Il était une fois un beau prince et une jolie roturière dans une contrée froide et très humide. Lui, parti parfaire son éducation sur les bancs de l’université, laissa ses yeux s’attarder sur la robe en mailles (avec très peu de mailles) de la belle et sombra aussitôt dans les affres de l’amour. Pendant de longues années, ils fuirent les conventions de crainte de reproduire un sombre destin familial. Mais un beau jour, ils décidèrent que le monde entier devait être témoin de leur amour sans faille. Les services de la royauté mirent au point un savant réseau de communication, envoyèrent des pigeons voyageurs aux quatre coins du royaume et vers les contrées voisines. On invita des athlètes de premier plan (The Duke of Beckam), des souverains étrangers (le roi Nicolas et Dame Carla), des virtuoses de la viole et du chant (Sir Paul Mc Cartney et Sir Elton John). Dans un geste de bonté profonde, le Prince décréta le jour des noces chômé, afin que les petites gens du royaume puissent célébrer et acclamer la couronne, ripailler et festoyer jusqu’au petit matin.
Las, au lieu de lui souhaiter longue vie et descendance nombreuse, les petites gens lui en furent moyennement reconnaissants et descendirent manifester à 500 000 dans les rues de Londres en braillant contre la rigueur, fait très exceptionnel car ce peuple septentrional était réputé pour sa placidité et son sens civique. Il se murmure même qu’ils escompteraient le million pour leur prochain happening.
Salauds de pauvres : décidément, tout se perd, même le respect pour les contes de fées.
Pour beaucoup de jeunes Tunisiens, la première liberté semble être celle de quitter leur pays. Ainsi, depuis la fuite de Ben Ali le 14 janvier dernier, quelque 20000 d’entre eux ont débarqué à Lampedusa. On imagine aisément que des milliers d’autres rêvent de les imiter. Pour eux, l’île italienne est la porte d’un eldorado. Pour l’Italie, la France et un bon nombre d’autres pays de l’Union européenne, elle est un cauchemar. À l’heure où l’immigration illégale, notamment celle venue des pays arabes et africains est dans toute l’Europe un enjeu politique majeur, cet afflux met tout le monde dans l’embarras. Enfin, surtout de notre côté de la Méditerranée. À Tunis, on semble trouver un malin plaisir dans la contemplation de la pagaille qui, pour une fois, sévit sur l’autre rive.
On comprend que les Européens ne soient pas très à l’aise. Et ils n’ont pas le mode d’emploi. Comment traiter avec un pays qui sort à peine d’une révolution si singulière ? Comment reprocher quoi que ce soit à ceux qui hier nous faisaient tant vibrer, de surcroît quand on a pas mal de turpitudes à se faire pardonner ? Le gouvernement tunisien, lui, voit d’un très bon œil, s’il ne les encourage pas, le départ de dizaines de milliers de ses jeunes. Pour la Tunisie post-benaliste, cette émigration est une soupape essentielle, la seule manière de faire baisser la pression dans cette cocotte-minute qu’est la société locale. Chaque émigré de plus à Lampedusa, c’est un jeune de moins à loger, à employer et, en cas d’échec, à disperser pendant une manifestation. Mieux vaut qu’ils partent maintenant et envoient tous les mois quelques centaines d’euros à leurs familles restées au pays. Plus tard, quand ça ira mieux, on verra.
Silvio Berlusconi, le plus concerné par cette crise pour le moment, s’est donc rendu en Tunisie lundi dernier pour trouver une solution, mais ses interlocuteurs ne se sont pas montrés très coopératifs, peu enclins à lâcher cette arme tombée du ciel. « Si la situation ne vous convient pas, Monsieur le président du Conseil, payez, et on verra ce qu’on peut faire » : voilà en substance la réponse de Tunis, clairement exposée au Cavaliere par le Président par intérim Fouad Mébazzaâ et son Premier ministre Béji Caïd Essebsi.
Berlusconi est un bon client pour un tel chantage car il est pressé. Face à son opinion publique et aux habitants de l’île devenue un symbole – comme l’a compris Marine Le Pen – il doit trouver une solution rapide. Or, tout dépend de la bonne volonté des Tunisiens qui ont les moyens d’empêcher les bateaux de partir. Pas besoin d’être Nelson pour verrouiller à 95 % les côtes tunisiennes. Il suffirait de mener un travail policier classique pour reprendre le contrôle des ports et démanteler les filières. Même dans l’atmosphère post-évolutionnaire, ce n’est pas impossible..
À Tunis on ne l’entend pas ainsi. Si l’Europe, décidément, se montre peu accueillante, à défaut de se débarrasser de ses jeunes surnuméraires auxquels elle n’arrive pas à proposer un avenir décent, autant, pour la Tunisie, monnayer leur retour ! Plus la situation est gênante pour l’Italie, plus elle inquiète la France et d’autres pays, plus ils seront prêts à payer.
Rome s’apprête, paraît-il, à débourser 300 millions d’euros d’aide économique. L’idée de fournir aux Tunisiens des équipements destinés à améliorer le contrôle des côtes a été abandonnée. S’ils ont besoin d’argent, ce n’est pas pour le gaspiller en investissant sur des vedettes de garde-côtes ! Il s’agit, selon Mariana Sereni, vice-présidente de l’Assemblée nationale italienne, de « proposer un projet capable d’offrir une perspective de développement et de travail à ces jeunes Tunisiens dans leur pays et, dans ce cadre, signer avec le gouvernement tunisien un plan raisonnable de rapatriement des immigrés ». Autrement dit, en attendant que le pays crée des emplois réels et économiquement durables, si l’Europe veut que les Tunisiens restent chez eux, elle doit subventionner des « emplois jeunes » en Tunisie. C’est exactement ce que négocie l’Italie, avec un vague accord de Bruxelles. Puisque nous allons payer, il reste à espérer que Tunis ne choisira pas l’option « fromage et désert » en encaissant les chèques et en continuant à fermer les yeux sur le départ de sa jeunesse masculine…
Pour la troisième fois, les Cosaques débarquent à Paris, à l’initiative de leurs valeureux chefs de guerre spirituelle Romaric Sangars et Olivier Maulin. J’en veux pour preuve ce message menaçant qui vient de me parvenir : « Fukushima, révoltes, guerres, catastrophes en tout genre, réchauffement climatique… bientôt l’apocalypse ? Pour en parler, les Cosaques recevront l’écrivain de la fin du monde, Jérôme Leroy, le jeudi 7 avril prochain, autour d’une tasse de thé au radium. Entrée libre. Sas de décontamination. Mesure de radioactivité obligatoire. Venez nombreux ! »
Après François Taillandier et Pierre Jourde, c’est donc l’excellent camarade Leroy, le plus rouge des Causeurs, qui sera mis à la question par les délicats barbares du Cercle Cosaque. La soirée commencera comme de coutume à 20h30, au merveilleux bistro Chez Barak, au 29 de la rue Sambre et Meuse, à Paris (10ème). Qu’elle s’achève semble moins probable.
Les admiratrices de Leroy qui se présenteront nues à l’entrée se trouveront contraintes, par la force s’il le faut, à revêtir un austère imperméable cosaque. Mesdemoiselles, ne l’oubliez pas, la piraterie n’exclut pas la décence !
Pour de cause de bouclage du Causeur n°34, et de la mobilisation générale afférente, cet article de Florentin est publié une bonne semaine après avoir été écrit. De fait, il a été rédigé juste après l’utilisation controversée par Claude Guéant du mot « croisade » à propos de l’intervention en Libye. N’y cherchez donc pas d’allusion au dernier scandale hebdomadaire provoqué chez les bonnes âmes par la déclaration du ministre de l’Intérieur sur les musulmans en France. Cela porte d’autant moins à conséquence que, comme vous le verrez, cette actualité brûlante à répétition n’aurait pas changé grand-chose ni à l’analyse, ni à la colère de l’auteur…
Ça faisait longtemps[1. Oui, je sais, je prends le train de cette nouvelle croisade en marche, puisque Jacques de Guillebon a déjà, sur le site, excellemment ouvert le feu, mais nous ne serons pas trop de deux pour former le bataillon des pourfendeurs de la connerie ambiante]. Quelques mois ou quelques semaines, je ne sais plus, qu’on n’avait pas eu droit à notre petite phrase en forme de dérapage. En ces temps de disette (je n’ai pas dit de carême, hein, notez bien !) pour toutes les foules sentimentales en mal d’indignation, la déclaration de notre nouveau ministre de l’Intérieur est tombée à pic. La voici donc : « Le Président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe et l’Union africaine ». François Hollande a dit que « croisade », c’était « le mot qu’il ne fallait pas prononcer » ; François Bayrou y a vu une « faute » ; quant à Martine Aubry, pleine de condescendance pour le néophyte qu’est Guéant, elle trouve qu’il est « jeune en politique ». Il est vrai que, contrairement à d’autres, la politique, il n’est pas tombé dedans quand il était petit. Si on comprend bien, si Guéant a fauté, c’est qu’il a été discriminé dans son enfance de fils d’employé : il ne connaît pas les codes, le pauvre. Pardonnons-lui, à ce brave garçon un peu simplet : il ne sait pas ce qu’il dit. Pas comme certains héritiers qui, très pros, disent toujours exactement ce qu’il faut.
