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Eloge de l’anecdotique

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You will meet a beautiful dark stranger commence et se termine par une citation de Shakespeare : « The world is a story told by an idiot, full of sound on fury, and signifying nothing ». Jusque-là, rien de très original dans l’oeuvre du pessimiste joyeux qu’est Woody Allen. L’histoire en question, pleine de bruit et de fureur, enchevêtre les trajectoires de plusieurs personnages: Sally (Naomi Watts) et son galeriste de patron (Antonio Banderas), son père (Antony Hopkins), sa mère (Gemma Jones) et son mari écrivain Roy (Josh Brolin). Derrière ces intrigues, qui en effet ne signifient rien, il y a une manière de variation inconséquente sur l’Ecclésiaste.

Mécènes charmeurs et blondes plantureuses

Rien de nouveau, en effet, sous les projecteurs. Toujours les mêmes maris inconstants, les mêmes épouses rêveuses, les mêmes écrivains d’un seul succès, les mêmes mécènes charmeurs, les mêmes blondes plantureuses au bras de vieux messieurs. Ces stéréotypes sont joués jusqu’au bout, les clichés pleinement assumés: le vieux marche au viagra, le mari regarde l’herbe plus verte dans la pelouse du voisin, le galeriste fait mugir sa voiture de millionnaire et la vieille mère anglaise croit aux sciences occultes. Rien de nouveau non plus dans le cinéma de Woody Allen. On retrouve les éternelles engueulades de couple qui ont fait la réputation de l’auteur d’Annie Hall et des dialogues qui tournent toujours autour des mêmes obsessions: le désir, la vieillesse, le destin, la mort.

Alors, où est l’intérêt de You will meet a beautiful dark stranger ? Nulle part, puisque la conséquence à ce « rien de nouveau » est que, quoique l’on fasse sous le soleil, quoiqu’il se passe à l’écran, tout n’est que vanité. En les mettant en regard, en les imbriquant les uns dans les autres, Woody Allen sait comme nul autre donner à tous ces destins une certaine gratuité. La vue d’ensemble sur toutes ces vies ne peut que se résoudre en un « signifying nothing ». Ne reste que le point de vue amusant du narrateur et le regard amusé du spectateur.

La moue de Naomi Watts

Pourtant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que même sous le soleil de l’Ecclésiaste, la vanité est cette ombre qui crée un désir, et que ce désir est ce qui fait des personnages. C’est une évidence qu’a beaucoup célébrée le Woody Allen des années 2000, avec des films comme Match Point ou Le Rêve de Cassandre, où les aspirations sociales et le désir sexuel, questions de vie et de mort, se mêlaient jusque dans le crime.
Avec You will meet a beautiful dark stranger, la configuration n’est pas la même, mais il y a toujours cet espace du désir qui définit chaque personnage. Ainsi Roy qui regarde la fenêtre en vis-à-vis (Hitchcock, si tu nous entends) et ne pense plus qu’à sa guitariste aussi belle que lisse (Freida Pinto), ainsi Sally et ses sentiments inexprimés pour son boss, ainsi le père de Sally, prêt à se ruiner pour que lui soit présenté un reflet de jeunesse.
Un personnage ne se définit pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il voudrait être. On voit ce que fait Woody Allen du stéréotype de l’écrivain angoissé : de charmeur indolent et frivole, Roy va devenir un imposteur. Il réussira un roman, mais ce ne sera pas le sien. Comme si tout être humain ne se résumait au fond qu’à une fable personnelle. Le tableau peut sembler tragique, mais il prend un tour comique et émerveillé quand notre vieille Anglaise au destin torturé s’imagine avoir vécu, dans une autre vie, une romance avec celui qui n’a pourtant pas grand-chose d’un « bel et sombre inconnu ».
De ce jeu d’ombres et de désirs, on retiendra un détail particulièrement bien trouvé : la moue de Sally (sublime Naomi Watts) essayant des boucles d’oreille à 50 000 livres pour la femme de son patron.
Et c’est le propre de ce film parfaitement anecdotique (et probablement voulu comme tel par Woody Allen), que de n’être que prétexte à de tels moments de tension comique et sensuelle.

Certains l’aiment trouble

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Tony Curtis

Je suis bien placé pour parler de Tony Curtis : j’ai été Danny Wilde pendant de nombreux mois à l’aube des années 1980. Le blouson court et les gants en simili cuir portés jusqu’en été me donnaient sans doute une allure étrange, mais le ridicule de mon accoutrement ne m’a jamais effleuré. Le séducteur tendre et retors qui donnait la réplique à Brett Sinclair (Roger Moore), dans Amicalement vôtre, était alors pour moi une sorte de mauvais génie délicieux, un Alcide sans gravité qui me corrompait doucement, me faisait croire à ma légèreté et à mon insouciance. C’est peu dire que je ne lui ai jamais complètement pardonné.

Tony Curtis a toutefois des circonstances atténuantes ; c’est justement grâce à son personnage de série télévisée que je suis entré en cinéphilie. Cherchant à retrouver sa fascinante désinvolture, je me mis en quête de quelques-uns de ses rôles comiques et le découvris dans les élégants navets de Richard Quine comme dans les farces enlevées de Blake Edwards. C’est là que le premier choc survint. Je compris rapidement que j’avais été avant tout séduit par les intonations ironiques et le timbre sautillant de Michel Roux, car la voix originale de Curtis, grave et presque monocorde, ne lui ressemblait décidément pas… Une voix d’ailleurs à la limite du désagréable, au point que celle-ci effraie Mia Farrow et perturbe le spectateur du Rosemary’ baby de Polanski. C’était un premier dessillement : il y en aurait d’autres.[access capability= »lire_inedits »]

Découvrant, au fil des années suivantes, sa filmographie chaotique, il m’apparut assez rapidement que ses choix se tournaient volontiers vers des personnages plus troubles qu’il n’y paraissait de prime abord, manipulateurs et ambivalents, joueurs avec la morale comme avec la vertu, qu’ils fussent travestis pour la bonne cause (Certains l’aiment chaud) ou corrompus sous le fard (Le Grand chantage). C’est d’ailleurs cette ambiguïté fondamentale, apanage des grands acteurs, qui constitue le ressort dramatique des beaux films de doute et de trahison que sont Trapèze ou Les Vikings. Une sorte de synthèse de son style se retrouve en quelque sorte dans l’amusant Roi des imposteurs, réalisé par Robert Mulligan en 1960, où il campe toute une série de personnages contradictoires avec une réjouissante amoralité.

L’étrangleur de Boston : un tournant

Et puis, il y eut la découverte de L’Etrangleur de Boston (Richard Fleischer, 1968), où il jouait le rôle du psychopathe bien avant que le fait de casser son image devînt le passage obligé de toute carrière hollywoodienne. Désormais, plus de plaisante ambivalence : juste le malaise insistant. Certes, d’autres rôles, plus tard, permirent à la noirceur de Mr Schwartz (son véritable patronyme hongrois) de continuer à se déployer, comme le gangster psychotique de Lepke (1975), remarquable thriller réalisé par le producteur Menahem Golan, pourtant bien peu inspiré par la suite, ou encore le vil sénateur McCarthy du déroutant film de Nicolas Roeg, Une Nuit de réflexion (1985), mais avec ce film-pivot, le cinéma enfin ne m’apparaissait plus uniquement comme la coexistence de saynètes aimablement variées, mais devenait cette longue coulée où le style épouse le propos.

En passant de Danny Wilde à l’étrangleur DeSalvo, du confortable découpage télévisuel à l’imprévisibilité du montage cinématographique (le film de Fleischer contient les plus beaux split-screens qu’il m’ait été donné de voir), je quittais le confort des fictions sans conséquence pour commencer à côtoyer l’incertitude des récits où, même si tout est faux − et surtout les diverses représentations du Vrai−, d’authentiques rencontres se nouent entre les images du monde transposé et celles que l’on garde de soi.

Quelques années plus tard, alors que je m’apprêtais définitivement à fétichiser le cinéma, c’est-à-dire à me laisser prendre à son vertige, ce fut à nouveau Tony Curtis, dont les rôles se délitaient dans d’invraisemblables nanars, qui m’en montra l’aspect le plus vain. Ainsi, grâce à un parcours d’acteur entre rôles extrêmement élaborés (le sens du mouvement chez Tony Curtis, la justesse de ses variations de rythme aussi bien dans le pas que la diction, sont largement sous-estimés) et caméos goguenards, le cinéma se révélait peu à peu comme à la fois dérisoire et lumineux, porteur d’un sens secret éparpillé dans la multitude des signes triviaux, emprise et participation inextricablement mêlées.

