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Syrie: le statu quo ou le chaos ?

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Si Anna Karénine travaillait à l’IFRI, elle aurait sans doute remarqué que les révolutions heureuses sont toutes les mêmes, mais que chaque révolution malheureuse l’est à sa façon. Après des dénouements relativement peu sanglants en Tunisie et en Egypte, on observe à Bahreïn, au Yémen, en Libye et maintenant en Syrie, différents degrés de violence. Or, si Bahreïn, le Yémen et – quoi qu’on en dise – la Libye sont des pays relativement marginaux dans le monde arabe, la Syrie en est l’un des piliers.

Au-delà du poids stratégique de ce pays – allié de l’Iran, puissance tutélaire du Liban et épicentre de tous les fronts du refus de la région –, la Syrie incarne une résistance crispée à l’extérieur, un puritanisme nationaliste où le rejet des « corps étrangers » est élevé au rang d’idéologie officielle. Ce singularisme s’appuie d’abord sur un capital symbolique précieux : Damas est considérée comme le berceau du nationalisme arabe et s’est octroyé le rôle de gardienne de ce patrimoine. Mais un autre facteur nourrit le réflexe de citadelle assiégée : depuis un demi-siècle, la Syrie est contrôlée par l’une de ses minorités, les Alaouites. Aujourd’hui les membres de cette communauté chiite et leurs dirigeants ressemblent à un homme chevauchant un tigre : on ne sait plus qui commande, de la monture ou du cavalier. La peur – plus que justifiée – d’être les victimes a poussé les Alaouites à devenir les bourreaux de leurs concitoyens. Aussi ont-ils de bonnes raisons d’être saisis d’effroi à l’idée des châtiments que leur réserveraient demain ceux qu’ils ont écrasés hier, s’ils venaient à perdre le pouvoir.

Leur nervosité est apparue au grand jour la semaine dernière à Lattaquié, ville portuaire et bastion historique de leur communauté, touchée par les troubles après quinze jours de manifestations à Daraa, dans le sud du pays. La réaction, immédiate, est lourde de signification – et pas dans un sens très encourageant. Des hommes armés non identifiés ont ouvert le feu, non seulement sur les manifestants mais aussi sur des passants, comme si leur objectif était de semer la terreur et de vider les rues le plus vite possible. Quand l’armée est arrivée, l’ordre régnait déjà à Lattaquié. On peut gager que cette riposte brutale est une façon de signifier aux candidats à la révolte que les Alaouites ne laisseront pas la contestation se développer « chez eux ».
L’étrange discours du président Assad, vide de tout contenu concret, doit être analysé à la lumière de ces événements. La conclusion qui s’impose est que les durs du régime – qui sont aussi les Alaouites les plus radicaux – ont eu le dessus. Et il y a de bonnes raisons de penser qu’ils sont prêts à tout – y compris un bain de sang si nécessaire – pour garder la main. Ils savent bien que Bachar el Assad, sa femme et ses enfants pourront toujours trouver refuge quelque part. En revanche, si le régime tombe, la majorité des Alaouites seront contraints de rester. Et pour eux, le pire est presque certain.

Traquées comme traitres et persécutés comme apostats durant des siècles, les tribus alaouites se sont réfugiées dans les montagnes surplombant Lattaquié et le littoral, entre le nord de l’actuel Liban et le sud de la Turquie. La chute de l’Empire ottoman, l’instauration du mandat français, son effondrement vingt ans plus tard et les affrontements avec le nouvel État d’Israël leur ont offert une fenêtre stratégique : alors que les anciennes élites, plutôt versées dans le commerce, boudaient les administrations – et en particulier l’armée – les Alaouites les ont intelligemment noyautées, ce qui leur a ouvert la voie du pouvoir. C’est ainsi que l’un d’eux, un homme d’exception nommé Hafez el-Assad, est parvenu au sommet.

Né en 1930, premier bachelier de sa famille, Assad fait une carrière militaire d’une extraordinaire rapidité. Lieutenant en 1955, il est général en 1964. Deux ans plus tard, à l’âge de 36 ans, il devient ministre de la Défense. Il ne lui faudra que quatre ans pour accéder à la fonction suprême où il s’installe en 1970. Prenant très vite le contrôle de l’appareil administratif et militaire, il dirigera son pays d’une main de fer et avec une intelligence politique hors-pair jusqu’à sa mort, en 2000, date à laquelle lui succède son fils Bachar
Dans un deuxième temps, il s’empare aussi des ressources économiques et financières de la Syrie. Travaux publics, matériaux de construction, agro-alimentaire, hydrocarbures et, plus tard, les télécommunications, sont accaparés par sa famille et ses alliés. Avec un résultat prévisible : fuite des capitaux et chute dramatique de la production intérieure. Assad organise ensuite le pillage systématique du Liban.

Cette fuite en avant n’a pas empêché le régime de mener la modernisation du pays alaouite – le nord-est de la Syrie : développement des ports, constructions d’autoroutes, création d’une université à Lattaquié, implantations administratives, militaires, industrielles et commerciales jusque dans les villages les plus reculés. Pour couronner le tout, de somptueuses résidences ont été érigées dans la région par les pontes du régime. Autant dire que jusqu’à ces dernières semaines, les Alaouites profitaient sans vergogne des fruits de leur domination. Ils savent ce qu’ils ont à perdre.

L’avenir de la Syrie dépend donc du rapport de forces entre les communautés. Les liens personnels et claniques pèseront lourd dans la balance et le passé sanglant des puissants d’aujourd’hui compromet sérieusement les chances d’une solution négociée. C’est l’heure de vérité pour la Syrie : à l’issue de cette crise, on saura si elle existe en tant que nation ou si, à l’image de ce qui s’est passé en Iraq, autre pays du Baas, le pacte syrien explose dans un règlement de comptes général. Pour le régime, l’état d’urgence joue le rôle des cercles de fer empêchant que le tonneau syrien se désintègre dans un bain de sang inter-communautaire. Pour le moment, Bachar el-Assad semble aussi le croire. À moins qu’il n’ait pas vraiment le choix.

Gapminder, vous allez aimer les statistiques

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Hans Rosling, un médecin suédois, s’est lancé il y a quelques années dans une aventure passionnante qui consiste à nous permettre de visualiser notre monde au travers de statistiques publiques. C’est la naissance de Gapminder. Si vous pensez que la « mondialisation libérale » a ravagé le monde et semé la misère partout sur terre depuis 60 ans est en particulier au cours des 30 dernières années, je ne connais pas un seul lien sur internet qui soit de nature à changer plus radicalement votre vision des choses que celui-ci.

Sur l’axe des abscisses (l’axe horizontal), le revenu par habitant exprimé en dollar de 2005 ajustés du pouvoir d’achat. Comme cette notion de revenu par habitant et ses éventuelles implications sur notre vie ne semblent pas tout à fait claire pour tout le monde, l’axe des ordonnées (l’axe vertical) nous propose une mesure très parlante de l’amélioration des conditions de vie des gens : l’espérance de vie. Chaque bulle correspond à un pays, les couleurs correspondent au continent auquel appartient le pays en question et la taille des bulles mesure son nombre d’habitants.

En bas, à gauche, il y a un bouton « Play ». Cliquez : ça dure quelques secondes. C’est pas beau ça ?

Tavoularis n’est plus sous-exposé

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Dean Tavoularis est grec et ça se voit. Dans ses dessins, tableaux et collages pointent ici ou là un torse de centaure, une corne du dieu Pan, la queue d’un Minotaure. Preuve sans doute que l’on n’échappe jamais à ses origines − je n’ai pas dit à son « identité nationale ». Cependant, Tavoularis n’est pas seulement grec : à y observer de plus près, le Pan esquissé d’un trait rouge a troqué ses sabots pour des escarpins façon Louboutin, accessoire glamour venu tout droit d’un studio de la Paramount.

En effet, l’artiste s’est retrouvé dès l’âge de 5 ans à Los Angeles qui, chacun le sait, se situe dans la banlieue d’Hollywood. Alors, Dean Tavoularis fera du cinéma.
Devenu chef-décorateur, il travaille avec les plus grands (Antonioni, Wenders, Penn, Polanski et, surtout, Coppola). Sa filmographie est une litanie de chefs-d’œuvre : Bonnie and Clyde, Zabriskie Point, Apocalypse Now, Conversation secrète et, bien sur, Le Parrain dont on retrouvera plusieurs story-boards dans la magnifique exposition qui lui est consacrée à la Galerie Catherine Houard[1. Dean Tavoularis, du 18 mars au 21 mai 2011, Galerie Catherine Houard, 15 rue Saint-Benoît Paris 6e].

Quant aux dessins originaux, ils sont souvent conçus comme des images tournées en longue focale, avec très peu de profondeur de champ. D’où l’insistance sur un personnage ou un objet dont les sentiments et l’âme sont rendus par le trait ou la couleur qui alternent dans des combinaisons inattendues.

L’une des œuvres exposées résume impeccablement ce mixage entre l’élégance classique du dessin et une mise en perspective cinématographique. On y voit, projetée sur un écran, la silhouette de l’immense acteur anglais Trevor Howard jetant un regard plongeant sur la salle et les spectateurs (à peine ébauchés), suscitant un doute épais sur l’envers et le décor. On ne sait plus qui intrigue qui, et c’est très bien comme ça. Collage, pastel et fusain, alternance et mélange de matières accentuent l’étrangeté de la situation.

photo : Galerie Catherine Houard

Les scènes de crimes qu’il devait trouver pour ses metteurs en scène, Dean Tavoularis les habillait. Car le maître-mot qui caractérise son travail, c’est la stylisation. Il suffit pour s’en convaincre de voir les « dead bodies », authentiques clichés de la police californienne des années 1930, allégés de leur morbidité par une mise en couleur radicale, scénarisés par le dessin, la couleur et la fantaisie.