Mais non, elle ne pardonne pas, Martine : la culture de l’excuse, ça ne marche pas quand on est au gouvernement. Quant à Marine Le Pen, pour une fois à l’unisson de la classe politique, elle trouve aussi que l’on ne doit pas utiliser des mots comme ça, qui font de la peine aux musulmans… Et Juppé lui-même, supposé appartenir au même camp que Guéant, y a vu une « maladresse ». Bref, une belle unanimité, trop rare dans notre village gaulois qui passe son temps à s’engueuler.
L’unanimité, c’est toujours intéressant. Ainsi, aujourd’hui en France − le pays qui, je crois, a inventé la croisade −, tout le monde est d’accord pour dire que « croisade », c’est un vilain mot. Le ministre Guéant a beau dégainer son dictionnaire, et prouver par a plus b que ce mot accepte depuis des lustres en français une acception figurée qui l’affranchit de son sens premier, rien n’y fait. Dans la bonne société, « croisade », ça ne se dit pas.
Et si on lançait une croisade contre la connerie ?
On pensait être était venu à bout de tous les tabous du vieux monde. Ou on espérait que s’il en restait, la conscience progressiste leur ferait bientôt leur fête. Or, c’est elle qui en invente de nouveaux tabous. Croisade : viré du dictionnaire. Comme le mot « race » il y a peu. Dorénavant, le mot « croisade » ne devra être prononcé qu’en se bouchant le nez, à l’unisson de nos amis islamistes. Car le mot qu’il ne faut pas prononcer, c’est celui qui fâche les musulmans, non pas les Arabes − Jacques de Guillebon a remarqué qu’il y avait outre-Méditerranée quelques Arabes chrétiens −, mais les musulmans. J’ose espérer pour ma part qu’il y a, parmi les musulmans, de nombreux esprits libres qui se gaussent de notre pudibonderie langagière et ne sont pas ridiculement vexés (ou pire, ne jubilent pas) lorsqu’un ministre français utilise correctement un vieux mot français pour évoquer une campagne visant à éviter qu’une population très majoritairement musulmane se fasse massacrer. Il y a, je trouve, une certaine condescendance à l’égard des musulmans lorsqu’on les considère comme une espèce de meute d’enfants irascibles qu’il faudrait ménager à tout prix, incapables de distinguer un sens premier d’un sens figuré.
Mais puisque les jeux sont faits, et en attendant que le mot « croisade », dans son sens positif de « campagne » soit définitivement banni du dictionnaire, je propose une ultime, une toute dernière croisade, et − promis − après on n’en parle plus. Qu’une croisade contre la connerie, contre la stupide néo-pudibonderie qui s’étale aujourd’hui avec soit lancée dans notre pays. Et que cette dernière croisade soit une occasion de rire un peu de la tartufferie ridicule de tous ces pitres qui croient savoir ce qu’il faut penser alors qu’ils ne font que se coucher docilement devant l’époque.
photo : Galerie de photos de United Nations Information Service - Geneva
On se souvient du tapage médiatique qui, en France, avait suivi la publication, en septembre 2009 du rapport de la commission présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, mandatée par la Commission des Droits de l’homme de l’ONU pour enquêter sur l’opération « Plomb durci» à Gaza. « Accablant», tel était l’adjectif systématiquement brandi par les journalistes et commentateurs ravis de tenir les preuves irréfutables de l’ignominie d’Israël, de son armée et de ses dirigeants.
N’y était-il pas écrit noir sur blanc, en conclusion, qu’Israël et la Hamas s’étaient rendus coupables « d’actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité » ? L’opprobre, bien entendu, était jeté tout entier sur Israël, au nom de l’énorme disproportion entre le nombre des victimes, 13 Israéliens tués par des tirs de roquettes, environ 1400 morts côté palestinien.
« Lisez le rapport Goldstone ! ». C’était l’argument ultime pour réduire au silence ceux qui, même sans approuver inconditionnellement cette opération de représailles, émettaient quelques doutes sur les affirmations du Hamas et de ses soutiens extérieurs. L’armée israélienne avait, expliquaient-ils, ciblé volontairement les populations civiles : crimes de guerre, donc, et même contre l’humanité, passibles de la justice pénale internationale.
« Rapport Goldstone ! », rétorque Stéphane Hessel au dernier Salon du livre de Paris à deux jeunes étudiants juifs qui lui demandent de s’indigner de l’assassinat, dans une implantation juive de Cisjordanie d’une famille entière, dont un bébé de trois mois…
Désormais, il ne sera plus aussi commode à ces belles âmes compassionnelles et vociférantes de prononcer ce mot magique, ce shibboleth censé séparer le bon grain palestinophile de l’ivraie sioniste.
C’est Richard Goldstone lui-même qui a formulé, dans une tribune du Washington Post publiée le 1er Avril, mais qui n’a rien d’un canular, la phrase qui devrait désormais interdire d’utiliser son nom et son œuvre pour clouer Israël au pilori de l’Histoire : « Si j’avais su ce que je sais maintenant, le rapport Goldstone aurait été différent. »
On a enquêté en Israël, pas à Gaza
Cela demande quelques explications, que l’on ne trouvera naturellement pas dans nos grands médias nationaux, ni sur les sites web qui avaient, en 2009, donné un large écho à ce rapport (ils se reconnaîtront) et se contentent aujourd’hui de répercuter sèchement les dépêches faisant état du revirement de Richard Goldstone. Ce qui a conduit ce dernier à réviser son jugement, c’est la lecture du rapport du « comité d’experts indépendants des Nations-Unies » présidé par Mary McGowan Davis, une ancienne magistrate de New York. Cette commission, formée sur la recommandation du rapport Goldstone, était chargée d’évaluer les réponses apportées par les parties mises en cause sur les cas évoqués dans ce rapport. Le comité d’expert a estimé « qu’Israël avait consacré d’importants moyens à enquêter sur plus de 400 allégations de crimes de guerre attribués à son armée, alors que les autorités de facto de Gaza (i.e. le Hamas) n’ont procédé à aucune enquête sur les tirs de roquettes et de mortier sur les populations civiles israéliennes ».
Ce rapport sur le rapport n’est pas destiné, pour l’instant, à être rendu public, mais Richard Goldstone a pu en avoir connaissance. Il a pu prendre la mesure, à la lecture des réfutations documentées et étayées de chacune de ces allégations par la police militaire israélienne, de la campagne d’intoxication dont la commission a été victime lors de ses investigations à Gaza. On lui a menti en long, en large et en travers. Les commissaires ont été abreuvés jusqu’à plus soif de récits d’atrocités commises de sang froid par les soldats de l’Etat juif. Tous faux, ou pour le moins largement romancés.
« Balivernes ! », rétorqueront les vociférants cités plus hauts, « Quelle confiance accorder à une armée qui enquête sur ses soldats à l’abri de tout regard extérieur ? ». Tout d’abord, signalons qu’aucune armée d’une grande démocratie n’a accepté, à ce jour, que des enquêteurs extérieurs viennent juger du comportement de leurs soldats.
Les victimes de guerre ne prouvent pas les crimes de guerre
De plus, s’ils avaient été un peu curieux, ces sceptiques auraient pu constater que tous les responsables d’unités de Tsahal mis en cause dans le rapport Goldstone ont été soumis à des interrogatoires serrés de la police militaire israélienne. Gardés à vue pendant des heures, ces officiers ont été cuisinés sans ménagements sur le contenu des rapports fournis à leur hiérarchie à propos des opérations dont ils avaient eu la responsabilité. Ceux dont ont a pu prouver qu’ils avaient, par négligence ou incompétence, causé la mort de civils, font l’objet de procédures disciplinaires dont Richard Goldstone se dit persuadé qu’elles aboutiront à des sanctions adaptées. Mais dans aucun des prétendus crimes de guerre évoqués dans son rapport, il n’a pu être établi qu’il existait une volonté manifeste de tuer des non-combattants.
Goldstone ne fait pas de morale, il dit le droit, ce qui est son métier. Ce qui est constitutif du crime de guerre n’est pas le nombre des victimes civiles mais le fait d’en faire des cibles d’une action militaire. Le cas est sans appel en ce qui concerne le Hamas : les tirs à l’aveugle sur les localités israéliennes proches de Gaza relèvent de cette jurisprudence. Les récits doloristes recueillis par la commission Goldstone lors de son enquête à Gaza omettent systématiquement de signaler que les populations civiles ont été sciemment utilisées comme boucliers humains par les lanceurs de roquettes. La responsabilité des pertes civiles est donc, pour le moins, partagée entre l’armée israélienne et les milices du Hamas.
