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Lampedusa n’est qu’un début


photo : Economia

Pour beaucoup de jeunes Tunisiens, la première liberté semble être celle de quitter leur pays. Ainsi, depuis la fuite de Ben Ali le 14 janvier dernier, quelque 20000 d’entre eux ont débarqué à Lampedusa. On imagine aisément que des milliers d’autres rêvent de les imiter. Pour eux, l’île italienne est la porte d’un eldorado. Pour l’Italie, la France et un bon nombre d’autres pays de l’Union européenne, elle est un cauchemar. À l’heure où l’immigration illégale, notamment celle venue des pays arabes et africains est dans toute l’Europe un enjeu politique majeur, cet afflux met tout le monde dans l’embarras. Enfin, surtout de notre côté de la Méditerranée. À Tunis, on semble trouver un malin plaisir dans la contemplation de la pagaille qui, pour une fois, sévit sur l’autre rive.

On comprend que les Européens ne soient pas très à l’aise. Et ils n’ont pas le mode d’emploi. Comment traiter avec un pays qui sort à peine d’une révolution si singulière ? Comment reprocher quoi que ce soit à ceux qui hier nous faisaient tant vibrer, de surcroît quand on a pas mal de turpitudes à se faire pardonner ? Le gouvernement tunisien, lui, voit d’un très bon œil, s’il ne les encourage pas, le départ de dizaines de milliers de ses jeunes. Pour la Tunisie post-benaliste, cette émigration est une soupape essentielle, la seule manière de faire baisser la pression dans cette cocotte-minute qu’est la société locale. Chaque émigré de plus à Lampedusa, c’est un jeune de moins à loger, à employer et, en cas d’échec, à disperser pendant une manifestation. Mieux vaut qu’ils partent maintenant et envoient tous les mois quelques centaines d’euros à leurs familles restées au pays. Plus tard, quand ça ira mieux, on verra.

Silvio Berlusconi, le plus concerné par cette crise pour le moment, s’est donc rendu en Tunisie lundi dernier pour trouver une solution, mais ses interlocuteurs ne se sont pas montrés très coopératifs, peu enclins à lâcher cette arme tombée du ciel. « Si la situation ne vous convient pas, Monsieur le président du Conseil, payez, et on verra ce qu’on peut faire » : voilà en substance la réponse de Tunis, clairement exposée au Cavaliere par le Président par intérim Fouad Mébazzaâ et son Premier ministre Béji Caïd Essebsi.

Berlusconi est un bon client pour un tel chantage car il est pressé. Face à son opinion publique et aux habitants de l’île devenue un symbole – comme l’a compris Marine Le Pen – il doit trouver une solution rapide. Or, tout dépend de la bonne volonté des Tunisiens qui ont les moyens d’empêcher les bateaux de partir. Pas besoin d’être Nelson pour verrouiller à 95 % les côtes tunisiennes. Il suffirait de mener un travail policier classique pour reprendre le contrôle des ports et démanteler les filières. Même dans l’atmosphère post-évolutionnaire, ce n’est pas impossible..
À Tunis on ne l’entend pas ainsi. Si l’Europe, décidément, se montre peu accueillante, à défaut de se débarrasser de ses jeunes surnuméraires auxquels elle n’arrive pas à proposer un avenir décent, autant, pour la Tunisie, monnayer leur retour ! Plus la situation est gênante pour l’Italie, plus elle inquiète la France et d’autres pays, plus ils seront prêts à payer.

Rome s’apprête, paraît-il, à débourser 300 millions d’euros d’aide économique. L’idée de fournir aux Tunisiens des équipements destinés à améliorer le contrôle des côtes a été abandonnée. S’ils ont besoin d’argent, ce n’est pas pour le gaspiller en investissant sur des vedettes de garde-côtes ! Il s’agit, selon Mariana Sereni, vice-présidente de l’Assemblée nationale italienne, de « proposer un projet capable d’offrir une perspective de développement et de travail à ces jeunes Tunisiens dans leur pays et, dans ce cadre, signer avec le gouvernement tunisien un plan raisonnable de rapatriement des immigrés ». Autrement dit, en attendant que le pays crée des emplois réels et économiquement durables, si l’Europe veut que les Tunisiens restent chez eux, elle doit subventionner des « emplois jeunes » en Tunisie. C’est exactement ce que négocie l’Italie, avec un vague accord de Bruxelles. Puisque nous allons payer, il reste à espérer que Tunis ne choisira pas l’option « fromage et désert » en encaissant les chèques et en continuant à fermer les yeux sur le départ de sa jeunesse masculine…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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