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Arrête ton char, Poutine !

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À l’occasion des championnats du monde d’athlétisme qui se tiennent actuellement à Moscou, les amateurs auront pu se régaler avec les épreuves combinées, surtout s’ils sont abonnés à Eurosport, auquel cas ils peuvent échapper à l’inénarrable Patrick Montel de France Télévisions, ses gags, ses considérations géopolitiques et ses agressions délibérées contre la syntaxe et le bon sens.
Mais laissons le service public à sa misère et revenons à nos épreuves combinées qu’on aurait pu croire closes hier soir après les deux jours de décathlon puis d’heptathlon. Eh bien non ! Figurez-vous qu’en marge de la compétition officielle, le facétieux ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou a organisé, nous disent la radio « La Voix de la Russie »  et  l’agence RIA-Novosti, une sorte de festival off, 100% inédit. Selon Ivan Bouvaltsev, chef du Département de la formation au combat des Forces armées russes : « Des compétitions internationales de biathlon pour chars d’assaut auront lieu le 17 août sur le polygone militaire d’Alabino, dans la région de Moscou. »
Les règles de cette nouvelle discipline (ou plutôt de cette discipline « en devenir » comme on dit sur France 2) sont furieusement inspirées de celles du biathlon tradi, qui combine ski de fond et tir à la carabine. Mais les organisateurs ont procédé à de menues modifications du règlement originel : les chars engagés, explique le général Bouvaltsev « devront parcourir une piste de 20 kilomètres et participer à trois séances de tir – en utilisant un missile, une mitrailleuse antiaérienne et trois obus d’artillerie. Les cibles seront installées à une distance de 0,9 km à 2,2 km. Chaque cible manquée ajoute 500 mètres supplémentaires à parcourir. »
Outre les équipages du pays hôte, ces championnats verront s’affronter des tankistes de trois autres républiques post-soviétiques et néanmoins amies : l’Arménie, la Biélorussie, et le Kazakhstan. Mais ce n’est qu’un début et le ministre Sergueï Choïgou a annoncé que l’Italie et l’Allemagne devraient participer à la prochaine édition et que les Etats-Unis ont également été invités.
On notera avec surprise que pour l’instant, aucune organisation de défense des droits de l’homme n’a appelé au boycott de la compétition.

Délinquance : Valls montre ses muscles

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manuel valls taubira

Nous ne sommes plus au mois de juillet, propice à la manipulation des dérailleurs sur la route du Tour de France, mais en août et Manuel Valls vient de changer de braquet. De loin la personnalité la plus populaire du gouvernement, il sait que son poids politique ne peut être négligé par François Hollande. Il faut bien que Jean-Marc Ayrault s’y fasse. Montebourg pèse plus lourd que Valls du fait de son score à la primaire socialiste qui en a fait l’allié politique indispensable à la chute de Martine Aubry. De la même façon, les cotes de popularité stratosphériques de Valls en font l’un des derniers atouts du Président de la République.
Cela a commencé par cet avis du Haut Conseil à l’Intégration en faveur de l’extension à l’université de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles et lycées. Valls a jugé la proposition du HCI digne d’intérêt, s’opposant en cela à la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, laquelle exclut tout débat sur le sujet. Que l’on trouve cette idée bienvenue ou non, ou qu’on soit partagé comme l’auteur de ces lignes, on ne peut que constater qu’une large majorité de Français est en accord avec cette proposition. Comme pour démontrer le poids du ministre de l’Intérieur, le pauvre Ayrault, plutôt sur la ligne Fioraso, n’a pas pu faire autrement que calmer le jeu, très embarrassé par la sortie de Valls.
Mais c’est surtout avec Christiane Taubira que Valls a décidé d’adopter une stratégie offensive. Alors qu’il expliquait depuis un an que la guerre Beauvau/Vendôme  n’aurait pas lieu tant qu’il serait assis dans le fauteuil de Clemenceau, Manuel Valls a expédié un courrier au président de la République, savamment distillée dans la presse[1. Le ministre de l’Intérieur dit officiellement regretter cette « fuite ». Il n’en reste pas loin que l’adage en vogue dans ce ministère, « à qui le crime profite », laisse peu de doutes sur son origine.], où il fait part de « désaccords mis en lumière par le travail interministériel (…) autour du projet de réforme pénale présenté par le ministère de la justice ». Impitoyable, le ministre précise : « Tant pour des raisons de méthode que de fond, l’écart entre nos analyses demeure trop important et appelle une clarification de nos orientations politiques.» Christiane Taubira a dit avoir découvert cette missive dans la presse et regrette que son collègue ne lui en ait pas touché un traître mot lors de leurs dernières conversations. Il faut bien qu’elle s’y fasse, la Garde des sceaux. Non seulement, le ministre de l’Intérieur, contrairement à elle, est un lecteur plus assidu des études de l’IFOP ou d’IPSOS que de la prose du Syndicat de la Magistrature, mais lui travaille vraiment à son compte[2. Allusion à un entretien de Christine Taubira accordé au New-York Times, dans lequel elle affirme « ne pas avoir de Chef (…) à part sa conscience ». Il va de soi que Taubira a un chef, le Président qui peut s’en débarrasser comme la première Delphine Batho, parce qu’elle ne pèse rien politiquement.]. Il a l’Elysée en ligne de mire à l’horizon 2022 voire 2017, quitte à sacrifier l’entente avec sa collègue sur l’autel de sa popularité.
Et Valls n’est pas un bleu en politique. Conseiller de Jospin à Matignon entre 1997 et 2002, il a la mémoire longue et se souvient des erreurs du passé. En donnant raison à la ministre de la Justice Elisabeth Guigou contre Jean-Pierre Chevènement sur les questions de répression, le premier ministre Lionel avait semé les premières graines de sa déculottée à l’élection présidentielle de 2002. Soutenu par l’opinion et échaudé par ce fâcheux précédent, Valls tente de rejouer le match en revêtant les habits du vieux lion de Belfort. Le premier flic de France n’oublie pas que du discours fondateur de François Hollande au Bourget, il ne reste plus grand-chose. La fameuse diatribe « Mon ennemi, c’est la finance » fâche ou déclenche l’hilarité, selon le caractère de chacun. La renégociation du traité Merkozy, n’en parlons même pas. Reste le fameux : « la République vous rattrapera », adressé aux délinquants. Par cette lettre, Valls enjoint donc le Président de lui donner raison, de faire de lui un Chevènement vainqueur de Guigou, avec la menace larvée de devenir un Sarkozy 2002-2007 si le chef de l’Etat ne lui donnait pas raison. Mettons-nous à la place de François Hollande. Tant la raison que l’état de l’opinion devraient le conduire à jouer Valls contre Taubira. Mais cette dernière a un atout dans sa manche. Plus que l’idéologie du SM et de Canal+ réunis, ce sont les marges de manœuvre budgétaire qui empêchent de construire les nouvelles places de prison nécessaires, mais aussi d’engager les greffiers et les juges d’application des peines qui manquent. Reste la tentation, très grande pour l’ancien maître des synthèses solfériniennes, de faire entendre du Valls bruyant et d’appliquer du Taubira mezza voce.
Ce serait une resucée de la politique sécuritaire de son prédécesseur, à l’époque pas si lointaine où Sarkozy roulait des mécaniques, pendant que Rachida Dati incitait – par la loi de 2009 – les juges à ne pas appliquer les peines de prison dont la durée n’excédait pas deux ans. Valls jouera-t-il ce jeu de dupes ?  Il n’y a pas intérêt tant les Français finissent de plus en plus par se lasser des discours non suivis d’effets. Pour être cohérent jusqu’au bout, s’il n’obtient pas les moyens de sa politique, le ministre de l’Intérieur devra sans doute démissionner le moment venu, histoire d’appliquer le précepte d’un certain… Chevènement.

*Photo : PS.

Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière

manif pour tous bourgeois

Ils étaient fils d’avocats, de médecins et de banquiers. Ils avaient fréquenté les classes préparatoires les plus cotées et suivaient des cours de finance internationale, de marketing et de management des organisations dans de prétentieuses écoles de commerce dont on leur rabâchait qu’elles étaient leur passeport pour l’avenir. Leurs prénoms se déclinaient comme une litanie des saints : Augustin, Charles, François, Sixtine, Constance, Isabelle et Édouard. Ils avaient pour uniformes des pantalons rouges ou verts et des chemises à rayures roses ou bleues, d’indémodables mocassins Todd et de grandes mèches qu’ils balançaient à la manière d’une vache qui chasse les mouches avec sa queue. Ils ne juraient que par l’Europe, l’économie libérale, Sarkozy et, pourquoi pas, Hollande, pourvu qu’il respectât les critères de Maastricht. Ils exprimaient leur conservatisme dans des propriétés de famille, des chasses dominicales ou, pour les grandes occasions, dans des messes post-conciliaires. Ils étaient des enfants de bourgeois, ils sont devenus l’armée de réserve de la Manif pour tous. Ils ne seront plus jamais les bourgeois de demain.
Jusqu’à maintenant, jamais ces privilégiés n’avaient battu le pavé. Vautrés dans leur confort, anesthésiés par une suffisance héréditaire, rien ne les disposait à aller contester une loi qui ne leur « enlevait pas de droits », quand bien même elle amputait les futures générations d’une filiation claire.[access capability= »lire_inedits »] La rue, c’était pour les prolétaires, pour ceux qui défendaient des intérêts particuliers, « pas notre culture », fanfaronnaient-ils. Toutefois, il existait chez ces jeunes une vague conscience du délitement qui progressait au point de les affecter : raréfaction du travail, baisse des salaires, précarisation, déclassement, etc. Une situation que le sociologue Louis Chauvel[1. Les Classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel, Le Seuil/République des idées.] a analysé pour cette classe sociale intermédiaire comme « un retournement […] un risque de déchéance dans une classe d’incertitude sans avenir ni retour […] l’extinction d’un projet social hier triomphant ». Au crépuscule de leur confort − moment idéal de remise en question −, par sens de la tradition, pour conjurer l’ennui, par antisocialisme primaire, ils ont commencé à défiler aux manifestations contre le mariage homosexuel comme on rejoindrait une marche blanche. Les slogans ont fusé, les discours ont martelé, les CRS ont tapé, et quelque chose s’est passé.
Éjectés de leur déterminisme social par la force de la conjoncture économique, ces enfants de bourgeois ont profité de la circonstance pour s’ouvrir aux questions anthropologiques, donnant ainsi raison à Antoine Spire lorsqu’il affirmait que l’anthropologie se situe au lieu des crises, au carrefour des doutes[2. Le Monde de l’éducation, juillet-août 2001.]. Face à cette rupture soudaine d’héritage social, ils ont tenté de comprendre l’idéal d’une génération prométhéenne qui avait rendu la leur orpheline. Dans les critiques de l’opposition au mariage homosexuel, ils ont retrouvé ce qu’ils reprochaient à la société héritée de leurs parents : l’émancipation égalitaire, l’autonomie de la volonté individuelle hédoniste comme source du modèle de civilisation, la jouissance immédiate au détriment des conséquences du futur, etc. Et ils ont compris que ce libertarisme dont ils  récusaient les effets était indissociable du libéralisme qu’ils glorifiaient pourtant. Au regard de l’aliénation et de la falsification du réel, vont-ils  définitivement renoncer à ce capitalisme ludique ? Certains y croient encore. D’autres les relayeront. La bourgeoisie est une hydre en constante régénération et une relève attend sous serre. Ses nouveaux hérauts, on les trouvait parmi les nombreux invités de marque présents à la soirée people organisée par Jean-Michel Ribes pour soutenir le projet de loi du mariage homosexuel, le 28 janvier. Footballeurs, stars cathodiques, patrons d’entreprises et journalistes en vogue – un panel de l’égalité dans sa diversité en somme − s’y pressaient, coupe de champagne dans une main et petit four dans l’autre, pour dénoncer l’homophobie, manière pour le moins habile d’esquiver le débat sur la lutte des classes et d’occuper le terrain avec la lutte des sexes.
Décidément, Pasolini avait raison, les bourgeois ne sont pas ceux que l’on croit.[/access]

*Photo : Mon_Tours.