Tony Curtis est décédé le 29 septembre à l’époque des comédiens compassés et sérieux comme des papes ; il est évident qu’il ne laisse aucun héritier. Dans une scène de Certains l’aiment chaud, l’acteur, allongé de profil, a la jambe repliée tandis que Marilyn Monroe l’embrasse. Il expliqua plus tard que cette position (réclamée à Billy Wilder) lui permettait de dissimuler son érection à la caméra. Tony Curtis, c’était cela sans doute : la sensualité et la retenue également extrêmes, la maîtrise toujours plus ludique, un peu de poussière de Bronx et de Vieille Europe dans les signaux lumineux d’Hollywood ; de quoi désorienter pour longtemps les psychorigides comme les avachis.[/access]

Retraite : le grand soir des petits

Le mouvement contestataire qui ébranle la France depuis plusieurs semaines est en train de prendre un virage décisif. Après la large mobilisation des lycéens et collégiens cette semaine, on sent un frémissement social inattendu dans les écoles primaires et maternelles de France. Un tract syndical, qui est parvenu dans toutes les rédactions, le disait en ces termes : « Il fot ranversé Sarkozy kikoo lol ! Descendont dans les bacs à sable, les coures de récrés et les confiseurs poure fér enttendre no droit ! Vite fait ! La réforme dé retraite c pourri trop pas »

Le petit Kévin, 8 ans, scolarisé en CE2 au groupe scolaire René Goscinny de la Ferté-sous-Jouarre, qui est le leader de cette fronde enfantine a déclaré à l’AFP : « J’ai peut-être 8 ans mais je me sens concerné par la question des retraites. Avec les copains nous distribuons des tracts de mon papa qui est cheminot et qui a déjà trop travaillé dur à cause de la pénibilité ambiante ! »

La presse s’est vite enthousiasmée pour ce vaste élan de solidarité des culottes courtes pour leurs ainés syndicalistes chevronnés : Libé a titré « La fronde des bouts-de-chou » et l’Huma « La révoltes des totottes ». Une journaliste de France Info a même indiqué qu’un cortège de la CGT des 7-12 ans, est passé sous les fenêtres de la Crèche municipale Pierre Dac d’Ermont-Eaubonne en scandant : « Sarko t’es foutu, les mômes sont dans la rue ! Les bébés, avec nous ! Les bébés, avec nous ! Les bébés avec nous ! ».
Disons-le tout net : Nicolas Sarkozy n’est pas à l’abri, désormais, d’un camouflet des mouflets.

Depardon sans façon

Photo : Philippe Leroyer

Le vide de l’esplanade de la Bibliothèque François Mitterrand est comme un avant-goût de celui que l’on retrouve dans les 36 photographies en couleur de Raymond Depardon exposées jusqu’au 9 janvier 2011 à la BNF sous le titre La France de Raymond Depardon.

Cela dit, on ne peut pas faire l’étonné. On était prévenu. Depardon l’a dit. C’est volontairement qu’il n’a pas photographié les gens. Il a ressenti « l’urgence de photographier la France », mais … sans les Français ! Les Français, il les a déjà faits s’explique-t-il. Quelle justification étrange ! Depardon semble enfermer les Français dans une catégorie limitée et fixe, insensible aux changements. Les Français seraient un sujet épuisable. Leurs mœurs n’évolueraient jamais. En photographier quelques-uns à un moment donné et dans un certain contexte reviendrait à les photographier tous. Les Français, un sujet bouclé ou un sujet trop polémique. Tirer le portrait des Français, l’exposition aurait, sans doute, pris des airs d’identité nationale, n’est-ce pas ?

Une France morte

Non, au moins avec la France qu’il photographie, cette France esseulée, reculée, vidée de ses habitants et donc finalement complètement anonyme, il ne prend pas de risque ni politique ni esthétique. La France de Depardon, ce n’est ni la France des villes ni la France des campagnes, c’est la France de l’entre deux, celle des ronds-points et des plates-bandes, celle des petits commerces et des bar-tabac, une France vétuste, une France morte. Pour les commentateurs admiratifs, c’est la France anti-cliché, (un comble pour un photographe !), la France authentique parce que c’est celle qu’on croît connaître mais qu’on ne voit jamais. Pourtant à regarder ces chalets qui se détachent des montagnes alpines sans âme qui vive, on a plus l’impression d’être devant une carte postale que devant une photographie.

Et puis tout de même, toutes ces boucheries, ces charcuteries, ces bistros, ces tabacs, ces salons de coiffure, que Depardon photographie, avec complaisance, dans les différentes régions qu’il traverse au volant de sa caravane, qu’est ce qu’ils disent de la France ?
« Ils révèlent notre patrimoine !» rétorquent certains, comme si la France se réduisait à ces petits commerces. Mais si Depardon voulait photographier une France muette, pourquoi avoir exclu la France des ruines médiévales et des jardins à la française, des châteaux et des églises, des vieilles rues et des places de village ? Où sont donc la France historique, la France artistique et la France moderne ? Nulle part. L’œil de Depardon ne raconte rien parce qu’il ne révèle rien.

A la recherche de l’espace vécu

Mais les mots du photographe disent, bien entendu, le contraire. Ses commentaires qui ornent les murs de l’exposition contredisent ses photos.
Depardon prétend photographier « l’espace public » qu’il définit, à juste titre, comme
« l’espace vécu ». Mais où est donc la vie dans ses photos ? L’espace public n’est-il pas cet espace qui ne peut exister que parce qu’il s’actualise dans l’apparition continue des gens qui agissent et parlent ensemble ?

Or, Depardon a photographié des lieux vidés de ses habitants, dont aucune atmosphère ne se dégage, dont aucune scène de vie n’anime le paysage et où aucune âme ne se dévoile. Ces lieux sont des non-lieux parce qu’aussi criardes que puissent être leurs couleurs, ces bars et autres commerces sont, en réalité, identiques et donc interchangeables.
Ces lieux ne disent absolument rien de la France, puisqu’en photographiant cette France sans visage, Depardon s’est privé de la vie quotidienne où, au sein du familier, surgissent des attitudes inattendues et des gestes insolites révélateurs de l’humeur du siècle.

Sans les vestiges qui témoignent du passé et sans la vie qui trésaille, le pouls de la France ne peut pas battre.
Pourtant, lors de son passage à l’émission de Ce soir ou jamais du lundi 4 octobre, Depardon a fini par avouer que ce qu’il trouvait beau en France, c’était une place de marché qui s’éveille au petit matin. Entièrement d’accord. Mais qu’est ce qui fait sa beauté si ce n’est cette vie qui se met en mouvement, cette vie qui est à fleur de peau, que l’on renifle à pleines narines et que l’on saisit à bras le corps ? Et dans ce formidable marché des couleurs et des odeurs, surgit sans prévenir une scène inattendue, cet « instant décisif », si cher à Cartier-Bresson, qui naît de la rencontre entre un angle de vue pertinent et une expression particulière.

Le marché aurait pu être un lieu propice pour capter l’esprit du temps à travers « son port, son regard et son sourire » comme Baudelaire dans le Peintre de la vie moderne, lorsqu’il définit les métamorphoses de la modernité fugitive et transitoire. Or, les marchés ne font pas partie des photographies de l’exposition de Depardon et sa France est finalement dépourvue d’époque. Les photographies de Depardon ne modifient pas notre vision du monde parce qu’elles n’apprennent pas à regarder mais à identifier. Dans cette exposition, l’art de révéler fait place à l’art de divertir.

Le jeu des devinettes…

Les spectateurs ne s’attardent pas devant les photos parce qu’ils ont le sentiment qu’un instant exceptionnel a été délivré de l’écoulement du temps. Ils s’attardent pour se prêter au jeu des devinettes. Les 36 photographies en couleurs exposées sur les murs d’une grande salle rectangulaire n’ont ni titre ni date. Et cet oubli est volontaire. Même si les spectateurs ont pris le catalogue qui renseigne sur le lieu où la photo a été prise, ils jouent le jeu. Ils s’amusent à essayer de deviner dans quelle région Depardon a pris telle ou telle photo. Il faut dire que le photographe a semé des indices, qui, d’ailleurs, se ressemblent tous.
D’après les plaques d’immatriculation, les panneaux d’indication, les titres des quotidiens régionaux, les publicités pour les animations locales et le type de pierre des maisons (pour l’indice le plus subtil), les spectateurs amusés tentent d’identifier le lieu, puis vont vérifier leurs réponses dans la pièce suivante, où les planches-contacts des 36 photos indiquent le véritable endroit. Ces réponses donnent lieu à toutes sortes d’évocations : souvenirs, histoire de famille, petites anecdotes que les gens se mettent spontanément à raconter, comme s’ils ressentaient le besoin de peupler le vide devant eux. Leur récit est une façon de s’approprier ce décor où rien ne se passe.

En réalité, tout est téléguidé par la scénographie. Dans des photos de Depardon, finalement, il n’y a pas que les Français qui sont absents mais l’art de la photographie aussi. Et si vous avez plus de dix-huit ans, allez plutôt voir Larry Clark !

Thilo Sarrazin, grande gueule d’Allemagne

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Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.

L’analogie s’impose d’elle-même : la gloire soudaine de Thilo Sarrazin, obscur politicien berlinois ayant pantouflé au directoire de la Bundesbank, rejoint celle de la défunte Oriana Fallaci, auteur du brûlot anti-islamique La Rage et l’orgueil qui fit scandale lors de sa publication en France, en 2002.

Le succès foudroyant de son livre, Deutschland schafft sich ab (« L’Allemagne s’autodétruit’)[1. Editions DVA.] a conféré une notoriété mondiale à un homme qui jouait un peu le rôle de Georges Frêche au pays d’Angela Merkel. Membre depuis sa jeunesse du Parti social-démocrate (SPD), ce rejeton d’une famille huguenote française émigrée en Allemagne a exercé pendant plusieurs années la fonction de sénateur (ministre) chargé des finances du Land de Berlin. Un poste pas commode, car la capitale de l’Allemagne est constamment au bord de la faillite en raison du peu d’empressement des autres Länder à contribuer aux dépenses induites par le rôle de capitale de la République fédérale. Berlinois jusqu’au bout des ongles, protestant jusqu’à la moelle, Thilo Sarrazin s’était fait une réputation de maverick au sein de son parti − et plus largement de la classe politique allemande − en proférant de petites phrases assassines contre les Rmistes de son pays, qu’il dénonçait comme des fainéants budgétivores, et en traitant de « trous du cul » des étudiants gauchistes qui avaient envahi son bureau.[access capability= »lire_inedits »]

Comme Fallaci, Sarrazin ne s’embarrasse pas de circonvolutions pour développer, dans son livre, la théorie selon laquelle l’afflux d’immigrés musulmans, essentiellement turcs, « appauvrit intellectuellement l’Allemagne » car, selon lui, la plupart d’entre eux ne disposent que d’un QI limité. De plus, affirme-t-il, « plus la classe sociale est basse, plus ses membres font d’enfants, et parmi ceux-ci des filles entchadorées dès l’enfance ». Le ton exaspéré est le même que celui de l’Italienne reprochant aux musulmans de se « multiplier comme des rats ».

