely, le dernier prix Nobel d’Economie favorable à ce que la durée de temps de travail s’aligne sur l’espérance de vie, certains auront peut-être aperçu un homme au teint olivâtre et à la coupe en bol digne de Mireille Matthieu. Dans ce cas, c’était sans doute Evo Morales, actuel président de la république de Bolivie, ouvertement chaviste et réélu régulièrement.

Depuis le mois de mai 2010, la Bolivie a en effet décidé de reporter l’âge légal de la retraite de 65 à 58 ans. A taux plein, évidemment. Ce fou d’Evo Morales a en effet estimé que les gains de productivité, notamment dans les mines (où a été reconnue la notion de pénibilité avec départ à 51 ans), devaient être redistribués à ceux qui en sont les principaux artisans, notamment sous forme de temps. Bon, évidemment Morales n’est pas un prix Nobel d’Economie ni même un expert du FMI. C’est juste un élu du peuple.

La retraite, enjeu libidinal majeur

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La semaine dernière, tout près de chez moi, devant le lycée Guillaume Fichet de Bonneville (Haute-Savoie) deux jeunes filles, élèves de seconde, ont été victimes de graves brûlures. Elles participaient à un mouvement spontané de lycéens de protestation contre la réforme des retraites. Pour donner un caractère plus festif à leur mouvement, les potaches avaient décidé d’allumer un feu à un amas de détritus entassés devant la grille du lycée. On ne s’embarrasse pas, quand on est jeune, de procédés archaïques pour faire jaillir la flamme : on arrose le tout de white spirit et on craque une allumette. Résultat : l’une des deux jeunes filles est en soins intensifs à l’hôpital Saint-Luc de Lyon, spécialisé dans les soins aux grands brûlés.

Cette histoire a fait grand bruit, et a provoqué des réactions en haut lieu, notamment celle du ministre de l’Education, Luc Chatel, qui dénonce « l’irresponsabilité de tous ceux qui mettent les lycéens en danger en les appelant à participer à des actions qui risquent de dégénérer ». Connaissant un peu le secteur, je doute fort que les amis d’Olivier Besancenot soient pour grand-chose dans cette agitation lycéenne qui se nourrit de bien d’autres passions que la hargne anticapitaliste du NPA.

Ecoutant, l’autre dimanche, sur France Culture l’émission style café du commerce qui succède à la messe dominicale, dont le taulier s’appelle Philippe Meyer, j’ai entendu deux des piliers de ce bar, Eric Le Boucher et Jean-Louis Bourlanges s’offusquer de cette mobilisation des lycéens : « Ils devraient aller contre-manifester ! », pestaient les deux barbons, « au bout du compte ce sont eux qui vont payer la note des retraites de leurs parents, et rembourser la dette publique maousse contractée par les générations précédentes ! ». Economiquement et sociologiquement, ce raisonnement est imparable : la fracture générationnelle mise en lumière par Louis Chauvel et quelques autres bons esprits est bien réelle. La génération des « baby-boomers » s’est sucrée à mort en surfant sur les « Trente glorieuses », payant son patrimoine immobilier en monnaie de singe, alors que les salaires grimpaient plus vite que l’inflation, et en profitant au maximum des « acquis sociaux », dont la retraite à soixante ans n’est pas le moindre.

Le dilemme de Papy et Mamy : camping-car ou voilier de douze mètres ?

N’empêche, les teenagers d’aujourd’hui n’ont aucunement tendance à vouloir substituer la lutte des âges à la lutte des classes. Et il ne s’agit pas, en la matière, d’un effet supplémentaire de la dégradation de la qualité de l’enseignement. Ces jeunes semblent avoir choisi leur intérêt libidinal plutôt que leur intérêt économique, ce que Messieurs Le Boucher et Bourlanges n’ont pas compris, en dépit de leur tête pleine de chiffres et de savoir. Avec l’allongement de la durée de la vie, et l’amélioration de sa qualité pour ceux que l’on nomme désormais les séniors, les ados d’aujourd’hui peuvent comparer l’existence de leurs parents et celle de leurs grands-parents. Aux premiers la galère quotidienne, les salaires qui stagnent, l’angoisse sur la pérennité de leur emploi, le stress provoqué par la pression au boulot. Cela concerne tout le secteur central de la société, de l’ouvrier ou de l’employé qualifié jusqu’au cadre supérieur. Aux seconds, papy et mamy, le teint bronzé toute l’année, les voyages lointains, la tranquillité de ceux qui ont acquis leur logement depuis longtemps et les dilemmes angoissants : camping-car ou voilier de 12 mètres ? Il n’a pas échappé non plus à nos adolescents, grâce à quelque allusions salaces lors des repas de famille, qu’une nouvelle pharmacopée pouvait animer, chez les anciens, une activité badine au delà de la limite où le ticket n’est plus valable, comme disait le regretté Romain Gary.

Dans son dernier livre Le mariage d’amour a-t-il échoué ?, Pascal Bruckner désigne les retraités comme « les post-adolescents de la société moderne », ce qui les met en prise directe avec leurs ados de petits-enfants.
En fait, ce qui leur conviendrait le mieux, aux lycéens manifestants de ces dernières semaines, c’est de réduire au minimum le temps séparant la fin de leurs études de celui de leur passage au statut de retraités, l’idéal étant que cet intervalle tende vers zéro.
La vraie question, alors, n’est pas de « résoudre le problème des retraites » dans une logique purement comptable, mais de réintégrer le travail dans une zone d’intensité libidinale qui le rende attractif pour les nouvelles générations, ce qui est une toute autre paire de manches.

Le djihad laïque, ça suffit !

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Mosquée de Paris

En 1991, l’Union soviétique disparaît de la carte en laissant pour seule héritière une Russie en proie au chaos. L’islam remplace alors peu à peu le socialisme comme idéologie révolutionnaire dans les pays du Moyen-Orient, ce qui est une aubaine pour les Etats-Unis à la recherche désespérée d’un nouvel ennemi pour justifier leur centralité financière. Les événements du 11-Septembre concrétisent ce passage de témoin en faisant émerger une nouvelle incarnation du Mal, sous la forme du barbu islamiste qui déteste l’Amérique, sa liberté et sa prospérité au nom d’idées moyenâgeuses. L’Empire va donc pouvoir repartir en croisade pour faire étalage de sa puissance, du moins le croit-il.

La théorie du « choc des civilisations » s’est depuis diffusée dans tout le monde occidental. L’islam n’est plus la religion des peuples d’Orient, mais le totalitarisme du XXIe siècle, conquérant et belliqueux comme à l’époque de Mahomet. L’islamophobie n’est plus une forme de la xénophobie nauséabonde du bas peuple aux bas instincts, mais une idée à la mode, particulièrement chez les élites éclairées qui profitent de l’occasion pour revêtir leur costume de résistant remisé depuis belle lurette. Même la gauche dite républicaine s’y met, sous couvert de laïcité, de défense du droit des femmes, quand ce n’est pas de la République elle-même. [access capability= »lire_inedits »]

Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Histoire de poule et d’œuf

Il est vrai que, dans le même temps, les populations musulmanes se sont radicalisées dans une crispation identitaire. On a vu les voiles se multiplier, la burqa apparaître, la nourriture halal se généraliser, des prières se tenir dans les rues, au moins sur Dailymotion… Effet d’optique lié à un reflux de la tolérance à l’égard des manifestations d’une culture exogène ou réalité d’un nouveau communautarisme revendicateur nourri par une immigration toujours plus nombreuse et concentrée ? Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Un vrai problème d’œuf et de poule impossible à trancher.

Quelles que soient les causes, on constatera simplement que la tension monte entre deux communautés. D’un coté, les populations immigrées, les musulmans, les racailles et habitants des cités, rassemblés dans un amalgame répulsif à souhait. De l’autre, des Français racistes, intolérants, coupables de discriminations ou de « stigmatisation », comme on dit aujourd’hui.

Si cette tension ne se manifestait que par des joutes verbales autour de symboles, comme le débat public national en raffole, cela serait fâcheux mais pas bien grave. Le problème c’est que la situation peut exploser à la moindre étincelle. Qu’un agent des forces de l’ordre soit tué à l’occasion d’une nouvelle émeute dans un quartier sensible, que la police ouvre le feu, soit sur instruction, soit parce que l’un de ses agents aura perdu ses nerfs, et ce sont toutes les banlieues qui s’embraseront aussitôt, plongeant la France dans une guerre civile communautaire comme elle n’en a pas connu depuis les guerres de religions, avec des conséquences politiques absolument imprévisibles.

Voilà pour le constat. Jusque-là, je pense que tout le monde sera d’accord, en espérant ne pas avoir fait dans le déni de réalité, donné dans l’angélisme ou la bien-pensance, pour reprendre la ligne de défense préférée des adversaires de l’islam.

Et maintenant, qu’est ce qu’on fait ?

Le drame de la période est que, face à la posture moraliste « anti-stigmatisation », on n’entend guère qu’un discours haineux de pure confrontation dont les seuls effets possibles seront de précipiter la guerre civile que l’on prétend vouloir éviter.