La ligne de défense des inconditionnels de la diabolisation d’Israël est désormais accrochée à deux bastions. Le premier consiste à affirmer que Goldstone a craqué sous la pression d’Israël et des institutions juives, qui l’ont harcelé jusqu’à le déclarer persona non grata à la bar-mitzvah de son petit-fils à Johannesburg[1. Ce qui est, bien entendu, stupide et contre-productif]. On leur objectera que s’il avait souhaité éviter de nouveaux ennuis, bien plus pénibles, il aurait évité de se distancier d’un rapport dont il avait été le principal responsable : personne n’exigeait cela de lui.
L’autre argument consiste à balayer du revers de la main les doutes de Goldstone en martelant que les Israéliens ont tué 1400 combattants et civils palestiniens à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009 et que cela seul suffit à les condamner au regard de l’Histoire.
À cela on ne peut que répondre qu’il est pour le moins inconséquent d’évoquer sans cesse les infractions au droit international commises par Israël et de le condamner encore lorsqu’il est établi que ce droit de la guerre – jus in bello – a été respecté par l’Etat juif.
Richard Goldstone est un homme honnête, ce qui ne lui rend pas la vie facile.
(1) Ce qui est, bien entendu, stupide et contre-productif
Comme nous l’avions prévu dès Causeur n° 31, la « Peste blonde » a cartonné aux cantonales après avoir sidéré sondeurs et sondologues. Face à une présidente du FN qui a bel et bien pris son envol vers la présidentielle, ses détracteurs, eux, font l’autruche, ce qui justifie la présence en couverture du n° 34 de ce splendide struthioniforme (un Struthio camelus, si vous voulez tout savoir)
Cette politique de l’autisme, hélas dominante chez les antilepénistes et qui consiste à ne rien entendre, ne rien voir et ne rien dire de neuf, est abondamment disséquée dans le dossier de ce Causeur n° 34, où l’on trouvera, entre autres, un papier très remonté de Cyril Bennasar sur un sujet on ne peut plus touchy (les juifs et le vote FN) et un voyage autour de la Chambre de Muriel Gremillet, qui a passé une semaine en immersion chez les députés de la Droite Populaire.
Des voyages, comme à l’habitude, il y en aura d’autres, et plus lointains, dans ce numéro. Luc Rosenzweig disséquera la trouilla germanica qui tétanise nos voisins, Jérôme Leroy nous prouvera que la réalité du Tsunami confirme ce qu’avaient déjà vu les géants de la fiction ; quant à Bruno Deniel-Laurent, il nous a ramené du Cambodge un reportage édifiant sur l’éradication des cultures ancestrales au Cambodge, discipline où les missionnaires du Tabligh sont aussi efficaces que les boys du FMI. Basile de Koch, lui, s’est contenté de faire le tour du PAF, et plus précisément de ses émissions culturelles : faut-il en dire plus ?
Au sommaire aussi, deux longues interviews, façon Causeur donc sans fadeur et en profondeur : face à François Miclo, un Jean Clair fort peu académique prophétise un hiver de la culture ; Bernard-Henri Lévy, lui, confronté à Élisabeth Lévy, Isabelle Marchandier et Gil Mihaely s’explique sur son engagement libyen et ses quelques conséquences…
Bref, que du costaud, et désormais, rappelons-le, sur 48 pages, et toujours avec 100 % d’inédits. Pour avoir accès à tout ça – ainsi qu’aux articles verrouillés sur le site – il faudra bien sûr vous abonner ou, si besoin est, vous réabonner. Et si vous le faites d’ici samedi soir, nous nous engageons à ce que vous receviez Causeur dès ce numéro 34 dans votre boîte aux lettres. Et si vous n’avez pas de boites au lettres, ou que vous ne souhaitez pas l’encombrer, il est désormais possible de s’abonner à uniquement à l’édition en ligne (avec bien sûr l’accès aux papiers verrouillés) à un tarif honteusement préférentiel
Bref l’autruche ne vole pas, et vous, vous ne serez pas volés…
Terry Jones est un insignifiant pasteur américain à la tête d’une congrégation dérisoire de quelques dizaines de croyants en Floride. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est parce que pour devenir signifiant, il a déclaré à la rentrée dernière son intention de brûler un exemplaire du Coran devant son église pour marquer le neuvième anniversaire du 11-Septembre. Suite à une vague d’indignation et des pressions de personnalités religieuses, il n’est finalement pas passé à l’acte et a même donné sa parole de ne pas recommencer. Mais le problème est que sa provocation a tellement bien marché – pendant quelques jours, cette histoire a retenu l’attention de tous les médias de la planète – que le retour à l’insignifiance lui était insupportable.
Ainsi, six mois plus tard, malgré ses promesses, Terry Jones décide de récidiver. Fou mais pas idiot, il sait qu’il faut augmenter la dose. Non seulement on ne peut pas servir un plat réchauffé, mais avec des révolutions en série dans le monde arabe, une guerre en Libye et un grave accident nucléaire au Japon, la planète journalistique est très sollicitée et il faut taper fort pour attirer l’attention. Au mois de janvier, il entame donc le procès public du Coran et le 20 mars, le décrétant coupable d’incitation à la haine, Terry Jones met le feu au livre sacré des musulmans, autodafé diffusé par Internet avec sous-titres en arabe.
Pendant une grosse semaine, l’acte bizarre de ce pasteur a eu le succès qu’il méritait : les médias l’ont plus ou moins ignoré. Malheureusement, une dizaine de jours plus tard, la mayonnaise finit par prendre en Afghanistan et au Pakistan. Manifestations violentes, lynchages, émeutes… Le bilan provisoire s’élève aujourd’hui à 19 morts.
Aux Etats-Unis, comme au mois de septembre dernier, le débat tourne autour de la question de la liberté d’expression et de ses limites tandis que certains – notamment le sénateur Lindsey Graham – pensent que le simple fait que le pays soit en guerre justifie, comme pendant la Deuxième guerre mondiale, la restriction de ce droit constitutionnel fondamental. Dans ce débat – légitime au demeurant –, on oublie un fait majeur : pour créer le scandale, il faut être au moins deux, celui qui provoque et celui qui est provoqué. Or, dans ce cas comme dans le cas des violences qui ont suivi la publication des caricatures du prophète Mahomet en 2005, la réaction pavlovienne de certains musulmans était largement prévisible.
Pour dire les choses clairement, le seuil de tolérance à la provocation de certains musulmans est tout simplement trop bas. Qu’un geste d’un homme de si peu d’importance puisse avoir de telles conséquences en dit plus long sur eux que sur le pasteur provocateur. Après tout, même si c’est son effigie qu’on brûle aujourd’hui à Jalalabad, ce n’est pas Barack Obama qui a mis le feu au Coran. Ce n’est pas non plus le général Petraeus, le très embarrassé chef des forces coalisées en Afghanistan, qui a applaudi cette connerie monumentale de Terry le taré.
Est-ce si difficile à comprendre qu’il s’agit d’une vulgaire et grossière opération de com’ ? Et même si, comme on le prétend, des agents provocateurs taliban infiltrés dans la foule sont derrière les dérapages sanglants des manifestations, la question reste la même : pourquoi donner une telle importance à une provocation si dérisoire ? L’une des valeurs de l’Occident – et pas la moindre – est justement d’accepter la folie des autres.
Terry Jones est un agité du bocal qui ne représente personne. Si des millions de musulmans se sentent concernés par ses agissements insensés, c’est leur problème et surtout leur responsabilité. Le sang de 19 personnes a été versé par des musulmans, voilà le seul fait important à retenir.
Pauvre Frédo (Lefebvre). Le secrétaire d’Etat aux PME est, une nouvelle fois, la risée du web. Depuis samedi, une vidéo réalisée par le Figaro.fr tourne partout, dans laquelle Frédéric Lefebvre explique que son livre de chevet est « Zadig et Voltaire », du nom de la célèbre marque de T-shirt troués et chers.
Pauvre Frédo, parce que sa bourde a permis de faire oublier les pitoyables prestations des autres personnalités politiques interrogées en marge de la journée du livre politique de l’Assemblée. Mis à part Chevènement qui parle avec conviction de Stendhal et Jacques Myard qui cite Yourcenar et Céline, il faut voir Hervé Mariton (député de la Drôme) sécher quand on lui demande quel est son livre favori. Il bafouille un truc sur Un cœur simple, de Flaubert « court mais dense » et Belle du Seigneur, « un livre épais .» Quant à savoir ce qu’il lit aujourd’hui…
Plus fort encore Jean-Pierre Soisson, député de l’Yonne : « vous voulez dire un livre qui ne soit pas le mien ? » Avant de reprendre la vieille technique politique : quand on ne sait pas comment répondre à une question, il convient d’abord de la répéter pour gagner du temps. Espérant qu’une réponse émerge par miracle du fin fond du cerveau reptilien. Soisson lit donc les classiques, sans arrêt, « Stendhal, les classiques tout ça. »
Je crois surtout que tous ces députés interrogés devraient acheter le dernier livre de Frédéric Lefebvre, en remerciement de leur avoir permis d’échapper au ridicule littéraire grâce à sa bourde plus grosse que leur propre inculture crasse.
