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Où sont les antifascistes?

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antifas fn autonomes

Rebelles des beaux quartiers, petits mutins accrédités, que sont les antifascistes devenus  ? Ils ont grandi et se sont épanouis en même temps que le Front national, sous le regard amusé et bienveillant de Tonton, car ce sont les années Mitterrand qui ont accouché de cette hydre à deux têtes : le Front national et son inévitable corollaire antifasciste, le requin et son poisson-pilote. L’un ne va pas sans l’autre et si Jean-Marie Le Pen a dû en partie la mise en orbite de son parti à François Mitterrand, la nébuleuse antiraciste doit sa justification idéologique et son existence même au parti nationaliste.

Après les années 1980 et les petites mains jaunes du « Touche pas à mon pote », les années 90 ont vu défiler le cortège monotone des manifestations antiracistes, des groupes conscientisés et des éditoriaux moralistes, tous semblables, répétant à l’unisson les mêmes slogans, enfonçant de concert tous les portes ouvertes  du boyscoutisme idéologique, déclinant sur tous les modes et à tout propos les mêmes poses de résistants de pacotille. Le rock alternatif est mort quelque part entre la première cohabitation de Chirac et le bicentenaire de la Révolution française mais la jeunesse des années 90 ne cessera pas, avec sérieux et bonne conscience, de scander jusqu’à l’aube de la quarantaine assagie qu’elle emmerde le Front national.

SOS Racisme est passé depuis longtemps de « Touche pas à mon pote » à « Touchez pas au Grisbi » quand Jean-Marie Le Pen, inoxydable, connaît en 2002 la consécration de sa longue carrière politique. Alors, banderoles en main et jolis slogans à la bouches, les antifascistes sont descendus dans la rue pour taper du pied, brandir le poing et prendre leur place dans cette belle opérette que la chiraquie vacillante leur offrait. Sur les plateaux de télévision, les journalistes, les artistes et les bonnes âmes prenaient avec ferveur le pouls de cette France rebelle et de cette jeunesse qui communiait dans une révolte pour rire. Il y avait grand intérêt à ce moment à se trouver devant son poste de télévision pour goûter des moments de télévision qui atteignaient presque la grâce et la drôlerie des interventions de Jean-Edern Hallier dans la campagne de 1974.

Quand tout est rentré dans l’ordre et que le Thrasybule corrézien fut réélu avec 82% des voix, les antifascistes se sont congratulés. Personne parmi eux, au sein du PS ou de ses différentes officines ne s’est demandé bien sûr quelle aurait pu être la responsabilité de ces bonnes âmes dans le triomphe de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Personne évidemment ne pouvait mettre en avant le rôle joué par les champions de la bonne conscience dans cette triste mascarade. Les antifascistes ont continué à jouer à guichets fermés la comédie de boulevard de la lutte contre la réaction et ce faisant ils ont continué à trahir tout ce qu’ils prétendaient défendre et à servir tout ce qu’ils prétendaient combattre : le peuple, réduit depuis longtemps à la figure simple du beauf de Cabu, la mondialisation qu’ils conspuaient à longueur de meeting tout en s’en faisant les avocats les plus efficaces, l’immigré dont ils avaient fait leur héros du moment bien sûr qu’il reste enfermé dans la banlieue et dans le rap, condamné à n’être que l’icône inconnue de la « diversité ». Ils n’ont pas plus compris ces bienheureux qu’ils favorisaient à chaque échéance électorale – en 2002, en 2007, en 2012 – l’avènement d’un populisme simplificateur, réponse symétrique à l’irréfutable catéchisme de ces révolutionnaires appointés.  Il est vrai que l’on n’a rien besoin de comprendre quand on détient à coup sûr la vérité.

Où sont les antifascistes aujourd’hui ? Ils ne paraissent plus très fringants. En vingt ans de lutte antifasciste, leur mobilisation n’a jamais réussi à endiguer la progression électorale du Front National, bien au contraire. Tout au plus a-t-elle accompagnée docilement le verrouillage du discours médiatique qui a offert au parti de Marine Le Pen les deux thématiques oubliées par les grands partis de gouvernement : la nation délaissée par la droite et la politique sociale oublié par la gauche. Face à ce vol sans effraction, les antifascistes ont continué à entonner l’antienne du retour du national-socialisme. Non contents d’avoir consciemment vidé leur discours de tout contenu idéologique pour ne plus se définir que par la négative – pauvres « antis » désespérément agrippés au museau du grand squale d’extrême-droite –, les antifascistes sont désormais mis sur la touche dans leurs propres rangs. Ils avaient déjà réussi l’exploit peu banal de se voir doubler sur leur gauche par l’extrême droite, ils bouclent la boucle en se voyant définitivement enterrés par leur propre extrême gauche, les fameux « autonomes » anticapitalistes dont les gentils organisateurs de la manifestation de Lyon se démarquent avec horreur. Constatant que les casseurs ont pris exclusivement pour cible banques et MacDo, Eric Duclais, l’un des organisateurs, semble ne plus trop savoir sur quel pied danser : « Evidemment, ils n’ont pas pris leurs cibles au hasard. On peut y voir un acte politique mais que nous ne partageons pas. (…) On a quand même réussi à réunir beaucoup de monde. Mais ça laisse un goût amer. Car on n’a pas pu exprimer notre message qui passe derrière la casse. » Le problème des antifascistes aujourd’hui est bien de savoir quel message exactement ils ont bien voulu faire passer depuis tant d’années, eux qui sont bien partis pour sombrer avec le Titanic socialiste dans le marigot de l’indigence politique. Avec SOS Racisme qui a trébuché sur Dieudonné, le naufrage de l’antifascisme de salon est comme l’épilogue final des années Mitterrand. On aurait tort de s’en féliciter cependant, il n’inaugure pas une période plus rassurante.

 *Photo :  VALINCO/SIPA. 00598511_000006.

Faisons la tour avant de nous dire adieu

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bce tour francfort

La Banque centrale européenne, familièrement appelée BCE, a enfin créé des emplois. Il faut saluer l’exploit. Il est surprenant. La politique monétariste de Mario Draghi et de ses prédécesseurs, qui sont les vrais maîtres de l’Europe nouvelle, nous avait assez peu habitués à la chose tant cette banque, dont on attendait l’embryon d’une politique économique unique pour le continent, s’est surtout efforcée d’installer de Madrid à Paris en passant par Athènes, Dublin, Berlin, Rome, Lisbonne ou Paris, les politiques austéritaires qui interdisaient de fait tout retour à la croissance. Une BCE qui, comme un médecin de Molière, préférait pratiquer la saignée afin que les malades meurent guéris. C’est-à-dire, si vous voulez, comme les Grecs qui ne cessent de manifester en masse, sans qu’on en parle, contre leur grand bond en arrière, de ne plus avoir de système de santé, de système scolaire et de connaître une espérance de vie en recul constant depuis 2010 mais qui en revanche sont plus ou moins capables, de nouveau, d’emprunter sur les marchés. C’est vous dire s’ils sont contents…

Et c’est bien connu du retraité portugais qui fouille dans les poubelles pour se nourrir, de l’Espagnol « milleurista »  de quarante piges qui est retourné vivre chez papa maman, de la petite fille grecque qui ne reçoit plus les anticancéreux parce que les labos allemands refusent de livrer des hôpitaux insolvables : si les banques nationales peuvent aller emprunter sur les marchés, c’est que tout va bien, comme vous l’expliqueront les économistes de garde sur toutes les chaines d’infos continues. Le retraité va trouver du caviar dans la poubelle,  il y aura une chambre de plus dans l’appartement parental du milleurista et la petite fille grecque sera guérie par l’opération du Saint-Euro.

Mais enfin, l’honnêteté intellectuelle nous force à reconnaître qu’il a bien fallu quelques centaines d’ouvriers (combien de travailleurs détachés, de clandestins ?) pour construire sur les bords du Main, à Francfort, dans le quartier louche de l’Ostend qui va devenir très chic si on en juge par l’augmentation des loyers, un siège monumental, digne des rêveries mortifères et mégalomaniaques de Ceaucescu à l’époque où il redessinait Bucarest. Oui, la BCE a enfin trouvé un monument digne de sa grandeur et de ses exploits .

Louis XIV a eu Versailles, les Pharaons les Pyramides, Trajan sa colonne : Mario Draghi aura sa tour. Et quelle tour ! En fait, il y en a même deux, des jumelles (pas superstitieux, nos banquiers centraux…). Elles font 185 mètres de hauts et permettent une vision panoptique sur la ville. Elles utilisent le bêton, d’acier et le verre, histoire de rappeler que l’on est modernes, forcément modernes et qu’en architecture comme ailleurs, les matériaux primaires comme le bois ou la pierre appartiennent définitivement au monde d’avant.  Avec 45 étages, aux ascenseurs de science-fiction qui mènent au sommet en quelques secondes, le tout piloté par ordinateurs, on peut espérer qu’ils ont anticipé sur les attaques des hackers. Ce serait ballot que des hauts fonctionnaires qui s’apprêtaient à baisser des taux d’intérêts restent coincés pendant des heures : ils pourraient faire des petits pour passer le temps. Comme à la BCE, on est attentif à l’environnement, l’eau des toilettes sera recyclée et la chaleur récupérée par le fonctionnement…des ordinateurs.

Surtout, surtout, délicieuse ironie, la BCE qui se présente comme le parangon de la bonne gestion, a légèrement dérapé dans sa politique de grands travaux : le bâtiment qui pour partie rénove une ancienne halle aux légumes devenues sous les Nazis le Drancy de Francfort où 10 000 juifs ont attendu la déportation, a coûté 1, 2 milliards d’euros soit un surcoût de 40% par rapport aux devis initial. Apparemment, il y a eu beaucoup moins de difficultés à débloquer une « tranche supplémentaire » pour terminer le monstre que pour aider Athènes à boucler un budget. Et on n’a pas demandé en échange à Draghi et à ses 2600 fonctionnaires de réduire leurs salaires, histoire d’aider à l’effort de rigueur. On oubliera également les douze ans de travaux et les trois ans de retards. On peut être un gestionnaire inflexible pour les autres  et s’accorder des petits dérapages, sinon à quoi ça sert d’être les maîtres du monde. L’inauguration a été prévue pour le 15 mars 2015. Etant donné les réactions suscitées et les manifs annoncées, je conseille aux banquier de transformer leurs locaux en ZAD et d’aller demander des conseils techniques du côté de Notre-Dame- des-Landes ou du Testet.

Mais, dernière question, que fera-t-on de ce monstre orwellien une fois que l’on en aura terminé avec cette Europe-là, soit parce que nous aurons enfin quitté l’Euro, soit parce qu’elle sera devenue enfin démocratique, sociale, écologique. Je suggère de la transformer en musée de l’Age des Ténèbres où de jolies guides expliqueront aux enfants des écoles terrifiés qu’il y eut, à une époque lointaine, une Europe dirigée par des banquiers dans l’intérêt de la finance déréalisée et non dans celui des peuples enfin libérés. La pédagogie et la transmission, il n’y a pas mieux pour éviter que les cauchemars ne se reproduisent.

*Photo : wikimedia.

Joue-la (presque) comme Daech

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suisse etat islamique

« Cinq ans après le référendum interdisant la construction de nouveaux minarets, les musulmans de Suisse se lèvent contre l’islamophobie. » Tel est le titre – en plus ramassé dans la version originale en anglais – d’une vidéo tout à fait surprenante, publiée le 26 novembre sur Youtube.

