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Le supplice chinois du RN

Pour s’attirer les faveurs de Marine Le Pen, Michel Barnier renonce à augmenter les taxes sur l’électricité, s’engage à revoir à la baisse l’AME et annonce pour le début du printemps un projet de loi visant à introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif. La chef de file des députés RN fera savoir lundi si elle revient sur sa décision de censurer le gouvernement ou non. Le RN se place au centre du jeu politique français.


Ce qui se passe entre le Premier ministre et le Rassemblement national, entre Michel Barnier et Marine Le Pen enfin sortie des débats du procès des assistants parlementaires, ne relève-t-il pas du degré zéro de la politique ? On avait cru comprendre qu’une sorte d’empathie initiale avait été exigée par Marine Le Pen et acceptée par Michel Barnier, tout au long de ces mois où le Premier ministre confronté à une tâche extrêmement difficile n’a pu compter que sur le concours irréprochable d’un ministre de l’Intérieur hors du commun. Le citoyen s’est donc étonné de l’absence totale de bienveillance politique concrète de la part du Premier ministre à l’égard du RN. Abstention regrettable dont les conséquences délétères apparaissent ces derniers jours.

Michel Barnier a eu trop de retard à l’allumage, a formulé des propositions et des adoucissements en toute dernière extrémité et Marine Le Pen s’est abandonnée avec une volupté sadique à une stratégie d’humiliation, jusqu’à poser un ultimatum qui expirera le lundi 2 décembre. Du côté du Premier ministre, sur l’électricité et l’AME, on a concédé beaucoup mais je ne suis pas sûr que ce soit jugé suffisant par le RN qui me semble abuser de la position décisive que le jeu parlementaire donne à son groupe.

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Même si LFI n’a véritablement aucune leçon à dispenser, Manuel Bompard n’a pas tort de mettre en cause l’étau ostentatoire dans lequel se place un Premier ministre soumis aux fluctuations et à l’humeur changeante du RN adepte du supplice chinois. Je dénonce ce vaudeville qui serait risible s’il ne se rapportait pas à un pays plongé dans une crise multiforme. Il convient d’en rappeler l’origine qui est à la fois la dissolution absurde décidée par le président et l’état dans lequel celui-ci – à l’exception du registre international où il n’a pas démérité – a laissé se dégrader la France.

J’éprouve d’autant moins de mal à regretter en même temps ce retard et ce sadisme que le premier aurait pu être évité si des mesures jugées pertinentes aujourd’hui avaient été proposées hier et que le second n’est pas digne d’un parti qui a surmonté victorieusement les billevesées sur l’arc républicain où il était sans y être, où il n’était pas tout en y étant. J’ai toujours défendu l’équité politique et parlementaire et jugé choquantes les discriminations à son égard. Mais je ne me résous pas à voir un Premier ministre payer de cette manière, en quémandant trop tard parce qu’il avait été muré avant, un rapport de force constituant le RN comme un bourreau validé par sa victime potentielle.

Face à ce paysage tellement singulier, à ces manœuvres à ciel ouvert, à ce commerce vulgaire montrant aux citoyens, comme pour les dégoûter encore plus, à quel point la politique est sale et la démocratie dévoyée, on en est presque conduit à aspirer à la netteté d’un bouleversement total. Puisque nous sommes confrontés au degré zéro de la politique, pourquoi ne pas repartir d’un bon pied républicain en remettant la politique à zéro ?

Obsession sexuelle

La théorie du genre serait-elle de retour? La presse conservatrice, et d’innombrables rumeurs, s’inquiètent du contenu du futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Le Ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, Alexandre Portier, s’est emporté mercredi, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au gouvernement du Sénat: « Ce programme, en l’état, n’est pas acceptable (…) Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles ».


Tempête en maternelle et en classe primaire. Polémique ardente autour du contenu d’un programme d’instruction sexuelle destiné aux petites têtes blondes. Rien ne presse à cet âge, font observer les plus modérés non sans raison. C’est bien tôt, en effet. D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’on mette autant d’empressement à bien former ces élèves à la lecture, à l’écriture, au calcul et accessoirement à la civilité la plus élémentaire.

Cela dit que l’enfance et la pré-adolescence puissent disposer de davantage de connaissances en ces matières que, par exemple ma génération, pour qui le seul sujet – du moins officiel – touchant au sexe était celui des anges, on peut y souscrire. Toute la question est de savoir à qui on confie cette transmission d’informations et dans le respect de quelle approche, scientifique, clinique, idéologique cela peut et doit se faire. Là semble-t-il, est le problème. Sous couvert d’éducation sexuelle, il apparaît clairement qu’on cherche à distiller un certain nombre de remises en cause d’une réalité biologique qui a au moins pour elle d’être associée à la vie de l’humanité depuis quasiment la nuit des temps. Ne serait-ce que du fait de cette permanence, de cette pérennité, cette bonne vieille réalité ne devrait pas être contestée à la va-vite, balayée d’un revers de main pour laisser la place à la dernière lubie libertaire en vogue. Lubie de mode à qui certes on peut reconnaître le droit d’exister mais qu’on pourrait,  au prix d’un peu de courage intellectuel et moral, de fermeté politique, prier d’attendre la sortie des classes – je veux dire en âge – pour venir semer ses petites graines dont, d’ailleurs, on ne pourra juger la moisson qu’après une génération ou deux. Incertitude « scientifique » qui devrait inciter à la prudence. Et plus encore à l’humilité.

Évidemment, comme toujours, l’intention revendiquée est assez louable. On a entendu sur ce point la ministre, fraîchement assignée à ce poste à quoi pas grand-chose, apparemment, ne la prédisposait jusque-là. Il s’agit selon elle de lutter contre le harcèlement, les violences à caractère sexuel, de promouvoir la culture du consentement, du respect de l’égalité homme-femme, fille-garçon… Tout cela est bel et bon, en effet.

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Mais pourquoi diable cette obsession sexuelle ? Pourquoi s’ingénier à inscrire cela dans cette seule spécificité ? Pourquoi exclusivement dans ce casier particulier : le sexe ? Or, il n’y pas qu’en matière sexuelle que harceler doit être combattu, proscrit. Il n’y a pas non plus que dans ce même domaine qu’il doit être absolument impératif de s’enquérir du consentement de la personne à qui on s’adresse. Dans mille situations de la vie courante cette démarche de courtoisie et de simple bon sens s’impose. Même constat s’agissant de la violence, inadmissible dans maintes et maintes situations de l’existence. Et identique intransigeance de commande face à tous les cas de non-respect de l’égalité garçon-fille ? L’intégralité des activités sociales doivent impérativement être régies par ces principes. Principes qui sont la base même et la richesse de ce que d’aucuns appellent le vivre ensemble, et qui, notons-le, peuvent fort bien être rassemblés sous un seul et même terme, une seule et même vertu : le respect.

Le respect qu’on doit à tous et à chacun et qu’on est en droit d’attendre de tous et de chacun. Voilà ce qu’il faut impérativement enseigner dès la maternelle. Et les moments de la vie sexuelle, le temps venu, auront tout autant de chances que les autres moments de se trouver régis par ce sain et noble principe, oui, le respect.

Mais on n’est pas dupe. On comprend très bien pourquoi à l’Éducation nationale on tient absolument à  ce que ces notions-là soient l’alibi de ce fameux programme. Cela permet de le livrer à des intervenants militants qui viennent en classe prêcher pour leur paroisse, distiller le venin du doute sur le genre de l’enfant, lui ouvrir des perspectives de pratiques plurielles pour l’avenir, etc, etc. J’ai cru comprendre que, dans un de ces documents, on donnait une description assez précise de la fellation. On y préciserait que cela, en terme courant, s’appelle une pipe (Et on se plaindra après cela qu’on n’apprenne pas assez les subtilités de la langue, pardon de la lecture, à nos enfants ! Passons). Pardonnez-moi de passer sous silence les hauts cris moralisateurs qu’on peut entendre par ailleurs. Je me contenterai seulement de prétendre que dévoiler cela à ces bambins n’est guère charitable. C’est les priver de l’émerveillement de la découverte le jour j. En un mot comme en cent, je trouve éminemment regrettable que l’Éducation nationale se permette ainsi de dépoétiser la chose, d’en vulgariser le mystère. Cette chose qui, de ce fait, risque à terme, de n’avoir pas la même saveur que si ce mystère était resté entier. On me pardonnera tant de grivoiserie. Je persiste : je me demande si, bien partis comme ces gens-là le sont, ils ne vont pas établir un programme de travaux pratiques dès la classe de sixième. Leur logique idéologique l’imposerait, me semble-t-il.

Je ne devrais pas plaisanter de la sorte avec cela. J’en ai conscience. Mais à ce degré d’indécence, d’ignominie, on se protège, on se défend comme on peut. Ignominie, oui. Car c’en est une que de chercher à abolir chez l’enfant ce qu’il a de plus précieux et de plus merveilleux, l’enfance, précisément. Et c’est bien ce qu’ils font !

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La Cour Pénale Internationale, une belle idée dévoyée

Entre échecs flagrants et décisions controversées, la CPI semble loin de son ambition initiale de combattre les crimes les plus graves de manière impartiale. Grande analyse.


On doit le projet de Cour Pénale Internationale à deux  juristes juifs dont les familles  s’étaient réfugiées aux Etats-Unis dans l’entre deux guerres, Benjamin Ferencz et Robert Woetzel. Les années 1990 ont ressuscité ce projet car la fin de la guerre froide laissait espérer qu’un tribunal pérenne pourrait punir en toute justice les responsables des pires crimes sans créer au cas par cas des tribunaux  tels que ceux nécessités par les atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Les prédictions de Fukuyama sur l’avènement universel de la démocratie libérale permettaient l’optimisme. 

On sait ce qu’il en est advenu.

Ferencz, qui était hanté par ses souvenirs de procureur principal aux procès des Einsatzgruppen est mort à 103 ans quelques mois avant le 7-Octobre où de nouveau des Juifs, femmes, enfants et vieillards compris, ont été assassiné. Mais ce sont deux Juifs qui depuis la semaine dernière sont portés au pilori par une CPI qui depuis sa création a accumulé les échecs dont certains confinent au grotesque.

Trop aimable, la CPI laisse l’accusation de génocide contre Israël à la CIJ

La CPI a été mise en place en 2002, après que 60 Etats ont ratifié ses statuts. On les appelle « parties au traité de Rome ». Il y en a aujourd’hui 124. On n’y trouve pas les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Turquie, Israël, ni les Etats du Moyen Orient à une exception près, la Palestine.

Dès qu’elle fut acceptée comme Etat observateur à l’ONU, celle-ci a adhéré à la CPI et  a déposé plainte contre Israël. En mars 2021, Mme Fatou Bensouda, alors Procureur à la CPI, annonçait l’ouverture d’une enquête contre Israël. Cette inculpation permet à l’organisation, et à son procureur actuel Karim Khan, de se donner à bon compte une image «universaliste» alors que la CPI avait été accusée par certains de n’enquêter que contre des dirigeants africains.

On rappelle que Mahmoud Abbas a accusé Israël de génocide à grande échelle dès le 10 octobre 2023, trois jours après le 7-Octobre. On rappelle aussi qu’il pense avoir une certaine expérience dans ce domaine depuis la thèse négationniste qu’il a écrite à Moscou il y a une cinquantaine d’années. Mais la CPI n’accuse pas les dirigeants israéliens de génocide. Elle laisse cette question à la CIJ, qui juge les pays et non les individus et qui est sollicitée comme on le sait par l’Afrique du Sud. La CPI enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. A quoi a-t-elle abouti jusqu’à maintenant?

N’étant pas un juriste et n’ayant aucunement la fibre théorique du droit international, j’ai tenté de  mieux appréhender le fonctionnement – et le dysfonctionnement – de la CPI en me reportant aux années du nazisme et en supposant que la CPI aurait existé dans ses statuts d’aujourd’hui, que les Etats européens y avaient adhéré mais que l’Allemagne hitlérienne s’en était retirée, des suppositions non déraisonnables. 

Trois épisodes parmi d’autres dans cette histoire qui n’est pas entièrement une fiction où une telle CPI aurait pu intervenir: la Nuit de Cristal, les camps d’extermination et les bombardements alliés.

Nuit de Cristal, novembre 1938. 1400 synagogues et 7000 commerces détruits, une centaine de Juifs tués, 30 000 envoyés en camp de concentration. Qu’aurait fait la CPI? 

Réponse: rien, puisque ces crimes se sont déroulés sur le territoire d’une Allemagne souveraine et non signataire. 

La Haye. DR.

Aujourd’hui, c’est pourquoi les Ouïghours en Chine, les femmes afghanes et iraniennes, les victimes de Assad en Syrie, les Kurdes de Turquie et les Yezidis en Irak n’ont rien à espérer de la CPI. La CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine puis contre Netanyahu parce que les crimes dont ils sont accusés ont eu lieu soit en Ukraine,  dans un pays qui a sollicité spécifiquement la CPI au sujet des enfants ukrainiens enlevés par les Russes, soit par l’Autorité palestinienne au sujet d’actes commis dans un territoire, Gaza, sur lequel elle a une  théorique souveraineté.

En fait, suivant le principe de complémentarité  la CPI pourrait enquêter sur le territoire d’un Etat non signataire si le Conseil de Sécurité lui en donnait le pouvoir. Il faudrait pour cela une large majorité du Conseil et une unanimité des cinq titulaires du veto. Cela met à l’abri tous les pays dont les relations diplomatiques sont suffisamment étoffées et devient impossible dans un monde de plus en plus clivé. 

Des résultats marginaux

En fait, cette situation s’est produite deux fois,  contre Kadhafi dans les dernières semaines de sa vie (son fils également sous le coup du mandat d’arrêt n’a jamais été livré à la CPI) et surtout contre le président soudanais Omar el-Bechir à la suite des massacres au Darfour: un mandat d’arrêt a été émis en 2009 contre lui. Cela ne l’a pas empêché de bénéficier du soutien des Etats islamiques, de la Russie et de l’Union africaine et de voyager sans risque d’être arrêté dans les pays signataires. S’il est en prison aujourd’hui c’est à cause d’un coup d’Etat qui n’a rien à voir avec la CPI.

D’autres initiatives prises spontanément par le Procureur de la CPI (ce qu’on appelle le «motu proprio») à l’égard de ressortissants de pays signataires, sous le motif que ces pays ne font pas le travail juridique que la CPI juge nécessaire (sous le principe de «complémentarité») ont parfois abouti à des résultats grotesques: le Kenyan Uhuru Kenyatta est mis en accusation par la CPI en 2012 pour des violences qualifiées de crimes contre l’humanité commises à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Cette accusation ne l’empêche pas d’être élu président en 2013 et de se présenter à la convocation de la CPI qui annonce piteusement l’abandon des charges contre lui. 

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Quant à Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire emprisonné par son successeur et livré à la CPI qui le réclamait, il est relâché par la Cour après sept ans de détention préventive, définitivement acquitté après dix ans et est désormais candidat dans son pays pour l’élection présidentielle de 2025. 

De même que en 1938, charbonnier se veut maitre chez soi, la CPI ne peut rien faire à l’intérieur des Etats qui ont rejeté sa juridiction s’ils ont suffisamment de soutiens étrangers et qui peuvent donc exercer des politiques répressives dans leur pays sans interférence de sa part. Elle peut agir à la marge sur des ressortissants d’Etats signataires sans appui international suffisant, situation ne touchant que des Etats faibles et exposant aux échecs pratiques qu’on a vus avec une CPI dénuée de toute possibilité coercitive. Elle peut en revanche à l’occasion d’un conflit considéré comme transfrontalier jeter l’opprobre sur les dirigeants d’un Etat non signataire mis en accusation par son voisin. Comme par hasard Israël est dans cette situation, mais un mandat d’arrêt contre son Premier ministre a un retentissement que n’a pas le même document émis contre un chef d’Etat africain. 

Dans notre schéma d’histoire fiction, que ce serait-il passé si le gouvernement polonais en exil, signataire du traité de l’hypothétique CPI d’avant-guerre avait émis une plainte au sujet du traitement des individus dans les camps placés par l’ennemi allemand sur son territoire? 

Il est aussi à craindre qu’il n’en aurait rien été. La CPI n’avait pas (et n’a pas encore aujourd’hui) les moyens d’effectuer par elle-même une enquête qui aurait été confiée à la Croix Rouge suisse. Etant donné la façon dont celle-ci s’est laissé complaisamment duper à Theresienstadt, elle aurait probablement produit un document anodin et le dossier serait clos.

