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Camus : peste soit des coups de pub

À quelques encablures à peine du chassé-croisé-des-juilletistes-et-des-aoûtiens (évènement si colossal qu’il donne lieu chaque année sur les chaînes d’info continue à des duplex passionnants depuis des péages d’autoroutes), et alors que la marée de l’actualité est désespérément basse (malgré quelques squales…), une information a connu un certain succès. On a retrouvé une lettre qu’Albert Camus a adressée à Jean-Paul Sartre ! L’écrivain engagé écrit notamment au philosophe engagé : « Mon cher Sartre (…) je vous souhaite ainsi qu’au Castor de beaucoup travailler (…) Faites-moi signe à votre retour et nous passerons une soirée dégagée« . Un courrier sans aucun intérêt, qui ne révèle rien d’autre qu’une relation d’amitié littéraire entre les deux hommes, ce qui était connu. Autant que leurs brouilles légendaires, jusqu’à la rupture définitive lorsque Camus publia L’homme révolté, développant une critique des Etats totalitaires en général et de l’URSS en particulier. Un non-événement, donc, qui a pourtant eu les honneurs de reprises enthousiastes dans la plupart des plus grands médias. Un non-événement, qui ressemble fort à un simple coup de pub fatigant pour une exposition à venir au sujet de l’auteur de L’Etranger.

La nuit dernière, dans un rêve (mon imaginaire me joue des tours), j’ai vu cette dépêche fatalement fictive, qui nous emmènerait encore plus loin sur le chemin du fétichisme et du rien camusien… Nous la suggérons aux organisateurs de cette exposition, pour une seconde vague d’emballement médiatique.

©AFP Général – Vendredi  9 Août 2013 – 07:59 – Heure Paris

Découverte d’un ticket de métro et d’une liste de courses ayant appartenu à Albert Camus

PARIS (France), 09 août 2013 (AFP) – Une liste de courses ainsi qu’un ticket de métro ayant appartenu à Albert Camus ont été retrouvés dans les poches d’un pantalon de tweed marron que l’écrivain avait confié à la blanchisserie « Sans tâche », à côté du Café des sports de Lourmarin, et qui vient d’être miraculeusement exhumé par le nouveau propriétaire. « C’est une découverte capitale » a commenté un éminent spécialiste du philosophe, qui a préféré toutefois rester anonyme. On découvre sur cette liste de courses qu’Albert Camus mangeait du pied de porc, et appréciait le bouillon de poule. La mention raticide pourrait laisser penser que l’écrivain travaillait à ce moment-là sur le manuscrit de La Peste.

Par ailleurs, un ticket de métro parisien pour un trajet en 1ère classe a également été trouvé. Il a été confié à l’Université de Chicago (qui dispose d’un département spécialisé dans l’étude des tickets de métro de 1ère classe) pour analyse approfondie.

Ce ticket de métro et cette liste de courses seront présentés, parmi d’autres trésors inestimables, dans le cadre de l’exposition « Camus de Tipasa à Lourmarin », organisée du 3 au 8 septembre à Lourmarin pour le centenaire de la naissance de l’écrivain philosophe.

Tous droits réservés : ©AFP Général

Dans L’écume des jours, Boris Vian se moquait amicalement de la folie d’un de ses personnages qui collectionnait les vieux habits portés par son idole, un écrivain nommé Jean-Sol Partre (le clin d’œil à l’agité du bocal de Saint-Germain des Prés ne vous aura pas échappé). On a hâte d’observer le nouveau fétichisme camusien prendre son envol…

L’axe de la vie est avant tout sexuel

james salter vie

Les éditions de l’Olivier rééditent deux des meilleurs livres de James Salter, en attendant la sortie d’un inédit cet automne. Pilote de chasse en Corée, écrivain hors pair, amateur de femmes… Sa prose est aussi fine, précise, tranchante que le fuselage d’un jet, des reflets d’acier. Un timbre prenant, chaque phrase qui porte. Un écrivain pour écrivain? A n’en point douter, même si Salter hait qu’on le désigne comme tel. Le New York Times dit de lui qu’il est l’auteur le plus sous-estimé de sa génération. Notre échange de propos (voici déjà une dizaine d’années) a eu pour cadre exquis le plus fameux restaurant littéraire newyorkais, l’Algonquin, où Salter tenait à ce que nous nous rencontrions. En tout, l’élégance et la classe !

Jean-François Duval : Pilote de guerre à bord des premiers jets F-86, vous avez  combattu en Corée les Mig-15 soviétiques, entre 1950 et 1953. Quelles impressions gardez-vous de cette époque ?
James Salter : Un grand frisson. Je n’avais pas fait la grande guerre, nous arrivions trop tard, mes camarades et moi. En revanche, de 1950 à 1953, nous avons eu la guerre de Corée. A bord de nos F-86, nous affrontions les Mig-15 soviétiques. C’était quelque chose d’extrêmement intense. Un jeu à la vie à la mort entre soi et un autre pilote, dont on ne sait absolument rien. Vous volez dans l’immensité du ciel, et tout à coup vous apercevez l’ennemi : juste un petit scintillement dans un coin d’azur. Et votre cœur commence à battre plus fort, l’adrénaline monte: ce scintillement, est-ce le seul ennemi? Y en a-t-il d’autres? Où sont-ils?  Ils peuvent surgir de n’importe où ! En cinq secondes, un ciel jusqu’alors vide autour de vous s’emplit d’avions. Chaque Mig que nous abattions nous valait une petite étoile rouge peinte sous le cockpit… A partir de cinq, vous étiez considéré comme un as.

Encore à l’entraînement, lors de votre tout premier vol en jet, vous coupez le moteur en plein ciel. Curieuse idée…
Oui, mais c’est que ces jets – les premiers à être engagés dans des combats – étaient des machines fabuleuses auprès desquelles une Maserati fait figure de jouet d’enfant. Un seul problème: il arrivait qu’en plein vol les moteurs s’éteignent… Les faire repartir impliquait qu’on suive toute une procédure… J’étais nouveau, je voulais être certain de pouvoir maîtriser la situation si elle devait se produire. Je l’ai donc provoquée. C’était un acte de pure maîtrise, vous comprenez ?

Un jeu dangereux pour éviter un plus grand danger? La valeur de la vie, c’est savoir qu’elle n’en a pas, écrivez-vous quelque part…
Karen Blixen, l’auteur de La Ferme africaine, l’a écrit bien avant moi… C’est un paradoxe facile à comprendre: si la vie prend quelque valeur, c’est à cette condition qu’on ne tienne pas tant à elle qu’on s’empêche de vivre. Ce n’est qu’en acceptant les risques, les dangers qu’elle contient qu’on peut en éprouver la vraie profondeur.

Votre second livre, Cassada, paru en 1961, dépeint les difficultés d’un jeune pilote à s’intégrer dans une escadrille. Ça a été le cas pour vous?
Non, mais dans tout groupe, vous avez les excellents, les bons, les moyens, les pas très bons, les nuls. Et la question qu’on se pose toujours, c’est : où est ma place à moi? Qu’est-ce que je vaux? Ça dépend aussi du regard que les autres jettent sur vous: me respectent-ils, suis-je assez bon pour être l’un d’entre eux ? Quand vous rejoignez une escadrille, personne ne vous connaît : c’est à vous d’établir votre propre réputation, de montrer votre valeur, d’assumer les conflits… C’est la même chose dans la vie en général, mais là, c’est immédiatement manifeste. Moi, je n’étais pas un « je m’en-fichiste », ça non! j’étais un officier très réglo, very regular : je suis ennemi du chaos, vous savez. Le jeune pilote de mon livre ne l’est pas tout à fait : il a en lui la volonté de se tenir un peu à part, de la fierté, de l’ambition, le désir d’aller au-delà des autres…

C’est le propre de la jeunesse…
Être jeune, je me dis souvent que c’est comme être à la proue d’un vaisseau. Et cette proue, c’est le présent.Vous connaissez cette impression ? On se sent vivre formidablement comme si l’on avait toute l’immensité du ciel, de l’océan, un immense avenir devant soi. Et puis les années passent … C’est comme si l’on était monté sur le haut d’une dunette: on voit beaucoup plus loin derrière soi, et en avant de soi. On découvre tout un passé qu’on laisse dans son sillage, englouti pour une bonne part. Voilà. Dans tout ce que j’écris, j’essaie de faire sentir ça. Que ce qui existe pour nous en cet instant n’existera pas toujours. L’écriture permet d’autant mieux de ressaisir ces choses précieuses que ce sont elles dont on se souvient: elles nous disent ce qui a vraiment importé dans notre vie.

Le travail de la mémoire, comme chez Proust ?
Ah, ne mélangez pas tout ! (Rires) Je ne joue vraiment pas dans la  même catégorie que Proust.

Votre tout premier livre, The Hunters, dont on tirera Flamme sur l’Asie, un film avec Robert Mitchum, vous l’écrivez la nuit, en cachette, à l’insu de vos camarades pilotes.
C’est qu’on n’est pas vraiment à l’armée pour écrire des livres ! J’étais commandant, j’avais une place à tenir dans l’escadrille. De plus, j’ignorais complètement si j’étais capable d’écrire. Donc, je n’avais pas du tout envie que cela se sache. Quand la publication de ce premier livre en 1956 m’a donné la certitude que je pouvais écrire, j’ai quitté l’armée.

Comme dans l’histoire du moteur coupé, vous aviez besoin de certitude. Mais le goût de l’écriture…
Je l’ai eu très tôt. Très jeune déjà, j’écrivais des poèmes. J’apercevais Jack Kerouac, le futur auteur de Sur la route, qui était dans la même école que moi, la Horace Mann School, une ou deux classes au-dessus. Comme joueur de football américain, il avait obtenu une bourse pour entrer dans cette école plutôt chic, qui devait lui ouvrir les portes de Columbia University. Quand il a publié son premier livre, The Town and The City (Avant la route), en 1950, je l’ai aussitôt acheté. J’étais épaté, complètement surpris, me disant: ah, peut-être que, moi aussi, je pourrai un jour sortir quelque chose comme ça. Auparavant, il nous avait déjà impressionnés par les nouvelles qu’il écrivait dans le journal de l’école.

Justement, par la suite, avez-vous eu des contacts avec les écrivains de la Beat generation?
Né en 1925, j’ai un an de moins qu’Allen Ginsberg et Neal Cassady, trois de plus que Kerouac. Je suis de la même génération, c’est vrai. Mais eux, les Kerouac, les Ginsberg… traversaient les Etats-Unis en stop, fumaient, prenaient du LSD… Moi, pendant ce temps-là, je pilotais des jets. Mais j’ai rencontré Allen Ginsberg une ou deux fois. La dernière, lors d’une émission télévisée. Il voulait que je batte le rythme avec des cuillers pendant qu’il disait l’un de ses poèmes, Don’t Smoke Cigarettes… Il me prenait de haut et moi, je le trouvais plutôt enfantin. Nous n’étions pas vraiment amis.

Au départ, vous ne rêviez pas du tout d’entrer dans l’armée. C’est votre père qui vous a inscrit à l’Académie militaire de West Point… Des regrets?
Aux yeux de mon père, c’était très important, une chance énorme que je sois sélectionné pour West Point… Je ne voulais pas le décevoir, mais me montrer à la hauteur de cet enjeu. La vie militaire à West Point ne ressemblait pas particulièrement à un pique-nique… Mais c’est comme la prison: au bout d’un moment, vous vous habituez, et ça se confond complètement avec votre vie elle-même. Vous êtes si immergé dans cette vie qui est devenue la vôtre, aux côtés de vos camarades, que vous ne faites plus qu’un avec elle. Une fois que vous vous êtes fait à l’idée, vous lui devenez en somme totalement loyal.

Pilote et écrivain, vous est-il arrivé d’avoir des réminiscences de Saint-Exupéry? 

Nos époques et nos univers ont différé du tout au tout. Saint-Exupéry écrit à propos de ce qui était encore de vrais combats aériens. En Corée, il s’agissait plutôt de meurtre: il fallait juste parvenir à se placer derrière l’ennemi, dans son sillage, et tirer.

Je voulais parler de cette idée de solidarité entre les hommes qui nourrit l’œuvre de Saint-Ex.
Ça, bien sûr, c’est un élément qui joue un rôle dans plusieurs de mes livres, Cassada ou encore L’homme des hautes solitudes, qui se passe à Chamonix et qui traite de la force de volonté dans l’alpinisme. Alors, sur cette idée de solidarité… Je peux dire qu’à cet égard, j’ai aimé les hommes autant que les femmes. C’est un genre d’amour différent, mais je crois profondément qu’il peut s’établir entre des hommes un type de communication auquel les femmes restent extérieures. Et respectivement. Hommes, femmes… ce sont deux genres distincts, après tout : les instincts, les désirs sont tout à fait autres. Vous ne croyez pas ?

Si. Mais l’axe de la vie reste avant tout sexuel, affirmez-vous.
Oui, c’est l’axe principal de la vie. C’est ce qu’il m’a toujours semblé. Un prêtre sera peut-être d’un autre avis. Vous savez, on ne se représente pas vraiment l’extraordinaire diversité des univers : dans chaque tête, un univers infini et différent!