Ce qui fait scandale, dans les deux cas, c’est que ces thèses soient défendues par des personnes pourvues d’un curriculum antifasciste en béton : Fallaci était à peine sortie de l’enfance qu’elle luttait, les armes à la main, contre Mussolini avec les partisans italiens, et Sarrazin est un élu de gauche depuis des lustres.

L’utopie multiculturelle des post-soixante-huitards repeints en Verts

En Allemagne, ce n’est pas la première fois qu’un pamphlet pointe la lâcheté des autorités allemandes face aux comportements ultra-communautaristes d’une partie des immigrés musulmans. Dans son livre Hurrah, wir kapitulieren ![2. Editions WJS.] (traduction inutile), le journaliste et essayiste Henryk Broder démolissait joyeusement l’utopie « multiculturelle » brandie par les post-soixante-huitards allemands repeints en Verts. Ce juif polonais émigré tout jeune en Allemagne est passé par la case gauchiste avant de rompre avec cette mouvance qui versait peu à peu dans un antisionisme exacerbé. Avec quelques amis ayant suivi le même parcours, il a fondé le site Die Achse des Guten (L’Axe du bien) dénoncé comme  » bushiste » et « néo-cons » dans la presse de gauche et même dans les colonnes de la très conservatrice Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Même si ce livre a connu un relatif succès de librairie, son influence ne s’est pas exercée au-delà du public cultivé, alors que le pamphlet de Thilo Sarrazin fait un tabac dans toutes les couches de la population. Aujourd’hui, Broder prend la défense de Sarrazin : « Les réactions au livre de Sarrazin démontrent que les politiciens ont oublié que la démocratie ne vivait pas seulement avec des idées justes. Les idées justes font consensus et on a la paix. En revanche les idées fausses provoquent toujours un débat. Bien sûr, il existe aussi des idées fausses qui ne valent même pas la peine d’être contredites. Mais ce qu’écrit Sarrazin se situe à l’intérieur du spectre démocratique. Les tentatives de faire taire ou de discréditer Sarrazin ne provoqueront que l’émergence de nouveaux Sarrazin », écrit-il.

Soutenu par Bild Zeitung, quotidien populaire à grand tirage, ce dernier fait aujourd’hui figure de martyr de la liberté d’expression depuis qu’il a été poussé à démissionner de son poste doré (230 000 euros annuels) à la Bundesbank.

En dépit de ses excès et de ses généralisations abusives, le livre de Sarrazin lève la chape de plomb qui pesait sur ces sujets en Allemagne en raison de son passé. Le tabou de l’antisionisme avait été levé après la réunification. Les héritiers politiques des communistes de RDA, rebaptisés PDS (Parti du socialisme démocratique) démolissent systématiquement Israël comme le faisait, naguère, le SED d’Erich Honecker. Celui d’une critique de l’islamisme et de ses effets sur la société allemande est aujourd’hui en passe de l’être grâce à ce texte scandaleux, venu de là d’où on ne l’attendait pas.[/access]

Aqmi ou ennemis ?

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Une réunion du Groupe d’action antiterroriste des pays du G8 (CTAG) s’est ouverte hier à Bamako, pour discuter de la lutte dans le Sahel contre Al-Qaïda au Maghreb islamique qui détient sept otages dont cinq Français. Participent à cette réunion d’experts des représentants du G8 (Etats-Unis, Russie, Japon, Canada, France, Grande-Bretagne, Italie et l’Allemagne), de l’Union européenne, ainsi que la Suisse, l’Espagne et l’Australie. Plusieurs pays de la région (Maroc, Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Nigeria) ont été invités à participer à cette rencontre qualifiée par le ministre malien des Affaires étrangères comme « une marque d’estime et de confiance de la communauté internationale » envers son pays. en revanche, l’Algérie a poliment décliné l’invitation. Pour Alger, la lutte contre Aqmi est l’affaire des seuls pays du Sahel et ne souhaite pas l’implication de pays qui y sont étrangers.

Il suffit de regarder une carte de la région pour comprendre que l’absence de l’Algérie transforme la réunion de Bamako en exercice purement intellectuel. Cette chaise vide démontre qu’Alger n’a pas eu les assurances qu’elle exige depuis longtemps : une reconnaissance sans ambiguïté de sa souveraineté sur son flanc sud -qui renferme l’essentiel de ses richesses gazières et pétrolières. En plus, Alger aimerait prendre la tête de l’effort de «repacification» de la région en s’appuyant sur la position dominante de Touaregs algériens dans l’ensemble de cet ethnie. Sans un compromis satisfaisant pour les Algériens (ce qui veut dire des concessions marocaines sur les questions frontalières) toute velléité d’éradication de l’Aqmi ne pourra être que platonique.

Et nos otages ? Eh bien c’est sans doute un dossier moins urgent…

Manifs interdites au moins de 18 ans?

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Photo : Ernst Morales

La jeunesse est dans la rue – en tout cas, quelques dizaines de milliers de ses représentants. Cette menace, toutes les générations l’ont proférée à l’adresse des gouvernants. Battre le pavé fait partie des rites d’initiation. Après tout, si ce groupe mythique que l’on appelle « les jeunes » s’incarne, de loin en loin, dans l’action collective, cela veut peut-être dire que l’individu-roi n’a pas totalement triomphé.

Alors, bien sûr, on peut juger que les lycéens sont à côté de la plaque en s’opposant à une réforme qui permet, faute de mieux, de sauver les meubles de la retraite par répartition. On peut trouver inquiétant et même déprimant qu’ils se soucient de l’âge auquel ils pourront cesser de travailler avant même d’avoir commencé, comme si l’âge adulte n’était plus un état désirable mais un mauvais moment à passer, comme si passer du lycée à la maison de retraite était la dernière utopie que l’on ait en rayon. Il est vrai que, comme l’a excellemment observé Luc Rosenzweig, ces petits-enfants de soixante-huitards que l’on menace du chômage depuis l’enfance, voient leurs parents trimer quand leurs grands-parents, après avoir joui sans entrave et goûté aux joies des stocks-options, hésitent entre croisière et camping-cars : il y a sans doute de quoi être découragé. Il n’est pas certain, cependant, que ce soient les plus précaires ou ceux qui sont le plus menacés de le devenir qui défilent dans nos rues et bloquent leurs lycées. « Chez moi, on est neuf. Alors je dois aller en cours pour avoir un bon métier plus tard. Ce blocage sabote notre avenir », déclare dans Libération Ryad, élève au lycée Voltaire. Bref, la révolte est encore largement un luxe de petits-bourgeois. Interrogée dans le même article, Sophia qui fait partie des initiateurs du blocus reconnaît qu’elle fait un peu ça « pour louper les cours ». Sophia aimerait être agent immobilier « pour avoir une belle maison et gagner assez d’argent pour finir dans l’humanitaire ». Si ce n’est pas de l’idéalisme. On notera au passage que ce 15 octobre, soit, plus d’un mois après la rentrée, Lucie-Lou, élève dans le même lycée, a réussi à assister à son cours de philo, le premier de l’année.

À les entendre s’exprimer, on se dit aussi que ces grands bébés ne comprennent pas grand-chose aux slogans qu’ils ânonnent avec une maitrise de la langue de bois digne des vieux routiers de la politique et du syndicalisme. Pour ma part, ce qui me rend perplexe, c’est l’aisance avec laquelle ils se considèrent à la fois comme des victimes et des ayants-droit : on dirait que leur problème n’est pas de changer le monde mais qu’on l’aménage pour eux. En se comportant comme des créanciers qui réclament leur dû, nos jeunes rebelles prouvent au moins qu’ils sont des Français comme les autres.

En les caressant dans le sens du poil, les socialistes qui sont assez contents que Sarkozy fasse le sale boulot, même mal, font preuve de démagogie et d’une bonne dose d’hypocrisie. Reste qu’en agitant le spectre de la violence pour discréditer les manifestants, c’est le gouvernement qui se montre irresponsable. Avoir peur de la jeunesse ou faire semblant d’avoir peur, c’est admettre qu’on est incapable de maintenir l’ordre. Que le gouvernement critique politiquement ceux qui le défient dans la rue, c’est de bonne guerre, qu’il tienne bon face aux grévistes, c’est logique, mais la mission du ministre de l’Intérieur et de la police est aussi de garantir l’exercice du droit de manifester. Après tout, peut-être que les jeunes sont cons, mais ça aussi, c’est un droit.

Les racines musulmanes de l’identité européenne

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Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.