Si la Croix Rouge suisse avait à l’époque de très solides préjugés à l’égard des Juifs, que peut-on dire, à l’égard d’Israël, des ONG à qui la CPI, dont les moyens propres sont très limités, s’appuie pour émettre ses conclusions?

La CPI ne comprend pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat existentiel

Ce que la CPI reproche avant tout à  MM. Netanyahu et Gallant, c’est la famine à Gaza, plus exactement l’emploi de la famine comme arme de guerre: « war crime of starvation as a method of warfare ». Cette formule est, au mot près, celle qui a été utilisée dès novembre 2023 par une ONG particulièrement virulente à l’égard d’Israel, Human Rights Watch. C’est alors d’ailleurs que le Secrétaire général de l’ONU a pris l’habitude de ses déclarations répétées sur lesquelles l’apocalypse allait frapper Gaza le mois suivant. Or, à l’époque où le Procureur de la CPI clôt son enquête, en mai 2024, la situation alimentaire est plutôt stabilisée, non seulement d’après les services israéliens, mais suivant l’IPC qui est l’organisme de référence mondial en matière d’insécurité alimentaire, et qui admet alors que ses critères de famine ne sont pas présents. 

Dans son document de novembre, la CPI mentionne bien que des camions d’aide alimentaire ont été envoyés à Gaza, mais elle refuse d’en accorder le moindre crédit aux dirigeants israéliens sous prétexte qu’ils ont laissé passer ces camions sous la contrainte des Américains. A aucun moment en outre, la CPI n’évoque les camions pillés par le Hamas et le marché noir qui en résulte, ni les armes cachées dans les camions. Le message unique – et ignoble – qui ressort de son texte est qu’Israël cherche à éliminer la population civile par le biais d’une famine.

Finalement, je m’étais demandé ce qui se serait passé si à l’époque du Débarquement, le gouvernement de Pétain avait déposé plainte devant une CPI pour crimes de guerre contre la population civile normande bombardée par les Alliés. La réponse est simple: elle aurait probablement émis un mandat d’arrêt contre Eisenhower, Churchill et Roosevelt. Une CPI analogue à celle d’aujourd’hui aurait probablement considéré que la guerre contre les nazis n’était justifiable que si elle épargnait les civils. La CPI d’aujourd’hui ne considère en tout cas pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat implacable, existentiel, contre un ennemi qui proclame dans ses textes de base et dans sa propagande quotidienne que sa volonté est de détruire complètement Israël, ce qui en fait un nazisme de notre siècle.

A aucun moment dans son rapport la CPI ne mentionne ni les otages, ni les massacres du 7-Octobre. Ce à quoi on aboutit est la conclusion subliminale que les dirigeants israéliens cherchent avant tout à exterminer la population civile de Gaza et cette abjection est évidemment présentée dans la langue juridique la plus raffinée.

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Aussi infondée qu’elle soit, cette accusation va trouver beaucoup d’oreilles réceptives et détériorer encore l’image, non seulement du Premier ministre israélien. mais celle du pays tout entier. C’est l’objectif réel de ceux qui ont mis en place cette enquête. Il y a aussi les hommes et femmes politiques, qui ont prétendu que l’important était de soutenir la justice internationale et d’appliquer les mandats de la CPI: pas de visites dans nos pays respectueux de leurs engagements internationaux, non seulement pour les accusés, Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, mais peut-être aussi, pour tous ceux que la CPI aurait pu nommer dans des documents gardés secrets: peut-être les chefs militaires israéliens ? Et à ce compte peut-être tous ceux des Israéliens qui ont pu en tant que soldats avoir eu à faire avec ce crime d’extermination d’une population par la famine, qui risqueraient de se faire refouler, voire arrêter dans leurs voyages dans des pays peu favorables à Israël. On ne s’attardera pas sur les messages contradictoires d’Emmanuel Macron tant ils sont désormais banals.

On peut faire beaucoup de reproches aux dirigeants israéliens. On peut ne pas les croire quand ils disent que la situation alimentaire à Gaza est excellente alors qu’il semble établi que la malnutrition progresse dans le nord de Gaza. On ne peut pas cependant croire une seconde que les conclusions de la CPI soient autre chose que des partis pris anti-israéliens, elle qui  n’a incriminé aucun responsable des famines liées à la guerre du Tigré et du Soudan, qui ont fait des centaines de milliers de morts. 

A étudier le minable bilan de la CPI en ses vingt ans d’existence, on se demande s’il faut pleurer devant cet échec flagrant d’un bel espoir, ou rire de ses absurdités. 

Il y a évidemment ce Procureur Général, censé être le parangon des vertus comportementales, empêtré dans une affaire de frasques sexuelles. Il y a aussi, ce qui est encore plus grotesque, ce mandat d’arrêt international délivré contre un cadavre, celui de Mohamed Deif, dont on se doute bien qu’il a été émis pour donner l’hypocrite impression que la justice de la CPI est impartiale: cette mise en équivalence du chef militaire du Hamas et des dirigeants israéliens est obscène.

« Summum jus, summa injuria ». Le droit poussé à l’extrême devient une extrême injustice. Cette phrase célèbre de Cicéron s’applique malheureusement parfaitement  à la CPI, une belle cause dévoyée.

L’étrange limogeage de la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide

La prudence d’Alice Wairimu Nderitu face aux accusations de génocide contre Israël est vraisemblablement l’explication la plus plausible.


L’Organisation des Nations Unies a été fondée le 24 octobre 1945 afin de maintenir la paix et la sécurité dans le monde. On dirait qu’aujourd’hui sa raison d’être principale est de critiquer l’État d’Israël, voire de condamner ce dernier pour le crime de génocide. La dernière action en date allant dans ce sens, c’est le non-renouvellement du contrat de l’actuelle Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu. Cette Kenyane de 56 ans est une experte reconnue dans les domaines des droits humains et de la médiation. Elle est intervenue dans de nombreux pays africains et a travaillé avec le Auschwitz Institute for the Prevention of Genocide and Mass Atrocities (Institut Auschwitz pour la prévention du génocide et des atrocités de masse). Selon le quotidien américain, The Wall Street Journal, dans un article publié le mardi 26 novembre, la Conseillère spéciale, en poste depuis 2020, n’a pas été renouvelée car elle aurait refusé de déclarer que les opérations israéliennes à Gaza constituaient un génocide. Et l’éditorial de poser la question suivante : « Quelqu’un d’intègre peut-il survivre longtemps au sein de l’ONU ? »

Le génocide élusif

L’attitude obstinée d’Alice Nderitu n’aurait pas plu au Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ni au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, l’Autrichien Volker Türk. The Wall Street Journal va jusqu’à affirmer que la Conseillère spéciale aurait été « virée », mais les sources officielles de l’ONU maintiennent que son mandat a tout simplement expiré et – comme d’autres mandats d’experts – ne serait pas prolongé. Pourtant, il est bien possible que la décision de se séparer d’Alice Nderitu ait une motivation politique. Car le 7 février, seize organisations propalestiniennes ont envoyé une lettre à António Guterres pour dénoncer « l’inaction flagrante » de Mme Nderitu face aux « atrocités de masse continues » infligées aux Gazaouis, inaction qui soulèverait des doutes sur « sa capacité à exécuter son mandat avec l’efficacité et l’impartialité nécessaires ». À cette date, la Conseillère spéciale n’avait publié qu’une seule déclaration au sujet de la guerre déclenché par le Hamas. Le 15 octobre, elle avait exprimé son inquiétude quant aux répercussions des événements dans d’autres pays « où la prolifération de discours de haine antisémites et antimusulmans hors ligne et en ligne, ainsi que des violences identitaires, qui seraient inspirées par la situation au Moyen-Orient, ont été signalées ». Il est vrai que cette attitude prudente fait contraste avec celle de la plupart des autres rapporteurs spéciaux et experts indépendants de l’ONU qui, en octobre et novembre 2023, ont condamné Israël publiquement en évoquant un possible génocide. On peut bien imaginer que les lobbys propalestiniens soient furieux que, presque seule, la spécialiste des génocides ne soutienne pas les déclarations de ses collègues.

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Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous

La lettre des seize organisations propalestiniennes a bien entendu été publiée après la procédure engagée le 29 décembre auprès de la Cour de justice internationale de l’ONU par l’Afrique du Sud, accusant Israël de génocide. Là aussi, Alice Nderitu est restée très prudente dans ses paroles, se contentant de faire publier par son bureau une déclaration le 29 octobre qui affirme que « son mandat de prévention ne lui permet de prendre position sur la question de savoir si le crime de génocide ou tout autre crime international spécifique a été commis, ce qui ne peut être déterminé que par un tribunal compétent, indépendant et impartial. À cet égard, la Conseillère spéciale réitère son plein respect pour les procédures en cours à la Cour internationale de Justice ». Ce qui a dû faire rager encore plus les propalestiniens – onusiens et autres – c’est que la Conseillère spéciale, elle-même d’origine africaine, a tiré la sonnette d’alarme quant au risque d’un génocide « semblable à celui du Rwanda » (de 1994) au Soudan où sévit actuellement une guerre civile de la plus grande cruauté qui est très loin d’avoir attiré l’attention médiatique du conflit à Gaza. Mme Nderitu a exprimé son inquiétude au mois de mai cette année, et de nouveau en septembre. Il est fort probable que ceux qui veulent absolument voir un génocide des Palestiniens ne supportent pas la concurrence d’un autre génocide possible en Afrique.

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Le sort d’Alice Nderitu fait contraste avec celui réservé à Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Cette dernière est interviewée régulièrement par les médias occidentaux mainstream et, fin octobre, a pu faire une tournée des Etats-Unis, prenant la parole devant l’ONU à New York et sur différents campus américains. Et ce, en dépit d’une dénonciation pour antisémitisme de la part de l’Ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield. Mme Albanese, qui a publié deux rapports accusant Israël de génocide, dont le dernier date du 1er octobre, a déclaré sur Radio Canada que l’on assiste au « premier génocide colonial diffusé en direct qui a lieu à l’égard du peuple palestinien ». L’ONG suisse UN Watch, dont j’ai récemment interviewé le directeur, Hillel Neuer, a publié les résultats d’une enquête sur Mme Albanese dans un document de 60 pages intitulé « A Wolf in sheep’s clothing » (Un loup déguisé en mouton). Pour le moment, cette rapporteuse spéciale peut continuer à exprimer sa haine d’Israël avec impunité, tandis qu’Alice Nderitu, dont le discernement, l’expertise et les valeurs professionnelles sont inégalées, est éconduite par l’ONU.

Elle aura une source de consolation. Hillel Neuer, de UN Watch, se dit tellement impressionné par son courage, que son organisation serait prête à l’embaucher…

https://twitter.com/HillelNeuer/status/1861647973903474859

L’impartialité dangereuse: quand l’évocation des crimes de gauche devient une faute

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Certains historiens voire certains enseignants ne sont pas de gauche. Nous publions ici le témoignage anonymisé d’un professeur d’histoire-géographie ayant eu le grand tort de ne pas penser « dans les clous » alors qu’il tentait de raconter la guerre d’Espagne à ses élèves…


L’enseignement de l’histoire, lorsqu’il est correctement appréhendé, est un merveilleux outil pour affiner les jugements et développer le sens critique des élèves. L’ouverture d’esprit qui doit en découler est généralement synonyme de tolérance autant que d’esprit de finesse. Au-delà de ma passion pour cette discipline, je fais ce métier pour tenter de transmettre ces précieux outils intellectuels à mes élèves.

Mais il y a quelques semaines, j’ai été personnellement confronté à une situation kafkaïenne qui a renforcé ma conviction que l’institution n’est plus toujours, loin s’en faut, au service de cette Histoire qui élève l’esprit en nous libérant du sectarisme et des préjugés.


Une question m’a taraudé pendant plusieurs années à propos d’une thématique historique bien précise : comment faire comprendre à des élèves de terminale – qui n’ont été instruits sur la guerre civile espagnole que par des professeurs de langue étrangère peu ou mal formés d’un point de vue historique – l’adhésion d’une grande partie de la population au combat franquiste ? Ce questionnement à première vue élémentaire prend en réalité tout son sens lorsqu’on constate qu’après leurs cours d’espagnol extrêmement simplistes sur le sujet, les lycéens croient généralement que Franco est un Hitler espagnol, que les fascistes ont vaincu les démocrates, bref, que le mal a vaincu le bien.

Le rôle d’un professeur d’histoire consiste à essayer de dépasser ces jugements moraux pour atteindre une compréhension aussi claire que possible des événements. C’est loin d’être évident, même lorsqu’il s’agit d’adultes instruits, tant nos esprits sont conditionnés, souvent de façon inconsciente, par des ferments idéologiques.

Donner à connaître les persécutions religieuses qui ont eu lieu avant et pendant la guerre civile m’a semblé un angle d’attaque pertinent. Pour ce faire, j’ai utilisé un texte volontairement violent qui décrivait de quelle manière des membres du clergé régulier avaient été torturés et assassinés par des socialistes radicalisés, des communistes et des anarchistes. Je voulais que mes étudiants, eux-mêmes émus par les violences décrites, puissent envisager l’état de sidération de millions d’Espagnols encore fortement attachés aux traditions et pratiques catholiques. Bien entendu j’ai également expliqué les racines philosophiques et matérielles de cet anticléricalisme virulent pour que les élèves comprennent le point de vue des criminels endoctrinés.

Si une moitié au moins de l’Espagne s’est rangée dans le camp dit « national », ce n’est donc pas parce qu’elle adhérait à des idées fascistes et à un régime politique dont elle ne pouvait imaginer l’évolution future, mais surtout parce qu’elle était effrayée par le projet révolutionnaire d’une grande partie de la gauche qui n’était pas, ou plus, républicaine. L’idée que la guerre civile espagnole a vu s’affronter un camp démocrate et un camp fasciste est un mythe qui a la peau dure tant le déficit de formation est grand chez les professeurs de l’Éducation nationale. Certains prétendent, à juste raison, que le manque de culture historique n’explique qu’en partie la persistance du mythe. Il convient d’y ajouter le prisme idéologique d’une majorité d’universitaires peu enclins à instruire contre « leur camp ».

Ce texte a fortement « choqué » plusieurs élèves.

Pour mettre les choses en perspective, chacun peut se procurer ou parcourir sur internet un manuel d’histoire de terminale pour s’apercevoir que de nombreux documents sont particulièrement brutaux : photos d’enfants nus dans des camps d’extermination en 1945, évocations de tortures dans les régimes communistes ou durant la guerre d’Algérie, etc. Le XXe siècle est suffisamment riche en horreurs pour rendre parfois très glauques les manuels de l’Éducation nationale. C’est ainsi, et il faut le rappeler : choquer ou émouvoir ont des vertus pédagogiques. Un élève n’est pas un robot. Nous devons nous adresser au moins autant à ses affects qu’à son intellect si l’on veut lui faire comprendre des choses importantes. Ainsi nombreux sont les professeurs d’histoire qui projettent des extraits du célèbre film documentaire « De Nuremberg à Nuremberg » dont les images servies par la musique glaciale de Vangelis, sont particulièrement bouleversantes.

En somme, il aura suffi qu’une ou deux de ces élèves aillent exprimer leur vive émotion auprès du Proviseur pour que celui-ci, avant même d’entendre mes explications mais après avoir donné à lire le texte à l’Inspecteur, me place en mesure conservatoire.

Toutefois le plus grave, à mes yeux, advint lors des entretiens avec ce dernier qui par son parcours universitaire ne pouvait ignorer les persécutions religieuses perpétrées par la gauche révolutionnaire espagnole durant les années 1930. De fait, ces persécutions sont considérées comme les plus importantes depuis la Révolution française, du moins en Europe occidentale.

Il m’a été vertement reproché d’avoir mis l’accent sur ces faits notoires mais surtout d’avoir tiré l’article d’un site d’information catholique conservateur où l’auteur écrit régulièrement. Ce dernier pourtant recommandé par des universités françaises, lui-même professeur de faculté d’histoire et auteur de nombreux ouvrages, ne serait pas un « historien » au dire de l’Inspecteur. Plus inquiétant encore, il serait ouvertement antiféministe car au début de l’article dont j’ai extrait le texte pour mes élèves, il critiquait la manière sarcastique dont une célèbre féministe espagnole avait évoqué les viols de nonnes au début de la guerre civile. Cela en dit long sur la manière dont le combat idéologique peut finir par priver le combattant de toute logique élémentaire. Lorsque j’ai questionné mon Inspecteur sur l’historicité des faits décrits, celui-ci s’est contenté de répondre que « là n’était pas la question »…


Tirons, pour conclure, les enseignements de cet épisode qui, heureusement pour moi, se termina par une levée sans sanction de la mesure conservatoire.