Ces nouveaux croisés soulignent à longueur d’articles tout ce qu’il y a d’antirépublicain dans la charia, réfutent toute distinction entre la pratique normale de la religion musulmane et l’islamisme radical, dénoncent le machisme au nom de la sacro-sainte égalité homme-femme quand ce n’est pas l’arriération mentale que traduit l’observation de prescriptions religieuses.

Leur rêve ultime est probablement de finir en martyrs de la cause laïque, comme Théo Van Gogh, ou simplement de subir une fatwa en bonne et due forme, ce qui est pour le moins paradoxal venant de prétendus laïques. Ils ne reculeront devant aucune provocation. Et si leurs apéros-saucisson et leurs textes accusateurs ne suffisent pas, ils iront s’il le faut jusqu’au blasphème le plus insultant, au nom bien sûr, des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

On peut les comprendre. L’opinion est clairement en attente d’une réaction après des décennies d’immigration présentée comme une fatalité et de droit à la différence trop longtemps célébré. La libération de la parole xénophobe (au sens de rejet de celui qui se comporte en étranger sur le sol national) est incontestablement un puissant facteur de dynamique électorale et de succès médiatique. Sarkozy l’a bien compris, mais il n’est manifestement pas le seul.

Philosophiquement, l’islamophobie est déjà en soi critiquable, car si certaines critiques de l’islam sont fondées, l’exercice inverse, qui consisterait à interroger la culture dominante dans la France contemporaine, pourrait bien donner lieu à une critique tout aussi dévastatrice. Faisons donc l’inventaire des valeurs qui fondent aujourd’hui notre vivre-ensemble et demandons-nous s’il n’y a pas là une terrible carence qui pousse ces populations à se replier sur leur culture d’origine pour retrouver des valeurs fédératives consacrées dans des pratiques collectives ainsi qu’un sentiment d’appartenance qui fait cruellement défaut dans le pays de la laïcité.

Sur le plan pratique, la pensée islamophobe est en revanche absolument contre-productive et extrêmement dangereuse. Ce discours hémiplégique, qui flatte les uns et braque les autres, ne peut qu’exacerber les tensions, accélérer le durcissement de la société et de notre système politique et précipiter un véritable « choc des civilisations » sur notre sol.

Un système culturel ne se combat pas comme un système de pensée. On ne gagne pas une guerre de religion par le verbe comme on gagne une élection. On la gagne par les armes, l’extermination ou la conversion forcée ! Qui peut raisonnablement imaginer qu’un musulman qui tomberait sur un texte « riposte-laïcard » puisse se laisser convaincre que ses valeurs sont moyenâgeuses, que sa religion n’a pas décidément pas sa place dans ce beau pays qui est désormais le sien et qu’il est temps pour lui de se défaire de sa culture familiale pour enfin pleinement s’assimiler dans la nation française ?

Une culture agressée et niée ne peut que se radicaliser par réaction. Exacerber ainsi la conscience des différences culturelles ne peut que conduire à des identités irréconciliables et exclusives les unes des autres. À trop répéter aux musulmans qu’ils n’ont pas leur place en tant que tels dans la République, on les pousse à choisir entre deux identités devenues exclusives. Ils seront musulmans et rejetteront la France.

La cause de l’islamisation, c’est l’immigration sans contrôle. Légale ou illégale.

L’islamophobie ne devrait pas se revendiquer de l’héritage républicain, car non seulement elle divise au lieu de chercher à refonder l’unité nationale, mais elle s’oppose à notre tradition politique sur un point essentiel. L’ordre public a toujours été défini comme extérieur et matériel. La République s’est toujours refusée à faire la police des esprits. C’est cela aussi la laïcité !

C’est aux manifestations de l’islam − et par extension de tout ce qui peut paraître comme trop étranger pour avoir sa place sur le sol national − qu’il faut s’attaquer. Ce combat doit impérativement déboucher sur des revendications politiques et abandonner les postures trop faciles de la critique culturelle ou religieuse.

Peut-être faudrait-il commencer par s’attaquer aux causes de l’islamisation, à savoir l’immigration, légale ou illégale, dont le flux n’a jamais cessé ? Mais bien sûr, il est plus gratifiant et plus correct de dénoncer l’islamisation sous couvert de laïcité ou de féminisme, que de proposer de stopper l’immigration.

Peut-être faut-il oser durcir les conditions d’octroi de la nationalité pour faire ou refaire de ce droit un véritable parcours vers l’assimilation et, à l’occasion, redéfinir les droits et les devoirs attachés spécifiquement à la qualité de Français ?

Peut-être faudrait-il aussi se donner les moyens de fabriquer enfin un islam de France, débarrassé du contexte culturel moyen-oriental pour ne conserver que le message spirituel et les pratiques proprement religieuses, quitte à revenir temporairement sur la loi de 1905, via un nouveau Concordat qui permettait d’accoucher d’un clergé musulman de nationalité française et prêchant en français.

Peut-être aussi faut-il réglementer plus sévèrement la place de l’islam, ou de la religion en général, dans l’espace public, comme on a commencé à le faire avec l’interdiction du voile à l’Ecole puis de la burqa dans l’espace public.

Mais peut-être aussi faudrait-il reconnaître par un acte symbolique la légitimité d’un islam tolérant et modéré dans la République, par exemple en faisant d’une de ses fêtes religieuses un jour férié  ?

L’apaisement des tensions communautaires et l’intégration de l’islam dans la République, si c’est bien cela qu’on cherche, exigera en tout état de cause des efforts et des concessions des deux côtés. La nation française a été faite par la politique et non par la religion ou la culture. Traitons donc ce problème selon notre tradition, en le ramenant sur le terrain politique.[/access]

Retraite de jouvence

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« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ». Cette phrase tonitruante ouvrait la profonde réflexion de Carl Schmitt sur la nature du pouvoir. Le juriste allemand ne croyait guère à la force des procédures, démocratiques ou non, en période de conflits. Lorsqu’un corps politique était secoué par une crise qui risquait de défaire son unité, il appartenait au souverain de décider, et de révéler ainsi à cette occasion où résidait le vrai pouvoir.

Le conflit sur les retraites permettra-t-il à la France d’apprendre quelque chose sur elle-même ? Qui y possède vraiment le pouvoir par exemple ? L’opposition entre le gouvernement et les syndicats est frontale, mais policée. D’un côté on fait grève le week-end et on accepte sans rechigner de se plier aux exigences du service minimum dans les transports, de l’autre on reconnait volontiers le droit qu’ont les syndicats de râler un peu avant de passer à autre chose. Nous sommes loin à la fois de la répression féroce style XIXe siècle et de la loi de la rue imposée par la base, par exemple en 1995. Tout ça est un peu mou du genou et traîne en longueur. Que faire ? Heureusement, il y a « les jeunes ». C’est le drôle de Deus ex machina inventé par l’époque pour précipiter la chute de cette morne pièce.

C’est jeune et ça sait

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Chère Isabelle,

Votre article sur la jeunesse et la retraite, n’est pas dépourvu d’une certaine mélancolie élégante mais il se trompe de cible. Je voudrais d’abord vous dire que je n’aime pas les jeunes. Même quand j’étais jeune, je n’aimais pas les jeunes. Vous vous plaignez des jeunes des années 2010, c’est que vous n’avez pas connu les jeunes des années 1980. Moi qui trouve que tout était mieux avant parce que je suis un vrai réactionnaire, c’est à dire un républicain d’extrême gauche, je peux vous dire que les jeunes, sous Mitterrand, c’était pire. On leur avait même trouvé un nom, on les appelait « génération morale », ou même « génération Mitterrand ». Et ils trouvaient ça bien, les jeunes. Maintenant quand on voit qui étaient leurs chefs de l’époque, comme Julien Dray ou Harlem Desir, on rigole un peu tout de même. Ils ne rendaient pas compte, dopés à la moraline sociétale, qu’ils jouaient le jeu du seul président de droite que la France avait élu avant de se donner à Sarkozy en 2007.

En 1986, on manifestait pour des gommes et des crayons

Le virage de la rigueur de 1983 et l’européisme béat mais ardent qui a suivi, on n’a pas vu les jeunes bouger là-dessus, à l’époque. C’était pourtant le premier de la longue série des reniements de notre souveraineté, donc de notre modèle de société. En revanche, ils ont fait grève en 1986, essentiellement pour des gommes et des crayons, c’est-à-dire pour pouvoir entrer à l’université sans sélection en prenant bien soin de dire que leur grève n’était pas politique, comme si la politique, c’était honteux.
Ce que ça a pu m’énerver, cette manière de ne pas vouloir assumer ce beau mot de politique. Comme j’étais moi-même jeune, et que je pouvais leur parler parce que j’étais déguisé comme eux, j’essayais de leur expliquer que c’ était bien, la politique, qu’il fallait absolument l’être, politique, si l’on voulait gagner. En fait, je vais vous faire une confidence, Isabelle, j’étais jeune mais j’étais communiste. On était encore quelques-uns, comme ça, à faire de la politique. En fait, il n’y avait plus que nous et les trotskistes. Parce que les jeunes socialistes par exemple, ils étaient déjà en train de réfléchir à un poste de permanent pour après les événements. Et les jeunes de droite, bah comme ils étaient beaucoup moins courageux que les jeunes de droite de l’époque Occident, ils restaient à la maison, comme de bons enfants tristes. Je me demande d’ailleurs encore ce qu’ils pouvaient bien faire chez eux, les jeunes de droites, en 1986. Il n’y avait que cinq ou six chaines de télé et ils n’avaient pas Internet ni les blogues pour montrer à quel point ça peut être veule et solitaire, un jeune de droite, quand ça tape sa haine de classe sur un clavier, bien à l’abri de l’anonymat. Plus veule qu’un jeune social-libéral, c’est dire.