Elle émane du Conseil central islamique suisse (CCIS), l’un des acteurs de la représentation musulmane sur sol helvétique. Le CCIS est un mélange de piété et d’engagement politique, de retour aux sources et d’esprit provoc’, un néo-salafisme qui se nourrit d’Internet autant qu’il le nourrit. Il a ce côté « insoumis » qui fait en France le succès d’un site comme Islam&Info, par exemple, suivi par de nombreux jeunes gens en quête de « justice », pour eux-mêmes et pour « les frères » où qu’ils se trouvent sur la planète.

Le CCIS, qui revendique « 3100 membres », sent le souffre et inquiète les autorités suisses. Début novembre, un préfet a interdit la tenue du rassemblement annuel de cette organisation dans une salle de la ville de Fribourg, chef-lieu du canton du même nom. Le haut fonctionnaire a invoqué « des risques probables, sérieux et concrets de troubles à l’ordre et à la sécurité publics », disant craindre notamment des « contre-manifestations ». Ce n’est pas la première fois que le CCIS, créé il y a cinq ans, est prié d’aller voir ailleurs. Il s’est quand même réuni à Fribourg, mais dans le froid et dans la rue, sans créer de débordement, 300 personnes répondant à son appel.

Ce meeting en plein air a eu lieu samedi 29 novembre, date initialement prévue par le CCIS pour sa conférence annuelle, soit cinq ans jour pour jour après le « oui » des Suisses au référendum interdisant la construction de nouveaux minarets. La coïncidence est trop parfaite pour tenir du hasard. Trois jours plus tôt, le Conseil central islamique suisse publiait son clip « contre l’islamophobie » chez l’hébergeur de vidéos mondialement connu. D’une durée de 3 minutes et 12 secondes, ce court-métrage montrant notamment des vues de la cathédrale de Berne, capitale fédérale de la Suisse, siège du CCIS, est une succession d’images en mouvement, lentes ou rapides, selon qu’on se trouve dans une nature comme aux premiers temps de la Création ou dans la ville trépidante, lieu d’une humanité malheureuse cherchant un sens à l’existence.

On est surtout à Hollywood, dans les studios et dans les thèmes du moment destinés aux ados, qui doivent beaucoup à une mixture celto-byzantino-moyenâgeuse, du Seigneur des anneaux à Game of Thrones, en passant par le jeu vidéo Assassin’s creed : les forces telluriques nous commandent de prendre le glaive pour combattre nos petites lâchetés de petits bourgeois. Toutes choses égales par ailleurs, le clip introduisant le discours de clôture de Marine Le Pen, dimanche au congrès lyonnais du Front national, empruntait à cette imagerie minérale, humide et froide, où les Christ en croix, véritablement, vivent le calvaire. Dans un tel univers, ce n’est pas la Sécu qui protège, mais la force, le courage et la foi.

Abdel Azziz Qaasim Illi, porte-parole du CCIS, converti à l’islam, le reconnaît : la vidéo contient des « images provocantes » et c’est voulu, « pour faire réfléchir ». En termes de références cinématographiques, on se situe quelque part entre Harry Potter, Assassin’s creed déjà cité et les mises à mort de Daech, l’Etat islamique. Sauf qu’ici, on n’exécute pas. On est des victimes. Des victimes de l’islamophobie qui, après « tortures et humiliations », relèvent la tête. On se croyait seul, on est nombreux. Il est temps de sortir du bois et de montrer son visage. Car nous aussi, musulmans, « on est chez nous ».

Il n’est pas sûr que les intentions « pacifiques » du CCIS soient comprises comme telles. Que voit-on s’élever dans le ciel suisse, en haut de la montagne ? Le « drapeau islamique », avec la profession de foi musulmane – comme celui de Daech dans ses vidéos morbides, pense-t-on immédiatement. C’est là qu’on se trompe, car le fond du drapeau est blanc et les lettres en noir, l’inverse de la bannière du prétendu Etat islamique. Ça aussi, c’est voulu. « Le blanc, c’est la couleur de la paix », explique Abdel Azziz Qaasim Illi. « Les concepteurs de ce clip, les figurants qu’on y voit, des musulmans de Suisse, sont tout à fait au clair avec la religion, ils ne sont pas tentés par le djihad en Syrie ou en Irak », assure-t-il.

La démarche n’est pas rassurante pour autant – elle n’est pas non plus destinée à rassurer. Que dit la voix « off », basse et grave, en anglais, typique des bandes-annonces des blockbusters américains ? Que nous sommes « au début d’une révolution islamique ». Et pour finir, s’adressant aux autorités helvétiques, la « voix » prévient : « Vous pouvez interdire nos minarets, nos voiles, nos niqabs, et mêmes nos conférences, vous pouvez appeler notre religion violente, rétrograde et arriérée, ne faisant pas partie de la Suisse. Mais sachez que nous sommes là et faisons partie de cette réalité. Nous ne partirons pas et nous n’abandonnerons pas notre lutte pacifique pour l’égalité des droits. Nos libertés fondamentales et la tolérance sont tout ce que nous demandons. Attendez-vous à nous, à tout moment, n’importe où. » Signé : « The Muslims of Switzerland »

Le président du CCIS est un Suisse du nom de Nicolas Blancho, converti à l’islam – le nombre de convertis dans cette organisation ne dépasserait pas « 150 » sur la totalité des 3100 membres, selon Abdel Azziz Qaasim Illi. A propos de l’engagement d’Occidentaux dans Daesh, Blancho a dit que « l’islamophobie était l’une des causes majeures du recrutement » – le ministre de la Défense Ueli Maurer a déclaré le 27 septembre dans le quotidien Le Temps, que « la lutte contre le djihadisme [était] désormais une priorité du SRC (les services secrets helvétiques) ».

Comme tout mouvement « révolutionnaire » qui se respecte, le CCIS manie l’humour. Ainsi dans cette autre vidéo, une « comédie » reprise sur son site par le quotidien de boulevard suisse-alémanique à grand tirage Blick. On y voit un soldat suisse-alémanique de religion musulmane et d’origine kosovare (les musulmans suisses sont majoritairement originaires de Turquie et du Kosovo), moquer le ministre de la défense et railler les clichés dont pâtiraient les musulmans en Suisse. Cela se veut une critique du discours « officiel » sur le peu d’entrain de ceux-ci à s’intégrer. « ISIS », l’acronyme de l’Etat islamique, devient ici : « Intensives Schweitzer Integrations Seminar » (séminaire intensif d’intégration suisse).

Tout le monde en Suisse, on s’en doute, n’apprécie pas le discours et l’« humour » du CCIS. Un responsable d’un « centre islamique » de Bienne (la ville où siège le groupe horloger Swatch), se voulant rassurant, l’affirme : « Le CCIS ne représente pas les musulmans de Suisse, ce sont des minoritaires, il faut le répéter, nous n’avons rien à voir avec eux. Les musulmans qui viennent dans notre mosquée savent très bien à quoi s’en tenir avec le CCIS. » Même rejet de la part de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse, basée à Neuchâtel : « Nous sommes totalement opposées aux thèses du CCIS. Par exemple, nous sommes contre le port du niqab, alors qu’il y est favorable. Pour autant, nous pensons que la liberté des individus doit primer. »

Cette modération, on l’aura compris, n’est pas du goût du Conseil central islamique suisse, qui, pour être « minoritaire », n’est pas le moins bretteur des acteurs musulmans de la Confédération.

 

Si l’ONU crée un État palestinien, qu’aura-t-elle prévu pour le lendemain ?

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Créer un État souverain n’est pas une simple affaire de bonne conscience.

Les auteurs d’un acte politique de cette importance doivent être tenus pour comptables de ses conséquences.

Depuis l’intervention américaine en Irak contre Saddam Hussein, cette anticipation s’appelle la question du lendemain.

De quoi ce lendemain de la création de l’État palestinien sera-t-il fait ?

Au lendemain de la création de l’État de Palestine, qui aura forcément été précédé par la reconnaissance de l’État d’Israël par l’actuelle Autorité palestinienne,  il est fort possible que des élections libres portent au pouvoir le Hamas, sans que celui-ci ait renoncé à poursuivre sa guerre terroriste contre l’existence de l’État d’Israël.

Les États qui auront permis cette agression prévisible se seront-ils engagés par un pacte et aux yeux du monde à soutenir la riposte d’Israël ?

S’ils souhaitent  rendre possible la création d’un État palestinien, les autres États doivent donner à Israël l’assurance diplomatique et militaire qu’une solution équitable ne débouchera pas sur un danger mortel pour Israël.

 

 

Le djihad s’est arrêté à Poitiers

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djihad poitiers bouzar

Du chômage au racisme, de l’homophobie à l’obésité, de l’éclatement des familles aux méfaits de la drogue, l’Education nationale est régulièrement sommée de contribuer au traitement de ce que les gazettes appellent des « problèmes de société » – au détriment de la transmission des savoirs qui devrait être son premier et sans doute son seul objectif, mais passons. Par exemple, en mai dernier, seuls quelques réacs indécrottables (dont votre servante) se sont offusqués de ce que l’académie de Nantes ait, sur son site, encouragé lycéens et professeurs à participer à la Journée de la Jupe (pour les garçons) organisée par une association locale pour lutter contre les préjugés sexistes. Et, en général, on n’est pas trop regardant sur la qualité des textes produits pour défendre ces excellentes causes.

Dans ces conditions, le tollé suscité par la diffusion intempestive d’un « guide antidjihad »  élaboré par l’académie de Poitiers a de quoi surprendre. Ce document Powerpoint, destiné à favoriser « la prévention de la radicalisation en milieu scolaire » recense les signes avant-coureurs de la dérive en se référant notamment aux travaux de la sociologue Dounia Bouzar qui dirige elle-même une association de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam : « barbe longue et non taillée », « habillement musulman », « refus du tatouage », « perte de poids liée à des jeûnes fréquents ». Il pointe aussi des comportements présumés à risque : « repli identitaire », « rhétorique politique », « exposition sélective aux médias (avec préférence pour les sites Webs djihadistes) » et enfin, un « intérêt pour les débuts de l’islam ». À propos de ce dernier point, la journaliste du Monde relève triomphalement qu’en classe de 5e, un dixième du programme est consacré aux « débuts de l’islam ». Sans doute pense-t-elle que les professeurs sont trop idiots pour faire la différence entre un élève qui s’intéresse au cours et un autre qui fantasme sur la conquête arabe.

On peut discuter les critères retenus par l’académie et même pointer des maladresses – il serait par exemple assez hasardeux de se fier à « l’absence de tatouage » pour repérer les candidats au djihad. Reste que, pour l’essentiel, il suffit d’un peu de bon sens pour parvenir aux mêmes conclusions que les rédacteurs du document.

La presse s’est pourtant déchaînée contre cette « litanie de clichés racistes ». « Le document ne le revendique jamais explicitement, mais c’est bien de radicalisation islamiste qu’il s’agit », s’indigne encore la journaliste du Monde. Faudrait-il, pour ne pas froisser les musulmans, inventer une menace terroriste juive, bouddhiste ou catholique à nos portes ?

Le plus inquiétant est la réaction des musulmans eux-mêmes, en tout cas, de ceux qui s’expriment, qui, une fois de plus semblent considérer que le problème le plus grave n’est pas le djihadisme, mais l’amalgamisme. L’islamosphère est en ébullition. Le Collectif contre l’islamophobie en France dénonce « un appel clair à la délation » et exige l’ouverture d’une enquête administrative. Traitée de « collabo » sur les réseaux sociaux, Dounia Bouzar, doit se désolidariser de l’académie de Poitiers. Le choix de ce terme infâmant montre que certains refusent clairement de choisir entre l’Etat islamique et l’Etat français qui n’en finirait pas de les coloniser.