Doit-on écarter de nos pratiques pédagogiques tel ou tel historien pourtant soucieux des faits au prétexte qu’il serait ouvertement de droite ? Il s’agirait selon moi d’une faute à la fois méthodologique et déontologique en contradiction avec la laïcité républicaine.

Il est tout à fait significatif que les faits pourtant connus que j’ai étudiés en classe soient très peu mis en avant voire laissés de côté par les historiens classés à gauche. Le piège se referme donc sur les enseignants qui voudraient traiter ces événements tout en acceptant le principe tacite d’ostracisation des chercheurs de droite. C’est ainsi que dans l’immense majorité des cas, les élèves français n’entendent jamais parler de ces crimes dans le cadre scolaire.

Il se trouve que l’un des aspects les plus intéressants de l’enseignement de l’histoire au lycée consiste à faire comprendre que les silences disent au moins autant que les éclairages. L’honnêteté intellectuelle impose de se pencher attentivement sur les angles morts de toutes les écoles historiographiques. En priver des élèves quasiment adultes constitue indéniablement un manquement grave à l’éthique de ma profession.

Qu’il soit encore quasiment impossible, dans l’Espagne actuelle, de débattre sereinement de cette tragédie qu’a été la guerre civile peut se comprendre. Mais nous devons aux élèves français un regard dépassionné qui embrasse les divers points de vue pour comprendre ce qui s’est passé tout en évitant, bien entendu, le piège de la justification des violences. C’est le meilleur rempart contre les dérives liées au fanatisme et l’entretien d’une guerre des mémoires à laquelle théoriquement, en tant que Français, nous n’avons pas à prendre part.

« L’historien n’est pas un juge […] il n’a pas de tabou », ont rappelé les illustres historiens et historiennes signataires de la pétition de 2005 qui pointait les dangers de l’immixtion du politique dans les questions historiques. Ces rappels constituent le socle de toute démarche scientifique visant à éclairer le passé. Il est de notre devoir de l’enseigner aux élèves de lycée, notamment en classe de terminale et surtout s’ils n’ont pas vocation à suivre des études d’histoire !

Concernant, enfin, l’antiféminisme supposé de l’historien qui suffirait à le discréditer non seulement moralement mais aussi professionnellement :  devrait-on donc trier les historiens en fonction d’un « certificat de moralité » et ne convoquer que ceux qui correspondent aux standards de l’historiographie de gauche, piétinant au passage nos principes démocratiques les plus élémentaires ? Ces questions aussi vertigineuses que glaçantes rappellent des heures sombres, très sombres, du siècle passé.

Je n’ose évidemment imaginer que tous les inspecteurs soient – par conviction ou par opportunisme – aussi dogmatiques. Toutefois, la décomplexion de celui qui a traité mon cas tend à me laisser penser qu’il n’a pas agi en franc-tireur. Son assurance autant que sa virulence font sens si l’on admet qu’une pensée systémique est à l’œuvre.

Mon intime conviction est que si le texte étudié avait évoqué des violences franquistes, l’émoi des élèves n’aurait pas été traité de la même manière par ma hiérarchie. Sans doute même que mon inspecteur n’aurait pas daigné se déplacer pour m’invectiver.

Ainsi en va-t-il de ceux qui osent parier, sans pour autant se leurrer sur leur propre objectivité personnelle, sur une forme d’impartialité historique dans l’Éducation nationale.

Harcèlement fiscal et réglementaire: les champions français fragilisés

Les plans sociaux pourraient se multiplier dans l’industrie en France. À l’habituelle menace normative s’ajoute maintenant la menace fiscale, fragilisant dans la compétition internationale jusqu’à nos plus puissants groupes.


Depuis plusieurs semaines, les plans sociaux se multiplient dans les usines françaises. Auchan et Michelin ont déjà annoncé la suppression de milliers d’emplois et selon le nouveau ministre délégué chargé de l’Industrie, Marc Ferracci, « des annonces de fermetures de sites, il y en aura probablement dans les semaines et les mois qui viennent ».  

Conjoncture pas rassurante pour les gros industriels tricolores

À court terme, le secteur automobile est le plus menacé : 32 000 suppressions de postes en Europe ont déjà été annoncées au premier semestre 2024, soit plus que pendant la pandémie de Covid, dans ce secteur qui emploie 1,7 million de salariés en Europe.  Mais plus largement, ce sont tous les champions industriels français qui sont affectés.

Si cette tendance devait se confirmer, ce serait une catastrophe pour les territoires où ces grandes industries jouent un rôle prépondérant sur le plan économique et social. Les usines permettent non seulement de générer directement des milliers d’emplois, mais elles alimentent aussi le tissu économique local grâce aux sous-traitants et partenaires avec lesquels ces entreprises travaillent. Enfin, elles irriguent indirectement les économies locales par des dépenses diverses auprès de commerces et surtout les taxes locales. Un rôle d’autant plus important qu’elles sont souvent implantées dans des territoires où les opportunités économiques sont plus fragiles, et donc fortement dépendants de leur activité. En outre, leur présence historique leur confère un poids social clé au niveau local où plusieurs générations se sont souvent succédé au sein des usines concernées. Aussi, il est plus qu’urgent de prendre des mesures dès maintenant pour permettre aux champions industriels français d’affronter la crise qui se profile. Pourtant, l’actualité n’est guère rassurante.

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Depuis des années, la France et l’Europe ne cessent d’imposer des restrictions de plus en plus nombreuses aux industriels qui contraignent leurs capacités de production et affaissent directement leur compétitivité. Autant de règles auxquelles ne sont pas soumis les concurrents étrangers qui profitent de la situation pour grignoter durablement les parts de marché des acteurs historiques déjà fragilisés par l’explosion du coût des matières premières et de l’énergie.  

Révolution dans l’automobile

Le secteur automobile est un cas d’école. L’électrification à marche forcée du secteur décidée par l’Union européenne a déstabilisé une industrie où l’Europe disposait d’un savoir-faire inégalé dans le monde, mais pas de batteries électriques… Conséquence : Stellantis, Renault ou Valéo sont aujourd’hui en grandes difficultés. 

Et d’autres leaders économiques clés pour la France sont directement ciblés par l’accroissement des normes environnementales, comme CMA CGM dans le domaine du transport et de la logistique, le groupe Seb pour l’électroménager, le groupe Bouygues dans le BTP, TotalEnergie pour l’énergie, etc. Autant d’entreprises dont l’activité pourrait être mise en péril ainsi que les milliers d’emplois qui vont avec.

A cette menace normative s’ajoute maintenant la menace fiscale. Le débat relatif au budget 2025 a fait paniquer le monde des affaires avec l’apparition à l’Assemblée nationale de nouvelles taxes en tout genre qui ont fait grimper la charge fiscale à plus de 35 milliards d’euros contre 10 milliards de hausse prévue à l’origine. Des mesures suicidaires dans un contexte marqué par un marché assez peu dynamique, avec une perspective d’accroissement des coûts en salaires que les entreprises ne peuvent pas maîtriser.  

Si le budget 2025 a finalement été rejeté par l’Assemblée nationale, la menace plane toujours avant son examen par le Sénat qui sera scruté de près par tous les grands industriels. D’autant qu’interrogé sur les plans sociaux en cours, le ministre de l’Economie Antoine Armand n’a pas rassuré en déclarant qu’il serait « probable » qu’il y ait d’autres mauvaises nouvelles économiques « dans le courant des mois à venir ».  On comprend bien que lui, il a les dossiers, et sait que l’année à venir sera très compliquée… Dans ce contexte, il n’est pas certain que son souhait de débloquer en priorité 1,6 milliard d’euros pour décarboner l’industrie soit le signal attendu par les entreprises, petites ou grosses, qui auront besoin de beaucoup plus pour passer la vague. Pas d’aides : mais de dérégulation, de déréglementation, bref, de plus de liberté pour changer de cap et éviter de couler !

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Affaire des assistants du FN: la plaidoirie de l’avocat de Marine Le Pen

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Me Rodolphe Bosselut a notamment montré que sa cliente ne saurait encourir, malgré tous les arguments de l’accusation, une peine complémentaire d’inéligibilité automatique. Et il a estimé que dans le cas où cette peine serait prononcée avec exécution provisoire, on se retrouverait rien moins qu’en présence d’une « arme de destruction massive du jeu démocratique ». Sur le fond de l’affaire, il a, sans surprise, demandé la relaxe de la patronne du RN, « une justiciable comme les autres ».


Pour ce dernier jour d’audience du procès dit « des assistants parlementaires du FN », la salle Victor Hugo est comble. Journalistes, public, et cadres du premier parti de France ont répondu présent pour écouter la plaidoirie de plus de trois heures de Me Bosselut, le conseil de Marine Le Pen. Jean-Lin Lacapelle, Huguette Fatna, Steeve Briois, Bruno et Dominique Bilde, Edwige Diaz, Yoann Gillet, Kévin Pfeffer, Sébastien Chenu, Jean-Baptiste Marly ont pris place dans le public pour soutenir les prévenus, parmi lesquels Julien Odoul, Nicolas Bay, Marie-Christine Arnautu, Nicolas Crochet, Charles van Houtte, Louis Aliot, et Marine Le Pen, bien sûr, assis au premier rang. 

Avec énergie et fluidité, Rodolphe Bosselut commence par saluer ceux qui viennent de partager durant neuf semaines « une forme d’intimité judiciaire », terme qui sera repris par la présidente Bénédicte de Perthuis avant la levée d’audience. Une « sorte de phalanstère », poursuit-il, où « chaque membre de la communauté judiciaire a pour but de cheminer ensemble » sur la voie de la vérité, mais où s’affrontent, déplore-t-il, « deux visions parallèles qui peut-être peuvent apparaître irréconciliables ».

Pour déjouer l’ordalie politique qui s’est abattu sur tous les prévenus, au premier rang desquels sa cliente, l’avocat en appelle « par tous les moyens à en revenir au droit, seul outil qui permet au-delà de la passion, au-delà de la pression des enjeux, au-delà des biais d’interprétation, au-delà des idées préconçues, de replacer les faits dans leur exacte portée ». Me Bosselut assure que la pratique parlementaire reprochée au FN était, entre 2004 à 2016 « banale, anodine, car partagée par tous les partis européens équivalents ne pouvant prétendre à créer un groupe. » Divers cas attestent de cette évidence.

Marine Le Pen n’a jamais contesté les faits, rappelle ensuite son avocat, qui s’étonne du reste que le parquet se soit permis de lui reprocher de faire usage de ses droits judiciaires les plus élémentaires. « Y-a-t-il une quelconque arrogance à se défendre ? », lance-t-il. Et d’affirmer que sa cliente « est venue comme celles et ceux qui se savent innocents. C’est sa force, mais apparemment, c’est son tort aux yeux de l’accusation. » Contre un réquisitoire aux accents politiques (ainsi que l’a mis au jour une parole partisane, prononcée en pleine audience, par la procureur Louise Neyton, disparue du prétoire depuis lors), l’avocat va se pencher en particulier sur deux points : l’éventuelle automaticité de la peine d’inéligibilité puis sa potentielle application provisoire

Une attitude « poncepilatesque »

Tout d’abord, Me Bosselut demande que le caractère automatique de la peine d’inéligibilité encourue par sa cliente, soit exclu. Car, défend-il, les contrats reprochés à Marine Le Pen sont antérieurs à la loi Sapin 2, ce texte, voté en 2016, qui a introduit dans le Code pénal ledit caractère automatique. Pour l’avocat, l’accusation s’est autorisé un glissement temporel injustifié en rattachant les contrats en cause à des événements plus récents. Ils l’ont fait, déplore-t-il, à l’aide d’un tableau, la fameuse annexe 1, jamais mentionnée dans l’ordonnance de renvoi et qui mélange les contrats incriminés avec des contrats ayant obtenus des non-lieux explicites et même des contrats non visés par le renvoi.

Face à la volonté du parquet de charger la barque en élargissant la période de prévention, Me Bosselut rappelle que « l’application rétroactive d’une peine plus sévère est totalement contraire à la loi ». Certes, reconnaît-il clairement à l’adresse des trois juges du tribunal, si en application de la loi en vigueur au moment des faits, « la peine d’inéligibilité est possible, il faudrait que le tribunal correctionnel la motive pour la prononcer. Et ça change tout ! Cela supposerait une démarche positive de votre part, pas simplement une attitude poncepilatesque qui vous permettrait de dire, comme le souhaiterait le parquet : “Je suis désolé, cher Maître, mais dura lex, sed lex, cette peine d’inéligibilité que je prononce est automatique ; je n’ai pas le choix, je n’ai pas à en justifier et à démontrer sa nécessité”. »

«Une arme de destruction massive du jeu démocratique»

Me Bosselut ôte ensuite – symboliquement – sa robe d’avocat pour s’exprimer en simple citoyen. Il veut s’exprimer sur la demande des procureurs qu’une peine d’inéligibilité soit prononcée contre sa cliente avec exécution provisoire, c’est-à-dire sans qu’un appel soit suspensif.  Selon lui, une telle perspective, qui empêcherait Marine Le Pen de se présenter à la prochaine présidentielle, « ressemble à une arme de destruction massive du jeu démocratique. Injuste, disproportionnée, produisant des effets irréparables, elle porte atteinte au vote de plus de 13 millions d’électeurs et au corps électoral dans son entier.»

L’enjeu du verdict de ce procès est de taille pour la chef du premier parti de France et candidate naturelle de son camp à la magistrature suprême. Donnée en tête dans tous les sondages, celle qui pourrait devenir la première femme chef de l’Etat de l’histoire de France, la brillante avocate qui a donné sa vie à la politique, peut-elle être exclue du jeu démocratique par une décision judiciaire disproportionnée par rapport aux faits reprochés ? Cela aurait des conséquences irréparables pour Marine Le Pen elle-même, mais aussi pour la République. Pour Me Bosselut, « l’exécution provisoire viole la présomption d’innocence et a des conséquences irrémédiables » qui révèlerait « une rupture d’égalité devant la justice », « une situation discriminatoire » contraire à la Constitution.

« Une sérieuse inversion de la charge de la preuve »

Ensuite Me Bosselut rentre dans le fond de l’affaire. Parmi les milliers de documents aspirés par l’instruction, note-t-il, « il n’y a eu aucune investigation du travail qui aurait été fait pour le parti ». Et pour cause, « on n’a rien », lâche-t-il.  Ce qui n’empêche par le parquet d’opérer « une sérieuse inversion de la charge de la preuve» en demandant aux prévenus des preuves de leur travail, même des années après, et alors même que le Parlement lui-même écrase ses fichiers. Mais, faut-il le rappeler, « c’est à l’accusation de rapporter qu’un autre travail a été effectué.»

Autre fait baroque dans ce procès, et « c’est du jamais vu ! » de mémoire d’avocats, c’est « de voir le Parquet requérir en se référant à un autre procès », en l’occurrence celui du MoDem, victime collatérale et « hors d’œuvre » des affamés du Parquet contre un fantasmé « système » qui est en vérité plus « un système D » pratiqué par tous les partis n’ayant pas la possibilité de constituer de groupe et d’avoir un staff dédié. Tous les courriels entre les services du Parlement européen témoignent que tous les contrats ont été validés en parfaite application des réglementations alors en vigueur, à savoir les FID (Frais et Indemnité des Députés), Codex et MAS (Mesures d’Applications du Statut) et en étroite collaboration avec les fonctionnaires européens chargés de la délégation française. Mais M. Klethi, directeur financier du Parlement européen, a tenté par tous les moyens de réécrire la réglementation a posteriori. La réalité, c’est qu’ « il n’y a aucune volonté de détourner des fonds mais celle de faire de la politique », cingle l’avocat.

Avant de conclure, Me Bosselut salue la personnalité de Marine Le Pen, dont il fait la connaissance alors qu’ils plaidaient, à peine diplômés, tous les deux aux comparutions immédiates. « Nous nous sommes rencontrés par hasard, il y a 30 ans, sur les bancs de la 23e chambre correctionnelle. Nous étions deux jeunes avocats, et j’ai rencontré quelqu’un de très humain, drôle, intelligent, investi dans sa mission de défense, loin, très loin, du personnage manichéen que des années d’engagement politique ont construit. Nous avons sympathisé et j’ai découvert, en rentrant au cabinet, que mon patron était inquiet d’avoir appris, à la buvette du Palais, que j’avais fait la bise à Marine Le Pen. » Élégant et fidèle, Me Bosselut assume : « Je continue à lui faire la bise. On a les actes de résistance qu’on peut ! »

En point final de sa plaidoirie, Me Bosselut forme le souhait « que, dans ce dossier, Marine Le Pen ne soit pas jugée sur quelque chose qui la dépasse : une détestation, un réflexe quasi pavlovien de rejet de ce qu’elle représente. Je voudrais qu’elle soit une justiciable comme les autres, ne réclamant aucune faveur mais ne méritant aucune défaveur ». La justice et la démocratie sortiraient gagnantes de voir éclore de ces années d’instruction à charge une décision apaisée, juste et sereine s’élevant loin des fracas partisans et des réquisitions ubuesques. Et l’on serait tenté, au sortir de ce voyage de neuf semaines dans la salle Victor Hugo de la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, de rappeler que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité » (Victor Hugo).