Je confiais il y a peu à propos du débat sur la laïcité avec ou sans islam mon agacement à entendre encore du bla-bla quand il faudrait du bâton. C’est mon coté idéaliste. Je reste attaché à cette utopie qui veut que l’État n’aurait besoin de personne pour défendre la République laïque et, qu’en démocratie représentative, les élus pourraient et devraient faire ce qu’on leur a demandé, tout seuls comme des grands. Alors forcément, la réalité m’énerve. Avec son débat, la droite nous fait de la démocratie participative comme si elle avait perdu en 2007 et là où un Préfet assisté d’une compagnie de CRS et couvert par un chef courageux suffirait à faire respecter la loi, car en fait, il ne s’agit que de cela, on parle, on parle… Sur ces questions, on attendait Sarkozy au pont d’Arcole, on a Edwy Plenel à la télé. Théoriquement, l’un n’empêche pas l’autre, pratiquement, si. Et pas dans le sens qu’on attend. Quand Plenel fonce et s’enfonce en sarkophobie, dénonçant l’islamophobie des manœuvres droitières, le Président hésite à se mettre à dos les faiseurs d’opinion. On n’attend pas que le pouvoir fasse taire tous les curés, laïcs ou pas, qui font de la morale aux électeurs, on aimerait juste que ces protestations ne dissuadent pas les élus du peuple de tenir leurs promesses. Et d’agir.
Le plus drôle dans l’histoire, c’est que, cette fois-ci, les tenants habituels du participatif ne veulent pas participer cette fois ci. Examinons leurs arguments.
Les Français nourrissent d’autres inquiétudes !
Bien sûr, on a tous beaucoup de soucis. Et alors ? On ne peut plus penser à deux choses en même temps ? La plupart des hommes mariés depuis longtemps savent bien qu’on peut gérer deux problèmes à la fois. Et leurs femmes aussi.
C’est une manœuvre électorale, une construction bâtie sur des fantasmes !
S’il s’agit d’un faux débat qui prétend répondre à des questions que personne ne se pose, on peut gager qu’il aura peu d’écho, aucun intérêt et pas la moindre conséquence. Si en revanche, comme dans l’affaire de l’identité nationale, les Français s’expriment, témoignent et se mêlent de leur affaires en prenant part à la discussion, si un « pilpoul » national permet à tous ceux qui le souhaitent de se prononcer sur les changements qui apparaissent, qu’on y accepte des arrangements ou qu’on y déplore des renoncements, la démocratie y aura gagné. Des manœuvres électorales qui rencontrent les aspirations, les colères ou les angoisses des électeurs, ce n’est pas malsain, c’est un rendez-vous réussi entre les élites dirigeantes et le peuple.
« On veut bien parler de tout mais pas avec n’importe qui. ». « On va monter les Français les uns contre les autres ».
Nous y voilà. Les réfractaires au débat ne se contentent pas de se taire, ils nous mettent en garde sur les dangers qu’il y aurait à entendre des opinions décrétées extérieures à « l’arc républicain ». Non seulement toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire mais tous les Français ne sont pas bons à entendre. Ceux qui confient leurs troubles quand les règles de la laïcité sont enfreintes à l’école, à l’hôpital, dans les entreprises ou dans la rue risquent d’en désigner les fauteurs. À moins de s’en tenir aux concepts et à la langue de bois, les Musulmans qui pressent la République de transiger avec leur foi se sentiront visés. C’est un moindre mal. Il serait plus grave, comme on laisse faire rue Myrha par crainte des échauffourées, d’ignorer la question et de laisser penser que tous les Musulmans rejettent en masse les bonnes manières laïques. Une parole libre ne monterait pas les Français les uns contre les autres mais dissiperait les malentendus et rappellerait ou poserait les règles du vivre ensemble. A l’inverse, un tabou prudemment entretenu sur ces questions et un débat interdit quand certains Français attendent des réponses et des arbitrages pousseraient sûrement les citoyens de cultures différentes à vivre loin les des autres, voire les uns sans les autres. La France mérite mieux et l’islam de France aussi.
Le débat sur le débat a à peine commencé que les religieux s’en mêlent dans un élan œcuménique historique pour nous avertir qu’il est urgent de ne rien faire. Les « six religions de France » – pourquoi six ? Je suppose qu’on compte à partir d’une certaine quantité d’ouailles sinon on ne s’en sort pas, imaginez un collectif avec les témoins de Jéhovah, les mormons, les satanistes, les scientologues et tous les allumés de spiritualités en France. Les six donc, soient un évêque, un pasteur protestant, un rabbin, un musulman du CFCM, un métropolite orthodoxe et un révérend bouddhiste, nous mettent en garde. Ils ne veulent pas de débat. Enfin si, mais pas maintenant. En période préélectorale, on risque de stigmatiser (voir plus haut). Donc, ce n’est donc pas le moment. En période post-électorale aussi mais les électeurs ne pourront plus s’exprimer avec leur bulletin de vote. Les clercs doivent estimer que la laïcité est une question trop sérieuse pour être confiée aux citoyens.
Manifestement, cette méfiance et ce mépris mériteraient un débat mais que pouvons-nous en espérer ?
Il n’y aurait plus de prières de rue si l’exécutif faisait respecter la loi mais pour résoudre ce problème posé non pas par Jean-François Copé mais par un certain nombre de pratiquants, on commence à entendre qu’il faut envisager un financement public des mosquées. Ça commence mal. J’attendais qu’on serre la vis et voilà qu’on lâche du lest. S’ils touchent à la loi de 1905, on va y perdre en laïcité. Pour répondre à une situation nouvelle, et pour éviter l’islam des caves ou des rues, les financements étrangers et les mosquées incontrôlables, l’Etat va être sommé de prendre à sa charge des besoins immobiliers des croyants. La règle d’or qui interdit toute relation d’argent entre les élus et les communautés et évite toute tentation clientéliste sera battue en brèche. Si ce débat débouche sur une régression de notre laïcité et aboutit, au bout du compte, à des accommodements raisonnables à la française, je préfère encore qu’on ne parle de rien et qu’on ne touche à rien.
Alors, débat ou pas débat ? Je me demande si la question n’est pas dépassée. Qu’on joue le jeu ou qu’on proclame qu’on ne parlera pas même sous la menace des baïonnettes, le résultat est qu’on en parle. Et si tout le monde se moque du débat officiel, les débats off se multiplient dans les médias et les bistrots. Les opinions s’échangent à défaut de changer, c’est déjà ça. Quand une question occupe la scène médiatique, les acteurs qui défilent devant les micros et les caméras doivent choisir leur camp. Soumis à la question, ceux qui convoitent nos suffrages sortent du bois, s’expliquent ou pas, proposent leurs constats et leurs solutions ou se défilent parce qu’ils trouvent la question mal posée : à l’arrivée, nous pouvons faire notre marché dans l’offre politique. C’est bien la finalité du débat démocratique et nous y participerons dans l’isoloir où chacun pourra faire le tri entre ceux qui pensent qu’il n’y a pas de problème, ceux qui s’opposent à toute stigmatisation, ceux qui nomment les choses et ceux qui semblent décidés à agir, en républicains. Il ne nous reste plus qu’à discriminer pour choisir, en toutes connaissance de ces choses publiques, un Président ou une Présidente qui, je l’espère, saura clore le débat.
Bachar el-Assad tient parole. Dans son discours de mercredi dernier, il avait promis du changement. En conséquence de quoi ce dimanche, il a investi un nouveau premier ministre. L’heureux nommé est M. Adel Safar, qui détenait jusqu’à dimanche matin le portefeuille de l’agriculture. Cet ancien élève de l’École Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries Alimentaires de Nancy était en poste depuis 2003 et occupait donc une place de choix pour regarder de près son effondrement.
Pour 2010 par exemple, M. Safar avait prévu un récolte de 4 millions de tonnes de blé mais à la fin de l’année, il a lui-même revu ses prévisions à la baisse : les céréaliers syriens n’ont produit finalement que 2.4 tonnes, loin, très loin des besoins du pays qui consomme 3.6 millions de tonnes par an.
La sécheresse et un champignon qui sévit dans la région (« la rouille ») sont évoqués pour expliquer le désastre mais si on ajoute les résultats décevants du secteur du coton, qui emploie 20% de travailleurs syriens (récoltes 25% moins importantes que prévu), l’étendue du problème, ainsi que ses possibles répercutions politiques sont évidentes.