Paris-Match : de la politique entre les orteils

L’hebdomadaire Paris-Match avait jadis pour slogan : « Le poids des mots, le choc des photos ». C’était réjouissant car cela ouvrait la porte à toutes les railleries imaginables autour de la prose pachydermique de certains articles et de l’aspect parfois racoleur des images publiées. Le nouveau slogan, lui, fait songer par sa niaise fadeur au titre d’un mauvais film de Claude Lelouch : « La vie est une histoire vraie ». On trouve de tout dans Paris-Match : des actrices sur le retour, des acteurs sur le départ, des faits divers abominables, de la romance à quatre sous, de l’actu showbiz à deux balles, une pincée d’art de vivre, une grosse dose de pub et de la politique. Même beaucoup de politique. Paris-Match a d’ailleurs été un des premiers magazines français à traiter la politique comme une actualité people à part entière. On a vu défiler Ségolène Royal à la maternité avec son bébé, Ségolène Royal sur un quai de gare avec son « compagnon », Nicolas Sarkozy dans à peu près toutes les postures possibles (« À pied à cheval en voiture et en bateau à voiles » comme chantait Prévert), et tant d’autres…
Cette semaine, c’est un feu d’artifice. Au cœur de l’été, alors que les lecteurs se prélassent sur les plages océanes ou urbaines, ou bien pantouflent en congés payés, le magazine en papier glaçant propose non pas un, non pas deux, non pas trois, mais pas moins de quatre sujets politiques. Tout d’abord l’indispensable Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris dont la dernière pitrerie en date est l’idée de créer un adjoint au maire en charge de la nuit, nous raconte son arrivée en France dans les années 60 puis sa naturalisation, photos noir et blanc à l’appui. La belle de Cadix omet de parler de son projet de rendre les voies sur berges aux « usagers » de la nuit. Dommage.
En page 22, Stéphane Le Foll – ministre de l’agriculture (le ministre le moins cité après Sylvia Pinel) – nous reçoit en sandales, son « golden retriever » au pied. Il se prétend dans les « starting-blocks ». En sandales. Passons.
Sous le titre « Le feu et la glace », Paris Match propose aussi un portrait de Marine Le Pen et de son compagnon de route Louis Aliot. Ils regardent dans la même direction depuis 2009. «  Fatiguée depuis qu’elle s’est fracturée le sacrum, lors du week-end de l’Ascension, en tombant dans une piscine vide, Marine Le Pen compte bien se reposer au mois d’août ». On imagine qu’elle va s’assoir…
À la Une du magazine, la « sirène » italienne Carla exhibe son sourire absolu. « Depuis juillet, les vacances avaient pourtant mal commencé avec le refus du Conseil constitutionnel de valider ses comptes de campagne. Il avait alors rompu avec ses vœux de discrétion, appelant ses sympathisants à l’aide. L’affluence des dons a transformé l’épreuve en démonstration de soutien. L’amour de Carla et les sourire d’une petite fille font le reste ». Et la France est fébrile… « L’ex première dame n’a pas pu résister à l’envie d’emmener son mari écouter Julien Clerc. (…) Lorsque Carla et son Raymond comme elle l’appelle dans une de ses chansons, sont arrivés au théâtre de verdure les applaudissements ont fusé ». Et puis soudain Paris Match s’emballe, et ose l’humour… « Depuis le temps, les apparitions de Nicolas Sarkozy sont, avec le Corso fleuri et la grande roue, l’attraction numéro un du Lavandou. »
Plus loin on voit l’ex-locataire de l’Élysée en train de se promener avec un exemplaire de L’Équipe. « Nicolas Sarkozy se promène en lisant L’Équipe, commande des pizzas et déguste ses beignets de courgette chez Ginette, soutien indéfectible »…
Nicolas Sarkozy c’est bien, mais Manuel Valls c’est mieux. On apprend – après une photo de bisou anthologique – qu’Anne Gravoin « refuse d’habiter Place Beauvau ». La concubine ajoute à l’oreille de son amant : « Tu me vois travailler mon violon sous les lambris ? » Le ministre de l’Intérieur est venu écouter sa femme en concert à Menton. L’hymne à l’amour des Beatles – All you need is love – l’aurait inspiré. On attend de voir.
Tout cela fleure bon 2017, et les élections présidentielles du même métal. Les newsmag sont en pilote automatique. Attention au crash.

Le discours anti-bourgeois est devenu tendance à l’UMP

ump cope peltier

Immigrés, musulmans, Roms, gens du voyage… nombreuses sont les victimes des stigmates infligés par l’UMP, si l’on en croit les adversaires politiques et médiatiques du principal parti de droite français. Il est pourtant un discours stigmatisant, se développant au sein de l’UMP depuis les dernières élections présidentielles, qui ne suscite guère de remous médiatico-politiques : le discours visant à disqualifier – pêle-mêle – les riches, les habitants des quartiers huppés et les diplômés de grandes écoles.
D’une manière générale, en France, les CSP+ en France ont l’habitude d’être malmenées par le discours d’hommes politiques de gauche, d’extrême gauche et d’extrême droite. À gauche, si le PS a pu être accusé de délaisser les catégories populaires au profit des classes moyennes, son candidat à la dernière élection présidentielle s’est tout de même permis l’audace d’affirmer sans ambiguïté lors d’un débat télévisé : « Je n’aime pas les riches ! ». À l’extrême gauche, classiquement, le « bourgeois » est mauvais du fait de son appartenance à sa « classe sociale », quelles que soient ses opinions politiques. À l’extrême droite enfin, dans le discours du Front national, ce sont plutôt les membres de « l’élite » – hauts fonctionnaires et « grands patrons » – ou les « bobos » qui sont conspués. Les premiers étant accusés de confisquer les richesses nationales dans l’intérêt de leur caste apatride, les seconds de cracher sur le peuple depuis leurs insolentes tours d’ivoire.
Le Français aisé ou très aisé – du moins celui qui est perçu comme tel – avait jusqu’à récemment, sous l’averse boueuse des offenses et accusations venues de la gauche ou de l’extrême droite, l’opportunité de s’abriter sous la tolérance du discours UMP à son égard. C’était avant la campagne présidentielle de 2012.
Nicolas Sarkozy, président de la République, candidat naturel de l’UMP aux élections présidentielles de 2012, se met à vilipender, à la veille de celles-ci, « la gauche caviar, la gauche morale qui habite boulevard Saint-Germain, qui met ses enfants dans des écoles privées », puis « la gauche bobo ». La figure du riche de gauche est brandie comme un épouvantail méprisable et grotesque, provoquant rires et sifflements dans les meetings. Non pas l’homme de gauche, mais bien le nanti de gauche, le bobo, coupable de combiner vote à gauche et style de vie confortable. Le pauvre de gauche, lui, n’est (fort heureusement !) jamais invoqué comme exutoire de la colère et de la moquerie, étant en quelque sorte encore sain de par son indigence, malgré son affiliation au camp idéologique adverse. Le niveau de vie des citoyens, selon le discours anti-bobo développé par l’ex-président de la République, devient tout bonnement un critère d’exclusion du peuple : « Je ne parle pas pour les bobos du boulevard Saint-Germain »croyait utile de préciser le candidat à la présidence de la République, pourtant censé s’adresser à tous les citoyens français, sans exception.
Parallèlement, les électeurs du FN se voient considérés par le Nicolas Sarkozy de l’entre-deux-tours comme des Français « qui souffrent », auxquels il ne faut pas donner « de leçon de morale » et dont la « colère » est « respectable », du fait de leur supposée appartenance aux catégories sociales défavorisées. Les « bobos de Saint-Germain-des-Prés », eux, ne méritent que l’opprobre, puisque vivant dans une arrogante bulle hors de la vraie France sur laquelle s’abat tous les malheurs. Pour résumer : le pauvre qui ne vote pas UMP n’est qu’une brebis égarée, tandis que le riche qui vote mal mérite le sort d’une brebis galeuse.
L’émergence de ce discours anti-classes aisées s’inscrit, durant la campagne présidentielle de 2012, dans la stratégie du président-candidat Sarkozy de couper l’herbe sous le pied du FN. Afin de puiser dans le vivier électoral frontiste, en constante expansion depuis l’avènement de Marine Le Pen, il ne convenait pas seulement pour Nicolas Sarkozy d’adopter un discours plus dur sur l’immigration et la sécurité, mais également de concurrencer le FN sur le terrain du populisme anti-riches, anti-élites, anti-système – ne serait-ce que d’un point de vue rhétorique, dans l’espoir d’appâter les électeurs des catégories sociales séduites par la vague bleu marine.
Le discours sarkozyste anti-bourgeois a survécu à l’élection de François Hollande. Les deux mousquetaires de la Droite Forte, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, le déclament pieusement sur les plateaux télé auxquels ils sont conviés.
La Droite Forte, c’est cette fameuse motion de l’UMP, créée par un transfuge du MPF et un jeune surdiplômé, qui s’est vue promue par les militants UMPistes premier mouvement au sein du parti. Sa ligne idéologique se veut « sarkozyste », ce qui signifie – si l’on se base sur les propos de MM. Peltier et Didier – conservatrice sur les questions sociétales, plutôt eurosceptique, franchement patriote et … vigoureusement « anti-bobo ».
MM. Peltier et Didier, nouvelles égéries de la ligne « dure » de l’UMP, sont des pourfendeurs hors pair de ces Français osant habiter du bon côté du périphérique. Chez Ruquier, Geoffroy Didier brocarde le journaliste Aymeric Caron qui, vivant « forcément plus près de Saint-Germain-des-Prés que des cités sensibles du Val d’Oise », ne comprendrait rien au « problème d’intégration » rongeant la France authentique.
Chez Zemmour et Naulleau, Guillaume Peltier accuse le journaliste Renaud Dély, coupable de relever la proximité croissante des discours FN et UMP, d’être « le porte-parole du microcosme parisien qui confond le peuple avec le Front national »
Neuilly, dont fut maire l’idole et mentor de Guillaume Peltier, a sans doute, il est vrai, une population plus au fait des préoccupations du peuple que le microcosme parisien !
Le discours anti-élites des hommes-liges de la Droite Forte ne s’arrête pas à des considérations sur le lieu d’habitat. Dans leur bouche, les diplômes prestigieux sonnent comme des tares : « nous on n’a pas fait l’ENA ! » clame fièrement M. Peltier sur le plateau de C à nous aux côtés de son compère, comme si cela leur conférait quelque légitimité politique que ce soit. Geoffroy Didier, en effet, n’a pas fait l’ENA… mais Sciences Po, l’ESSEC et Columbia !
Drôle de jeu, donc, que celui auquel jouent ces hérauts de la Droite Forte, et avant eux Nicolas Sarkozy. Alors que ce travers était habituellement réservé à la gauche ou à l’extrême droite, des représentants de l’UMP ont pris pour habitude de dénigrer certains citoyens français du fait de leur aisance matérielle, de leur lieu de résidence ou de leur niveau d’étude. Comme si « peuple » était synonyme de « pauvres », de travailleurs précaires ou d’habitants de quartiers « sensibles » – au lieu de désigner tous les Français sans distinctions sociales et économiques.
Si ce discours anti-bourgeois et anti-élite qui vise à draguer l’électorat populaire est grotesque et caricatural, il risque surtout de froisser l’une des bases électorales traditionnelles de l’UMP, quand la crise que le parti traverse devrait lui imposer d’éviter plus que tout la désunion…

*Photos : UMP.