Il est bientôt 17H30, l’audience est levée. Le jugement sera rendu le 31 mars 2025 à 10H.

Jamais sans ma vachette

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Sans vachette, c’est non ! Plusieurs villes annoncent qu’elles boycotteront « Intervilles » dans sa version modernisée par Nagui. Beaucoup de Français sont nostalgiques de la France d’avant: cette petite polémique vient nous le rappeler.


La guerre de la vachette aura bien lieu et j’entends y prendre ma part. Comme vous le savez, Nagui sera aux commandes de la version relookée d’Intervilles, jeu créé par Guy Lux en 1962, qui sera diffusée sur France Télévisions en 2025. Mi-novembre, Nagui a annoncé la fin des vachettes : « Nous n’avons pas besoin de cela. Il n’y a plus d’animaux dans les émissions de télévision. Car on connaît leur sensibilité au bruit et à la foule, leur inconfort… Sans parler du risque de blessures pour les humains ». Révolte des villes taurines. Les maires de Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan annoncent qu’ils ne participeront pas à cet ersatz d’Intervilles. Une pétition circule. Le DJ Philippe Corti, qui a participé à l’émission comme animateur musical, refuse de reprendre du service sur ce plateau aseptisé.
Nagui n’en démord pas. Il compte apporter de la « modernité à cette grande kermesse avec diversité, parité et respect de tous les êtres ». Il y aura donc des bovins de mousse avec quelqu’un à l’intérieur. On ne maltraitera pas d’animaux mais des intermittents du spectacle. On respire.

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On dira que toute cette agitation pour un jeu télévisé est un peu excessive. Je ne crois pas. Derrière cette histoire de vachettes, il y a le mépris du bobo parisien, sûr de sa supériorité morale, qui vient expliquer aux « bouseux » qu’ils n’aiment pas leurs bêtes. C’est une totale méconnaissance des traditions locales. La course de vaches landaises, c’est une identité collective dans le Sud-Ouest, un fil qui relie les générations. Les grands esprits parisiens trouvent ça trop populaire, s’énerve Corti. « La vache landaise, elle est sauvage, joueuse, elle s’amuse et c’est typique d’une région, ces espèces vont disparaître à force de normes ! », s’agace-t-il.
L’affaire est aussi typique d’une écologie pour citadins peine-à-jouir. Tout divertissement collectif doit désormais satisfaire aux normes du politiquement correct. Le Tour de France est par exemple trop polluant, et les illuminations de Noël sont trop catholiques (souvenez-vous de la polémique à Nantes, avec Johanna Rolland). Les maires se sont fait une spécialité d’interdire ce qui fait plaisir au populo, en particulier quand ils sont écolos.
Quant à la télévision publique, on dirait vraiment qu’elle s’emploie à nous rééduquer. Au-delà des vachettes, Intervilles c’était bien sûr aussi la télévision d’une époque où des minorités wokisées n’imposaient pas leurs lubies à tout le monde. Alors, rendez-nous Guy Lux, rendez-nous cette France où l’on pouvait faire une blague sur les blondes sans être sanctionné par l’Arcom, et vive la vachette !


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale (99.9 FM Paris)

Révolution française: Emmanuel de Waresquiel dynamite les mythes

Selon le grand historien du XVIIIe siècle, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.


C’est sous l’effet de la peur que l’on prêta serment au Jeu de paume. La Bastille ne fut pas prise, mais s’est rendue aux insurgés. La « machine philosophique » sanctifiée que fut la guillotine ne tarda pas à montrer toute son horreur. Valmy, longtemps célébrée, fut à peine une bataille. Les mythes ont la vie dure. Emmanuel de Waresquiel les dynamite dans un ouvrage captivant. « Que nous dit la Révolution d’elle et de nous-mêmes, dans l’épaisseur de ses mémoires ? » et comment l’instrumentalise-t-on aujourd’hui ? L’historien nous répond.


Causeur. Comment le grand historien de la Révolution que vous êtes a-t-il interprété le « tableau » consacré à Marie-Antoinette lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris ?

Emmanuel de Waresquiel. Nous sommes dans les mythes noirs de la Révolution, les mythes révolutionnaires. Le personnage de Marie-Antoinette est probablement l’un des plus clivants de cette période. Avec Marie-Antoinette, on vit encore la Révolution de l’intérieur, et la Contre-Révolution aussi. D’un côté, elle est la perversité absolue faite femme, elle est traîtresse et complotiste et étrangère et reine – ce qui fait beaucoup ! De l’autre, c’est la sainte et martyre du chemin de croix des Tuileries, de la tour du Temple et de la Conciergerie. Si l’on compare les deux procès, celui de Marie-Antoinette et celui de son mari, elle est beaucoup plus absolutiste que le roi. Elle défend l’absolutisme royal, les droits de son fils et l’Ancien Régime tel qu’il était constitué à l’époque – alors même qu’il ne l’est plus en 1793. Elle est beaucoup plus « claire », et dans un certain sens, beaucoup plus courageuse que son mari. Louis XVI se présente à la Convention en dansant d’un pied sur l’autre, entre le roi constitutionnel qu’il fut jusqu’en 1792 et le roi de droit divin. On ne sait plus très bien quel roi il est, et les constitutionnels hésitent avant de le faire comparaître devant la Convention pour le juger. Marie-Antoinette est infiniment plus tranchée.

Et elle a fait son apparition au milieu de la cérémonie d’ouverture des JO dans le tableau que l’on sait… Par rapport aux intentions du Comité olympique qui sont de mettre en avant les femmes, la concorde, la fraternité universelle, montrer l’épisode le plus tragique et le plus clivant de la Révolution, c’est aller à l’encontre même du message olympique.

Qu’est-ce que cela prouve, selon vous ?

Que la Révolution est encore vivante, que nous sommes encore nourris de ses imaginaires, qu’elle divise toujours la société, pas tant les murs dans lesquels nous habitons, c’est-à-dire les droits de l’homme, mais aussi l’esprit dans la maison : une culture politique très particulière, des affrontements de légitimité permanents dont on ne parvient pas à se débarrasser. De ce point de vue, la prégnance psychologique de la Révolution est patente, vécue de façon plus ou moins consciente par les Français. Et cette passion de l’égalitarisme ! L’obsession égalitaire est un héritage de la Révolution.

Vous écrivez, en substance, que l’un des risques, actuellement, est de faire une lecture téléologique de la Révolution, c’est-à-dire de tenter d’en comprendre le but à partir des résultats. LFI ne se prive pas de cette lecture. Comment l’analysez-vous ?

Ce qui me frappe, me trouble, c’est que cette gauche dont vous parlez se réclame de l’universalisme et, surtout, de l’indivisibilité de la nation, de l’unanimité nationale et en même temps, si j’en crois la note de Terra Nova de 2011, ses membres sont des adeptes forcenés du progressisme identitaire, lequel a une vision du monde tellement tranchée entre les dominés et les dominants, les colonisés et les colonisateurs, les Blancs et les Noirs que le simple fait de parler avec les dominants est un acte de compromission. Dans un certain sens, c’est assez intéressant du point de vue des contradictions de la Révolution elle-même qui prône l’universalisme, l’indivisibilité mais qui, en prônant l’indivisibilité, ne peut pas penser l’opposant autrement qu’en traître ou en étranger. Et en ennemi. Et la guillotine est au bout de ce chemin-là ! La culture de l’affrontement est une culture très française, en lieu et place du compromis « anglo-saxon ».

Autrement dit, les Insoumis réactivent une contradiction fondamentale entre l’indivisibilité d’un côté et, de l’autre, l’opposition entre l’humanité et ses ennemis ?

En effet. Ils se réclament de l’indivisibilité de la nation révolutionnaire et en même temps, leur progressisme identitaire et communautariste, articulé autour du schéma opprimé/oppresseur leur interdit le dialogue. Jean-Luc Mélenchon est totalement habité par la marche du peuple, comme l’a montré son grand discours à la Bastille du 18 mars 2012. Comme d’ailleurs le Comité olympique qui, inspiré par Patrick Boucheron, a calqué le parcours du marathon sur celui de la marche des femmes sur Versailles le 5 octobre 1789 ! Les membres du Comité ont oublié ce qui s’est passé au retour… Les têtes des gardes du corps sont sur les piques des sans-culottes. Bref, voilà une sorte de double contradiction en miroir : celle du principe d’indivisibilité posé en 1789 qui, d’une certaine manière conduit à la Terreur, et celle des rapports de La France insoumise avec les grands principes révolutionnaires dont ils se réclament et qu’ils contredisent à longueur de temps dans leur discours identitaire.

Vous lancez une hypothèse dans votre livre : peut-être ne souhaitons-nous plus nous entretenir des cauchemars du passé – comme s’ils ressemblaient trop à ceux du présent. Talleyrand écrivait : « L’âge des illusions est pour les peuples comme pour les individus l’âge du bonheur. » Les mythes de la Révolution ont la vie dure. Pourquoi ressurgissent-ils aujourd’hui et avec une telle force ?

Raymond Aron a très bien expliqué cela. La question de l’unité nationale, donc celle des grands mythes fondateurs, ressurgit à chaque sortie de crise ou à chaque entrée de crise. C’est très prégnant après la Seconde Guerre mondiale quand on tente de retisser le tissu national – on oublie des choses, on en met d’autres en avant, on pardonne. Ce fut la même histoire au début de la Restauration, sous Louis XVIII : le slogan monarchique de l’époque était « Pardon et Oubli ». Le seul problème, et nous sommes d’accord avec la dialectique de Paul Ricoeur, c’est que pour pardonner, il faut ne pas avoir oublié.

La Révolution française est singulière, écrivez-vous, car elle fut « à la fois politique et sociale, unilatérale, égalitaire, amnésique, ombrageuse et totalisante ». Arrêtons-nous sur chacun de ces termes. D’abord politique et sociale ?

1789 est une guerre civile larvée. Il ne faut pas oublier Furet qui parle du « tournant égalitaire ». C’est une guerre sociale entre les ordres (clergé, noblesse, tiers état) qui fait naître la notion d’ordre privilégié. Et puis la notion de complot aristocratique. Elle est déterminante pour expliquer ce qui s’est passé à Versailles en juin et à Paris en juillet 1789.

Unilatérale ?

Les 17 et 20 juin 1789, le tiers état se constitue en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante sans demander son avis ni au roi, ni aux deux autres ordres du royaume qui, par définition, sont exclus de la représentation de la nation ; ce n’est que par la suite qu’ils vont s’y rallier. La Révolution est aussi totalisante, bien que je préfère le terme absolutiste, car la vision que les révolutionnaires ont de la monarchie (vision traversée de beaucoup de fantasmes) est celle d’une monarchie encore absolue, comme si le roi était tout-puissant, à la tête de son armée et de son administration, alors qu’elles ne le suivent plus depuis belle lurette !

Égalitaire ?

Il s’agit d’égalité civile. Ni politique ni sociale. L’égalité est le terme trouvé par les députés du tiers état pour définir, sur fond de table rase, une société qui ne soit plus organique mais fondée, justement, sur l’individu. C’est le principe du droit naturel.

Amnésique ?

Oui. La Révolution, c’est l’homme régénéré, l’homme nouveau. On veut défaire l’homme de ses anciennes croyances, ce qui conduit aux autodafés des signes de la monarchie, de la féodalité… La Révolution introduit un nouveau rapport au temps : rupture avec le passé. Discours de Rabaut Saint-Étienne à l’Assemblée nationale : « L’Histoire n’est pas notre code ».

Enfin, pourquoi écrivez-vous que la Révolution fut ombrageuse ?

Elle n’est pas si printanière que cela. Elle est faite de rancœurs, de rancunes, de jalousies, de haines. Ma théorie, même si je n’en tire pas les mêmes conclusions que Clemenceau, c’est que « la Révolution est un bloc ». Autrement dit, la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés en 1789.


À lire

Il nous fallait des mythes : la Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours, d’Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 2024.

Il nous fallait des mythes: La Révolution et ses imaginaires. De 1789 à nos jours

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Tanguy de Williencourt, pianiste virtuose sur la trace de Liszt

En concert le 2 décembre, à Paris


Pianiste d’une agilité exceptionnelle, très demandé en festivals et sur les scènes internationales, Tanguy Asselin de Williencourt, 34 ans, a été formé au Conservatoire de Paris (où il enseigne). Il ne craint pas de s’attaquer aux œuvres les plus ardues du répertoire romantique. C’était déjà le cas il y a deux ans, avec son interprétation à la fois magistrale et sensible de César Franck (cf. le CD des œuvres solo et avec orchestre, chez Mirare). 

Itinéraire amoureux lisztien

L’unique, monumentale, impérissable sonate composée par Franz Liszt en 1852-1853 et dédiée à Schumann exige de l’interprète une virtuosité plus éclatante encore. Sommet de la littérature pianistique, à l’ampleur quasi orchestrale et d’une modernité confondante, c’est là sans aucun doute le morceau de bravoure du récital que donnera Tanguy de Williencourt lundi prochain à Paris, dans l’écrin acoustiquement fabuleux de la petite Salle Cortot. Alliant intériorité et puissance expressive, il n’hésite pas à détacher les notes, à jouer à plein les ralentissements du 2ème mouvement andante sostenudo, à articuler avec véhémence l’allegro energico du 3ème mouvement. Aigus perlés, scintillants, accords plaqués avec une sorte de fougue juvénile, j’allais écrire de rage, rondeur et souplesse dans les guirlandes arpégées où le magma sonore se fond…  

A lire aussi, Emmanuel Domont: Maxime d’Aboville, à la vie à la scène!

Ce concert reprendra l’intégralité du quatrième album publié par le pianiste français, disque dédié à Liszt, donc, et qui vient de paraître sous le titre Muses, pour rappeler les idylles et autres liaisons passionnées qui traversent la très longue vie du compositeur : de la comtesse Marie d’Agoult à la baronne Olga von Meyendorff, en passant par la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, à qui l’on doit précisément la création de la fameuse Sonate en si mineur, ou des si délicates Harmonies Poétiques et Religieuses, dont un des extraits les plus inspirés reste Bénédiction de Dieu dans la Solitude, pièce d’un recueillement à la mélodie inoubliable, écrit dans la maturité du maître devenu abbé… Liebestraum n°3 « rêve d’amour », Au lac de Wallenstadt, Au bord d’une source et Vallée d’Obermann complètent cet itinéraire lisztien au prisme de sa vie amoureuse…

Un nom à retenir

Conseillée par l’immense pianiste Maria João Pires, Tanguy de Williencourt a aussi subi l’influence du pianofortiste Badura-Skoda, et cela se sent dans son phrasé tout à la fois très articulé, comme suspendu et à la sonorité somptueusement colorée. Tenté par la direction d’orchestre, chef assistant à l’Opéra de Paris et au Staatsoper de Vienne en tant que chef de chant sur différentes productions lyriques, Tanguy de Williencourt est également directeur artistique du festival Tempo Le Croisic : le 6 décembre, il en présentera la prochaine édition ( u 29 mai au 1er juin 2025).

Autant le dire, le nom de ce jeune artiste très complet est à retenir : Tanguy de Williencourt, ça ne s’oublie pas.


Récital de piano :  Muses. Œuvres de Franz Liszt. Par Tanguy de Williencourt. Salle Cortot, Paris. Lundi 2 décembre, 20h.  

Récital donné à l’occasion de la sortie du CD Muses, par Tanguy de Williencourt.  Mirare prod.

Le supplice chinois du RN

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Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, 28 novembre 2024 © OLIVIER JUSZCZAK/SIPA

Pour s’attirer les faveurs de Marine Le Pen, Michel Barnier renonce à augmenter les taxes sur l’électricité, s’engage à revoir à la baisse l’AME et annonce pour le début du printemps un projet de loi visant à introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif. La chef de file des députés RN fera savoir lundi si elle revient sur sa décision de censurer le gouvernement ou non. Le RN se place au centre du jeu politique français.