Précariat institutionnalisé

Résultat, les jeunes qui manifestaient en 1986 les ont faites tellement poliment leurs manifs, qu’ils ont eu un mort et une demi-douzaine de blessés graves occasionnés essentiellement par les regrettés pelotons de motards-voltigeurs. Maintenant, vous me direz, Isabelle, le pouvoir a perfectionné ses méthodes : quand il veut cogner les jeunes sans en avoir l’air comme lors de ce CPE qui vous chagrine tant mais chagrine beaucoup moins ceux pour qui le droit du travail a encore un sens, le pouvoir lâche dessus la caillera instrumentalisée des quartiers. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean-Claude Michéa dans L’enseignement de l’ignorance, livre assez peu complotiste, vous en conviendrez.
Non, je vous assure, les jeunes de 2010 sont beaucoup plus lucides maintenant. Les jeunes de 1986 sont devenus leurs parents. Ils ont vu le résultat : une weltanschauung consumériste de l’existence jusque dans le mariage s’ils ont réussi et, s’ils ont raté, une vie de chien au boulot avec des rapports sociaux qui ont fait un grand bond en arrière au point qu’ils n’osent plus manifester s’ils sont dans le Privé, ce qui signifie, de facto, qu’on leur a retiré le droit de grève.
Voir des jeunes manifester pour la retraite, ça a quelque chose de désolant et de petit ? Mais vous êtes suffisamment fine mouche, Isabelle, pour savoir que ce n’est pas pour leur retraite qu’ils manifestent, c’est contre un type de société qu’on leur impose, contre un précariat institutionnalisé, contre une stagiairisation à vie.
Cette fraction consciente de la jeunesse des années 2010 qui descend dans la rue, moi, je la trouve éminemment sympathique. D’abord parce qu’elle est très minoritaire. Les jeunes qui s’engagent, aujourd’hui, c’est qu’ils ont résisté à peu près à tout : téléréalité, internet, jeux vidéos, blockbusters hollywoodiens, pédagogisme, familles recomposées, soumission généralisée à la société du marché, antifascisme sans fascistes, antiracisme qui fait monter le racisme, rap qui encourage les pires pulsions et chanson française trentenaire qui encourage les pires résignations. Vous voyez l’exploit, tout de même, les défenses immunitaires en béton…
Ensuite parce qu’ils ne sont pas corporatistes, ces jeunes, comme votre article aurait presque tendance à le laisser penser. La jeunesse n’est pas une corporation, ni un métier quand bien même les chiens de garde démagogues de la sociologie (pour la gauche) et du marketing (pour la droite) voudraient le faire croire et leur faire croire. Et c’est justement cette minorité qui défile qui refuse cette assignation à une appartenance. C’est même très courageux, très altruiste et finalement très noble, quand on est jeune, de manifester pour un truc de vieux. C’est finalement, à l’échelle d’une classe d’âge, d’un pays, le même geste civique qui consiste à se lever et à laisser sa place dans les transports en commun.

En fait, Isabelle, et ce n’est pas souvent, mais je crois que sur ce coup-là, Rimbaud a tort.
On est très sérieux, quand on a dix-sept ans.

Solon is not dead

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En décembre 2008 et janvier 2009, la Grèce, qui était encore un pays indépendant, avait connu deux mois de révolte. Une génération précarisée, composée d’étudiants et de jeunes des quartiers populaires, avait laissé éclater sa colère et tenu tête aux forces de l’ordre avec une compétence et un courage remarqués par des observateurs avisés comme, par exemple, les auteurs toujours inconnus de l’Insurrection qui vient.

Le détonateur de ce soulèvement avait été le meurtre d’un adolescent de 15 ans, Alexis Grigoropoulos, abattu dans le quartier très contestataire d’Exarchia par un policier qui lui avait logé trois balles dans le corps. Le policier en question vient d’être condamné à la prison à perpétuité. On peut en conclure que la Grèce, actuellement occupée économiquement par les men in black de l’UE-FMI et sur le point de devenir la première colonie chinoise en Méditerranée a encore au moins un secteur qui n’a pas été privatisé: sa justice.

Le service public de la grève

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Au moment où les Français, et les Parisiens tout particulièrement, vont affronter une semaine de grèves gênantes, il faut s’attendre à voir les représentants de la droite assaillir les citoyens de sentences définitives sur la France qui « s’enfonce dans la grève ». Mais tout semble indiquer qu’aujourd’hui la grève est devenue un service public.

La France, l’un des pays les moins grévistes du monde

À cette occasion, il est bon de rappeler quelques chiffres : examinons la moyenne annuelle des journées de grève en France depuis la guerre (statistiques ministère de l’Emploi) :

Au cours des années 1950, la moyenne est de 3 700 000 journées de grève par an. Pendant la décennie suivante, elle passe à 2 800 000 jours par an – sans tenir compte des 150 millions de journées chômées pendant la grève générale de mai 1968. Pendant les seventies, on observe une légère remontée avec 3 400 000 journées par an. La décennie suivante est marquée par une chute avec une moyenne de 1 200 000 journées par an. Enfin, de 1990 à 2003, la décrue se poursuit : le nombre de jours de grève se monte à peine à 600 000 par an en moyenne.

La pression de la grève est donc six fois moins importante aujourd’hui, soit une baisse régulière et continue de 4,5 % par an !…

Certains idéologues diront que ce n’est pas assez et que la France reste le pays champion de la grève… Comparons donc sa situation avec d’autres pays (statistiques OCDE, nombre de jours de grève par an pour mille salariés du public et du privé, moyenne annuelle entre 1990 et 2000) : Espagne : 492, Italie : 240, Canada : 231, Suède : 57, USA : 43, Grande Bretagne : 37, France : 30, Allemagne : 23, Japon : 3, Suisse : 1.

En France, on fait dix fois moins la grève qu’en Italie et en Espagne et autant qu’au Canada. Les salariés américains ont un taux de grève de 50 % supérieur à celui des Français !… Nous ne sommes cependant encore loin du taux de grève des Suisses ! La France est donc l’un des pays les moins grévistes de l’OCDE.

La grève déléguée aux fonctionnaires

Reste à savoir d’où nous vient notre mauvaise réputation. Tout d’abord, la droite française adore battre sa coulpe sur la poitrine des salariés et des fonctionnaires et qui distille une idéologie qui tient la grève pour une imposture à la limite de l’illégalité. Dans des pays où le contrat social est plus développé et les syndicats plus forts, le recours à la grève, en particulier dans le privé, n’est jamais considéré comme un scandale.

Mais l’originalité de la situation française tient surtout au quasi monopole des fonctionnaires en matière de grève. Précarité oblige, il n’existe pratiquement plus d’entreprises privées en France dont les salariés osent faire grève.

Celle qui s’annonce est emblématique : ce sont les fonctionnaires qui vont faire grève pour protester contre la réforme des retraites des salariés du privé. Ces derniers sont d’ailleurs d’accord comme le montrent de nombreux sondages indiquant le support des Français prêts à supporter les inconvénients.

Ce paradoxe pourrait, là encore, apparaître scandaleux et ne manquera pas de déchaîner la haine anti-fonctionnaires de la droite française. Mais, au fond, les Français se satisfont de cette situation. Les choses se passent comme si les salariés du privé avaient délégué aux fonctionnaires leur droit à faire la grève et à manifester leur mécontentement. En vertu d’un accord tacite et bien compris, c’est donc aux salariés protégés qu’échoit la mission de contrecarrer les projets gouvernementaux par un blocage de certains services publics. La grève est, en quelque sorte, devenue une mission de service public.

Désindustrialisation ? Un bobard !

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Photo : Audrey 286

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, qui en matière de gestion de carrière politique, aurait pu donner quelques leçons aux plus inoxydables de nos gouvernants, avait en son temps édicté un principe fondamental qui fait depuis office de référence dans le discours public : « En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai ».

Ainsi en va-t-il de cette l’affirmation, dument répétée tel un mantra bouddhiste par l’ensemble de notre classe politique, selon laquelle la France se désindustrialise. De Nicolas Sarkozy, qui déclarait encore l’autre jour[1. Au salon de l’automobile, le 1er octobre 2010] que jamais il n’accepterait la désindustrialisation, à l’état-major du PS en passant par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou ou Dominique de Villepin, c’est toute notre classe politique qui tire son mouchoir et la sonnette d’alarme face à la disparition de notre industrie, de nos usines et de nos ouvriers.