Tout musulman n’est pas islamiste et tout islamiste n’est pas terroriste. Les représentants officiels et officieux de l’islam de France rappellent volontiers cette évidence. Ils ont raison. Mais alors, ils devraient se demander pourquoi tant de musulmans se sentent stigmatisés par la condamnation du djihadisme. Est-ce trop leur demander que de consacrer leur énergie à dénoncer les terroristes plutôt que ceux qui les dénoncent ?

Ce texte publié en accès libre est extrait de Causeur n°19. Pour acheter ce numéro, cliquez ici.

 

 

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Insécurité / autodéfense, Révolte des jeunes. Les deux dossiers de notre numéro de décembre

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walesa berreby dupond moretti

L’hiver sera froid, dans les sweat-shirts, dans les prisons. Ce n’est pas que la France a spécialement peur, mais les frimas n’adoucissent en rien les chiffres et la réalité de l’insécurité.

Face à l’explosion de la délinquance, l’Etat semble démuni, cependant qu’un nombre croissant de nos compatriotes pensent, avec Elisabeth Lévy que « pour des raisons essentiellement idéologiques, la justice semble plus soucieuse de la rédemption des coupables que de la réparation due aux victimes ». Notre « une » exhibant une dame d’un âge respectable un fusil à la main illustre avec humour la réaction de certains Français confrontés à une recrudescence des agressions et autres voies de fait. Autrement dit par notre directrice, le sentiment d’insécurité s’installe, « nos gouvernants s’obstinent à ignorer ce fait, les caves finiront par se rebiffer – et, peut-être, par se charger eux-mêmes du sale boulot que l’Etat ne fait pas ». Christian Estrosi et quelques députés UMP méridionaux viennent d’ailleurs de déposer une proposition de loi prévoyant d’encadrer le recours à l’autodéfense lorsque les circonstances attestent de la bonne foi de l’agressé.

Restons  sur la promenade des Anglais. Il suffit  de rappeler l’affaire du bijoutier de Nice pour se convaincre que des commerçants et d’honnêtes citoyens sont tentés de combler les carences de la police en se faisant justice eux-mêmes. Certes, il n’y a pas encore le feu au lac, mais le reportage d’Antoine Menusier à Marseille au plus près des brigades citoyennes des quartiers nord montre un phénomène en plein essor. Pour l’instant, l’association « Voisins vigilants » s’efforce de surveiller sans punir, mais qu’en sera-t-il demain ? Au petit jeu des pronostics, les hommes de droit affûtent leurs arguments contradictoires. Au constat accablant que dresse le vice-président au tribunal de grande instance de Paris Jean de Maillard quant au laxisme de la justice à l’égard des délinquants, Maître Dupond-Moretti oppose un démenti cinglant. Pour la star du barreau, « des tas de gens sont incarcérés alors qu’ils n’ont strictement rien à faire en prison », laquelle serait moins l’antichambre de la rédemption que l’école du crime. Bref, l’avocat lillois pense comme notre Garde des Sceaux que « tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens ». En augmentant un poil la focale, on observe que les juges devant statuer sur des affaires de légitime défense ont une sérieuse tendance à sévir, de peur que notre Etat de droit dérive en un Far West régi par le 2e amendement de la Constitution américaine, qui fait du port d’armes légères un droit fondamental du citoyen. Ainsi que l’établit méthodiquement Régis de Castelnau, les juges poursuivent le délinquant lambda, le sanctionnent à l’occasion, mais n’exécutent que rarement leurs sentences. Dit plus crûment, cela signifie que « le rituel judiciaire se poursuit, sans aucune véritable conséquence concrète. Il s’ensuit que la « petite délinquance » est de facto dépénalisée ». Vu ce triste état de fait, on comprend que la racaille n’ait pas à se faire désirer pour mettre le boxon le samedi soir dans la très festive rue de la Roquette à Paris, comme l’observe chaque semaine le régional de l’étape Pascal Bories, ou tous les jours sur la ligne D du RER, que ce veinard de Laurent Gayard emprunte quotidiennement.

De l’insécurité aux jeunes, il y a plus d’un pas. Ne pointons personne du doigt, la sécession de la jeunesse n’est que le second dossier ce numéro, sans amalgames ni stigmates d’aucune sorte. « Au secours, nos enfants divorcent ! », s’inquiète notre chère Elisabeth devant ma génération Y biberonnée à l’Internet, que la vie en réseau a éclaté en autant de tribus que Youporn compte de vidéos à la demande. Entre les zadistes de Sivens ou Notre-dame-des-Landes,  les djihadistes de l’Etat islamique, et les Veilleurs, il serait aussi stupide que criminel de tracer un trait d’égalité. Mais  tous « disent quelque chose de ce monde, c’est qu’il leur donne envie de le fuir. Les Veilleurs espèrent encore le changer. Les nouveaux djihadistes made in  France n’ont, eux, qu’une chose en tête : le détruire », décrypte notre cheftaine avant de nous rappeler que « quelques dizaines de zadistes sont peut-être moins représentatifs de la jeunesse que les 30% de 18-35 ans qui votent Front national ». Ce monde déserté par les jeunes mérite-t-il vraiment qu’on le défende ? Personnellement, j’en doute, et ce ne sont pas les paysans bretons interrogés par Antoine Menusier qui nous diront le contraire, étranglés qu’ils sont par la crise et le système agroalimentaire. S’il ne fait pas bon habiter nos villes-termitières, le malheur est aussi dans le pré…

Dans notre grand bouillon de culture, le débat porte d’abord sur l’art contemporain qui s’expose cet hiver. Jean Clair démonte Jeff Koons avec son érudition habituelle cependant qu’Hector Obalk analyse le cas Marcel Duchamp et sa récupération hasardeuse par l’art contemporain. Autre événement d’actualité, le biopic autour de Lech Walesa a enthousiasmé Paulina Dalmayer pour des raisons assez peu cinématographiques en vérité.

Last but not least, avec mon compère Marc Cohen, j’ai eu le bonheur d’interroger le directeur des éditions Allia Gérard Berréby, auteur d’un génial ouvrage d’entretien avec le situationniste belge Raoul Vaneigem. Un entretien-fleuve sur six pages autour de la récupération de Debord, de l’héritage situ et du formidable travail d’édition qu’accomplit Allia.

Rassurez-vous, nos classiques ne manquent pas à l’appel. Les journaux d’Alain Finkielkraut, et Basile de Koch, les carnets de Roland Jaccard et la chronique de L’Ouvreuse répondent une nouvelle fois présents. Bon, je vous laisse, il fait trop décidément trop frisquet. Comment dit-on, déjà, Causeur au tison, Noël au balcon ?

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Les Héritiers, supplément larmoyant au roman national

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ascaride heritiers ecole

Peut-on parler d’un film sans l’avoir vu ? Je le pense, à partir du moment où l’on décide de focaliser l’analyse sur les desseins que l’on prête au film et que les hypothèses émises vont dans ce sens. D’autres points de vue suivront – le film en question va faire parler de lui – et je ne me risquerai évidemment pas ici à critiquer ni la mise en scène, ni le jeu ou le choix des acteurs, ni même le scénario. Le film dont je me propose de parler sort ce mercredi sur les écrans, il s’intitule Les Héritiers. « En comprenant l’Histoire, ils vont forger la leur » en est l’accroche emblématique.

Il règne en France une ambiance conflictuelle entre minorités ethniques. En France plus qu’ailleurs semble-t-il. Longtemps y a prévalu l’ambition de faire du Français. Non qu’il était demandé à chacun d’abandonner tous particularismes, mais ceux-ci avaient vocation à relever de l’intime pour laisser place nette à tout un lot de références communes jugées fondamentales. Au rebours du système anglo-saxon ayant toujours misé sur la réussite personnelle débridée et fait du commerce l’unique ciment social, la France avait fait le pari d’un peu plus de profondeur en partage. Au nom de valeurs libérales importées sur ses terres par une avant-garde au grand cœur, ce pays a fini par s’oublier dans la reconnaissance d’autrui. Aujourd’hui que les animosités deviennent criantes, les mêmes s’inquiètent – un peu tard – d’un défaut de véritables dénominateurs communs (en-dehors de la référence évanescente aux droits de l’homme).

Des conflits communautaires, il en est un qui envahit de plus en plus l’espace public : juifs d’un côté, Noirs et Arabes de l’autre. Non seulement on a fait perdre aux uns comme aux autres le sentiment d’appartenance nationale sur le sol français, mais, par voie de conséquence, on a permis que vienne s’y jouer par procuration le conflit israélo-palestinien. Or le drame de là-bas ne peut ni ne doit avoir ici la primauté car ce serait faire d’une guerre étrangère un triste et exclusif dénominateur commun. Et parce que les communautés minoritaires se retrouvent affectées à leur tour par le sabordage de la nation – donc la perte de valeurs et de repères communs –, le microcosme culturel est en émoi. Commencent alors à se faire sentir et le poids de nos manquements, et la nécessité d’y remédier en exhumant l’histoire nationale. Mais pas n’importe laquelle, bien entendu.

C’est en cela, il me semble, que le film Les Héritiers puise l’essentiel de sa raison d’être dans une vocation d’apaiser des querelles communautaires, celles-ci longtemps masquées par la sempiternelle désignation de l’ennemi commun, à savoir le fasciste d’extrême droite. Louable tentative, qui plus est en invoquant l’héritage historique (mieux vaut tard que jamais). Il est néanmoins assez surprenant de faire appel au drame de la Shoah, lors même qu’elle est devenue l’étalon et le paradigme de la concurrence victimaire, donc potentiellement l’adjuvant des conflits. On s’entendra répondre que le film s’appuie sur une « histoire vraie ». Il n’est toutefois pas certain que si la concorde et l’émulation s’étaient nourries d’une page d’histoire plus glorieuse ou moins affligeante on en aurait fait un film. L’entreprise s’avère donc casse-gueule, car d’une part elle renforce le sentiment qui s’installe d’une histoire de France se résumant à la Shoah, d’autre part elle pose en modèle une expérience, certes vécue, mais qui ne peut faire figure que d’heureuse exception.

On aurait aimé, pour changer, que le personnage principal joué par Ariane Ascaride – Anne Guéguen (homonyme opportun) – en sa qualité de professeur d’histoire, s’attache par exemple à montrer à ses élèves en quoi la vie d’un jeune paysan de la Beauce au XIVe siècle était difficile et contraignante, bien autrement que la leur, et en quoi, pour cette raison même, ils avaient tous, Noirs, Blancs ou Jaunes, des raisons de se reconnaître dans cette figure symbolique (française, mais exportable à l’envi). Ou bien, quitte à parler des Juifs, serait-il choquant de rappeler à tous ces jeunes l’œuvre assimilationniste à l’égard de toute une communauté initiée sous la Révolution et achevée sous le régime impérial ? Tenez, faisons d’une pierre deux coups et parlons d’un Juif éminent, historien lui aussi, qui plus est médiéviste, et héros national fusillé par les Allemands en 1944 : Marc Bloch. Pourquoi cet homme, peu soucieux de ses origines israélites, père de six enfants et en âge d’être exempté des obligations militaires s’est-il senti le devoir de demander à être mobilisé sur le front dès 1940 ? L’a-t-il fait au nom des seuls Juifs ? Ce n’est pas ce qui ressort du constat qu’il dresse lui-même au lendemain de la débâcle dans son Étrange défaite. Il l’a fait parce qu’il se sentait redevable de la patrie qui lui avait permis de devenir professeur universitaire, précisément par le biais d’une histoire nationale qu’il connaissait si bien au long cours. Ainsi Marc Bloch se sentait-il héritier mû, non pas par un grotesque « devoir de mémoire », mais bel et bien par devoir intégral vis-à-vis de la communauté nationale.