Ce qui se passe entre le Premier ministre et le Rassemblement national, entre Michel Barnier et Marine Le Pen enfin sortie des débats du procès des assistants parlementaires, ne relève-t-il pas du degré zéro de la politique ? On avait cru comprendre qu’une sorte d’empathie initiale avait été exigée par Marine Le Pen et acceptée par Michel Barnier, tout au long de ces mois où le Premier ministre confronté à une tâche extrêmement difficile n’a pu compter que sur le concours irréprochable d’un ministre de l’Intérieur hors du commun. Le citoyen s’est donc étonné de l’absence totale de bienveillance politique concrète de la part du Premier ministre à l’égard du RN. Abstention regrettable dont les conséquences délétères apparaissent ces derniers jours.

Michel Barnier a eu trop de retard à l’allumage, a formulé des propositions et des adoucissements en toute dernière extrémité et Marine Le Pen s’est abandonnée avec une volupté sadique à une stratégie d’humiliation, jusqu’à poser un ultimatum qui expirera le lundi 2 décembre. Du côté du Premier ministre, sur l’électricité et l’AME, on a concédé beaucoup mais je ne suis pas sûr que ce soit jugé suffisant par le RN qui me semble abuser de la position décisive que le jeu parlementaire donne à son groupe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Michel Barnier et la tempête qui vient

Même si LFI n’a véritablement aucune leçon à dispenser, Manuel Bompard n’a pas tort de mettre en cause l’étau ostentatoire dans lequel se place un Premier ministre soumis aux fluctuations et à l’humeur changeante du RN adepte du supplice chinois. Je dénonce ce vaudeville qui serait risible s’il ne se rapportait pas à un pays plongé dans une crise multiforme. Il convient d’en rappeler l’origine qui est à la fois la dissolution absurde décidée par le président et l’état dans lequel celui-ci – à l’exception du registre international où il n’a pas démérité – a laissé se dégrader la France.

J’éprouve d’autant moins de mal à regretter en même temps ce retard et ce sadisme que le premier aurait pu être évité si des mesures jugées pertinentes aujourd’hui avaient été proposées hier et que le second n’est pas digne d’un parti qui a surmonté victorieusement les billevesées sur l’arc républicain où il était sans y être, où il n’était pas tout en y étant. J’ai toujours défendu l’équité politique et parlementaire et jugé choquantes les discriminations à son égard. Mais je ne me résous pas à voir un Premier ministre payer de cette manière, en quémandant trop tard parce qu’il avait été muré avant, un rapport de force constituant le RN comme un bourreau validé par sa victime potentielle.

Face à ce paysage tellement singulier, à ces manœuvres à ciel ouvert, à ce commerce vulgaire montrant aux citoyens, comme pour les dégoûter encore plus, à quel point la politique est sale et la démocratie dévoyée, on en est presque conduit à aspirer à la netteté d’un bouleversement total. Puisque nous sommes confrontés au degré zéro de la politique, pourquoi ne pas repartir d’un bon pied républicain en remettant la politique à zéro ?

Obsession sexuelle

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Alexandre Portier et Anne Genetet, Paris, 23 septembre 2024 © J.E.E/SIPA

La théorie du genre serait-elle de retour? La presse conservatrice, et d’innombrables rumeurs, s’inquiètent du contenu du futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Le Ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, Alexandre Portier, s’est emporté mercredi, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au gouvernement du Sénat: « Ce programme, en l’état, n’est pas acceptable (…) Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles ».


Tempête en maternelle et en classe primaire. Polémique ardente autour du contenu d’un programme d’instruction sexuelle destiné aux petites têtes blondes. Rien ne presse à cet âge, font observer les plus modérés non sans raison. C’est bien tôt, en effet. D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’on mette autant d’empressement à bien former ces élèves à la lecture, à l’écriture, au calcul et accessoirement à la civilité la plus élémentaire.

Cela dit que l’enfance et la pré-adolescence puissent disposer de davantage de connaissances en ces matières que, par exemple ma génération, pour qui le seul sujet – du moins officiel – touchant au sexe était celui des anges, on peut y souscrire. Toute la question est de savoir à qui on confie cette transmission d’informations et dans le respect de quelle approche, scientifique, clinique, idéologique cela peut et doit se faire. Là semble-t-il, est le problème. Sous couvert d’éducation sexuelle, il apparaît clairement qu’on cherche à distiller un certain nombre de remises en cause d’une réalité biologique qui a au moins pour elle d’être associée à la vie de l’humanité depuis quasiment la nuit des temps. Ne serait-ce que du fait de cette permanence, de cette pérennité, cette bonne vieille réalité ne devrait pas être contestée à la va-vite, balayée d’un revers de main pour laisser la place à la dernière lubie libertaire en vogue. Lubie de mode à qui certes on peut reconnaître le droit d’exister mais qu’on pourrait,  au prix d’un peu de courage intellectuel et moral, de fermeté politique, prier d’attendre la sortie des classes – je veux dire en âge – pour venir semer ses petites graines dont, d’ailleurs, on ne pourra juger la moisson qu’après une génération ou deux. Incertitude « scientifique » qui devrait inciter à la prudence. Et plus encore à l’humilité.

Évidemment, comme toujours, l’intention revendiquée est assez louable. On a entendu sur ce point la ministre, fraîchement assignée à ce poste à quoi pas grand-chose, apparemment, ne la prédisposait jusque-là. Il s’agit selon elle de lutter contre le harcèlement, les violences à caractère sexuel, de promouvoir la culture du consentement, du respect de l’égalité homme-femme, fille-garçon… Tout cela est bel et bon, en effet.

A lire aussi, Céline Pina: Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

Mais pourquoi diable cette obsession sexuelle ? Pourquoi s’ingénier à inscrire cela dans cette seule spécificité ? Pourquoi exclusivement dans ce casier particulier : le sexe ? Or, il n’y pas qu’en matière sexuelle que harceler doit être combattu, proscrit. Il n’y a pas non plus que dans ce même domaine qu’il doit être absolument impératif de s’enquérir du consentement de la personne à qui on s’adresse. Dans mille situations de la vie courante cette démarche de courtoisie et de simple bon sens s’impose. Même constat s’agissant de la violence, inadmissible dans maintes et maintes situations de l’existence. Et identique intransigeance de commande face à tous les cas de non-respect de l’égalité garçon-fille ? L’intégralité des activités sociales doivent impérativement être régies par ces principes. Principes qui sont la base même et la richesse de ce que d’aucuns appellent le vivre ensemble, et qui, notons-le, peuvent fort bien être rassemblés sous un seul et même terme, une seule et même vertu : le respect.

Le respect qu’on doit à tous et à chacun et qu’on est en droit d’attendre de tous et de chacun. Voilà ce qu’il faut impérativement enseigner dès la maternelle. Et les moments de la vie sexuelle, le temps venu, auront tout autant de chances que les autres moments de se trouver régis par ce sain et noble principe, oui, le respect.

Mais on n’est pas dupe. On comprend très bien pourquoi à l’Éducation nationale on tient absolument à  ce que ces notions-là soient l’alibi de ce fameux programme. Cela permet de le livrer à des intervenants militants qui viennent en classe prêcher pour leur paroisse, distiller le venin du doute sur le genre de l’enfant, lui ouvrir des perspectives de pratiques plurielles pour l’avenir, etc, etc. J’ai cru comprendre que, dans un de ces documents, on donnait une description assez précise de la fellation. On y préciserait que cela, en terme courant, s’appelle une pipe (Et on se plaindra après cela qu’on n’apprenne pas assez les subtilités de la langue, pardon de la lecture, à nos enfants ! Passons). Pardonnez-moi de passer sous silence les hauts cris moralisateurs qu’on peut entendre par ailleurs. Je me contenterai seulement de prétendre que dévoiler cela à ces bambins n’est guère charitable. C’est les priver de l’émerveillement de la découverte le jour j. En un mot comme en cent, je trouve éminemment regrettable que l’Éducation nationale se permette ainsi de dépoétiser la chose, d’en vulgariser le mystère. Cette chose qui, de ce fait, risque à terme, de n’avoir pas la même saveur que si ce mystère était resté entier. On me pardonnera tant de grivoiserie. Je persiste : je me demande si, bien partis comme ces gens-là le sont, ils ne vont pas établir un programme de travaux pratiques dès la classe de sixième. Leur logique idéologique l’imposerait, me semble-t-il.

Je ne devrais pas plaisanter de la sorte avec cela. J’en ai conscience. Mais à ce degré d’indécence, d’ignominie, on se protège, on se défend comme on peut. Ignominie, oui. Car c’en est une que de chercher à abolir chez l’enfant ce qu’il a de plus précieux et de plus merveilleux, l’enfance, précisément. Et c’est bien ce qu’ils font !

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La Cour Pénale Internationale, une belle idée dévoyée

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Le 21 novembre 2024, la Cour Pénale International a émis un mandat d'ârrêt contre Benyamin Netanyahou (photo) et Yoav Gallant © Yassine Mahjoub/SIPA

Entre échecs flagrants et décisions controversées, la CPI semble loin de son ambition initiale de combattre les crimes les plus graves de manière impartiale. Grande analyse.


On doit le projet de Cour Pénale Internationale à deux  juristes juifs dont les familles  s’étaient réfugiées aux Etats-Unis dans l’entre deux guerres, Benjamin Ferencz et Robert Woetzel. Les années 1990 ont ressuscité ce projet car la fin de la guerre froide laissait espérer qu’un tribunal pérenne pourrait punir en toute justice les responsables des pires crimes sans créer au cas par cas des tribunaux  tels que ceux nécessités par les atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Les prédictions de Fukuyama sur l’avènement universel de la démocratie libérale permettaient l’optimisme. 

On sait ce qu’il en est advenu.

Ferencz, qui était hanté par ses souvenirs de procureur principal aux procès des Einsatzgruppen est mort à 103 ans quelques mois avant le 7-Octobre où de nouveau des Juifs, femmes, enfants et vieillards compris, ont été assassiné. Mais ce sont deux Juifs qui depuis la semaine dernière sont portés au pilori par une CPI qui depuis sa création a accumulé les échecs dont certains confinent au grotesque.

Trop aimable, la CPI laisse l’accusation de génocide contre Israël à la CIJ

La CPI a été mise en place en 2002, après que 60 Etats ont ratifié ses statuts. On les appelle « parties au traité de Rome ». Il y en a aujourd’hui 124. On n’y trouve pas les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Turquie, Israël, ni les Etats du Moyen Orient à une exception près, la Palestine.

Dès qu’elle fut acceptée comme Etat observateur à l’ONU, celle-ci a adhéré à la CPI et  a déposé plainte contre Israël. En mars 2021, Mme Fatou Bensouda, alors Procureur à la CPI, annonçait l’ouverture d’une enquête contre Israël. Cette inculpation permet à l’organisation, et à son procureur actuel Karim Khan, de se donner à bon compte une image «universaliste» alors que la CPI avait été accusée par certains de n’enquêter que contre des dirigeants africains.

On rappelle que Mahmoud Abbas a accusé Israël de génocide à grande échelle dès le 10 octobre 2023, trois jours après le 7-Octobre. On rappelle aussi qu’il pense avoir une certaine expérience dans ce domaine depuis la thèse négationniste qu’il a écrite à Moscou il y a une cinquantaine d’années. Mais la CPI n’accuse pas les dirigeants israéliens de génocide. Elle laisse cette question à la CIJ, qui juge les pays et non les individus et qui est sollicitée comme on le sait par l’Afrique du Sud. La CPI enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. A quoi a-t-elle abouti jusqu’à maintenant?

N’étant pas un juriste et n’ayant aucunement la fibre théorique du droit international, j’ai tenté de  mieux appréhender le fonctionnement – et le dysfonctionnement – de la CPI en me reportant aux années du nazisme et en supposant que la CPI aurait existé dans ses statuts d’aujourd’hui, que les Etats européens y avaient adhéré mais que l’Allemagne hitlérienne s’en était retirée, des suppositions non déraisonnables. 

Trois épisodes parmi d’autres dans cette histoire qui n’est pas entièrement une fiction où une telle CPI aurait pu intervenir: la Nuit de Cristal, les camps d’extermination et les bombardements alliés.

Nuit de Cristal, novembre 1938. 1400 synagogues et 7000 commerces détruits, une centaine de Juifs tués, 30 000 envoyés en camp de concentration. Qu’aurait fait la CPI? 

Réponse: rien, puisque ces crimes se sont déroulés sur le territoire d’une Allemagne souveraine et non signataire. 

La Haye. DR.

Aujourd’hui, c’est pourquoi les Ouïghours en Chine, les femmes afghanes et iraniennes, les victimes de Assad en Syrie, les Kurdes de Turquie et les Yezidis en Irak n’ont rien à espérer de la CPI. La CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine puis contre Netanyahu parce que les crimes dont ils sont accusés ont eu lieu soit en Ukraine,  dans un pays qui a sollicité spécifiquement la CPI au sujet des enfants ukrainiens enlevés par les Russes, soit par l’Autorité palestinienne au sujet d’actes commis dans un territoire, Gaza, sur lequel elle a une  théorique souveraineté.

En fait, suivant le principe de complémentarité  la CPI pourrait enquêter sur le territoire d’un Etat non signataire si le Conseil de Sécurité lui en donnait le pouvoir. Il faudrait pour cela une large majorité du Conseil et une unanimité des cinq titulaires du veto. Cela met à l’abri tous les pays dont les relations diplomatiques sont suffisamment étoffées et devient impossible dans un monde de plus en plus clivé. 

Des résultats marginaux

En fait, cette situation s’est produite deux fois,  contre Kadhafi dans les dernières semaines de sa vie (son fils également sous le coup du mandat d’arrêt n’a jamais été livré à la CPI) et surtout contre le président soudanais Omar el-Bechir à la suite des massacres au Darfour: un mandat d’arrêt a été émis en 2009 contre lui. Cela ne l’a pas empêché de bénéficier du soutien des Etats islamiques, de la Russie et de l’Union africaine et de voyager sans risque d’être arrêté dans les pays signataires. S’il est en prison aujourd’hui c’est à cause d’un coup d’Etat qui n’a rien à voir avec la CPI.

D’autres initiatives prises spontanément par le Procureur de la CPI (ce qu’on appelle le «motu proprio») à l’égard de ressortissants de pays signataires, sous le motif que ces pays ne font pas le travail juridique que la CPI juge nécessaire (sous le principe de «complémentarité») ont parfois abouti à des résultats grotesques: le Kenyan Uhuru Kenyatta est mis en accusation par la CPI en 2012 pour des violences qualifiées de crimes contre l’humanité commises à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Cette accusation ne l’empêche pas d’être élu président en 2013 et de se présenter à la convocation de la CPI qui annonce piteusement l’abandon des charges contre lui. 

A lire ensuite, Gil Mihaely: Trêve au Liban: l’Iran a perdu la bataille, Israël n’a pas encore gagné la guerre

Quant à Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire emprisonné par son successeur et livré à la CPI qui le réclamait, il est relâché par la Cour après sept ans de détention préventive, définitivement acquitté après dix ans et est désormais candidat dans son pays pour l’élection présidentielle de 2025. 

De même que en 1938, charbonnier se veut maitre chez soi, la CPI ne peut rien faire à l’intérieur des Etats qui ont rejeté sa juridiction s’ils ont suffisamment de soutiens étrangers et qui peuvent donc exercer des politiques répressives dans leur pays sans interférence de sa part. Elle peut agir à la marge sur des ressortissants d’Etats signataires sans appui international suffisant, situation ne touchant que des Etats faibles et exposant aux échecs pratiques qu’on a vus avec une CPI dénuée de toute possibilité coercitive. Elle peut en revanche à l’occasion d’un conflit considéré comme transfrontalier jeter l’opprobre sur les dirigeants d’un Etat non signataire mis en accusation par son voisin. Comme par hasard Israël est dans cette situation, mais un mandat d’arrêt contre son Premier ministre a un retentissement que n’a pas le même document émis contre un chef d’Etat africain. 

Dans notre schéma d’histoire fiction, que ce serait-il passé si le gouvernement polonais en exil, signataire du traité de l’hypothétique CPI d’avant-guerre avait émis une plainte au sujet du traitement des individus dans les camps placés par l’ennemi allemand sur son territoire? 

Il est aussi à craindre qu’il n’en aurait rien été. La CPI n’avait pas (et n’a pas encore aujourd’hui) les moyens d’effectuer par elle-même une enquête qui aurait été confiée à la Croix Rouge suisse. Etant donné la façon dont celle-ci s’est laissé complaisamment duper à Theresienstadt, elle aurait probablement produit un document anodin et le dossier serait clos.

