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Marche républicaine : la manif pour tous

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Marche republicaine manif pour tous

Evidemment, c’était un peu n’importe quoi. Comme la plupart des gens sensés que je connais, je ne voulais pas être dupe, on n’allait pas me la faire, à moi. C’était trop gros, le coup de la « marche républicaine », avec son logo « La France est Charlie », comme si tout le pays était abonné au fanzine salace de Charb et Cabu. Comme si j’avais seulement pu être pote avec Tignous, dont je n’avais même jamais entendu parler. Et pourtant, j’y suis allé.

Le matin, ma belle-mère m’avait confié au téléphone : « Le problème, c’est qu’on va marcher avec des cons. » Ne sachant pas – et ne tenant pas forcément à savoir – de quels « cons » elle parlait, je lui avais répondu : « Justement, c’est l’idée, tant qu’on arrive à marcher en compagnie de gens avec qui on n’est pas du tout d’accord, on n’est pas morts. » Elle avait acquiescé. Puis je l’avais rassurée parce qu’elle s’inquiétait un peu, quand même.

Il était évident que pas mal de gens défendraient ce jour-là une « liberté d’expression » qu’ils combattaient à longueur d’année en l’appelant « islamophobie ». Que les champions de la repentance et de l’excuse universelle se transformeraient pour une heure en patriotes cocardiers. Que les mêmes qui scandaient avant-hier « un flic, une balle » viendraient applaudir cet après-midi nos gendarmes et policiers. Et alors ? C’était exactement la raison que j’avais trouvée de ne pas me défiler.

J’avais vu juste : sur le boulevard Richard Lenoir, où j’ai croisé Clémentine Autain qui rattrapait Jean-Luc Mélenchon, quelques panneaux aussi déplacés qu’isolés appelaient à la « dissolution des charlots du FN », à la « solidarité avec Gaza » ou à lutter contre les « fascismes nationalistes ». On est en France, en 2015, et 17 morts sous les balles de terroristes islamistes ne suffisent pas encore à ramener tout le monde à la raison.

Mais ils n’étaient qu’une poignée, quelques-uns par ci par là, à ne pas jouer le jeu de bon cœur. A savoir : accepter d’être ensemble, pas forcément pour les mêmes raisons, mais en essayant de laisser au vestiaire tout ce qui nous oppose les uns aux autres. Finalement, l’immense majorité d’entre nous était venue assurer un service minimum : « Nous sommes unis », « ensemble », « contre le terrorisme »… Un pour tous, tous pour un.

Tous les « je suis » ne faisaient qu’un : « Charlie », « juif », « flic »… La marche républicaine du 11 janvier 2015 n’était pas la énième manif pour les droits des uns ou des autres. En réalité, c’était la première manif pour tous. Dieu sait combien d’énergie j’ai dépensé pour m’opposer au « mariage pour tous », quelle guerre j’ai mené à ce titre sur le terrain des idées. Voilà pourquoi, ce dimanche, j’ai aimé plus que tout battre le pavé avec ceux qui me désignaient comme leur adversaire.

Sur ces boulevards bondés, combien de personnes m’avaient caricaturé, insulté, stigmatisé ? Combien avaient moqué mes valeurs, brocardé mes idées, vomi tout ce que je représentais à leurs yeux ? Une année entière, nous nous étions affrontés autour du projet de loi Taubira, et de ses conséquences dont je savais qu’elles seraient tragiques. Aujourd’hui, ils étaient là, ils me souriaient et s’excusaient lorsqu’on se bousculait. On pouvait vivre ensemble et se respecter, l’essentiel était sauvé.

Dès la fin d’après-midi, toutes les chaînes de télévision diffusaient une superproduction inédite : de magnifiques images aériennes de foules innombrables, agglutinées dans toutes les rues de France. A la Bastille, des drapeaux tricolores flottaient dans un ciel rose alors que retentissait la Marseillaise. Place de la Nation, on s’exclamait en boucle : « Vive la France ! » Il y avait un monde fou, partout, et un cœur accroché à la colonne de Juillet. La foule s’applaudissait, on se parlait entre inconnus.

Alors bien sûr, ce tableau idyllique n’était qu’un vernis. Ce dimanche, tout le monde disait « Je suis Charlie » mais personne n’allait dans la même direction. N’empêche : c’est bien la France, sa devise, son drapeau et son hymne national qui étaient célébrés dans tout le pays. Et ça, rien ne nous l’enlèvera, n’en déplaise aux derniers dinosaures de l’incitation à la haine de soi. Nous sommes différents, nous ne sommes pas d’accord, nous sommes Français.