Mais tout ceci répondrait-il réellement aux intentions premières du septième art contemporain lorsqu’il fait de la politique sous le couvert d’œuvre sociale ? Est-il suffisamment consensuel de parler de la nation, du sentiment d’appartenance, d’efforts individuels, de sacrifices et de devoirs à des élèves maternés à qui il n’est demandé au quotidien que tolérance et spontanéité ? Seraient-ils à même de s’extraire de leur condition de victimes malheureuses où l’on se plaît à les maintenir pour comprendre en quoi l’École, en soi, est une chance pour eux et l’héritage que leur ont transmis sans contrepartie des Marc Bloch ? Y a-t-il encore de la place pour les héros ordinaires dans une société compassionnelle ?

La boucle est bouclée : Les Héritiers, ce fut aussi le titre d’un livre retentissant écrit par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron il y a tout juste cinquante ans. Sous leur plume, le terme désignait alors la petite frange des élèves privilégiés dans un système scolaire qu’ils s’employaient, quelques années avant le grand chambard, à dépeindre comme matrice de la reproduction et de l’exclusion. Cinquante ans plus tard, leur message a été entendu et leurs leçons appliquées. À telle enseigne que la notion même d’héritage est devenue incongrue dans les écoles, et qu’il faut une fois de plus se référer à la Shoah et aux heures sombres (dans la même logique, ce pourrait être aussi bien au commerce triangulaire…) pour se découvrir un dénominateur commun et un intérêt pour le passé. Le temps ne ménage pas celles et ceux qui ont la vanité de faire sans lui.

Dernières nouvelles du Proche-Orient compliqué

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israel palestine cafe

Nous étions, le rabbin Yoseph Geisinski et moi, dans la luxueuse boutique Nespresso à Lausanne en train d’évoquer au comptoir la tuerie perpétrée par des Palestiniens dans une synagogue de Jérusalem quand, soudain, une mouche fit son apparition, spectacle inattendu dans un lieu où George Clooney ne tolère aucune diversion. Le rabbin Yoseph Geisinski suivit la mouche du regard et me demanda : « Que se passera-t-il si elle tombait dans une tasse de café ? »  » Je préfère ne pas y penser  »  lui dis-je.  » Je vais te suggérer quelques réponses, insista-t-il, et tu me feras part de ton approbation ou de tes réserves…  » J’ opinai du chef et le jeu commença.

– Si la mouche tombe dans la tasse d’un Italien, il la brise et sort furieux du bar.

J’approuvai.

– Si c’est un Allemand, il va demander une nouvelle tasse de café, stérilisée si possible.

J’approuvai encore.

– Si c’est un Français, il va sortir la mouche de la tasse et boire son café.

– Bien vu !

– Si c’est un Chinois, il va manger la mouche et jeter le café…

Je marquai ma réprobation en me taisant.

– Si c’est un Russe, poursuivit-il, il va boire le café avec la mouche, comme s’il bénéficiait d’un traitement de faveur.

Je ne pus m’empêcher de sourire.

– Si c’est un Israélien, il va vendre le café au Français, vendre la mouche au Chinois, vendre une nouvelle tasse à l’Italien, boire un thé et, avec tout ce qu’il a gagné, essayé de mettre au point un système pour éviter que ce genre d’incident ne se reproduise…

J’acquiescai.

– Et si c’est un Palestinien, il accusera les Israéliens d’avoir laissé la mouche tomber dans son  café, protestera à l’ONU contre cette agression, demandera une indemnité à l’Union européenne pour une nouvelle tasse de café, utilisera l’argent pour acheter des explosifs, puis fera sauter le restaurant où des Italiens, des Français, des Allemands, des Russes et des Chinois sont entrain d’expliquer aux Israéliens qu’ils devraient offrir leur tasse de thé aux Palestiniens.

J’éclatai de rire. Sans trop savoir pourquoi. Ou, peut-être, en le sachant trop bien. Aucune mouche ne tomba dans nos cafés. Nous apprîmes, en revanche, que les socialistes français s’apprêtaient à reconnaître l’État palestinien.

*Photo : Tim Redlich.

Quel ballot, ce Balotelli!

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Mario Balotelli est un grand joueur de football. De graves problèmes de santé à sa naissance, la situation matérielle très précaire de sa famille biologique, le verront placé dans une famille d’accueil qui l’élèvera et qu’il considérera toujours comme sa vraie famille. D’origine ghanéenne mais par choix, de nationalité italienne, il dira lors de l’acquisition au moment de son 18e anniversaire : «Je suis italien, je me sens italien, je jouerai toujours pour l’équipe nationale d’Italie ». Évoluer au plus haut niveau dans le championnat italien en étant noir, n’a pas toujours été facile. Les cris de singe, et les lancer de bananes, il connaît. Il n’aime pas trop. Mais en équipe nationale il fait le job. Même s’il est incontestable qu’il est un peu foutraque. Ceux qui furent ses mentors disent qu’il est ingérable pour Mourinho  ou carrément fou pour Roberto Mancini. Il conteste reconnaissant simplement « qu’il fait parfois des choses étranges »… Au moment de l’euro 2012 j’ai le souvenir d’une soirée de juin sur la grande place de Lucque à regarder sur écran géant la demi-finale contre l’Allemagne. Remportée par l’Italie grâce à deux missiles de « Super-Mario ». De l’ovation de la petite foule rassemblée sous les platanes lorsqu’il quitta le terrain. Vous avez dit racisme ?

Super-Mario, c’est son surnom en référence au mythique personnage de jeu vidéo, a tenté un clin d’oeil qu’il espérait antiraciste sur Twitter. Malheureux ! À côté du portrait du célèbre plombier virtuel il a écrit : «Ne soyez pas raciste. Soyez comme Mario. C’est un plombier italien, créé par des Japonais, qui parle anglais, ressemble à un Mexicain, saute comme un noir et attrape des pièces comme un Juif.»

 Pas mal. Ah mais non, la sentence du tribunal de l’Inquisition est immédiatement tombée : « dérapage raciste ». Pardon ? Si si, dérapage raciste. Déferlement d’insultes sur les réseaux, ouverture d’une instance disciplinaire par la Fédération Anglaise de Football, suspension prévisible. Et ce n’est pas sa défense bien misérable qui risque de lui éviter l’opprobre et la sanction. Il rappelle qu’il est noir, italien et que sa mère (qu’il adore) est juive. On avait attribué à Sammy Davis Jr grand artiste américain aujourd’hui disparu une citation apocryphe assez drôle. À un golfeur qui lui demandait quel était son handicap il aurait répondu : « Je suis noir, je suis borgne et je suis juif.. Ce n’est pas suffisant ? ».

Pour Balotelli, le handicap principal c’est de vivre dans une époque absurde.

Les modernes contre le Pape François

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pape koenig melenchon

Le Pape François n’en finit pas de faire sortir les loups du bois. Gaspard Koenig, président du think tank libéral Génération Libre, et candidat malheureux du Parti libéral-démocrate pour les Français de Londres en 2012, a pris sa plus belle plume dans L’Opinion pour faire l’éloge de Jean-Luc Mélenchon.

Oui, vous avez bien lu, l’admirateur de Margaret Thatcher encense celui qui fait applaudir une salle à la mention de la « Grande Révolution de 1917 ». En fait, Koenig remercie Mélenchon pour une chose particulière : s’être opposé à la venue du Pape au Parlement européen de Strasbourg. « Merci de rappeler que la fierté de la France, et de l’Europe, est d’avoir su séparer, non sans douleur, la Cité du fait religieux », écrit notre penseur libéral. Ce dernier devrait pourtant savoir que, si la séparation du temporel et du spirituel fait partie de l’essence du christianisme, la France et son État laïque font figure d’exception en Europe. L’Allemagne pratique un régime se rapprochant du Concordat. L’Espagne et l’Italie accordent une place particulière à l’Église catholique. Quant au Royaume-Uni, patrie d’adoption de Mister Koenig, l’Église d’État anglicane rythme les grands événements de la société britannique, sans que les habitants soient contraints d’assister aux vêpres d’Evensong. Qu’importe, pour Gaspard Koenig, « le cléricalisme, voilà l’ennemi, aujourd’hui comme hier – et, à en croire la résurgence des fanatismes, aujourd’hui plus qu’hier ». Il faudra par ailleurs que quelqu’un lui apprenne, ou lui rappelle, que l’islamisme sunnite, dont il semble faire mention, n’obéit à aucun clergé.

Notre penseur poursuit : « le législateur, œuvrant pour l’intérêt général, n’a aucune leçon à recevoir d’une communauté privée de croyants, qui a d’ailleurs longuement combattu l’idéal démocratique. » En cette Journée internationale de l’abolition de l’esclavage, on ne fera pas offense à Gaspard Koenig de consulter l’histoire de la Grande-Bretagne libérale qu’il chérit tant : ceux qui permirent l’abolition de la traite britannique des esclaves, en 1807, furent précisément la communauté privée des protestants évangéliques. Le pionnier de cette abolition fut le député William Wilberforce, chrétien fervent, converti suite aux prêches de John Wesley, prêtre anglican, initiateur du méthodisme, courant du protestantisme évangélique, à la fin du XVIIIe siècle. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, dans le vaste apport des Eglises chrétiennes aux sociétés humaines, mais il permet de répondre à notre ami Koenig que oui, le législateur a parfois besoin de recevoir des leçons de la part de certaines communautés de citoyens.

L’exemple de la traite des esclaves est peut-être inopportun pour Gaspard Koenig. En libéral cohérent, ce dernier est favorable à sa forme modernisée, avec la GPA. « L’homme, finalement, est maître et possesseur de la nature », affirmait-il au micro de France Culture en juillet 2014. La traite des maternités lui paraît même secondaire par rapport aux folles opportunités des nanotechnologies, biotechnologies et du transhumanisme. Discuter des nouvelles conditions d’esclavage permises par la technique, voilà ce qui intéresse Gaspard Koenig, qui en conclut : « C’est pourquoi je pense que la division gauche/droite va probablement céder la place au conflit (saignant) entre Anciens et Modernes. 

Rendons grâce à Gaspard Koenig pour sa lucidité, même si sa logique semble quelque peu faiblarde, lorsqu’il remercie Jean-Luc Mélenchon pour son opposition au Pape, et déplore quelques lignes plus loin les « accents mélenchonistes » du souverain pontife. Le conflit saignant entre Anciens et Modernes est en cours. Ces derniers promeuvent une vision prométhéenne éculée de l’homme, qui carbure à l’anticléricalisme ringard. Gaspard Koenig nage dans le passéisme de son libéralisme thatchériste, à l’heure où les Anglo-saxons en reviennent, et où émergent, même sur le sol britannique, des critiques de premier plan, tel Philip Blond. Même s’il affirme le combattre, Jean-Luc Mélenchon et ses sbires rejoignent le libéralisme, en réduisant l’homme à un « sujet économique », et non une « personne dotée d’une dignité transcendante », comme l’a pointé le Pape François à Strasbourg.

Face aux ringards Koenig et Mélenchon, les Anciens, mais véritables novateurs, ont pour champion un jeune homme de 77 ans. « Seul en Europe, tu n’es pas antique ô Christianisme. L’Européen le plus moderne c’est vous Pape François », se serait exclamé le poète Apollinaire, après le discours papal de Strasbourg.

*Photo : Joseph Sardin.

Où sont les antifascistes?