Si la Croix Rouge suisse avait à l’époque de très solides préjugés à l’égard des Juifs, que peut-on dire, à l’égard d’Israël, des ONG à qui la CPI, dont les moyens propres sont très limités, s’appuie pour émettre ses conclusions?

La CPI ne comprend pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat existentiel

Ce que la CPI reproche avant tout à  MM. Netanyahu et Gallant, c’est la famine à Gaza, plus exactement l’emploi de la famine comme arme de guerre: « war crime of starvation as a method of warfare ». Cette formule est, au mot près, celle qui a été utilisée dès novembre 2023 par une ONG particulièrement virulente à l’égard d’Israel, Human Rights Watch. C’est alors d’ailleurs que le Secrétaire général de l’ONU a pris l’habitude de ses déclarations répétées sur lesquelles l’apocalypse allait frapper Gaza le mois suivant. Or, à l’époque où le Procureur de la CPI clôt son enquête, en mai 2024, la situation alimentaire est plutôt stabilisée, non seulement d’après les services israéliens, mais suivant l’IPC qui est l’organisme de référence mondial en matière d’insécurité alimentaire, et qui admet alors que ses critères de famine ne sont pas présents. 

Dans son document de novembre, la CPI mentionne bien que des camions d’aide alimentaire ont été envoyés à Gaza, mais elle refuse d’en accorder le moindre crédit aux dirigeants israéliens sous prétexte qu’ils ont laissé passer ces camions sous la contrainte des Américains. A aucun moment en outre, la CPI n’évoque les camions pillés par le Hamas et le marché noir qui en résulte, ni les armes cachées dans les camions. Le message unique – et ignoble – qui ressort de son texte est qu’Israël cherche à éliminer la population civile par le biais d’une famine.

Finalement, je m’étais demandé ce qui se serait passé si à l’époque du Débarquement, le gouvernement de Pétain avait déposé plainte devant une CPI pour crimes de guerre contre la population civile normande bombardée par les Alliés. La réponse est simple: elle aurait probablement émis un mandat d’arrêt contre Eisenhower, Churchill et Roosevelt. Une CPI analogue à celle d’aujourd’hui aurait probablement considéré que la guerre contre les nazis n’était justifiable que si elle épargnait les civils. La CPI d’aujourd’hui ne considère en tout cas pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat implacable, existentiel, contre un ennemi qui proclame dans ses textes de base et dans sa propagande quotidienne que sa volonté est de détruire complètement Israël, ce qui en fait un nazisme de notre siècle.

A aucun moment dans son rapport la CPI ne mentionne ni les otages, ni les massacres du 7-Octobre. Ce à quoi on aboutit est la conclusion subliminale que les dirigeants israéliens cherchent avant tout à exterminer la population civile de Gaza et cette abjection est évidemment présentée dans la langue juridique la plus raffinée.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: L’étrange limogeage de la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide

Aussi infondée qu’elle soit, cette accusation va trouver beaucoup d’oreilles réceptives et détériorer encore l’image, non seulement du Premier ministre israélien. mais celle du pays tout entier. C’est l’objectif réel de ceux qui ont mis en place cette enquête. Il y a aussi les hommes et femmes politiques, qui ont prétendu que l’important était de soutenir la justice internationale et d’appliquer les mandats de la CPI: pas de visites dans nos pays respectueux de leurs engagements internationaux, non seulement pour les accusés, Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, mais peut-être aussi, pour tous ceux que la CPI aurait pu nommer dans des documents gardés secrets: peut-être les chefs militaires israéliens ? Et à ce compte peut-être tous ceux des Israéliens qui ont pu en tant que soldats avoir eu à faire avec ce crime d’extermination d’une population par la famine, qui risqueraient de se faire refouler, voire arrêter dans leurs voyages dans des pays peu favorables à Israël. On ne s’attardera pas sur les messages contradictoires d’Emmanuel Macron tant ils sont désormais banals.

On peut faire beaucoup de reproches aux dirigeants israéliens. On peut ne pas les croire quand ils disent que la situation alimentaire à Gaza est excellente alors qu’il semble établi que la malnutrition progresse dans le nord de Gaza. On ne peut pas cependant croire une seconde que les conclusions de la CPI soient autre chose que des partis pris anti-israéliens, elle qui  n’a incriminé aucun responsable des famines liées à la guerre du Tigré et du Soudan, qui ont fait des centaines de milliers de morts. 

A étudier le minable bilan de la CPI en ses vingt ans d’existence, on se demande s’il faut pleurer devant cet échec flagrant d’un bel espoir, ou rire de ses absurdités. 

Il y a évidemment ce Procureur Général, censé être le parangon des vertus comportementales, empêtré dans une affaire de frasques sexuelles. Il y a aussi, ce qui est encore plus grotesque, ce mandat d’arrêt international délivré contre un cadavre, celui de Mohamed Deif, dont on se doute bien qu’il a été émis pour donner l’hypocrite impression que la justice de la CPI est impartiale: cette mise en équivalence du chef militaire du Hamas et des dirigeants israéliens est obscène.

« Summum jus, summa injuria ». Le droit poussé à l’extrême devient une extrême injustice. Cette phrase célèbre de Cicéron s’applique malheureusement parfaitement  à la CPI, une belle cause dévoyée.

L’étrange limogeage de la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide

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Alice Wairimu Nderitu, ONU, New York, juillet 2024 © Lev Radin/ZUMA Press Wire/Shutte/SIPA

La prudence d’Alice Wairimu Nderitu face aux accusations de génocide contre Israël est vraisemblablement l’explication la plus plausible.


L’Organisation des Nations Unies a été fondée le 24 octobre 1945 afin de maintenir la paix et la sécurité dans le monde. On dirait qu’aujourd’hui sa raison d’être principale est de critiquer l’État d’Israël, voire de condamner ce dernier pour le crime de génocide. La dernière action en date allant dans ce sens, c’est le non-renouvellement du contrat de l’actuelle Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu. Cette Kenyane de 56 ans est une experte reconnue dans les domaines des droits humains et de la médiation. Elle est intervenue dans de nombreux pays africains et a travaillé avec le Auschwitz Institute for the Prevention of Genocide and Mass Atrocities (Institut Auschwitz pour la prévention du génocide et des atrocités de masse). Selon le quotidien américain, The Wall Street Journal, dans un article publié le mardi 26 novembre, la Conseillère spéciale, en poste depuis 2020, n’a pas été renouvelée car elle aurait refusé de déclarer que les opérations israéliennes à Gaza constituaient un génocide. Et l’éditorial de poser la question suivante : « Quelqu’un d’intègre peut-il survivre longtemps au sein de l’ONU ? »

Le génocide élusif

L’attitude obstinée d’Alice Nderitu n’aurait pas plu au Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ni au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, l’Autrichien Volker Türk. The Wall Street Journal va jusqu’à affirmer que la Conseillère spéciale aurait été « virée », mais les sources officielles de l’ONU maintiennent que son mandat a tout simplement expiré et – comme d’autres mandats d’experts – ne serait pas prolongé. Pourtant, il est bien possible que la décision de se séparer d’Alice Nderitu ait une motivation politique. Car le 7 février, seize organisations propalestiniennes ont envoyé une lettre à António Guterres pour dénoncer « l’inaction flagrante » de Mme Nderitu face aux « atrocités de masse continues » infligées aux Gazaouis, inaction qui soulèverait des doutes sur « sa capacité à exécuter son mandat avec l’efficacité et l’impartialité nécessaires ». À cette date, la Conseillère spéciale n’avait publié qu’une seule déclaration au sujet de la guerre déclenché par le Hamas. Le 15 octobre, elle avait exprimé son inquiétude quant aux répercussions des événements dans d’autres pays « où la prolifération de discours de haine antisémites et antimusulmans hors ligne et en ligne, ainsi que des violences identitaires, qui seraient inspirées par la situation au Moyen-Orient, ont été signalées ». Il est vrai que cette attitude prudente fait contraste avec celle de la plupart des autres rapporteurs spéciaux et experts indépendants de l’ONU qui, en octobre et novembre 2023, ont condamné Israël publiquement en évoquant un possible génocide. On peut bien imaginer que les lobbys propalestiniens soient furieux que, presque seule, la spécialiste des génocides ne soutienne pas les déclarations de ses collègues.

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Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous

La lettre des seize organisations propalestiniennes a bien entendu été publiée après la procédure engagée le 29 décembre auprès de la Cour de justice internationale de l’ONU par l’Afrique du Sud, accusant Israël de génocide. Là aussi, Alice Nderitu est restée très prudente dans ses paroles, se contentant de faire publier par son bureau une déclaration le 29 octobre qui affirme que « son mandat de prévention ne lui permet de prendre position sur la question de savoir si le crime de génocide ou tout autre crime international spécifique a été commis, ce qui ne peut être déterminé que par un tribunal compétent, indépendant et impartial. À cet égard, la Conseillère spéciale réitère son plein respect pour les procédures en cours à la Cour internationale de Justice ». Ce qui a dû faire rager encore plus les propalestiniens – onusiens et autres – c’est que la Conseillère spéciale, elle-même d’origine africaine, a tiré la sonnette d’alarme quant au risque d’un génocide « semblable à celui du Rwanda » (de 1994) au Soudan où sévit actuellement une guerre civile de la plus grande cruauté qui est très loin d’avoir attiré l’attention médiatique du conflit à Gaza. Mme Nderitu a exprimé son inquiétude au mois de mai cette année, et de nouveau en septembre. Il est fort probable que ceux qui veulent absolument voir un génocide des Palestiniens ne supportent pas la concurrence d’un autre génocide possible en Afrique.

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Le sort d’Alice Nderitu fait contraste avec celui réservé à Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Cette dernière est interviewée régulièrement par les médias occidentaux mainstream et, fin octobre, a pu faire une tournée des Etats-Unis, prenant la parole devant l’ONU à New York et sur différents campus américains. Et ce, en dépit d’une dénonciation pour antisémitisme de la part de l’Ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield. Mme Albanese, qui a publié deux rapports accusant Israël de génocide, dont le dernier date du 1er octobre, a déclaré sur Radio Canada que l’on assiste au « premier génocide colonial diffusé en direct qui a lieu à l’égard du peuple palestinien ». L’ONG suisse UN Watch, dont j’ai récemment interviewé le directeur, Hillel Neuer, a publié les résultats d’une enquête sur Mme Albanese dans un document de 60 pages intitulé « A Wolf in sheep’s clothing » (Un loup déguisé en mouton). Pour le moment, cette rapporteuse spéciale peut continuer à exprimer sa haine d’Israël avec impunité, tandis qu’Alice Nderitu, dont le discernement, l’expertise et les valeurs professionnelles sont inégalées, est éconduite par l’ONU.

Elle aura une source de consolation. Hillel Neuer, de UN Watch, se dit tellement impressionné par son courage, que son organisation serait prête à l’embaucher…

https://twitter.com/HillelNeuer/status/1861647973903474859

L’impartialité dangereuse: quand l’évocation des crimes de gauche devient une faute

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Le dictateur espagnol Francisco Franco au chevet de blessés pendant la guerre d'Espagne, Burgos, 1938 © AP/SIPA

Certains historiens voire certains enseignants ne sont pas de gauche. Nous publions ici le témoignage anonymisé d’un professeur d’histoire-géographie ayant eu le grand tort de ne pas penser « dans les clous » alors qu’il tentait de raconter la guerre d’Espagne à ses élèves…


L’enseignement de l’histoire, lorsqu’il est correctement appréhendé, est un merveilleux outil pour affiner les jugements et développer le sens critique des élèves. L’ouverture d’esprit qui doit en découler est généralement synonyme de tolérance autant que d’esprit de finesse. Au-delà de ma passion pour cette discipline, je fais ce métier pour tenter de transmettre ces précieux outils intellectuels à mes élèves.

Mais il y a quelques semaines, j’ai été personnellement confronté à une situation kafkaïenne qui a renforcé ma conviction que l’institution n’est plus toujours, loin s’en faut, au service de cette Histoire qui élève l’esprit en nous libérant du sectarisme et des préjugés.


Une question m’a taraudé pendant plusieurs années à propos d’une thématique historique bien précise : comment faire comprendre à des élèves de terminale – qui n’ont été instruits sur la guerre civile espagnole que par des professeurs de langue étrangère peu ou mal formés d’un point de vue historique – l’adhésion d’une grande partie de la population au combat franquiste ? Ce questionnement à première vue élémentaire prend en réalité tout son sens lorsqu’on constate qu’après leurs cours d’espagnol extrêmement simplistes sur le sujet, les lycéens croient généralement que Franco est un Hitler espagnol, que les fascistes ont vaincu les démocrates, bref, que le mal a vaincu le bien.

Le rôle d’un professeur d’histoire consiste à essayer de dépasser ces jugements moraux pour atteindre une compréhension aussi claire que possible des événements. C’est loin d’être évident, même lorsqu’il s’agit d’adultes instruits, tant nos esprits sont conditionnés, souvent de façon inconsciente, par des ferments idéologiques.

Donner à connaître les persécutions religieuses qui ont eu lieu avant et pendant la guerre civile m’a semblé un angle d’attaque pertinent. Pour ce faire, j’ai utilisé un texte volontairement violent qui décrivait de quelle manière des membres du clergé régulier avaient été torturés et assassinés par des socialistes radicalisés, des communistes et des anarchistes. Je voulais que mes étudiants, eux-mêmes émus par les violences décrites, puissent envisager l’état de sidération de millions d’Espagnols encore fortement attachés aux traditions et pratiques catholiques. Bien entendu j’ai également expliqué les racines philosophiques et matérielles de cet anticléricalisme virulent pour que les élèves comprennent le point de vue des criminels endoctrinés.

Si une moitié au moins de l’Espagne s’est rangée dans le camp dit « national », ce n’est donc pas parce qu’elle adhérait à des idées fascistes et à un régime politique dont elle ne pouvait imaginer l’évolution future, mais surtout parce qu’elle était effrayée par le projet révolutionnaire d’une grande partie de la gauche qui n’était pas, ou plus, républicaine. L’idée que la guerre civile espagnole a vu s’affronter un camp démocrate et un camp fasciste est un mythe qui a la peau dure tant le déficit de formation est grand chez les professeurs de l’Éducation nationale. Certains prétendent, à juste raison, que le manque de culture historique n’explique qu’en partie la persistance du mythe. Il convient d’y ajouter le prisme idéologique d’une majorité d’universitaires peu enclins à instruire contre « leur camp ».

Ce texte a fortement « choqué » plusieurs élèves.

Pour mettre les choses en perspective, chacun peut se procurer ou parcourir sur internet un manuel d’histoire de terminale pour s’apercevoir que de nombreux documents sont particulièrement brutaux : photos d’enfants nus dans des camps d’extermination en 1945, évocations de tortures dans les régimes communistes ou durant la guerre d’Algérie, etc. Le XXe siècle est suffisamment riche en horreurs pour rendre parfois très glauques les manuels de l’Éducation nationale. C’est ainsi, et il faut le rappeler : choquer ou émouvoir ont des vertus pédagogiques. Un élève n’est pas un robot. Nous devons nous adresser au moins autant à ses affects qu’à son intellect si l’on veut lui faire comprendre des choses importantes. Ainsi nombreux sont les professeurs d’histoire qui projettent des extraits du célèbre film documentaire « De Nuremberg à Nuremberg » dont les images servies par la musique glaciale de Vangelis, sont particulièrement bouleversantes.

En somme, il aura suffi qu’une ou deux de ces élèves aillent exprimer leur vive émotion auprès du Proviseur pour que celui-ci, avant même d’entendre mes explications mais après avoir donné à lire le texte à l’Inspecteur, me place en mesure conservatoire.

Toutefois le plus grave, à mes yeux, advint lors des entretiens avec ce dernier qui par son parcours universitaire ne pouvait ignorer les persécutions religieuses perpétrées par la gauche révolutionnaire espagnole durant les années 1930. De fait, ces persécutions sont considérées comme les plus importantes depuis la Révolution française, du moins en Europe occidentale.

Il m’a été vertement reproché d’avoir mis l’accent sur ces faits notoires mais surtout d’avoir tiré l’article d’un site d’information catholique conservateur où l’auteur écrit régulièrement. Ce dernier pourtant recommandé par des universités françaises, lui-même professeur de faculté d’histoire et auteur de nombreux ouvrages, ne serait pas un « historien » au dire de l’Inspecteur. Plus inquiétant encore, il serait ouvertement antiféministe car au début de l’article dont j’ai extrait le texte pour mes élèves, il critiquait la manière sarcastique dont une célèbre féministe espagnole avait évoqué les viols de nonnes au début de la guerre civile. Cela en dit long sur la manière dont le combat idéologique peut finir par priver le combattant de toute logique élémentaire. Lorsque j’ai questionné mon Inspecteur sur l’historicité des faits décrits, celui-ci s’est contenté de répondre que « là n’était pas la question »…


Tirons, pour conclure, les enseignements de cet épisode qui, heureusement pour moi, se termina par une levée sans sanction de la mesure conservatoire.