Ce que l’artiste a apporté au cinéma comme directeur artistique, le cinéma le lui a remboursé cash en lui permettant de mettre ses œuvres en scène. Le catalogue de l’exposition (établi notamment par Aurore Clément, son épouse), évoque le « paradoxe d’une vocation divisée. Heureusement divisée… ». On ne saurait mieux dire, tant les deux carrières de Dean Tavoularis s’emmêlent et se nourrissent dans un jeu séduisant de correspondances. C’est cette dualité qui fait son charme.

Deux ou trois choses que je sais de l’UMP

photo : Fédération Française de la Fausse Manif'

La droite française n’existe pas, je l’ai rencontrée. On a longtemps dit que c’était la plus bête du monde. Si on en juge au temps où elle a été au pouvoir, disons depuis la Commune, elle n’est pas si bête que ça. Ou alors, il faut être bête pour occuper le pouvoir. Bête et méchant comme le peuple que l’on va gouverner et enfermer dans ses intérêts particuliers en lui faisant croire que la somme va en faire l’intérêt général. Bête et méchant comme Mac Mahon qui disait « Que d’eau ! Que d’eau ! », devant une inondation monstre après avoir fait tirer à la mitrailleuse lourde sur les Communards[1. Toujours pas de cérémonie pour en fêter en ce mois de mars le 140ème anniversaire].

La droite française n’existe pas ou alors elle existe trop et sous trop de formes, légitimistes, orléanistes, bonapartistes, René Rémond l’a montré bien mieux que moi.

Les légitimistes n’existent plus. Peut-être Philippe de Villiers ou Christine Boutin, mais on n’en entend plus vraiment parler. Eux étaient vraiment de droite. Ils lisaient Joseph de Maistre et n’auraient pas supporté qu’on brade la France éternelle à des faiseurs d’argent. Ils n’auraient même pas supporté un débat sur la laïcité puisque le christianisme l’est déjà, laïque (« Rendez à Dieu…etc »). Les légitimistes, en plus, ont donné d’excellents écrivains comme Barbey d’Aurevilly ou Léon Bloy et finalement, puisqu’ils puisaient leur programme social dans l’Evangile, ils étaient infiniment plus à gauche que l’école de Vienne. Comparez ce que dit Benoit XVI dans Caritas in veritate et ce grand moment de comique qu’est le livre de David Friedmann le fils de Milton), Vers une société sans État[2. Les Belles Lettres]. Le premier explique que c’est l’économie qui est au service de l’homme tandis que l’autre envisage froidement que les pauvres puissent vendre leurs organes à partir du moment où le contrat est rédigé correctement.

Le soir des cantonales, en tant qu’électeur, si je n’avais pas eu comme tant d’autres à arbitrer un duel PS/FN mais un duel PS/ Benoit XVI, j’aurais voté Benoît XVI. En cas de duel PCF/ Benoit XVI, j’aurais voté PCF mais j’aurais été un peu triste de laisser un autre candidat antilibéral de côté. Vous allez me dire que dans un duel PCF/FN aussi. Il y en a eu une petite quarantaine, tous remportés par le PCF sur des scores du style 65/35 à l’exception d’un canton du Var où le FN a gagné avec 6 voix d’avance.

De plus, la conversion du FN à l’antilibéralisme, je n’y crois pas vraiment, contrairement au catholicisme de Benoît XVI qui a deux mille ans derrière lui. Le programme économique de Marine Le Pen est d’ailleurs toujours « en cours de réactualisation » sur les sites Internet du FN.

Cela nous ramène à notre droite qui n’existe pas. Sans nous attarder aux troupes de l’UMP qui semblent aussi divisées sur l’alliance avec le FN que la Tripolitaine et la Cyrénaïque sur l’avenir de la Lybie, il est tout de même intéressant de souligner une contradiction manifeste. Ceux qui voudraient un scénario à l’italienne ou à l’autrichienne, « pactisons avec le FN sinon on est morts », sont les plus à droite, partisans d’une économie enfin adaptée de gré ou de force aux critères de la mondialisation mais ils veulent avoir avec eux Marine Le Pen qui désire sortir de l’euro, maintenir la retraite à soixante ans, voire nationaliser une partie du crédit pour forcer les banques à réinvestir dans la production et non la spéculation.

Cette droite-là, celle qu’encourage le président de la République et son conseiller Buisson, doit penser que le programme de Marine Le Pen, c’est du pipeau, que les fondamentaux sont toujours les mêmes – préférence nationale, hyper-sécuritarisme, fantasme de l’invasion allogène – et que c’est pour ces raisons là que le peuple vote pour le Front. Comme d’habitude, la réponse est venue des urnes pas très remplies, certes, mais dans une démocratie, celui qui s’exprime est toujours plus malin que celui qui ne se dérange même pas pour voter blanc.
Et la réponse, elle est bien cruelle. D’ailleurs pour qui a modestement fait une campagne électorale, grimpé quelques cages d’escalier et s’est promené sur les marchés avec ses tracts, elle ne faisait guère de doute. Le peuple n’en a plus grand chose à faire des hypothétiques menaces sur son identité et la première des insécurités qu’il rencontre, c’est au travail quand il est précaire et au chômage quand il est dans la misère. Le Front a compris ça, l’UMP non. Résultat, tout parti présidentiel qu’il est, l’UMP fait moins que l’ancien RPR.

C’était bien la peine de faire un parti unique, tiens. Il se délite à vitesse grand V. C’est pour cela aussi que la droite n’existe pas. Vous voyez Rama Yade dans le même gouvernement que Christian Vanneste, vous ? Sérieusement. Ou Hervé Morin et Claude Guéant ? Allons, il faut avoir la carapace dépressive d’un Fillon et sa capacité à regarder ailleurs pour supporter la droitisation dure de sa majorité : il a d’ailleurs, entre ses consignes de vote contradictoires avec celles du président et son refus de participer au débat sur l’islam, (euh pardon, sur la Laïcité, excusez moi, je maîtrise mal les éléments de langage donné par monsieur Buisson), de plus en plus de mal à faire comme si tout allait bien.

La droite française n’existe pas parce que, lorsqu’elle existait, elle s’appelait le gaullisme et en fait, le gaullisme n’était pas de droite. Il était né d’un mouvement de libération nationale et, avec les communistes au sein du CNR, avait construit les bases d’un pays qui a su en trente ans donner un haut niveau de protection sociale à sa population tout en construisant des trains à grande vitesse, des fusées, un secteur électronucléaire assurant, au moins en partie, l’indépendance énergétique de la nation, bref en confiant l’avenir à l’Etat qui sait que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers.

D’ailleurs, les pires oppositions au gaullisme sont venues d’une certaine droite, pas de la gauche. CNI, Républicains Indépendants, Radicaux, tous ceux que Giscard, par un coup de génie, a réussi à mettre de son côté pour gagner les présidentielles de 74 et créer dans la foulée l’UDF, un conglomérat dont le seul ciment idéologique était, précisément l’antigaullisme : à l’époque, il fallait déjà de l’imagination pour trouver un point commun entre Bayrou et Madelin, entre l’agrégé de lettres classiques et les manieurs de barre de fer.

Il n’empêche, si ça se trouve la droite française qui n’existe pas gagnera quand même les prochaines présidentielles de 2012.
Ce sera sans doute un peu compliqué mais comme elle n’est bonne qu’à ça…

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Lettre à Robert Ménard

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Cher Robert,

Nous ne nous connaissons pas. Mais comme j’émarge à Causeur, je sais que nous avons des amis communs. Je n’aurais pas eu l’idée de t’écrire[1. Je me permets le tutoiement. Tu comprendras en lisant cette lettre jusqu’au bout] si je n’avais lu le dernier édito du commissaire Joffrin. Il a beaucoup de boulot, en ce moment, le commissaire Joffrin. Avec la taulière de Causeur, avec celui de Marianne2, avec Taddéi, avec Todd, avec Brustier. Il dénonce ceux qui décontaminent ; il recontamine lui-même. C’est un festival. Parfois, le commissaire Aphatie vient lui prêter main forte. Ils alternent à merveille les rôles de flic gentil et de flic méchant. On se croirait presque dans une comédie de Zidi, tellement cela en devient distrayant.

Aujourd’hui, Robert, c’est ton tour. Le commissaire Joffrin a enfilé la tunique de flic gentil. Le ton est plutôt doux, en tout cas, bien davantage que les dernières fois. En fait, le texte en lui-même est plutôt sans intérêt. Ce qui n’en manque pas, en revanche, et en dit tellement sur le personnage de Joffrin, c’est le titre : Adieu Ménard !

Adieu Ménard, cela signifie qu’il t’a longtemps dit bonjour mais qu’il ne veut plus te revoir ; cela signifie qu’il te faisait l’honneur de reconnaître un certain nombre de qualités -qu’il énumère dans le texte- et que, au bout du compte, tu pouvais prétendre avoir l’honneur de manger à la même table. Mais avec cet adieu, c’est terminé. Tu n’en es plus digne. Tu es passé dans le camp des infréquentables. Que dis-je ? Des intouchables, au sens indien du terme. Sans doute, à lire ce titre, il gardera les mains dans les poches lorsque vous vous croiserez. J’exagère ? C’est bien cela, la signification d’un adieu, non ? Tu n’existes plus pour lui. Vous ne vous expliquerez de vive voix, désormais, que dans l’au-delà. Et encore ! Vous risquez de ne point vous y croiser, car si tel endroit existe[2. Ce dont je doute davantage que toi, il faut bien le reconnaître], l’un sera en enfer et l’autre au paradis.