Nous vivons des temps obscurs. Un sentiment d’insécurité qui se propage telle une peste nauséabonde sclérose les Européens et les empêche de vivre les promesses de la modernité. Les mêmes qui, naguère, étaient si fiers de s’imaginer phares de l’humanité font profil bas. Sous l’influence de dirigeants qui instrumentalisent cyniquement leurs peurs, les peuples européens se replient piteusement sur une identité à la fois tautologique et fantasmée. L’Europe ne serait rien d’autre qu’elle-même ! Quelle drôle d’idée ! À l’heure des identités floues  et des appropriations ludiques du passé, il y aurait pourtant autre chose à faire que de réaffirmer ce qu’on croit être des évidences. À l’ère du transsexuel, de l’interculturel et du post-national, il est temps d’inventer, après l’alter-monde, les alter-racines.[access capability= »lire_inedits »]

La joyeuse énergie de l’indéterminé

« Je fais ce que je veux avec mes cheveux », disait la dame de la publicité ; faisons ce que nous voulons avec nos racines aussi. Rien ne doit résister à l’appropriation par l’esprit du temps de ce que la frilosité de nos aînés avait placé hors de notre atteinte. Voilà que le passé lui-même est à nous ! Après avoir mondialisé la production et la consommation des biens et de services, après avoir mondialisé les pratiques culturelles, il est plus que temps de franchir un nouveau et ultime cap et de mondialiser enfin nos racines. Exigeons pour cela la réanimation dans le peuple européen d’un esprit ludique et frondeur, un esprit d’enfance qui refuse les limitations sclérosantes, les assignations identitaires, bref qui refuse l’esprit adulte, celui du renoncement triste de ceux, les benêts, qui se contentent idiotement d’être ce qu’ils sont. Il faut se battre avec la joyeuse énergie de l’indéterminé contre cette morne résignation à n’être rien d’autre que soi. Parce que l’Europe aurait presque vingt siècles de christianisme derrière elle, elle serait chrétienne, ou aurait, version soft, des « racines chrétiennes » ! Cette réaffirmation sottement identitaire constitue une scandaleuse discrimination (d’autant plus scandaleuse qu’elle se donne l’apparence de l’évidence) à l’encontre de l’Autre en soi, c’est-à-dire, très prioritairement, du muslim qui sommeille en chacun de nous, et peut-être aussi du rom, mais cela, c’est l’avenir qui le dira.

Aime ton prochain comme toi-même. Et même un peu plus.

Fort heureusement, face aux islamophobes, ces Européens qui, par une peur d’être contaminés par ce qui n’est pas soi, s’interrogent encore sur la possibilité de ne plus être ce qu’ils furent, il y a les islamophiles, ceux qui acceptent joyeusement et simplement de bazarder tout ce fatras identitaire pour se découvrir Autre. Aime ton prochain comme toi-même, et même encore un peu plus. Face à la peur des peureux, l’amour des amoureux. Les ouverts face aux frileux. Le schéma est simple, mais pertinent. Comme dans le Coran, où les mécréants sont le pire de la créature destiné au feu de la géhenne, et les croyants le meilleur destiné au paradis. Back to the basics manichéens d’avant les complications de la théologie catholique. Les ouverts, ce sont notamment ces penseurs courageux qui, sans tabou, se proposent de mettre à jour tout ce que nous autres Européens devons à cette immense civilisation qu’est l’Islam. A mille lieux des dénis identitaires politiquement corrects, des universitaires audacieux exposent sans fard l’immense dette que l’Europe a contractée à l’égard des lumières islamiques.

Souvenons-nous : aux VIIe et VIIIe siècles, alors que l’Europe chrétienne émergeait à peine des invasions barbares, l’Islam harmonieux répandait sa civilisation pacificatrice sur presque tout ce qui restait de la méditerranée romaine. Alors que ce qui deviendra la France, sous l’influence néfaste d’un bien nommé Pépin et de son fils Charles, restait boudeusement à l’écart de ce vaste processus d’ouverture à l’Autre initié par la conquête musulmane, la Sicile, l’Espagne et bien d’autres contrées arriérées de l’antique empire romain passaient d’un cœur léger sous la coupe de la civilisation musulmane où fut rapidement créé le statut des dhimmis, assurant ainsi une remarquable stabilité à un empire multiculturel. Ainsi furent jetées les bases de l’opposition fondatrice que nous connaissons aujourd’hui entre l’obsolète esprit de la nation dont le socle est le rejet de l’Autre, bizarrement incarné en France par d’anciens thuriféraires de la construction européenne, et l’esprit multiculturel de la grande civilisation musulmane dont un des plus fidèles et lumineux avatars est sans doute, justement, la construction européenne actuelle, fondée qu’elle est sur l’amour du prochain tant qu’il ne discrimine pas et l’apologie de la diversité obligatoire. [/access]

Les Inrockects

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Tout vient trop tard à qui sait attendre : fidèle lecteur depuis vingt ans des Inrocks (surtout pour les CD), je commence tout juste à pouvoir le lire. J’ai bien aimé la une du n° 775 titrée « Le vrai rocker s’habille réac » et j’ai adoré, dans le même numéro, le petit « billet dur » adressé à Raphaël par Christophe Conte. Extrait: « Dans Libération, tu racontais ainsi l’autre jour qu’à l’heure pile de la mort de Bashung, tu avais vu “une trouée lumineuse dans le ciel”. Il faut vite que tu changes de dealer. Ceci dit, moi le jour de la mort de Patrick Topaloff j’avais la peau du ventre bien tendue, mais c’était sans doute une coïncidence

Avec des coïncidences comme ça, je me réabonne et je te file le CD !

Maman au biberon, papa au Salon

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Photo : Daniel Spils

Il faut aller au Salon de l’auto. Pardon, au Mondial de l’Automobile comme ils voudraient qu’on dise. Il faut y aller même quand, comme moi, on roule à vélo dans Paris, ou en Clio pourrie à la campagne. Parce que si l’on veut avoir une idée de ce qu’est la France aujourd’hui, un bref séjour Porte de Versailles évitera à l’ethnologue curieux d’avoir à se cogner des allers et retours entre Paris et Montluçon, Périgueux ou Bobigny.

Une Bentley et une épouse neuves

La bagnole c’est pour les hommes : du haut de notre permis de conduire obtenu à 18 ans sans trop de mal, on se disait que les voitures, c’était fait autant pour les hommes que pour les femmes. Je ne connais pas le taux de féminisation chez les conducteurs mais je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, on trouverait vraiment moins de gonzesses au volant que d’hommes. Donc, mon pauvre esprit malade se disait, puisque –selon la formule consacrée- la moitié des conducteurs sont des conductrices, le Salon de l’auto doit aussi s’adresser à ces clientes potentielles. Je me disais donc, que le mythe de l’hôtesse court vêtue virevoltant autour de la grosse cylindrée ressortait des mythes urbains. Et que si ça se trouve, les constructeurs ont embauché au moins autant de clones de Daniel Craig que de Pamela Anderson pour ouvrir les portières et débiter la fiche technique des engins. Patatras. Des hôtesses, partout, en jupe, en robe, en mini-jupe, en mini-robe. Jusqu’à celles qui défilent toutes les 5 minutes sur le stand Lamborghini façon fashion-motor-week et se déshabillent entre les modèles…

La bagnole, c’est pour les hommes, les vrais : dehors les gonzesses, à moins d’être hôtesse. Bizarrement, les seuls visiteurs que j’ai vus accompagnés d’une femme sont ceux qui vont pouvoir acheter des voitures sans s’endetter sur 15 ans auprès de Cofinoga. Le gentleman-driver amateur de Porsche ou de Maserati, chemise bien repassée et mèche qui brille, a le droit de rentrer sur le stand et d’essayer les autos sous le regard envieux du loulou de banlieue ou de province qui peut juste brandir son instamatic, -non, son appareil numérique, je sais- pour ramener des chouettes photos de ladite voiture. Le client à gros potentiel est généralement accompagné donc d’une femme, qui a bien raison de ne pas le laisser seul. Sait-on jamais, pris de folie, il pourrait repartir avec une Bentley et une épouse neuves.

Le syndrome du canapé en cuir

Tout ça me laisse perplexe : je croyais aussi bêtement, que depuis au moins vingt ans, les hommes avaient fini de situer leur virilité dans leur bagnole. Qu’à part quelques rappeurs crétins, qui continuent à mettre des filles en zérokini qui nettoient les Hummer dans leurs clips, personne ne pensait qu’une grosse voiture égale un gros potentiel de drague, pour rester polie. Il semble que je connais bien mal les hommes. Et les femmes aussi, puisque si les messieurs sont si à cran sur la cylindrée du moteur, c’est que ça doit bien rencontrer un écho quelque part chez le sexe d’en face. Bref, je suis inquiète pour mon pays.

La bagnole, c’est pour ceux qui aiment les canapés en buffle de chez Cuir Center : je suis inquiète car j’ai toujours cru qu’une voiture c’était un truc qui roulait et permettait d’aller un endroit à l’autre en réduisant les temps de parcours, les risques et la fatigue. Je sais, moi aussi il m’arrive de trouver certains modèles plus jolis et confortables que d’autres. Mais j’aurais à acheter une voiture pour aller à mon travail de cadre moyen, je ne m’endetterais pas sur 15 ans à taux variable. Or l’hétéro à sac à dos du salon de l’auto s’endette, quand il en a marre de rêver tous les deux ans. Je ne juge pas, mais je trouve ça bizarre. Et je me souviens du canapé en cuir à 2000 euros qu’on voit dans les prospectus que lâche régulièrement mon facteur dans ma boîte aux lettres. Je ne vois pas l’intérêt d’un meuble pareil, c’est cher, froid et le chat ne peut même pas y faire ses griffes. Pourtant il s’en vend des milliers, dans toutes les banlieues de France. À des gens qui s’endettent pour ça. Question de statut social. Comme la télé LED géante, ou autrefois la cuisine intégrée en chêne massif. Statut social. Voir ce vieux pays rendu à un statut social automobile ou à canapé en cuir, m’attriste. Mais c’est la France et donc ma France : My country, right or wrong ! Et j’ai envie de donner un petit conseil à nos gouvernants en mal de popularité : au lieu d’aller à Rome baiser les mules du Pape, allez tous les jours Parc des Expositions, et faites-y des promesses sur les radars, les contraventions ou la fin des limitations de vitesse. Un bon moyen pas cher, si ce n’est de regagner des électeurs, au moins de les toucher de près.