Ce qui l’est beaucoup moins, c’est le choix de celui qui était chargé pendant huit ans d’un domaine d’activité visiblement sinistré pour sortir le pays d’une crise politique grave. Mais peut-être le président Assad espère que M. Safar aurait sur la contestation dans son pays la même influence qu’il avait sur l’agriculture ces dernières années…
Il était une fois un beau prince et une jolie roturière dans une contrée froide et très humide. Lui, parti parfaire son éducation sur les bancs de l’université, laissa ses yeux s’attarder sur la robe en mailles (avec très peu de mailles) de la belle et sombra aussitôt dans les affres de l’amour. Pendant de longues années, ils fuirent les conventions de crainte de reproduire un sombre destin familial. Mais un beau jour, ils décidèrent que le monde entier devait être témoin de leur amour sans faille. Les services de la royauté mirent au point un savant réseau de communication, envoyèrent des pigeons voyageurs aux quatre coins du royaume et vers les contrées voisines. On invita des athlètes de premier plan (The Duke of Beckam), des souverains étrangers (le roi Nicolas et Dame Carla), des virtuoses de la viole et du chant (Sir Paul Mc Cartney et Sir Elton John). Dans un geste de bonté profonde, le Prince décréta le jour des noces chômé, afin que les petites gens du royaume puissent célébrer et acclamer la couronne, ripailler et festoyer jusqu’au petit matin.
Las, au lieu de lui souhaiter longue vie et descendance nombreuse, les petites gens lui en furent moyennement reconnaissants et descendirent manifester à 500 000 dans les rues de Londres en braillant contre la rigueur, fait très exceptionnel car ce peuple septentrional était réputé pour sa placidité et son sens civique. Il se murmure même qu’ils escompteraient le million pour leur prochain happening.
Salauds de pauvres : décidément, tout se perd, même le respect pour les contes de fées.
Pour beaucoup de jeunes Tunisiens, la première liberté semble être celle de quitter leur pays. Ainsi, depuis la fuite de Ben Ali le 14 janvier dernier, quelque 20000 d’entre eux ont débarqué à Lampedusa. On imagine aisément que des milliers d’autres rêvent de les imiter. Pour eux, l’île italienne est la porte d’un eldorado. Pour l’Italie, la France et un bon nombre d’autres pays de l’Union européenne, elle est un cauchemar. À l’heure où l’immigration illégale, notamment celle venue des pays arabes et africains est dans toute l’Europe un enjeu politique majeur, cet afflux met tout le monde dans l’embarras. Enfin, surtout de notre côté de la Méditerranée. À Tunis, on semble trouver un malin plaisir dans la contemplation de la pagaille qui, pour une fois, sévit sur l’autre rive.
On comprend que les Européens ne soient pas très à l’aise. Et ils n’ont pas le mode d’emploi. Comment traiter avec un pays qui sort à peine d’une révolution si singulière ? Comment reprocher quoi que ce soit à ceux qui hier nous faisaient tant vibrer, de surcroît quand on a pas mal de turpitudes à se faire pardonner ? Le gouvernement tunisien, lui, voit d’un très bon œil, s’il ne les encourage pas, le départ de dizaines de milliers de ses jeunes. Pour la Tunisie post-benaliste, cette émigration est une soupape essentielle, la seule manière de faire baisser la pression dans cette cocotte-minute qu’est la société locale. Chaque émigré de plus à Lampedusa, c’est un jeune de moins à loger, à employer et, en cas d’échec, à disperser pendant une manifestation. Mieux vaut qu’ils partent maintenant et envoient tous les mois quelques centaines d’euros à leurs familles restées au pays. Plus tard, quand ça ira mieux, on verra.
Silvio Berlusconi, le plus concerné par cette crise pour le moment, s’est donc rendu en Tunisie lundi dernier pour trouver une solution, mais ses interlocuteurs ne se sont pas montrés très coopératifs, peu enclins à lâcher cette arme tombée du ciel. « Si la situation ne vous convient pas, Monsieur le président du Conseil, payez, et on verra ce qu’on peut faire » : voilà en substance la réponse de Tunis, clairement exposée au Cavaliere par le Président par intérim Fouad Mébazzaâ et son Premier ministre Béji Caïd Essebsi.
Berlusconi est un bon client pour un tel chantage car il est pressé. Face à son opinion publique et aux habitants de l’île devenue un symbole – comme l’a compris Marine Le Pen – il doit trouver une solution rapide. Or, tout dépend de la bonne volonté des Tunisiens qui ont les moyens d’empêcher les bateaux de partir. Pas besoin d’être Nelson pour verrouiller à 95 % les côtes tunisiennes. Il suffirait de mener un travail policier classique pour reprendre le contrôle des ports et démanteler les filières. Même dans l’atmosphère post-évolutionnaire, ce n’est pas impossible..
À Tunis on ne l’entend pas ainsi. Si l’Europe, décidément, se montre peu accueillante, à défaut de se débarrasser de ses jeunes surnuméraires auxquels elle n’arrive pas à proposer un avenir décent, autant, pour la Tunisie, monnayer leur retour ! Plus la situation est gênante pour l’Italie, plus elle inquiète la France et d’autres pays, plus ils seront prêts à payer.
Rome s’apprête, paraît-il, à débourser 300 millions d’euros d’aide économique. L’idée de fournir aux Tunisiens des équipements destinés à améliorer le contrôle des côtes a été abandonnée. S’ils ont besoin d’argent, ce n’est pas pour le gaspiller en investissant sur des vedettes de garde-côtes ! Il s’agit, selon Mariana Sereni, vice-présidente de l’Assemblée nationale italienne, de « proposer un projet capable d’offrir une perspective de développement et de travail à ces jeunes Tunisiens dans leur pays et, dans ce cadre, signer avec le gouvernement tunisien un plan raisonnable de rapatriement des immigrés ». Autrement dit, en attendant que le pays crée des emplois réels et économiquement durables, si l’Europe veut que les Tunisiens restent chez eux, elle doit subventionner des « emplois jeunes » en Tunisie. C’est exactement ce que négocie l’Italie, avec un vague accord de Bruxelles. Puisque nous allons payer, il reste à espérer que Tunis ne choisira pas l’option « fromage et désert » en encaissant les chèques et en continuant à fermer les yeux sur le départ de sa jeunesse masculine…
Pour la troisième fois, les Cosaques débarquent à Paris, à l’initiative de leurs valeureux chefs de guerre spirituelle Romaric Sangars et Olivier Maulin. J’en veux pour preuve ce message menaçant qui vient de me parvenir : « Fukushima, révoltes, guerres, catastrophes en tout genre, réchauffement climatique… bientôt l’apocalypse ? Pour en parler, les Cosaques recevront l’écrivain de la fin du monde, Jérôme Leroy, le jeudi 7 avril prochain, autour d’une tasse de thé au radium. Entrée libre. Sas de décontamination. Mesure de radioactivité obligatoire. Venez nombreux ! »
Après François Taillandier et Pierre Jourde, c’est donc l’excellent camarade Leroy, le plus rouge des Causeurs, qui sera mis à la question par les délicats barbares du Cercle Cosaque. La soirée commencera comme de coutume à 20h30, au merveilleux bistro Chez Barak, au 29 de la rue Sambre et Meuse, à Paris (10ème). Qu’elle s’achève semble moins probable.
Les admiratrices de Leroy qui se présenteront nues à l’entrée se trouveront contraintes, par la force s’il le faut, à revêtir un austère imperméable cosaque. Mesdemoiselles, ne l’oubliez pas, la piraterie n’exclut pas la décence !
Pour de cause de bouclage du Causeur n°34, et de la mobilisation générale afférente, cet article de Florentin est publié une bonne semaine après avoir été écrit. De fait, il a été rédigé juste après l’utilisation controversée par Claude Guéant du mot « croisade » à propos de l’intervention en Libye. N’y cherchez donc pas d’allusion au dernier scandale hebdomadaire provoqué chez les bonnes âmes par la déclaration du ministre de l’Intérieur sur les musulmans en France. Cela porte d’autant moins à conséquence que, comme vous le verrez, cette actualité brûlante à répétition n’aurait pas changé grand-chose ni à l’analyse, ni à la colère de l’auteur…
Ça faisait longtemps[1. Oui, je sais, je prends le train de cette nouvelle croisade en marche, puisque Jacques de Guillebon a déjà, sur le site, excellemment ouvert le feu, mais nous ne serons pas trop de deux pour former le bataillon des pourfendeurs de la connerie ambiante]. Quelques mois ou quelques semaines, je ne sais plus, qu’on n’avait pas eu droit à notre petite phrase en forme de dérapage. En ces temps de disette (je n’ai pas dit de carême, hein, notez bien !) pour toutes les foules sentimentales en mal d’indignation, la déclaration de notre nouveau ministre de l’Intérieur est tombée à pic. La voici donc : « Le Président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe et l’Union africaine ». François Hollande a dit que « croisade », c’était « le mot qu’il ne fallait pas prononcer » ; François Bayrou y a vu une « faute » ; quant à Martine Aubry, pleine de condescendance pour le néophyte qu’est Guéant, elle trouve qu’il est « jeune en politique ». Il est vrai que, contrairement à d’autres, la politique, il n’est pas tombé dedans quand il était petit. Si on comprend bien, si Guéant a fauté, c’est qu’il a été discriminé dans son enfance de fils d’employé : il ne connaît pas les codes, le pauvre. Pardonnons-lui, à ce brave garçon un peu simplet : il ne sait pas ce qu’il dit. Pas comme certains héritiers qui, très pros, disent toujours exactement ce qu’il faut.