Votre Un sport et un passe-temps est l’un des romans les plus érotiques, au sens vrai, que l’on puisse lire.
Schopenhauer disait que trois choses sont nécessaires pour qu’une vie soit complète. La vie sexuelle  et… j’ai oublié quelles sont les deux autres (rires). J’ai connu la jeune Française dont il est question dans Un sport et un passe-temps alors que j’étais stationné à Chaumont, non loin de Colombey-les-Deux-Eglises, le village de De Gaulle. Vous dire à quel point elle était belle? Un jour à Paris, début des années 60, alors que nous assistions par hasard à un défilé, le général de Gaulle a passé devant nous dans sa voiture, et j’ai distinctement vu son regard se poser sur elle: une fraction de seconde, Charles de Gaulle m’a envié! (rires) Elle était vraiment terrific!

Une fille parfaite? Comme pilote et comme écrivain, n’avez-vous pas toujours voulu tendre à une forme de perfection ?
Je ne crois pas à la perfection dans la vie. Vous la rencontrez parfois en art. Quoique même les plus grands livres aient leurs imperfections. Lolita de Nabokov est un chef-d’œuvre, et pourtant, vers la fin, le livre fléchit. Je l’ai lu trois ou quatre fois et, à chaque fois, quand Humbert Humbert retrouve Lolita, je me dis que cette fin ne fait décidément pas partie du même livre. Que, par rapport à ce qui précède, c’est quelque chose de nature différente.

Comme d’autres écrivains américains, vous avez écrit des scénarios pour Hollywood, celui de Downhill Racer, avec Redford, vous avez dirigé Three, avec Charlotte Rampling…
J’ai écrit pendant une quinzaine d’années pour le cinéma, épisodiquement. Environ seize ou dix-sept films, dont quatre ont été tournés : un chiffre qui est dans la norme, le déchet est toujours considérable. Aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir récupérer tout ce temps : être l’auteur de moins de scénarios, et avoir écrit un ou deux bouquins de plus. Bon, il fallait que je gagne ma vie…

En lisant par exemple Un monde parfait, on a le sentiment permanent que, selon vous, la vie de chacun se déroule toujours sur deux plans au moins… Et que nous ne parvenons jamais à les réconcilier.
En société, nous vivons d’une certaine façon. Mais à l’intérieur de chacun de nous, c’est un monde entièrement différent, totalement anarchique, non ? A preuve qu’on ne dit jamais complètement aux gens ce qu’on pense d’eux. La vie serait impossible.

La vérité l’est donc tout autant.
La vérité est un rasoir extrêmement sensible. Il faut savoir l’appliquer avec prudence et douceur.

 

Un bonheur parfait et Une vie à brûler, James Salter, éditions de l’Olivier, 2013.

Suivez le guide !

paris guide routard

Il y a d’excellentes raisons de rester à Paris l’été. La première, que notait déjà Montherlant, c’est que tous les fâcheux s’en vont. La deuxième, c’est qu’il faut bien que la ville la plus visitée du monde abrite quelques indigènes pour l’agrément des touristes, ce qui vous alloue à peu de frais le statut de monument, fût-il mineur. La troisième, c’est qu’il est alors plus aisé de prendre le point de vue de l’étranger pour redécouvrir la ville d’un œil avide et neuf. En ce cas, autant jouer le jeu et se munir d’un guide.

Perspective bobo : le « Routard »

Sa fameuse couverture rappelle l’enthousiasme des années 1970, quand le monde paraissait à portée d’auto-stop et l’aventure bon enfant comme le flower power. Le hippie, depuis, a muté bobo et le Routard illustre parfaitement cette transformation : s’il a conservé sa vocation originelle de guide pour fauchés, il offre, en prime, une garantie « touristiquement correct » permettant à son utilisateur de savoir quand il convient de s’indigner et quand il est recommandé de se pâmer à tout propos. Routard en goguette, tu réviseras ton histoire de France selon un critère exclusivement moral.  Tu apprendras que la Commune et le Front pop ont été les acmés de la destinée nationale – et tu te montreras reconnaissant envers les Communards pour avoir brûlé les Tuileries et, de ce fait, dégagé l’axe Louvre-Arc de triomphe. Tu ne te laisseras pas abuser par l’auréole de Saint Louis, et seras porté à tenir le roi-chevalier pour un précurseur d’Hitler. Devant le Panthéon, tu regretteras qu’il y ait si peu de femmes chez les Grands hommes (« Un peu la honte ! ») et tu rappelleras à un touriste américain bedonnant que Cuvier, avant d’être un grand scientifique, était surtout un affreux raciste.[access capability= »lire_inedits »]

Si d’aventure tu entends un visiteur s’extasier bruyamment sur les fastes du Paris 1900, tu lui feras remarquer qu’en ces temps obscurs, les jeunes danseuses étaient communément abusées par les bourgeois qui les entretenaient. « On prétendait vivre à la « Belle Époque » ! », lâcheras-tu, ironique ou désabusé. Après avoir tancé un policier municipal sur la responsabilité de sa maison dans la rafle du Vel’ d’Hiv’, tu te recueilleras à la Grande Mosquée pour rendre hommage à tous les musulmans ayant sauvé des juifs sous l’Occupation (« Respect. »). Tu traverseras le 16e en racontant force blagues sur les lodens et jupes plissées qui s’y agitent encore. Mais après t’être fait molester et voler ton iPhone par des joggings à casquette aux Halles, tu te feras un peu sociologue : « Cette vitrine de la consommation attire beaucoup de jeunes qui se reconnaissent sans doute dans cet univers un peu dur et kafkaïen. » Enfin, après avoir observé tous les charmes du multiculturalisme, même quand la cohabitation des communautés se déroule, comme à Belleville, seulement dans une « relative harmonie », tu regretteras  amèrement la disparition du populo parisien, celui de la Commune et du Front pop qui vivait autrefois dans l’Est de la capitale. Bien, sûr, tu te garderas de penser qu’il a été remplacé par les pittoresques immigrés croisés un peu plus tôt, et… par tes semblables : les bobos triomphants.

Perspective mondialiste : « National Geographic »…

Lavez-vous les cheveux, troquez vos vieilles Converse contre des Docksides et armez-vous du guide National Geographic. Vous apprendrez vite cette vérité contre laquelle tout en vous proteste : non, Paris n’est pas  ̶  ou plus  ̶   le centre du monde global. Vous êtes dans la peau d’un gagnant de la mondialisation. Vous la trouvez globalement très positive, et d’ailleurs, le tourisme que vous pratiquez assidûment est l’une de ses plus agréables conséquences. Réjouissez-vous que la Ville-Lumière, autrefois assombrie par ses cafés enfumés, soit passée à l’heure de la législation anti-tabac.  Propre, saine, hygiénique comme un aéroport, Paris est un musée, une compilation de monuments sélectionnés et décrits avec sobriété, fluidité et élégance. Vous êtes un moderne : pour vous, Saint Louis se nomme Louis IX. Et puis, on ne vous la fait pas : vous savez que Saint-Germain-des-Prés n’est plus qu’un vestige éteint. Enthousiasmé par l’idée du « Grand Paris » et favorable en théorie au multiculturalisme, vous déplorez toutefois que l’immigration de masse ait fait quelque peu perdre leur âme à certains quartiers parisiens.

… ou « Lonely Planet »

Pour vous, la mondialisation, c’est surtout la crise. Grâce aux guides de poche de Lonely Planet, vous aurez des munitions pour survivre. Être au plus près de votre budget, compiler les bons plans, rester connecté : vous n’êtes plus un touriste, mais un citoyen fauché du village global. Du coup, vous pratiquez Paris comme l’un de ses habitants – d’ailleurs, à l’origine, vous l’étiez. Nostalgique de l’authenticité, vous n’avez pas les moyens d’être un touriste. Il faut voir les bons côtés de la chose. Foin de l’idéologie, le minimum d’informations culturelles pour vous repérer, le monde contemporain est une jungle, mais vous y survivrez comme le premier autochtone venu.

Perspective consumériste : le « Petit Futé »…

On peut également résumer Paris en une suite d’adresses classées par secteurs, comme un réservoir infini pour assouvir nos besoins ou nos caprices. Le Petit Futé vous fournira, certes, un annuaire assez exhaustif des innombrables services et commerces que propose la capitale, d’un cours d’aïkido à l’achat de fruits exotiques en passant par un musée ou une salle de spectacles. Mais un léger défaut pourrait bien assombrir votre joyeuse métamorphose en hyper-consommateur : les descriptions sont rédigées dans un français post-orthographique. La concordance des temps relève d’une logique oubliée, les accords obéissent à des lois mystérieuses : « Le mot d’ordre nous a bien plus » (p. 233), « Ont été créé ici des œuvres… » (p. 518), « Ce club privée » (p. 269), « Chacune disposent » (p. 303), et le pont des Arts est « un passage obligé pour les amoureux de passage »

… ou « Vuitton ».

Finissez enfin en flambant : après avoir fait l’acquisition du guide le plus mince, le plus select et le plus cher du marché (25 euros et aucun service de presse), vous verrez Paris comme le merveilleux écrin de vos plaisirs les plus snobs. Pour vous, les bobos ne sont que des parvenus un peu grotesques débarqués du Nord-Est comme Attila, la mondialisation n’a troublé que les arrivistes et les faibles et la consommation de masse, genre Petit Futé, c’est pour les ploucs. Vous planez au-dessus de tout ça, avec une vue aérienne de la capitale qui ne retient que quelques adresses « cosy chic », « palace », « charme », « japonais mode » ou « néo-classique luxe ». Seul ennui : vous planez tellement que, pour vous, le 6e arrondissement est encore littéraire et que vous prenez Moix pour un écrivain. Après de telles absurdités, vous ne serez pas si mécontent de redescendre et de vous retrouver, enfin, dans ce bon vieux Paname.[/access]

Paris, collectif, Le Routard, Hachette, 2013.

Paris, collectif, National Geographic, 2013.

Paris, à petits prix, Sophie Senart, Cheap & Chic (Lonely Planet), 2013.

Paris en quelques jours, Catherine Le Nevez, Lonely Planet, 2013.

Paris, collectif, Petit futé, 2013.

Paris, collectif, Louis Vuitton, 2013.

*Photo : trevonhaywood.

Se dire communiste, ça fait rire Dieu

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Le communisme selon Marx a-t-il été réalisé ou est-il toujours immaculé ? En tant qu’Idée, le communisme n’a pas d’autre définition possible que la communauté des biens et donc l’absence de propriété individuelle. Telle est sa seule essence invariable.
Cette idée a été mise en pratique sous diverses formes : par les États communistes, par certaines communautés religieuses, par les kibboutzim, et encore par d’autres expériences locales.
La communauté des biens est-elle un idéal de vie respectable ?
Naturellement, mais à seule une petite condition : que ce mode de vie soit choisi en toute liberté par des adultes consentants qui le désirent pour eux-mêmes.
Le communisme de Marx et des communistes ne respecte pas cette condition absolument impérative.
Il se distingue avec fierté des autres formes de l’idée communiste sur ce point : loin de résulter d’un libre choix individuel, il se présente comme le résultat nécessaire et s’imposant à tous du mouvement de l’histoire, dont la réalisation est l’affaire historique du prolétariat.
Cette idée du communisme qui est exposée dans le Manifeste du parti communiste a été mise en pratique par les partis communistes au pouvoir.
C’est le seul point sur lequel je dois contredire l’excellent article de Guillaume Nicoulaud, quand il écrit : « Le communisme, nous disent des Gérard Filoche ou des Jérôme Leroy, n’a jamais existé : comment pourrait-il être responsable de ce dont on l’accuse ? Eh bien ils ont raison. Le communisme, au sens marxiste – et donc canonique – du terme, c’est une société où les classes sociales ont été abolies, une société débarrassée de la propriété privée des moyens de production mais aussi une société sans État. Le communisme, c’est une forme d’anarchisme et vous conviendrez avec moi que des régimes comme celui de l’ex-URSS, de la Chine maoïste ou de l’actuelle Corée du nord ne cadrent pas du tout avec cette définition. »
Mille regrets, le communisme selon Marx et selon le Manifeste du parti communiste ne désigne pas seulement le terme final de la révolution communiste, à l’exclusion de son commencement. Le communisme selon Marx connaîtra des stades, mais pas de changements de nature.
Entre le communisme du départ et le communisme de l’arrivée, voyons ce qui fait la différence.
Au départ du communisme, même quand tous les moyens de production auront été collectivisés, il faudra continuer de travailler par nécessité, tandis que quand la rareté des biens aura fait place à leur abondance, le travail deviendra une activité libre, et même le premier des besoins.
Au départ du communisme, toujours à cause de cette satanée rareté des biens, il faudra conserver la division du travail, tandis que plus tard, grâce l’abondance, chacun fera ce qu’il veut dans tous les types d’activité et deviendra un « homme total ».
Au départ du communisme, chacun sera rémunéré à proportion de sa contribution en temps de travail social à la production des biens, tandis que quand règnera l’abondance, ce sera à chacun selon ses besoins et de chacun ses moyens, si tant est qu’une répartition s’impose.
Quant à l’État, il existe bel et bien au départ du communisme, puisque selon le Manifeste tout est placé entre ses mains et qu’il dispose d’un pouvoir total. Mais quand grâce à l’abondance, les conflits d’intérêts auront disparu et qu’il n’y aura donc plus besoin d’un pouvoir politique exerçant sa domination par la violence, alors la société pourra s’administrer elle-même sans être soumise à un pouvoir politique.
L’erreur de base de Marx est d’avoir cru que la suppression de la propriété privée mènerait à l’abondance, laquelle ferait disparaître tous les maux.
Sa faute de base est d’avoir condamné la liberté individuelle en tant que valeur bourgeoise faisant barrage à l’abondance.
Que dire alors à ceux qui se proclament communistes et révolutionnaires tout en condamnant ce qu’a montré la pratique du communisme ?
Cette remarque de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. »