Eloge de l’anecdotique

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You will meet a beautiful dark stranger commence et se termine par une citation de Shakespeare : « The world is a story told by an idiot, full of sound on fury, and signifying nothing ». Jusque-là, rien de très original dans l’oeuvre du pessimiste joyeux qu’est Woody Allen. L’histoire en question, pleine de bruit et de fureur, enchevêtre les trajectoires de plusieurs personnages: Sally (Naomi Watts) et son galeriste de patron (Antonio Banderas), son père (Antony Hopkins), sa mère (Gemma Jones) et son mari écrivain Roy (Josh Brolin). Derrière ces intrigues, qui en effet ne signifient rien, il y a une manière de variation inconséquente sur l’Ecclésiaste.

Mécènes charmeurs et blondes plantureuses

Rien de nouveau, en effet, sous les projecteurs. Toujours les mêmes maris inconstants, les mêmes épouses rêveuses, les mêmes écrivains d’un seul succès, les mêmes mécènes charmeurs, les mêmes blondes plantureuses au bras de vieux messieurs. Ces stéréotypes sont joués jusqu’au bout, les clichés pleinement assumés: le vieux marche au viagra, le mari regarde l’herbe plus verte dans la pelouse du voisin, le galeriste fait mugir sa voiture de millionnaire et la vieille mère anglaise croit aux sciences occultes. Rien de nouveau non plus dans le cinéma de Woody Allen. On retrouve les éternelles engueulades de couple qui ont fait la réputation de l’auteur d’Annie Hall et des dialogues qui tournent toujours autour des mêmes obsessions: le désir, la vieillesse, le destin, la mort.

Alors, où est l’intérêt de You will meet a beautiful dark stranger ? Nulle part, puisque la conséquence à ce « rien de nouveau » est que, quoique l’on fasse sous le soleil, quoiqu’il se passe à l’écran, tout n’est que vanité. En les mettant en regard, en les imbriquant les uns dans les autres, Woody Allen sait comme nul autre donner à tous ces destins une certaine gratuité. La vue d’ensemble sur toutes ces vies ne peut que se résoudre en un « signifying nothing ». Ne reste que le point de vue amusant du narrateur et le regard amusé du spectateur.

La moue de Naomi Watts

Pourtant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que même sous le soleil de l’Ecclésiaste, la vanité est cette ombre qui crée un désir, et que ce désir est ce qui fait des personnages. C’est une évidence qu’a beaucoup célébrée le Woody Allen des années 2000, avec des films comme Match Point ou Le Rêve de Cassandre, où les aspirations sociales et le désir sexuel, questions de vie et de mort, se mêlaient jusque dans le crime.
Avec You will meet a beautiful dark stranger, la configuration n’est pas la même, mais il y a toujours cet espace du désir qui définit chaque personnage. Ainsi Roy qui regarde la fenêtre en vis-à-vis (Hitchcock, si tu nous entends) et ne pense plus qu’à sa guitariste aussi belle que lisse (Freida Pinto), ainsi Sally et ses sentiments inexprimés pour son boss, ainsi le père de Sally, prêt à se ruiner pour que lui soit présenté un reflet de jeunesse.
Un personnage ne se définit pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il voudrait être. On voit ce que fait Woody Allen du stéréotype de l’écrivain angoissé : de charmeur indolent et frivole, Roy va devenir un imposteur. Il réussira un roman, mais ce ne sera pas le sien. Comme si tout être humain ne se résumait au fond qu’à une fable personnelle. Le tableau peut sembler tragique, mais il prend un tour comique et émerveillé quand notre vieille Anglaise au destin torturé s’imagine avoir vécu, dans une autre vie, une romance avec celui qui n’a pourtant pas grand-chose d’un « bel et sombre inconnu ».
De ce jeu d’ombres et de désirs, on retiendra un détail particulièrement bien trouvé : la moue de Sally (sublime Naomi Watts) essayant des boucles d’oreille à 50 000 livres pour la femme de son patron.
Et c’est le propre de ce film parfaitement anecdotique (et probablement voulu comme tel par Woody Allen), que de n’être que prétexte à de tels moments de tension comique et sensuelle.

Certains l’aiment trouble

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Tony Curtis

Tony Curtis

Je suis bien placé pour parler de Tony Curtis : j’ai été Danny Wilde pendant de nombreux mois à l’aube des années 1980. Le blouson court et les gants en simili cuir portés jusqu’en été me donnaient sans doute une allure étrange, mais le ridicule de mon accoutrement ne m’a jamais effleuré. Le séducteur tendre et retors qui donnait la réplique à Brett Sinclair (Roger Moore), dans Amicalement vôtre, était alors pour moi une sorte de mauvais génie délicieux, un Alcide sans gravité qui me corrompait doucement, me faisait croire à ma légèreté et à mon insouciance. C’est peu dire que je ne lui ai jamais complètement pardonné.

Tony Curtis a toutefois des circonstances atténuantes ; c’est justement grâce à son personnage de série télévisée que je suis entré en cinéphilie. Cherchant à retrouver sa fascinante désinvolture, je me mis en quête de quelques-uns de ses rôles comiques et le découvris dans les élégants navets de Richard Quine comme dans les farces enlevées de Blake Edwards. C’est là que le premier choc survint. Je compris rapidement que j’avais été avant tout séduit par les intonations ironiques et le timbre sautillant de Michel Roux, car la voix originale de Curtis, grave et presque monocorde, ne lui ressemblait décidément pas… Une voix d’ailleurs à la limite du désagréable, au point que celle-ci effraie Mia Farrow et perturbe le spectateur du Rosemary’ baby de Polanski. C’était un premier dessillement : il y en aurait d’autres.[access capability= »lire_inedits »]

Découvrant, au fil des années suivantes, sa filmographie chaotique, il m’apparut assez rapidement que ses choix se tournaient volontiers vers des personnages plus troubles qu’il n’y paraissait de prime abord, manipulateurs et ambivalents, joueurs avec la morale comme avec la vertu, qu’ils fussent travestis pour la bonne cause (Certains l’aiment chaud) ou corrompus sous le fard (Le Grand chantage). C’est d’ailleurs cette ambiguïté fondamentale, apanage des grands acteurs, qui constitue le ressort dramatique des beaux films de doute et de trahison que sont Trapèze ou Les Vikings. Une sorte de synthèse de son style se retrouve en quelque sorte dans l’amusant Roi des imposteurs, réalisé par Robert Mulligan en 1960, où il campe toute une série de personnages contradictoires avec une réjouissante amoralité.

L’étrangleur de Boston : un tournant

Et puis, il y eut la découverte de L’Etrangleur de Boston (Richard Fleischer, 1968), où il jouait le rôle du psychopathe bien avant que le fait de casser son image devînt le passage obligé de toute carrière hollywoodienne. Désormais, plus de plaisante ambivalence : juste le malaise insistant. Certes, d’autres rôles, plus tard, permirent à la noirceur de Mr Schwartz (son véritable patronyme hongrois) de continuer à se déployer, comme le gangster psychotique de Lepke (1975), remarquable thriller réalisé par le producteur Menahem Golan, pourtant bien peu inspiré par la suite, ou encore le vil sénateur McCarthy du déroutant film de Nicolas Roeg, Une Nuit de réflexion (1985), mais avec ce film-pivot, le cinéma enfin ne m’apparaissait plus uniquement comme la coexistence de saynètes aimablement variées, mais devenait cette longue coulée où le style épouse le propos.

En passant de Danny Wilde à l’étrangleur DeSalvo, du confortable découpage télévisuel à l’imprévisibilité du montage cinématographique (le film de Fleischer contient les plus beaux split-screens qu’il m’ait été donné de voir), je quittais le confort des fictions sans conséquence pour commencer à côtoyer l’incertitude des récits où, même si tout est faux − et surtout les diverses représentations du Vrai−, d’authentiques rencontres se nouent entre les images du monde transposé et celles que l’on garde de soi.

Quelques années plus tard, alors que je m’apprêtais définitivement à fétichiser le cinéma, c’est-à-dire à me laisser prendre à son vertige, ce fut à nouveau Tony Curtis, dont les rôles se délitaient dans d’invraisemblables nanars, qui m’en montra l’aspect le plus vain. Ainsi, grâce à un parcours d’acteur entre rôles extrêmement élaborés (le sens du mouvement chez Tony Curtis, la justesse de ses variations de rythme aussi bien dans le pas que la diction, sont largement sous-estimés) et caméos goguenards, le cinéma se révélait peu à peu comme à la fois dérisoire et lumineux, porteur d’un sens secret éparpillé dans la multitude des signes triviaux, emprise et participation inextricablement mêlées.