Robert, il faut que je te fasse une confidence : je t’écoute souvent à la télé et à la radio et je suis d’accord avec toi sur pas grand chose. Il est même fort possible que sur certains sujets, chers au commissaire Joffrin, tu me trouverais aussi politiquement correct que lui. Seulement voilà, il se trouve que je suis atteint d’une sacrée tare : j’adore m’engueuler avec mes potes, surtout à propos de politique. Et des potes, j’en ai de toutes les opinions représentées dans le spectre politique français. Cela peut paraître impensable à certains, mais c’est ainsi. Le plus souvent, je deviens copain avec quelqu’un sans connaître la couleur de son bulletin de vote. On se découvre. On s’engueule. Et après on passe à autre chose. Le vin, la bouffe, les filles -sauf si c’en est une-, le foot, etc…

Généralement, je ne reste pas longtemps en froid avec un copain ou une copine. Comme je vis au pays d’Edgar Faure, je considère que « toute brouille est un échec ». Mais cela peut ou pourrait arriver. Si un ami me pique ma femme, s’il m’escroque, s’il manque de loyauté, il est possible que la rancune dure davantage.

Donc, Robert, si on se rencontre un jour, il est bien possible que le courant passe et qu’on devienne copain. Tu sais pourquoi je sais qu’il passera, ce courant ? Parce que j’ai une drôle d’intuition : si un jour je devais faire une grosse connerie et que, recherché par toutes les polices de France, je devais choisir entre sonner à ta porte et sonner à celle du commissaire Joffrin, c’est sans hésitation que je me rendrais chez toi[3. En même temps, c’est normal, si l’autre est commissaire].

Bonjour Robert !

L’État n’est plus en état de marche…

photo : Claude Reichman

Dans sa réponse, Gil Mihaely me reproche – je crois – de raisonner comme un animal à sang froid. Je comprends son point de vue et je mesure bien que la teneur de mes interventions peut donner cette impression. Le fait est que si je place la raison au-dessus des sentiments ce n’est pas que je n’éprouve pas moi-même des sentiments – loin de là – mais c’est que je suis convaincu que les meilleurs sentiments du monde, s’ils ne sont pas passés au filtre de la raison, peuvent aussi créer les plus grands malheurs. Je ressens aussi ; je suis moi aussi doué d’empathie. La misère, les guerres et toutes les horreurs que les journaux télévisés relayent à l’envi du matin au soir me révoltent autant que vous. Mais se « révolter » ne sert à rien, ça ne règle aucun problème et c’est même souvent le meilleur moyen pour rajouter de nouveaux malheurs sur les épaules de ceux qu’on prétendait aider. Le très sage Karl Popper disait que « ceux qui nous promettent le paradis sur terre n’ont jamais rien produit qu’un enfer ». La noblesse de la politique consiste je crois à placer les gens devant de vrais choix et chacun de ces choix nécessite avant tout une véritable analyse de la situation et un minimum d’anticipation de ses conséquences. C’est ce que j’essaie de faire.

Alors voilà : je pense moi que l’intervention de la force publique dans nos vies doit faire l’objet d’un débat. La question n’est pas seulement de savoir comment l’Etat doit intervenir, mais elle est aussi et même surtout de savoir si l’Etat doit intervenir. Comprenons-nous bien : refuser à la puissance publique le droit faire quelque chose ne signifie en aucune manière que je ne souhaite pas que cette chose soit faite du tout. L’idée que je défends c’est que la plupart des problèmes sont mieux traités par une société civile libre que par l’intervention arbitraire de la puissance publique et j’ai quelques arguments à faire valoir dans ce sens.

On m’oppose fréquemment que la situation actuelle de notre pays démontre le contraire, que la France est devenue un pays « ultralibéral » et que les maux dont souffre notre société – chômage structurel massif, pourvoir d’achat en berne, désindustrialisation (!), perte de cohésion nationale (etc…) – sont les résultats de politiques « néolibérales » qui nous auraient, paraît-il, livrés pieds et poings liés à la sauvagerie de cette terrible mondialisation. On croit rêver ! Cela fait – au bas mot – quarante ans que le poids de l’Etat dans notre économie ne cesse d’augmenter, nous en sommes arrivés à un point où l’Etat dépense chaque année plus de 56% de la richesse créée par notre économie, la pression fiscale a atteint l’année dernière le record historique de 42% du PIB et les recettes de l’Etat pèsent désormais plus de 49% du PIB, depuis l’année de ma naissance (1975) pas un seul budget n’a été voté à l’équilibre, nous croulons sous les réglementations qu’elles soient nationales ou européennes, l’Etat subventionne et redistribue à tour de bras, l’administration est partout et est devenue une des principales causes de mortalité des PME, le président de notre République est le VRP de nos « champions nationaux », nos grandes entreprises sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires ou d’anciens directeurs de cabinets ministériels, plus de la moitié de nos élus sont issus de la fonction publique et nous sommes – avec la Grèce et Chypre – le pays le plus protectionniste de l’Union Européenne (liste non exhaustive).

Sérieusement, combien connaissez-vous de petites entreprises qui sont littéralement obligées de travailler « au noir » sans quoi elle mettraient tout simplement la clé sous la porte ? Combien connaissez-vous de jeunes diplômés qui ont fui notre pays pour trouver un travail décent à l’étranger ? Que devient la cohésion de notre peuple quand une moitié de nos concitoyens cherche à vivre aux dépends des autres tandis que ces derniers ont élevé l’évasion fiscale au rang d’art de vivre ? Combien connaissez-vous de gens qui cherchent explicitement à truander notre système de protection sociale ? Combien d’affaires de corruption avérée, de passe-droits et de marchés publics faussés pouvez-vous citer de mémoire ? Si vous appelez ça de l’« ultralibéralisme » alors nous avons un énorme problème de sémantique.

Je ne prétends pas détenir de vérité absolue et mes quelques connaissances en matière d’économie ne me donnent aucun droit de plus que n’importe lequel d’entre nous. Je suis un citoyen de ce pays et comme tous les Français en âge de voter je n’ai qu’un bulletin à glisser dans l’urne. Je ne considère pas que défendre mes idées sur la place publique soit un droit ; je pense que c’est un devoir. Considérez ceci : je pense – à tort ou à raison – que l’objet de mes études et quelques années de pratique m’ont permis de comprendre un certain nombre de choses sur la manière dont fonctionnent les sociétés humaines et d’en tirer quelques conclusions sur ce que je pense être les conditions du bien-être de mes concitoyens. Et il se trouve que les options qui sont aujourd’hui débattues dans l’espace public me semblent mauvaises et même dangereuses. Que devrais-je faire ? Me taire ? Jamais ! Si la notion de débat démocratique a encore un sens, elle m’impose de parler, d’exposer mes arguments et de les défendre.

Alors oui, définitivement oui, Gil a raison : il faut en débattre et c’est précisément ça la politique au sens noble du terme. Il faut en débattre avec de vrais arguments, des arguments de raison et au besoin des chiffres, des graphiques et des théories. C’est de nos vies qu’il est question, de notre futur et de celui de nos enfants.

Premier Avril. And the winner is…

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Martine Aubry ! Et haut la main, puisque elle vient de renvoyer dans les dents d’Arnaud Montebourg son dossier de défense dans le procès en diffamation qui lui est intenté par Jean-Noël Guérini, patron de la fédération des Bouches-du-Rhône, arguant que ce mémo violait le « secret de l’enquête et de l’instruction« .

La semaine dernière M. Montebourg, auteur d’un rapport accablant pour les socialistes marseillais, avait déposé en personne, rue de Solférino, son « offre de preuves » qui comporte « 44 pièces, soit au total 174 pages, 20 témoins et un enregistrement audio », selon son avocat.

A l’attention des amateurs de bonnes choses, nous citerons l’intégralité de l’argumentation de Martine pour justifier cette fessée déculottée: « Ignorant comment ces documents sont parvenus entre tes mains en violation du secret de l’enquête et de l’instruction, et ne sachant si tu as requis et obtenu l’autorisation des autorités judiciaires pour les produire, je ne puis en l’état que te les retourner immédiatement, me refusant à les conserver et aussi à prendre connaissance de leurs contenus« .

C’est aussi au titre du nécessaire respect de la présomption d’innocence que Martine et avec elle, quasi toute la direction de son parti, ainsi que celle du PCF a soutenu hier la réélection triomphale de Jean-Noël Guérini, à la présidence du Conseil Général des Bouches-du-Rhône.

On ignore à l’heure qu’il est si Martine Aubry compte exiger le retour immédiat d’Eric Woerth au gouvernement, mais elle devrait logiquement le faire dans la journée, dans la mesure où tous les documents ayant entrainé l’éviction de l’ancien ministre des Affaires Sociales – et les appels réitérés du PS à sa démission – ont été produits en flagrante violation du « secret de l’enquête et de l’instruction« .

Dieudonné sioniste ?

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Selon le site « patriotique » et « antisioniste » Médialibre, Dieudonné s’est rendu en Libye pour afficher sa solidarité avec Mouammar Kadhafi, victime d’un complot occidental. Du coup, la star d’Euro-Palestine se retrouve dans le camp sioniste, car, selon une rumeur répandue par les rebelles libyens, des forces israéliennes ont été repérées aux abords de Benghazi, où elles étaient dépêchées pour soutenir les unités fidèles à Kadhafi !

Et puisque le site Médialibre affirme n’être en aucun cas antisémite, nous n’évoquerons pas une autre rumeur selon laquelle la mère du Frère guide serait juive !