Les coupables de cet odieux forfait sont bien sûr connus et désignés de toute part : la mondialisation, le libre-échangisme, les capitalistes … brefs les « autres », ces êtres tout aussi maléfiques, qu’ils sont inconnus et invisibles et qui nous veulent du mal[2. Toute ressemblance avec une série télévisée américaine dont l’action se situe sur une île mystérieuse serait purement fortuite]. Heureusement pour nous, le bon peuple, nos élus ont des solutions – et pas que deux ou trois – pour réindustrialiser la France : des subventions aux nationalisations en passant par le protectionnisme, c’est toute la gamme des politiques interventionnistes qu’on nous déballe comme au marché. Faites vot’ choix m’sieurs dames… Elles sont bonnes mes salades !

En dix ans, la production industrielle a augmenté de 25%

Si la France se désindustrialise comme nous l’affirment nos politiciens professionnels, nous devrions pouvoir observer le phénomène dans les chiffres publiées par l’Insee qui mesurent depuis 1949 la production de chaque secteur d’activité de notre économie. Et là, ô surprise, ajustée de l’inflation, notre production industrielle de 2009[3. 844.7 milliards d’euros selon l’INSEE, soit environ 27% de notre production totale en valeur] était 26% plus élevée qu’en 1990, 50% plus élevée qu’en 1980, 106% plus élevée qu’en 1970 et – excusez du peu – 570% plus élevée qu’en 1949. Pas l’ombre de la queue du début d’un commencement de désindustrialisation.

Ce qui est vrai, c’est que nous avons perdu l’essentiel de notre industrie textile (-45% depuis 1970) et une part substantielle de notre production de combustibles et autres carburants (-33%). Mais ce qui est aussi vrai, c’est que la production de nos industries navales, aéronautiques et ferroviaires a augmenté de 449.5%, que celle de nos industries pharmaceutiques et cosmétiques est aujourd’hui 490.2% plus importante qu’en 1970 et que notre production d’équipements électriques et électroniques a été multipliée par six dans le même laps de temps.

Ce qui est surtout vrai, donc, c’est que notre industrie a changé. Encore dominée il y a quelques décennies par des chaines de production sur lesquelles on alignait des ouvriers peu qualifiés et misérablement payés, elle est devenue une industrie de pointe qui embauche essentiellement des ingénieurs, des ouvriers qualifiés et des cadres, investit massivement dans la recherche et offre des rémunérations sans aucune commune mesure avec ce que peuvent espérer les ouvriers chinois[4. Le salarié moyen de l’industrie manufacturière française coûte un peu plus de 49 000 euros par an à son employeur… soit – au bas mot – 15 fois plus que son homologue chinois].

Le merveilleux monde d’avant était aussi celui des salaires misérables

Le discours politique – et médiatique – est resté enfermé dans un monde de grandes usines, pourvoyeuses d’emplois à vie et en masse, où des milliers de salariés constitués en « classe ouvrière » produisent à la chaîne des taille-crayons ou des paires de chaussures. On nous rebat les oreilles d’un monde merveilleux, un monde d’avant, où les grandes luttes ouvrières faisaient les heures de gloire de la gauche marxiste et les patrons paternalistes aux mines sévères celle d’une droite conservatrice. Mais ce que le discours politique oublie, c’est que ce monde était aussi celui des salaires misérables, des mineurs qui risquaient leur peau au moindre coup de grisou, des ouvrières du textile qui usaient leur jeunesse et leurs doigts dans les usines et des ouvriers qui étouffaient dans l’atmosphère surchauffée des hauts-fourneaux.
Alors oui, ça fait moins de monde dans les usines (et aux manifestations de la CGT) mais non, la France ne se désindustrialise pas. Elle va même plutôt bien notre industrie entre l’Oréal dont les ventes explosent dans les pays émergents (+13% en 6 mois), Legrand qui réalise l’essentiel de sa croissance en dehors de l’Europe ou notre Cognac qui exporte plus de 96% de sa production. L’avenir de nos enfants n’est plus derrière un métier à tisser ni au fond d’une mine, il est derrière une planche à dessin, dans des laboratoires de recherche ou aux commandes d’une chaine de production automatisée. Et pour tout vous dire, moi je préfère ça.

Les analyses pénétrantes de Christine Lagarde

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Depuis lundi matin, les journaux évoquent un entretien que Christine Lagarde a accordé à la chaîne ABC aux Etats-Unis ce dimanche. Notre ministre de l’économie dissertait sur « l’aide » qu’une moindre présence de libido et de testostérone apporte à la gent féminine dans l’exercice des responsabilités publiques.

Intrigué par cette fameuse « aide », je me suis mis en quête d’autres déclarations que Mme Lagarde aurait pu avoir sur ce thème et qui expliciterait davantage sa pensée. Je n’ai pas été déçu du voyage. Le 1er octobre dernier, pour la Tribune, elle a donné un éclairage fort détonnant sur les responsabilités dans la crise financière. Qu’on en juge. Lorsqu’on lui demande si la donne aurait été changée si Lehmann Brothers s’était appelé Lehmann Sisters, Christine Lagarde n’hésite pas : « Oui. J’en suis convaincue. Intuitivement, je pense qu’il y a moins de libido féminine dans le rapport de compétitivité permanent qui se joue dans les salles de marché. ».

Son intuition -féminine, bien entendu- ne la trompe pas. Elle en est convaincue. La testostérone, voilà l’ennemie ! D’ailleurs, plus loin, elle enfonce le clou : « […] le compost financier a été l’élément déterminant. Et si vous regardez la sphère financière, vous y rencontrez une grande majorité de paires de pantalons. ». On notera au passage la délicatesse qui la pousse à préférer évoquer les pantalons à autres choses pour désigner ce qui va par deux chez les messieurs. Et d’oublier au passage les combats féministes d’avant-garde menés par la municipalité parisienne. Mais on comprend malgré tout entre les lignes, que ce qui pose problème, au premier chef, dans les bourses, ce sont bien les couilles.

Point de problème systémique, donc. Alors que le G20 va débuter et que notre Président de la République souhaite apporter à ses partenaires quelques propositions pour réformer le capitalisme mondialisé, sa ministre lui apprend doctement que ce n’est pas la peine et que le problème se situe au niveau de son caleçon. Il suffit simplement de n’embaucher que des traideuses.

Islam : où est le problème ?

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Sayyid Shah Kallimullah Husayni
Portrait de Sayyid Shah Kallimullah Husayni, miniature, vers 1670.
Sayyid Shah Kallimullah Husayni
Portrait de Sayyid Shah Kallimullah Husayni, miniature, vers 1670.

Je n’ai pas de problème avec l’islam. L’islam en a peut-être un avec moi, je veux dire avec nous ou avec vous, mais je n’en ai pas l’impression. Par exemple, j’ai un problème avec le capitalisme qui, après avoir produit de la richesse, produit surtout de la misère en se financiarisant. Il explique ces jours-ci, avec l’aplomb et un art accompli du nonsense, qu’il faut travailler plus et gagner moins alors que les grands patrons travaillent moins et gagnent toujours plus. J’ai un problème, aussi, avec les boutefeux de la guerre civile ethnique qui n’ont pas fait leur service militaire mais veulent rouler des mécaniques rue Myrha[1. Et je n’ai pourtant aucune sympathie pour les gens qui prient dans l’espace public.] dans des apéros « républicains » heureusement virtuels, car ces gens-là aiment bien allumer l’incendie mais envoient toujours les autres les éteindre. The same old story, comme chantait Billie Holliday. Quand il y a une guerre, ceux qui veulent la faire sont rarement ceux qui la font. C’est pour cela qu’il y a assez peu de vieux sur les monuments aux morts et que je serais curieux de connaître, parmi le tout petit nombre d’intellectuels néoconservateurs français qui voulaient envoyer nos pioupious au feu en 2003, combien étaient ou avaient été ne serait-ce qu’officiers de réserve.[access capability= »lire_inedits »]

Irak et Turquie : l’échec du « containment » islamophobe

Comme l’a balancé Eric Raoult à un petit journaliste de Canal+ qui croyait faire le malin en lui demandant ce qu’il pensait du cadeau fait par l’UMP à Chirac dans le remboursement des frais de bouche de la mairie de Paris : « Au lieu de dire des conneries, tu ferais mieux de remercier le président qui a empêché ton grand frère de revenir de Bagdad dans un sac en plastique. »

Les islamophobes, au moins ceux qui le sont sur un plan géopolitique, sincèrement, je ne les comprends pas. Les troupes américaines s’en vont après avoir laissé plusieurs milliers de morts à eux sur le terrain et plusieurs centaines de milliers chez les autochtones. Pour quel résultat ? Eh bien, la création d’une mosaïque de principautés musulmanes très hargneuses où chiites et sunnites vont se mettre sur la tronche de plus belle dès que la dernière section de GI aura quitté la Zone verte. Or, qu’y avait-il avant l’intervention américaine ? Un pays laïque. C’était une dictature, méchante, cruelle, mais laïque, et Saddam Hussein valait ce qu’il valait, il n’empêche qu’il tenait son monde. Alors pourquoi cette guerre ? Ce n’était pas pour sauver la civilisation occidentale ? Ç’aurait été pour de simples questions d’approvisionnement pétrolier ? Je sens qu’on va encore dire que je ramène tout à l’économie.