L’anarchiste portait des gants

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zo axa anarchisme

« C’est un fort beau garçon : il a dans sa mise quelque élégance et il porte des gants» C’est ainsi que le Journal des Débats décrit en 1893 le jeune homme de 28 ans qui se présente devant la Cour d’assises de la Seine afin de s’opposer à une précédente condamnation à deux ans de prison pour délit de presse. Son nom ? Alphonse Gallaud, plus connu sous un pseudonyme retentissant, Zo d’Axa. Zo d’Axa ! Personnage bien oublié aujourd’hui, mais qui appartient à la mythologie de l’anarchisme littéraire et que connaissent ceux qui s’intéressent à la littérature fin de siècle. Comme le rappellent Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol dans La feuille qui ne tremblait pas, biographie richement documentée, la littérature du temps est en effet passionnément anarchiste : les feuilles contestataires fleurissent, Paul Adam traduit Le Manifeste communiste dans Les Entretiens politiques et littéraires (l’incompatibilité entre marxisme et anarchisme n’est pas encore très claire), La France littéraire se réclame de la Révolution, Rémy de Gourmont publie dans le Mercure sa célèbre diatribe antimilitariste et Le Figaro s’inquiète de ce bouillonnement subversif qui menace les institutions.
C’est dans ce contexte que Zo d’Axa, somptueux garçon à barbe de barde, déserteur, poète, bourreau des cœurs et voyageur infatigable, devient patron de presse et lance successivement deux journaux, L’Endehors (sans tiret) et la feuille (sans majuscules). Ces deux titres compteront parmi les fleurons de la presse anarchiste, alors fourmillante. L’Endehors, en particulier, hébergera des signatures prestigieuses (Tristan Bernard alors inconnu, Georges Darien, Fénéon, René Ghil, Saint-Pol Roux, etc.), et multipliera les condamnations ; en 1892, moins de deux ans après sa création, le titre cumulait déjà 8 ans de prison et 15 000 francs d’amende, ce qui contraindra Zo d’Axa à chercher refuge à Londres. Quelques mois plus tard exploseront les premières bombes à Paris, le public découvrira Ravachol et Vaillant, et le Parlement votera les « lois scélérates »… « Mille institutions du vieux monde sont marquées d’un signe fatal, écrit d’Axa dans son exil londonien. Les affiliés du complot n’ont pas besoin d’espérer les lointains avenirs meilleurs, ils savent un sûr moyen de cueillir la joie tout de suite ! Détruire passionnément ! »
L’ouvrage captivant de Lefrère & Oriol vaut autant pour sa reconstitution de l’époque que pour son portrait du héros. L’époque : on voit défiler les noms de l’anarchisme (de Sébastien Faure aux frères Reclus) et de la littérature, on redécouvre les cafés et les prisons, les journaux et les idées, bref, tout un monde renaît sous nos yeux, d’autant plus facilement que le livre regorge d’illustrations. Le héros : les auteurs en donnent un portrait plaisant et nuancé, celui d’un anar dandy et humaniste (sa campagne de presse contre la colonie pénitentiaire d’Aniane, sordide bagne pour enfants, a poussé le gouvernement à en ordonner la fermeture, comme le Nicholas Nickleby de Dickens avait provoqué la fermeture des pensions du Yorkshire), un écrivain racé et dilettante, aussi mordant et violent dans ses articles qu’aimable et lunaire dans la vie. Tout le contraire du cliché de l’anarchiste sauvage issu de la classe ouvrière (d’Axa était plutôt fortuné), ce qui poussera d’ailleurs les « purs », tels Jean Grave, à le regarder avec méfiance.
Mais d’Axa, lui, s’en fichait : indifférent aux étiquettes, il n’était apparemment pas dérangé qu’on lui refuse celle d’anarchiste. « Pas plus groupés dans l’anarchie qu’embrigadés dans le socialisme, écrit-il, nous allons – individuels, sans la Foi qui sauve et qui aveugle. Nous nous battons pour la joie des batailles et sans rêve d’avenir meilleur. Que nous importent les lendemains qui seront dans des siècles ! Il faut vivre dès aujourd’hui, tout de suite, et c’est EN DEHORS de toutes les lois, de toutes les règles et de toutes les théories – même anarchistes – que nous voulons nous laisser aller toujours à nos pitiés, à nos emportements, à nos douceurs, à nos rages, à nos instincts – avec l’orgueil d’être nous-mêmes. » Son ami niçois Georges Maurevert touchera juste lorsque, plutôt qu’anarchiste, il le qualifiera d’anarque : « monarque de soi-même »…
Au tournant du siècle, après dix ans de journalisme et d’aventures, d’Axa se retire des affaires et part en voyage. Il sillonnera le monde pendant plusieurs années puis s’installera dans une péniche pour naviguer humblement sur les canaux de France, entre Billancourt et Fécamp. De temps en temps, on le voit resurgir, toujours fagoté comme un marquis vagabond… Il se tire finalement une balle dans la tête, en 1930, à Marseille. « Ce révolté avait des allures d’aristocrate », note la nécrologie publiée par L’Excelsior. Alphonse Gallaud alias Zo d’Axa laisse derrière lui une légende discrète mais tenace, un beau livre de souvenirs écrit à 30 ans (De Mazas à Jérusalem, qui mériterait d’être réédité). Et les quelques dizaines de numéros de la feuille et de l’Endehors, titres mythiques dont, aux dires de ses biographes, aucune bibliothèque en France ne possède de collection complète.

Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol, La feuille qui ne tremblait pas, Zo d’Axa et l’anarchie, Flammarion, 2013.

À l’Est, l’homme nouveau

pologne conge paternite

Tandis qu’en Occident, le féminisme s’esquinte à surmonter ses divisions, en Pologne, l’union fait la force des suffragettes. Le Ve  Congrès des femmes, organisé en juin à Varsovie, en a été la démonstration suprême. Qu’elles se disent de tradition libérale ou socialiste, pro-sexe ou pas, les 8500 déléguées se sont accordées sur un constat : l’état de santé des hommes polonais pose un problème. Le débat, annoncé sous le titre « L’homme, cet inconnu », visait à déterminer une conduite appropriée des femmes face à la fâcheuse attitude de la population masculine, encline à renvoyer aux calendes grecques les examens périodiques de santé et autres dépistages. Faut-il encore charger les femmes d’une responsabilité supplémentaire, à savoir celle de veiller sur la santé des hommes ?[access capability= »lire_inedits »] Conviés à titre exceptionnel, des experts mâles de toutes sortes ont répondu par l’affirmative. Qui plus est, éviter aux hommes les situations traumatisantes telles que le divorce ou la perte du droit de garde aurait, ont-ils soutenu, des retombées bénéfiques sur leur forme. « Les hommes sont discriminés : seuls 3% d’entre eux obtiennent la garde des enfants », a même argumenté l’un des spécialistes. De fait, l’opinion publique s’enthousiasme pour la famille égalitaire mais, dans la vraie vie, seuls 20 % des foyers s’en approchent. Bizarre : l’entrée dans le monde merveilleux de l’Union n’a pas fait disparaître les préjugés culturels, la tradition patriarcale, sans oublier la peur du qu’en dira-t-on – Qui c’est qui commande chez toi ? Autant de contraintes et d’inhibitions qui minent le bien-être masculin. On ose à peine imaginer le tonus de tous ces hommes si on leur réservait l’exclusivité du pouponnage !  Mais heureusement, le calvaire des Polonais, obligés d’obliger leurs femmes à la soumission, va peut-être prendre fin. Dans un appel solennel au gouvernement, le Congrès des femmes demande l’instauration d’un congé paternité obligatoire de quatre semaines. Envoyer les hommes aux fourneaux : qui se serait douté que la Pologne était entrée dans l’âge postmoderne ?[/access]

*Photo : unclepaul.

Les Matins de France Culture kidnappés par un commando d’Al Qaïda !

Cela s’appelle les « Matins d’été », six semaines de pause pour les animateurs habituels de l’émission matinale d’info de France Culture. Ces gens-là ont, paraît-il, droit à des vacances. Les producteurs de cette émission, Marc Voinchet et son acolyte Brice Couturier, sont de gros malins : ils ont choisi, comme plagiste de leur émission, un certain Benoît Bouscarel, rédacteur en chef adjoint du Mouv’, la station « djeun » de Radio France, qui fait des bides d’audience retentissants. Dès les premières émissions, on s’est demandé en effet si les deux compères partis en vacances n’avaient pas, à dessein, installé sur leur fauteuil une caricature de gauchiste sectaire pour se faire désirer pendant tout l’été.
Chaque « débat » où ledit Benoît Bouscarel se pique de « prendre de la hauteur » est conçu selon le modèle « Dupond-Dupont » de Tintin. Le plus haut degré de controverse acceptée est celui qui met aux prises la gauche et l’extrême gauche. En complicité avec une rédaction de l’info à France culture déjà passablement partielle et partiale, qui était quelque peu contrebalancée par le duo Voinchet-Couturier, c’est la grosse artillerie anti-américaine qui nous est balancée chaque matin à partir de sept heures. Obama proteste contre l’asile donné par Poutine à Snowden ? Bouscarel s’efforce de faire dire au pauvre intérimaire de Washington qu’Obama est de la race des Nixon ou Reagan ! Le comble a été atteint jeudi 8 août vers 8h34 où une « experte », Anne Giudicelli, invitée par Bouscarel à commenter la situation au Yémen a déclaré :  « Le 11 septembre, c’est un peu la Shoah des Etats-Unis. A partir de là, ils ont décidé que tout leur est permis. »
Cette analyse percutante ne suscite aucune réaction de la part de l’animateur, et l’approbation chaleureuse de l’autre « expert »,  un ambassadeur à la retraite, qui se lâche dans un anti-américanisme débridé après des décennies de baisage de babouches de potentats arabes. Non, à la réflexion, Voinchet et Couturier n’auraient pas été si cruels avec leurs auditeurs habituels. Ils ne sont pas partis en vacances. Ils ont étés enlevés  par un commando d’Al Qaïda, et le pouvoir fait silence. Une honte.

Air France : Comme un avion sans elle, ni lui d’ailleurs

air france etat

Le marché a toujours raison. Pour une raison simple : nous sommes tous des êtres rationnels qui, dans un égoïsme bien compris, allons permettre à une main invisible d’organiser le monde merveilleux des harmonies spontanées. Demandez-le à n’importe quel trader, il vous l’expliquera très bien.
En plus,  marché rime avec démocratie. Bon, il faudrait voir dans quelle langue, parce qu’en français, non seulement ça ne rime pas mais il n’y a même pas d’assonance. Je me suis laissé dire que ça ne rimait  pas non plus en chilien comme pourront vous le confier les Chicago boys de Friedman, l’ami de Pinochet, qui ont eu besoin d’un putsch pour appliquer leurs mesures économiques. Mais bon, c’est une affaire entendue, le doux commerce de Montesquieu est une réalité et on sent très bien la saine et pacifique émulation qui règne entre les grandes puissances économiques aujourd’hui.
On comprend bien pourquoi la furie des privatisations, qui frise parfois le pathologique, se poursuit avec les résultats brillants que l’on connaît depuis les débuts de la révolution néo-conservatrice. Demandez, parmi mille autres exemples, à la poste suédoise, aux chemins de fer anglais ou à l’industrie nucléaire japonaise, par ordre croissant de gravité. Bon, être obligé d’aller chercher un colis chez son épicier de Malmö est certes moins gênant que de dérailler avec le néo-libéralisme en gare de Paddington (31 morts et 500 blessés en 1999) ou de se faire irradier du côté de Fukushima alors que Tepco, le grand  opérateur privé du nucléaire japonais, a géré la crise avec une telle compétence que l’Etat nippon a préféré redevenir l’actionnaire majoritaire en 2012 (avant, on disait nationalisation, mais plus maintenant car c’est un gros mot stalinien comme salaire minimum ou sécurité sociale).
Donc, il faut privatiser. C’est comme ça. Même si vous aviez l’impression que ça marchait mieux avant, c’était une illusion. Vous devez être de gauche et avoir un problème avec le réel, même si vous n’avez plus de facteur et que vous arrivez très en retard en train quand vous avez survécu au voyage : de toute manière, ce n’est pas grave, on vous repère dans le noir car grâce à Tepco, vous êtes phosphorescent.
Chez nous droite et gauche social-démocrate confondues ont privatisé. C’est ainsi que cet été, on vient d’apprendre qu’Air France, qui n’appartient plus aux Français depuis 2004, a merveilleusement profité de la privatisation. Déjà, pour se débarrasser de personnels jugés inutiles. 2500 postes seront supprimés d’ici 2015 nous a annoncé au cœur de l’été la direction de la compagnie aérienne. Depuis les quatre dernières années, on atteint les 15 000 postes disparus. Oui, mais enfin, me direz-vous, ce n’est pas le rôle de l’Etat de transporter des gens en avion. Sauf sur les lignes non rentables, évidemment : dans ce cas-là on invoque des obligations de service public, ce qui revient à faire d’Air France un boxeur qui monte sur le ring du marché avec un bras lié dans le dos. Et puis, si Air France licencie autant (on appelle ça le plan Transform 2015), c’est sûrement pour de bonnes raisons. Le secteur privé sait ce qu’il fait, contrairement à l’Etat toujours prêt à subventionner des emplois bidons avec l’argent du contribuable.
Le problème, c’est qu’il semble qu’Air France privatisée ait fait des choix stratégiques désastreux et que les pertes d’emploi soient là pour réparer les pots cassés d’une direction qui a privilégié à contre temps les longs courriers et qui a également cherché à gagner 20% de productivité en utilisant l’emploi comme variable d’ajustement, pour faire mieux que les petits camarades.
Heureusement, un actionnaire sympa est toujours dans le capital de l’entreprise. Il s’appelle l’Etat et il est présent à hauteur de 16%. Et l’Etat, il est très cool. Le marché peut toujours compter sur lui pour réparer la casse sociale. Il suffit juste qu’il reste à sa place et qu’il réponde quand on le siffle, histoire de socialiser les pertes avec nos impôts. Et ça tombe bien, en France comme ailleurs, l’Etat,  en plus, il obéit. À chaque fois.