Mais non, elle ne pardonne pas, Martine : la culture de l’excuse, ça ne marche pas quand on est au gouvernement. Quant à Marine Le Pen, pour une fois à l’unisson de la classe politique, elle trouve aussi que l’on ne doit pas utiliser des mots comme ça, qui font de la peine aux musulmans… Et Juppé lui-même, supposé appartenir au même camp que Guéant, y a vu une « maladresse ». Bref, une belle unanimité, trop rare dans notre village gaulois qui passe son temps à s’engueuler.
L’unanimité, c’est toujours intéressant. Ainsi, aujourd’hui en France − le pays qui, je crois, a inventé la croisade −, tout le monde est d’accord pour dire que « croisade », c’est un vilain mot. Le ministre Guéant a beau dégainer son dictionnaire, et prouver par a plus b que ce mot accepte depuis des lustres en français une acception figurée qui l’affranchit de son sens premier, rien n’y fait. Dans la bonne société, « croisade », ça ne se dit pas.
Et si on lançait une croisade contre la connerie ?
On pensait être était venu à bout de tous les tabous du vieux monde. Ou on espérait que s’il en restait, la conscience progressiste leur ferait bientôt leur fête. Or, c’est elle qui en invente de nouveaux tabous. Croisade : viré du dictionnaire. Comme le mot « race » il y a peu. Dorénavant, le mot « croisade » ne devra être prononcé qu’en se bouchant le nez, à l’unisson de nos amis islamistes. Car le mot qu’il ne faut pas prononcer, c’est celui qui fâche les musulmans, non pas les Arabes − Jacques de Guillebon a remarqué qu’il y avait outre-Méditerranée quelques Arabes chrétiens −, mais les musulmans. J’ose espérer pour ma part qu’il y a, parmi les musulmans, de nombreux esprits libres qui se gaussent de notre pudibonderie langagière et ne sont pas ridiculement vexés (ou pire, ne jubilent pas) lorsqu’un ministre français utilise correctement un vieux mot français pour évoquer une campagne visant à éviter qu’une population très majoritairement musulmane se fasse massacrer. Il y a, je trouve, une certaine condescendance à l’égard des musulmans lorsqu’on les considère comme une espèce de meute d’enfants irascibles qu’il faudrait ménager à tout prix, incapables de distinguer un sens premier d’un sens figuré.
Mais puisque les jeux sont faits, et en attendant que le mot « croisade », dans son sens positif de « campagne » soit définitivement banni du dictionnaire, je propose une ultime, une toute dernière croisade, et − promis − après on n’en parle plus. Qu’une croisade contre la connerie, contre la stupide néo-pudibonderie qui s’étale aujourd’hui avec soit lancée dans notre pays. Et que cette dernière croisade soit une occasion de rire un peu de la tartufferie ridicule de tous ces pitres qui croient savoir ce qu’il faut penser alors qu’ils ne font que se coucher docilement devant l’époque.
photo : Galerie de photos de United Nations Information Service - Geneva
On se souvient du tapage médiatique qui, en France, avait suivi la publication, en septembre 2009 du rapport de la commission présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, mandatée par la Commission des Droits de l’homme de l’ONU pour enquêter sur l’opération « Plomb durci» à Gaza. « Accablant», tel était l’adjectif systématiquement brandi par les journalistes et commentateurs ravis de tenir les preuves irréfutables de l’ignominie d’Israël, de son armée et de ses dirigeants.
N’y était-il pas écrit noir sur blanc, en conclusion, qu’Israël et la Hamas s’étaient rendus coupables « d’actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité » ? L’opprobre, bien entendu, était jeté tout entier sur Israël, au nom de l’énorme disproportion entre le nombre des victimes, 13 Israéliens tués par des tirs de roquettes, environ 1400 morts côté palestinien.
« Lisez le rapport Goldstone ! ». C’était l’argument ultime pour réduire au silence ceux qui, même sans approuver inconditionnellement cette opération de représailles, émettaient quelques doutes sur les affirmations du Hamas et de ses soutiens extérieurs. L’armée israélienne avait, expliquaient-ils, ciblé volontairement les populations civiles : crimes de guerre, donc, et même contre l’humanité, passibles de la justice pénale internationale.
« Rapport Goldstone ! », rétorque Stéphane Hessel au dernier Salon du livre de Paris à deux jeunes étudiants juifs qui lui demandent de s’indigner de l’assassinat, dans une implantation juive de Cisjordanie d’une famille entière, dont un bébé de trois mois…
Désormais, il ne sera plus aussi commode à ces belles âmes compassionnelles et vociférantes de prononcer ce mot magique, ce shibboleth censé séparer le bon grain palestinophile de l’ivraie sioniste.
C’est Richard Goldstone lui-même qui a formulé, dans une tribune du Washington Post publiée le 1er Avril, mais qui n’a rien d’un canular, la phrase qui devrait désormais interdire d’utiliser son nom et son œuvre pour clouer Israël au pilori de l’Histoire : « Si j’avais su ce que je sais maintenant, le rapport Goldstone aurait été différent. »
On a enquêté en Israël, pas à Gaza
Cela demande quelques explications, que l’on ne trouvera naturellement pas dans nos grands médias nationaux, ni sur les sites web qui avaient, en 2009, donné un large écho à ce rapport (ils se reconnaîtront) et se contentent aujourd’hui de répercuter sèchement les dépêches faisant état du revirement de Richard Goldstone. Ce qui a conduit ce dernier à réviser son jugement, c’est la lecture du rapport du « comité d’experts indépendants des Nations-Unies » présidé par Mary McGowan Davis, une ancienne magistrate de New York. Cette commission, formée sur la recommandation du rapport Goldstone, était chargée d’évaluer les réponses apportées par les parties mises en cause sur les cas évoqués dans ce rapport. Le comité d’expert a estimé « qu’Israël avait consacré d’importants moyens à enquêter sur plus de 400 allégations de crimes de guerre attribués à son armée, alors que les autorités de facto de Gaza (i.e. le Hamas) n’ont procédé à aucune enquête sur les tirs de roquettes et de mortier sur les populations civiles israéliennes ».
Ce rapport sur le rapport n’est pas destiné, pour l’instant, à être rendu public, mais Richard Goldstone a pu en avoir connaissance. Il a pu prendre la mesure, à la lecture des réfutations documentées et étayées de chacune de ces allégations par la police militaire israélienne, de la campagne d’intoxication dont la commission a été victime lors de ses investigations à Gaza. On lui a menti en long, en large et en travers. Les commissaires ont été abreuvés jusqu’à plus soif de récits d’atrocités commises de sang froid par les soldats de l’Etat juif. Tous faux, ou pour le moins largement romancés.
« Balivernes ! », rétorqueront les vociférants cités plus hauts, « Quelle confiance accorder à une armée qui enquête sur ses soldats à l’abri de tout regard extérieur ? ». Tout d’abord, signalons qu’aucune armée d’une grande démocratie n’a accepté, à ce jour, que des enquêteurs extérieurs viennent juger du comportement de leurs soldats.
Les victimes de guerre ne prouvent pas les crimes de guerre
De plus, s’ils avaient été un peu curieux, ces sceptiques auraient pu constater que tous les responsables d’unités de Tsahal mis en cause dans le rapport Goldstone ont été soumis à des interrogatoires serrés de la police militaire israélienne. Gardés à vue pendant des heures, ces officiers ont été cuisinés sans ménagements sur le contenu des rapports fournis à leur hiérarchie à propos des opérations dont ils avaient eu la responsabilité. Ceux dont ont a pu prouver qu’ils avaient, par négligence ou incompétence, causé la mort de civils, font l’objet de procédures disciplinaires dont Richard Goldstone se dit persuadé qu’elles aboutiront à des sanctions adaptées. Mais dans aucun des prétendus crimes de guerre évoqués dans son rapport, il n’a pu être établi qu’il existait une volonté manifeste de tuer des non-combattants.
Goldstone ne fait pas de morale, il dit le droit, ce qui est son métier. Ce qui est constitutif du crime de guerre n’est pas le nombre des victimes civiles mais le fait d’en faire des cibles d’une action militaire. Le cas est sans appel en ce qui concerne le Hamas : les tirs à l’aveugle sur les localités israéliennes proches de Gaza relèvent de cette jurisprudence. Les récits doloristes recueillis par la commission Goldstone lors de son enquête à Gaza omettent systématiquement de signaler que les populations civiles ont été sciemment utilisées comme boucliers humains par les lanceurs de roquettes. La responsabilité des pertes civiles est donc, pour le moins, partagée entre l’armée israélienne et les milices du Hamas.