Tony Curtis est décédé le 29 septembre à l’époque des comédiens compassés et sérieux comme des papes ; il est évident qu’il ne laisse aucun héritier. Dans une scène de Certains l’aiment chaud, l’acteur, allongé de profil, a la jambe repliée tandis que Marilyn Monroe l’embrasse. Il expliqua plus tard que cette position (réclamée à Billy Wilder) lui permettait de dissimuler son érection à la caméra. Tony Curtis, c’était cela sans doute : la sensualité et la retenue également extrêmes, la maîtrise toujours plus ludique, un peu de poussière de Bronx et de Vieille Europe dans les signaux lumineux d’Hollywood ; de quoi désorienter pour longtemps les psychorigides comme les avachis.[/access]

Retraite : le grand soir des petits

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Le mouvement contestataire qui ébranle la France depuis plusieurs semaines est en train de prendre un virage décisif. Après la large mobilisation des lycéens et collégiens cette semaine, on sent un frémissement social inattendu dans les écoles primaires et maternelles de France. Un tract syndical, qui est parvenu dans toutes les rédactions, le disait en ces termes : « Il fot ranversé Sarkozy kikoo lol ! Descendont dans les bacs à sable, les coures de récrés et les confiseurs poure fér enttendre no droit ! Vite fait ! La réforme dé retraite c pourri trop pas »

Le petit Kévin, 8 ans, scolarisé en CE2 au groupe scolaire René Goscinny de la Ferté-sous-Jouarre, qui est le leader de cette fronde enfantine a déclaré à l’AFP : « J’ai peut-être 8 ans mais je me sens concerné par la question des retraites. Avec les copains nous distribuons des tracts de mon papa qui est cheminot et qui a déjà trop travaillé dur à cause de la pénibilité ambiante ! »

La presse s’est vite enthousiasmée pour ce vaste élan de solidarité des culottes courtes pour leurs ainés syndicalistes chevronnés : Libé a titré « La fronde des bouts-de-chou » et l’Huma « La révoltes des totottes ». Une journaliste de France Info a même indiqué qu’un cortège de la CGT des 7-12 ans, est passé sous les fenêtres de la Crèche municipale Pierre Dac d’Ermont-Eaubonne en scandant : « Sarko t’es foutu, les mômes sont dans la rue ! Les bébés, avec nous ! Les bébés, avec nous ! Les bébés avec nous ! ».
Disons-le tout net : Nicolas Sarkozy n’est pas à l’abri, désormais, d’un camouflet des mouflets.

Depardon sans façon

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Photo : Philippe Leroyer
Photo : Philippe Leroyer

Le vide de l’esplanade de la Bibliothèque François Mitterrand est comme un avant-goût de celui que l’on retrouve dans les 36 photographies en couleur de Raymond Depardon exposées jusqu’au 9 janvier 2011 à la BNF sous le titre La France de Raymond Depardon.

Cela dit, on ne peut pas faire l’étonné. On était prévenu. Depardon l’a dit. C’est volontairement qu’il n’a pas photographié les gens. Il a ressenti « l’urgence de photographier la France », mais … sans les Français ! Les Français, il les a déjà faits s’explique-t-il. Quelle justification étrange ! Depardon semble enfermer les Français dans une catégorie limitée et fixe, insensible aux changements. Les Français seraient un sujet épuisable. Leurs mœurs n’évolueraient jamais. En photographier quelques-uns à un moment donné et dans un certain contexte reviendrait à les photographier tous. Les Français, un sujet bouclé ou un sujet trop polémique. Tirer le portrait des Français, l’exposition aurait, sans doute, pris des airs d’identité nationale, n’est-ce pas ?

Une France morte

Non, au moins avec la France qu’il photographie, cette France esseulée, reculée, vidée de ses habitants et donc finalement complètement anonyme, il ne prend pas de risque ni politique ni esthétique. La France de Depardon, ce n’est ni la France des villes ni la France des campagnes, c’est la France de l’entre deux, celle des ronds-points et des plates-bandes, celle des petits commerces et des bar-tabac, une France vétuste, une France morte. Pour les commentateurs admiratifs, c’est la France anti-cliché, (un comble pour un photographe !), la France authentique parce que c’est celle qu’on croît connaître mais qu’on ne voit jamais. Pourtant à regarder ces chalets qui se détachent des montagnes alpines sans âme qui vive, on a plus l’impression d’être devant une carte postale que devant une photographie.

Et puis tout de même, toutes ces boucheries, ces charcuteries, ces bistros, ces tabacs, ces salons de coiffure, que Depardon photographie, avec complaisance, dans les différentes régions qu’il traverse au volant de sa caravane, qu’est ce qu’ils disent de la France ?
« Ils révèlent notre patrimoine !» rétorquent certains, comme si la France se réduisait à ces petits commerces. Mais si Depardon voulait photographier une France muette, pourquoi avoir exclu la France des ruines médiévales et des jardins à la française, des châteaux et des églises, des vieilles rues et des places de village ? Où sont donc la France historique, la France artistique et la France moderne ? Nulle part. L’œil de Depardon ne raconte rien parce qu’il ne révèle rien.

A la recherche de l’espace vécu

Mais les mots du photographe disent, bien entendu, le contraire. Ses commentaires qui ornent les murs de l’exposition contredisent ses photos.
Depardon prétend photographier « l’espace public » qu’il définit, à juste titre, comme
« l’espace vécu ». Mais où est donc la vie dans ses photos ? L’espace public n’est-il pas cet espace qui ne peut exister que parce qu’il s’actualise dans l’apparition continue des gens qui agissent et parlent ensemble ?

Or, Depardon a photographié des lieux vidés de ses habitants, dont aucune atmosphère ne se dégage, dont aucune scène de vie n’anime le paysage et où aucune âme ne se dévoile. Ces lieux sont des non-lieux parce qu’aussi criardes que puissent être leurs couleurs, ces bars et autres commerces sont, en réalité, identiques et donc interchangeables.
Ces lieux ne disent absolument rien de la France, puisqu’en photographiant cette France sans visage, Depardon s’est privé de la vie quotidienne où, au sein du familier, surgissent des attitudes inattendues et des gestes insolites révélateurs de l’humeur du siècle.

Sans les vestiges qui témoignent du passé et sans la vie qui trésaille, le pouls de la France ne peut pas battre.
Pourtant, lors de son passage à l’émission de Ce soir ou jamais du lundi 4 octobre, Depardon a fini par avouer que ce qu’il trouvait beau en France, c’était une place de marché qui s’éveille au petit matin. Entièrement d’accord. Mais qu’est ce qui fait sa beauté si ce n’est cette vie qui se met en mouvement, cette vie qui est à fleur de peau, que l’on renifle à pleines narines et que l’on saisit à bras le corps ? Et dans ce formidable marché des couleurs et des odeurs, surgit sans prévenir une scène inattendue, cet « instant décisif », si cher à Cartier-Bresson, qui naît de la rencontre entre un angle de vue pertinent et une expression particulière.

Le marché aurait pu être un lieu propice pour capter l’esprit du temps à travers « son port, son regard et son sourire » comme Baudelaire dans le Peintre de la vie moderne, lorsqu’il définit les métamorphoses de la modernité fugitive et transitoire. Or, les marchés ne font pas partie des photographies de l’exposition de Depardon et sa France est finalement dépourvue d’époque. Les photographies de Depardon ne modifient pas notre vision du monde parce qu’elles n’apprennent pas à regarder mais à identifier. Dans cette exposition, l’art de révéler fait place à l’art de divertir.

Le jeu des devinettes…

Les spectateurs ne s’attardent pas devant les photos parce qu’ils ont le sentiment qu’un instant exceptionnel a été délivré de l’écoulement du temps. Ils s’attardent pour se prêter au jeu des devinettes. Les 36 photographies en couleurs exposées sur les murs d’une grande salle rectangulaire n’ont ni titre ni date. Et cet oubli est volontaire. Même si les spectateurs ont pris le catalogue qui renseigne sur le lieu où la photo a été prise, ils jouent le jeu. Ils s’amusent à essayer de deviner dans quelle région Depardon a pris telle ou telle photo. Il faut dire que le photographe a semé des indices, qui, d’ailleurs, se ressemblent tous.
D’après les plaques d’immatriculation, les panneaux d’indication, les titres des quotidiens régionaux, les publicités pour les animations locales et le type de pierre des maisons (pour l’indice le plus subtil), les spectateurs amusés tentent d’identifier le lieu, puis vont vérifier leurs réponses dans la pièce suivante, où les planches-contacts des 36 photos indiquent le véritable endroit. Ces réponses donnent lieu à toutes sortes d’évocations : souvenirs, histoire de famille, petites anecdotes que les gens se mettent spontanément à raconter, comme s’ils ressentaient le besoin de peupler le vide devant eux. Leur récit est une façon de s’approprier ce décor où rien ne se passe.

En réalité, tout est téléguidé par la scénographie. Dans des photos de Depardon, finalement, il n’y a pas que les Français qui sont absents mais l’art de la photographie aussi. Et si vous avez plus de dix-huit ans, allez plutôt voir Larry Clark !

Thilo Sarrazin, grande gueule d’Allemagne

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Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.

L’analogie s’impose d’elle-même : la gloire soudaine de Thilo Sarrazin, obscur politicien berlinois ayant pantouflé au directoire de la Bundesbank, rejoint celle de la défunte Oriana Fallaci, auteur du brûlot anti-islamique La Rage et l’orgueil qui fit scandale lors de sa publication en France, en 2002.

Le succès foudroyant de son livre, Deutschland schafft sich ab (« L’Allemagne s’autodétruit’)[1. Editions DVA.] a conféré une notoriété mondiale à un homme qui jouait un peu le rôle de Georges Frêche au pays d’Angela Merkel. Membre depuis sa jeunesse du Parti social-démocrate (SPD), ce rejeton d’une famille huguenote française émigrée en Allemagne a exercé pendant plusieurs années la fonction de sénateur (ministre) chargé des finances du Land de Berlin. Un poste pas commode, car la capitale de l’Allemagne est constamment au bord de la faillite en raison du peu d’empressement des autres Länder à contribuer aux dépenses induites par le rôle de capitale de la République fédérale. Berlinois jusqu’au bout des ongles, protestant jusqu’à la moelle, Thilo Sarrazin s’était fait une réputation de maverick au sein de son parti − et plus largement de la classe politique allemande − en proférant de petites phrases assassines contre les Rmistes de son pays, qu’il dénonçait comme des fainéants budgétivores, et en traitant de « trous du cul » des étudiants gauchistes qui avaient envahi son bureau.[access capability= »lire_inedits »]

Comme Fallaci, Sarrazin ne s’embarrasse pas de circonvolutions pour développer, dans son livre, la théorie selon laquelle l’afflux d’immigrés musulmans, essentiellement turcs, « appauvrit intellectuellement l’Allemagne » car, selon lui, la plupart d’entre eux ne disposent que d’un QI limité. De plus, affirme-t-il, « plus la classe sociale est basse, plus ses membres font d’enfants, et parmi ceux-ci des filles entchadorées dès l’enfance ». Le ton exaspéré est le même que celui de l’Italienne reprochant aux musulmans de se « multiplier comme des rats ».