*Photo : quixoticguide.

Le mariage pour tous ne touche pas à la filiation

laurent baumel mariage

Laurent Baumel est maire de Ballan-Miré et député socialiste d’Indre-et-Loire. Il  a créé le collectif parlementaire de la Gauche populaire. 

Propos recueillis par Gil Mihaely et Daoud Boughezala

Causeur. La loi Taubira a provoqué une forte mobilisation de ses opposants, rassemblés sous l’étiquette de la Manif pour tous. S’agit-il d’un simple phénomène de saison ou du premier acte d’une nouvelle bataille politique ?  
Laurent Baumel. J’ai l’intuition que c’est un phénomène éphémère, une mobilisation de réseaux préexistants autour de l’Église catholique et des associations familiales.
Dans ce cas, comment expliquez-vous l’ampleur de la mobilisation ?
La Manif pour tous a tout simplement fait le plein de ces milieux grâce à la médiatisation et au succès relatif des premières manifestations. Dans un deuxième temps, la droite politique, en proie à des problèmes internes, a pris le train en marche. Au début du débat, une dizaine de députés UMP tenaient le crachoir, mais le gros des troupes montrait un faible intérêt, voire un certain malaise.  J’ai remarqué le faible intérêt des députés UMP au début du débat. Cette relative indifférence s’est transformée en engagement de chaque instant quand ils ont compris qu’il en allait quasiment de leur survie politique ! Entre-temps, j’imagine qu’ils avaient reçu de nombreux retours de leur circonscription. Dès lors, chaque député devait absolument  pouvoir dire à ses électeurs : « Moi aussi, j’ai lutté contre la loi » ! Le mouvement anti-« mariage pour tous » est donc devenu un enjeu dans la bataille de leadership à droite et une occasion de renouer avec une partie de la base. C’est cet ensemble qui a fait prendre la mayonnaise.
Il y a un an, vous plaidiez pour le vote rapide d’une loi a minima − le mariage sans l’adoption. Pressentiez-vous déjà que ce débat allait profondément diviser la société française ?
Ce n’est pas exact. Pour moi le mariage et le droit à l’adoption ne sont pas séparables. Quant à votre question, parler de division profonde est un peu exagéré. À un moment donné, l’idée d’un « mariage pour tous », comme accomplissement logique de la démarche commencée avec le PACS, a bénéficié d’un large consensus dans l’opinion publique. Tout le monde avait compris qu’il s’agissait d’une revendication d’égalité, d’une forme de reconnaissance symbolique de l’homosexualité qui n’introduisait aucun élément radicalement nouveau dans la pratique.  Mais le groupe socialiste de l’Assemblée a, pendant un temps, fait le forcing pour introduire dans le texte l’ouverture de la PMA aux couples de femmes – dont François Hollande ne voulait pas plus que de la GPA. Ce fut une erreur : en touchant à la famille et à la filiation, on a coalisé un front du refus.[access capability= »lire_inedits »]
Dans ce cas, l’adoption aussi était une erreur, non ?
Non car l’adoption existe dans notre civilisation depuis fort longtemps et elle concerne des enfants qui sont déjà nés, ce qui n’est pas le cas ni de la PMA, ni  de la GPA, procédés qui soulèvent des problèmes bioéthiques de tout autre nature.
On a l’impression que deux France se regardent en chiens de faïence sans se comprendre, et même sans s’entendre. En tant qu’homme politique de gauche, n’avez-pas vous pas observé, dans le camp d’en face, l’émergence d’une nouvelle génération de catholiques ?
Je n’en suis pas certain. Ce que j’ai cru voir, un dimanche après-midi, en observant une manifestation contre le « mariage pour tous » à Paris, c’est plutôt la France catho classique : pas forcément des intégristes, mais des gens qui se reconnaissent dans une certaine communauté, les familles, gosses en avant, une grosse sortie de messe ! Un peuple de droite qui voulait montrer qu’il pouvait, lui aussi, manifester, même si cela arrive une fois tous les trente ans…
Une espèce rare – et peut-être menacée – échappe à votre logiciel : les fameux « cathos de gauche » !
Je n’ai pas en tête d’études statistiques à ce sujet, mais pour ma part, je rencontre peu de  « cathos de gauche » dans les nouvelles générations.
Dans votre ville de Ballan-Miré, avez-vous vu des cars partir à la Manif ?
Dans ma ville, non, mais à Tours, qui est à 10 km de Ballan-Miré, à ma grande surprise, j’ai constaté une certaine effervescence.  J’ai été encore plus étonné d’observer la mobilisation, quoique tardive, d’un certain nombre de musulmans qui se sont joints à la droite catholique. Sur le marché de Joué-lès-Tours, dans ma circonscription, j’ai été interpellé très sympathiquement par un jeune musulman qui m’a annoncé qu’il allait se rendre le soir même à la manifestation par opposition au mariage homosexuel. Le soir même, en passant à Tours devant la place de l’Hôtel de ville, j’ai également vu quelques femmes voilées qui s’apprêtaient à aller défiler  contre la loi Taubira. D’autres parlementaires m’ont parlé de ce même phénomène en banlieue parisienne.
Cette convergence cathos-musulmans semble invalider l’hypothèse de la Fondation Terra Nova d’une coalition progressiste rassemblant les enfants d’immigrés et les bobos des grandes villes…
Je ne sais pas si le petit échantillon que j’ai pu voir est représentatif d’un phénomène global mais en effet, la question du mariage homosexuel a peut-être fragilisé momentanément  cette alliance qui est un piège pour la gauche : d’un point de vue stratégique, je récuse l’idée qu’une coalition bobos-banlieue puisse constituer le socle électoral du PS. Ceci étant, si la jonction entre la bourgeoisie intellectuelle des centres-villes et de la première couronne, ceux qu’on appelle les « bobos », et des gens issus de l’immigration, existe partiellement dans les faits, elle s’est peut-être, effectivement, quelque peu distendue sur la question du mariage homosexuel. Mais je le répète, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un phénomène déterminant à long terme.
Ne craignez-vous pas qu’une éventuelle coalition des croyants cherche à remettre en cause la laïcité ?
Je n’irai pas jusque-là. La laïcité souffre depuis plusieurs années, indépendamment de cette affaire. Au fond, ce problème est lié à celui du communautarisme, c’est-à-dire à la place des communautés dans la République. Et contrairement à ce que vous croyez, ce n’est pas cette question qui a été réactivée par les Manifs pour tous.
Pensez-vous, comme le démographe Hervé Le Bras, qu’Hollande a perdu beaucoup de points dans la bataille, y compris chez certains de ses électeurs issus d’une France de l’Ouest, plutôt catholique, qui seraient en rupture avec le gouvernement sur les valeurs ?
Non. Je crois que Mai-68 a profondément irrigué la société française. Aujourd’hui, même dans les familles un peu traditionnelles, les gens acceptent l’évolution des mœurs. Dans les milieux que je connais et qui m’intéressent plus particulièrement − les populations périurbaines, les ouvriers et les employés − la question ne passionnait pas les foules. Pour cette majorité silencieuse, le débat a trop duré et son importance a été exagérée.
Mais vous admettez – et tentez d’en convaincre votre camp – que ces gens s’intéressent à la sécurité et à l’immigration. Pourquoi ne se sentiraient-ils pas concernés par des questions liées à la famille et la sexualité ?
Les questions dites « sociétales » servent surtout à s’imposer au sein de sa propre famille politique et idéologique au sein d’un champ politique et idéologique. Pour autant, je ne pense pas que le  « mariage pour tous », l’homoparentalité, voire la contraception ou l’avortement demeureront durablement des thèmes du débat public, et encore moins qu’ils détermineront les choix électoraux. La remontée de Nicolas Sarkozy entre les deux tours de l’élection présidentielle a montré que le seul sujet sur lequel la droite et l’extrême droite pouvaient faire la jonction et devenir dangereuses électoralement, c’est l’immigration. Voilà le vrai sujet qui mord ! Surtout en temps de crise.[/access]

Arcachon, bassin parisien

Bassin d’Arcachon, août 2013. La névrose parisienne a traîné son monde jusqu’ici. Plage du Pyla-sur-Mer et Cap Ferret pour thérapie. Sur les promontoires, les kiosques à journaux ont révélé l’arcane inédit : recette du bonheur estival dans les suppléments « Loisirs » et « Où sortir cet été ? ». Aussi le ciel ne pourrait-il pas être plus clair, l’océan plus bleu, qui s’avance énorme sur le bassin, chargé d’une écume blanche moutonnant l’horizon. Enfin, qui sous nos pieds recèle sa caresse discrète, ce sable chaud importé du Maroc. Ça souffle légèrement derrière la nuque et dans les plis des voiles des pinasses. C’est beau. Voilà pour le tableau. Alors, devant la toile de la toile, au pied d’une création cousue entre le ciel et l’eau, me vient un premier terrible constat : puis-je encore admirer la merveille gratuite tout en sachant sa grande récupération commerciale ? Puis-je m’étonner de la singularité unique du décor alors que l’industrie lourde l’a reproduite en des millions d’exemplaires ? Avec ces habituelles photos violet-noirs des crépuscules, ces t-shirts jaunes « Aimez la vie au bord de l’atlantique ! ». Et tout de suite, le panorama sublime se dissipe, je repense au souk à babioles du coin et c’est une usine de traitement des eaux au milieu d’un champ d’edelweiss, les Noces de Figaro sur un écran d’ordinateur.
Alors, toujours bien carré sur ma cime, à la fois témoin et client, m’est revenu cet autre terrible constat : le névrosé (il est parisien ici, certes, mais peut venir de Maubeuge, de Saint-Laurent-des-Bâtons, ou de Fox-Amphoux dans le Var) croit trouver dans son séjour un remède mais ne rencontre qu’un ersatz. Pas d’échappatoire à cette fatalité, le touriste allemand et le jeune étudiant, le banquier comme l’anticapitaliste averti ont cette charge sur le dos : leurs trois semaines de vacances sont d’une certaine manière un job d’été. Un travail travesti en loisir. Chaque présence ici participe au « coup de com » du lieu, chaque regard alimente l’usine à reproduire davantage d’images. Nous sommes d’involontaires employés, travaillant à ce que la nature ait sa valeur marchande et son code barre. À ce que la côte soit cotée.
De cette condition, plus personne n’est dupe. Surtout pas le névrosé. Il sait tout cela, il a becté de la critique sociale engagée à Nanterre et serait capable de citer Guy Debord entre mojito et cigare. Il a lu un peu de Philippe Muray aussi. Il a trouvé ça très vrai. Et voilà qu’il se sait prisonnier de l’engrenage infernal, mais qu’instantanément, la chausse-trappe qui lui lancine la conscience depuis un bon quart d’heure a de doux effets secondaires, façon anxiolytiques lourds (divertissement halluciné et éclate totale) et le préserve d’avoir à penser plus loin ce qui lui arrive : si la blessure est profonde et lente, la suture elle est en prêt-à-porter, rapide et efficace.
Hollande a eu la chic idée d’un « ministère du redressement productif ». Et, comme il est convaincu autant que ses contemporains que la transcendance et le mystère sont de farouches ennemis en politique, la création d’un ministère de  « l’affaissement contemplatif » ne verra jamais le jour.
Ce projet aurait pourtant pu pallier les expériences limites relatées plus haut. Il n’aurait pas la prétention de sauver le pays, certes, mais en proclamant l’amer constat que notre époque a le génie et le goût de l’impasse, ledit projet prendrait en charge la déglingue commune.