L’autre exception française

pcf famille mariage

On a beaucoup glosé sur la spécificité française révélée par l’ampleur de la mobilisation populaire contre la loi Taubira. Pourquoi ce texte a-t-il suscité une telle émotion dans une large partie de l’opinion hexagonale et ultramarine alors que des lois similaires étaient passées comme lettres à la poste dans des pays aussi culturellement divers que la Grande-Bretagne, l’Espagne ou le Brésil ? Si l’on pouvait, à la rigueur, expliquer l’assentiment aux unions homosexuelles de l’Angleterre et de douze États américains par l’individualisme anglo-saxon,   cela ne vaut ni pour l’Espagne ni pour le Brésil, pays de culture catholique où, traditionnellement, les droits de la famille priment sur ceux des individus. Faut-il alors accepter l’interprétation proposée par quelques penseurs de la gauche élitaire, style Terra Nova, qui prétendent que cette glorification de la famille old style, hétérosexuelle et patriarcale, traduit la « droitisation » de la société française, voire un retour du refoulé vichyste ? On nous permettra de trouver un peu courte cette explication, qui suppose que la « valeur famille », sanctionnée par le mariage civil et républicain, soit un marqueur de la droite, alors que sa supposée dénaturation au nom de l’extension sans limite des droits de l’individu appartiendrait à l’ADN de la gauche.
C’est faire bon marché d’une réalité pourtant aveuglante : la conversion de la minorité homosexuelle au mariage bourgeois et au désir fou de normalisation d’une différence radicale constitue une victoire totale de l’idéologie « familialiste » sur celle des « libéraux-libertaires ». Les pionniers de la lutte pour les droits des homosexuels, dont les survivants sont, hélas, peu nombreux, tant ils ont été décimés par le sida, ont dû s’agiter frénétiquement dans leur tombe en entendant leurs héritiers revendiquer leur droit de jouer, comme tout le monde, à « papa, maman, les gosses, le chien et le pavillon de banlieue ». Qu’auraient pensé les Guy Hocquenghem, Michel Foucault, Jean Genet, Gilles Deleuze, Félix Guattari[1. Deleuze et Guattari n’étaient pas homosexuels, mais le mouvement gay s’est longtemps appuyé sur leur théorie avant de se passionner pour les gender studies d’outre-Atlantique.] de cette exigence des LGBT du droit à « faire famille » ?[access capability= »lire_inedits »] Ils s’en seraient sans doute gaussés, avec le talent et la fougue qu’on leur connaissait ; ou peut-être se seraient-ils murés dans un silence réprobateur, comme les actuels dépositaires de leur mémoire…
À gauche et à l’extrême gauche, l’affrontement entre les soutiens et les contempteurs de la famille ne date pas d’aujourd’hui : il remonte, au moins, aux polémiques qui ont opposé Lénine à Alexandra Kollontaï et Rosa Luxemburg, le premier défendant une conception moraliste et traditionnelle du couple et de la famille, alors que les secondes militaient, en théorie comme en action, pour la liberté sexuelle et la destruction des liens familiaux, considérés comme un héritage bourgeois et réactionnaire. Plus près de nous, dans les années 50 du siècle dernier, Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, s’est opposée  violemment à Simone de Beauvoir au moment de la publication du Deuxième Sexe. Contrairement aux apparences, c’est la stalinienne Jeannette Vermeersch qui l’a emporté sur la compagne de Jean-Paul Sartre, même si cette dernière reste une icône mondiale des féministes. En 1972, le philosophe Gilles Deleuze, principal pourfendeur moderne du « familialisme », et Félix Guattari publiaient L’Anti-Œdipe, dans lequel ils désignaient la psychanalyse, et particulièrement sa version lacanienne, comme le dernier avatar de l’oppression familialiste. En 1980, Deleuze constatait, amer, l’échec de cette tentative de purger la société de cette structure, lieu privilégié, selon lui, des « micro-fascismes » : « Anti-Œdipe est paru juste après 68 : c’était une époque de bouillonnement, de recherche. Aujourd’hui il y a une très forte réaction. C’est toute une économie du livre, une nouvelle politique, qui impose le conformisme actuel. […] Et puis, une masse de romans redécouvrent le thème familial le plus plat, et développent à l’infini tout un papa-maman. […] C’est vraiment l’année du patrimoine, à cet égard L’Anti-Œdipe a été un échec complet. »
Un an plus tard, l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la République consacrait le triomphe de la gauche familialiste. Mitterrand éprouvait à l’égard de la famille les mêmes sentiments que François Mauriac envers l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale : un amour si grand qu’il ne voyait que des avantages à en avoir deux… Le premier président de gauche de la Ve République n’hésitait pas, cependant, à convoquer dans son bureau des journalistes accrédités à l’Élysée pour les sermonner vertement s’ils avaient eu la mauvaise idée de divorcer. De plus, il mena tout au long de son mandat, une politique résolument favorable à une conception traditionnelle de la famille à la française, ne touchant pas aux avantages fiscaux et aux prestations sociales dont elle bénéficiait, même si ces derniers étaient accordés de manière indifférenciée aux riches comme aux pauvres. Il s’opposa même aux mesures symboliques de « modernisation », comme la possibilité de transmettre aux enfants, au choix, le nom du père ou celui de la mère, ou les deux accolés. Cette mesure, défendue avec fougue par Ségolène Royal, alors conseillère de Mitterrand pour les affaires sociales et familiales, dut attendre l’élection de Jacques Chirac et d’une majorité de droite – qui l’adopta en 2003.
Cette résilience de la famille française face à tous ceux qui projetaient de la déconstruire, au profit de l’individu ou d’une utopie collectiviste, constitue bien une exception culturelle au sein du monde occidental. La famille remplit à l’échelle microsociale la même fonction que la nation au niveau macrosocial : elle constitue un espace de solidarité naturelle. Cela explique que notre natalité soit supérieure à celle des pays voisins, et que la famille joue un rôle d’amortisseur des crises économiques. Le « syndrome Tanguy », qui pousse les enfants à s’incruster au domicile parental jusqu’à un âge avancé, serait, par exemple, impensable en Allemagne. Quand ses bambins l’ont obligée à rester au foyer durant de longues années, faute de crèches, d’écoles maternelles ou de cantines scolaires, la femme allemande s’estime libérée de toute obligation à leur égard lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte, quitte à déposer leurs affaires sur le palier s’ils refusent de voler de leurs propres ailes. Quant au communautarisme à l’anglo-saxonne, qu’il soit fondé sur l’appartenance de classe, l’origine ou l’orientation sexuelle, il assure la prise en charge des plus faibles hors de la famille. En conséquence, dans ce modèle, les politiques publiques s’adressent aux individus ou aux communautés, mais font l’impasse sur la famille.
La famille à la française résiste d’autant mieux à ceux qui veulent l’abolir qu’elle s’inscrit dans notre patrimoine culturel. De la tragédie racinienne, œdipienne (forcément œdipienne), aux sagas familiales de Balzac et Zola, la « grande littérature » française est familialiste comme pas deux, alors que l’Allemagne a une prédilection pour le « roman de formation » et le monde anglo-saxon pour les drames de l’émancipation individuelle. Une exception confirme la règle : Gustave Flaubert, dont il n’est pas fortuit que Sartre, autre « antifamilialiste » notoire, se soit fait le biographe.
Dans ces conditions, si l’on excepte quelques adeptes de l’individu-roi, qui considèrent l’extension indéfinie des droits comme la définition même du progrès, la controverse à laquelle on a assisté ne saurait être analysée comme un affrontement entre défenseurs et ennemis de la famille. Pour la gauche, le (grotesque) mimétisme familialiste des homosexuels ne la met nullement en danger, alors que la droite s’inquiète, à tort, de sa fragilité. Au lieu de se regarder en chiens de faïence ou de s’invectiver, partisans et adversaires du mariage gay auraient pu s’accorder sur le même mot d’ordre : familles, je vous aime ![/access]

*Photo : affiche du PCF.

Mariage pour tous : pas de pitié pour les décroissants !

Branle-bas de combat : « Anti mariage gay : au secours, ils reviennent », s’affolait Libé samedi. Le quotidien de la gauche bourgeoise et citadine panique-t-il à l’aurore du tour de France des « Veilleurs » ? Ces opposants ultrapacifiques à la loi Taubira ont démarré ce week-end un parcours initiatique qui les mènera à la rencontre du pays réel de Rochefort à Paris, avec un petit crochet par… Notre-Dame des Landes. Gaultier, la cheville ouvrière de ces lecteurs de Péguy, Weil ou Bernanos, explique avoir « l’intuition que les problèmes sociaux, économiques, écologiques et sociétaux sont liés, et qu’il est bon de dialoguer loin des vieux clivages idéologiques » (Le Figaro). Depuis l’hiver, quelques mauvaises langues murmuraient déjà que l’invraisemblable concentration de CRS aux abords des Manifs pour Tous avait desserré l’étau policier autour du bocage nantais. Les Veilleurs entendent-ils transformer une alliance objective en franche camaraderie ? Faut-il y voir l’indice d’une convergence des luttes, voire les prémisses d’un front uni contre la modernité foudroyante ? Minute les aminches, entre les défenseurs de l’ordre familial et les chasseurs de mystérieux fantômes homophobes ou transphobes (deux tristes espèces heureusement en voie de disparition…), la jonction n’est certainement pas pour demain. Songez qu’il y a encore quelques jours, afin de s’opposer à la construction du second aéroport nantais, des milliers de fêtards affluaient pour participer à une grande kermesse musicale aux sons de Tryo, Sanseverino et d’autres artistes dont la conscience écolo se borne à la promotion des drogues dites douces.
Que les tenants d’une décroissance intégrale se rassurent néanmoins : dans le grand affrontement entre l’homme et la technique, certains écologistes intégraux ne se résignent pas à la victoire du désir illimité au nom du combat contre les (introuvables) forces de la Réaction. Ainsi, Thierry Jaccaud, rédacteur en chef de L’Écologiste, a pris courageusement position contre le mariage et l’adoption plénière pour tous, synonymes de père et de mère à la carte (mais qu’on nous pardonne cet archaïsme crypto-fasciste, sans doute devrions-nous parler de « parent 1 » et « parent 2 », selon la terminologie légale aussi savoureuse que du crabe en boîte). « Le cas général de la filiation serait alors une filiation choisie et non plus une filiation biologique », argue Jaccaud,  qui y perçoit un « mensonge anthropologique officiel incroyable dont on imagine aisément les ravages sur les enfants » puisque les notions de père et de mère biologiques disparaîtront bientôt des programmes scolaires.
Quelque part entre la tournée des Veilleurs et Notre-Dame des Landes,  des esprits avancés ont compris que l’obsolescence de la famille biologique annonçait celle de l’homme. N’est-ce pas là le seul véritable humanisme qui vaille ?