Ce qui fait scandale, dans les deux cas, c’est que ces thèses soient défendues par des personnes pourvues d’un curriculum antifasciste en béton : Fallaci était à peine sortie de l’enfance qu’elle luttait, les armes à la main, contre Mussolini avec les partisans italiens, et Sarrazin est un élu de gauche depuis des lustres.

L’utopie multiculturelle des post-soixante-huitards repeints en Verts

En Allemagne, ce n’est pas la première fois qu’un pamphlet pointe la lâcheté des autorités allemandes face aux comportements ultra-communautaristes d’une partie des immigrés musulmans. Dans son livre Hurrah, wir kapitulieren ![2. Editions WJS.] (traduction inutile), le journaliste et essayiste Henryk Broder démolissait joyeusement l’utopie « multiculturelle » brandie par les post-soixante-huitards allemands repeints en Verts. Ce juif polonais émigré tout jeune en Allemagne est passé par la case gauchiste avant de rompre avec cette mouvance qui versait peu à peu dans un antisionisme exacerbé. Avec quelques amis ayant suivi le même parcours, il a fondé le site Die Achse des Guten (L’Axe du bien) dénoncé comme  » bushiste » et « néo-cons » dans la presse de gauche et même dans les colonnes de la très conservatrice Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Même si ce livre a connu un relatif succès de librairie, son influence ne s’est pas exercée au-delà du public cultivé, alors que le pamphlet de Thilo Sarrazin fait un tabac dans toutes les couches de la population. Aujourd’hui, Broder prend la défense de Sarrazin : « Les réactions au livre de Sarrazin démontrent que les politiciens ont oublié que la démocratie ne vivait pas seulement avec des idées justes. Les idées justes font consensus et on a la paix. En revanche les idées fausses provoquent toujours un débat. Bien sûr, il existe aussi des idées fausses qui ne valent même pas la peine d’être contredites. Mais ce qu’écrit Sarrazin se situe à l’intérieur du spectre démocratique. Les tentatives de faire taire ou de discréditer Sarrazin ne provoqueront que l’émergence de nouveaux Sarrazin », écrit-il.

Soutenu par Bild Zeitung, quotidien populaire à grand tirage, ce dernier fait aujourd’hui figure de martyr de la liberté d’expression depuis qu’il a été poussé à démissionner de son poste doré (230 000 euros annuels) à la Bundesbank.

En dépit de ses excès et de ses généralisations abusives, le livre de Sarrazin lève la chape de plomb qui pesait sur ces sujets en Allemagne en raison de son passé. Le tabou de l’antisionisme avait été levé après la réunification. Les héritiers politiques des communistes de RDA, rebaptisés PDS (Parti du socialisme démocratique) démolissent systématiquement Israël comme le faisait, naguère, le SED d’Erich Honecker. Celui d’une critique de l’islamisme et de ses effets sur la société allemande est aujourd’hui en passe de l’être grâce à ce texte scandaleux, venu de là d’où on ne l’attendait pas.[/access]

Aqmi ou ennemis ?

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Une réunion du Groupe d’action antiterroriste des pays du G8 (CTAG) s’est ouverte hier à Bamako, pour discuter de la lutte dans le Sahel contre Al-Qaïda au Maghreb islamique qui détient sept otages dont cinq Français. Participent à cette réunion d’experts des représentants du G8 (Etats-Unis, Russie, Japon, Canada, France, Grande-Bretagne, Italie et l’Allemagne), de l’Union européenne, ainsi que la Suisse, l’Espagne et l’Australie. Plusieurs pays de la région (Maroc, Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Nigeria) ont été invités à participer à cette rencontre qualifiée par le ministre malien des Affaires étrangères comme « une marque d’estime et de confiance de la communauté internationale » envers son pays. en revanche, l’Algérie a poliment décliné l’invitation. Pour Alger, la lutte contre Aqmi est l’affaire des seuls pays du Sahel et ne souhaite pas l’implication de pays qui y sont étrangers.

Il suffit de regarder une carte de la région pour comprendre que l’absence de l’Algérie transforme la réunion de Bamako en exercice purement intellectuel. Cette chaise vide démontre qu’Alger n’a pas eu les assurances qu’elle exige depuis longtemps : une reconnaissance sans ambiguïté de sa souveraineté sur son flanc sud -qui renferme l’essentiel de ses richesses gazières et pétrolières. En plus, Alger aimerait prendre la tête de l’effort de «repacification» de la région en s’appuyant sur la position dominante de Touaregs algériens dans l’ensemble de cet ethnie. Sans un compromis satisfaisant pour les Algériens (ce qui veut dire des concessions marocaines sur les questions frontalières) toute velléité d’éradication de l’Aqmi ne pourra être que platonique.

Et nos otages ? Eh bien c’est sans doute un dossier moins urgent…

Manifs interdites au moins de 18 ans?

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Photo : Ernst Morales

La jeunesse est dans la rue – en tout cas, quelques dizaines de milliers de ses représentants. Cette menace, toutes les générations l’ont proférée à l’adresse des gouvernants. Battre le pavé fait partie des rites d’initiation. Après tout, si ce groupe mythique que l’on appelle « les jeunes » s’incarne, de loin en loin, dans l’action collective, cela veut peut-être dire que l’individu-roi n’a pas totalement triomphé.

Alors, bien sûr, on peut juger que les lycéens sont à côté de la plaque en s’opposant à une réforme qui permet, faute de mieux, de sauver les meubles de la retraite par répartition. On peut trouver inquiétant et même déprimant qu’ils se soucient de l’âge auquel ils pourront cesser de travailler avant même d’avoir commencé, comme si l’âge adulte n’était plus un état désirable mais un mauvais moment à passer, comme si passer du lycée à la maison de retraite était la dernière utopie que l’on ait en rayon. Il est vrai que, comme l’a excellemment observé Luc Rosenzweig, ces petits-enfants de soixante-huitards que l’on menace du chômage depuis l’enfance, voient leurs parents trimer quand leurs grands-parents, après avoir joui sans entrave et goûté aux joies des stocks-options, hésitent entre croisière et camping-cars : il y a sans doute de quoi être découragé. Il n’est pas certain, cependant, que ce soient les plus précaires ou ceux qui sont le plus menacés de le devenir qui défilent dans nos rues et bloquent leurs lycées. « Chez moi, on est neuf. Alors je dois aller en cours pour avoir un bon métier plus tard. Ce blocage sabote notre avenir », déclare dans Libération Ryad, élève au lycée Voltaire. Bref, la révolte est encore largement un luxe de petits-bourgeois. Interrogée dans le même article, Sophia qui fait partie des initiateurs du blocus reconnaît qu’elle fait un peu ça « pour louper les cours ». Sophia aimerait être agent immobilier « pour avoir une belle maison et gagner assez d’argent pour finir dans l’humanitaire ». Si ce n’est pas de l’idéalisme. On notera au passage que ce 15 octobre, soit, plus d’un mois après la rentrée, Lucie-Lou, élève dans le même lycée, a réussi à assister à son cours de philo, le premier de l’année.

À les entendre s’exprimer, on se dit aussi que ces grands bébés ne comprennent pas grand-chose aux slogans qu’ils ânonnent avec une maitrise de la langue de bois digne des vieux routiers de la politique et du syndicalisme. Pour ma part, ce qui me rend perplexe, c’est l’aisance avec laquelle ils se considèrent à la fois comme des victimes et des ayants-droit : on dirait que leur problème n’est pas de changer le monde mais qu’on l’aménage pour eux. En se comportant comme des créanciers qui réclament leur dû, nos jeunes rebelles prouvent au moins qu’ils sont des Français comme les autres.

En les caressant dans le sens du poil, les socialistes qui sont assez contents que Sarkozy fasse le sale boulot, même mal, font preuve de démagogie et d’une bonne dose d’hypocrisie. Reste qu’en agitant le spectre de la violence pour discréditer les manifestants, c’est le gouvernement qui se montre irresponsable. Avoir peur de la jeunesse ou faire semblant d’avoir peur, c’est admettre qu’on est incapable de maintenir l’ordre. Que le gouvernement critique politiquement ceux qui le défient dans la rue, c’est de bonne guerre, qu’il tienne bon face aux grévistes, c’est logique, mais la mission du ministre de l’Intérieur et de la police est aussi de garantir l’exercice du droit de manifester. Après tout, peut-être que les jeunes sont cons, mais ça aussi, c’est un droit.

Les racines musulmanes de l’identité européenne

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Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.
Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.