Photo : Constance Decorde/SIPA/1501112049

Charlie Hebdo : Je marcherai mais n’essayez pas de me faire marcher

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charlie hebdo manifestation fn

Bon, j’irai « marcher contre la terreur ». D’abord, quand mon président et mon premier ministre m’invitent, c’est difficile de refuser. Et puis, j’ai un cœur moi aussi. N’empêche, je suis contente d’avoir un alibi – le journalisme. Il faut dire qu’on n’a pas tous les jours l’occasion d’assister en vrai à un tel barnum planétaire. La Reine d’Angleterre et le pape n’ont pas encore confirmé, mais pour le reste, il y aura du lourd. Cameron, Renzi et Merkel, et toute l’Europe en rang d’oignon : tous Charlie, même le Hongrois Viktor Orban. Pour l’Amérique, je parierais sur Kerry et Hillary Clinton, Charlie en diable. Charlie évidemment, Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou, dont on ne sait pas s’ils défileront cote à cote, ce qui aurait une certaine allure. Certes, certains grincheux dotés d’un peu de mémoire pourraient trouver que la présence du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu ne s’imposait pas : on ne se rappelle pas que son patron, Recep Tayyip Erdogan, fût un partisan acharné de la liberté d’expression, à l’époque des caricatures, en 2006, il était même salement remonté. Et son gouvernement a cru bon de dénoncer, en même temps que le terrorisme, la montée de « l’islamophobie » et de la xénophobie en Europe. Dans le genre, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a été plus classe : « Ces groupes, a-t-il déclaré, ont porté atteinte au prophète et aux musulmans plus que leurs ennemis (…), plus que les livres, les films et les caricatures ayant injurié le prophète. ». Passons. Dommage qu’on n’ait pas invité l’émir du Qatar, on aurait pu lui envoyer la note.

Après tout, Davutoglu il n’est pas, loin s’en faut, le seul charliste de la onzième heure. En 2011, après l’incendie des locaux de l’hebdomadaire qui publiait son « Charia Hebdo », beaucoup de ceux qui arborent aujourd’hui un air affligé trouvaient que nos rigolos exagéraient, qu’ils jetaient de l’huile sur le feu et que, le droit à la satire, bien sûr, mais à condition de n’offenser personne et surtout pas les musulmans. Et un paquet de ces défenseurs acharnés de la liberté ont une fâcheuse tendance à insulter ceux qui ne pensent pas comme eux, ce qui, à la réflexion, est un brin contradictoire. Rappelons-leur que le refus du désaccord peut tuer.

On ne va pas gâcher l’ambiance pour si peu, puisque c’est l’union sacrée et qu’on est tous Charlie. Tout de même, ça me chiffonne, cette union dont on a expulsé un parti qui représente un cinquième à un quart des électeurs. Il paraît qu’on peut défiler avec ce monsieur Davutoglu, mais pas avec Marine Le Pen : questions de valeurs. On sait bien que des valeurs, elle n’en a pas. Le président a essayé de rattraper la bourde de Cambadélis en affirmant que tout le monde était invité, mais on ne voit pas pourquoi Le Pen se priverait du cadeau que lui font ses adversaires. Du reste, d’après Claude Askolovich, qui a oublié de nous dire ce que ses « amis salafs » pensaient des événements, il faut s’interroger sur la responsabilité du FN. Celle-là, elle est bien bonne.

C’est ça qui est chouette quand on est de gauche : on a le droit de dire qui fait partie du peuple et qui est au piquet. Au nom de la tolérance : toi oui, toi non. Idées rances. Bref, le coup de l’unité nationale, c’est le vieux truc de la gauche pour désigner les méchants et mobiliser son camp. Et les méchants, je vous le donne en mille, ce sont les islamophobes. Le terrorisme islamiste vient de tuer, mais les responsables sont ceux qui le dénonçaient. Logique. Puisque tout ceci n’a rien à voir avec une quelconque religion. En attendant, la preuve que le grand rassemblement républicain commence à avoir un air de manif de gauche, c’est qu’il se conclura par une grande fête organisée par Jean-Michel Ribes.

À part ça, on est tous Charlie, c’est écrit sur tous nos écrans et placardé dans toutes nos villes, on finira par le psalmodier dans les églises. Dans les médias, on est déjà entrés en religion. Un ami rédacteur en chef de JT me l’explique sans ambages : jusqu’à demain, il n’y aura pas la moindre voix dissonante, pas le moindre débat. On devrait avoir droit toute la soirée à un défilé de people et de politiques venus dire leur horreur de la barbarie, de toutes les barbaries – on ne va pas stigmatiser une barbarie particulière.