Louer ses seins pour allaitement est illégal et dangereux

valerie boyer allaitement

Propos recueillis par Gil Mihaely et Daoud Boughezala

Sur un site français de petites annonces, on peut lire la proposition suivante : « Jeune maman de 29 ans loue seins pour allaitement de nourrissons ». Vous trouvez cette petite annonce choquante, pourquoi ?
C’est à la fois illégal et dangereux pour des raisons évidentes de sécurité sanitaire. Je rappelle que l’article L2323-1 du Code de la santé publique dispose que seuls les lactariums sont autorisés à stocker et distribuer du lait maternel et que cette activité est à but non lucratif.
Il en va du lait maternel comme du sang, du patrimoine génétique, c’est anonyme et gratuit, et destiné aux personnes malades ou stériles. C’est l’expression de la solidarité nationale et de la protection des personnes.

Pourtant, il y a en France une très longue tradition de nourrices – bretonnes et bourguignonnes – qui allaitaient les enfants des familles aisées de la région parisienne moyennant finance. Pourquoi ce qui était acceptable il y a cent ans ne le serait-il plus ?
Ce n’est pas parce que cela se faisait avant qu’il est nécessaire de le reproduire et a fortiori de le promouvoir aujourd’hui. Cela se déroulait dans un contexte différent, où les relations humaines étaient différentes également.
Il y a eu un changement de paradigme ; la personne humaine n’est plus caractérisée parce ce qu’elle a, mais par ce qu’elle est. Cette réflexion philosophique fondamentale que l’on doit à Kant ou encore à la théorie personnaliste a été consacrée, après les atrocités de la seconde guerre mondiale qui ont révélé la nécessité de poser des garde-fous pour protéger cette nouvelle conception de la personne humaine, dans tous les textes internationaux et dans notre droit positif. Elle est devenue le fondement de notre société ; l’abolition de la peine de mort, les droits des femmes, tout ce qui caractérise l’environnement juridique dans lequel nous évoluons découle de ce principe éthique essentiel.

Certaines mères ont le sentiment que la société leur met une pression croissante pour allaiter leur bébé le plus longtemps possible. N’est-ce pas là un recul dans l’émancipation de la femme ?
L’allaitement a des vertus indéniables. L’Organisation mondiale de la santé préconise de favoriser l’allaitement maternel pour différentes raisons, outre le développement du lien mère-enfant, il semblerait que l’allaitement ait des vertus dans la lutte contre le cancer du sein et contre l’obésité. Ce moyen d’alimenter l’enfant est également efficace pour le préserver des infections et présente un avantage économique non négligeable.
Mais ce choix relève de l’intime, c’est à la mère d’apprécier ce qu’elle souhaite faire et ce qu’il est possible de faire pour elle car l’allaitement n’est pas toujours aisé pour les femmes qui travaillent. L’enjeu du point de vue des politiques publiques, c’est de créer les conditions pour les mères d’un véritable choix en insistant sur une meilleure formation des assistants maternels sur les bienfaits de cet allaitement et la possibilité pour les enfants d’être nourris au lait maternel au sein des établissements, en développant l’information des salariées partant en congé de maternité sur les dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles relatives à l’allaitement maternel.
Avoir les conditions d’un véritable choix, c’est tout le contraire d’un recul dans l’émancipation de la femme. J’ai d’ailleurs fait plusieurs propositions législatives dans ce sens.

Rapprochez-vous la « location de seins » de la prostitution et de la Gestation Pour Autrui, que soutenait Nadine Morano lorsqu’elle était ministre de la famille ?
Toutes ces pratiques – commercialiser son corps ou les produits de son corps – relèvent du même phénomène de marchandisation.

 

*Photo : missmareck.

Juste mais sévère

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philippe bilger france

« Le bonheur est un festin de miettes »,  disait Jacques Faizant. En ce cas, le dernier livre de Philippe Bilger, La France en miettes, annonce une excellente nouvelle… Las, si le mot profond du caricaturiste gaulliste est très juste pour ce qui touche à la vie, concernant la politique, c’est une tout autre histoire – plutôt triste en l’occurrence.
La France en miettes est d’abord le récit d’un espoir qui se transforme en déception, et même en colère. En 2007, Philippe Bilger souhaitait, comme la majorité des Français,  la victoire de Nicolas Sarkozy. Or, à peine élu, le nouveau président cumule faux pas, gaffes et impairs.  C’est d’abord l’homme qui est jugé sans ménagement, et peut-être avec une sévérité excessive, par l’ancien avocat général : « Agité », « excité »« impulsif » et « vulgaire », Philippe Bilger le trouve indigne d’être président de la République. Quant à son action, l’auteur la qualifie purement et simplement de « massacre » auquel aucun domaine, à commencer par la Justice, particulièrement chère à l’auteur, n’a échappé.
On peut comprendre aisément pourquoi Philippe Bilger a accueilli l’élection de François Hollande sinon avec enthousiasme, au moins avec grand soulagement.[access capability= »lire_inedits »] Pour autant, il n’est pas certain que le livre soit le cadeau d’anniversaire dont rêvait le « président normal ». Malgré son affection assumée pour l’homme, Philippe Bilger est plus que dubitatif face à l’homme d’État. Quant à la gauche, à l’exception de quelques personnalités, elle n’est pas au rendez-vous de la crise. Ni de l’Histoire.
Bilger, cependant, se refuse à jouer les médecins légistes. Il préfère le rôle de l’urgentiste qui recherche le moindre signe de vie chez son patient plutôt que constater sa mort.  Et pourtant, au fur et à mesure de la lecture, on est envahi par une profonde inquiétude pour la République, dont l’idée même semble être devenue caduque.
Obsédée par Nicolas Sarkozy, l’UMP est incapable de procéder à l’inventaire du quinquennat 2007-2012, étape pourtant indispensable pour une reconquête du pouvoir. Et si quelques talents, comme Bruno Le Maire, séduisent le chroniqueur de cette dérive d’État, le duel mortifère Copé-Fillon ne lui laisse que peu d’espoir pour cette droite-là. Quant au Front national, Bilger ne fait pas dans l’indignation morale : il estime que sa présidente n’est pas prête, loin s’en faut, à exercer la charge qu’elle brigue.
En somme, la gauche et la droite déçoivent, et les grands hommes, on le sait, font cruellement défaut. Autant dire que le tableau n’est guère réjouissant. La France est en miettes. Et le plus grave est que « nous n’avons même plus envie d’en rassembler les morceaux ».[/access]

Philippe Bilger, La France en miettes, Fayard, 2013.

Camus : peste soit des coups de pub

À quelques encablures à peine du chassé-croisé-des-juilletistes-et-des-aoûtiens (évènement si colossal qu’il donne lieu chaque année sur les chaînes d’info continue à des duplex passionnants depuis des péages d’autoroutes), et alors que la marée de l’actualité est désespérément basse (malgré quelques squales…), une information a connu un certain succès. On a retrouvé une lettre qu’Albert Camus a adressée à Jean-Paul Sartre ! L’écrivain engagé écrit notamment au philosophe engagé : « Mon cher Sartre (…) je vous souhaite ainsi qu’au Castor de beaucoup travailler (…) Faites-moi signe à votre retour et nous passerons une soirée dégagée« . Un courrier sans aucun intérêt, qui ne révèle rien d’autre qu’une relation d’amitié littéraire entre les deux hommes, ce qui était connu. Autant que leurs brouilles légendaires, jusqu’à la rupture définitive lorsque Camus publia L’homme révolté, développant une critique des Etats totalitaires en général et de l’URSS en particulier. Un non-événement, donc, qui a pourtant eu les honneurs de reprises enthousiastes dans la plupart des plus grands médias. Un non-événement, qui ressemble fort à un simple coup de pub fatigant pour une exposition à venir au sujet de l’auteur de L’Etranger.

La nuit dernière, dans un rêve (mon imaginaire me joue des tours), j’ai vu cette dépêche fatalement fictive, qui nous emmènerait encore plus loin sur le chemin du fétichisme et du rien camusien… Nous la suggérons aux organisateurs de cette exposition, pour une seconde vague d’emballement médiatique.

©AFP Général – Vendredi  9 Août 2013 – 07:59 – Heure Paris

Découverte d’un ticket de métro et d’une liste de courses ayant appartenu à Albert Camus

PARIS (France), 09 août 2013 (AFP) – Une liste de courses ainsi qu’un ticket de métro ayant appartenu à Albert Camus ont été retrouvés dans les poches d’un pantalon de tweed marron que l’écrivain avait confié à la blanchisserie « Sans tâche », à côté du Café des sports de Lourmarin, et qui vient d’être miraculeusement exhumé par le nouveau propriétaire. « C’est une découverte capitale » a commenté un éminent spécialiste du philosophe, qui a préféré toutefois rester anonyme. On découvre sur cette liste de courses qu’Albert Camus mangeait du pied de porc, et appréciait le bouillon de poule. La mention raticide pourrait laisser penser que l’écrivain travaillait à ce moment-là sur le manuscrit de La Peste.

Par ailleurs, un ticket de métro parisien pour un trajet en 1ère classe a également été trouvé. Il a été confié à l’Université de Chicago (qui dispose d’un département spécialisé dans l’étude des tickets de métro de 1ère classe) pour analyse approfondie.

Ce ticket de métro et cette liste de courses seront présentés, parmi d’autres trésors inestimables, dans le cadre de l’exposition « Camus de Tipasa à Lourmarin », organisée du 3 au 8 septembre à Lourmarin pour le centenaire de la naissance de l’écrivain philosophe.

Tous droits réservés : ©AFP Général

Dans L’écume des jours, Boris Vian se moquait amicalement de la folie d’un de ses personnages qui collectionnait les vieux habits portés par son idole, un écrivain nommé Jean-Sol Partre (le clin d’œil à l’agité du bocal de Saint-Germain des Prés ne vous aura pas échappé). On a hâte d’observer le nouveau fétichisme camusien prendre son envol…

Arrête ton char, Poutine !