Même chose avec la Turquie. Voilà un pays que tout le monde commence à regarder d’un sale œil. Il sert de base arrière aux flottilles dites « de la paix » et son président, Recip Erdogan, musulman modéré[2. Je suis d’accord : c’est un oxymore. Comme « capitalisme moral ».], remet tranquillement mais sûrement en cause les acquis du kémalisme. Rappelons que Mustafa Kemal avait, dès les années 1920, occidentalisé son pays, que sa laïcité intransigeante avait forcé les hommes à se raser et les femmes à se dévoiler, que la séparation entre l’islam et l’Etat a fait de la Turquie le seul pays, avec le Mexique, qui ait en la matière une conception proche de la nôtre. Assez logiquement, les Turcs se disent : « Nous allons adhérer à l’Europe » ; et l’Europe leur dit, en gros dès les années 1960 : « D’accord, mais dans trente ans, le temps que vous vous développiez un peu. »

Trente ans passent… D’accord, mais il faut arrêter avec les Kurdes, vous vous comportez n’importe comment ! Ils se calment et libèrent même le leader condamné à mort. Eh bien tiens, puisqu’on parle de peine de mort, ce serait bien de l’abolir. Les Turcs l’abolissent. Mais voilà, la porte reste toujours fermée. Résultat : le peuple turc, qui se sent tout de même un peu humilié, vote et revote en masse pour l’AKP, le parti de Recip Erdogan.

Donc, si je fais les comptes, les partisans du « choc des civilisations » et du containment de l’islamisme ont surtout réussi à transformer deux Etats pro-occidentaux en deux Etats énervés (et encore l’appellation d’Etat pour ce qui reste de l’Irak est un bien grand mot.)

Le seul Etat qui aurait le droit d’être islamophobe, c’est Israël. Pour le coup, entre le Hezbollah libanais et le Hamas gazaoui, il est en première ligne. C’est sans doute pour ça que l’inflexible « Bibi » Nétanyahou a décidé d’accepter l’idée de pourparlers directs. Pour sauver le soldat Abbas, le dernier Palestinien qui ne soit pas islamiste.

L’islamisme n’est pas consubstantiel à la cause palestinienne, c’est même historiquement une forme assez récente de cette revendication, alors que l’OLP et le Fatah étaient avant tout laïques et progressistes avant d’être débordés par une fraction religieuse qui a prospéré sur le désespoir, la misère et − soyons honnête − une corruption endémique dans l’Autorité palestinienne.

Voile, burqa, islam des caves : problèmes réglés

Mais je reviens dans nos parages et, je le répète, je n’ai pas de problème avec l’islam. Je n’aime pas l’idée qu’un marchand de malbouffe procède à une opération marketing dans plusieurs villes. Mais lui rappeler simplement que l’actionnaire majoritaire de ses mangeoires est la Caisse des dépôts et consignations, donc vous et moi, pourrait peut-être l’inciter à changer de stratégie commerciale. À moins que certains politiques aient intérêt à ce que se créent des ghettos communautarisés comme autant d’abcès de fixation. Je n’ose le penser.

Plus généralement, je suis très étonné qu’on soit islamophobe dans un pays comme le nôtre où, dès qu’un problème se posait en la matière, il était jusqu’à maintenant résolu avec la fermeté républicaine qui s’impose. Le voile à l’Ecole ? Une loi. L’islam des caves ? Un Conseil français du culte musulman initié par Chevènement et parachevé par Sarkozy. La burqa ? Une loi initiée par mon camarade André Gerin. On le voit : la question fait en plus l’objet d’un consensus républicain qui n’exclut que quelques ayatollahs des deux camps, partisans d’un gauchisme angélique ou d’une droite ethnico-saucissono-pinardière.

Non, je n’ai pas de problème avec l’islam parce que les problèmes qu’il pose ont été réglés, se règlent ou se règleront.

À moins, c’est vrai, qu’on fasse soudain un lien entre immigration et délinquance. À moins qu’on refuse de constater que les inégalités sociales, scolaires, sanitaires ont tendance à se concentrer dans les mêmes endroits. À moins qu’on remette en question le droit du sol et l’égalité des citoyens devant la loi. À moins qu’on se mette à essentialiser ou instrumentaliser tels ou tels de nos compatriotes.

À moins donc qu’on cesse d’être Français.

Dans ce cas, comme c’est le seul pays que j’aime pour ce qu’il a eu de générosité et de génie (les deux se confondent toujours, au bout du compte), il ne serait pas impossible que je demande à être déchu de ma nationalité.[/access]

Ils ont du bol, en Bolivie

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Dans les défilés du 12 octobre, si l’on n’a pas vu, comme l’a dit Gil Mihaely, le dernier prix Nobel d’Economie favorable à ce que la durée de temps de travail s’aligne sur l’espérance de vie, certains auront peut-être aperçu un homme au teint olivâtre et à la coupe en bol digne de Mireille Matthieu. Dans ce cas, c’était sans doute Evo Morales, actuel président de la république de Bolivie, ouvertement chaviste et réélu régulièrement.

Depuis le mois de mai 2010, la Bolivie a en effet décidé de reporter l’âge légal de la retraite de 65 à 58 ans. A taux plein, évidemment. Ce fou d’Evo Morales a en effet estimé que les gains de productivité, notamment dans les mines (où a été reconnue la notion de pénibilité avec départ à 51 ans), devaient être redistribués à ceux qui en sont les principaux artisans, notamment sous forme de temps. Bon, évidemment Morales n’est pas un prix Nobel d’Economie ni même un expert du FMI. C’est juste un élu du peuple.

La retraite, enjeu libidinal majeur

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La semaine dernière, tout près de chez moi, devant le lycée Guillaume Fichet de Bonneville (Haute-Savoie) deux jeunes filles, élèves de seconde, ont été victimes de graves brûlures. Elles participaient à un mouvement spontané de lycéens de protestation contre la réforme des retraites. Pour donner un caractère plus festif à leur mouvement, les potaches avaient décidé d’allumer un feu à un amas de détritus entassés devant la grille du lycée. On ne s’embarrasse pas, quand on est jeune, de procédés archaïques pour faire jaillir la flamme : on arrose le tout de white spirit et on craque une allumette. Résultat : l’une des deux jeunes filles est en soins intensifs à l’hôpital Saint-Luc de Lyon, spécialisé dans les soins aux grands brûlés.

Cette histoire a fait grand bruit, et a provoqué des réactions en haut lieu, notamment celle du ministre de l’Education, Luc Chatel, qui dénonce « l’irresponsabilité de tous ceux qui mettent les lycéens en danger en les appelant à participer à des actions qui risquent de dégénérer ». Connaissant un peu le secteur, je doute fort que les amis d’Olivier Besancenot soient pour grand-chose dans cette agitation lycéenne qui se nourrit de bien d’autres passions que la hargne anticapitaliste du NPA.

Ecoutant, l’autre dimanche, sur France Culture l’émission style café du commerce qui succède à la messe dominicale, dont le taulier s’appelle Philippe Meyer, j’ai entendu deux des piliers de ce bar, Eric Le Boucher et Jean-Louis Bourlanges s’offusquer de cette mobilisation des lycéens : « Ils devraient aller contre-manifester ! », pestaient les deux barbons, « au bout du compte ce sont eux qui vont payer la note des retraites de leurs parents, et rembourser la dette publique maousse contractée par les générations précédentes ! ». Economiquement et sociologiquement, ce raisonnement est imparable : la fracture générationnelle mise en lumière par Louis Chauvel et quelques autres bons esprits est bien réelle. La génération des « baby-boomers » s’est sucrée à mort en surfant sur les « Trente glorieuses », payant son patrimoine immobilier en monnaie de singe, alors que les salaires grimpaient plus vite que l’inflation, et en profitant au maximum des « acquis sociaux », dont la retraite à soixante ans n’est pas le moindre.

Le dilemme de Papy et Mamy : camping-car ou voilier de douze mètres ?

N’empêche, les teenagers d’aujourd’hui n’ont aucunement tendance à vouloir substituer la lutte des âges à la lutte des classes. Et il ne s’agit pas, en la matière, d’un effet supplémentaire de la dégradation de la qualité de l’enseignement. Ces jeunes semblent avoir choisi leur intérêt libidinal plutôt que leur intérêt économique, ce que Messieurs Le Boucher et Bourlanges n’ont pas compris, en dépit de leur tête pleine de chiffres et de savoir. Avec l’allongement de la durée de la vie, et l’amélioration de sa qualité pour ceux que l’on nomme désormais les séniors, les ados d’aujourd’hui peuvent comparer l’existence de leurs parents et celle de leurs grands-parents. Aux premiers la galère quotidienne, les salaires qui stagnent, l’angoisse sur la pérennité de leur emploi, le stress provoqué par la pression au boulot. Cela concerne tout le secteur central de la société, de l’ouvrier ou de l’employé qualifié jusqu’au cadre supérieur. Aux seconds, papy et mamy, le teint bronzé toute l’année, les voyages lointains, la tranquillité de ceux qui ont acquis leur logement depuis longtemps et les dilemmes angoissants : camping-car ou voilier de 12 mètres ? Il n’a pas échappé non plus à nos adolescents, grâce à quelque allusions salaces lors des repas de famille, qu’une nouvelle pharmacopée pouvait animer, chez les anciens, une activité badine au delà de la limite où le ticket n’est plus valable, comme disait le regretté Romain Gary.