Tous Charlie, donc, mais je demande si on parle tous du même Charlie. En tout cas, on ne va pas à la même manif. Va pour « marcher contre la terreur », comme nous y invite Le Monde, quoiqu’il eût été utile de préciser de quelle terreur il est question. Mais voilà que d’aussi éminents commentateurs que Plenel appellent à défiler contre le Front national (sic !). Clémentine Autain, elle, marchera « contre les attaques envers les musulmans. Contre toutes les formes de racisme et de xénophobie. Contre les fascismes » (serait-elle pour la maladie ?). Soyons clairs : toute attaque contre une mosquée ou une institution musulmane, et bien sûr, contre les personnes, doit être dénoncée et sévèrement sanctionnée. Mais alors que des journalistes, des policiers et des juifs (es qualités si on peut dire) viennent d’être tués au nom de l’islam, la violence contre l’islam est-elle la principale menace ?

N’empêche, je suis bien contente d’avoir un alibi. Parce que, autant l’avouer,, j’ai beau savoir que l’unanimité est toujours suspecte, je suis plutôt bon public pour le coup du « tous ensemble ». Comme pas mal de mes semblables, dans les crises, j’aime bien faire peuple, me dire que ce qui nous rassemble, etc. etc. Et puis, je suis certaine que mes concitoyens ont plus de bon sens que leurs supposés représentants et qu’ils ont une vague idée de la nature de l’ennemi. Alors, je veux bien être Charlie avec tout le monde. Mais pas avec n’importe qui.

 *Photo :  EREZ LICHTFELD/SIPA. 00701311_000028.

Barbarie à Paris : Quelques images qui font chaud au cœur

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JeSuisCharlie marche Nice

Je savais depuis longtemps que le GIGN était une des meilleures forces antiterroristes du monde. On pouvait en déduire sans risque de se tromper qu’on avait affaire à des garçons costauds ET intelligents. Donc logiquement portés sur l’humour. On en a eu la preuve éclatante dès hier avec ce message amical – qui circule sur maintes pages Facebook de policiers, de militaires et de gendarmes – envoyé par un facétieux membre de nos forces d’élite à MM. Kouachi et Coulibaly.

Coucou Charlie Police

Dans un registre pas très lointain, on félicitera le cinéaste surdoué et marxiste conséquent Jean-François Richet pour ce post sur sa page Facebook.

Merci Police GIGN

J’ai bien sûr été épaté par le courage des jeunes Algériens, Tunisiens et Marocains qui ont manifesté, dans leurs pays, à visage découvert, pour dire leur colère et pour nommer l’ennemi. Leur geste est d’autant plus louable qu’à en croire le site kabyle Tamurt, l’ambiance était à la fiesta hier soir dans certaines mosquées d’Alger.

Tunisie hommage attentats

J’ai été très ému par la réaction immédiate du New Yorker qui sitôt connue la nouvelle de l’attentat à Charlie a republié ce dessin paru en 2012 lors de l’incendie au siège du journal. Ce dessin dit tout. C’est un DTC magistral à tous ceux qui beuglent « Liberté d’expression ! » et se félicitent quand un de leurs adversaires est censuré et licencié pour raisons politiques.
New Yorker dessin politiquement correct

*Photo : Bebert Bruno/SIPA/1501101725

En turc, Charlie, c’est Fazil Say

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En apprenant que le Premier ministre turc Davutoglu avait été invité à se joindre au cortège de la République, j’ai eu, je ne vous le cache pas, comme une légère sensation de dégoût.

Cela ne change rien à la nécessité de se rassembler aujourd’hui. Et de manifester sa colère. Serait-ce dans le même cortège que ceux qui ont cru malin d’en exclure un Français sur quatre et d’y accepter la présence des barbus de l’UOIF. Serait-ce dans le même cortège que tous ceux qui ont refusé de se solidariser de Charlie lors de l’affaire des caricatures de 2006. Ce n’est pas leur cortège, c’est celui du peuple de France, debout contre la barbarie.

Mais revenons à la Turquie. Bien sûr, dès que j’ai appris la nouvelle de l’invitation de Davutoglu, j’ai pensé, comme vous, à Kobané. J’ai pensé comme vous aux déclarations incendiaires d’Erdogan en 2006. Mais peut-être n’avez-vous pas, comme moi, instantanément pensé à Fazil Say. Et je ne peux pas vous en vouloir car on parle bien peu, en France, de Fazil Say.

Considéré par les mélomanes comme un des plus grands pianistes vivants, Fazil est athée dans un pays où cette opinion est désormais illégale. Ce pays, c’est la Turquie.

Fazil Say a commis de grands crimes. Il s’est par exemple moqué de l’appel à la prière du muezzin, citant des vers du grand poète persan du XIe siècle, Omar Khayyam. Il a aussi posté plusieurs tweets « offensant le prophète », tel celui-là :  « Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais s’il y a un pou, un médiocre, un gagne-petit, un voleur, un bouffon, c’est toujours un islamiste ».