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À l’occasion des championnats du monde d’athlétisme qui se tiennent actuellement à Moscou, les amateurs auront pu se régaler avec les épreuves combinées, surtout s’ils sont abonnés à Eurosport, auquel cas ils peuvent échapper à l’inénarrable Patrick Montel de France Télévisions, ses gags, ses considérations géopolitiques et ses agressions délibérées contre la syntaxe et le bon sens.
Mais laissons le service public à sa misère et revenons à nos épreuves combinées qu’on aurait pu croire closes hier soir après les deux jours de décathlon puis d’heptathlon. Eh bien non ! Figurez-vous qu’en marge de la compétition officielle, le facétieux ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou a organisé, nous disent la radio « La Voix de la Russie »  et  l’agence RIA-Novosti, une sorte de festival off, 100% inédit. Selon Ivan Bouvaltsev, chef du Département de la formation au combat des Forces armées russes : « Des compétitions internationales de biathlon pour chars d’assaut auront lieu le 17 août sur le polygone militaire d’Alabino, dans la région de Moscou. »
Les règles de cette nouvelle discipline (ou plutôt de cette discipline « en devenir » comme on dit sur France 2) sont furieusement inspirées de celles du biathlon tradi, qui combine ski de fond et tir à la carabine. Mais les organisateurs ont procédé à de menues modifications du règlement originel : les chars engagés, explique le général Bouvaltsev « devront parcourir une piste de 20 kilomètres et participer à trois séances de tir – en utilisant un missile, une mitrailleuse antiaérienne et trois obus d’artillerie. Les cibles seront installées à une distance de 0,9 km à 2,2 km. Chaque cible manquée ajoute 500 mètres supplémentaires à parcourir. »
Outre les équipages du pays hôte, ces championnats verront s’affronter des tankistes de trois autres républiques post-soviétiques et néanmoins amies : l’Arménie, la Biélorussie, et le Kazakhstan. Mais ce n’est qu’un début et le ministre Sergueï Choïgou a annoncé que l’Italie et l’Allemagne devraient participer à la prochaine édition et que les Etats-Unis ont également été invités.
On notera avec surprise que pour l’instant, aucune organisation de défense des droits de l’homme n’a appelé au boycott de la compétition.

Délinquance : Valls montre ses muscles

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manuel valls taubira

manuel valls taubira

Nous ne sommes plus au mois de juillet, propice à la manipulation des dérailleurs sur la route du Tour de France, mais en août et Manuel Valls vient de changer de braquet. De loin la personnalité la plus populaire du gouvernement, il sait que son poids politique ne peut être négligé par François Hollande. Il faut bien que Jean-Marc Ayrault s’y fasse. Montebourg pèse plus lourd que Valls du fait de son score à la primaire socialiste qui en a fait l’allié politique indispensable à la chute de Martine Aubry. De la même façon, les cotes de popularité stratosphériques de Valls en font l’un des derniers atouts du Président de la République.
Cela a commencé par cet avis du Haut Conseil à l’Intégration en faveur de l’extension à l’université de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles et lycées. Valls a jugé la proposition du HCI digne d’intérêt, s’opposant en cela à la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, laquelle exclut tout débat sur le sujet. Que l’on trouve cette idée bienvenue ou non, ou qu’on soit partagé comme l’auteur de ces lignes, on ne peut que constater qu’une large majorité de Français est en accord avec cette proposition. Comme pour démontrer le poids du ministre de l’Intérieur, le pauvre Ayrault, plutôt sur la ligne Fioraso, n’a pas pu faire autrement que calmer le jeu, très embarrassé par la sortie de Valls.
Mais c’est surtout avec Christiane Taubira que Valls a décidé d’adopter une stratégie offensive. Alors qu’il expliquait depuis un an que la guerre Beauvau/Vendôme  n’aurait pas lieu tant qu’il serait assis dans le fauteuil de Clemenceau, Manuel Valls a expédié un courrier au président de la République, savamment distillée dans la presse[1. Le ministre de l’Intérieur dit officiellement regretter cette « fuite ». Il n’en reste pas loin que l’adage en vogue dans ce ministère, « à qui le crime profite », laisse peu de doutes sur son origine.], où il fait part de « désaccords mis en lumière par le travail interministériel (…) autour du projet de réforme pénale présenté par le ministère de la justice ». Impitoyable, le ministre précise : « Tant pour des raisons de méthode que de fond, l’écart entre nos analyses demeure trop important et appelle une clarification de nos orientations politiques.» Christiane Taubira a dit avoir découvert cette missive dans la presse et regrette que son collègue ne lui en ait pas touché un traître mot lors de leurs dernières conversations. Il faut bien qu’elle s’y fasse, la Garde des sceaux. Non seulement, le ministre de l’Intérieur, contrairement à elle, est un lecteur plus assidu des études de l’IFOP ou d’IPSOS que de la prose du Syndicat de la Magistrature, mais lui travaille vraiment à son compte[2. Allusion à un entretien de Christine Taubira accordé au New-York Times, dans lequel elle affirme « ne pas avoir de Chef (…) à part sa conscience ». Il va de soi que Taubira a un chef, le Président qui peut s’en débarrasser comme la première Delphine Batho, parce qu’elle ne pèse rien politiquement.]. Il a l’Elysée en ligne de mire à l’horizon 2022 voire 2017, quitte à sacrifier l’entente avec sa collègue sur l’autel de sa popularité.
Et Valls n’est pas un bleu en politique. Conseiller de Jospin à Matignon entre 1997 et 2002, il a la mémoire longue et se souvient des erreurs du passé. En donnant raison à la ministre de la Justice Elisabeth Guigou contre Jean-Pierre Chevènement sur les questions de répression, le premier ministre Lionel avait semé les premières graines de sa déculottée à l’élection présidentielle de 2002. Soutenu par l’opinion et échaudé par ce fâcheux précédent, Valls tente de rejouer le match en revêtant les habits du vieux lion de Belfort. Le premier flic de France n’oublie pas que du discours fondateur de François Hollande au Bourget, il ne reste plus grand-chose. La fameuse diatribe « Mon ennemi, c’est la finance » fâche ou déclenche l’hilarité, selon le caractère de chacun. La renégociation du traité Merkozy, n’en parlons même pas. Reste le fameux : « la République vous rattrapera », adressé aux délinquants. Par cette lettre, Valls enjoint donc le Président de lui donner raison, de faire de lui un Chevènement vainqueur de Guigou, avec la menace larvée de devenir un Sarkozy 2002-2007 si le chef de l’Etat ne lui donnait pas raison. Mettons-nous à la place de François Hollande. Tant la raison que l’état de l’opinion devraient le conduire à jouer Valls contre Taubira. Mais cette dernière a un atout dans sa manche. Plus que l’idéologie du SM et de Canal+ réunis, ce sont les marges de manœuvre budgétaire qui empêchent de construire les nouvelles places de prison nécessaires, mais aussi d’engager les greffiers et les juges d’application des peines qui manquent. Reste la tentation, très grande pour l’ancien maître des synthèses solfériniennes, de faire entendre du Valls bruyant et d’appliquer du Taubira mezza voce.
Ce serait une resucée de la politique sécuritaire de son prédécesseur, à l’époque pas si lointaine où Sarkozy roulait des mécaniques, pendant que Rachida Dati incitait – par la loi de 2009 – les juges à ne pas appliquer les peines de prison dont la durée n’excédait pas deux ans. Valls jouera-t-il ce jeu de dupes ?  Il n’y a pas intérêt tant les Français finissent de plus en plus par se lasser des discours non suivis d’effets. Pour être cohérent jusqu’au bout, s’il n’obtient pas les moyens de sa politique, le ministre de l’Intérieur devra sans doute démissionner le moment venu, histoire d’appliquer le précepte d’un certain… Chevènement.

*Photo : PS.

Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière

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manif pour tous bourgeois

manif pour tous bourgeois

Ils étaient fils d’avocats, de médecins et de banquiers. Ils avaient fréquenté les classes préparatoires les plus cotées et suivaient des cours de finance internationale, de marketing et de management des organisations dans de prétentieuses écoles de commerce dont on leur rabâchait qu’elles étaient leur passeport pour l’avenir. Leurs prénoms se déclinaient comme une litanie des saints : Augustin, Charles, François, Sixtine, Constance, Isabelle et Édouard. Ils avaient pour uniformes des pantalons rouges ou verts et des chemises à rayures roses ou bleues, d’indémodables mocassins Todd et de grandes mèches qu’ils balançaient à la manière d’une vache qui chasse les mouches avec sa queue. Ils ne juraient que par l’Europe, l’économie libérale, Sarkozy et, pourquoi pas, Hollande, pourvu qu’il respectât les critères de Maastricht. Ils exprimaient leur conservatisme dans des propriétés de famille, des chasses dominicales ou, pour les grandes occasions, dans des messes post-conciliaires. Ils étaient des enfants de bourgeois, ils sont devenus l’armée de réserve de la Manif pour tous. Ils ne seront plus jamais les bourgeois de demain.
Jusqu’à maintenant, jamais ces privilégiés n’avaient battu le pavé. Vautrés dans leur confort, anesthésiés par une suffisance héréditaire, rien ne les disposait à aller contester une loi qui ne leur « enlevait pas de droits », quand bien même elle amputait les futures générations d’une filiation claire.[access capability= »lire_inedits »] La rue, c’était pour les prolétaires, pour ceux qui défendaient des intérêts particuliers, « pas notre culture », fanfaronnaient-ils. Toutefois, il existait chez ces jeunes une vague conscience du délitement qui progressait au point de les affecter : raréfaction du travail, baisse des salaires, précarisation, déclassement, etc. Une situation que le sociologue Louis Chauvel[1. Les Classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel, Le Seuil/République des idées.] a analysé pour cette classe sociale intermédiaire comme « un retournement […] un risque de déchéance dans une classe d’incertitude sans avenir ni retour […] l’extinction d’un projet social hier triomphant ». Au crépuscule de leur confort − moment idéal de remise en question −, par sens de la tradition, pour conjurer l’ennui, par antisocialisme primaire, ils ont commencé à défiler aux manifestations contre le mariage homosexuel comme on rejoindrait une marche blanche. Les slogans ont fusé, les discours ont martelé, les CRS ont tapé, et quelque chose s’est passé.
Éjectés de leur déterminisme social par la force de la conjoncture économique, ces enfants de bourgeois ont profité de la circonstance pour s’ouvrir aux questions anthropologiques, donnant ainsi raison à Antoine Spire lorsqu’il affirmait que l’anthropologie se situe au lieu des crises, au carrefour des doutes[2. Le Monde de l’éducation, juillet-août 2001.]. Face à cette rupture soudaine d’héritage social, ils ont tenté de comprendre l’idéal d’une génération prométhéenne qui avait rendu la leur orpheline. Dans les critiques de l’opposition au mariage homosexuel, ils ont retrouvé ce qu’ils reprochaient à la société héritée de leurs parents : l’émancipation égalitaire, l’autonomie de la volonté individuelle hédoniste comme source du modèle de civilisation, la jouissance immédiate au détriment des conséquences du futur, etc. Et ils ont compris que ce libertarisme dont ils  récusaient les effets était indissociable du libéralisme qu’ils glorifiaient pourtant. Au regard de l’aliénation et de la falsification du réel, vont-ils  définitivement renoncer à ce capitalisme ludique ? Certains y croient encore. D’autres les relayeront. La bourgeoisie est une hydre en constante régénération et une relève attend sous serre. Ses nouveaux hérauts, on les trouvait parmi les nombreux invités de marque présents à la soirée people organisée par Jean-Michel Ribes pour soutenir le projet de loi du mariage homosexuel, le 28 janvier. Footballeurs, stars cathodiques, patrons d’entreprises et journalistes en vogue – un panel de l’égalité dans sa diversité en somme − s’y pressaient, coupe de champagne dans une main et petit four dans l’autre, pour dénoncer l’homophobie, manière pour le moins habile d’esquiver le débat sur la lutte des classes et d’occuper le terrain avec la lutte des sexes.
Décidément, Pasolini avait raison, les bourgeois ne sont pas ceux que l’on croit.[/access]

*Photo : Mon_Tours.