On ne peut pas faire l’économie de la politique

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Il y a quelques siècles, la discipline naissante consacrée à la répartition de ressources rares[1. merci à Bibi de m’avoir signalé cette lacune!], la création et la distribution de richesses s’est-elle même nommée « Economie politique ». Débarrassée de cet adjectif gênant, l’Economie, devenue science, a oublié son rôle originel : analyser et quantifier certains phénomènes et comportements humains pour comprendre le fonctionnement des sociétés mais aussi pour permettre aux acteurs de prendre des décisions raisonnables. Pour aller vite, calculer le coût de quelque chose permet de comparer des pommes et des poires et de hiérarchiser les besoins et les choix. Rien de moins.

À l’évidence, l’Economie telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’est pas capable de répondre aux questions les plus importantes que pose toute société humaine : comment souhaite-elle organiser la vie et les relations entre ses membres ? Quel niveau d’inégalités est-elle prête à supporter pour équilibrer libertés et paix sociale ? Comment équilibrer et concilier intérêt général et intérêts privés ? Les réponses à toutes ces questions-là sont négociées dans le cadre de ce qu’on appelle la Politique.
L’Economie éclaire – ou devrait éclairer – la Politique sur trois plans : elle colle des étiquettes de prix sur les choix, propose la manière la plus efficace d’atteindre des objectifs définis notamment par les préférences exprimées par les électeurs et elle améliore l’adéquation des moyens et des fins en évaluant l’impact des mesures prises.

Ce rappel peut sembler scolaire. À la lecture des récentes contributions de Georges Kaplan, en particulier de son texte sur la politique industrielle de la France, il me semble particulièrement nécessaire. De même que l’officier de renseignement conseille le chef de guerre sans se substituer à lui, l’économiste doit éclairer ou même critiquer les décisions du politique, pas les prendre à sa place. Il a le droit voire le devoir d’évaluer les conséquences économiques des différentes options pour obliger les décideurs à dévoiler le prix à payer – c’est-à-dire à quoi il faut renoncer – pour chacune d’elles. Mais il ne saurait récuser une politique même armé d’une avalanche de statistiques.

En réalité, Georges Kaplan prétend démontrer la supériorité « rationnelle » des solutions libérales. Je ne discuterai pas ici la validité de ses démonstrations, souvent très convaincantes car l’ami connaît son sujet. Il me semble important de rappeler que l’Economie n’a pas à déterminer les finalités et que la rationalité comptable ne saurait être le seul critère de choix de nos gouvernants. C’est encore plus vrai dans un pays où la puissance publique n’est pas seulement un arbitre mais un acteur du jeu économique. Or, ce rôle spécifique de l’Etat correspond à ce que veulent la plupart des citoyens. Si Georges Kaplan pense que la solution de tous nos problèmes se trouve dans le laissez-faire, il lui faut d’abord en convaincre ses concitoyens.

En clair, même si le peuple a économiquement tort, il a politiquement raison. Peut-être a-t-il par exemple excellentes raisons de vouloir conserver les usines en France quand bien même il serait prouvé que cela n’a aucun intérêt économique. D’ailleurs, si ces raisons étaient mauvaises ou jugées telles par Georges Kaplan, cela ne changerait rien au raisonnement. En conséquence, même s’il existait une vérité économique irréfutable, ce dont on peut douter, elle ne saurait être l’unique boussole des gouvernants : ou alors, confions la gestion du pays à un ordinateur bien programmé. L’action politique ne peut pas être menée par un logiciel de gestion.

Le point de vue de Kaplan sur la politique industrielle illustre bien cette confusion entre fins et moyens. On ne voit pas pourquoi, en effet, une nation ne pourrait pas choisir entre l’intégration dans un ensemble plus large, comme c’est le cas de la France avec l’Union européenne, et le maintien de son indépendance – en l’occurrence, il s’agit plutôt de définir l’équilibre entre ce qui est mutualisé et ce qui reste géré au niveau national. Ainsi, fabriquer des avions de chasse et des lanceurs de satellites au lieu de les acheter moins cher ailleurs est, à mon avis, une excellente décision, même si elle a un effet négatif sur la comptabilité nationale. Si on suivait le dogme libéral, la France abandonnerait les industries de la défense aux Etats-Unis et consacrerait les moyens ainsi libérés aux secteurs où elle jouit d’un avantage comparatif. Fermer Dassault et Thales pour développer Hermès et des Chanel ? Non merci !

Par ailleurs, aucune politique économique démocratique ne peut ignorer ses conséquences sociales. On peut me fournir tous les tableaux Excel du monde prouvant que la France gagnerait à ne conserver que les secteurs les plus innovants à forte valeur ajoutée – ce qui supposerait d’ailleurs que les Brésiliens et les autres acceptent aimablement de fabriquer des T-shirts. Je ne vois pas pourquoi nous accepterions de rejeter hors du marché du travail tous ceux à qui nous n’avons pas su donner une formation de haut niveau. Peut-être que dans le monde merveilleux du marché, il serait moins coûteux de les payer à ne rien faire. Seulement, voilà, je n’ai pas envie de vivre dans cette société-là. Permettre aux gens non-qualifiés de trouver du boulot est une preuve de civilisation. Nous ne sommes pas tous X-Mines ou Normale-ENA ! Que fera-t-on des gamins qui quittent l’école à 15 ou 16 ans quand les emplois peu qualifiés auront tous été délocalisés en Asie du Sud ou en Afrique du Nord ? Est-il aussi insensé que cela de soutenir des secteurs qu’un laisser-faire général condamnerait à la disparition ?

Quid de ceux qui ne peuvent pas passer d’un secteur agonisant à un autre en forte croissance ? Derrière les chiffres, se profile une mort sociale pour toute une partie de la population, à cause de leur âge, de leurs compétences ou de leur lieu de vie. Et en admettant que Kaplan ait raison et qu’on ne fasse que retarder de 10 ans une évolution inéluctable, dix ans de vie digne pour des centaines de milliers de nos concitoyens seraient-ils si négligeables ? Permettre à une génération de quinquas de partir à la retraite dignement, sauver les commerces et les PME d’une petite ville et le tissu social d’une région sont des objectifs aussi louables et légitimes que d’améliorer la productivité et la compétitivité de la France.

L’intervention de l’Etat – exécuteur des choix politiques décidés par la société – a sans doute des effets pervers, mais un libéralisme sans bornes en aurait peut-être de plus déplaisants encore. La concurrence est-elle toujours une bénédiction ? La gestion privée est-elle toujours heureuse ? Les réponses me semblent évidentes. Au lieu de brandir des dogmes, posons-nous de manière pragmatique la seule question qui vaille : il ne s’agit pas de savoir si l’Etat doit intervenir ou pas mais comment il doit le faire. La transformation de millions d’égoïsmes individuels en intérêt général est un exercice trop compliqué pour le laisser à la seule « main invisible ».

« Que les autorités religieuses s’occupent plutôt du sort des chrétiens d’Orient »

photo : Thierry Mariani

Trois questions à Thierry Mariani, secrétaire d’Etat aux transports, et fondateur du collectif parlementaire « la Droite populaire »

Muriel Gremillet : Le débat sur la laïcité, organisé par l’UMP, divise, et pas seulement l’UMP. Ça ne vous interroge pas que les autorités religieuses françaises aient demandé sa suspension…

Thierry Mariani : La laïcité appartient à tout le monde, qu’on soit croyant ou non. Ce qui me frappe dans la tribune publiée par les autorités religieuses, c’est une phrase passée inaperçue pour laquelle j’ai envie de remercier les auteurs: ils disent que le cadre juridique de la laïcité doit évoluer en France[1. « Nous restons très attentifs aux évolutions profondes de notre société, notamment celles qui concernent les religions, dans le respect du cadre de la République. Ces évolutions appellent parfois des adaptations, voire des améliorations du cadre juridique et réglementaire de l’expression et de la vie des cultes en France. »]. Et nous montrent donc que le débat est utile. Car, si ce n’est les politiques, qui doit s’occuper du cadre juridique de la laïcité et de son évolution ? Le débat politique est nécessaire, et si l’UMP est seule à vouloir mettre le sujet sur la table, tant pis pour les autres.

La laïcité est un débat ouvert à tous, et il est paradoxal que les religieux prétendent qu’il leur soit réservé. Que les autorités religieuses s’occupent du sort des chrétiens d’Orient plutôt que de l’agenda des partis politiques ! Pour d’autres, ce ne serait pas le bon moment pour en parler. En vérité, il n’y a jamais de bon moment dans ce pays.

MG : La gauche, mais aussi certains centristes, vous accusent implicitement de faire le jeu du Front National en menant ce genre de débats.

TM : Depuis 1984, c’est en 2007 que le FN a fait son plus faible score. Autrement dit au moment où Nicolas Sarkozy a osé aborder de front un certain nombre de sujets dont Chirac ne voulait pas entendre parler. Alors, on nous traite de populistes : c’est l’accusation permanente de la gauche quand elle sent que le peuple lui échappe. La Droite populaire souhaite justement que le peuple n’échappe pas à la droite. Et pour cela il faut aborder les débats sans crainte et réussir à en sortir concrètement. Pourquoi le débat sur l’identité nationale a-t-il été raté ? C’était une excellente idée. Mais personne ne se souvient des mesures qui ont été annoncées à la sortie par le Premier ministre. Voilà pourquoi les gens s’imaginent que c’était une manœuvre électorale.

MG : Jean-Louis Borloo et les centristes pourraient sortir bientôt de l’UMP, justement pour se distinguer de l’aile dure de la majorité.

TM : Comment expliquer sérieusement que certains, qui se voyaient encore Premier ministre de Nicolas Sarkozy il y a quelques mois, souhaitent aujourd’hui quitter l’UMP ? La politique, c’est aussi une question de dignité et d’honneur. Cela veut aussi dire ne pas partir quand ça tangue.