Camus : peste soit des coups de pub

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À quelques encablures à peine du chassé-croisé-des-juilletistes-et-des-aoûtiens (évènement si colossal qu’il donne lieu chaque année sur les chaînes d’info continue à des duplex passionnants depuis des péages d’autoroutes), et alors que la marée de l’actualité est désespérément basse (malgré quelques squales…), une information a connu un certain succès. On a retrouvé une lettre qu’Albert Camus a adressée à Jean-Paul Sartre ! L’écrivain engagé écrit notamment au philosophe engagé : « Mon cher Sartre (…) je vous souhaite ainsi qu’au Castor de beaucoup travailler (…) Faites-moi signe à votre retour et nous passerons une soirée dégagée« . Un courrier sans aucun intérêt, qui ne révèle rien d’autre qu’une relation d’amitié littéraire entre les deux hommes, ce qui était connu. Autant que leurs brouilles légendaires, jusqu’à la rupture définitive lorsque Camus publia L’homme révolté, développant une critique des Etats totalitaires en général et de l’URSS en particulier. Un non-événement, donc, qui a pourtant eu les honneurs de reprises enthousiastes dans la plupart des plus grands médias. Un non-événement, qui ressemble fort à un simple coup de pub fatigant pour une exposition à venir au sujet de l’auteur de L’Etranger.

La nuit dernière, dans un rêve (mon imaginaire me joue des tours), j’ai vu cette dépêche fatalement fictive, qui nous emmènerait encore plus loin sur le chemin du fétichisme et du rien camusien… Nous la suggérons aux organisateurs de cette exposition, pour une seconde vague d’emballement médiatique.

©AFP Général – Vendredi  9 Août 2013 – 07:59 – Heure Paris

Découverte d’un ticket de métro et d’une liste de courses ayant appartenu à Albert Camus

PARIS (France), 09 août 2013 (AFP) – Une liste de courses ainsi qu’un ticket de métro ayant appartenu à Albert Camus ont été retrouvés dans les poches d’un pantalon de tweed marron que l’écrivain avait confié à la blanchisserie « Sans tâche », à côté du Café des sports de Lourmarin, et qui vient d’être miraculeusement exhumé par le nouveau propriétaire. « C’est une découverte capitale » a commenté un éminent spécialiste du philosophe, qui a préféré toutefois rester anonyme. On découvre sur cette liste de courses qu’Albert Camus mangeait du pied de porc, et appréciait le bouillon de poule. La mention raticide pourrait laisser penser que l’écrivain travaillait à ce moment-là sur le manuscrit de La Peste.

Par ailleurs, un ticket de métro parisien pour un trajet en 1ère classe a également été trouvé. Il a été confié à l’Université de Chicago (qui dispose d’un département spécialisé dans l’étude des tickets de métro de 1ère classe) pour analyse approfondie.

Ce ticket de métro et cette liste de courses seront présentés, parmi d’autres trésors inestimables, dans le cadre de l’exposition « Camus de Tipasa à Lourmarin », organisée du 3 au 8 septembre à Lourmarin pour le centenaire de la naissance de l’écrivain philosophe.

Tous droits réservés : ©AFP Général

Dans L’écume des jours, Boris Vian se moquait amicalement de la folie d’un de ses personnages qui collectionnait les vieux habits portés par son idole, un écrivain nommé Jean-Sol Partre (le clin d’œil à l’agité du bocal de Saint-Germain des Prés ne vous aura pas échappé). On a hâte d’observer le nouveau fétichisme camusien prendre son envol…

L’axe de la vie est avant tout sexuel

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james salter vie

james salter vie

Les éditions de l’Olivier rééditent deux des meilleurs livres de James Salter, en attendant la sortie d’un inédit cet automne. Pilote de chasse en Corée, écrivain hors pair, amateur de femmes… Sa prose est aussi fine, précise, tranchante que le fuselage d’un jet, des reflets d’acier. Un timbre prenant, chaque phrase qui porte. Un écrivain pour écrivain? A n’en point douter, même si Salter hait qu’on le désigne comme tel. Le New York Times dit de lui qu’il est l’auteur le plus sous-estimé de sa génération. Notre échange de propos (voici déjà une dizaine d’années) a eu pour cadre exquis le plus fameux restaurant littéraire newyorkais, l’Algonquin, où Salter tenait à ce que nous nous rencontrions. En tout, l’élégance et la classe !

Jean-François Duval : Pilote de guerre à bord des premiers jets F-86, vous avez  combattu en Corée les Mig-15 soviétiques, entre 1950 et 1953. Quelles impressions gardez-vous de cette époque ?
James Salter : Un grand frisson. Je n’avais pas fait la grande guerre, nous arrivions trop tard, mes camarades et moi. En revanche, de 1950 à 1953, nous avons eu la guerre de Corée. A bord de nos F-86, nous affrontions les Mig-15 soviétiques. C’était quelque chose d’extrêmement intense. Un jeu à la vie à la mort entre soi et un autre pilote, dont on ne sait absolument rien. Vous volez dans l’immensité du ciel, et tout à coup vous apercevez l’ennemi : juste un petit scintillement dans un coin d’azur. Et votre cœur commence à battre plus fort, l’adrénaline monte: ce scintillement, est-ce le seul ennemi? Y en a-t-il d’autres? Où sont-ils?  Ils peuvent surgir de n’importe où ! En cinq secondes, un ciel jusqu’alors vide autour de vous s’emplit d’avions. Chaque Mig que nous abattions nous valait une petite étoile rouge peinte sous le cockpit… A partir de cinq, vous étiez considéré comme un as.

Encore à l’entraînement, lors de votre tout premier vol en jet, vous coupez le moteur en plein ciel. Curieuse idée…
Oui, mais c’est que ces jets – les premiers à être engagés dans des combats – étaient des machines fabuleuses auprès desquelles une Maserati fait figure de jouet d’enfant. Un seul problème: il arrivait qu’en plein vol les moteurs s’éteignent… Les faire repartir impliquait qu’on suive toute une procédure… J’étais nouveau, je voulais être certain de pouvoir maîtriser la situation si elle devait se produire. Je l’ai donc provoquée. C’était un acte de pure maîtrise, vous comprenez ?

Un jeu dangereux pour éviter un plus grand danger? La valeur de la vie, c’est savoir qu’elle n’en a pas, écrivez-vous quelque part…
Karen Blixen, l’auteur de La Ferme africaine, l’a écrit bien avant moi… C’est un paradoxe facile à comprendre: si la vie prend quelque valeur, c’est à cette condition qu’on ne tienne pas tant à elle qu’on s’empêche de vivre. Ce n’est qu’en acceptant les risques, les dangers qu’elle contient qu’on peut en éprouver la vraie profondeur.

Votre second livre, Cassada, paru en 1961, dépeint les difficultés d’un jeune pilote à s’intégrer dans une escadrille. Ça a été le cas pour vous?
Non, mais dans tout groupe, vous avez les excellents, les bons, les moyens, les pas très bons, les nuls. Et la question qu’on se pose toujours, c’est : où est ma place à moi? Qu’est-ce que je vaux? Ça dépend aussi du regard que les autres jettent sur vous: me respectent-ils, suis-je assez bon pour être l’un d’entre eux ? Quand vous rejoignez une escadrille, personne ne vous connaît : c’est à vous d’établir votre propre réputation, de montrer votre valeur, d’assumer les conflits… C’est la même chose dans la vie en général, mais là, c’est immédiatement manifeste. Moi, je n’étais pas un « je m’en-fichiste », ça non! j’étais un officier très réglo, very regular : je suis ennemi du chaos, vous savez. Le jeune pilote de mon livre ne l’est pas tout à fait : il a en lui la volonté de se tenir un peu à part, de la fierté, de l’ambition, le désir d’aller au-delà des autres…

C’est le propre de la jeunesse…
Être jeune, je me dis souvent que c’est comme être à la proue d’un vaisseau. Et cette proue, c’est le présent.Vous connaissez cette impression ? On se sent vivre formidablement comme si l’on avait toute l’immensité du ciel, de l’océan, un immense avenir devant soi. Et puis les années passent … C’est comme si l’on était monté sur le haut d’une dunette: on voit beaucoup plus loin derrière soi, et en avant de soi. On découvre tout un passé qu’on laisse dans son sillage, englouti pour une bonne part. Voilà. Dans tout ce que j’écris, j’essaie de faire sentir ça. Que ce qui existe pour nous en cet instant n’existera pas toujours. L’écriture permet d’autant mieux de ressaisir ces choses précieuses que ce sont elles dont on se souvient: elles nous disent ce qui a vraiment importé dans notre vie.

Le travail de la mémoire, comme chez Proust ?
Ah, ne mélangez pas tout ! (Rires) Je ne joue vraiment pas dans la  même catégorie que Proust.

Votre tout premier livre, The Hunters, dont on tirera Flamme sur l’Asie, un film avec Robert Mitchum, vous l’écrivez la nuit, en cachette, à l’insu de vos camarades pilotes.
C’est qu’on n’est pas vraiment à l’armée pour écrire des livres ! J’étais commandant, j’avais une place à tenir dans l’escadrille. De plus, j’ignorais complètement si j’étais capable d’écrire. Donc, je n’avais pas du tout envie que cela se sache. Quand la publication de ce premier livre en 1956 m’a donné la certitude que je pouvais écrire, j’ai quitté l’armée.

Comme dans l’histoire du moteur coupé, vous aviez besoin de certitude. Mais le goût de l’écriture…
Je l’ai eu très tôt. Très jeune déjà, j’écrivais des poèmes. J’apercevais Jack Kerouac, le futur auteur de Sur la route, qui était dans la même école que moi, la Horace Mann School, une ou deux classes au-dessus. Comme joueur de football américain, il avait obtenu une bourse pour entrer dans cette école plutôt chic, qui devait lui ouvrir les portes de Columbia University. Quand il a publié son premier livre, The Town and The City (Avant la route), en 1950, je l’ai aussitôt acheté. J’étais épaté, complètement surpris, me disant: ah, peut-être que, moi aussi, je pourrai un jour sortir quelque chose comme ça. Auparavant, il nous avait déjà impressionnés par les nouvelles qu’il écrivait dans le journal de l’école.

Justement, par la suite, avez-vous eu des contacts avec les écrivains de la Beat generation?
Né en 1925, j’ai un an de moins qu’Allen Ginsberg et Neal Cassady, trois de plus que Kerouac. Je suis de la même génération, c’est vrai. Mais eux, les Kerouac, les Ginsberg… traversaient les Etats-Unis en stop, fumaient, prenaient du LSD… Moi, pendant ce temps-là, je pilotais des jets. Mais j’ai rencontré Allen Ginsberg une ou deux fois. La dernière, lors d’une émission télévisée. Il voulait que je batte le rythme avec des cuillers pendant qu’il disait l’un de ses poèmes, Don’t Smoke Cigarettes… Il me prenait de haut et moi, je le trouvais plutôt enfantin. Nous n’étions pas vraiment amis.

Au départ, vous ne rêviez pas du tout d’entrer dans l’armée. C’est votre père qui vous a inscrit à l’Académie militaire de West Point… Des regrets?
Aux yeux de mon père, c’était très important, une chance énorme que je sois sélectionné pour West Point… Je ne voulais pas le décevoir, mais me montrer à la hauteur de cet enjeu. La vie militaire à West Point ne ressemblait pas particulièrement à un pique-nique… Mais c’est comme la prison: au bout d’un moment, vous vous habituez, et ça se confond complètement avec votre vie elle-même. Vous êtes si immergé dans cette vie qui est devenue la vôtre, aux côtés de vos camarades, que vous ne faites plus qu’un avec elle. Une fois que vous vous êtes fait à l’idée, vous lui devenez en somme totalement loyal.

Pilote et écrivain, vous est-il arrivé d’avoir des réminiscences de Saint-Exupéry? 

Nos époques et nos univers ont différé du tout au tout. Saint-Exupéry écrit à propos de ce qui était encore de vrais combats aériens. En Corée, il s’agissait plutôt de meurtre: il fallait juste parvenir à se placer derrière l’ennemi, dans son sillage, et tirer.

Je voulais parler de cette idée de solidarité entre les hommes qui nourrit l’œuvre de Saint-Ex.
Ça, bien sûr, c’est un élément qui joue un rôle dans plusieurs de mes livres, Cassada ou encore L’homme des hautes solitudes, qui se passe à Chamonix et qui traite de la force de volonté dans l’alpinisme. Alors, sur cette idée de solidarité… Je peux dire qu’à cet égard, j’ai aimé les hommes autant que les femmes. C’est un genre d’amour différent, mais je crois profondément qu’il peut s’établir entre des hommes un type de communication auquel les femmes restent extérieures. Et respectivement. Hommes, femmes… ce sont deux genres distincts, après tout : les instincts, les désirs sont tout à fait autres. Vous ne croyez pas ?

Si. Mais l’axe de la vie reste avant tout sexuel, affirmez-vous.
Oui, c’est l’axe principal de la vie. C’est ce qu’il m’a toujours semblé. Un prêtre sera peut-être d’un autre avis. Vous savez, on ne se représente pas vraiment l’extraordinaire diversité des univers : dans chaque tête, un univers infini et différent!