Paris-Match : de la politique entre les orteils

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L’hebdomadaire Paris-Match avait jadis pour slogan : « Le poids des mots, le choc des photos ». C’était réjouissant car cela ouvrait la porte à toutes les railleries imaginables autour de la prose pachydermique de certains articles et de l’aspect parfois racoleur des images publiées. Le nouveau slogan, lui, fait songer par sa niaise fadeur au titre d’un mauvais film de Claude Lelouch : « La vie est une histoire vraie ». On trouve de tout dans Paris-Match : des actrices sur le retour, des acteurs sur le départ, des faits divers abominables, de la romance à quatre sous, de l’actu showbiz à deux balles, une pincée d’art de vivre, une grosse dose de pub et de la politique. Même beaucoup de politique. Paris-Match a d’ailleurs été un des premiers magazines français à traiter la politique comme une actualité people à part entière. On a vu défiler Ségolène Royal à la maternité avec son bébé, Ségolène Royal sur un quai de gare avec son « compagnon », Nicolas Sarkozy dans à peu près toutes les postures possibles (« À pied à cheval en voiture et en bateau à voiles » comme chantait Prévert), et tant d’autres…
Cette semaine, c’est un feu d’artifice. Au cœur de l’été, alors que les lecteurs se prélassent sur les plages océanes ou urbaines, ou bien pantouflent en congés payés, le magazine en papier glaçant propose non pas un, non pas deux, non pas trois, mais pas moins de quatre sujets politiques. Tout d’abord l’indispensable Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris dont la dernière pitrerie en date est l’idée de créer un adjoint au maire en charge de la nuit, nous raconte son arrivée en France dans les années 60 puis sa naturalisation, photos noir et blanc à l’appui. La belle de Cadix omet de parler de son projet de rendre les voies sur berges aux « usagers » de la nuit. Dommage.
En page 22, Stéphane Le Foll – ministre de l’agriculture (le ministre le moins cité après Sylvia Pinel) – nous reçoit en sandales, son « golden retriever » au pied. Il se prétend dans les « starting-blocks ». En sandales. Passons.
Sous le titre « Le feu et la glace », Paris Match propose aussi un portrait de Marine Le Pen et de son compagnon de route Louis Aliot. Ils regardent dans la même direction depuis 2009. «  Fatiguée depuis qu’elle s’est fracturée le sacrum, lors du week-end de l’Ascension, en tombant dans une piscine vide, Marine Le Pen compte bien se reposer au mois d’août ». On imagine qu’elle va s’assoir…
À la Une du magazine, la « sirène » italienne Carla exhibe son sourire absolu. « Depuis juillet, les vacances avaient pourtant mal commencé avec le refus du Conseil constitutionnel de valider ses comptes de campagne. Il avait alors rompu avec ses vœux de discrétion, appelant ses sympathisants à l’aide. L’affluence des dons a transformé l’épreuve en démonstration de soutien. L’amour de Carla et les sourire d’une petite fille font le reste ». Et la France est fébrile… « L’ex première dame n’a pas pu résister à l’envie d’emmener son mari écouter Julien Clerc. (…) Lorsque Carla et son Raymond comme elle l’appelle dans une de ses chansons, sont arrivés au théâtre de verdure les applaudissements ont fusé ». Et puis soudain Paris Match s’emballe, et ose l’humour… « Depuis le temps, les apparitions de Nicolas Sarkozy sont, avec le Corso fleuri et la grande roue, l’attraction numéro un du Lavandou. »
Plus loin on voit l’ex-locataire de l’Élysée en train de se promener avec un exemplaire de L’Équipe. « Nicolas Sarkozy se promène en lisant L’Équipe, commande des pizzas et déguste ses beignets de courgette chez Ginette, soutien indéfectible »…
Nicolas Sarkozy c’est bien, mais Manuel Valls c’est mieux. On apprend – après une photo de bisou anthologique – qu’Anne Gravoin « refuse d’habiter Place Beauvau ». La concubine ajoute à l’oreille de son amant : « Tu me vois travailler mon violon sous les lambris ? » Le ministre de l’Intérieur est venu écouter sa femme en concert à Menton. L’hymne à l’amour des Beatles – All you need is love – l’aurait inspiré. On attend de voir.
Tout cela fleure bon 2017, et les élections présidentielles du même métal. Les newsmag sont en pilote automatique. Attention au crash.

Le discours anti-bourgeois est devenu tendance à l’UMP

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ump cope peltier

ump cope peltier

Immigrés, musulmans, Roms, gens du voyage… nombreuses sont les victimes des stigmates infligés par l’UMP, si l’on en croit les adversaires politiques et médiatiques du principal parti de droite français. Il est pourtant un discours stigmatisant, se développant au sein de l’UMP depuis les dernières élections présidentielles, qui ne suscite guère de remous médiatico-politiques : le discours visant à disqualifier – pêle-mêle – les riches, les habitants des quartiers huppés et les diplômés de grandes écoles.
D’une manière générale, en France, les CSP+ en France ont l’habitude d’être malmenées par le discours d’hommes politiques de gauche, d’extrême gauche et d’extrême droite. À gauche, si le PS a pu être accusé de délaisser les catégories populaires au profit des classes moyennes, son candidat à la dernière élection présidentielle s’est tout de même permis l’audace d’affirmer sans ambiguïté lors d’un débat télévisé : « Je n’aime pas les riches ! ». À l’extrême gauche, classiquement, le « bourgeois » est mauvais du fait de son appartenance à sa « classe sociale », quelles que soient ses opinions politiques. À l’extrême droite enfin, dans le discours du Front national, ce sont plutôt les membres de « l’élite » – hauts fonctionnaires et « grands patrons » – ou les « bobos » qui sont conspués. Les premiers étant accusés de confisquer les richesses nationales dans l’intérêt de leur caste apatride, les seconds de cracher sur le peuple depuis leurs insolentes tours d’ivoire.
Le Français aisé ou très aisé – du moins celui qui est perçu comme tel – avait jusqu’à récemment, sous l’averse boueuse des offenses et accusations venues de la gauche ou de l’extrême droite, l’opportunité de s’abriter sous la tolérance du discours UMP à son égard. C’était avant la campagne présidentielle de 2012.
Nicolas Sarkozy, président de la République, candidat naturel de l’UMP aux élections présidentielles de 2012, se met à vilipender, à la veille de celles-ci, « la gauche caviar, la gauche morale qui habite boulevard Saint-Germain, qui met ses enfants dans des écoles privées », puis « la gauche bobo ». La figure du riche de gauche est brandie comme un épouvantail méprisable et grotesque, provoquant rires et sifflements dans les meetings. Non pas l’homme de gauche, mais bien le nanti de gauche, le bobo, coupable de combiner vote à gauche et style de vie confortable. Le pauvre de gauche, lui, n’est (fort heureusement !) jamais invoqué comme exutoire de la colère et de la moquerie, étant en quelque sorte encore sain de par son indigence, malgré son affiliation au camp idéologique adverse. Le niveau de vie des citoyens, selon le discours anti-bobo développé par l’ex-président de la République, devient tout bonnement un critère d’exclusion du peuple : « Je ne parle pas pour les bobos du boulevard Saint-Germain »croyait utile de préciser le candidat à la présidence de la République, pourtant censé s’adresser à tous les citoyens français, sans exception.
Parallèlement, les électeurs du FN se voient considérés par le Nicolas Sarkozy de l’entre-deux-tours comme des Français « qui souffrent », auxquels il ne faut pas donner « de leçon de morale » et dont la « colère » est « respectable », du fait de leur supposée appartenance aux catégories sociales défavorisées. Les « bobos de Saint-Germain-des-Prés », eux, ne méritent que l’opprobre, puisque vivant dans une arrogante bulle hors de la vraie France sur laquelle s’abat tous les malheurs. Pour résumer : le pauvre qui ne vote pas UMP n’est qu’une brebis égarée, tandis que le riche qui vote mal mérite le sort d’une brebis galeuse.
L’émergence de ce discours anti-classes aisées s’inscrit, durant la campagne présidentielle de 2012, dans la stratégie du président-candidat Sarkozy de couper l’herbe sous le pied du FN. Afin de puiser dans le vivier électoral frontiste, en constante expansion depuis l’avènement de Marine Le Pen, il ne convenait pas seulement pour Nicolas Sarkozy d’adopter un discours plus dur sur l’immigration et la sécurité, mais également de concurrencer le FN sur le terrain du populisme anti-riches, anti-élites, anti-système – ne serait-ce que d’un point de vue rhétorique, dans l’espoir d’appâter les électeurs des catégories sociales séduites par la vague bleu marine.
Le discours sarkozyste anti-bourgeois a survécu à l’élection de François Hollande. Les deux mousquetaires de la Droite Forte, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, le déclament pieusement sur les plateaux télé auxquels ils sont conviés.
La Droite Forte, c’est cette fameuse motion de l’UMP, créée par un transfuge du MPF et un jeune surdiplômé, qui s’est vue promue par les militants UMPistes premier mouvement au sein du parti. Sa ligne idéologique se veut « sarkozyste », ce qui signifie – si l’on se base sur les propos de MM. Peltier et Didier – conservatrice sur les questions sociétales, plutôt eurosceptique, franchement patriote et … vigoureusement « anti-bobo ».
MM. Peltier et Didier, nouvelles égéries de la ligne « dure » de l’UMP, sont des pourfendeurs hors pair de ces Français osant habiter du bon côté du périphérique. Chez Ruquier, Geoffroy Didier brocarde le journaliste Aymeric Caron qui, vivant « forcément plus près de Saint-Germain-des-Prés que des cités sensibles du Val d’Oise », ne comprendrait rien au « problème d’intégration » rongeant la France authentique.
Chez Zemmour et Naulleau, Guillaume Peltier accuse le journaliste Renaud Dély, coupable de relever la proximité croissante des discours FN et UMP, d’être « le porte-parole du microcosme parisien qui confond le peuple avec le Front national »
Neuilly, dont fut maire l’idole et mentor de Guillaume Peltier, a sans doute, il est vrai, une population plus au fait des préoccupations du peuple que le microcosme parisien !
Le discours anti-élites des hommes-liges de la Droite Forte ne s’arrête pas à des considérations sur le lieu d’habitat. Dans leur bouche, les diplômes prestigieux sonnent comme des tares : « nous on n’a pas fait l’ENA ! » clame fièrement M. Peltier sur le plateau de C à nous aux côtés de son compère, comme si cela leur conférait quelque légitimité politique que ce soit. Geoffroy Didier, en effet, n’a pas fait l’ENA… mais Sciences Po, l’ESSEC et Columbia !
Drôle de jeu, donc, que celui auquel jouent ces hérauts de la Droite Forte, et avant eux Nicolas Sarkozy. Alors que ce travers était habituellement réservé à la gauche ou à l’extrême droite, des représentants de l’UMP ont pris pour habitude de dénigrer certains citoyens français du fait de leur aisance matérielle, de leur lieu de résidence ou de leur niveau d’étude. Comme si « peuple » était synonyme de « pauvres », de travailleurs précaires ou d’habitants de quartiers « sensibles » – au lieu de désigner tous les Français sans distinctions sociales et économiques.
Si ce discours anti-bourgeois et anti-élite qui vise à draguer l’électorat populaire est grotesque et caricatural, il risque surtout de froisser l’une des bases électorales traditionnelles de l’UMP, quand la crise que le parti traverse devrait lui imposer d’éviter plus que tout la désunion…

*Photos : UMP.