La ligne de défense des inconditionnels de la diabolisation d’Israël est désormais accrochée à deux bastions. Le premier consiste à affirmer que Goldstone a craqué sous la pression d’Israël et des institutions juives, qui l’ont harcelé jusqu’à le déclarer persona non grata à la bar-mitzvah de son petit-fils à Johannesburg[1. Ce qui est, bien entendu, stupide et contre-productif]. On leur objectera que s’il avait souhaité éviter de nouveaux ennuis, bien plus pénibles, il aurait évité de se distancier d’un rapport dont il avait été le principal responsable : personne n’exigeait cela de lui.
L’autre argument consiste à balayer du revers de la main les doutes de Goldstone en martelant que les Israéliens ont tué 1400 combattants et civils palestiniens à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009 et que cela seul suffit à les condamner au regard de l’Histoire.
À cela on ne peut que répondre qu’il est pour le moins inconséquent d’évoquer sans cesse les infractions au droit international commises par Israël et de le condamner encore lorsqu’il est établi que ce droit de la guerre – jus in bello – a été respecté par l’Etat juif.
Richard Goldstone est un homme honnête, ce qui ne lui rend pas la vie facile.
(1) Ce qui est, bien entendu, stupide et contre-productif
Comme nous l’avions prévu dès Causeur n° 31, la « Peste blonde » a cartonné aux cantonales après avoir sidéré sondeurs et sondologues. Face à une présidente du FN qui a bel et bien pris son envol vers la présidentielle, ses détracteurs, eux, font l’autruche, ce qui justifie la présence en couverture du n° 34 de ce splendide struthioniforme (un Struthio camelus, si vous voulez tout savoir)
Cette politique de l’autisme, hélas dominante chez les antilepénistes et qui consiste à ne rien entendre, ne rien voir et ne rien dire de neuf, est abondamment disséquée dans le dossier de ce Causeur n° 34, où l’on trouvera, entre autres, un papier très remonté de Cyril Bennasar sur un sujet on ne peut plus touchy (les juifs et le vote FN) et un voyage autour de la Chambre de Muriel Gremillet, qui a passé une semaine en immersion chez les députés de la Droite Populaire.
Des voyages, comme à l’habitude, il y en aura d’autres, et plus lointains, dans ce numéro. Luc Rosenzweig disséquera la trouilla germanica qui tétanise nos voisins, Jérôme Leroy nous prouvera que la réalité du Tsunami confirme ce qu’avaient déjà vu les géants de la fiction ; quant à Bruno Deniel-Laurent, il nous a ramené du Cambodge un reportage édifiant sur l’éradication des cultures ancestrales au Cambodge, discipline où les missionnaires du Tabligh sont aussi efficaces que les boys du FMI. Basile de Koch, lui, s’est contenté de faire le tour du PAF, et plus précisément de ses émissions culturelles : faut-il en dire plus ?
Au sommaire aussi, deux longues interviews, façon Causeur donc sans fadeur et en profondeur : face à François Miclo, un Jean Clair fort peu académique prophétise un hiver de la culture ; Bernard-Henri Lévy, lui, confronté à Élisabeth Lévy, Isabelle Marchandier et Gil Mihaely s’explique sur son engagement libyen et ses quelques conséquences…
Bref, que du costaud, et désormais, rappelons-le, sur 48 pages, et toujours avec 100 % d’inédits. Pour avoir accès à tout ça – ainsi qu’aux articles verrouillés sur le site – il faudra bien sûr vous abonner ou, si besoin est, vous réabonner. Et si vous le faites d’ici samedi soir, nous nous engageons à ce que vous receviez Causeur dès ce numéro 34 dans votre boîte aux lettres. Et si vous n’avez pas de boites au lettres, ou que vous ne souhaitez pas l’encombrer, il est désormais possible de s’abonner à uniquement à l’édition en ligne (avec bien sûr l’accès aux papiers verrouillés) à un tarif honteusement préférentiel
Bref l’autruche ne vole pas, et vous, vous ne serez pas volés…
Terry Jones est un insignifiant pasteur américain à la tête d’une congrégation dérisoire de quelques dizaines de croyants en Floride. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est parce que pour devenir signifiant, il a déclaré à la rentrée dernière son intention de brûler un exemplaire du Coran devant son église pour marquer le neuvième anniversaire du 11-Septembre. Suite à une vague d’indignation et des pressions de personnalités religieuses, il n’est finalement pas passé à l’acte et a même donné sa parole de ne pas recommencer. Mais le problème est que sa provocation a tellement bien marché – pendant quelques jours, cette histoire a retenu l’attention de tous les médias de la planète – que le retour à l’insignifiance lui était insupportable.
Ainsi, six mois plus tard, malgré ses promesses, Terry Jones décide de récidiver. Fou mais pas idiot, il sait qu’il faut augmenter la dose. Non seulement on ne peut pas servir un plat réchauffé, mais avec des révolutions en série dans le monde arabe, une guerre en Libye et un grave accident nucléaire au Japon, la planète journalistique est très sollicitée et il faut taper fort pour attirer l’attention. Au mois de janvier, il entame donc le procès public du Coran et le 20 mars, le décrétant coupable d’incitation à la haine, Terry Jones met le feu au livre sacré des musulmans, autodafé diffusé par Internet avec sous-titres en arabe.
Pendant une grosse semaine, l’acte bizarre de ce pasteur a eu le succès qu’il méritait : les médias l’ont plus ou moins ignoré. Malheureusement, une dizaine de jours plus tard, la mayonnaise finit par prendre en Afghanistan et au Pakistan. Manifestations violentes, lynchages, émeutes… Le bilan provisoire s’élève aujourd’hui à 19 morts.
Aux Etats-Unis, comme au mois de septembre dernier, le débat tourne autour de la question de la liberté d’expression et de ses limites tandis que certains – notamment le sénateur Lindsey Graham – pensent que le simple fait que le pays soit en guerre justifie, comme pendant la Deuxième guerre mondiale, la restriction de ce droit constitutionnel fondamental. Dans ce débat – légitime au demeurant –, on oublie un fait majeur : pour créer le scandale, il faut être au moins deux, celui qui provoque et celui qui est provoqué. Or, dans ce cas comme dans le cas des violences qui ont suivi la publication des caricatures du prophète Mahomet en 2005, la réaction pavlovienne de certains musulmans était largement prévisible.
Pour dire les choses clairement, le seuil de tolérance à la provocation de certains musulmans est tout simplement trop bas. Qu’un geste d’un homme de si peu d’importance puisse avoir de telles conséquences en dit plus long sur eux que sur le pasteur provocateur. Après tout, même si c’est son effigie qu’on brûle aujourd’hui à Jalalabad, ce n’est pas Barack Obama qui a mis le feu au Coran. Ce n’est pas non plus le général Petraeus, le très embarrassé chef des forces coalisées en Afghanistan, qui a applaudi cette connerie monumentale de Terry le taré.
Est-ce si difficile à comprendre qu’il s’agit d’une vulgaire et grossière opération de com’ ? Et même si, comme on le prétend, des agents provocateurs taliban infiltrés dans la foule sont derrière les dérapages sanglants des manifestations, la question reste la même : pourquoi donner une telle importance à une provocation si dérisoire ? L’une des valeurs de l’Occident – et pas la moindre – est justement d’accepter la folie des autres.
Terry Jones est un agité du bocal qui ne représente personne. Si des millions de musulmans se sentent concernés par ses agissements insensés, c’est leur problème et surtout leur responsabilité. Le sang de 19 personnes a été versé par des musulmans, voilà le seul fait important à retenir.
Pauvre Frédo (Lefebvre). Le secrétaire d’Etat aux PME est, une nouvelle fois, la risée du web. Depuis samedi, une vidéo réalisée par le Figaro.fr tourne partout, dans laquelle Frédéric Lefebvre explique que son livre de chevet est « Zadig et Voltaire », du nom de la célèbre marque de T-shirt troués et chers.
Pauvre Frédo, parce que sa bourde a permis de faire oublier les pitoyables prestations des autres personnalités politiques interrogées en marge de la journée du livre politique de l’Assemblée. Mis à part Chevènement qui parle avec conviction de Stendhal et Jacques Myard qui cite Yourcenar et Céline, il faut voir Hervé Mariton (député de la Drôme) sécher quand on lui demande quel est son livre favori. Il bafouille un truc sur Un cœur simple, de Flaubert « court mais dense » et Belle du Seigneur, « un livre épais .» Quant à savoir ce qu’il lit aujourd’hui…
Plus fort encore Jean-Pierre Soisson, député de l’Yonne : « vous voulez dire un livre qui ne soit pas le mien ? » Avant de reprendre la vieille technique politique : quand on ne sait pas comment répondre à une question, il convient d’abord de la répéter pour gagner du temps. Espérant qu’une réponse émerge par miracle du fin fond du cerveau reptilien. Soisson lit donc les classiques, sans arrêt, « Stendhal, les classiques tout ça. »
Je crois surtout que tous ces députés interrogés devraient acheter le dernier livre de Frédéric Lefebvre, en remerciement de leur avoir permis d’échapper au ridicule littéraire grâce à sa bourde plus grosse que leur propre inculture crasse.