Dans son dernier livre Le mariage d’amour a-t-il échoué ?, Pascal Bruckner désigne les retraités comme « les post-adolescents de la société moderne », ce qui les met en prise directe avec leurs ados de petits-enfants.
En fait, ce qui leur conviendrait le mieux, aux lycéens manifestants de ces dernières semaines, c’est de réduire au minimum le temps séparant la fin de leurs études de celui de leur passage au statut de retraités, l’idéal étant que cet intervalle tende vers zéro.
La vraie question, alors, n’est pas de « résoudre le problème des retraites » dans une logique purement comptable, mais de réintégrer le travail dans une zone d’intensité libidinale qui le rende attractif pour les nouvelles générations, ce qui est une toute autre paire de manches.

Le djihad laïque, ça suffit !

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Mosquée de Paris

Mosquée de Paris

En 1991, l’Union soviétique disparaît de la carte en laissant pour seule héritière une Russie en proie au chaos. L’islam remplace alors peu à peu le socialisme comme idéologie révolutionnaire dans les pays du Moyen-Orient, ce qui est une aubaine pour les Etats-Unis à la recherche désespérée d’un nouvel ennemi pour justifier leur centralité financière. Les événements du 11-Septembre concrétisent ce passage de témoin en faisant émerger une nouvelle incarnation du Mal, sous la forme du barbu islamiste qui déteste l’Amérique, sa liberté et sa prospérité au nom d’idées moyenâgeuses. L’Empire va donc pouvoir repartir en croisade pour faire étalage de sa puissance, du moins le croit-il.

La théorie du « choc des civilisations » s’est depuis diffusée dans tout le monde occidental. L’islam n’est plus la religion des peuples d’Orient, mais le totalitarisme du XXIe siècle, conquérant et belliqueux comme à l’époque de Mahomet. L’islamophobie n’est plus une forme de la xénophobie nauséabonde du bas peuple aux bas instincts, mais une idée à la mode, particulièrement chez les élites éclairées qui profitent de l’occasion pour revêtir leur costume de résistant remisé depuis belle lurette. Même la gauche dite républicaine s’y met, sous couvert de laïcité, de défense du droit des femmes, quand ce n’est pas de la République elle-même. [access capability= »lire_inedits »]

Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Histoire de poule et d’œuf

Il est vrai que, dans le même temps, les populations musulmanes se sont radicalisées dans une crispation identitaire. On a vu les voiles se multiplier, la burqa apparaître, la nourriture halal se généraliser, des prières se tenir dans les rues, au moins sur Dailymotion… Effet d’optique lié à un reflux de la tolérance à l’égard des manifestations d’une culture exogène ou réalité d’un nouveau communautarisme revendicateur nourri par une immigration toujours plus nombreuse et concentrée ? Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Un vrai problème d’œuf et de poule impossible à trancher.

Quelles que soient les causes, on constatera simplement que la tension monte entre deux communautés. D’un coté, les populations immigrées, les musulmans, les racailles et habitants des cités, rassemblés dans un amalgame répulsif à souhait. De l’autre, des Français racistes, intolérants, coupables de discriminations ou de « stigmatisation », comme on dit aujourd’hui.

Si cette tension ne se manifestait que par des joutes verbales autour de symboles, comme le débat public national en raffole, cela serait fâcheux mais pas bien grave. Le problème c’est que la situation peut exploser à la moindre étincelle. Qu’un agent des forces de l’ordre soit tué à l’occasion d’une nouvelle émeute dans un quartier sensible, que la police ouvre le feu, soit sur instruction, soit parce que l’un de ses agents aura perdu ses nerfs, et ce sont toutes les banlieues qui s’embraseront aussitôt, plongeant la France dans une guerre civile communautaire comme elle n’en a pas connu depuis les guerres de religions, avec des conséquences politiques absolument imprévisibles.

Voilà pour le constat. Jusque-là, je pense que tout le monde sera d’accord, en espérant ne pas avoir fait dans le déni de réalité, donné dans l’angélisme ou la bien-pensance, pour reprendre la ligne de défense préférée des adversaires de l’islam.

Et maintenant, qu’est ce qu’on fait ?

Le drame de la période est que, face à la posture moraliste « anti-stigmatisation », on n’entend guère qu’un discours haineux de pure confrontation dont les seuls effets possibles seront de précipiter la guerre civile que l’on prétend vouloir éviter.

Ces nouveaux croisés soulignent à longueur d’articles tout ce qu’il y a d’antirépublicain dans la charia, réfutent toute distinction entre la pratique normale de la religion musulmane et l’islamisme radical, dénoncent le machisme au nom de la sacro-sainte égalité homme-femme quand ce n’est pas l’arriération mentale que traduit l’observation de prescriptions religieuses.

Leur rêve ultime est probablement de finir en martyrs de la cause laïque, comme Théo Van Gogh, ou simplement de subir une fatwa en bonne et due forme, ce qui est pour le moins paradoxal venant de prétendus laïques. Ils ne reculeront devant aucune provocation. Et si leurs apéros-saucisson et leurs textes accusateurs ne suffisent pas, ils iront s’il le faut jusqu’au blasphème le plus insultant, au nom bien sûr, des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

On peut les comprendre. L’opinion est clairement en attente d’une réaction après des décennies d’immigration présentée comme une fatalité et de droit à la différence trop longtemps célébré. La libération de la parole xénophobe (au sens de rejet de celui qui se comporte en étranger sur le sol national) est incontestablement un puissant facteur de dynamique électorale et de succès médiatique. Sarkozy l’a bien compris, mais il n’est manifestement pas le seul.

Philosophiquement, l’islamophobie est déjà en soi critiquable, car si certaines critiques de l’islam sont fondées, l’exercice inverse, qui consisterait à interroger la culture dominante dans la France contemporaine, pourrait bien donner lieu à une critique tout aussi dévastatrice. Faisons donc l’inventaire des valeurs qui fondent aujourd’hui notre vivre-ensemble et demandons-nous s’il n’y a pas là une terrible carence qui pousse ces populations à se replier sur leur culture d’origine pour retrouver des valeurs fédératives consacrées dans des pratiques collectives ainsi qu’un sentiment d’appartenance qui fait cruellement défaut dans le pays de la laïcité.

Sur le plan pratique, la pensée islamophobe est en revanche absolument contre-productive et extrêmement dangereuse. Ce discours hémiplégique, qui flatte les uns et braque les autres, ne peut qu’exacerber les tensions, accélérer le durcissement de la société et de notre système politique et précipiter un véritable « choc des civilisations » sur notre sol.

Un système culturel ne se combat pas comme un système de pensée. On ne gagne pas une guerre de religion par le verbe comme on gagne une élection. On la gagne par les armes, l’extermination ou la conversion forcée ! Qui peut raisonnablement imaginer qu’un musulman qui tomberait sur un texte « riposte-laïcard » puisse se laisser convaincre que ses valeurs sont moyenâgeuses, que sa religion n’a pas décidément pas sa place dans ce beau pays qui est désormais le sien et qu’il est temps pour lui de se défaire de sa culture familiale pour enfin pleinement s’assimiler dans la nation française ?

Une culture agressée et niée ne peut que se radicaliser par réaction. Exacerber ainsi la conscience des différences culturelles ne peut que conduire à des identités irréconciliables et exclusives les unes des autres. À trop répéter aux musulmans qu’ils n’ont pas leur place en tant que tels dans la République, on les pousse à choisir entre deux identités devenues exclusives. Ils seront musulmans et rejetteront la France.

La cause de l’islamisation, c’est l’immigration sans contrôle. Légale ou illégale.

L’islamophobie ne devrait pas se revendiquer de l’héritage républicain, car non seulement elle divise au lieu de chercher à refonder l’unité nationale, mais elle s’oppose à notre tradition politique sur un point essentiel. L’ordre public a toujours été défini comme extérieur et matériel. La République s’est toujours refusée à faire la police des esprits. C’est cela aussi la laïcité !

C’est aux manifestations de l’islam − et par extension de tout ce qui peut paraître comme trop étranger pour avoir sa place sur le sol national − qu’il faut s’attaquer. Ce combat doit impérativement déboucher sur des revendications politiques et abandonner les postures trop faciles de la critique culturelle ou religieuse.

Peut-être faudrait-il commencer par s’attaquer aux causes de l’islamisation, à savoir l’immigration, légale ou illégale, dont le flux n’a jamais cessé ? Mais bien sûr, il est plus gratifiant et plus correct de dénoncer l’islamisation sous couvert de laïcité ou de féminisme, que de proposer de stopper l’immigration.