L’autre exception française

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pcf famille mariage

pcf famille mariage

On a beaucoup glosé sur la spécificité française révélée par l’ampleur de la mobilisation populaire contre la loi Taubira. Pourquoi ce texte a-t-il suscité une telle émotion dans une large partie de l’opinion hexagonale et ultramarine alors que des lois similaires étaient passées comme lettres à la poste dans des pays aussi culturellement divers que la Grande-Bretagne, l’Espagne ou le Brésil ? Si l’on pouvait, à la rigueur, expliquer l’assentiment aux unions homosexuelles de l’Angleterre et de douze États américains par l’individualisme anglo-saxon,   cela ne vaut ni pour l’Espagne ni pour le Brésil, pays de culture catholique où, traditionnellement, les droits de la famille priment sur ceux des individus. Faut-il alors accepter l’interprétation proposée par quelques penseurs de la gauche élitaire, style Terra Nova, qui prétendent que cette glorification de la famille old style, hétérosexuelle et patriarcale, traduit la « droitisation » de la société française, voire un retour du refoulé vichyste ? On nous permettra de trouver un peu courte cette explication, qui suppose que la « valeur famille », sanctionnée par le mariage civil et républicain, soit un marqueur de la droite, alors que sa supposée dénaturation au nom de l’extension sans limite des droits de l’individu appartiendrait à l’ADN de la gauche.
C’est faire bon marché d’une réalité pourtant aveuglante : la conversion de la minorité homosexuelle au mariage bourgeois et au désir fou de normalisation d’une différence radicale constitue une victoire totale de l’idéologie « familialiste » sur celle des « libéraux-libertaires ». Les pionniers de la lutte pour les droits des homosexuels, dont les survivants sont, hélas, peu nombreux, tant ils ont été décimés par le sida, ont dû s’agiter frénétiquement dans leur tombe en entendant leurs héritiers revendiquer leur droit de jouer, comme tout le monde, à « papa, maman, les gosses, le chien et le pavillon de banlieue ». Qu’auraient pensé les Guy Hocquenghem, Michel Foucault, Jean Genet, Gilles Deleuze, Félix Guattari[1. Deleuze et Guattari n’étaient pas homosexuels, mais le mouvement gay s’est longtemps appuyé sur leur théorie avant de se passionner pour les gender studies d’outre-Atlantique.] de cette exigence des LGBT du droit à « faire famille » ?[access capability= »lire_inedits »] Ils s’en seraient sans doute gaussés, avec le talent et la fougue qu’on leur connaissait ; ou peut-être se seraient-ils murés dans un silence réprobateur, comme les actuels dépositaires de leur mémoire…
À gauche et à l’extrême gauche, l’affrontement entre les soutiens et les contempteurs de la famille ne date pas d’aujourd’hui : il remonte, au moins, aux polémiques qui ont opposé Lénine à Alexandra Kollontaï et Rosa Luxemburg, le premier défendant une conception moraliste et traditionnelle du couple et de la famille, alors que les secondes militaient, en théorie comme en action, pour la liberté sexuelle et la destruction des liens familiaux, considérés comme un héritage bourgeois et réactionnaire. Plus près de nous, dans les années 50 du siècle dernier, Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, s’est opposée  violemment à Simone de Beauvoir au moment de la publication du Deuxième Sexe. Contrairement aux apparences, c’est la stalinienne Jeannette Vermeersch qui l’a emporté sur la compagne de Jean-Paul Sartre, même si cette dernière reste une icône mondiale des féministes. En 1972, le philosophe Gilles Deleuze, principal pourfendeur moderne du « familialisme », et Félix Guattari publiaient L’Anti-Œdipe, dans lequel ils désignaient la psychanalyse, et particulièrement sa version lacanienne, comme le dernier avatar de l’oppression familialiste. En 1980, Deleuze constatait, amer, l’échec de cette tentative de purger la société de cette structure, lieu privilégié, selon lui, des « micro-fascismes » : « Anti-Œdipe est paru juste après 68 : c’était une époque de bouillonnement, de recherche. Aujourd’hui il y a une très forte réaction. C’est toute une économie du livre, une nouvelle politique, qui impose le conformisme actuel. […] Et puis, une masse de romans redécouvrent le thème familial le plus plat, et développent à l’infini tout un papa-maman. […] C’est vraiment l’année du patrimoine, à cet égard L’Anti-Œdipe a été un échec complet. »
Un an plus tard, l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la République consacrait le triomphe de la gauche familialiste. Mitterrand éprouvait à l’égard de la famille les mêmes sentiments que François Mauriac envers l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale : un amour si grand qu’il ne voyait que des avantages à en avoir deux… Le premier président de gauche de la Ve République n’hésitait pas, cependant, à convoquer dans son bureau des journalistes accrédités à l’Élysée pour les sermonner vertement s’ils avaient eu la mauvaise idée de divorcer. De plus, il mena tout au long de son mandat, une politique résolument favorable à une conception traditionnelle de la famille à la française, ne touchant pas aux avantages fiscaux et aux prestations sociales dont elle bénéficiait, même si ces derniers étaient accordés de manière indifférenciée aux riches comme aux pauvres. Il s’opposa même aux mesures symboliques de « modernisation », comme la possibilité de transmettre aux enfants, au choix, le nom du père ou celui de la mère, ou les deux accolés. Cette mesure, défendue avec fougue par Ségolène Royal, alors conseillère de Mitterrand pour les affaires sociales et familiales, dut attendre l’élection de Jacques Chirac et d’une majorité de droite – qui l’adopta en 2003.
Cette résilience de la famille française face à tous ceux qui projetaient de la déconstruire, au profit de l’individu ou d’une utopie collectiviste, constitue bien une exception culturelle au sein du monde occidental. La famille remplit à l’échelle microsociale la même fonction que la nation au niveau macrosocial : elle constitue un espace de solidarité naturelle. Cela explique que notre natalité soit supérieure à celle des pays voisins, et que la famille joue un rôle d’amortisseur des crises économiques. Le « syndrome Tanguy », qui pousse les enfants à s’incruster au domicile parental jusqu’à un âge avancé, serait, par exemple, impensable en Allemagne. Quand ses bambins l’ont obligée à rester au foyer durant de longues années, faute de crèches, d’écoles maternelles ou de cantines scolaires, la femme allemande s’estime libérée de toute obligation à leur égard lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte, quitte à déposer leurs affaires sur le palier s’ils refusent de voler de leurs propres ailes. Quant au communautarisme à l’anglo-saxonne, qu’il soit fondé sur l’appartenance de classe, l’origine ou l’orientation sexuelle, il assure la prise en charge des plus faibles hors de la famille. En conséquence, dans ce modèle, les politiques publiques s’adressent aux individus ou aux communautés, mais font l’impasse sur la famille.
La famille à la française résiste d’autant mieux à ceux qui veulent l’abolir qu’elle s’inscrit dans notre patrimoine culturel. De la tragédie racinienne, œdipienne (forcément œdipienne), aux sagas familiales de Balzac et Zola, la « grande littérature » française est familialiste comme pas deux, alors que l’Allemagne a une prédilection pour le « roman de formation » et le monde anglo-saxon pour les drames de l’émancipation individuelle. Une exception confirme la règle : Gustave Flaubert, dont il n’est pas fortuit que Sartre, autre « antifamilialiste » notoire, se soit fait le biographe.
Dans ces conditions, si l’on excepte quelques adeptes de l’individu-roi, qui considèrent l’extension indéfinie des droits comme la définition même du progrès, la controverse à laquelle on a assisté ne saurait être analysée comme un affrontement entre défenseurs et ennemis de la famille. Pour la gauche, le (grotesque) mimétisme familialiste des homosexuels ne la met nullement en danger, alors que la droite s’inquiète, à tort, de sa fragilité. Au lieu de se regarder en chiens de faïence ou de s’invectiver, partisans et adversaires du mariage gay auraient pu s’accorder sur le même mot d’ordre : familles, je vous aime ![/access]

*Photo : affiche du PCF.

Mariage pour tous : pas de pitié pour les décroissants !

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Branle-bas de combat : « Anti mariage gay : au secours, ils reviennent », s’affolait Libé samedi. Le quotidien de la gauche bourgeoise et citadine panique-t-il à l’aurore du tour de France des « Veilleurs » ? Ces opposants ultrapacifiques à la loi Taubira ont démarré ce week-end un parcours initiatique qui les mènera à la rencontre du pays réel de Rochefort à Paris, avec un petit crochet par… Notre-Dame des Landes. Gaultier, la cheville ouvrière de ces lecteurs de Péguy, Weil ou Bernanos, explique avoir « l’intuition que les problèmes sociaux, économiques, écologiques et sociétaux sont liés, et qu’il est bon de dialoguer loin des vieux clivages idéologiques » (Le Figaro). Depuis l’hiver, quelques mauvaises langues murmuraient déjà que l’invraisemblable concentration de CRS aux abords des Manifs pour Tous avait desserré l’étau policier autour du bocage nantais. Les Veilleurs entendent-ils transformer une alliance objective en franche camaraderie ? Faut-il y voir l’indice d’une convergence des luttes, voire les prémisses d’un front uni contre la modernité foudroyante ? Minute les aminches, entre les défenseurs de l’ordre familial et les chasseurs de mystérieux fantômes homophobes ou transphobes (deux tristes espèces heureusement en voie de disparition…), la jonction n’est certainement pas pour demain. Songez qu’il y a encore quelques jours, afin de s’opposer à la construction du second aéroport nantais, des milliers de fêtards affluaient pour participer à une grande kermesse musicale aux sons de Tryo, Sanseverino et d’autres artistes dont la conscience écolo se borne à la promotion des drogues dites douces.
Que les tenants d’une décroissance intégrale se rassurent néanmoins : dans le grand affrontement entre l’homme et la technique, certains écologistes intégraux ne se résignent pas à la victoire du désir illimité au nom du combat contre les (introuvables) forces de la Réaction. Ainsi, Thierry Jaccaud, rédacteur en chef de L’Écologiste, a pris courageusement position contre le mariage et l’adoption plénière pour tous, synonymes de père et de mère à la carte (mais qu’on nous pardonne cet archaïsme crypto-fasciste, sans doute devrions-nous parler de « parent 1 » et « parent 2 », selon la terminologie légale aussi savoureuse que du crabe en boîte). « Le cas général de la filiation serait alors une filiation choisie et non plus une filiation biologique », argue Jaccaud,  qui y perçoit un « mensonge anthropologique officiel incroyable dont on imagine aisément les ravages sur les enfants » puisque les notions de père et de mère biologiques disparaîtront bientôt des programmes scolaires.
Quelque part entre la tournée des Veilleurs et Notre-Dame des Landes,  des esprits avancés ont compris que l’obsolescence de la famille biologique annonçait celle de l’homme. N’est-ce pas là le seul véritable humanisme qui vaille ?