Votre Un sport et un passe-temps est l’un des romans les plus érotiques, au sens vrai, que l’on puisse lire.
Schopenhauer disait que trois choses sont nécessaires pour qu’une vie soit complète. La vie sexuelle  et… j’ai oublié quelles sont les deux autres (rires). J’ai connu la jeune Française dont il est question dans Un sport et un passe-temps alors que j’étais stationné à Chaumont, non loin de Colombey-les-Deux-Eglises, le village de De Gaulle. Vous dire à quel point elle était belle? Un jour à Paris, début des années 60, alors que nous assistions par hasard à un défilé, le général de Gaulle a passé devant nous dans sa voiture, et j’ai distinctement vu son regard se poser sur elle: une fraction de seconde, Charles de Gaulle m’a envié! (rires) Elle était vraiment terrific!

Une fille parfaite? Comme pilote et comme écrivain, n’avez-vous pas toujours voulu tendre à une forme de perfection ?
Je ne crois pas à la perfection dans la vie. Vous la rencontrez parfois en art. Quoique même les plus grands livres aient leurs imperfections. Lolita de Nabokov est un chef-d’œuvre, et pourtant, vers la fin, le livre fléchit. Je l’ai lu trois ou quatre fois et, à chaque fois, quand Humbert Humbert retrouve Lolita, je me dis que cette fin ne fait décidément pas partie du même livre. Que, par rapport à ce qui précède, c’est quelque chose de nature différente.

Comme d’autres écrivains américains, vous avez écrit des scénarios pour Hollywood, celui de Downhill Racer, avec Redford, vous avez dirigé Three, avec Charlotte Rampling…
J’ai écrit pendant une quinzaine d’années pour le cinéma, épisodiquement. Environ seize ou dix-sept films, dont quatre ont été tournés : un chiffre qui est dans la norme, le déchet est toujours considérable. Aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir récupérer tout ce temps : être l’auteur de moins de scénarios, et avoir écrit un ou deux bouquins de plus. Bon, il fallait que je gagne ma vie…

En lisant par exemple Un monde parfait, on a le sentiment permanent que, selon vous, la vie de chacun se déroule toujours sur deux plans au moins… Et que nous ne parvenons jamais à les réconcilier.
En société, nous vivons d’une certaine façon. Mais à l’intérieur de chacun de nous, c’est un monde entièrement différent, totalement anarchique, non ? A preuve qu’on ne dit jamais complètement aux gens ce qu’on pense d’eux. La vie serait impossible.

La vérité l’est donc tout autant.
La vérité est un rasoir extrêmement sensible. Il faut savoir l’appliquer avec prudence et douceur.

 

Un bonheur parfait et Une vie à brûler, James Salter, éditions de l’Olivier, 2013.

Suivez le guide !

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paris guide routard

paris guide routard

Il y a d’excellentes raisons de rester à Paris l’été. La première, que notait déjà Montherlant, c’est que tous les fâcheux s’en vont. La deuxième, c’est qu’il faut bien que la ville la plus visitée du monde abrite quelques indigènes pour l’agrément des touristes, ce qui vous alloue à peu de frais le statut de monument, fût-il mineur. La troisième, c’est qu’il est alors plus aisé de prendre le point de vue de l’étranger pour redécouvrir la ville d’un œil avide et neuf. En ce cas, autant jouer le jeu et se munir d’un guide.

Perspective bobo : le « Routard »

Sa fameuse couverture rappelle l’enthousiasme des années 1970, quand le monde paraissait à portée d’auto-stop et l’aventure bon enfant comme le flower power. Le hippie, depuis, a muté bobo et le Routard illustre parfaitement cette transformation : s’il a conservé sa vocation originelle de guide pour fauchés, il offre, en prime, une garantie « touristiquement correct » permettant à son utilisateur de savoir quand il convient de s’indigner et quand il est recommandé de se pâmer à tout propos. Routard en goguette, tu réviseras ton histoire de France selon un critère exclusivement moral.  Tu apprendras que la Commune et le Front pop ont été les acmés de la destinée nationale – et tu te montreras reconnaissant envers les Communards pour avoir brûlé les Tuileries et, de ce fait, dégagé l’axe Louvre-Arc de triomphe. Tu ne te laisseras pas abuser par l’auréole de Saint Louis, et seras porté à tenir le roi-chevalier pour un précurseur d’Hitler. Devant le Panthéon, tu regretteras qu’il y ait si peu de femmes chez les Grands hommes (« Un peu la honte ! ») et tu rappelleras à un touriste américain bedonnant que Cuvier, avant d’être un grand scientifique, était surtout un affreux raciste.[access capability= »lire_inedits »]

Si d’aventure tu entends un visiteur s’extasier bruyamment sur les fastes du Paris 1900, tu lui feras remarquer qu’en ces temps obscurs, les jeunes danseuses étaient communément abusées par les bourgeois qui les entretenaient. « On prétendait vivre à la « Belle Époque » ! », lâcheras-tu, ironique ou désabusé. Après avoir tancé un policier municipal sur la responsabilité de sa maison dans la rafle du Vel’ d’Hiv’, tu te recueilleras à la Grande Mosquée pour rendre hommage à tous les musulmans ayant sauvé des juifs sous l’Occupation (« Respect. »). Tu traverseras le 16e en racontant force blagues sur les lodens et jupes plissées qui s’y agitent encore. Mais après t’être fait molester et voler ton iPhone par des joggings à casquette aux Halles, tu te feras un peu sociologue : « Cette vitrine de la consommation attire beaucoup de jeunes qui se reconnaissent sans doute dans cet univers un peu dur et kafkaïen. » Enfin, après avoir observé tous les charmes du multiculturalisme, même quand la cohabitation des communautés se déroule, comme à Belleville, seulement dans une « relative harmonie », tu regretteras  amèrement la disparition du populo parisien, celui de la Commune et du Front pop qui vivait autrefois dans l’Est de la capitale. Bien, sûr, tu te garderas de penser qu’il a été remplacé par les pittoresques immigrés croisés un peu plus tôt, et… par tes semblables : les bobos triomphants.

Perspective mondialiste : « National Geographic »…

Lavez-vous les cheveux, troquez vos vieilles Converse contre des Docksides et armez-vous du guide National Geographic. Vous apprendrez vite cette vérité contre laquelle tout en vous proteste : non, Paris n’est pas  ̶  ou plus  ̶   le centre du monde global. Vous êtes dans la peau d’un gagnant de la mondialisation. Vous la trouvez globalement très positive, et d’ailleurs, le tourisme que vous pratiquez assidûment est l’une de ses plus agréables conséquences. Réjouissez-vous que la Ville-Lumière, autrefois assombrie par ses cafés enfumés, soit passée à l’heure de la législation anti-tabac.  Propre, saine, hygiénique comme un aéroport, Paris est un musée, une compilation de monuments sélectionnés et décrits avec sobriété, fluidité et élégance. Vous êtes un moderne : pour vous, Saint Louis se nomme Louis IX. Et puis, on ne vous la fait pas : vous savez que Saint-Germain-des-Prés n’est plus qu’un vestige éteint. Enthousiasmé par l’idée du « Grand Paris » et favorable en théorie au multiculturalisme, vous déplorez toutefois que l’immigration de masse ait fait quelque peu perdre leur âme à certains quartiers parisiens.

… ou « Lonely Planet »

Pour vous, la mondialisation, c’est surtout la crise. Grâce aux guides de poche de Lonely Planet, vous aurez des munitions pour survivre. Être au plus près de votre budget, compiler les bons plans, rester connecté : vous n’êtes plus un touriste, mais un citoyen fauché du village global. Du coup, vous pratiquez Paris comme l’un de ses habitants – d’ailleurs, à l’origine, vous l’étiez. Nostalgique de l’authenticité, vous n’avez pas les moyens d’être un touriste. Il faut voir les bons côtés de la chose. Foin de l’idéologie, le minimum d’informations culturelles pour vous repérer, le monde contemporain est une jungle, mais vous y survivrez comme le premier autochtone venu.

Perspective consumériste : le « Petit Futé »…

On peut également résumer Paris en une suite d’adresses classées par secteurs, comme un réservoir infini pour assouvir nos besoins ou nos caprices. Le Petit Futé vous fournira, certes, un annuaire assez exhaustif des innombrables services et commerces que propose la capitale, d’un cours d’aïkido à l’achat de fruits exotiques en passant par un musée ou une salle de spectacles. Mais un léger défaut pourrait bien assombrir votre joyeuse métamorphose en hyper-consommateur : les descriptions sont rédigées dans un français post-orthographique. La concordance des temps relève d’une logique oubliée, les accords obéissent à des lois mystérieuses : « Le mot d’ordre nous a bien plus » (p. 233), « Ont été créé ici des œuvres… » (p. 518), « Ce club privée » (p. 269), « Chacune disposent » (p. 303), et le pont des Arts est « un passage obligé pour les amoureux de passage »

… ou « Vuitton ».

Finissez enfin en flambant : après avoir fait l’acquisition du guide le plus mince, le plus select et le plus cher du marché (25 euros et aucun service de presse), vous verrez Paris comme le merveilleux écrin de vos plaisirs les plus snobs. Pour vous, les bobos ne sont que des parvenus un peu grotesques débarqués du Nord-Est comme Attila, la mondialisation n’a troublé que les arrivistes et les faibles et la consommation de masse, genre Petit Futé, c’est pour les ploucs. Vous planez au-dessus de tout ça, avec une vue aérienne de la capitale qui ne retient que quelques adresses « cosy chic », « palace », « charme », « japonais mode » ou « néo-classique luxe ». Seul ennui : vous planez tellement que, pour vous, le 6e arrondissement est encore littéraire et que vous prenez Moix pour un écrivain. Après de telles absurdités, vous ne serez pas si mécontent de redescendre et de vous retrouver, enfin, dans ce bon vieux Paname.[/access]

Paris, collectif, Le Routard, Hachette, 2013.

Paris, collectif, National Geographic, 2013.

Paris, à petits prix, Sophie Senart, Cheap & Chic (Lonely Planet), 2013.

Paris en quelques jours, Catherine Le Nevez, Lonely Planet, 2013.

Paris, collectif, Petit futé, 2013.

Paris, collectif, Louis Vuitton, 2013.

*Photo : trevonhaywood.

Se dire communiste, ça fait rire Dieu

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Le communisme selon Marx a-t-il été réalisé ou est-il toujours immaculé ? En tant qu’Idée, le communisme n’a pas d’autre définition possible que la communauté des biens et donc l’absence de propriété individuelle. Telle est sa seule essence invariable.
Cette idée a été mise en pratique sous diverses formes : par les États communistes, par certaines communautés religieuses, par les kibboutzim, et encore par d’autres expériences locales.
La communauté des biens est-elle un idéal de vie respectable ?
Naturellement, mais à seule une petite condition : que ce mode de vie soit choisi en toute liberté par des adultes consentants qui le désirent pour eux-mêmes.
Le communisme de Marx et des communistes ne respecte pas cette condition absolument impérative.
Il se distingue avec fierté des autres formes de l’idée communiste sur ce point : loin de résulter d’un libre choix individuel, il se présente comme le résultat nécessaire et s’imposant à tous du mouvement de l’histoire, dont la réalisation est l’affaire historique du prolétariat.
Cette idée du communisme qui est exposée dans le Manifeste du parti communiste a été mise en pratique par les partis communistes au pouvoir.
C’est le seul point sur lequel je dois contredire l’excellent article de Guillaume Nicoulaud, quand il écrit : « Le communisme, nous disent des Gérard Filoche ou des Jérôme Leroy, n’a jamais existé : comment pourrait-il être responsable de ce dont on l’accuse ? Eh bien ils ont raison. Le communisme, au sens marxiste – et donc canonique – du terme, c’est une société où les classes sociales ont été abolies, une société débarrassée de la propriété privée des moyens de production mais aussi une société sans État. Le communisme, c’est une forme d’anarchisme et vous conviendrez avec moi que des régimes comme celui de l’ex-URSS, de la Chine maoïste ou de l’actuelle Corée du nord ne cadrent pas du tout avec cette définition. »
Mille regrets, le communisme selon Marx et selon le Manifeste du parti communiste ne désigne pas seulement le terme final de la révolution communiste, à l’exclusion de son commencement. Le communisme selon Marx connaîtra des stades, mais pas de changements de nature.
Entre le communisme du départ et le communisme de l’arrivée, voyons ce qui fait la différence.
Au départ du communisme, même quand tous les moyens de production auront été collectivisés, il faudra continuer de travailler par nécessité, tandis que quand la rareté des biens aura fait place à leur abondance, le travail deviendra une activité libre, et même le premier des besoins.
Au départ du communisme, toujours à cause de cette satanée rareté des biens, il faudra conserver la division du travail, tandis que plus tard, grâce l’abondance, chacun fera ce qu’il veut dans tous les types d’activité et deviendra un « homme total ».
Au départ du communisme, chacun sera rémunéré à proportion de sa contribution en temps de travail social à la production des biens, tandis que quand règnera l’abondance, ce sera à chacun selon ses besoins et de chacun ses moyens, si tant est qu’une répartition s’impose.
Quant à l’État, il existe bel et bien au départ du communisme, puisque selon le Manifeste tout est placé entre ses mains et qu’il dispose d’un pouvoir total. Mais quand grâce à l’abondance, les conflits d’intérêts auront disparu et qu’il n’y aura donc plus besoin d’un pouvoir politique exerçant sa domination par la violence, alors la société pourra s’administrer elle-même sans être soumise à un pouvoir politique.
L’erreur de base de Marx est d’avoir cru que la suppression de la propriété privée mènerait à l’abondance, laquelle ferait disparaître tous les maux.
Sa faute de base est d’avoir condamné la liberté individuelle en tant que valeur bourgeoise faisant barrage à l’abondance.
Que dire alors à ceux qui se proclament communistes et révolutionnaires tout en condamnant ce qu’a montré la pratique du communisme ?
Cette remarque de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. »