Syrie: le statu quo ou le chaos ?

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Si Anna Karénine travaillait à l’IFRI, elle aurait sans doute remarqué que les révolutions heureuses sont toutes les mêmes, mais que chaque révolution malheureuse l’est à sa façon. Après des dénouements relativement peu sanglants en Tunisie et en Egypte, on observe à Bahreïn, au Yémen, en Libye et maintenant en Syrie, différents degrés de violence. Or, si Bahreïn, le Yémen et – quoi qu’on en dise – la Libye sont des pays relativement marginaux dans le monde arabe, la Syrie en est l’un des piliers.

Au-delà du poids stratégique de ce pays – allié de l’Iran, puissance tutélaire du Liban et épicentre de tous les fronts du refus de la région –, la Syrie incarne une résistance crispée à l’extérieur, un puritanisme nationaliste où le rejet des « corps étrangers » est élevé au rang d’idéologie officielle. Ce singularisme s’appuie d’abord sur un capital symbolique précieux : Damas est considérée comme le berceau du nationalisme arabe et s’est octroyé le rôle de gardienne de ce patrimoine. Mais un autre facteur nourrit le réflexe de citadelle assiégée : depuis un demi-siècle, la Syrie est contrôlée par l’une de ses minorités, les Alaouites. Aujourd’hui les membres de cette communauté chiite et leurs dirigeants ressemblent à un homme chevauchant un tigre : on ne sait plus qui commande, de la monture ou du cavalier. La peur – plus que justifiée – d’être les victimes a poussé les Alaouites à devenir les bourreaux de leurs concitoyens. Aussi ont-ils de bonnes raisons d’être saisis d’effroi à l’idée des châtiments que leur réserveraient demain ceux qu’ils ont écrasés hier, s’ils venaient à perdre le pouvoir.

Leur nervosité est apparue au grand jour la semaine dernière à Lattaquié, ville portuaire et bastion historique de leur communauté, touchée par les troubles après quinze jours de manifestations à Daraa, dans le sud du pays. La réaction, immédiate, est lourde de signification – et pas dans un sens très encourageant. Des hommes armés non identifiés ont ouvert le feu, non seulement sur les manifestants mais aussi sur des passants, comme si leur objectif était de semer la terreur et de vider les rues le plus vite possible. Quand l’armée est arrivée, l’ordre régnait déjà à Lattaquié. On peut gager que cette riposte brutale est une façon de signifier aux candidats à la révolte que les Alaouites ne laisseront pas la contestation se développer « chez eux ».
L’étrange discours du président Assad, vide de tout contenu concret, doit être analysé à la lumière de ces événements. La conclusion qui s’impose est que les durs du régime – qui sont aussi les Alaouites les plus radicaux – ont eu le dessus. Et il y a de bonnes raisons de penser qu’ils sont prêts à tout – y compris un bain de sang si nécessaire – pour garder la main. Ils savent bien que Bachar el Assad, sa femme et ses enfants pourront toujours trouver refuge quelque part. En revanche, si le régime tombe, la majorité des Alaouites seront contraints de rester. Et pour eux, le pire est presque certain.

Traquées comme traitres et persécutés comme apostats durant des siècles, les tribus alaouites se sont réfugiées dans les montagnes surplombant Lattaquié et le littoral, entre le nord de l’actuel Liban et le sud de la Turquie. La chute de l’Empire ottoman, l’instauration du mandat français, son effondrement vingt ans plus tard et les affrontements avec le nouvel État d’Israël leur ont offert une fenêtre stratégique : alors que les anciennes élites, plutôt versées dans le commerce, boudaient les administrations – et en particulier l’armée – les Alaouites les ont intelligemment noyautées, ce qui leur a ouvert la voie du pouvoir. C’est ainsi que l’un d’eux, un homme d’exception nommé Hafez el-Assad, est parvenu au sommet.

Né en 1930, premier bachelier de sa famille, Assad fait une carrière militaire d’une extraordinaire rapidité. Lieutenant en 1955, il est général en 1964. Deux ans plus tard, à l’âge de 36 ans, il devient ministre de la Défense. Il ne lui faudra que quatre ans pour accéder à la fonction suprême où il s’installe en 1970. Prenant très vite le contrôle de l’appareil administratif et militaire, il dirigera son pays d’une main de fer et avec une intelligence politique hors-pair jusqu’à sa mort, en 2000, date à laquelle lui succède son fils Bachar
Dans un deuxième temps, il s’empare aussi des ressources économiques et financières de la Syrie. Travaux publics, matériaux de construction, agro-alimentaire, hydrocarbures et, plus tard, les télécommunications, sont accaparés par sa famille et ses alliés. Avec un résultat prévisible : fuite des capitaux et chute dramatique de la production intérieure. Assad organise ensuite le pillage systématique du Liban.

Cette fuite en avant n’a pas empêché le régime de mener la modernisation du pays alaouite – le nord-est de la Syrie : développement des ports, constructions d’autoroutes, création d’une université à Lattaquié, implantations administratives, militaires, industrielles et commerciales jusque dans les villages les plus reculés. Pour couronner le tout, de somptueuses résidences ont été érigées dans la région par les pontes du régime. Autant dire que jusqu’à ces dernières semaines, les Alaouites profitaient sans vergogne des fruits de leur domination. Ils savent ce qu’ils ont à perdre.

L’avenir de la Syrie dépend donc du rapport de forces entre les communautés. Les liens personnels et claniques pèseront lourd dans la balance et le passé sanglant des puissants d’aujourd’hui compromet sérieusement les chances d’une solution négociée. C’est l’heure de vérité pour la Syrie : à l’issue de cette crise, on saura si elle existe en tant que nation ou si, à l’image de ce qui s’est passé en Iraq, autre pays du Baas, le pacte syrien explose dans un règlement de comptes général. Pour le régime, l’état d’urgence joue le rôle des cercles de fer empêchant que le tonneau syrien se désintègre dans un bain de sang inter-communautaire. Pour le moment, Bachar el-Assad semble aussi le croire. À moins qu’il n’ait pas vraiment le choix.

Gapminder, vous allez aimer les statistiques

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Hans Rosling, un médecin suédois, s’est lancé il y a quelques années dans une aventure passionnante qui consiste à nous permettre de visualiser notre monde au travers de statistiques publiques. C’est la naissance de Gapminder. Si vous pensez que la « mondialisation libérale » a ravagé le monde et semé la misère partout sur terre depuis 60 ans est en particulier au cours des 30 dernières années, je ne connais pas un seul lien sur internet qui soit de nature à changer plus radicalement votre vision des choses que celui-ci.

Sur l’axe des abscisses (l’axe horizontal), le revenu par habitant exprimé en dollar de 2005 ajustés du pouvoir d’achat. Comme cette notion de revenu par habitant et ses éventuelles implications sur notre vie ne semblent pas tout à fait claire pour tout le monde, l’axe des ordonnées (l’axe vertical) nous propose une mesure très parlante de l’amélioration des conditions de vie des gens : l’espérance de vie. Chaque bulle correspond à un pays, les couleurs correspondent au continent auquel appartient le pays en question et la taille des bulles mesure son nombre d’habitants.

En bas, à gauche, il y a un bouton « Play ». Cliquez : ça dure quelques secondes. C’est pas beau ça ?

Tavoularis n’est plus sous-exposé

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Dean Tavoularis est grec et ça se voit. Dans ses dessins, tableaux et collages pointent ici ou là un torse de centaure, une corne du dieu Pan, la queue d’un Minotaure. Preuve sans doute que l’on n’échappe jamais à ses origines − je n’ai pas dit à son « identité nationale ». Cependant, Tavoularis n’est pas seulement grec : à y observer de plus près, le Pan esquissé d’un trait rouge a troqué ses sabots pour des escarpins façon Louboutin, accessoire glamour venu tout droit d’un studio de la Paramount.

En effet, l’artiste s’est retrouvé dès l’âge de 5 ans à Los Angeles qui, chacun le sait, se situe dans la banlieue d’Hollywood. Alors, Dean Tavoularis fera du cinéma.
Devenu chef-décorateur, il travaille avec les plus grands (Antonioni, Wenders, Penn, Polanski et, surtout, Coppola). Sa filmographie est une litanie de chefs-d’œuvre : Bonnie and Clyde, Zabriskie Point, Apocalypse Now, Conversation secrète et, bien sur, Le Parrain dont on retrouvera plusieurs story-boards dans la magnifique exposition qui lui est consacrée à la Galerie Catherine Houard[1. Dean Tavoularis, du 18 mars au 21 mai 2011, Galerie Catherine Houard, 15 rue Saint-Benoît Paris 6e].

Quant aux dessins originaux, ils sont souvent conçus comme des images tournées en longue focale, avec très peu de profondeur de champ. D’où l’insistance sur un personnage ou un objet dont les sentiments et l’âme sont rendus par le trait ou la couleur qui alternent dans des combinaisons inattendues.

L’une des œuvres exposées résume impeccablement ce mixage entre l’élégance classique du dessin et une mise en perspective cinématographique. On y voit, projetée sur un écran, la silhouette de l’immense acteur anglais Trevor Howard jetant un regard plongeant sur la salle et les spectateurs (à peine ébauchés), suscitant un doute épais sur l’envers et le décor. On ne sait plus qui intrigue qui, et c’est très bien comme ça. Collage, pastel et fusain, alternance et mélange de matières accentuent l’étrangeté de la situation.

photo : Galerie Catherine Houard

Les scènes de crimes qu’il devait trouver pour ses metteurs en scène, Dean Tavoularis les habillait. Car le maître-mot qui caractérise son travail, c’est la stylisation. Il suffit pour s’en convaincre de voir les « dead bodies », authentiques clichés de la police californienne des années 1930, allégés de leur morbidité par une mise en couleur radicale, scénarisés par le dessin, la couleur et la fantaisie.