Louer ses seins pour allaitement est illégal et dangereux

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valerie boyer allaitement

valerie boyer allaitement

Propos recueillis par Gil Mihaely et Daoud Boughezala

Sur un site français de petites annonces, on peut lire la proposition suivante : « Jeune maman de 29 ans loue seins pour allaitement de nourrissons ». Vous trouvez cette petite annonce choquante, pourquoi ?
C’est à la fois illégal et dangereux pour des raisons évidentes de sécurité sanitaire. Je rappelle que l’article L2323-1 du Code de la santé publique dispose que seuls les lactariums sont autorisés à stocker et distribuer du lait maternel et que cette activité est à but non lucratif.
Il en va du lait maternel comme du sang, du patrimoine génétique, c’est anonyme et gratuit, et destiné aux personnes malades ou stériles. C’est l’expression de la solidarité nationale et de la protection des personnes.

Pourtant, il y a en France une très longue tradition de nourrices – bretonnes et bourguignonnes – qui allaitaient les enfants des familles aisées de la région parisienne moyennant finance. Pourquoi ce qui était acceptable il y a cent ans ne le serait-il plus ?
Ce n’est pas parce que cela se faisait avant qu’il est nécessaire de le reproduire et a fortiori de le promouvoir aujourd’hui. Cela se déroulait dans un contexte différent, où les relations humaines étaient différentes également.
Il y a eu un changement de paradigme ; la personne humaine n’est plus caractérisée parce ce qu’elle a, mais par ce qu’elle est. Cette réflexion philosophique fondamentale que l’on doit à Kant ou encore à la théorie personnaliste a été consacrée, après les atrocités de la seconde guerre mondiale qui ont révélé la nécessité de poser des garde-fous pour protéger cette nouvelle conception de la personne humaine, dans tous les textes internationaux et dans notre droit positif. Elle est devenue le fondement de notre société ; l’abolition de la peine de mort, les droits des femmes, tout ce qui caractérise l’environnement juridique dans lequel nous évoluons découle de ce principe éthique essentiel.

Certaines mères ont le sentiment que la société leur met une pression croissante pour allaiter leur bébé le plus longtemps possible. N’est-ce pas là un recul dans l’émancipation de la femme ?
L’allaitement a des vertus indéniables. L’Organisation mondiale de la santé préconise de favoriser l’allaitement maternel pour différentes raisons, outre le développement du lien mère-enfant, il semblerait que l’allaitement ait des vertus dans la lutte contre le cancer du sein et contre l’obésité. Ce moyen d’alimenter l’enfant est également efficace pour le préserver des infections et présente un avantage économique non négligeable.
Mais ce choix relève de l’intime, c’est à la mère d’apprécier ce qu’elle souhaite faire et ce qu’il est possible de faire pour elle car l’allaitement n’est pas toujours aisé pour les femmes qui travaillent. L’enjeu du point de vue des politiques publiques, c’est de créer les conditions pour les mères d’un véritable choix en insistant sur une meilleure formation des assistants maternels sur les bienfaits de cet allaitement et la possibilité pour les enfants d’être nourris au lait maternel au sein des établissements, en développant l’information des salariées partant en congé de maternité sur les dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles relatives à l’allaitement maternel.
Avoir les conditions d’un véritable choix, c’est tout le contraire d’un recul dans l’émancipation de la femme. J’ai d’ailleurs fait plusieurs propositions législatives dans ce sens.

Rapprochez-vous la « location de seins » de la prostitution et de la Gestation Pour Autrui, que soutenait Nadine Morano lorsqu’elle était ministre de la famille ?
Toutes ces pratiques – commercialiser son corps ou les produits de son corps – relèvent du même phénomène de marchandisation.

 

*Photo : missmareck.

Juste mais sévère

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philippe bilger france

philippe bilger france

« Le bonheur est un festin de miettes »,  disait Jacques Faizant. En ce cas, le dernier livre de Philippe Bilger, La France en miettes, annonce une excellente nouvelle… Las, si le mot profond du caricaturiste gaulliste est très juste pour ce qui touche à la vie, concernant la politique, c’est une tout autre histoire – plutôt triste en l’occurrence.
La France en miettes est d’abord le récit d’un espoir qui se transforme en déception, et même en colère. En 2007, Philippe Bilger souhaitait, comme la majorité des Français,  la victoire de Nicolas Sarkozy. Or, à peine élu, le nouveau président cumule faux pas, gaffes et impairs.  C’est d’abord l’homme qui est jugé sans ménagement, et peut-être avec une sévérité excessive, par l’ancien avocat général : « Agité », « excité »« impulsif » et « vulgaire », Philippe Bilger le trouve indigne d’être président de la République. Quant à son action, l’auteur la qualifie purement et simplement de « massacre » auquel aucun domaine, à commencer par la Justice, particulièrement chère à l’auteur, n’a échappé.
On peut comprendre aisément pourquoi Philippe Bilger a accueilli l’élection de François Hollande sinon avec enthousiasme, au moins avec grand soulagement.[access capability= »lire_inedits »] Pour autant, il n’est pas certain que le livre soit le cadeau d’anniversaire dont rêvait le « président normal ». Malgré son affection assumée pour l’homme, Philippe Bilger est plus que dubitatif face à l’homme d’État. Quant à la gauche, à l’exception de quelques personnalités, elle n’est pas au rendez-vous de la crise. Ni de l’Histoire.
Bilger, cependant, se refuse à jouer les médecins légistes. Il préfère le rôle de l’urgentiste qui recherche le moindre signe de vie chez son patient plutôt que constater sa mort.  Et pourtant, au fur et à mesure de la lecture, on est envahi par une profonde inquiétude pour la République, dont l’idée même semble être devenue caduque.
Obsédée par Nicolas Sarkozy, l’UMP est incapable de procéder à l’inventaire du quinquennat 2007-2012, étape pourtant indispensable pour une reconquête du pouvoir. Et si quelques talents, comme Bruno Le Maire, séduisent le chroniqueur de cette dérive d’État, le duel mortifère Copé-Fillon ne lui laisse que peu d’espoir pour cette droite-là. Quant au Front national, Bilger ne fait pas dans l’indignation morale : il estime que sa présidente n’est pas prête, loin s’en faut, à exercer la charge qu’elle brigue.
En somme, la gauche et la droite déçoivent, et les grands hommes, on le sait, font cruellement défaut. Autant dire que le tableau n’est guère réjouissant. La France est en miettes. Et le plus grave est que « nous n’avons même plus envie d’en rassembler les morceaux ».[/access]

Philippe Bilger, La France en miettes, Fayard, 2013.

Camus : peste soit des coups de pub

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À quelques encablures à peine du chassé-croisé-des-juilletistes-et-des-aoûtiens (évènement si colossal qu’il donne lieu chaque année sur les chaînes d’info continue à des duplex passionnants depuis des péages d’autoroutes), et alors que la marée de l’actualité est désespérément basse (malgré quelques squales…), une information a connu un certain succès. On a retrouvé une lettre qu’Albert Camus a adressée à Jean-Paul Sartre ! L’écrivain engagé écrit notamment au philosophe engagé : « Mon cher Sartre (…) je vous souhaite ainsi qu’au Castor de beaucoup travailler (…) Faites-moi signe à votre retour et nous passerons une soirée dégagée« . Un courrier sans aucun intérêt, qui ne révèle rien d’autre qu’une relation d’amitié littéraire entre les deux hommes, ce qui était connu. Autant que leurs brouilles légendaires, jusqu’à la rupture définitive lorsque Camus publia L’homme révolté, développant une critique des Etats totalitaires en général et de l’URSS en particulier. Un non-événement, donc, qui a pourtant eu les honneurs de reprises enthousiastes dans la plupart des plus grands médias. Un non-événement, qui ressemble fort à un simple coup de pub fatigant pour une exposition à venir au sujet de l’auteur de L’Etranger.

La nuit dernière, dans un rêve (mon imaginaire me joue des tours), j’ai vu cette dépêche fatalement fictive, qui nous emmènerait encore plus loin sur le chemin du fétichisme et du rien camusien… Nous la suggérons aux organisateurs de cette exposition, pour une seconde vague d’emballement médiatique.

©AFP Général – Vendredi  9 Août 2013 – 07:59 – Heure Paris

Découverte d’un ticket de métro et d’une liste de courses ayant appartenu à Albert Camus

PARIS (France), 09 août 2013 (AFP) – Une liste de courses ainsi qu’un ticket de métro ayant appartenu à Albert Camus ont été retrouvés dans les poches d’un pantalon de tweed marron que l’écrivain avait confié à la blanchisserie « Sans tâche », à côté du Café des sports de Lourmarin, et qui vient d’être miraculeusement exhumé par le nouveau propriétaire. « C’est une découverte capitale » a commenté un éminent spécialiste du philosophe, qui a préféré toutefois rester anonyme. On découvre sur cette liste de courses qu’Albert Camus mangeait du pied de porc, et appréciait le bouillon de poule. La mention raticide pourrait laisser penser que l’écrivain travaillait à ce moment-là sur le manuscrit de La Peste.

Par ailleurs, un ticket de métro parisien pour un trajet en 1ère classe a également été trouvé. Il a été confié à l’Université de Chicago (qui dispose d’un département spécialisé dans l’étude des tickets de métro de 1ère classe) pour analyse approfondie.

Ce ticket de métro et cette liste de courses seront présentés, parmi d’autres trésors inestimables, dans le cadre de l’exposition « Camus de Tipasa à Lourmarin », organisée du 3 au 8 septembre à Lourmarin pour le centenaire de la naissance de l’écrivain philosophe.

Tous droits réservés : ©AFP Général

Dans L’écume des jours, Boris Vian se moquait amicalement de la folie d’un de ses personnages qui collectionnait les vieux habits portés par son idole, un écrivain nommé Jean-Sol Partre (le clin d’œil à l’agité du bocal de Saint-Germain des Prés ne vous aura pas échappé). On a hâte d’observer le nouveau fétichisme camusien prendre son envol…