L’anarchiste portait des gants

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zo axa anarchisme

zo axa anarchisme

« C’est un fort beau garçon : il a dans sa mise quelque élégance et il porte des gants» C’est ainsi que le Journal des Débats décrit en 1893 le jeune homme de 28 ans qui se présente devant la Cour d’assises de la Seine afin de s’opposer à une précédente condamnation à deux ans de prison pour délit de presse. Son nom ? Alphonse Gallaud, plus connu sous un pseudonyme retentissant, Zo d’Axa. Zo d’Axa ! Personnage bien oublié aujourd’hui, mais qui appartient à la mythologie de l’anarchisme littéraire et que connaissent ceux qui s’intéressent à la littérature fin de siècle. Comme le rappellent Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol dans La feuille qui ne tremblait pas, biographie richement documentée, la littérature du temps est en effet passionnément anarchiste : les feuilles contestataires fleurissent, Paul Adam traduit Le Manifeste communiste dans Les Entretiens politiques et littéraires (l’incompatibilité entre marxisme et anarchisme n’est pas encore très claire), La France littéraire se réclame de la Révolution, Rémy de Gourmont publie dans le Mercure sa célèbre diatribe antimilitariste et Le Figaro s’inquiète de ce bouillonnement subversif qui menace les institutions.
C’est dans ce contexte que Zo d’Axa, somptueux garçon à barbe de barde, déserteur, poète, bourreau des cœurs et voyageur infatigable, devient patron de presse et lance successivement deux journaux, L’Endehors (sans tiret) et la feuille (sans majuscules). Ces deux titres compteront parmi les fleurons de la presse anarchiste, alors fourmillante. L’Endehors, en particulier, hébergera des signatures prestigieuses (Tristan Bernard alors inconnu, Georges Darien, Fénéon, René Ghil, Saint-Pol Roux, etc.), et multipliera les condamnations ; en 1892, moins de deux ans après sa création, le titre cumulait déjà 8 ans de prison et 15 000 francs d’amende, ce qui contraindra Zo d’Axa à chercher refuge à Londres. Quelques mois plus tard exploseront les premières bombes à Paris, le public découvrira Ravachol et Vaillant, et le Parlement votera les « lois scélérates »… « Mille institutions du vieux monde sont marquées d’un signe fatal, écrit d’Axa dans son exil londonien. Les affiliés du complot n’ont pas besoin d’espérer les lointains avenirs meilleurs, ils savent un sûr moyen de cueillir la joie tout de suite ! Détruire passionnément ! »
L’ouvrage captivant de Lefrère & Oriol vaut autant pour sa reconstitution de l’époque que pour son portrait du héros. L’époque : on voit défiler les noms de l’anarchisme (de Sébastien Faure aux frères Reclus) et de la littérature, on redécouvre les cafés et les prisons, les journaux et les idées, bref, tout un monde renaît sous nos yeux, d’autant plus facilement que le livre regorge d’illustrations. Le héros : les auteurs en donnent un portrait plaisant et nuancé, celui d’un anar dandy et humaniste (sa campagne de presse contre la colonie pénitentiaire d’Aniane, sordide bagne pour enfants, a poussé le gouvernement à en ordonner la fermeture, comme le Nicholas Nickleby de Dickens avait provoqué la fermeture des pensions du Yorkshire), un écrivain racé et dilettante, aussi mordant et violent dans ses articles qu’aimable et lunaire dans la vie. Tout le contraire du cliché de l’anarchiste sauvage issu de la classe ouvrière (d’Axa était plutôt fortuné), ce qui poussera d’ailleurs les « purs », tels Jean Grave, à le regarder avec méfiance.
Mais d’Axa, lui, s’en fichait : indifférent aux étiquettes, il n’était apparemment pas dérangé qu’on lui refuse celle d’anarchiste. « Pas plus groupés dans l’anarchie qu’embrigadés dans le socialisme, écrit-il, nous allons – individuels, sans la Foi qui sauve et qui aveugle. Nous nous battons pour la joie des batailles et sans rêve d’avenir meilleur. Que nous importent les lendemains qui seront dans des siècles ! Il faut vivre dès aujourd’hui, tout de suite, et c’est EN DEHORS de toutes les lois, de toutes les règles et de toutes les théories – même anarchistes – que nous voulons nous laisser aller toujours à nos pitiés, à nos emportements, à nos douceurs, à nos rages, à nos instincts – avec l’orgueil d’être nous-mêmes. » Son ami niçois Georges Maurevert touchera juste lorsque, plutôt qu’anarchiste, il le qualifiera d’anarque : « monarque de soi-même »…
Au tournant du siècle, après dix ans de journalisme et d’aventures, d’Axa se retire des affaires et part en voyage. Il sillonnera le monde pendant plusieurs années puis s’installera dans une péniche pour naviguer humblement sur les canaux de France, entre Billancourt et Fécamp. De temps en temps, on le voit resurgir, toujours fagoté comme un marquis vagabond… Il se tire finalement une balle dans la tête, en 1930, à Marseille. « Ce révolté avait des allures d’aristocrate », note la nécrologie publiée par L’Excelsior. Alphonse Gallaud alias Zo d’Axa laisse derrière lui une légende discrète mais tenace, un beau livre de souvenirs écrit à 30 ans (De Mazas à Jérusalem, qui mériterait d’être réédité). Et les quelques dizaines de numéros de la feuille et de l’Endehors, titres mythiques dont, aux dires de ses biographes, aucune bibliothèque en France ne possède de collection complète.

Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol, La feuille qui ne tremblait pas, Zo d’Axa et l’anarchie, Flammarion, 2013.

À l’Est, l’homme nouveau

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pologne conge paternite

pologne conge paternite

Tandis qu’en Occident, le féminisme s’esquinte à surmonter ses divisions, en Pologne, l’union fait la force des suffragettes. Le Ve  Congrès des femmes, organisé en juin à Varsovie, en a été la démonstration suprême. Qu’elles se disent de tradition libérale ou socialiste, pro-sexe ou pas, les 8500 déléguées se sont accordées sur un constat : l’état de santé des hommes polonais pose un problème. Le débat, annoncé sous le titre « L’homme, cet inconnu », visait à déterminer une conduite appropriée des femmes face à la fâcheuse attitude de la population masculine, encline à renvoyer aux calendes grecques les examens périodiques de santé et autres dépistages. Faut-il encore charger les femmes d’une responsabilité supplémentaire, à savoir celle de veiller sur la santé des hommes ?[access capability= »lire_inedits »] Conviés à titre exceptionnel, des experts mâles de toutes sortes ont répondu par l’affirmative. Qui plus est, éviter aux hommes les situations traumatisantes telles que le divorce ou la perte du droit de garde aurait, ont-ils soutenu, des retombées bénéfiques sur leur forme. « Les hommes sont discriminés : seuls 3% d’entre eux obtiennent la garde des enfants », a même argumenté l’un des spécialistes. De fait, l’opinion publique s’enthousiasme pour la famille égalitaire mais, dans la vraie vie, seuls 20 % des foyers s’en approchent. Bizarre : l’entrée dans le monde merveilleux de l’Union n’a pas fait disparaître les préjugés culturels, la tradition patriarcale, sans oublier la peur du qu’en dira-t-on – Qui c’est qui commande chez toi ? Autant de contraintes et d’inhibitions qui minent le bien-être masculin. On ose à peine imaginer le tonus de tous ces hommes si on leur réservait l’exclusivité du pouponnage !  Mais heureusement, le calvaire des Polonais, obligés d’obliger leurs femmes à la soumission, va peut-être prendre fin. Dans un appel solennel au gouvernement, le Congrès des femmes demande l’instauration d’un congé paternité obligatoire de quatre semaines. Envoyer les hommes aux fourneaux : qui se serait douté que la Pologne était entrée dans l’âge postmoderne ?[/access]

*Photo : unclepaul.

Les Matins de France Culture kidnappés par un commando d’Al Qaïda !

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Cela s’appelle les « Matins d’été », six semaines de pause pour les animateurs habituels de l’émission matinale d’info de France Culture. Ces gens-là ont, paraît-il, droit à des vacances. Les producteurs de cette émission, Marc Voinchet et son acolyte Brice Couturier, sont de gros malins : ils ont choisi, comme plagiste de leur émission, un certain Benoît Bouscarel, rédacteur en chef adjoint du Mouv’, la station « djeun » de Radio France, qui fait des bides d’audience retentissants. Dès les premières émissions, on s’est demandé en effet si les deux compères partis en vacances n’avaient pas, à dessein, installé sur leur fauteuil une caricature de gauchiste sectaire pour se faire désirer pendant tout l’été.
Chaque « débat » où ledit Benoît Bouscarel se pique de « prendre de la hauteur » est conçu selon le modèle « Dupond-Dupont » de Tintin. Le plus haut degré de controverse acceptée est celui qui met aux prises la gauche et l’extrême gauche. En complicité avec une rédaction de l’info à France culture déjà passablement partielle et partiale, qui était quelque peu contrebalancée par le duo Voinchet-Couturier, c’est la grosse artillerie anti-américaine qui nous est balancée chaque matin à partir de sept heures. Obama proteste contre l’asile donné par Poutine à Snowden ? Bouscarel s’efforce de faire dire au pauvre intérimaire de Washington qu’Obama est de la race des Nixon ou Reagan ! Le comble a été atteint jeudi 8 août vers 8h34 où une « experte », Anne Giudicelli, invitée par Bouscarel à commenter la situation au Yémen a déclaré :  « Le 11 septembre, c’est un peu la Shoah des Etats-Unis. A partir de là, ils ont décidé que tout leur est permis. »
Cette analyse percutante ne suscite aucune réaction de la part de l’animateur, et l’approbation chaleureuse de l’autre « expert »,  un ambassadeur à la retraite, qui se lâche dans un anti-américanisme débridé après des décennies de baisage de babouches de potentats arabes. Non, à la réflexion, Voinchet et Couturier n’auraient pas été si cruels avec leurs auditeurs habituels. Ils ne sont pas partis en vacances. Ils ont étés enlevés  par un commando d’Al Qaïda, et le pouvoir fait silence. Une honte.

Air France : Comme un avion sans elle, ni lui d’ailleurs

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air france etat

air france etat

Le marché a toujours raison. Pour une raison simple : nous sommes tous des êtres rationnels qui, dans un égoïsme bien compris, allons permettre à une main invisible d’organiser le monde merveilleux des harmonies spontanées. Demandez-le à n’importe quel trader, il vous l’expliquera très bien.
En plus,  marché rime avec démocratie. Bon, il faudrait voir dans quelle langue, parce qu’en français, non seulement ça ne rime pas mais il n’y a même pas d’assonance. Je me suis laissé dire que ça ne rimait  pas non plus en chilien comme pourront vous le confier les Chicago boys de Friedman, l’ami de Pinochet, qui ont eu besoin d’un putsch pour appliquer leurs mesures économiques. Mais bon, c’est une affaire entendue, le doux commerce de Montesquieu est une réalité et on sent très bien la saine et pacifique émulation qui règne entre les grandes puissances économiques aujourd’hui.
On comprend bien pourquoi la furie des privatisations, qui frise parfois le pathologique, se poursuit avec les résultats brillants que l’on connaît depuis les débuts de la révolution néo-conservatrice. Demandez, parmi mille autres exemples, à la poste suédoise, aux chemins de fer anglais ou à l’industrie nucléaire japonaise, par ordre croissant de gravité. Bon, être obligé d’aller chercher un colis chez son épicier de Malmö est certes moins gênant que de dérailler avec le néo-libéralisme en gare de Paddington (31 morts et 500 blessés en 1999) ou de se faire irradier du côté de Fukushima alors que Tepco, le grand  opérateur privé du nucléaire japonais, a géré la crise avec une telle compétence que l’Etat nippon a préféré redevenir l’actionnaire majoritaire en 2012 (avant, on disait nationalisation, mais plus maintenant car c’est un gros mot stalinien comme salaire minimum ou sécurité sociale).
Donc, il faut privatiser. C’est comme ça. Même si vous aviez l’impression que ça marchait mieux avant, c’était une illusion. Vous devez être de gauche et avoir un problème avec le réel, même si vous n’avez plus de facteur et que vous arrivez très en retard en train quand vous avez survécu au voyage : de toute manière, ce n’est pas grave, on vous repère dans le noir car grâce à Tepco, vous êtes phosphorescent.
Chez nous droite et gauche social-démocrate confondues ont privatisé. C’est ainsi que cet été, on vient d’apprendre qu’Air France, qui n’appartient plus aux Français depuis 2004, a merveilleusement profité de la privatisation. Déjà, pour se débarrasser de personnels jugés inutiles. 2500 postes seront supprimés d’ici 2015 nous a annoncé au cœur de l’été la direction de la compagnie aérienne. Depuis les quatre dernières années, on atteint les 15 000 postes disparus. Oui, mais enfin, me direz-vous, ce n’est pas le rôle de l’Etat de transporter des gens en avion. Sauf sur les lignes non rentables, évidemment : dans ce cas-là on invoque des obligations de service public, ce qui revient à faire d’Air France un boxeur qui monte sur le ring du marché avec un bras lié dans le dos. Et puis, si Air France licencie autant (on appelle ça le plan Transform 2015), c’est sûrement pour de bonnes raisons. Le secteur privé sait ce qu’il fait, contrairement à l’Etat toujours prêt à subventionner des emplois bidons avec l’argent du contribuable.
Le problème, c’est qu’il semble qu’Air France privatisée ait fait des choix stratégiques désastreux et que les pertes d’emploi soient là pour réparer les pots cassés d’une direction qui a privilégié à contre temps les longs courriers et qui a également cherché à gagner 20% de productivité en utilisant l’emploi comme variable d’ajustement, pour faire mieux que les petits camarades.
Heureusement, un actionnaire sympa est toujours dans le capital de l’entreprise. Il s’appelle l’Etat et il est présent à hauteur de 16%. Et l’Etat, il est très cool. Le marché peut toujours compter sur lui pour réparer la casse sociale. Il suffit juste qu’il reste à sa place et qu’il réponde quand on le siffle, histoire de socialiser les pertes avec nos impôts. Et ça tombe bien, en France comme ailleurs, l’Etat,  en plus, il obéit. À chaque fois.