Doit-on écarter de nos pratiques pédagogiques tel ou tel historien pourtant soucieux des faits au prétexte qu’il serait ouvertement de droite ? Il s’agirait selon moi d’une faute à la fois méthodologique et déontologique en contradiction avec la laïcité républicaine.

Il est tout à fait significatif que les faits pourtant connus que j’ai étudiés en classe soient très peu mis en avant voire laissés de côté par les historiens classés à gauche. Le piège se referme donc sur les enseignants qui voudraient traiter ces événements tout en acceptant le principe tacite d’ostracisation des chercheurs de droite. C’est ainsi que dans l’immense majorité des cas, les élèves français n’entendent jamais parler de ces crimes dans le cadre scolaire.

Il se trouve que l’un des aspects les plus intéressants de l’enseignement de l’histoire au lycée consiste à faire comprendre que les silences disent au moins autant que les éclairages. L’honnêteté intellectuelle impose de se pencher attentivement sur les angles morts de toutes les écoles historiographiques. En priver des élèves quasiment adultes constitue indéniablement un manquement grave à l’éthique de ma profession.

Qu’il soit encore quasiment impossible, dans l’Espagne actuelle, de débattre sereinement de cette tragédie qu’a été la guerre civile peut se comprendre. Mais nous devons aux élèves français un regard dépassionné qui embrasse les divers points de vue pour comprendre ce qui s’est passé tout en évitant, bien entendu, le piège de la justification des violences. C’est le meilleur rempart contre les dérives liées au fanatisme et l’entretien d’une guerre des mémoires à laquelle théoriquement, en tant que Français, nous n’avons pas à prendre part.

« L’historien n’est pas un juge […] il n’a pas de tabou », ont rappelé les illustres historiens et historiennes signataires de la pétition de 2005 qui pointait les dangers de l’immixtion du politique dans les questions historiques. Ces rappels constituent le socle de toute démarche scientifique visant à éclairer le passé. Il est de notre devoir de l’enseigner aux élèves de lycée, notamment en classe de terminale et surtout s’ils n’ont pas vocation à suivre des études d’histoire !

Concernant, enfin, l’antiféminisme supposé de l’historien qui suffirait à le discréditer non seulement moralement mais aussi professionnellement :  devrait-on donc trier les historiens en fonction d’un « certificat de moralité » et ne convoquer que ceux qui correspondent aux standards de l’historiographie de gauche, piétinant au passage nos principes démocratiques les plus élémentaires ? Ces questions aussi vertigineuses que glaçantes rappellent des heures sombres, très sombres, du siècle passé.

Je n’ose évidemment imaginer que tous les inspecteurs soient – par conviction ou par opportunisme – aussi dogmatiques. Toutefois, la décomplexion de celui qui a traité mon cas tend à me laisser penser qu’il n’a pas agi en franc-tireur. Son assurance autant que sa virulence font sens si l’on admet qu’une pensée systémique est à l’œuvre.

Mon intime conviction est que si le texte étudié avait évoqué des violences franquistes, l’émoi des élèves n’aurait pas été traité de la même manière par ma hiérarchie. Sans doute même que mon inspecteur n’aurait pas daigné se déplacer pour m’invectiver.

Ainsi en va-t-il de ceux qui osent parier, sans pour autant se leurrer sur leur propre objectivité personnelle, sur une forme d’impartialité historique dans l’Éducation nationale.

Harcèlement fiscal et réglementaire: les champions français fragilisés

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Mouvement social chez Michelin, Clermont-Ferrand, 17 octobre 2024 © Adrien FILLON/SIPA

Les plans sociaux pourraient se multiplier dans l’industrie en France. À l’habituelle menace normative s’ajoute maintenant la menace fiscale, fragilisant dans la compétition internationale jusqu’à nos plus puissants groupes.


Depuis plusieurs semaines, les plans sociaux se multiplient dans les usines françaises. Auchan et Michelin ont déjà annoncé la suppression de milliers d’emplois et selon le nouveau ministre délégué chargé de l’Industrie, Marc Ferracci, « des annonces de fermetures de sites, il y en aura probablement dans les semaines et les mois qui viennent ».  

Conjoncture pas rassurante pour les gros industriels tricolores

À court terme, le secteur automobile est le plus menacé : 32 000 suppressions de postes en Europe ont déjà été annoncées au premier semestre 2024, soit plus que pendant la pandémie de Covid, dans ce secteur qui emploie 1,7 million de salariés en Europe.  Mais plus largement, ce sont tous les champions industriels français qui sont affectés.

Si cette tendance devait se confirmer, ce serait une catastrophe pour les territoires où ces grandes industries jouent un rôle prépondérant sur le plan économique et social. Les usines permettent non seulement de générer directement des milliers d’emplois, mais elles alimentent aussi le tissu économique local grâce aux sous-traitants et partenaires avec lesquels ces entreprises travaillent. Enfin, elles irriguent indirectement les économies locales par des dépenses diverses auprès de commerces et surtout les taxes locales. Un rôle d’autant plus important qu’elles sont souvent implantées dans des territoires où les opportunités économiques sont plus fragiles, et donc fortement dépendants de leur activité. En outre, leur présence historique leur confère un poids social clé au niveau local où plusieurs générations se sont souvent succédé au sein des usines concernées. Aussi, il est plus qu’urgent de prendre des mesures dès maintenant pour permettre aux champions industriels français d’affronter la crise qui se profile. Pourtant, l’actualité n’est guère rassurante.

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Depuis des années, la France et l’Europe ne cessent d’imposer des restrictions de plus en plus nombreuses aux industriels qui contraignent leurs capacités de production et affaissent directement leur compétitivité. Autant de règles auxquelles ne sont pas soumis les concurrents étrangers qui profitent de la situation pour grignoter durablement les parts de marché des acteurs historiques déjà fragilisés par l’explosion du coût des matières premières et de l’énergie.  

Révolution dans l’automobile

Le secteur automobile est un cas d’école. L’électrification à marche forcée du secteur décidée par l’Union européenne a déstabilisé une industrie où l’Europe disposait d’un savoir-faire inégalé dans le monde, mais pas de batteries électriques… Conséquence : Stellantis, Renault ou Valéo sont aujourd’hui en grandes difficultés. 

Et d’autres leaders économiques clés pour la France sont directement ciblés par l’accroissement des normes environnementales, comme CMA CGM dans le domaine du transport et de la logistique, le groupe Seb pour l’électroménager, le groupe Bouygues dans le BTP, TotalEnergie pour l’énergie, etc. Autant d’entreprises dont l’activité pourrait être mise en péril ainsi que les milliers d’emplois qui vont avec.

A cette menace normative s’ajoute maintenant la menace fiscale. Le débat relatif au budget 2025 a fait paniquer le monde des affaires avec l’apparition à l’Assemblée nationale de nouvelles taxes en tout genre qui ont fait grimper la charge fiscale à plus de 35 milliards d’euros contre 10 milliards de hausse prévue à l’origine. Des mesures suicidaires dans un contexte marqué par un marché assez peu dynamique, avec une perspective d’accroissement des coûts en salaires que les entreprises ne peuvent pas maîtriser.  

Si le budget 2025 a finalement été rejeté par l’Assemblée nationale, la menace plane toujours avant son examen par le Sénat qui sera scruté de près par tous les grands industriels. D’autant qu’interrogé sur les plans sociaux en cours, le ministre de l’Economie Antoine Armand n’a pas rassuré en déclarant qu’il serait « probable » qu’il y ait d’autres mauvaises nouvelles économiques « dans le courant des mois à venir ».  On comprend bien que lui, il a les dossiers, et sait que l’année à venir sera très compliquée… Dans ce contexte, il n’est pas certain que son souhait de débloquer en priorité 1,6 milliard d’euros pour décarboner l’industrie soit le signal attendu par les entreprises, petites ou grosses, qui auront besoin de beaucoup plus pour passer la vague. Pas d’aides : mais de dérégulation, de déréglementation, bref, de plus de liberté pour changer de cap et éviter de couler !

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Affaire des assistants du FN: la plaidoirie de l’avocat de Marine Le Pen

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Marine Le Pen et Me Bosselut sortent du tribunal, 27 novembre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Me Rodolphe Bosselut a notamment montré que sa cliente ne saurait encourir, malgré tous les arguments de l’accusation, une peine complémentaire d’inéligibilité automatique. Et il a estimé que dans le cas où cette peine serait prononcée avec exécution provisoire, on se retrouverait rien moins qu’en présence d’une « arme de destruction massive du jeu démocratique ». Sur le fond de l’affaire, il a, sans surprise, demandé la relaxe de la patronne du RN, « une justiciable comme les autres ».


Pour ce dernier jour d’audience du procès dit « des assistants parlementaires du FN », la salle Victor Hugo est comble. Journalistes, public, et cadres du premier parti de France ont répondu présent pour écouter la plaidoirie de plus de trois heures de Me Bosselut, le conseil de Marine Le Pen. Jean-Lin Lacapelle, Huguette Fatna, Steeve Briois, Bruno et Dominique Bilde, Edwige Diaz, Yoann Gillet, Kévin Pfeffer, Sébastien Chenu, Jean-Baptiste Marly ont pris place dans le public pour soutenir les prévenus, parmi lesquels Julien Odoul, Nicolas Bay, Marie-Christine Arnautu, Nicolas Crochet, Charles van Houtte, Louis Aliot, et Marine Le Pen, bien sûr, assis au premier rang. 

Avec énergie et fluidité, Rodolphe Bosselut commence par saluer ceux qui viennent de partager durant neuf semaines « une forme d’intimité judiciaire », terme qui sera repris par la présidente Bénédicte de Perthuis avant la levée d’audience. Une « sorte de phalanstère », poursuit-il, où « chaque membre de la communauté judiciaire a pour but de cheminer ensemble » sur la voie de la vérité, mais où s’affrontent, déplore-t-il, « deux visions parallèles qui peut-être peuvent apparaître irréconciliables ».

Pour déjouer l’ordalie politique qui s’est abattu sur tous les prévenus, au premier rang desquels sa cliente, l’avocat en appelle « par tous les moyens à en revenir au droit, seul outil qui permet au-delà de la passion, au-delà de la pression des enjeux, au-delà des biais d’interprétation, au-delà des idées préconçues, de replacer les faits dans leur exacte portée ». Me Bosselut assure que la pratique parlementaire reprochée au FN était, entre 2004 à 2016 « banale, anodine, car partagée par tous les partis européens équivalents ne pouvant prétendre à créer un groupe. » Divers cas attestent de cette évidence.

Marine Le Pen n’a jamais contesté les faits, rappelle ensuite son avocat, qui s’étonne du reste que le parquet se soit permis de lui reprocher de faire usage de ses droits judiciaires les plus élémentaires. « Y-a-t-il une quelconque arrogance à se défendre ? », lance-t-il. Et d’affirmer que sa cliente « est venue comme celles et ceux qui se savent innocents. C’est sa force, mais apparemment, c’est son tort aux yeux de l’accusation. » Contre un réquisitoire aux accents politiques (ainsi que l’a mis au jour une parole partisane, prononcée en pleine audience, par la procureur Louise Neyton, disparue du prétoire depuis lors), l’avocat va se pencher en particulier sur deux points : l’éventuelle automaticité de la peine d’inéligibilité puis sa potentielle application provisoire

Une attitude « poncepilatesque »

Tout d’abord, Me Bosselut demande que le caractère automatique de la peine d’inéligibilité encourue par sa cliente, soit exclu. Car, défend-il, les contrats reprochés à Marine Le Pen sont antérieurs à la loi Sapin 2, ce texte, voté en 2016, qui a introduit dans le Code pénal ledit caractère automatique. Pour l’avocat, l’accusation s’est autorisé un glissement temporel injustifié en rattachant les contrats en cause à des événements plus récents. Ils l’ont fait, déplore-t-il, à l’aide d’un tableau, la fameuse annexe 1, jamais mentionnée dans l’ordonnance de renvoi et qui mélange les contrats incriminés avec des contrats ayant obtenus des non-lieux explicites et même des contrats non visés par le renvoi.

Face à la volonté du parquet de charger la barque en élargissant la période de prévention, Me Bosselut rappelle que « l’application rétroactive d’une peine plus sévère est totalement contraire à la loi ». Certes, reconnaît-il clairement à l’adresse des trois juges du tribunal, si en application de la loi en vigueur au moment des faits, « la peine d’inéligibilité est possible, il faudrait que le tribunal correctionnel la motive pour la prononcer. Et ça change tout ! Cela supposerait une démarche positive de votre part, pas simplement une attitude poncepilatesque qui vous permettrait de dire, comme le souhaiterait le parquet : “Je suis désolé, cher Maître, mais dura lex, sed lex, cette peine d’inéligibilité que je prononce est automatique ; je n’ai pas le choix, je n’ai pas à en justifier et à démontrer sa nécessité”. »

«Une arme de destruction massive du jeu démocratique»

Me Bosselut ôte ensuite – symboliquement – sa robe d’avocat pour s’exprimer en simple citoyen. Il veut s’exprimer sur la demande des procureurs qu’une peine d’inéligibilité soit prononcée contre sa cliente avec exécution provisoire, c’est-à-dire sans qu’un appel soit suspensif.  Selon lui, une telle perspective, qui empêcherait Marine Le Pen de se présenter à la prochaine présidentielle, « ressemble à une arme de destruction massive du jeu démocratique. Injuste, disproportionnée, produisant des effets irréparables, elle porte atteinte au vote de plus de 13 millions d’électeurs et au corps électoral dans son entier.»

L’enjeu du verdict de ce procès est de taille pour la chef du premier parti de France et candidate naturelle de son camp à la magistrature suprême. Donnée en tête dans tous les sondages, celle qui pourrait devenir la première femme chef de l’Etat de l’histoire de France, la brillante avocate qui a donné sa vie à la politique, peut-elle être exclue du jeu démocratique par une décision judiciaire disproportionnée par rapport aux faits reprochés ? Cela aurait des conséquences irréparables pour Marine Le Pen elle-même, mais aussi pour la République. Pour Me Bosselut, « l’exécution provisoire viole la présomption d’innocence et a des conséquences irrémédiables » qui révèlerait « une rupture d’égalité devant la justice », « une situation discriminatoire » contraire à la Constitution.

« Une sérieuse inversion de la charge de la preuve »

Ensuite Me Bosselut rentre dans le fond de l’affaire. Parmi les milliers de documents aspirés par l’instruction, note-t-il, « il n’y a eu aucune investigation du travail qui aurait été fait pour le parti ». Et pour cause, « on n’a rien », lâche-t-il.  Ce qui n’empêche par le parquet d’opérer « une sérieuse inversion de la charge de la preuve» en demandant aux prévenus des preuves de leur travail, même des années après, et alors même que le Parlement lui-même écrase ses fichiers. Mais, faut-il le rappeler, « c’est à l’accusation de rapporter qu’un autre travail a été effectué.»

Autre fait baroque dans ce procès, et « c’est du jamais vu ! » de mémoire d’avocats, c’est « de voir le Parquet requérir en se référant à un autre procès », en l’occurrence celui du MoDem, victime collatérale et « hors d’œuvre » des affamés du Parquet contre un fantasmé « système » qui est en vérité plus « un système D » pratiqué par tous les partis n’ayant pas la possibilité de constituer de groupe et d’avoir un staff dédié. Tous les courriels entre les services du Parlement européen témoignent que tous les contrats ont été validés en parfaite application des réglementations alors en vigueur, à savoir les FID (Frais et Indemnité des Députés), Codex et MAS (Mesures d’Applications du Statut) et en étroite collaboration avec les fonctionnaires européens chargés de la délégation française. Mais M. Klethi, directeur financier du Parlement européen, a tenté par tous les moyens de réécrire la réglementation a posteriori. La réalité, c’est qu’ « il n’y a aucune volonté de détourner des fonds mais celle de faire de la politique », cingle l’avocat.