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antifas fn autonomes

antifas fn autonomes

Rebelles des beaux quartiers, petits mutins accrédités, que sont les antifascistes devenus  ? Ils ont grandi et se sont épanouis en même temps que le Front national, sous le regard amusé et bienveillant de Tonton, car ce sont les années Mitterrand qui ont accouché de cette hydre à deux têtes : le Front national et son inévitable corollaire antifasciste, le requin et son poisson-pilote. L’un ne va pas sans l’autre et si Jean-Marie Le Pen a dû en partie la mise en orbite de son parti à François Mitterrand, la nébuleuse antiraciste doit sa justification idéologique et son existence même au parti nationaliste.

Après les années 1980 et les petites mains jaunes du « Touche pas à mon pote », les années 90 ont vu défiler le cortège monotone des manifestations antiracistes, des groupes conscientisés et des éditoriaux moralistes, tous semblables, répétant à l’unisson les mêmes slogans, enfonçant de concert tous les portes ouvertes  du boyscoutisme idéologique, déclinant sur tous les modes et à tout propos les mêmes poses de résistants de pacotille. Le rock alternatif est mort quelque part entre la première cohabitation de Chirac et le bicentenaire de la Révolution française mais la jeunesse des années 90 ne cessera pas, avec sérieux et bonne conscience, de scander jusqu’à l’aube de la quarantaine assagie qu’elle emmerde le Front national.

SOS Racisme est passé depuis longtemps de « Touche pas à mon pote » à « Touchez pas au Grisbi » quand Jean-Marie Le Pen, inoxydable, connaît en 2002 la consécration de sa longue carrière politique. Alors, banderoles en main et jolis slogans à la bouches, les antifascistes sont descendus dans la rue pour taper du pied, brandir le poing et prendre leur place dans cette belle opérette que la chiraquie vacillante leur offrait. Sur les plateaux de télévision, les journalistes, les artistes et les bonnes âmes prenaient avec ferveur le pouls de cette France rebelle et de cette jeunesse qui communiait dans une révolte pour rire. Il y avait grand intérêt à ce moment à se trouver devant son poste de télévision pour goûter des moments de télévision qui atteignaient presque la grâce et la drôlerie des interventions de Jean-Edern Hallier dans la campagne de 1974.

Quand tout est rentré dans l’ordre et que le Thrasybule corrézien fut réélu avec 82% des voix, les antifascistes se sont congratulés. Personne parmi eux, au sein du PS ou de ses différentes officines ne s’est demandé bien sûr quelle aurait pu être la responsabilité de ces bonnes âmes dans le triomphe de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Personne évidemment ne pouvait mettre en avant le rôle joué par les champions de la bonne conscience dans cette triste mascarade. Les antifascistes ont continué à jouer à guichets fermés la comédie de boulevard de la lutte contre la réaction et ce faisant ils ont continué à trahir tout ce qu’ils prétendaient défendre et à servir tout ce qu’ils prétendaient combattre : le peuple, réduit depuis longtemps à la figure simple du beauf de Cabu, la mondialisation qu’ils conspuaient à longueur de meeting tout en s’en faisant les avocats les plus efficaces, l’immigré dont ils avaient fait leur héros du moment bien sûr qu’il reste enfermé dans la banlieue et dans le rap, condamné à n’être que l’icône inconnue de la « diversité ». Ils n’ont pas plus compris ces bienheureux qu’ils favorisaient à chaque échéance électorale – en 2002, en 2007, en 2012 – l’avènement d’un populisme simplificateur, réponse symétrique à l’irréfutable catéchisme de ces révolutionnaires appointés.  Il est vrai que l’on n’a rien besoin de comprendre quand on détient à coup sûr la vérité.

Où sont les antifascistes aujourd’hui ? Ils ne paraissent plus très fringants. En vingt ans de lutte antifasciste, leur mobilisation n’a jamais réussi à endiguer la progression électorale du Front National, bien au contraire. Tout au plus a-t-elle accompagnée docilement le verrouillage du discours médiatique qui a offert au parti de Marine Le Pen les deux thématiques oubliées par les grands partis de gouvernement : la nation délaissée par la droite et la politique sociale oublié par la gauche. Face à ce vol sans effraction, les antifascistes ont continué à entonner l’antienne du retour du national-socialisme. Non contents d’avoir consciemment vidé leur discours de tout contenu idéologique pour ne plus se définir que par la négative – pauvres « antis » désespérément agrippés au museau du grand squale d’extrême-droite –, les antifascistes sont désormais mis sur la touche dans leurs propres rangs. Ils avaient déjà réussi l’exploit peu banal de se voir doubler sur leur gauche par l’extrême droite, ils bouclent la boucle en se voyant définitivement enterrés par leur propre extrême gauche, les fameux « autonomes » anticapitalistes dont les gentils organisateurs de la manifestation de Lyon se démarquent avec horreur. Constatant que les casseurs ont pris exclusivement pour cible banques et MacDo, Eric Duclais, l’un des organisateurs, semble ne plus trop savoir sur quel pied danser : « Evidemment, ils n’ont pas pris leurs cibles au hasard. On peut y voir un acte politique mais que nous ne partageons pas. (…) On a quand même réussi à réunir beaucoup de monde. Mais ça laisse un goût amer. Car on n’a pas pu exprimer notre message qui passe derrière la casse. » Le problème des antifascistes aujourd’hui est bien de savoir quel message exactement ils ont bien voulu faire passer depuis tant d’années, eux qui sont bien partis pour sombrer avec le Titanic socialiste dans le marigot de l’indigence politique. Avec SOS Racisme qui a trébuché sur Dieudonné, le naufrage de l’antifascisme de salon est comme l’épilogue final des années Mitterrand. On aurait tort de s’en féliciter cependant, il n’inaugure pas une période plus rassurante.

 *Photo :  VALINCO/SIPA. 00598511_000006.

Faisons la tour avant de nous dire adieu

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bce tour francfort

bce tour francfort

La Banque centrale européenne, familièrement appelée BCE, a enfin créé des emplois. Il faut saluer l’exploit. Il est surprenant. La politique monétariste de Mario Draghi et de ses prédécesseurs, qui sont les vrais maîtres de l’Europe nouvelle, nous avait assez peu habitués à la chose tant cette banque, dont on attendait l’embryon d’une politique économique unique pour le continent, s’est surtout efforcée d’installer de Madrid à Paris en passant par Athènes, Dublin, Berlin, Rome, Lisbonne ou Paris, les politiques austéritaires qui interdisaient de fait tout retour à la croissance. Une BCE qui, comme un médecin de Molière, préférait pratiquer la saignée afin que les malades meurent guéris. C’est-à-dire, si vous voulez, comme les Grecs qui ne cessent de manifester en masse, sans qu’on en parle, contre leur grand bond en arrière, de ne plus avoir de système de santé, de système scolaire et de connaître une espérance de vie en recul constant depuis 2010 mais qui en revanche sont plus ou moins capables, de nouveau, d’emprunter sur les marchés. C’est vous dire s’ils sont contents…

Et c’est bien connu du retraité portugais qui fouille dans les poubelles pour se nourrir, de l’Espagnol « milleurista »  de quarante piges qui est retourné vivre chez papa maman, de la petite fille grecque qui ne reçoit plus les anticancéreux parce que les labos allemands refusent de livrer des hôpitaux insolvables : si les banques nationales peuvent aller emprunter sur les marchés, c’est que tout va bien, comme vous l’expliqueront les économistes de garde sur toutes les chaines d’infos continues. Le retraité va trouver du caviar dans la poubelle,  il y aura une chambre de plus dans l’appartement parental du milleurista et la petite fille grecque sera guérie par l’opération du Saint-Euro.

Mais enfin, l’honnêteté intellectuelle nous force à reconnaître qu’il a bien fallu quelques centaines d’ouvriers (combien de travailleurs détachés, de clandestins ?) pour construire sur les bords du Main, à Francfort, dans le quartier louche de l’Ostend qui va devenir très chic si on en juge par l’augmentation des loyers, un siège monumental, digne des rêveries mortifères et mégalomaniaques de Ceaucescu à l’époque où il redessinait Bucarest. Oui, la BCE a enfin trouvé un monument digne de sa grandeur et de ses exploits .

Louis XIV a eu Versailles, les Pharaons les Pyramides, Trajan sa colonne : Mario Draghi aura sa tour. Et quelle tour ! En fait, il y en a même deux, des jumelles (pas superstitieux, nos banquiers centraux…). Elles font 185 mètres de hauts et permettent une vision panoptique sur la ville. Elles utilisent le bêton, d’acier et le verre, histoire de rappeler que l’on est modernes, forcément modernes et qu’en architecture comme ailleurs, les matériaux primaires comme le bois ou la pierre appartiennent définitivement au monde d’avant.  Avec 45 étages, aux ascenseurs de science-fiction qui mènent au sommet en quelques secondes, le tout piloté par ordinateurs, on peut espérer qu’ils ont anticipé sur les attaques des hackers. Ce serait ballot que des hauts fonctionnaires qui s’apprêtaient à baisser des taux d’intérêts restent coincés pendant des heures : ils pourraient faire des petits pour passer le temps. Comme à la BCE, on est attentif à l’environnement, l’eau des toilettes sera recyclée et la chaleur récupérée par le fonctionnement…des ordinateurs.

Surtout, surtout, délicieuse ironie, la BCE qui se présente comme le parangon de la bonne gestion, a légèrement dérapé dans sa politique de grands travaux : le bâtiment qui pour partie rénove une ancienne halle aux légumes devenues sous les Nazis le Drancy de Francfort où 10 000 juifs ont attendu la déportation, a coûté 1, 2 milliards d’euros soit un surcoût de 40% par rapport aux devis initial. Apparemment, il y a eu beaucoup moins de difficultés à débloquer une « tranche supplémentaire » pour terminer le monstre que pour aider Athènes à boucler un budget. Et on n’a pas demandé en échange à Draghi et à ses 2600 fonctionnaires de réduire leurs salaires, histoire d’aider à l’effort de rigueur. On oubliera également les douze ans de travaux et les trois ans de retards. On peut être un gestionnaire inflexible pour les autres  et s’accorder des petits dérapages, sinon à quoi ça sert d’être les maîtres du monde. L’inauguration a été prévue pour le 15 mars 2015. Etant donné les réactions suscitées et les manifs annoncées, je conseille aux banquier de transformer leurs locaux en ZAD et d’aller demander des conseils techniques du côté de Notre-Dame- des-Landes ou du Testet.

Mais, dernière question, que fera-t-on de ce monstre orwellien une fois que l’on en aura terminé avec cette Europe-là, soit parce que nous aurons enfin quitté l’Euro, soit parce qu’elle sera devenue enfin démocratique, sociale, écologique. Je suggère de la transformer en musée de l’Age des Ténèbres où de jolies guides expliqueront aux enfants des écoles terrifiés qu’il y eut, à une époque lointaine, une Europe dirigée par des banquiers dans l’intérêt de la finance déréalisée et non dans celui des peuples enfin libérés. La pédagogie et la transmission, il n’y a pas mieux pour éviter que les cauchemars ne se reproduisent.

*Photo : wikimedia.

Joue-la (presque) comme Daech

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suisse etat islamique

suisse etat islamique

« Cinq ans après le référendum interdisant la construction de nouveaux minarets, les musulmans de Suisse se lèvent contre l’islamophobie. » Tel est le titre – en plus ramassé dans la version originale en anglais – d’une vidéo tout à fait surprenante, publiée le 26 novembre sur Youtube.