Peut-être faut-il oser durcir les conditions d’octroi de la nationalité pour faire ou refaire de ce droit un véritable parcours vers l’assimilation et, à l’occasion, redéfinir les droits et les devoirs attachés spécifiquement à la qualité de Français ?

Peut-être faudrait-il aussi se donner les moyens de fabriquer enfin un islam de France, débarrassé du contexte culturel moyen-oriental pour ne conserver que le message spirituel et les pratiques proprement religieuses, quitte à revenir temporairement sur la loi de 1905, via un nouveau Concordat qui permettait d’accoucher d’un clergé musulman de nationalité française et prêchant en français.

Peut-être aussi faut-il réglementer plus sévèrement la place de l’islam, ou de la religion en général, dans l’espace public, comme on a commencé à le faire avec l’interdiction du voile à l’Ecole puis de la burqa dans l’espace public.

Mais peut-être aussi faudrait-il reconnaître par un acte symbolique la légitimité d’un islam tolérant et modéré dans la République, par exemple en faisant d’une de ses fêtes religieuses un jour férié  ?

L’apaisement des tensions communautaires et l’intégration de l’islam dans la République, si c’est bien cela qu’on cherche, exigera en tout état de cause des efforts et des concessions des deux côtés. La nation française a été faite par la politique et non par la religion ou la culture. Traitons donc ce problème selon notre tradition, en le ramenant sur le terrain politique.[/access]

Retraite de jouvence

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« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ». Cette phrase tonitruante ouvrait la profonde réflexion de Carl Schmitt sur la nature du pouvoir. Le juriste allemand ne croyait guère à la force des procédures, démocratiques ou non, en période de conflits. Lorsqu’un corps politique était secoué par une crise qui risquait de défaire son unité, il appartenait au souverain de décider, et de révéler ainsi à cette occasion où résidait le vrai pouvoir.

Le conflit sur les retraites permettra-t-il à la France d’apprendre quelque chose sur elle-même ? Qui y possède vraiment le pouvoir par exemple ? L’opposition entre le gouvernement et les syndicats est frontale, mais policée. D’un côté on fait grève le week-end et on accepte sans rechigner de se plier aux exigences du service minimum dans les transports, de l’autre on reconnait volontiers le droit qu’ont les syndicats de râler un peu avant de passer à autre chose. Nous sommes loin à la fois de la répression féroce style XIXe siècle et de la loi de la rue imposée par la base, par exemple en 1995. Tout ça est un peu mou du genou et traîne en longueur. Que faire ? Heureusement, il y a « les jeunes ». C’est le drôle de Deus ex machina inventé par l’époque pour précipiter la chute de cette morne pièce.

C’est jeune et ça sait

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Chère Isabelle,

Votre article sur la jeunesse et la retraite, n’est pas dépourvu d’une certaine mélancolie élégante mais il se trompe de cible. Je voudrais d’abord vous dire que je n’aime pas les jeunes. Même quand j’étais jeune, je n’aimais pas les jeunes. Vous vous plaignez des jeunes des années 2010, c’est que vous n’avez pas connu les jeunes des années 1980. Moi qui trouve que tout était mieux avant parce que je suis un vrai réactionnaire, c’est à dire un républicain d’extrême gauche, je peux vous dire que les jeunes, sous Mitterrand, c’était pire. On leur avait même trouvé un nom, on les appelait « génération morale », ou même « génération Mitterrand ». Et ils trouvaient ça bien, les jeunes. Maintenant quand on voit qui étaient leurs chefs de l’époque, comme Julien Dray ou Harlem Desir, on rigole un peu tout de même. Ils ne rendaient pas compte, dopés à la moraline sociétale, qu’ils jouaient le jeu du seul président de droite que la France avait élu avant de se donner à Sarkozy en 2007.

En 1986, on manifestait pour des gommes et des crayons

Le virage de la rigueur de 1983 et l’européisme béat mais ardent qui a suivi, on n’a pas vu les jeunes bouger là-dessus, à l’époque. C’était pourtant le premier de la longue série des reniements de notre souveraineté, donc de notre modèle de société. En revanche, ils ont fait grève en 1986, essentiellement pour des gommes et des crayons, c’est-à-dire pour pouvoir entrer à l’université sans sélection en prenant bien soin de dire que leur grève n’était pas politique, comme si la politique, c’était honteux.
Ce que ça a pu m’énerver, cette manière de ne pas vouloir assumer ce beau mot de politique. Comme j’étais moi-même jeune, et que je pouvais leur parler parce que j’étais déguisé comme eux, j’essayais de leur expliquer que c’ était bien, la politique, qu’il fallait absolument l’être, politique, si l’on voulait gagner. En fait, je vais vous faire une confidence, Isabelle, j’étais jeune mais j’étais communiste. On était encore quelques-uns, comme ça, à faire de la politique. En fait, il n’y avait plus que nous et les trotskistes. Parce que les jeunes socialistes par exemple, ils étaient déjà en train de réfléchir à un poste de permanent pour après les événements. Et les jeunes de droite, bah comme ils étaient beaucoup moins courageux que les jeunes de droite de l’époque Occident, ils restaient à la maison, comme de bons enfants tristes. Je me demande d’ailleurs encore ce qu’ils pouvaient bien faire chez eux, les jeunes de droites, en 1986. Il n’y avait que cinq ou six chaines de télé et ils n’avaient pas Internet ni les blogues pour montrer à quel point ça peut être veule et solitaire, un jeune de droite, quand ça tape sa haine de classe sur un clavier, bien à l’abri de l’anonymat. Plus veule qu’un jeune social-libéral, c’est dire.

Précariat institutionnalisé

Résultat, les jeunes qui manifestaient en 1986 les ont faites tellement poliment leurs manifs, qu’ils ont eu un mort et une demi-douzaine de blessés graves occasionnés essentiellement par les regrettés pelotons de motards-voltigeurs. Maintenant, vous me direz, Isabelle, le pouvoir a perfectionné ses méthodes : quand il veut cogner les jeunes sans en avoir l’air comme lors de ce CPE qui vous chagrine tant mais chagrine beaucoup moins ceux pour qui le droit du travail a encore un sens, le pouvoir lâche dessus la caillera instrumentalisée des quartiers. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean-Claude Michéa dans L’enseignement de l’ignorance, livre assez peu complotiste, vous en conviendrez.
Non, je vous assure, les jeunes de 2010 sont beaucoup plus lucides maintenant. Les jeunes de 1986 sont devenus leurs parents. Ils ont vu le résultat : une weltanschauung consumériste de l’existence jusque dans le mariage s’ils ont réussi et, s’ils ont raté, une vie de chien au boulot avec des rapports sociaux qui ont fait un grand bond en arrière au point qu’ils n’osent plus manifester s’ils sont dans le Privé, ce qui signifie, de facto, qu’on leur a retiré le droit de grève.
Voir des jeunes manifester pour la retraite, ça a quelque chose de désolant et de petit ? Mais vous êtes suffisamment fine mouche, Isabelle, pour savoir que ce n’est pas pour leur retraite qu’ils manifestent, c’est contre un type de société qu’on leur impose, contre un précariat institutionnalisé, contre une stagiairisation à vie.
Cette fraction consciente de la jeunesse des années 2010 qui descend dans la rue, moi, je la trouve éminemment sympathique. D’abord parce qu’elle est très minoritaire. Les jeunes qui s’engagent, aujourd’hui, c’est qu’ils ont résisté à peu près à tout : téléréalité, internet, jeux vidéos, blockbusters hollywoodiens, pédagogisme, familles recomposées, soumission généralisée à la société du marché, antifascisme sans fascistes, antiracisme qui fait monter le racisme, rap qui encourage les pires pulsions et chanson française trentenaire qui encourage les pires résignations. Vous voyez l’exploit, tout de même, les défenses immunitaires en béton…
Ensuite parce qu’ils ne sont pas corporatistes, ces jeunes, comme votre article aurait presque tendance à le laisser penser. La jeunesse n’est pas une corporation, ni un métier quand bien même les chiens de garde démagogues de la sociologie (pour la gauche) et du marketing (pour la droite) voudraient le faire croire et leur faire croire. Et c’est justement cette minorité qui défile qui refuse cette assignation à une appartenance. C’est même très courageux, très altruiste et finalement très noble, quand on est jeune, de manifester pour un truc de vieux. C’est finalement, à l’échelle d’une classe d’âge, d’un pays, le même geste civique qui consiste à se lever et à laisser sa place dans les transports en commun.

En fait, Isabelle, et ce n’est pas souvent, mais je crois que sur ce coup-là, Rimbaud a tort.
On est très sérieux, quand on a dix-sept ans.

Solon is not dead

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En décembre 2008 et janvier 2009, la Grèce, qui était encore un pays indépendant, avait connu deux mois de révolte. Une génération précarisée, composée d’étudiants et de jeunes des quartiers populaires, avait laissé éclater sa colère et tenu tête aux forces de l’ordre avec une compétence et un courage remarqués par des observateurs avisés comme, par exemple, les auteurs toujours inconnus de l’Insurrection qui vient.