Avant de conclure, Me Bosselut salue la personnalité de Marine Le Pen, dont il fait la connaissance alors qu’ils plaidaient, à peine diplômés, tous les deux aux comparutions immédiates. « Nous nous sommes rencontrés par hasard, il y a 30 ans, sur les bancs de la 23e chambre correctionnelle. Nous étions deux jeunes avocats, et j’ai rencontré quelqu’un de très humain, drôle, intelligent, investi dans sa mission de défense, loin, très loin, du personnage manichéen que des années d’engagement politique ont construit. Nous avons sympathisé et j’ai découvert, en rentrant au cabinet, que mon patron était inquiet d’avoir appris, à la buvette du Palais, que j’avais fait la bise à Marine Le Pen. » Élégant et fidèle, Me Bosselut assume : « Je continue à lui faire la bise. On a les actes de résistance qu’on peut ! »

En point final de sa plaidoirie, Me Bosselut forme le souhait « que, dans ce dossier, Marine Le Pen ne soit pas jugée sur quelque chose qui la dépasse : une détestation, un réflexe quasi pavlovien de rejet de ce qu’elle représente. Je voudrais qu’elle soit une justiciable comme les autres, ne réclamant aucune faveur mais ne méritant aucune défaveur ». La justice et la démocratie sortiraient gagnantes de voir éclore de ces années d’instruction à charge une décision apaisée, juste et sereine s’élevant loin des fracas partisans et des réquisitions ubuesques. Et l’on serait tenté, au sortir de ce voyage de neuf semaines dans la salle Victor Hugo de la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, de rappeler que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité » (Victor Hugo).

Il est bientôt 17H30, l’audience est levée. Le jugement sera rendu le 31 mars 2025 à 10H.

Jamais sans ma vachette

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Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

Sans vachette, c’est non ! Plusieurs villes annoncent qu’elles boycotteront « Intervilles » dans sa version modernisée par Nagui. Beaucoup de Français sont nostalgiques de la France d’avant: cette petite polémique vient nous le rappeler.


La guerre de la vachette aura bien lieu et j’entends y prendre ma part. Comme vous le savez, Nagui sera aux commandes de la version relookée d’Intervilles, jeu créé par Guy Lux en 1962, qui sera diffusée sur France Télévisions en 2025. Mi-novembre, Nagui a annoncé la fin des vachettes : « Nous n’avons pas besoin de cela. Il n’y a plus d’animaux dans les émissions de télévision. Car on connaît leur sensibilité au bruit et à la foule, leur inconfort… Sans parler du risque de blessures pour les humains ». Révolte des villes taurines. Les maires de Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan annoncent qu’ils ne participeront pas à cet ersatz d’Intervilles. Une pétition circule. Le DJ Philippe Corti, qui a participé à l’émission comme animateur musical, refuse de reprendre du service sur ce plateau aseptisé.
Nagui n’en démord pas. Il compte apporter de la « modernité à cette grande kermesse avec diversité, parité et respect de tous les êtres ». Il y aura donc des bovins de mousse avec quelqu’un à l’intérieur. On ne maltraitera pas d’animaux mais des intermittents du spectacle. On respire.

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On dira que toute cette agitation pour un jeu télévisé est un peu excessive. Je ne crois pas. Derrière cette histoire de vachettes, il y a le mépris du bobo parisien, sûr de sa supériorité morale, qui vient expliquer aux « bouseux » qu’ils n’aiment pas leurs bêtes. C’est une totale méconnaissance des traditions locales. La course de vaches landaises, c’est une identité collective dans le Sud-Ouest, un fil qui relie les générations. Les grands esprits parisiens trouvent ça trop populaire, s’énerve Corti. « La vache landaise, elle est sauvage, joueuse, elle s’amuse et c’est typique d’une région, ces espèces vont disparaître à force de normes ! », s’agace-t-il.
L’affaire est aussi typique d’une écologie pour citadins peine-à-jouir. Tout divertissement collectif doit désormais satisfaire aux normes du politiquement correct. Le Tour de France est par exemple trop polluant, et les illuminations de Noël sont trop catholiques (souvenez-vous de la polémique à Nantes, avec Johanna Rolland). Les maires se sont fait une spécialité d’interdire ce qui fait plaisir au populo, en particulier quand ils sont écolos.
Quant à la télévision publique, on dirait vraiment qu’elle s’emploie à nous rééduquer. Au-delà des vachettes, Intervilles c’était bien sûr aussi la télévision d’une époque où des minorités wokisées n’imposaient pas leurs lubies à tout le monde. Alors, rendez-nous Guy Lux, rendez-nous cette France où l’on pouvait faire une blague sur les blondes sans être sanctionné par l’Arcom, et vive la vachette !


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale (99.9 FM Paris)

Révolution française: Emmanuel de Waresquiel dynamite les mythes

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Emmanuel de Waresquiel.

Selon le grand historien du XVIIIe siècle, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.


C’est sous l’effet de la peur que l’on prêta serment au Jeu de paume. La Bastille ne fut pas prise, mais s’est rendue aux insurgés. La « machine philosophique » sanctifiée que fut la guillotine ne tarda pas à montrer toute son horreur. Valmy, longtemps célébrée, fut à peine une bataille. Les mythes ont la vie dure. Emmanuel de Waresquiel les dynamite dans un ouvrage captivant. « Que nous dit la Révolution d’elle et de nous-mêmes, dans l’épaisseur de ses mémoires ? » et comment l’instrumentalise-t-on aujourd’hui ? L’historien nous répond.


Causeur. Comment le grand historien de la Révolution que vous êtes a-t-il interprété le « tableau » consacré à Marie-Antoinette lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris ?

Emmanuel de Waresquiel. Nous sommes dans les mythes noirs de la Révolution, les mythes révolutionnaires. Le personnage de Marie-Antoinette est probablement l’un des plus clivants de cette période. Avec Marie-Antoinette, on vit encore la Révolution de l’intérieur, et la Contre-Révolution aussi. D’un côté, elle est la perversité absolue faite femme, elle est traîtresse et complotiste et étrangère et reine – ce qui fait beaucoup ! De l’autre, c’est la sainte et martyre du chemin de croix des Tuileries, de la tour du Temple et de la Conciergerie. Si l’on compare les deux procès, celui de Marie-Antoinette et celui de son mari, elle est beaucoup plus absolutiste que le roi. Elle défend l’absolutisme royal, les droits de son fils et l’Ancien Régime tel qu’il était constitué à l’époque – alors même qu’il ne l’est plus en 1793. Elle est beaucoup plus « claire », et dans un certain sens, beaucoup plus courageuse que son mari. Louis XVI se présente à la Convention en dansant d’un pied sur l’autre, entre le roi constitutionnel qu’il fut jusqu’en 1792 et le roi de droit divin. On ne sait plus très bien quel roi il est, et les constitutionnels hésitent avant de le faire comparaître devant la Convention pour le juger. Marie-Antoinette est infiniment plus tranchée.

Et elle a fait son apparition au milieu de la cérémonie d’ouverture des JO dans le tableau que l’on sait… Par rapport aux intentions du Comité olympique qui sont de mettre en avant les femmes, la concorde, la fraternité universelle, montrer l’épisode le plus tragique et le plus clivant de la Révolution, c’est aller à l’encontre même du message olympique.

Qu’est-ce que cela prouve, selon vous ?

Que la Révolution est encore vivante, que nous sommes encore nourris de ses imaginaires, qu’elle divise toujours la société, pas tant les murs dans lesquels nous habitons, c’est-à-dire les droits de l’homme, mais aussi l’esprit dans la maison : une culture politique très particulière, des affrontements de légitimité permanents dont on ne parvient pas à se débarrasser. De ce point de vue, la prégnance psychologique de la Révolution est patente, vécue de façon plus ou moins consciente par les Français. Et cette passion de l’égalitarisme ! L’obsession égalitaire est un héritage de la Révolution.

Vous écrivez, en substance, que l’un des risques, actuellement, est de faire une lecture téléologique de la Révolution, c’est-à-dire de tenter d’en comprendre le but à partir des résultats. LFI ne se prive pas de cette lecture. Comment l’analysez-vous ?

Ce qui me frappe, me trouble, c’est que cette gauche dont vous parlez se réclame de l’universalisme et, surtout, de l’indivisibilité de la nation, de l’unanimité nationale et en même temps, si j’en crois la note de Terra Nova de 2011, ses membres sont des adeptes forcenés du progressisme identitaire, lequel a une vision du monde tellement tranchée entre les dominés et les dominants, les colonisés et les colonisateurs, les Blancs et les Noirs que le simple fait de parler avec les dominants est un acte de compromission. Dans un certain sens, c’est assez intéressant du point de vue des contradictions de la Révolution elle-même qui prône l’universalisme, l’indivisibilité mais qui, en prônant l’indivisibilité, ne peut pas penser l’opposant autrement qu’en traître ou en étranger. Et en ennemi. Et la guillotine est au bout de ce chemin-là ! La culture de l’affrontement est une culture très française, en lieu et place du compromis « anglo-saxon ».

Autrement dit, les Insoumis réactivent une contradiction fondamentale entre l’indivisibilité d’un côté et, de l’autre, l’opposition entre l’humanité et ses ennemis ?

En effet. Ils se réclament de l’indivisibilité de la nation révolutionnaire et en même temps, leur progressisme identitaire et communautariste, articulé autour du schéma opprimé/oppresseur leur interdit le dialogue. Jean-Luc Mélenchon est totalement habité par la marche du peuple, comme l’a montré son grand discours à la Bastille du 18 mars 2012. Comme d’ailleurs le Comité olympique qui, inspiré par Patrick Boucheron, a calqué le parcours du marathon sur celui de la marche des femmes sur Versailles le 5 octobre 1789 ! Les membres du Comité ont oublié ce qui s’est passé au retour… Les têtes des gardes du corps sont sur les piques des sans-culottes. Bref, voilà une sorte de double contradiction en miroir : celle du principe d’indivisibilité posé en 1789 qui, d’une certaine manière conduit à la Terreur, et celle des rapports de La France insoumise avec les grands principes révolutionnaires dont ils se réclament et qu’ils contredisent à longueur de temps dans leur discours identitaire.

Vous lancez une hypothèse dans votre livre : peut-être ne souhaitons-nous plus nous entretenir des cauchemars du passé – comme s’ils ressemblaient trop à ceux du présent. Talleyrand écrivait : « L’âge des illusions est pour les peuples comme pour les individus l’âge du bonheur. » Les mythes de la Révolution ont la vie dure. Pourquoi ressurgissent-ils aujourd’hui et avec une telle force ?

Raymond Aron a très bien expliqué cela. La question de l’unité nationale, donc celle des grands mythes fondateurs, ressurgit à chaque sortie de crise ou à chaque entrée de crise. C’est très prégnant après la Seconde Guerre mondiale quand on tente de retisser le tissu national – on oublie des choses, on en met d’autres en avant, on pardonne. Ce fut la même histoire au début de la Restauration, sous Louis XVIII : le slogan monarchique de l’époque était « Pardon et Oubli ». Le seul problème, et nous sommes d’accord avec la dialectique de Paul Ricoeur, c’est que pour pardonner, il faut ne pas avoir oublié.

La Révolution française est singulière, écrivez-vous, car elle fut « à la fois politique et sociale, unilatérale, égalitaire, amnésique, ombrageuse et totalisante ». Arrêtons-nous sur chacun de ces termes. D’abord politique et sociale ?

1789 est une guerre civile larvée. Il ne faut pas oublier Furet qui parle du « tournant égalitaire ». C’est une guerre sociale entre les ordres (clergé, noblesse, tiers état) qui fait naître la notion d’ordre privilégié. Et puis la notion de complot aristocratique. Elle est déterminante pour expliquer ce qui s’est passé à Versailles en juin et à Paris en juillet 1789.

Unilatérale ?

Les 17 et 20 juin 1789, le tiers état se constitue en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante sans demander son avis ni au roi, ni aux deux autres ordres du royaume qui, par définition, sont exclus de la représentation de la nation ; ce n’est que par la suite qu’ils vont s’y rallier. La Révolution est aussi totalisante, bien que je préfère le terme absolutiste, car la vision que les révolutionnaires ont de la monarchie (vision traversée de beaucoup de fantasmes) est celle d’une monarchie encore absolue, comme si le roi était tout-puissant, à la tête de son armée et de son administration, alors qu’elles ne le suivent plus depuis belle lurette !

Égalitaire ?

Il s’agit d’égalité civile. Ni politique ni sociale. L’égalité est le terme trouvé par les députés du tiers état pour définir, sur fond de table rase, une société qui ne soit plus organique mais fondée, justement, sur l’individu. C’est le principe du droit naturel.

Amnésique ?

Oui. La Révolution, c’est l’homme régénéré, l’homme nouveau. On veut défaire l’homme de ses anciennes croyances, ce qui conduit aux autodafés des signes de la monarchie, de la féodalité… La Révolution introduit un nouveau rapport au temps : rupture avec le passé. Discours de Rabaut Saint-Étienne à l’Assemblée nationale : « L’Histoire n’est pas notre code ».

Enfin, pourquoi écrivez-vous que la Révolution fut ombrageuse ?

Elle n’est pas si printanière que cela. Elle est faite de rancœurs, de rancunes, de jalousies, de haines. Ma théorie, même si je n’en tire pas les mêmes conclusions que Clemenceau, c’est que « la Révolution est un bloc ». Autrement dit, la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés en 1789.


À lire

Il nous fallait des mythes : la Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours, d’Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 2024.

Il nous fallait des mythes: La Révolution et ses imaginaires. De 1789 à nos jours

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Tanguy de Williencourt, pianiste virtuose sur la trace de Liszt

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Le pianiste français Tanguy de Williencourt © Julien Benhamou

En concert le 2 décembre, à Paris


Pianiste d’une agilité exceptionnelle, très demandé en festivals et sur les scènes internationales, Tanguy Asselin de Williencourt, 34 ans, a été formé au Conservatoire de Paris (où il enseigne). Il ne craint pas de s’attaquer aux œuvres les plus ardues du répertoire romantique. C’était déjà le cas il y a deux ans, avec son interprétation à la fois magistrale et sensible de César Franck (cf. le CD des œuvres solo et avec orchestre, chez Mirare). 

Itinéraire amoureux lisztien

L’unique, monumentale, impérissable sonate composée par Franz Liszt en 1852-1853 et dédiée à Schumann exige de l’interprète une virtuosité plus éclatante encore. Sommet de la littérature pianistique, à l’ampleur quasi orchestrale et d’une modernité confondante, c’est là sans aucun doute le morceau de bravoure du récital que donnera Tanguy de Williencourt lundi prochain à Paris, dans l’écrin acoustiquement fabuleux de la petite Salle Cortot. Alliant intériorité et puissance expressive, il n’hésite pas à détacher les notes, à jouer à plein les ralentissements du 2ème mouvement andante sostenudo, à articuler avec véhémence l’allegro energico du 3ème mouvement. Aigus perlés, scintillants, accords plaqués avec une sorte de fougue juvénile, j’allais écrire de rage, rondeur et souplesse dans les guirlandes arpégées où le magma sonore se fond…  

A lire aussi, Emmanuel Domont: Maxime d’Aboville, à la vie à la scène!

Ce concert reprendra l’intégralité du quatrième album publié par le pianiste français, disque dédié à Liszt, donc, et qui vient de paraître sous le titre Muses, pour rappeler les idylles et autres liaisons passionnées qui traversent la très longue vie du compositeur : de la comtesse Marie d’Agoult à la baronne Olga von Meyendorff, en passant par la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, à qui l’on doit précisément la création de la fameuse Sonate en si mineur, ou des si délicates Harmonies Poétiques et Religieuses, dont un des extraits les plus inspirés reste Bénédiction de Dieu dans la Solitude, pièce d’un recueillement à la mélodie inoubliable, écrit dans la maturité du maître devenu abbé… Liebestraum n°3 « rêve d’amour », Au lac de Wallenstadt, Au bord d’une source et Vallée d’Obermann complètent cet itinéraire lisztien au prisme de sa vie amoureuse…

Un nom à retenir

Conseillée par l’immense pianiste Maria João Pires, Tanguy de Williencourt a aussi subi l’influence du pianofortiste Badura-Skoda, et cela se sent dans son phrasé tout à la fois très articulé, comme suspendu et à la sonorité somptueusement colorée. Tenté par la direction d’orchestre, chef assistant à l’Opéra de Paris et au Staatsoper de Vienne en tant que chef de chant sur différentes productions lyriques, Tanguy de Williencourt est également directeur artistique du festival Tempo Le Croisic : le 6 décembre, il en présentera la prochaine édition ( u 29 mai au 1er juin 2025).

Autant le dire, le nom de ce jeune artiste très complet est à retenir : Tanguy de Williencourt, ça ne s’oublie pas.


Récital de piano :  Muses. Œuvres de Franz Liszt. Par Tanguy de Williencourt. Salle Cortot, Paris. Lundi 2 décembre, 20h.  

Récital donné à l’occasion de la sortie du CD Muses, par Tanguy de Williencourt.  Mirare prod.