*Photo : quixoticguide.

Le mariage pour tous ne touche pas à la filiation

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laurent baumel mariage

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Laurent Baumel est maire de Ballan-Miré et député socialiste d’Indre-et-Loire. Il  a créé le collectif parlementaire de la Gauche populaire. 

Propos recueillis par Gil Mihaely et Daoud Boughezala

Causeur. La loi Taubira a provoqué une forte mobilisation de ses opposants, rassemblés sous l’étiquette de la Manif pour tous. S’agit-il d’un simple phénomène de saison ou du premier acte d’une nouvelle bataille politique ?  
Laurent Baumel. J’ai l’intuition que c’est un phénomène éphémère, une mobilisation de réseaux préexistants autour de l’Église catholique et des associations familiales.
Dans ce cas, comment expliquez-vous l’ampleur de la mobilisation ?
La Manif pour tous a tout simplement fait le plein de ces milieux grâce à la médiatisation et au succès relatif des premières manifestations. Dans un deuxième temps, la droite politique, en proie à des problèmes internes, a pris le train en marche. Au début du débat, une dizaine de députés UMP tenaient le crachoir, mais le gros des troupes montrait un faible intérêt, voire un certain malaise.  J’ai remarqué le faible intérêt des députés UMP au début du débat. Cette relative indifférence s’est transformée en engagement de chaque instant quand ils ont compris qu’il en allait quasiment de leur survie politique ! Entre-temps, j’imagine qu’ils avaient reçu de nombreux retours de leur circonscription. Dès lors, chaque député devait absolument  pouvoir dire à ses électeurs : « Moi aussi, j’ai lutté contre la loi » ! Le mouvement anti-« mariage pour tous » est donc devenu un enjeu dans la bataille de leadership à droite et une occasion de renouer avec une partie de la base. C’est cet ensemble qui a fait prendre la mayonnaise.
Il y a un an, vous plaidiez pour le vote rapide d’une loi a minima − le mariage sans l’adoption. Pressentiez-vous déjà que ce débat allait profondément diviser la société française ?
Ce n’est pas exact. Pour moi le mariage et le droit à l’adoption ne sont pas séparables. Quant à votre question, parler de division profonde est un peu exagéré. À un moment donné, l’idée d’un « mariage pour tous », comme accomplissement logique de la démarche commencée avec le PACS, a bénéficié d’un large consensus dans l’opinion publique. Tout le monde avait compris qu’il s’agissait d’une revendication d’égalité, d’une forme de reconnaissance symbolique de l’homosexualité qui n’introduisait aucun élément radicalement nouveau dans la pratique.  Mais le groupe socialiste de l’Assemblée a, pendant un temps, fait le forcing pour introduire dans le texte l’ouverture de la PMA aux couples de femmes – dont François Hollande ne voulait pas plus que de la GPA. Ce fut une erreur : en touchant à la famille et à la filiation, on a coalisé un front du refus.[access capability= »lire_inedits »]
Dans ce cas, l’adoption aussi était une erreur, non ?
Non car l’adoption existe dans notre civilisation depuis fort longtemps et elle concerne des enfants qui sont déjà nés, ce qui n’est pas le cas ni de la PMA, ni  de la GPA, procédés qui soulèvent des problèmes bioéthiques de tout autre nature.
On a l’impression que deux France se regardent en chiens de faïence sans se comprendre, et même sans s’entendre. En tant qu’homme politique de gauche, n’avez-pas vous pas observé, dans le camp d’en face, l’émergence d’une nouvelle génération de catholiques ?
Je n’en suis pas certain. Ce que j’ai cru voir, un dimanche après-midi, en observant une manifestation contre le « mariage pour tous » à Paris, c’est plutôt la France catho classique : pas forcément des intégristes, mais des gens qui se reconnaissent dans une certaine communauté, les familles, gosses en avant, une grosse sortie de messe ! Un peuple de droite qui voulait montrer qu’il pouvait, lui aussi, manifester, même si cela arrive une fois tous les trente ans…
Une espèce rare – et peut-être menacée – échappe à votre logiciel : les fameux « cathos de gauche » !
Je n’ai pas en tête d’études statistiques à ce sujet, mais pour ma part, je rencontre peu de  « cathos de gauche » dans les nouvelles générations.
Dans votre ville de Ballan-Miré, avez-vous vu des cars partir à la Manif ?
Dans ma ville, non, mais à Tours, qui est à 10 km de Ballan-Miré, à ma grande surprise, j’ai constaté une certaine effervescence.  J’ai été encore plus étonné d’observer la mobilisation, quoique tardive, d’un certain nombre de musulmans qui se sont joints à la droite catholique. Sur le marché de Joué-lès-Tours, dans ma circonscription, j’ai été interpellé très sympathiquement par un jeune musulman qui m’a annoncé qu’il allait se rendre le soir même à la manifestation par opposition au mariage homosexuel. Le soir même, en passant à Tours devant la place de l’Hôtel de ville, j’ai également vu quelques femmes voilées qui s’apprêtaient à aller défiler  contre la loi Taubira. D’autres parlementaires m’ont parlé de ce même phénomène en banlieue parisienne.
Cette convergence cathos-musulmans semble invalider l’hypothèse de la Fondation Terra Nova d’une coalition progressiste rassemblant les enfants d’immigrés et les bobos des grandes villes…
Je ne sais pas si le petit échantillon que j’ai pu voir est représentatif d’un phénomène global mais en effet, la question du mariage homosexuel a peut-être fragilisé momentanément  cette alliance qui est un piège pour la gauche : d’un point de vue stratégique, je récuse l’idée qu’une coalition bobos-banlieue puisse constituer le socle électoral du PS. Ceci étant, si la jonction entre la bourgeoisie intellectuelle des centres-villes et de la première couronne, ceux qu’on appelle les « bobos », et des gens issus de l’immigration, existe partiellement dans les faits, elle s’est peut-être, effectivement, quelque peu distendue sur la question du mariage homosexuel. Mais je le répète, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un phénomène déterminant à long terme.
Ne craignez-vous pas qu’une éventuelle coalition des croyants cherche à remettre en cause la laïcité ?
Je n’irai pas jusque-là. La laïcité souffre depuis plusieurs années, indépendamment de cette affaire. Au fond, ce problème est lié à celui du communautarisme, c’est-à-dire à la place des communautés dans la République. Et contrairement à ce que vous croyez, ce n’est pas cette question qui a été réactivée par les Manifs pour tous.
Pensez-vous, comme le démographe Hervé Le Bras, qu’Hollande a perdu beaucoup de points dans la bataille, y compris chez certains de ses électeurs issus d’une France de l’Ouest, plutôt catholique, qui seraient en rupture avec le gouvernement sur les valeurs ?
Non. Je crois que Mai-68 a profondément irrigué la société française. Aujourd’hui, même dans les familles un peu traditionnelles, les gens acceptent l’évolution des mœurs. Dans les milieux que je connais et qui m’intéressent plus particulièrement − les populations périurbaines, les ouvriers et les employés − la question ne passionnait pas les foules. Pour cette majorité silencieuse, le débat a trop duré et son importance a été exagérée.
Mais vous admettez – et tentez d’en convaincre votre camp – que ces gens s’intéressent à la sécurité et à l’immigration. Pourquoi ne se sentiraient-ils pas concernés par des questions liées à la famille et la sexualité ?
Les questions dites « sociétales » servent surtout à s’imposer au sein de sa propre famille politique et idéologique au sein d’un champ politique et idéologique. Pour autant, je ne pense pas que le  « mariage pour tous », l’homoparentalité, voire la contraception ou l’avortement demeureront durablement des thèmes du débat public, et encore moins qu’ils détermineront les choix électoraux. La remontée de Nicolas Sarkozy entre les deux tours de l’élection présidentielle a montré que le seul sujet sur lequel la droite et l’extrême droite pouvaient faire la jonction et devenir dangereuses électoralement, c’est l’immigration. Voilà le vrai sujet qui mord ! Surtout en temps de crise.[/access]

Arcachon, bassin parisien

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Bassin d’Arcachon, août 2013. La névrose parisienne a traîné son monde jusqu’ici. Plage du Pyla-sur-Mer et Cap Ferret pour thérapie. Sur les promontoires, les kiosques à journaux ont révélé l’arcane inédit : recette du bonheur estival dans les suppléments « Loisirs » et « Où sortir cet été ? ». Aussi le ciel ne pourrait-il pas être plus clair, l’océan plus bleu, qui s’avance énorme sur le bassin, chargé d’une écume blanche moutonnant l’horizon. Enfin, qui sous nos pieds recèle sa caresse discrète, ce sable chaud importé du Maroc. Ça souffle légèrement derrière la nuque et dans les plis des voiles des pinasses. C’est beau. Voilà pour le tableau. Alors, devant la toile de la toile, au pied d’une création cousue entre le ciel et l’eau, me vient un premier terrible constat : puis-je encore admirer la merveille gratuite tout en sachant sa grande récupération commerciale ? Puis-je m’étonner de la singularité unique du décor alors que l’industrie lourde l’a reproduite en des millions d’exemplaires ? Avec ces habituelles photos violet-noirs des crépuscules, ces t-shirts jaunes « Aimez la vie au bord de l’atlantique ! ». Et tout de suite, le panorama sublime se dissipe, je repense au souk à babioles du coin et c’est une usine de traitement des eaux au milieu d’un champ d’edelweiss, les Noces de Figaro sur un écran d’ordinateur.
Alors, toujours bien carré sur ma cime, à la fois témoin et client, m’est revenu cet autre terrible constat : le névrosé (il est parisien ici, certes, mais peut venir de Maubeuge, de Saint-Laurent-des-Bâtons, ou de Fox-Amphoux dans le Var) croit trouver dans son séjour un remède mais ne rencontre qu’un ersatz. Pas d’échappatoire à cette fatalité, le touriste allemand et le jeune étudiant, le banquier comme l’anticapitaliste averti ont cette charge sur le dos : leurs trois semaines de vacances sont d’une certaine manière un job d’été. Un travail travesti en loisir. Chaque présence ici participe au « coup de com » du lieu, chaque regard alimente l’usine à reproduire davantage d’images. Nous sommes d’involontaires employés, travaillant à ce que la nature ait sa valeur marchande et son code barre. À ce que la côte soit cotée.
De cette condition, plus personne n’est dupe. Surtout pas le névrosé. Il sait tout cela, il a becté de la critique sociale engagée à Nanterre et serait capable de citer Guy Debord entre mojito et cigare. Il a lu un peu de Philippe Muray aussi. Il a trouvé ça très vrai. Et voilà qu’il se sait prisonnier de l’engrenage infernal, mais qu’instantanément, la chausse-trappe qui lui lancine la conscience depuis un bon quart d’heure a de doux effets secondaires, façon anxiolytiques lourds (divertissement halluciné et éclate totale) et le préserve d’avoir à penser plus loin ce qui lui arrive : si la blessure est profonde et lente, la suture elle est en prêt-à-porter, rapide et efficace.
Hollande a eu la chic idée d’un « ministère du redressement productif ». Et, comme il est convaincu autant que ses contemporains que la transcendance et le mystère sont de farouches ennemis en politique, la création d’un ministère de  « l’affaissement contemplatif » ne verra jamais le jour.
Ce projet aurait pourtant pu pallier les expériences limites relatées plus haut. Il n’aurait pas la prétention de sauver le pays, certes, mais en proclamant l’amer constat que notre époque a le génie et le goût de l’impasse, ledit projet prendrait en charge la déglingue commune.