Elle émane du Conseil central islamique suisse (CCIS), l’un des acteurs de la représentation musulmane sur sol helvétique. Le CCIS est un mélange de piété et d’engagement politique, de retour aux sources et d’esprit provoc’, un néo-salafisme qui se nourrit d’Internet autant qu’il le nourrit. Il a ce côté « insoumis » qui fait en France le succès d’un site comme Islam&Info, par exemple, suivi par de nombreux jeunes gens en quête de « justice », pour eux-mêmes et pour « les frères » où qu’ils se trouvent sur la planète.

Le CCIS, qui revendique « 3100 membres », sent le souffre et inquiète les autorités suisses. Début novembre, un préfet a interdit la tenue du rassemblement annuel de cette organisation dans une salle de la ville de Fribourg, chef-lieu du canton du même nom. Le haut fonctionnaire a invoqué « des risques probables, sérieux et concrets de troubles à l’ordre et à la sécurité publics », disant craindre notamment des « contre-manifestations ». Ce n’est pas la première fois que le CCIS, créé il y a cinq ans, est prié d’aller voir ailleurs. Il s’est quand même réuni à Fribourg, mais dans le froid et dans la rue, sans créer de débordement, 300 personnes répondant à son appel.

Ce meeting en plein air a eu lieu samedi 29 novembre, date initialement prévue par le CCIS pour sa conférence annuelle, soit cinq ans jour pour jour après le « oui » des Suisses au référendum interdisant la construction de nouveaux minarets. La coïncidence est trop parfaite pour tenir du hasard. Trois jours plus tôt, le Conseil central islamique suisse publiait son clip « contre l’islamophobie » chez l’hébergeur de vidéos mondialement connu. D’une durée de 3 minutes et 12 secondes, ce court-métrage montrant notamment des vues de la cathédrale de Berne, capitale fédérale de la Suisse, siège du CCIS, est une succession d’images en mouvement, lentes ou rapides, selon qu’on se trouve dans une nature comme aux premiers temps de la Création ou dans la ville trépidante, lieu d’une humanité malheureuse cherchant un sens à l’existence.

On est surtout à Hollywood, dans les studios et dans les thèmes du moment destinés aux ados, qui doivent beaucoup à une mixture celto-byzantino-moyenâgeuse, du Seigneur des anneaux à Game of Thrones, en passant par le jeu vidéo Assassin’s creed : les forces telluriques nous commandent de prendre le glaive pour combattre nos petites lâchetés de petits bourgeois. Toutes choses égales par ailleurs, le clip introduisant le discours de clôture de Marine Le Pen, dimanche au congrès lyonnais du Front national, empruntait à cette imagerie minérale, humide et froide, où les Christ en croix, véritablement, vivent le calvaire. Dans un tel univers, ce n’est pas la Sécu qui protège, mais la force, le courage et la foi.

Abdel Azziz Qaasim Illi, porte-parole du CCIS, converti à l’islam, le reconnaît : la vidéo contient des « images provocantes » et c’est voulu, « pour faire réfléchir ». En termes de références cinématographiques, on se situe quelque part entre Harry Potter, Assassin’s creed déjà cité et les mises à mort de Daech, l’Etat islamique. Sauf qu’ici, on n’exécute pas. On est des victimes. Des victimes de l’islamophobie qui, après « tortures et humiliations », relèvent la tête. On se croyait seul, on est nombreux. Il est temps de sortir du bois et de montrer son visage. Car nous aussi, musulmans, « on est chez nous ».

Il n’est pas sûr que les intentions « pacifiques » du CCIS soient comprises comme telles. Que voit-on s’élever dans le ciel suisse, en haut de la montagne ? Le « drapeau islamique », avec la profession de foi musulmane – comme celui de Daech dans ses vidéos morbides, pense-t-on immédiatement. C’est là qu’on se trompe, car le fond du drapeau est blanc et les lettres en noir, l’inverse de la bannière du prétendu Etat islamique. Ça aussi, c’est voulu. « Le blanc, c’est la couleur de la paix », explique Abdel Azziz Qaasim Illi. « Les concepteurs de ce clip, les figurants qu’on y voit, des musulmans de Suisse, sont tout à fait au clair avec la religion, ils ne sont pas tentés par le djihad en Syrie ou en Irak », assure-t-il.

La démarche n’est pas rassurante pour autant – elle n’est pas non plus destinée à rassurer. Que dit la voix « off », basse et grave, en anglais, typique des bandes-annonces des blockbusters américains ? Que nous sommes « au début d’une révolution islamique ». Et pour finir, s’adressant aux autorités helvétiques, la « voix » prévient : « Vous pouvez interdire nos minarets, nos voiles, nos niqabs, et mêmes nos conférences, vous pouvez appeler notre religion violente, rétrograde et arriérée, ne faisant pas partie de la Suisse. Mais sachez que nous sommes là et faisons partie de cette réalité. Nous ne partirons pas et nous n’abandonnerons pas notre lutte pacifique pour l’égalité des droits. Nos libertés fondamentales et la tolérance sont tout ce que nous demandons. Attendez-vous à nous, à tout moment, n’importe où. » Signé : « The Muslims of Switzerland »

Le président du CCIS est un Suisse du nom de Nicolas Blancho, converti à l’islam – le nombre de convertis dans cette organisation ne dépasserait pas « 150 » sur la totalité des 3100 membres, selon Abdel Azziz Qaasim Illi. A propos de l’engagement d’Occidentaux dans Daesh, Blancho a dit que « l’islamophobie était l’une des causes majeures du recrutement » – le ministre de la Défense Ueli Maurer a déclaré le 27 septembre dans le quotidien Le Temps, que « la lutte contre le djihadisme [était] désormais une priorité du SRC (les services secrets helvétiques) ».

Comme tout mouvement « révolutionnaire » qui se respecte, le CCIS manie l’humour. Ainsi dans cette autre vidéo, une « comédie » reprise sur son site par le quotidien de boulevard suisse-alémanique à grand tirage Blick. On y voit un soldat suisse-alémanique de religion musulmane et d’origine kosovare (les musulmans suisses sont majoritairement originaires de Turquie et du Kosovo), moquer le ministre de la défense et railler les clichés dont pâtiraient les musulmans en Suisse. Cela se veut une critique du discours « officiel » sur le peu d’entrain de ceux-ci à s’intégrer. « ISIS », l’acronyme de l’Etat islamique, devient ici : « Intensives Schweitzer Integrations Seminar » (séminaire intensif d’intégration suisse).

Tout le monde en Suisse, on s’en doute, n’apprécie pas le discours et l’« humour » du CCIS. Un responsable d’un « centre islamique » de Bienne (la ville où siège le groupe horloger Swatch), se voulant rassurant, l’affirme : « Le CCIS ne représente pas les musulmans de Suisse, ce sont des minoritaires, il faut le répéter, nous n’avons rien à voir avec eux. Les musulmans qui viennent dans notre mosquée savent très bien à quoi s’en tenir avec le CCIS. » Même rejet de la part de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse, basée à Neuchâtel : « Nous sommes totalement opposées aux thèses du CCIS. Par exemple, nous sommes contre le port du niqab, alors qu’il y est favorable. Pour autant, nous pensons que la liberté des individus doit primer. »

Cette modération, on l’aura compris, n’est pas du goût du Conseil central islamique suisse, qui, pour être « minoritaire », n’est pas le moins bretteur des acteurs musulmans de la Confédération.

 

Si l’ONU crée un État palestinien, qu’aura-t-elle prévu pour le lendemain ?

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Créer un État souverain n’est pas une simple affaire de bonne conscience.

Les auteurs d’un acte politique de cette importance doivent être tenus pour comptables de ses conséquences.

Depuis l’intervention américaine en Irak contre Saddam Hussein, cette anticipation s’appelle la question du lendemain.

De quoi ce lendemain de la création de l’État palestinien sera-t-il fait ?

Au lendemain de la création de l’État de Palestine, qui aura forcément été précédé par la reconnaissance de l’État d’Israël par l’actuelle Autorité palestinienne,  il est fort possible que des élections libres portent au pouvoir le Hamas, sans que celui-ci ait renoncé à poursuivre sa guerre terroriste contre l’existence de l’État d’Israël.

Les États qui auront permis cette agression prévisible se seront-ils engagés par un pacte et aux yeux du monde à soutenir la riposte d’Israël ?

S’ils souhaitent  rendre possible la création d’un État palestinien, les autres États doivent donner à Israël l’assurance diplomatique et militaire qu’une solution équitable ne débouchera pas sur un danger mortel pour Israël.

 

 

Le djihad s’est arrêté à Poitiers

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djihad poitiers bouzar

djihad poitiers bouzar

Du chômage au racisme, de l’homophobie à l’obésité, de l’éclatement des familles aux méfaits de la drogue, l’Education nationale est régulièrement sommée de contribuer au traitement de ce que les gazettes appellent des « problèmes de société » – au détriment de la transmission des savoirs qui devrait être son premier et sans doute son seul objectif, mais passons. Par exemple, en mai dernier, seuls quelques réacs indécrottables (dont votre servante) se sont offusqués de ce que l’académie de Nantes ait, sur son site, encouragé lycéens et professeurs à participer à la Journée de la Jupe (pour les garçons) organisée par une association locale pour lutter contre les préjugés sexistes. Et, en général, on n’est pas trop regardant sur la qualité des textes produits pour défendre ces excellentes causes.

Dans ces conditions, le tollé suscité par la diffusion intempestive d’un « guide antidjihad »  élaboré par l’académie de Poitiers a de quoi surprendre. Ce document Powerpoint, destiné à favoriser « la prévention de la radicalisation en milieu scolaire » recense les signes avant-coureurs de la dérive en se référant notamment aux travaux de la sociologue Dounia Bouzar qui dirige elle-même une association de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam : « barbe longue et non taillée », « habillement musulman », « refus du tatouage », « perte de poids liée à des jeûnes fréquents ». Il pointe aussi des comportements présumés à risque : « repli identitaire », « rhétorique politique », « exposition sélective aux médias (avec préférence pour les sites Webs djihadistes) » et enfin, un « intérêt pour les débuts de l’islam ». À propos de ce dernier point, la journaliste du Monde relève triomphalement qu’en classe de 5e, un dixième du programme est consacré aux « débuts de l’islam ». Sans doute pense-t-elle que les professeurs sont trop idiots pour faire la différence entre un élève qui s’intéresse au cours et un autre qui fantasme sur la conquête arabe.

On peut discuter les critères retenus par l’académie et même pointer des maladresses – il serait par exemple assez hasardeux de se fier à « l’absence de tatouage » pour repérer les candidats au djihad. Reste que, pour l’essentiel, il suffit d’un peu de bon sens pour parvenir aux mêmes conclusions que les rédacteurs du document.

La presse s’est pourtant déchaînée contre cette « litanie de clichés racistes ». « Le document ne le revendique jamais explicitement, mais c’est bien de radicalisation islamiste qu’il s’agit », s’indigne encore la journaliste du Monde. Faudrait-il, pour ne pas froisser les musulmans, inventer une menace terroriste juive, bouddhiste ou catholique à nos portes ?

Le plus inquiétant est la réaction des musulmans eux-mêmes, en tout cas, de ceux qui s’expriment, qui, une fois de plus semblent considérer que le problème le plus grave n’est pas le djihadisme, mais l’amalgamisme. L’islamosphère est en ébullition. Le Collectif contre l’islamophobie en France dénonce « un appel clair à la délation » et exige l’ouverture d’une enquête administrative. Traitée de « collabo » sur les réseaux sociaux, Dounia Bouzar, doit se désolidariser de l’académie de Poitiers. Le choix de ce terme infâmant montre que certains refusent clairement de choisir entre l’Etat islamique et l’Etat français qui n’en finirait pas de les coloniser.