Je confiais il y a peu à propos du débat sur la laïcité avec ou sans islam mon agacement à entendre encore du bla-bla quand il faudrait du bâton. C’est mon coté idéaliste. Je reste attaché à cette utopie qui veut que l’État n’aurait besoin de personne pour défendre la République laïque et, qu’en démocratie représentative, les élus pourraient et devraient faire ce qu’on leur a demandé, tout seuls comme des grands. Alors forcément, la réalité m’énerve. Avec son débat, la droite nous fait de la démocratie participative comme si elle avait perdu en 2007 et là où un Préfet assisté d’une compagnie de CRS et couvert par un chef courageux suffirait à faire respecter la loi, car en fait, il ne s’agit que de cela, on parle, on parle… Sur ces questions, on attendait Sarkozy au pont d’Arcole, on a Edwy Plenel à la télé. Théoriquement, l’un n’empêche pas l’autre, pratiquement, si. Et pas dans le sens qu’on attend. Quand Plenel fonce et s’enfonce en sarkophobie, dénonçant l’islamophobie des manœuvres droitières, le Président hésite à se mettre à dos les faiseurs d’opinion. On n’attend pas que le pouvoir fasse taire tous les curés, laïcs ou pas, qui font de la morale aux électeurs, on aimerait juste que ces protestations ne dissuadent pas les élus du peuple de tenir leurs promesses. Et d’agir.
Le plus drôle dans l’histoire, c’est que, cette fois-ci, les tenants habituels du participatif ne veulent pas participer cette fois ci. Examinons leurs arguments.
Les Français nourrissent d’autres inquiétudes !
Bien sûr, on a tous beaucoup de soucis. Et alors ? On ne peut plus penser à deux choses en même temps ? La plupart des hommes mariés depuis longtemps savent bien qu’on peut gérer deux problèmes à la fois. Et leurs femmes aussi.
C’est une manœuvre électorale, une construction bâtie sur des fantasmes !
S’il s’agit d’un faux débat qui prétend répondre à des questions que personne ne se pose, on peut gager qu’il aura peu d’écho, aucun intérêt et pas la moindre conséquence. Si en revanche, comme dans l’affaire de l’identité nationale, les Français s’expriment, témoignent et se mêlent de leur affaires en prenant part à la discussion, si un « pilpoul » national permet à tous ceux qui le souhaitent de se prononcer sur les changements qui apparaissent, qu’on y accepte des arrangements ou qu’on y déplore des renoncements, la démocratie y aura gagné. Des manœuvres électorales qui rencontrent les aspirations, les colères ou les angoisses des électeurs, ce n’est pas malsain, c’est un rendez-vous réussi entre les élites dirigeantes et le peuple.
« On veut bien parler de tout mais pas avec n’importe qui. ». « On va monter les Français les uns contre les autres ».
Nous y voilà. Les réfractaires au débat ne se contentent pas de se taire, ils nous mettent en garde sur les dangers qu’il y aurait à entendre des opinions décrétées extérieures à « l’arc républicain ». Non seulement toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire mais tous les Français ne sont pas bons à entendre. Ceux qui confient leurs troubles quand les règles de la laïcité sont enfreintes à l’école, à l’hôpital, dans les entreprises ou dans la rue risquent d’en désigner les fauteurs. À moins de s’en tenir aux concepts et à la langue de bois, les Musulmans qui pressent la République de transiger avec leur foi se sentiront visés. C’est un moindre mal. Il serait plus grave, comme on laisse faire rue Myrha par crainte des échauffourées, d’ignorer la question et de laisser penser que tous les Musulmans rejettent en masse les bonnes manières laïques. Une parole libre ne monterait pas les Français les uns contre les autres mais dissiperait les malentendus et rappellerait ou poserait les règles du vivre ensemble. A l’inverse, un tabou prudemment entretenu sur ces questions et un débat interdit quand certains Français attendent des réponses et des arbitrages pousseraient sûrement les citoyens de cultures différentes à vivre loin les des autres, voire les uns sans les autres. La France mérite mieux et l’islam de France aussi.
Le débat sur le débat a à peine commencé que les religieux s’en mêlent dans un élan œcuménique historique pour nous avertir qu’il est urgent de ne rien faire. Les « six religions de France » – pourquoi six ? Je suppose qu’on compte à partir d’une certaine quantité d’ouailles sinon on ne s’en sort pas, imaginez un collectif avec les témoins de Jéhovah, les mormons, les satanistes, les scientologues et tous les allumés de spiritualités en France. Les six donc, soient un évêque, un pasteur protestant, un rabbin, un musulman du CFCM, un métropolite orthodoxe et un révérend bouddhiste, nous mettent en garde. Ils ne veulent pas de débat. Enfin si, mais pas maintenant. En période préélectorale, on risque de stigmatiser (voir plus haut). Donc, ce n’est donc pas le moment. En période post-électorale aussi mais les électeurs ne pourront plus s’exprimer avec leur bulletin de vote. Les clercs doivent estimer que la laïcité est une question trop sérieuse pour être confiée aux citoyens.
Manifestement, cette méfiance et ce mépris mériteraient un débat mais que pouvons-nous en espérer ?
Il n’y aurait plus de prières de rue si l’exécutif faisait respecter la loi mais pour résoudre ce problème posé non pas par Jean-François Copé mais par un certain nombre de pratiquants, on commence à entendre qu’il faut envisager un financement public des mosquées. Ça commence mal. J’attendais qu’on serre la vis et voilà qu’on lâche du lest. S’ils touchent à la loi de 1905, on va y perdre en laïcité. Pour répondre à une situation nouvelle, et pour éviter l’islam des caves ou des rues, les financements étrangers et les mosquées incontrôlables, l’Etat va être sommé de prendre à sa charge des besoins immobiliers des croyants. La règle d’or qui interdit toute relation d’argent entre les élus et les communautés et évite toute tentation clientéliste sera battue en brèche. Si ce débat débouche sur une régression de notre laïcité et aboutit, au bout du compte, à des accommodements raisonnables à la française, je préfère encore qu’on ne parle de rien et qu’on ne touche à rien.
Alors, débat ou pas débat ? Je me demande si la question n’est pas dépassée. Qu’on joue le jeu ou qu’on proclame qu’on ne parlera pas même sous la menace des baïonnettes, le résultat est qu’on en parle. Et si tout le monde se moque du débat officiel, les débats off se multiplient dans les médias et les bistrots. Les opinions s’échangent à défaut de changer, c’est déjà ça. Quand une question occupe la scène médiatique, les acteurs qui défilent devant les micros et les caméras doivent choisir leur camp. Soumis à la question, ceux qui convoitent nos suffrages sortent du bois, s’expliquent ou pas, proposent leurs constats et leurs solutions ou se défilent parce qu’ils trouvent la question mal posée : à l’arrivée, nous pouvons faire notre marché dans l’offre politique. C’est bien la finalité du débat démocratique et nous y participerons dans l’isoloir où chacun pourra faire le tri entre ceux qui pensent qu’il n’y a pas de problème, ceux qui s’opposent à toute stigmatisation, ceux qui nomment les choses et ceux qui semblent décidés à agir, en républicains. Il ne nous reste plus qu’à discriminer pour choisir, en toutes connaissance de ces choses publiques, un Président ou une Présidente qui, je l’espère, saura clore le débat.
Bachar el-Assad tient parole. Dans son discours de mercredi dernier, il avait promis du changement. En conséquence de quoi ce dimanche, il a investi un nouveau premier ministre. L’heureux nommé est M. Adel Safar, qui détenait jusqu’à dimanche matin le portefeuille de l’agriculture. Cet ancien élève de l’École Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries Alimentaires de Nancy était en poste depuis 2003 et occupait donc une place de choix pour regarder de près son effondrement.
Pour 2010 par exemple, M. Safar avait prévu un récolte de 4 millions de tonnes de blé mais à la fin de l’année, il a lui-même revu ses prévisions à la baisse : les céréaliers syriens n’ont produit finalement que 2.4 tonnes, loin, très loin des besoins du pays qui consomme 3.6 millions de tonnes par an.
La sécheresse et un champignon qui sévit dans la région (« la rouille ») sont évoqués pour expliquer le désastre mais si on ajoute les résultats décevants du secteur du coton, qui emploie 20% de travailleurs syriens (récoltes 25% moins importantes que prévu), l’étendue du problème, ainsi que ses possibles répercutions politiques sont évidentes.
Ce qui l’est beaucoup moins, c’est le choix de celui qui était chargé pendant huit ans d’un domaine d’activité visiblement sinistré pour sortir le pays d’une crise politique grave. Mais peut-être le président Assad espère que M. Safar aurait sur la contestation dans son pays la même influence qu’il avait sur l’agriculture ces dernières années…