Ce que l’artiste a apporté au cinéma comme directeur artistique, le cinéma le lui a remboursé cash en lui permettant de mettre ses œuvres en scène. Le catalogue de l’exposition (établi notamment par Aurore Clément, son épouse), évoque le « paradoxe d’une vocation divisée. Heureusement divisée… ». On ne saurait mieux dire, tant les deux carrières de Dean Tavoularis s’emmêlent et se nourrissent dans un jeu séduisant de correspondances. C’est cette dualité qui fait son charme.

Deux ou trois choses que je sais de l’UMP

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photo : Fédération Française de la Fausse Manif'

La droite française n’existe pas, je l’ai rencontrée. On a longtemps dit que c’était la plus bête du monde. Si on en juge au temps où elle a été au pouvoir, disons depuis la Commune, elle n’est pas si bête que ça. Ou alors, il faut être bête pour occuper le pouvoir. Bête et méchant comme le peuple que l’on va gouverner et enfermer dans ses intérêts particuliers en lui faisant croire que la somme va en faire l’intérêt général. Bête et méchant comme Mac Mahon qui disait « Que d’eau ! Que d’eau ! », devant une inondation monstre après avoir fait tirer à la mitrailleuse lourde sur les Communards[1. Toujours pas de cérémonie pour en fêter en ce mois de mars le 140ème anniversaire].

La droite française n’existe pas ou alors elle existe trop et sous trop de formes, légitimistes, orléanistes, bonapartistes, René Rémond l’a montré bien mieux que moi.

Les légitimistes n’existent plus. Peut-être Philippe de Villiers ou Christine Boutin, mais on n’en entend plus vraiment parler. Eux étaient vraiment de droite. Ils lisaient Joseph de Maistre et n’auraient pas supporté qu’on brade la France éternelle à des faiseurs d’argent. Ils n’auraient même pas supporté un débat sur la laïcité puisque le christianisme l’est déjà, laïque (« Rendez à Dieu…etc »). Les légitimistes, en plus, ont donné d’excellents écrivains comme Barbey d’Aurevilly ou Léon Bloy et finalement, puisqu’ils puisaient leur programme social dans l’Evangile, ils étaient infiniment plus à gauche que l’école de Vienne. Comparez ce que dit Benoit XVI dans Caritas in veritate et ce grand moment de comique qu’est le livre de David Friedmann le fils de Milton), Vers une société sans État[2. Les Belles Lettres]. Le premier explique que c’est l’économie qui est au service de l’homme tandis que l’autre envisage froidement que les pauvres puissent vendre leurs organes à partir du moment où le contrat est rédigé correctement.

Le soir des cantonales, en tant qu’électeur, si je n’avais pas eu comme tant d’autres à arbitrer un duel PS/FN mais un duel PS/ Benoit XVI, j’aurais voté Benoît XVI. En cas de duel PCF/ Benoit XVI, j’aurais voté PCF mais j’aurais été un peu triste de laisser un autre candidat antilibéral de côté. Vous allez me dire que dans un duel PCF/FN aussi. Il y en a eu une petite quarantaine, tous remportés par le PCF sur des scores du style 65/35 à l’exception d’un canton du Var où le FN a gagné avec 6 voix d’avance.

De plus, la conversion du FN à l’antilibéralisme, je n’y crois pas vraiment, contrairement au catholicisme de Benoît XVI qui a deux mille ans derrière lui. Le programme économique de Marine Le Pen est d’ailleurs toujours « en cours de réactualisation » sur les sites Internet du FN.

Cela nous ramène à notre droite qui n’existe pas. Sans nous attarder aux troupes de l’UMP qui semblent aussi divisées sur l’alliance avec le FN que la Tripolitaine et la Cyrénaïque sur l’avenir de la Lybie, il est tout de même intéressant de souligner une contradiction manifeste. Ceux qui voudraient un scénario à l’italienne ou à l’autrichienne, « pactisons avec le FN sinon on est morts », sont les plus à droite, partisans d’une économie enfin adaptée de gré ou de force aux critères de la mondialisation mais ils veulent avoir avec eux Marine Le Pen qui désire sortir de l’euro, maintenir la retraite à soixante ans, voire nationaliser une partie du crédit pour forcer les banques à réinvestir dans la production et non la spéculation.

Cette droite-là, celle qu’encourage le président de la République et son conseiller Buisson, doit penser que le programme de Marine Le Pen, c’est du pipeau, que les fondamentaux sont toujours les mêmes – préférence nationale, hyper-sécuritarisme, fantasme de l’invasion allogène – et que c’est pour ces raisons là que le peuple vote pour le Front. Comme d’habitude, la réponse est venue des urnes pas très remplies, certes, mais dans une démocratie, celui qui s’exprime est toujours plus malin que celui qui ne se dérange même pas pour voter blanc.
Et la réponse, elle est bien cruelle. D’ailleurs pour qui a modestement fait une campagne électorale, grimpé quelques cages d’escalier et s’est promené sur les marchés avec ses tracts, elle ne faisait guère de doute. Le peuple n’en a plus grand chose à faire des hypothétiques menaces sur son identité et la première des insécurités qu’il rencontre, c’est au travail quand il est précaire et au chômage quand il est dans la misère. Le Front a compris ça, l’UMP non. Résultat, tout parti présidentiel qu’il est, l’UMP fait moins que l’ancien RPR.

C’était bien la peine de faire un parti unique, tiens. Il se délite à vitesse grand V. C’est pour cela aussi que la droite n’existe pas. Vous voyez Rama Yade dans le même gouvernement que Christian Vanneste, vous ? Sérieusement. Ou Hervé Morin et Claude Guéant ? Allons, il faut avoir la carapace dépressive d’un Fillon et sa capacité à regarder ailleurs pour supporter la droitisation dure de sa majorité : il a d’ailleurs, entre ses consignes de vote contradictoires avec celles du président et son refus de participer au débat sur l’islam, (euh pardon, sur la Laïcité, excusez moi, je maîtrise mal les éléments de langage donné par monsieur Buisson), de plus en plus de mal à faire comme si tout allait bien.

La droite française n’existe pas parce que, lorsqu’elle existait, elle s’appelait le gaullisme et en fait, le gaullisme n’était pas de droite. Il était né d’un mouvement de libération nationale et, avec les communistes au sein du CNR, avait construit les bases d’un pays qui a su en trente ans donner un haut niveau de protection sociale à sa population tout en construisant des trains à grande vitesse, des fusées, un secteur électronucléaire assurant, au moins en partie, l’indépendance énergétique de la nation, bref en confiant l’avenir à l’Etat qui sait que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers.

D’ailleurs, les pires oppositions au gaullisme sont venues d’une certaine droite, pas de la gauche. CNI, Républicains Indépendants, Radicaux, tous ceux que Giscard, par un coup de génie, a réussi à mettre de son côté pour gagner les présidentielles de 74 et créer dans la foulée l’UDF, un conglomérat dont le seul ciment idéologique était, précisément l’antigaullisme : à l’époque, il fallait déjà de l’imagination pour trouver un point commun entre Bayrou et Madelin, entre l’agrégé de lettres classiques et les manieurs de barre de fer.

Il n’empêche, si ça se trouve la droite française qui n’existe pas gagnera quand même les prochaines présidentielles de 2012.
Ce sera sans doute un peu compliqué mais comme elle n’est bonne qu’à ça…

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Lettre à Robert Ménard

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Cher Robert,

Nous ne nous connaissons pas. Mais comme j’émarge à Causeur, je sais que nous avons des amis communs. Je n’aurais pas eu l’idée de t’écrire[1. Je me permets le tutoiement. Tu comprendras en lisant cette lettre jusqu’au bout] si je n’avais lu le dernier édito du commissaire Joffrin. Il a beaucoup de boulot, en ce moment, le commissaire Joffrin. Avec la taulière de Causeur, avec celui de Marianne2, avec Taddéi, avec Todd, avec Brustier. Il dénonce ceux qui décontaminent ; il recontamine lui-même. C’est un festival. Parfois, le commissaire Aphatie vient lui prêter main forte. Ils alternent à merveille les rôles de flic gentil et de flic méchant. On se croirait presque dans une comédie de Zidi, tellement cela en devient distrayant.

Aujourd’hui, Robert, c’est ton tour. Le commissaire Joffrin a enfilé la tunique de flic gentil. Le ton est plutôt doux, en tout cas, bien davantage que les dernières fois. En fait, le texte en lui-même est plutôt sans intérêt. Ce qui n’en manque pas, en revanche, et en dit tellement sur le personnage de Joffrin, c’est le titre : Adieu Ménard !

Adieu Ménard, cela signifie qu’il t’a longtemps dit bonjour mais qu’il ne veut plus te revoir ; cela signifie qu’il te faisait l’honneur de reconnaître un certain nombre de qualités -qu’il énumère dans le texte- et que, au bout du compte, tu pouvais prétendre avoir l’honneur de manger à la même table. Mais avec cet adieu, c’est terminé. Tu n’en es plus digne. Tu es passé dans le camp des infréquentables. Que dis-je ? Des intouchables, au sens indien du terme. Sans doute, à lire ce titre, il gardera les mains dans les poches lorsque vous vous croiserez. J’exagère ? C’est bien cela, la signification d’un adieu, non ? Tu n’existes plus pour lui. Vous ne vous expliquerez de vive voix, désormais, que dans l’au-delà. Et encore ! Vous risquez de ne point vous y croiser, car si tel endroit existe[2. Ce dont je doute davantage que toi, il faut bien le reconnaître], l’un sera en enfer et l’autre au paradis.