Le détonateur de ce soulèvement avait été le meurtre d’un adolescent de 15 ans, Alexis Grigoropoulos, abattu dans le quartier très contestataire d’Exarchia par un policier qui lui avait logé trois balles dans le corps. Le policier en question vient d’être condamné à la prison à perpétuité. On peut en conclure que la Grèce, actuellement occupée économiquement par les men in black de l’UE-FMI et sur le point de devenir la première colonie chinoise en Méditerranée a encore au moins un secteur qui n’a pas été privatisé: sa justice.

Le service public de la grève

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Au moment où les Français, et les Parisiens tout particulièrement, vont affronter une semaine de grèves gênantes, il faut s’attendre à voir les représentants de la droite assaillir les citoyens de sentences définitives sur la France qui « s’enfonce dans la grève ». Mais tout semble indiquer qu’aujourd’hui la grève est devenue un service public.

La France, l’un des pays les moins grévistes du monde

À cette occasion, il est bon de rappeler quelques chiffres : examinons la moyenne annuelle des journées de grève en France depuis la guerre (statistiques ministère de l’Emploi) :

Au cours des années 1950, la moyenne est de 3 700 000 journées de grève par an. Pendant la décennie suivante, elle passe à 2 800 000 jours par an – sans tenir compte des 150 millions de journées chômées pendant la grève générale de mai 1968. Pendant les seventies, on observe une légère remontée avec 3 400 000 journées par an. La décennie suivante est marquée par une chute avec une moyenne de 1 200 000 journées par an. Enfin, de 1990 à 2003, la décrue se poursuit : le nombre de jours de grève se monte à peine à 600 000 par an en moyenne.

La pression de la grève est donc six fois moins importante aujourd’hui, soit une baisse régulière et continue de 4,5 % par an !…

Certains idéologues diront que ce n’est pas assez et que la France reste le pays champion de la grève… Comparons donc sa situation avec d’autres pays (statistiques OCDE, nombre de jours de grève par an pour mille salariés du public et du privé, moyenne annuelle entre 1990 et 2000) : Espagne : 492, Italie : 240, Canada : 231, Suède : 57, USA : 43, Grande Bretagne : 37, France : 30, Allemagne : 23, Japon : 3, Suisse : 1.

En France, on fait dix fois moins la grève qu’en Italie et en Espagne et autant qu’au Canada. Les salariés américains ont un taux de grève de 50 % supérieur à celui des Français !… Nous ne sommes cependant encore loin du taux de grève des Suisses ! La France est donc l’un des pays les moins grévistes de l’OCDE.

La grève déléguée aux fonctionnaires

Reste à savoir d’où nous vient notre mauvaise réputation. Tout d’abord, la droite française adore battre sa coulpe sur la poitrine des salariés et des fonctionnaires et qui distille une idéologie qui tient la grève pour une imposture à la limite de l’illégalité. Dans des pays où le contrat social est plus développé et les syndicats plus forts, le recours à la grève, en particulier dans le privé, n’est jamais considéré comme un scandale.

Mais l’originalité de la situation française tient surtout au quasi monopole des fonctionnaires en matière de grève. Précarité oblige, il n’existe pratiquement plus d’entreprises privées en France dont les salariés osent faire grève.

Celle qui s’annonce est emblématique : ce sont les fonctionnaires qui vont faire grève pour protester contre la réforme des retraites des salariés du privé. Ces derniers sont d’ailleurs d’accord comme le montrent de nombreux sondages indiquant le support des Français prêts à supporter les inconvénients.

Ce paradoxe pourrait, là encore, apparaître scandaleux et ne manquera pas de déchaîner la haine anti-fonctionnaires de la droite française. Mais, au fond, les Français se satisfont de cette situation. Les choses se passent comme si les salariés du privé avaient délégué aux fonctionnaires leur droit à faire la grève et à manifester leur mécontentement. En vertu d’un accord tacite et bien compris, c’est donc aux salariés protégés qu’échoit la mission de contrecarrer les projets gouvernementaux par un blocage de certains services publics. La grève est, en quelque sorte, devenue une mission de service public.

Désindustrialisation ? Un bobard !

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Photo : Audrey 286
Photo : Audrey 286

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, qui en matière de gestion de carrière politique, aurait pu donner quelques leçons aux plus inoxydables de nos gouvernants, avait en son temps édicté un principe fondamental qui fait depuis office de référence dans le discours public : « En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai ».

Ainsi en va-t-il de cette l’affirmation, dument répétée tel un mantra bouddhiste par l’ensemble de notre classe politique, selon laquelle la France se désindustrialise. De Nicolas Sarkozy, qui déclarait encore l’autre jour[1. Au salon de l’automobile, le 1er octobre 2010] que jamais il n’accepterait la désindustrialisation, à l’état-major du PS en passant par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou ou Dominique de Villepin, c’est toute notre classe politique qui tire son mouchoir et la sonnette d’alarme face à la disparition de notre industrie, de nos usines et de nos ouvriers.

Les coupables de cet odieux forfait sont bien sûr connus et désignés de toute part : la mondialisation, le libre-échangisme, les capitalistes … brefs les « autres », ces êtres tout aussi maléfiques, qu’ils sont inconnus et invisibles et qui nous veulent du mal[2. Toute ressemblance avec une série télévisée américaine dont l’action se situe sur une île mystérieuse serait purement fortuite]. Heureusement pour nous, le bon peuple, nos élus ont des solutions – et pas que deux ou trois – pour réindustrialiser la France : des subventions aux nationalisations en passant par le protectionnisme, c’est toute la gamme des politiques interventionnistes qu’on nous déballe comme au marché. Faites vot’ choix m’sieurs dames… Elles sont bonnes mes salades !

En dix ans, la production industrielle a augmenté de 25%

Si la France se désindustrialise comme nous l’affirment nos politiciens professionnels, nous devrions pouvoir observer le phénomène dans les chiffres publiées par l’Insee qui mesurent depuis 1949 la production de chaque secteur d’activité de notre économie. Et là, ô surprise, ajustée de l’inflation, notre production industrielle de 2009[3. 844.7 milliards d’euros selon l’INSEE, soit environ 27% de notre production totale en valeur] était 26% plus élevée qu’en 1990, 50% plus élevée qu’en 1980, 106% plus élevée qu’en 1970 et – excusez du peu – 570% plus élevée qu’en 1949. Pas l’ombre de la queue du début d’un commencement de désindustrialisation.

Ce qui est vrai, c’est que nous avons perdu l’essentiel de notre industrie textile (-45% depuis 1970) et une part substantielle de notre production de combustibles et autres carburants (-33%). Mais ce qui est aussi vrai, c’est que la production de nos industries navales, aéronautiques et ferroviaires a augmenté de 449.5%, que celle de nos industries pharmaceutiques et cosmétiques est aujourd’hui 490.2% plus importante qu’en 1970 et que notre production d’équipements électriques et électroniques a été multipliée par six dans le même laps de temps.

Ce qui est surtout vrai, donc, c’est que notre industrie a changé. Encore dominée il y a quelques décennies par des chaines de production sur lesquelles on alignait des ouvriers peu qualifiés et misérablement payés, elle est devenue une industrie de pointe qui embauche essentiellement des ingénieurs, des ouvriers qualifiés et des cadres, investit massivement dans la recherche et offre des rémunérations sans aucune commune mesure avec ce que peuvent espérer les ouvriers chinois[4. Le salarié moyen de l’industrie manufacturière française coûte un peu plus de 49 000 euros par an à son employeur… soit – au bas mot – 15 fois plus que son homologue chinois].

Le merveilleux monde d’avant était aussi celui des salaires misérables

Le discours politique – et médiatique – est resté enfermé dans un monde de grandes usines, pourvoyeuses d’emplois à vie et en masse, où des milliers de salariés constitués en « classe ouvrière » produisent à la chaîne des taille-crayons ou des paires de chaussures. On nous rebat les oreilles d’un monde merveilleux, un monde d’avant, où les grandes luttes ouvrières faisaient les heures de gloire de la gauche marxiste et les patrons paternalistes aux mines sévères celle d’une droite conservatrice. Mais ce que le discours politique oublie, c’est que ce monde était aussi celui des salaires misérables, des mineurs qui risquaient leur peau au moindre coup de grisou, des ouvrières du textile qui usaient leur jeunesse et leurs doigts dans les usines et des ouvriers qui étouffaient dans l’atmosphère surchauffée des hauts-fourneaux.
Alors oui, ça fait moins de monde dans les usines (et aux manifestations de la CGT) mais non, la France ne se désindustrialise pas. Elle va même plutôt bien notre industrie entre l’Oréal dont les ventes explosent dans les pays émergents (+13% en 6 mois), Legrand qui réalise l’essentiel de sa croissance en dehors de l’Europe ou notre Cognac qui exporte plus de 96% de sa production. L’avenir de nos enfants n’est plus derrière un métier à tisser ni au fond d’une mine, il est derrière une planche à dessin, dans des laboratoires de recherche ou aux commandes d’une chaine de production automatisée. Et pour tout vous dire, moi je préfère ça.