Tout musulman n’est pas islamiste et tout islamiste n’est pas terroriste. Les représentants officiels et officieux de l’islam de France rappellent volontiers cette évidence. Ils ont raison. Mais alors, ils devraient se demander pourquoi tant de musulmans se sentent stigmatisés par la condamnation du djihadisme. Est-ce trop leur demander que de consacrer leur énergie à dénoncer les terroristes plutôt que ceux qui les dénoncent ?

Ce texte publié en accès libre est extrait de Causeur n°19. Pour acheter ce numéro, cliquez ici.

 

 

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Insécurité / autodéfense, Révolte des jeunes. Les deux dossiers de notre numéro de décembre

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walesa berreby dupond moretti

walesa berreby dupond moretti

L’hiver sera froid, dans les sweat-shirts, dans les prisons. Ce n’est pas que la France a spécialement peur, mais les frimas n’adoucissent en rien les chiffres et la réalité de l’insécurité.

Face à l’explosion de la délinquance, l’Etat semble démuni, cependant qu’un nombre croissant de nos compatriotes pensent, avec Elisabeth Lévy que « pour des raisons essentiellement idéologiques, la justice semble plus soucieuse de la rédemption des coupables que de la réparation due aux victimes ». Notre « une » exhibant une dame d’un âge respectable un fusil à la main illustre avec humour la réaction de certains Français confrontés à une recrudescence des agressions et autres voies de fait. Autrement dit par notre directrice, le sentiment d’insécurité s’installe, « nos gouvernants s’obstinent à ignorer ce fait, les caves finiront par se rebiffer – et, peut-être, par se charger eux-mêmes du sale boulot que l’Etat ne fait pas ». Christian Estrosi et quelques députés UMP méridionaux viennent d’ailleurs de déposer une proposition de loi prévoyant d’encadrer le recours à l’autodéfense lorsque les circonstances attestent de la bonne foi de l’agressé.

Restons  sur la promenade des Anglais. Il suffit  de rappeler l’affaire du bijoutier de Nice pour se convaincre que des commerçants et d’honnêtes citoyens sont tentés de combler les carences de la police en se faisant justice eux-mêmes. Certes, il n’y a pas encore le feu au lac, mais le reportage d’Antoine Menusier à Marseille au plus près des brigades citoyennes des quartiers nord montre un phénomène en plein essor. Pour l’instant, l’association « Voisins vigilants » s’efforce de surveiller sans punir, mais qu’en sera-t-il demain ? Au petit jeu des pronostics, les hommes de droit affûtent leurs arguments contradictoires. Au constat accablant que dresse le vice-président au tribunal de grande instance de Paris Jean de Maillard quant au laxisme de la justice à l’égard des délinquants, Maître Dupond-Moretti oppose un démenti cinglant. Pour la star du barreau, « des tas de gens sont incarcérés alors qu’ils n’ont strictement rien à faire en prison », laquelle serait moins l’antichambre de la rédemption que l’école du crime. Bref, l’avocat lillois pense comme notre Garde des Sceaux que « tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens ». En augmentant un poil la focale, on observe que les juges devant statuer sur des affaires de légitime défense ont une sérieuse tendance à sévir, de peur que notre Etat de droit dérive en un Far West régi par le 2e amendement de la Constitution américaine, qui fait du port d’armes légères un droit fondamental du citoyen. Ainsi que l’établit méthodiquement Régis de Castelnau, les juges poursuivent le délinquant lambda, le sanctionnent à l’occasion, mais n’exécutent que rarement leurs sentences. Dit plus crûment, cela signifie que « le rituel judiciaire se poursuit, sans aucune véritable conséquence concrète. Il s’ensuit que la « petite délinquance » est de facto dépénalisée ». Vu ce triste état de fait, on comprend que la racaille n’ait pas à se faire désirer pour mettre le boxon le samedi soir dans la très festive rue de la Roquette à Paris, comme l’observe chaque semaine le régional de l’étape Pascal Bories, ou tous les jours sur la ligne D du RER, que ce veinard de Laurent Gayard emprunte quotidiennement.

De l’insécurité aux jeunes, il y a plus d’un pas. Ne pointons personne du doigt, la sécession de la jeunesse n’est que le second dossier ce numéro, sans amalgames ni stigmates d’aucune sorte. « Au secours, nos enfants divorcent ! », s’inquiète notre chère Elisabeth devant ma génération Y biberonnée à l’Internet, que la vie en réseau a éclaté en autant de tribus que Youporn compte de vidéos à la demande. Entre les zadistes de Sivens ou Notre-dame-des-Landes,  les djihadistes de l’Etat islamique, et les Veilleurs, il serait aussi stupide que criminel de tracer un trait d’égalité. Mais  tous « disent quelque chose de ce monde, c’est qu’il leur donne envie de le fuir. Les Veilleurs espèrent encore le changer. Les nouveaux djihadistes made in  France n’ont, eux, qu’une chose en tête : le détruire », décrypte notre cheftaine avant de nous rappeler que « quelques dizaines de zadistes sont peut-être moins représentatifs de la jeunesse que les 30% de 18-35 ans qui votent Front national ». Ce monde déserté par les jeunes mérite-t-il vraiment qu’on le défende ? Personnellement, j’en doute, et ce ne sont pas les paysans bretons interrogés par Antoine Menusier qui nous diront le contraire, étranglés qu’ils sont par la crise et le système agroalimentaire. S’il ne fait pas bon habiter nos villes-termitières, le malheur est aussi dans le pré…

Dans notre grand bouillon de culture, le débat porte d’abord sur l’art contemporain qui s’expose cet hiver. Jean Clair démonte Jeff Koons avec son érudition habituelle cependant qu’Hector Obalk analyse le cas Marcel Duchamp et sa récupération hasardeuse par l’art contemporain. Autre événement d’actualité, le biopic autour de Lech Walesa a enthousiasmé Paulina Dalmayer pour des raisons assez peu cinématographiques en vérité.

Last but not least, avec mon compère Marc Cohen, j’ai eu le bonheur d’interroger le directeur des éditions Allia Gérard Berréby, auteur d’un génial ouvrage d’entretien avec le situationniste belge Raoul Vaneigem. Un entretien-fleuve sur six pages autour de la récupération de Debord, de l’héritage situ et du formidable travail d’édition qu’accomplit Allia.

Rassurez-vous, nos classiques ne manquent pas à l’appel. Les journaux d’Alain Finkielkraut, et Basile de Koch, les carnets de Roland Jaccard et la chronique de L’Ouvreuse répondent une nouvelle fois présents. Bon, je vous laisse, il fait trop décidément trop frisquet. Comment dit-on, déjà, Causeur au tison, Noël au balcon ?

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Les Héritiers, supplément larmoyant au roman national

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ascaride heritiers ecole

ascaride heritiers ecole

Peut-on parler d’un film sans l’avoir vu ? Je le pense, à partir du moment où l’on décide de focaliser l’analyse sur les desseins que l’on prête au film et que les hypothèses émises vont dans ce sens. D’autres points de vue suivront – le film en question va faire parler de lui – et je ne me risquerai évidemment pas ici à critiquer ni la mise en scène, ni le jeu ou le choix des acteurs, ni même le scénario. Le film dont je me propose de parler sort ce mercredi sur les écrans, il s’intitule Les Héritiers. « En comprenant l’Histoire, ils vont forger la leur » en est l’accroche emblématique.

Il règne en France une ambiance conflictuelle entre minorités ethniques. En France plus qu’ailleurs semble-t-il. Longtemps y a prévalu l’ambition de faire du Français. Non qu’il était demandé à chacun d’abandonner tous particularismes, mais ceux-ci avaient vocation à relever de l’intime pour laisser place nette à tout un lot de références communes jugées fondamentales. Au rebours du système anglo-saxon ayant toujours misé sur la réussite personnelle débridée et fait du commerce l’unique ciment social, la France avait fait le pari d’un peu plus de profondeur en partage. Au nom de valeurs libérales importées sur ses terres par une avant-garde au grand cœur, ce pays a fini par s’oublier dans la reconnaissance d’autrui. Aujourd’hui que les animosités deviennent criantes, les mêmes s’inquiètent – un peu tard – d’un défaut de véritables dénominateurs communs (en-dehors de la référence évanescente aux droits de l’homme).

Des conflits communautaires, il en est un qui envahit de plus en plus l’espace public : juifs d’un côté, Noirs et Arabes de l’autre. Non seulement on a fait perdre aux uns comme aux autres le sentiment d’appartenance nationale sur le sol français, mais, par voie de conséquence, on a permis que vienne s’y jouer par procuration le conflit israélo-palestinien. Or le drame de là-bas ne peut ni ne doit avoir ici la primauté car ce serait faire d’une guerre étrangère un triste et exclusif dénominateur commun. Et parce que les communautés minoritaires se retrouvent affectées à leur tour par le sabordage de la nation – donc la perte de valeurs et de repères communs –, le microcosme culturel est en émoi. Commencent alors à se faire sentir et le poids de nos manquements, et la nécessité d’y remédier en exhumant l’histoire nationale. Mais pas n’importe laquelle, bien entendu.

C’est en cela, il me semble, que le film Les Héritiers puise l’essentiel de sa raison d’être dans une vocation d’apaiser des querelles communautaires, celles-ci longtemps masquées par la sempiternelle désignation de l’ennemi commun, à savoir le fasciste d’extrême droite. Louable tentative, qui plus est en invoquant l’héritage historique (mieux vaut tard que jamais). Il est néanmoins assez surprenant de faire appel au drame de la Shoah, lors même qu’elle est devenue l’étalon et le paradigme de la concurrence victimaire, donc potentiellement l’adjuvant des conflits. On s’entendra répondre que le film s’appuie sur une « histoire vraie ». Il n’est toutefois pas certain que si la concorde et l’émulation s’étaient nourries d’une page d’histoire plus glorieuse ou moins affligeante on en aurait fait un film. L’entreprise s’avère donc casse-gueule, car d’une part elle renforce le sentiment qui s’installe d’une histoire de France se résumant à la Shoah, d’autre part elle pose en modèle une expérience, certes vécue, mais qui ne peut faire figure que d’heureuse exception.

On aurait aimé, pour changer, que le personnage principal joué par Ariane Ascaride – Anne Guéguen (homonyme opportun) – en sa qualité de professeur d’histoire, s’attache par exemple à montrer à ses élèves en quoi la vie d’un jeune paysan de la Beauce au XIVe siècle était difficile et contraignante, bien autrement que la leur, et en quoi, pour cette raison même, ils avaient tous, Noirs, Blancs ou Jaunes, des raisons de se reconnaître dans cette figure symbolique (française, mais exportable à l’envi). Ou bien, quitte à parler des Juifs, serait-il choquant de rappeler à tous ces jeunes l’œuvre assimilationniste à l’égard de toute une communauté initiée sous la Révolution et achevée sous le régime impérial ? Tenez, faisons d’une pierre deux coups et parlons d’un Juif éminent, historien lui aussi, qui plus est médiéviste, et héros national fusillé par les Allemands en 1944 : Marc Bloch. Pourquoi cet homme, peu soucieux de ses origines israélites, père de six enfants et en âge d’être exempté des obligations militaires s’est-il senti le devoir de demander à être mobilisé sur le front dès 1940 ? L’a-t-il fait au nom des seuls Juifs ? Ce n’est pas ce qui ressort du constat qu’il dresse lui-même au lendemain de la débâcle dans son Étrange défaite. Il l’a fait parce qu’il se sentait redevable de la patrie qui lui avait permis de devenir professeur universitaire, précisément par le biais d’une histoire nationale qu’il connaissait si bien au long cours. Ainsi Marc Bloch se sentait-il héritier mû, non pas par un grotesque « devoir de mémoire », mais bel et bien par devoir intégral vis-à-vis de la communauté nationale.