Nous vivons des temps obscurs. Un sentiment d’insécurité qui se propage telle une peste nauséabonde sclérose les Européens et les empêche de vivre les promesses de la modernité. Les mêmes qui, naguère, étaient si fiers de s’imaginer phares de l’humanité font profil bas. Sous l’influence de dirigeants qui instrumentalisent cyniquement leurs peurs, les peuples européens se replient piteusement sur une identité à la fois tautologique et fantasmée. L’Europe ne serait rien d’autre qu’elle-même ! Quelle drôle d’idée ! À l’heure des identités floues  et des appropriations ludiques du passé, il y aurait pourtant autre chose à faire que de réaffirmer ce qu’on croit être des évidences. À l’ère du transsexuel, de l’interculturel et du post-national, il est temps d’inventer, après l’alter-monde, les alter-racines.[access capability= »lire_inedits »]

La joyeuse énergie de l’indéterminé

« Je fais ce que je veux avec mes cheveux », disait la dame de la publicité ; faisons ce que nous voulons avec nos racines aussi. Rien ne doit résister à l’appropriation par l’esprit du temps de ce que la frilosité de nos aînés avait placé hors de notre atteinte. Voilà que le passé lui-même est à nous ! Après avoir mondialisé la production et la consommation des biens et de services, après avoir mondialisé les pratiques culturelles, il est plus que temps de franchir un nouveau et ultime cap et de mondialiser enfin nos racines. Exigeons pour cela la réanimation dans le peuple européen d’un esprit ludique et frondeur, un esprit d’enfance qui refuse les limitations sclérosantes, les assignations identitaires, bref qui refuse l’esprit adulte, celui du renoncement triste de ceux, les benêts, qui se contentent idiotement d’être ce qu’ils sont. Il faut se battre avec la joyeuse énergie de l’indéterminé contre cette morne résignation à n’être rien d’autre que soi. Parce que l’Europe aurait presque vingt siècles de christianisme derrière elle, elle serait chrétienne, ou aurait, version soft, des « racines chrétiennes » ! Cette réaffirmation sottement identitaire constitue une scandaleuse discrimination (d’autant plus scandaleuse qu’elle se donne l’apparence de l’évidence) à l’encontre de l’Autre en soi, c’est-à-dire, très prioritairement, du muslim qui sommeille en chacun de nous, et peut-être aussi du rom, mais cela, c’est l’avenir qui le dira.

Aime ton prochain comme toi-même. Et même un peu plus.

Fort heureusement, face aux islamophobes, ces Européens qui, par une peur d’être contaminés par ce qui n’est pas soi, s’interrogent encore sur la possibilité de ne plus être ce qu’ils furent, il y a les islamophiles, ceux qui acceptent joyeusement et simplement de bazarder tout ce fatras identitaire pour se découvrir Autre. Aime ton prochain comme toi-même, et même encore un peu plus. Face à la peur des peureux, l’amour des amoureux. Les ouverts face aux frileux. Le schéma est simple, mais pertinent. Comme dans le Coran, où les mécréants sont le pire de la créature destiné au feu de la géhenne, et les croyants le meilleur destiné au paradis. Back to the basics manichéens d’avant les complications de la théologie catholique. Les ouverts, ce sont notamment ces penseurs courageux qui, sans tabou, se proposent de mettre à jour tout ce que nous autres Européens devons à cette immense civilisation qu’est l’Islam. A mille lieux des dénis identitaires politiquement corrects, des universitaires audacieux exposent sans fard l’immense dette que l’Europe a contractée à l’égard des lumières islamiques.

Souvenons-nous : aux VIIe et VIIIe siècles, alors que l’Europe chrétienne émergeait à peine des invasions barbares, l’Islam harmonieux répandait sa civilisation pacificatrice sur presque tout ce qui restait de la méditerranée romaine. Alors que ce qui deviendra la France, sous l’influence néfaste d’un bien nommé Pépin et de son fils Charles, restait boudeusement à l’écart de ce vaste processus d’ouverture à l’Autre initié par la conquête musulmane, la Sicile, l’Espagne et bien d’autres contrées arriérées de l’antique empire romain passaient d’un cœur léger sous la coupe de la civilisation musulmane où fut rapidement créé le statut des dhimmis, assurant ainsi une remarquable stabilité à un empire multiculturel. Ainsi furent jetées les bases de l’opposition fondatrice que nous connaissons aujourd’hui entre l’obsolète esprit de la nation dont le socle est le rejet de l’Autre, bizarrement incarné en France par d’anciens thuriféraires de la construction européenne, et l’esprit multiculturel de la grande civilisation musulmane dont un des plus fidèles et lumineux avatars est sans doute, justement, la construction européenne actuelle, fondée qu’elle est sur l’amour du prochain tant qu’il ne discrimine pas et l’apologie de la diversité obligatoire. [/access]

Les Inrockects

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Tout vient trop tard à qui sait attendre : fidèle lecteur depuis vingt ans des Inrocks (surtout pour les CD), je commence tout juste à pouvoir le lire. J’ai bien aimé la une du n° 775 titrée « Le vrai rocker s’habille réac » et j’ai adoré, dans le même numéro, le petit « billet dur » adressé à Raphaël par Christophe Conte. Extrait: « Dans Libération, tu racontais ainsi l’autre jour qu’à l’heure pile de la mort de Bashung, tu avais vu “une trouée lumineuse dans le ciel”. Il faut vite que tu changes de dealer. Ceci dit, moi le jour de la mort de Patrick Topaloff j’avais la peau du ventre bien tendue, mais c’était sans doute une coïncidence

Avec des coïncidences comme ça, je me réabonne et je te file le CD !

Maman au biberon, papa au Salon

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Photo : Daniel Spils
Photo : Daniel Spils

Il faut aller au Salon de l’auto. Pardon, au Mondial de l’Automobile comme ils voudraient qu’on dise. Il faut y aller même quand, comme moi, on roule à vélo dans Paris, ou en Clio pourrie à la campagne. Parce que si l’on veut avoir une idée de ce qu’est la France aujourd’hui, un bref séjour Porte de Versailles évitera à l’ethnologue curieux d’avoir à se cogner des allers et retours entre Paris et Montluçon, Périgueux ou Bobigny.

Une Bentley et une épouse neuves

La bagnole c’est pour les hommes : du haut de notre permis de conduire obtenu à 18 ans sans trop de mal, on se disait que les voitures, c’était fait autant pour les hommes que pour les femmes. Je ne connais pas le taux de féminisation chez les conducteurs mais je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, on trouverait vraiment moins de gonzesses au volant que d’hommes. Donc, mon pauvre esprit malade se disait, puisque –selon la formule consacrée- la moitié des conducteurs sont des conductrices, le Salon de l’auto doit aussi s’adresser à ces clientes potentielles. Je me disais donc, que le mythe de l’hôtesse court vêtue virevoltant autour de la grosse cylindrée ressortait des mythes urbains. Et que si ça se trouve, les constructeurs ont embauché au moins autant de clones de Daniel Craig que de Pamela Anderson pour ouvrir les portières et débiter la fiche technique des engins. Patatras. Des hôtesses, partout, en jupe, en robe, en mini-jupe, en mini-robe. Jusqu’à celles qui défilent toutes les 5 minutes sur le stand Lamborghini façon fashion-motor-week et se déshabillent entre les modèles…

La bagnole, c’est pour les hommes, les vrais : dehors les gonzesses, à moins d’être hôtesse. Bizarrement, les seuls visiteurs que j’ai vus accompagnés d’une femme sont ceux qui vont pouvoir acheter des voitures sans s’endetter sur 15 ans auprès de Cofinoga. Le gentleman-driver amateur de Porsche ou de Maserati, chemise bien repassée et mèche qui brille, a le droit de rentrer sur le stand et d’essayer les autos sous le regard envieux du loulou de banlieue ou de province qui peut juste brandir son instamatic, -non, son appareil numérique, je sais- pour ramener des chouettes photos de ladite voiture. Le client à gros potentiel est généralement accompagné donc d’une femme, qui a bien raison de ne pas le laisser seul. Sait-on jamais, pris de folie, il pourrait repartir avec une Bentley et une épouse neuves.

Le syndrome du canapé en cuir

Tout ça me laisse perplexe : je croyais aussi bêtement, que depuis au moins vingt ans, les hommes avaient fini de situer leur virilité dans leur bagnole. Qu’à part quelques rappeurs crétins, qui continuent à mettre des filles en zérokini qui nettoient les Hummer dans leurs clips, personne ne pensait qu’une grosse voiture égale un gros potentiel de drague, pour rester polie. Il semble que je connais bien mal les hommes. Et les femmes aussi, puisque si les messieurs sont si à cran sur la cylindrée du moteur, c’est que ça doit bien rencontrer un écho quelque part chez le sexe d’en face. Bref, je suis inquiète pour mon pays.

La bagnole, c’est pour ceux qui aiment les canapés en buffle de chez Cuir Center : je suis inquiète car j’ai toujours cru qu’une voiture c’était un truc qui roulait et permettait d’aller un endroit à l’autre en réduisant les temps de parcours, les risques et la fatigue. Je sais, moi aussi il m’arrive de trouver certains modèles plus jolis et confortables que d’autres. Mais j’aurais à acheter une voiture pour aller à mon travail de cadre moyen, je ne m’endetterais pas sur 15 ans à taux variable. Or l’hétéro à sac à dos du salon de l’auto s’endette, quand il en a marre de rêver tous les deux ans. Je ne juge pas, mais je trouve ça bizarre. Et je me souviens du canapé en cuir à 2000 euros qu’on voit dans les prospectus que lâche régulièrement mon facteur dans ma boîte aux lettres. Je ne vois pas l’intérêt d’un meuble pareil, c’est cher, froid et le chat ne peut même pas y faire ses griffes. Pourtant il s’en vend des milliers, dans toutes les banlieues de France. À des gens qui s’endettent pour ça. Question de statut social. Comme la télé LED géante, ou autrefois la cuisine intégrée en chêne massif. Statut social. Voir ce vieux pays rendu à un statut social automobile ou à canapé en cuir, m’attriste. Mais c’est la France et donc ma France : My country, right or wrong ! Et j’ai envie de donner un petit conseil à nos gouvernants en mal de popularité : au lieu d’aller à Rome baiser les mules du Pape, allez tous les jours Parc des Expositions, et faites-y des promesses sur les radars, les contraventions ou la fin des limitations de vitesse. Un bon moyen pas cher, si ce n’est de regagner des électeurs, au moins de les toucher de près.