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Tinto Brass, le vénitien cul…te


Tinto Brass, le vénitien cul…te

tinto brass la cle cinemaLa silhouette rondouillarde de Tinto Brass est aussi célèbre en Italie que les frasques de Berlusconi ou les facéties de Beppe Grillo. Lunettes noires, cigare égrillard, cheveux plaqués, le verbe haut, la main baladeuse, Tinto aime choquer les bien-pensants, la morale bourgeoise et les cul-bénits. Subversif et sensuel comme tous les vénitiens qui se respectent, il est un visage familier de la télé transalpine depuis une quarantaine d’années. Il ne rate pas une occasion de provoquer, de transgresser, d’apporter sa petite note grivoise sur les plateaux : une hygiène de vie respectable, voire salutaire, dans un pays englué dans les affaires de calotte et de parlotte.

Massimiliano Zanin lui rend hommage dans un documentaire projeté à la Mostra de Venise (du 28 août au 7 septembre) qui retrace sa carrière. Ses manières bouffonnes, cette lippe goulue, cette faconde de bonimenteur ont toujours été sa façon à lui de promouvoir un cinéma érotique original et de braver la censure. Ne vous fiez pas aux apparences, si le cinéaste filme ostensiblement les fesses (les pleines et entières ont sa préférence), les poitrines généreuses et le sexe des femmes, il n’appartient pas à la catégorie infâmante des pornocrates de bas étage. Tinto Brass est l’inventeur d’un cinéma joyeux où le désir est au centre des ébats, mais aussi d’un cinéma politique, éminemment révolutionnaire, où le machisme méditerranéen est mis à mal. C’est aussi et surtout un cinéma nostalgique : celui de l’enfance, de la montée du fascisme, de l’attrait des bordels et du secret des alcôves. Tinto Brass est déroutant à plus d’un titre. Inclassable. À la fois héritier de la comédie italienne et de la Nouvelle Vague. Populaire et érudit. D’une grande culture, il poursuit ses obsessions (le voyeurisme en fait partie) et plaque sur les bobines ses pulsions, troublant le spectateur qui s’attendait seulement à voir des filles à poil.

Avec Tinto, vous en verrez, rassurez-vous : il ne trompe pas sur la marchandise. Mais il a le don de brouiller les pistes, de vous acculer dans votre fauteuil. Vous n’êtes pas prêts d’oublier certaines scènes de « Salon Kitty » (1975) où le cinéaste mêle prostitution et espionnage dans la reconstitution historique d’une maison close berlinoise durant la Seconde guerre mondiale. Âmes sensibles s’abstenir. Tinto Brass va très loin. Peu de cinéastes ont aussi bien retranscrit à l’écran, ces années noires, son réquisitoire contre Hitler et Mussolini vaut toutes les leçons de morale. L’abjection nazie y est probante. On est loin des gentilles potacheries érotiques de Max Pécas et Philippe Clair. Diplômé en droit, Tinto Brass travailla trois ans à la fin des années 50 comme archiviste à la Cinémathèque Française qui lui a consacré une rétrospective en 2002 intitulée « Eloge de la chair ». Son séjour à Paris le marqua durablement. Ce francophile de cœur qui ose tout, Stendhal et gros tétons, Chateaubriand et touffes foisonnantes, garde un attachement à notre culture. « En France, le sexe est considéré comme un grand spectacle et on me reconnaît la qualité d’auteur » se réjouit-il. Avant de se lancer dans le cinéma cochon, Brass a été assistant réalisateur chez Rossellini, et au début des années 60, il a même dirigé Alberto Sordi, Silvana Mangano ou encore Jean-Louis Trintignant (La mia signora, Il disco volante, Col cuore in gola, etc…) dans des longs métrages salués par la critique.

Après le succès de Caligula en 1979, film à gros budget dans lequel il réussit deux exploits : renier totalement cette œuvre car son producteur y avait inséré des scènes « porno » sans son accord et dénuder « The Queen », l’actrice Helen Mirren qui y apparaissait en tenue d’Eve, Tinto s’est donné pour mission de mettre à nu de plantureuses actrices. Les sylphides peuvent passer leur chemin, elles n’intéressent pas le réalisateur. Ses faits d’armes paraissent impensables à notre époque où les actrices gèrent leur carrière comme des expertes-comptables. En 1983, il convainc Stefania Sandrelli de jouer nue dans La Clé. Stefania a tourné avec Ettore Scola, Melville, Chabrol, Bertolucci, Comencini, etc…Elle est une figure du cinéma italien pas une strip-teaseuse qui cachetonne. Elle accepte pourtant de se montrer sans artifice, corps mature, peau laiteuse, rondeurs charnelles, nous donnant rendez-vous alors avec Renoir et Rubens. Frank Finlay, acteur de théâtre britannique, nommé aux Oscars accepte de l’accompagner dans le Venise des années 40. L’Italie pudibonde la conspue, la presse dite sérieuse l’insulte, mais Stefania prouve qu’elle est une immense actrice. Tinto ne s’était pas trompé en la choisissant. La Clé ouvre la porte à un cinéma érotique italien audacieux, irrévérencieux et glandilleux à souhait. En 1985, Tinto Brass récidivera avec Serena Grandi, brune charpentée, danseuse de Mambo italiano, impudique et perverse qui exaltera une puissance érotique peu commune. Et beaucoup d’autres actrices suivront ce chemin coquin : Deborah Caprioglio dans Paprika, Claudia Koll dans All ladies do it ou l’inoubliable Anna Galiena dans Senso 45. Depuis la mort en 2004 de Russ Meyer et la disparition en fin d’année dernière de Bénazéraf, Tinto Brass est le dernier survivant d’un cinéma cul-te.

*Photo: La clé, Tinto Brass avec Stefania Sandrelli



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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