Robert, il faut que je te fasse une confidence : je t’écoute souvent à la télé et à la radio et je suis d’accord avec toi sur pas grand chose. Il est même fort possible que sur certains sujets, chers au commissaire Joffrin, tu me trouverais aussi politiquement correct que lui. Seulement voilà, il se trouve que je suis atteint d’une sacrée tare : j’adore m’engueuler avec mes potes, surtout à propos de politique. Et des potes, j’en ai de toutes les opinions représentées dans le spectre politique français. Cela peut paraître impensable à certains, mais c’est ainsi. Le plus souvent, je deviens copain avec quelqu’un sans connaître la couleur de son bulletin de vote. On se découvre. On s’engueule. Et après on passe à autre chose. Le vin, la bouffe, les filles -sauf si c’en est une-, le foot, etc…

Généralement, je ne reste pas longtemps en froid avec un copain ou une copine. Comme je vis au pays d’Edgar Faure, je considère que « toute brouille est un échec ». Mais cela peut ou pourrait arriver. Si un ami me pique ma femme, s’il m’escroque, s’il manque de loyauté, il est possible que la rancune dure davantage.

Donc, Robert, si on se rencontre un jour, il est bien possible que le courant passe et qu’on devienne copain. Tu sais pourquoi je sais qu’il passera, ce courant ? Parce que j’ai une drôle d’intuition : si un jour je devais faire une grosse connerie et que, recherché par toutes les polices de France, je devais choisir entre sonner à ta porte et sonner à celle du commissaire Joffrin, c’est sans hésitation que je me rendrais chez toi[3. En même temps, c’est normal, si l’autre est commissaire].

Bonjour Robert !

L’État n’est plus en état de marche…

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photo : Claude Reichman

Dans sa réponse, Gil Mihaely me reproche – je crois – de raisonner comme un animal à sang froid. Je comprends son point de vue et je mesure bien que la teneur de mes interventions peut donner cette impression. Le fait est que si je place la raison au-dessus des sentiments ce n’est pas que je n’éprouve pas moi-même des sentiments – loin de là – mais c’est que je suis convaincu que les meilleurs sentiments du monde, s’ils ne sont pas passés au filtre de la raison, peuvent aussi créer les plus grands malheurs. Je ressens aussi ; je suis moi aussi doué d’empathie. La misère, les guerres et toutes les horreurs que les journaux télévisés relayent à l’envi du matin au soir me révoltent autant que vous. Mais se « révolter » ne sert à rien, ça ne règle aucun problème et c’est même souvent le meilleur moyen pour rajouter de nouveaux malheurs sur les épaules de ceux qu’on prétendait aider. Le très sage Karl Popper disait que « ceux qui nous promettent le paradis sur terre n’ont jamais rien produit qu’un enfer ». La noblesse de la politique consiste je crois à placer les gens devant de vrais choix et chacun de ces choix nécessite avant tout une véritable analyse de la situation et un minimum d’anticipation de ses conséquences. C’est ce que j’essaie de faire.

Alors voilà : je pense moi que l’intervention de la force publique dans nos vies doit faire l’objet d’un débat. La question n’est pas seulement de savoir comment l’Etat doit intervenir, mais elle est aussi et même surtout de savoir si l’Etat doit intervenir. Comprenons-nous bien : refuser à la puissance publique le droit faire quelque chose ne signifie en aucune manière que je ne souhaite pas que cette chose soit faite du tout. L’idée que je défends c’est que la plupart des problèmes sont mieux traités par une société civile libre que par l’intervention arbitraire de la puissance publique et j’ai quelques arguments à faire valoir dans ce sens.

On m’oppose fréquemment que la situation actuelle de notre pays démontre le contraire, que la France est devenue un pays « ultralibéral » et que les maux dont souffre notre société – chômage structurel massif, pourvoir d’achat en berne, désindustrialisation (!), perte de cohésion nationale (etc…) – sont les résultats de politiques « néolibérales » qui nous auraient, paraît-il, livrés pieds et poings liés à la sauvagerie de cette terrible mondialisation. On croit rêver ! Cela fait – au bas mot – quarante ans que le poids de l’Etat dans notre économie ne cesse d’augmenter, nous en sommes arrivés à un point où l’Etat dépense chaque année plus de 56% de la richesse créée par notre économie, la pression fiscale a atteint l’année dernière le record historique de 42% du PIB et les recettes de l’Etat pèsent désormais plus de 49% du PIB, depuis l’année de ma naissance (1975) pas un seul budget n’a été voté à l’équilibre, nous croulons sous les réglementations qu’elles soient nationales ou européennes, l’Etat subventionne et redistribue à tour de bras, l’administration est partout et est devenue une des principales causes de mortalité des PME, le président de notre République est le VRP de nos « champions nationaux », nos grandes entreprises sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires ou d’anciens directeurs de cabinets ministériels, plus de la moitié de nos élus sont issus de la fonction publique et nous sommes – avec la Grèce et Chypre – le pays le plus protectionniste de l’Union Européenne (liste non exhaustive).

Sérieusement, combien connaissez-vous de petites entreprises qui sont littéralement obligées de travailler « au noir » sans quoi elle mettraient tout simplement la clé sous la porte ? Combien connaissez-vous de jeunes diplômés qui ont fui notre pays pour trouver un travail décent à l’étranger ? Que devient la cohésion de notre peuple quand une moitié de nos concitoyens cherche à vivre aux dépends des autres tandis que ces derniers ont élevé l’évasion fiscale au rang d’art de vivre ? Combien connaissez-vous de gens qui cherchent explicitement à truander notre système de protection sociale ? Combien d’affaires de corruption avérée, de passe-droits et de marchés publics faussés pouvez-vous citer de mémoire ? Si vous appelez ça de l’« ultralibéralisme » alors nous avons un énorme problème de sémantique.

Je ne prétends pas détenir de vérité absolue et mes quelques connaissances en matière d’économie ne me donnent aucun droit de plus que n’importe lequel d’entre nous. Je suis un citoyen de ce pays et comme tous les Français en âge de voter je n’ai qu’un bulletin à glisser dans l’urne. Je ne considère pas que défendre mes idées sur la place publique soit un droit ; je pense que c’est un devoir. Considérez ceci : je pense – à tort ou à raison – que l’objet de mes études et quelques années de pratique m’ont permis de comprendre un certain nombre de choses sur la manière dont fonctionnent les sociétés humaines et d’en tirer quelques conclusions sur ce que je pense être les conditions du bien-être de mes concitoyens. Et il se trouve que les options qui sont aujourd’hui débattues dans l’espace public me semblent mauvaises et même dangereuses. Que devrais-je faire ? Me taire ? Jamais ! Si la notion de débat démocratique a encore un sens, elle m’impose de parler, d’exposer mes arguments et de les défendre.

Alors oui, définitivement oui, Gil a raison : il faut en débattre et c’est précisément ça la politique au sens noble du terme. Il faut en débattre avec de vrais arguments, des arguments de raison et au besoin des chiffres, des graphiques et des théories. C’est de nos vies qu’il est question, de notre futur et de celui de nos enfants.

Premier Avril. And the winner is…

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Martine Aubry ! Et haut la main, puisque elle vient de renvoyer dans les dents d’Arnaud Montebourg son dossier de défense dans le procès en diffamation qui lui est intenté par Jean-Noël Guérini, patron de la fédération des Bouches-du-Rhône, arguant que ce mémo violait le « secret de l’enquête et de l’instruction« .

La semaine dernière M. Montebourg, auteur d’un rapport accablant pour les socialistes marseillais, avait déposé en personne, rue de Solférino, son « offre de preuves » qui comporte « 44 pièces, soit au total 174 pages, 20 témoins et un enregistrement audio », selon son avocat.

A l’attention des amateurs de bonnes choses, nous citerons l’intégralité de l’argumentation de Martine pour justifier cette fessée déculottée: « Ignorant comment ces documents sont parvenus entre tes mains en violation du secret de l’enquête et de l’instruction, et ne sachant si tu as requis et obtenu l’autorisation des autorités judiciaires pour les produire, je ne puis en l’état que te les retourner immédiatement, me refusant à les conserver et aussi à prendre connaissance de leurs contenus« .

C’est aussi au titre du nécessaire respect de la présomption d’innocence que Martine et avec elle, quasi toute la direction de son parti, ainsi que celle du PCF a soutenu hier la réélection triomphale de Jean-Noël Guérini, à la présidence du Conseil Général des Bouches-du-Rhône.

On ignore à l’heure qu’il est si Martine Aubry compte exiger le retour immédiat d’Eric Woerth au gouvernement, mais elle devrait logiquement le faire dans la journée, dans la mesure où tous les documents ayant entrainé l’éviction de l’ancien ministre des Affaires Sociales – et les appels réitérés du PS à sa démission – ont été produits en flagrante violation du « secret de l’enquête et de l’instruction« .

Dieudonné sioniste ?

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Selon le site « patriotique » et « antisioniste » Médialibre, Dieudonné s’est rendu en Libye pour afficher sa solidarité avec Mouammar Kadhafi, victime d’un complot occidental. Du coup, la star d’Euro-Palestine se retrouve dans le camp sioniste, car, selon une rumeur répandue par les rebelles libyens, des forces israéliennes ont été repérées aux abords de Benghazi, où elles étaient dépêchées pour soutenir les unités fidèles à Kadhafi !

Et puisque le site Médialibre affirme n’être en aucun cas antisémite, nous n’évoquerons pas une autre rumeur selon laquelle la mère du Frère guide serait juive !