Mais tout ceci répondrait-il réellement aux intentions premières du septième art contemporain lorsqu’il fait de la politique sous le couvert d’œuvre sociale ? Est-il suffisamment consensuel de parler de la nation, du sentiment d’appartenance, d’efforts individuels, de sacrifices et de devoirs à des élèves maternés à qui il n’est demandé au quotidien que tolérance et spontanéité ? Seraient-ils à même de s’extraire de leur condition de victimes malheureuses où l’on se plaît à les maintenir pour comprendre en quoi l’École, en soi, est une chance pour eux et l’héritage que leur ont transmis sans contrepartie des Marc Bloch ? Y a-t-il encore de la place pour les héros ordinaires dans une société compassionnelle ?

La boucle est bouclée : Les Héritiers, ce fut aussi le titre d’un livre retentissant écrit par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron il y a tout juste cinquante ans. Sous leur plume, le terme désignait alors la petite frange des élèves privilégiés dans un système scolaire qu’ils s’employaient, quelques années avant le grand chambard, à dépeindre comme matrice de la reproduction et de l’exclusion. Cinquante ans plus tard, leur message a été entendu et leurs leçons appliquées. À telle enseigne que la notion même d’héritage est devenue incongrue dans les écoles, et qu’il faut une fois de plus se référer à la Shoah et aux heures sombres (dans la même logique, ce pourrait être aussi bien au commerce triangulaire…) pour se découvrir un dénominateur commun et un intérêt pour le passé. Le temps ne ménage pas celles et ceux qui ont la vanité de faire sans lui.

Dernières nouvelles du Proche-Orient compliqué

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israel palestine cafe

israel palestine cafe

Nous étions, le rabbin Yoseph Geisinski et moi, dans la luxueuse boutique Nespresso à Lausanne en train d’évoquer au comptoir la tuerie perpétrée par des Palestiniens dans une synagogue de Jérusalem quand, soudain, une mouche fit son apparition, spectacle inattendu dans un lieu où George Clooney ne tolère aucune diversion. Le rabbin Yoseph Geisinski suivit la mouche du regard et me demanda : « Que se passera-t-il si elle tombait dans une tasse de café ? »  » Je préfère ne pas y penser  »  lui dis-je.  » Je vais te suggérer quelques réponses, insista-t-il, et tu me feras part de ton approbation ou de tes réserves…  » J’ opinai du chef et le jeu commença.

– Si la mouche tombe dans la tasse d’un Italien, il la brise et sort furieux du bar.

J’approuvai.

– Si c’est un Allemand, il va demander une nouvelle tasse de café, stérilisée si possible.

J’approuvai encore.

– Si c’est un Français, il va sortir la mouche de la tasse et boire son café.

– Bien vu !

– Si c’est un Chinois, il va manger la mouche et jeter le café…

Je marquai ma réprobation en me taisant.

– Si c’est un Russe, poursuivit-il, il va boire le café avec la mouche, comme s’il bénéficiait d’un traitement de faveur.

Je ne pus m’empêcher de sourire.

– Si c’est un Israélien, il va vendre le café au Français, vendre la mouche au Chinois, vendre une nouvelle tasse à l’Italien, boire un thé et, avec tout ce qu’il a gagné, essayé de mettre au point un système pour éviter que ce genre d’incident ne se reproduise…

J’acquiescai.

– Et si c’est un Palestinien, il accusera les Israéliens d’avoir laissé la mouche tomber dans son  café, protestera à l’ONU contre cette agression, demandera une indemnité à l’Union européenne pour une nouvelle tasse de café, utilisera l’argent pour acheter des explosifs, puis fera sauter le restaurant où des Italiens, des Français, des Allemands, des Russes et des Chinois sont entrain d’expliquer aux Israéliens qu’ils devraient offrir leur tasse de thé aux Palestiniens.

J’éclatai de rire. Sans trop savoir pourquoi. Ou, peut-être, en le sachant trop bien. Aucune mouche ne tomba dans nos cafés. Nous apprîmes, en revanche, que les socialistes français s’apprêtaient à reconnaître l’État palestinien.

*Photo : Tim Redlich.

Quel ballot, ce Balotelli!

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Mario Balotelli est un grand joueur de football. De graves problèmes de santé à sa naissance, la situation matérielle très précaire de sa famille biologique, le verront placé dans une famille d’accueil qui l’élèvera et qu’il considérera toujours comme sa vraie famille. D’origine ghanéenne mais par choix, de nationalité italienne, il dira lors de l’acquisition au moment de son 18e anniversaire : «Je suis italien, je me sens italien, je jouerai toujours pour l’équipe nationale d’Italie ». Évoluer au plus haut niveau dans le championnat italien en étant noir, n’a pas toujours été facile. Les cris de singe, et les lancer de bananes, il connaît. Il n’aime pas trop. Mais en équipe nationale il fait le job. Même s’il est incontestable qu’il est un peu foutraque. Ceux qui furent ses mentors disent qu’il est ingérable pour Mourinho  ou carrément fou pour Roberto Mancini. Il conteste reconnaissant simplement « qu’il fait parfois des choses étranges »… Au moment de l’euro 2012 j’ai le souvenir d’une soirée de juin sur la grande place de Lucque à regarder sur écran géant la demi-finale contre l’Allemagne. Remportée par l’Italie grâce à deux missiles de « Super-Mario ». De l’ovation de la petite foule rassemblée sous les platanes lorsqu’il quitta le terrain. Vous avez dit racisme ?

Super-Mario, c’est son surnom en référence au mythique personnage de jeu vidéo, a tenté un clin d’oeil qu’il espérait antiraciste sur Twitter. Malheureux ! À côté du portrait du célèbre plombier virtuel il a écrit : «Ne soyez pas raciste. Soyez comme Mario. C’est un plombier italien, créé par des Japonais, qui parle anglais, ressemble à un Mexicain, saute comme un noir et attrape des pièces comme un Juif.»

 Pas mal. Ah mais non, la sentence du tribunal de l’Inquisition est immédiatement tombée : « dérapage raciste ». Pardon ? Si si, dérapage raciste. Déferlement d’insultes sur les réseaux, ouverture d’une instance disciplinaire par la Fédération Anglaise de Football, suspension prévisible. Et ce n’est pas sa défense bien misérable qui risque de lui éviter l’opprobre et la sanction. Il rappelle qu’il est noir, italien et que sa mère (qu’il adore) est juive. On avait attribué à Sammy Davis Jr grand artiste américain aujourd’hui disparu une citation apocryphe assez drôle. À un golfeur qui lui demandait quel était son handicap il aurait répondu : « Je suis noir, je suis borgne et je suis juif.. Ce n’est pas suffisant ? ».

Pour Balotelli, le handicap principal c’est de vivre dans une époque absurde.

Les modernes contre le Pape François

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pape koenig melenchon

pape koenig melenchon

Le Pape François n’en finit pas de faire sortir les loups du bois. Gaspard Koenig, président du think tank libéral Génération Libre, et candidat malheureux du Parti libéral-démocrate pour les Français de Londres en 2012, a pris sa plus belle plume dans L’Opinion pour faire l’éloge de Jean-Luc Mélenchon.

Oui, vous avez bien lu, l’admirateur de Margaret Thatcher encense celui qui fait applaudir une salle à la mention de la « Grande Révolution de 1917 ». En fait, Koenig remercie Mélenchon pour une chose particulière : s’être opposé à la venue du Pape au Parlement européen de Strasbourg. « Merci de rappeler que la fierté de la France, et de l’Europe, est d’avoir su séparer, non sans douleur, la Cité du fait religieux », écrit notre penseur libéral. Ce dernier devrait pourtant savoir que, si la séparation du temporel et du spirituel fait partie de l’essence du christianisme, la France et son État laïque font figure d’exception en Europe. L’Allemagne pratique un régime se rapprochant du Concordat. L’Espagne et l’Italie accordent une place particulière à l’Église catholique. Quant au Royaume-Uni, patrie d’adoption de Mister Koenig, l’Église d’État anglicane rythme les grands événements de la société britannique, sans que les habitants soient contraints d’assister aux vêpres d’Evensong. Qu’importe, pour Gaspard Koenig, « le cléricalisme, voilà l’ennemi, aujourd’hui comme hier – et, à en croire la résurgence des fanatismes, aujourd’hui plus qu’hier ». Il faudra par ailleurs que quelqu’un lui apprenne, ou lui rappelle, que l’islamisme sunnite, dont il semble faire mention, n’obéit à aucun clergé.

Notre penseur poursuit : « le législateur, œuvrant pour l’intérêt général, n’a aucune leçon à recevoir d’une communauté privée de croyants, qui a d’ailleurs longuement combattu l’idéal démocratique. » En cette Journée internationale de l’abolition de l’esclavage, on ne fera pas offense à Gaspard Koenig de consulter l’histoire de la Grande-Bretagne libérale qu’il chérit tant : ceux qui permirent l’abolition de la traite britannique des esclaves, en 1807, furent précisément la communauté privée des protestants évangéliques. Le pionnier de cette abolition fut le député William Wilberforce, chrétien fervent, converti suite aux prêches de John Wesley, prêtre anglican, initiateur du méthodisme, courant du protestantisme évangélique, à la fin du XVIIIe siècle. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, dans le vaste apport des Eglises chrétiennes aux sociétés humaines, mais il permet de répondre à notre ami Koenig que oui, le législateur a parfois besoin de recevoir des leçons de la part de certaines communautés de citoyens.

L’exemple de la traite des esclaves est peut-être inopportun pour Gaspard Koenig. En libéral cohérent, ce dernier est favorable à sa forme modernisée, avec la GPA. « L’homme, finalement, est maître et possesseur de la nature », affirmait-il au micro de France Culture en juillet 2014. La traite des maternités lui paraît même secondaire par rapport aux folles opportunités des nanotechnologies, biotechnologies et du transhumanisme. Discuter des nouvelles conditions d’esclavage permises par la technique, voilà ce qui intéresse Gaspard Koenig, qui en conclut : « C’est pourquoi je pense que la division gauche/droite va probablement céder la place au conflit (saignant) entre Anciens et Modernes. 

Rendons grâce à Gaspard Koenig pour sa lucidité, même si sa logique semble quelque peu faiblarde, lorsqu’il remercie Jean-Luc Mélenchon pour son opposition au Pape, et déplore quelques lignes plus loin les « accents mélenchonistes » du souverain pontife. Le conflit saignant entre Anciens et Modernes est en cours. Ces derniers promeuvent une vision prométhéenne éculée de l’homme, qui carbure à l’anticléricalisme ringard. Gaspard Koenig nage dans le passéisme de son libéralisme thatchériste, à l’heure où les Anglo-saxons en reviennent, et où émergent, même sur le sol britannique, des critiques de premier plan, tel Philip Blond. Même s’il affirme le combattre, Jean-Luc Mélenchon et ses sbires rejoignent le libéralisme, en réduisant l’homme à un « sujet économique », et non une « personne dotée d’une dignité transcendante », comme l’a pointé le Pape François à Strasbourg.

Face aux ringards Koenig et Mélenchon, les Anciens, mais véritables novateurs, ont pour champion un jeune homme de 77 ans. « Seul en Europe, tu n’es pas antique ô Christianisme. L’Européen le plus moderne c’est vous Pape François », se serait exclamé le poète Apollinaire, après le discours papal de Strasbourg.

*Photo : Joseph Sardin.