On ne peut pas faire l’économie de la politique

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Il y a quelques siècles, la discipline naissante consacrée à la répartition de ressources rares[1. merci à Bibi de m’avoir signalé cette lacune!], la création et la distribution de richesses s’est-elle même nommée « Economie politique ». Débarrassée de cet adjectif gênant, l’Economie, devenue science, a oublié son rôle originel : analyser et quantifier certains phénomènes et comportements humains pour comprendre le fonctionnement des sociétés mais aussi pour permettre aux acteurs de prendre des décisions raisonnables. Pour aller vite, calculer le coût de quelque chose permet de comparer des pommes et des poires et de hiérarchiser les besoins et les choix. Rien de moins.

À l’évidence, l’Economie telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’est pas capable de répondre aux questions les plus importantes que pose toute société humaine : comment souhaite-elle organiser la vie et les relations entre ses membres ? Quel niveau d’inégalités est-elle prête à supporter pour équilibrer libertés et paix sociale ? Comment équilibrer et concilier intérêt général et intérêts privés ? Les réponses à toutes ces questions-là sont négociées dans le cadre de ce qu’on appelle la Politique.
L’Economie éclaire – ou devrait éclairer – la Politique sur trois plans : elle colle des étiquettes de prix sur les choix, propose la manière la plus efficace d’atteindre des objectifs définis notamment par les préférences exprimées par les électeurs et elle améliore l’adéquation des moyens et des fins en évaluant l’impact des mesures prises.

Ce rappel peut sembler scolaire. À la lecture des récentes contributions de Georges Kaplan, en particulier de son texte sur la politique industrielle de la France, il me semble particulièrement nécessaire. De même que l’officier de renseignement conseille le chef de guerre sans se substituer à lui, l’économiste doit éclairer ou même critiquer les décisions du politique, pas les prendre à sa place. Il a le droit voire le devoir d’évaluer les conséquences économiques des différentes options pour obliger les décideurs à dévoiler le prix à payer – c’est-à-dire à quoi il faut renoncer – pour chacune d’elles. Mais il ne saurait récuser une politique même armé d’une avalanche de statistiques.

En réalité, Georges Kaplan prétend démontrer la supériorité « rationnelle » des solutions libérales. Je ne discuterai pas ici la validité de ses démonstrations, souvent très convaincantes car l’ami connaît son sujet. Il me semble important de rappeler que l’Economie n’a pas à déterminer les finalités et que la rationalité comptable ne saurait être le seul critère de choix de nos gouvernants. C’est encore plus vrai dans un pays où la puissance publique n’est pas seulement un arbitre mais un acteur du jeu économique. Or, ce rôle spécifique de l’Etat correspond à ce que veulent la plupart des citoyens. Si Georges Kaplan pense que la solution de tous nos problèmes se trouve dans le laissez-faire, il lui faut d’abord en convaincre ses concitoyens.

En clair, même si le peuple a économiquement tort, il a politiquement raison. Peut-être a-t-il par exemple excellentes raisons de vouloir conserver les usines en France quand bien même il serait prouvé que cela n’a aucun intérêt économique. D’ailleurs, si ces raisons étaient mauvaises ou jugées telles par Georges Kaplan, cela ne changerait rien au raisonnement. En conséquence, même s’il existait une vérité économique irréfutable, ce dont on peut douter, elle ne saurait être l’unique boussole des gouvernants : ou alors, confions la gestion du pays à un ordinateur bien programmé. L’action politique ne peut pas être menée par un logiciel de gestion.

Le point de vue de Kaplan sur la politique industrielle illustre bien cette confusion entre fins et moyens. On ne voit pas pourquoi, en effet, une nation ne pourrait pas choisir entre l’intégration dans un ensemble plus large, comme c’est le cas de la France avec l’Union européenne, et le maintien de son indépendance – en l’occurrence, il s’agit plutôt de définir l’équilibre entre ce qui est mutualisé et ce qui reste géré au niveau national. Ainsi, fabriquer des avions de chasse et des lanceurs de satellites au lieu de les acheter moins cher ailleurs est, à mon avis, une excellente décision, même si elle a un effet négatif sur la comptabilité nationale. Si on suivait le dogme libéral, la France abandonnerait les industries de la défense aux Etats-Unis et consacrerait les moyens ainsi libérés aux secteurs où elle jouit d’un avantage comparatif. Fermer Dassault et Thales pour développer Hermès et des Chanel ? Non merci !

Par ailleurs, aucune politique économique démocratique ne peut ignorer ses conséquences sociales. On peut me fournir tous les tableaux Excel du monde prouvant que la France gagnerait à ne conserver que les secteurs les plus innovants à forte valeur ajoutée – ce qui supposerait d’ailleurs que les Brésiliens et les autres acceptent aimablement de fabriquer des T-shirts. Je ne vois pas pourquoi nous accepterions de rejeter hors du marché du travail tous ceux à qui nous n’avons pas su donner une formation de haut niveau. Peut-être que dans le monde merveilleux du marché, il serait moins coûteux de les payer à ne rien faire. Seulement, voilà, je n’ai pas envie de vivre dans cette société-là. Permettre aux gens non-qualifiés de trouver du boulot est une preuve de civilisation. Nous ne sommes pas tous X-Mines ou Normale-ENA ! Que fera-t-on des gamins qui quittent l’école à 15 ou 16 ans quand les emplois peu qualifiés auront tous été délocalisés en Asie du Sud ou en Afrique du Nord ? Est-il aussi insensé que cela de soutenir des secteurs qu’un laisser-faire général condamnerait à la disparition ?

Quid de ceux qui ne peuvent pas passer d’un secteur agonisant à un autre en forte croissance ? Derrière les chiffres, se profile une mort sociale pour toute une partie de la population, à cause de leur âge, de leurs compétences ou de leur lieu de vie. Et en admettant que Kaplan ait raison et qu’on ne fasse que retarder de 10 ans une évolution inéluctable, dix ans de vie digne pour des centaines de milliers de nos concitoyens seraient-ils si négligeables ? Permettre à une génération de quinquas de partir à la retraite dignement, sauver les commerces et les PME d’une petite ville et le tissu social d’une région sont des objectifs aussi louables et légitimes que d’améliorer la productivité et la compétitivité de la France.

L’intervention de l’Etat – exécuteur des choix politiques décidés par la société – a sans doute des effets pervers, mais un libéralisme sans bornes en aurait peut-être de plus déplaisants encore. La concurrence est-elle toujours une bénédiction ? La gestion privée est-elle toujours heureuse ? Les réponses me semblent évidentes. Au lieu de brandir des dogmes, posons-nous de manière pragmatique la seule question qui vaille : il ne s’agit pas de savoir si l’Etat doit intervenir ou pas mais comment il doit le faire. La transformation de millions d’égoïsmes individuels en intérêt général est un exercice trop compliqué pour le laisser à la seule « main invisible ».

« Que les autorités religieuses s’occupent plutôt du sort des chrétiens d’Orient »

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photo : Thierry Mariani

Trois questions à Thierry Mariani, secrétaire d’Etat aux transports, et fondateur du collectif parlementaire « la Droite populaire »

Muriel Gremillet : Le débat sur la laïcité, organisé par l’UMP, divise, et pas seulement l’UMP. Ça ne vous interroge pas que les autorités religieuses françaises aient demandé sa suspension…

Thierry Mariani : La laïcité appartient à tout le monde, qu’on soit croyant ou non. Ce qui me frappe dans la tribune publiée par les autorités religieuses, c’est une phrase passée inaperçue pour laquelle j’ai envie de remercier les auteurs: ils disent que le cadre juridique de la laïcité doit évoluer en France[1. « Nous restons très attentifs aux évolutions profondes de notre société, notamment celles qui concernent les religions, dans le respect du cadre de la République. Ces évolutions appellent parfois des adaptations, voire des améliorations du cadre juridique et réglementaire de l’expression et de la vie des cultes en France. »]. Et nous montrent donc que le débat est utile. Car, si ce n’est les politiques, qui doit s’occuper du cadre juridique de la laïcité et de son évolution ? Le débat politique est nécessaire, et si l’UMP est seule à vouloir mettre le sujet sur la table, tant pis pour les autres.

La laïcité est un débat ouvert à tous, et il est paradoxal que les religieux prétendent qu’il leur soit réservé. Que les autorités religieuses s’occupent du sort des chrétiens d’Orient plutôt que de l’agenda des partis politiques ! Pour d’autres, ce ne serait pas le bon moment pour en parler. En vérité, il n’y a jamais de bon moment dans ce pays.

MG : La gauche, mais aussi certains centristes, vous accusent implicitement de faire le jeu du Front National en menant ce genre de débats.

TM : Depuis 1984, c’est en 2007 que le FN a fait son plus faible score. Autrement dit au moment où Nicolas Sarkozy a osé aborder de front un certain nombre de sujets dont Chirac ne voulait pas entendre parler. Alors, on nous traite de populistes : c’est l’accusation permanente de la gauche quand elle sent que le peuple lui échappe. La Droite populaire souhaite justement que le peuple n’échappe pas à la droite. Et pour cela il faut aborder les débats sans crainte et réussir à en sortir concrètement. Pourquoi le débat sur l’identité nationale a-t-il été raté ? C’était une excellente idée. Mais personne ne se souvient des mesures qui ont été annoncées à la sortie par le Premier ministre. Voilà pourquoi les gens s’imaginent que c’était une manœuvre électorale.

MG : Jean-Louis Borloo et les centristes pourraient sortir bientôt de l’UMP, justement pour se distinguer de l’aile dure de la majorité.

TM : Comment expliquer sérieusement que certains, qui se voyaient encore Premier ministre de Nicolas Sarkozy il y a quelques mois, souhaitent aujourd’hui quitter l’UMP ? La politique, c’est aussi une question de dignité et d’honneur. Cela veut aussi dire ne pas partir quand ça tangue.