Le problème, c’est que les poux en question sont au pouvoir là-bas, il a donc été condamné en 2012 à dix mois de prison avec sursis pour « insulte aux valeurs religieuses d’une partie de la population ». À l’annonce du verdict, le vice-Premier ministre turc Bülent Arinç s’était félicité, estimant que « si vous insultez les croyances des autres, cela requiert une sanction pénale ».

Sanction pénale, voire plus si entente, comme l’on montré MM. Kouachi et Coulibaly.

Je suis Casher : Hommage aux victimes des crimes antisémites de la Porte de Vincennes

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Je suis casherDe sources concordantes, nous apprenons que plusieurs clients de l’Hyper casher ont été froidement assassinés par le preneur d’otage, dès son entrée dans le magasin.

Nous n’en savons pas plus pour l’instant, mais nous savons que l’antisémitisme et l’islamisme ont tué.  A Paris, en 2015.

On nous a dit partout qu’après le monstrueux crime de Charlie Hebdo,  le seul danger du moment, c’était l’islamophobie. On nous a menti.

Nous appelons tous ceux qui ont proféré et continuent à proférer de telles contrevérités à faire enfin preuve de décence.

Plus que jamais, il faut réagir. Par la vérité et la dignité.

Je suis casher

Attentats de Paris : Des juifs? Quels juifs?

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djihadisme juifs charlie hebdo

Causeur y a pensé avant moi. « Je suis casher », affiche le site, dans les mêmes caractères que ceux que l’on voit partout pour « Charlie ».

Car hier vendredi, à Paris, un homme est entré dans un  magasin casher et a fait feu sur des gens qui s’y trouvaient. Pour quelle raison selon vous ? Qu’est-ce qui désignait ces personnes à sa vindicte ?

Rien d’autre, évidemment, que le fait qu’elles étaient juives, comme leur présence dans ce magasin pouvait autoriser à le présumer.

Si vos consultez les médias, ce samedi matin, vous n’en saurez rien. Il n’est question que de « Charlie », ou plus récemment d’Ahmed Merabet, le policier achevé mercredi sur un trottoir par ceux qui venaient d’assassiner les collaborateurs de l’hebdomadaire.

On a tué des juifs au hasard dans une rue de Paris le vendredi 9 janvier 2015 ? Silence quasi-général. Le « live » du Monde parle d’ « otages » qui ont été tués. Quels otages ? Des « otages » pour quoi faire, pour négocier ou obtenir quoi ?

Il n’y a eu aucune prise d’otage par Amedy Coulibaly, mais une tuerie de juifs, d’emblée, dès son entrée dans le magasin. Le Monde ne vous dit pas qu’il s’agissait de juifs.

Tuer des juifs dans Paris en 2015,  ça ne fait pas un titre dans les médias. C’est banal comme de tuer des enfants juifs dans une école à Toulouse en 2012, ou des gens dans un musée juif à Bruxelles l’an dernier, ou de crier « mort aux juifs » dans les rues de Paris, ou d’agresser une famille juive dans un immeuble à Créteil.

Il va peut-être se trouver un journaliste pour dire que si Coulibaly s’est attaqué à un magasin casher, c’est juste parce que les juifs sont riches, comme chacun sait, et qu’il voulait piquer la caisse.

Il y aurait à dire sur la dégoulinade larmoyante que l’on subit depuis trois jours « en hommage » aux collaborateurs de Charlie Hebdo, présentés comme incarnant l’âme de la France. Or on peut être révolté par l’assassinat de ces hommes et femmes, on peut être déterminé à combattre ceux qui les ont tués, sans se reconnaître pour autant dans les idées et le style de ce journal, ni même dans sa décision de publier des « caricatures » désignant les musulmans  comme adeptes d’une foi intrinsèquement meurtrière.

Plutôt que de répéter jusqu’à plus soif « je suis Charlie », sur le modèle des campagnes « contre le sida » ou « pour le Téléthon », ne faudrait-il pas plutôt prendre conscience de la situation dans laquelle nous sommes et des dangers qui nous menacent ? N’est-il pas temps de se mobiliser contre l’ennemi qui harcèle nos sociétés depuis les années 1990 ? Le moment n’est-il pas venu de choisir son camp au lieu de se réfugier dans une sorte de « pas nous ! pas nous ! » Pathétique ?

L’histoire a montré la tendance d’un grand nombre de Français à se planquer en attendant que ça se passe. Cela leur a plutôt bien réussi. La plupart sont ainsi passés entre les gouttes au prix, pour quelques-uns,  de séjours imprévus mais pas mortels dans les usines et les fermes allemandes et, pour le plus grand nombre, de substitutions alimentaires regrettables (mais le rutabaga est aujourd’hui à  la mode).

« Je suis Charlie » traduit aujourd’hui une attitude de repli, quasi-victimaire, avec laquelle on croit se donner bonne conscience en évitant les questions qui fâchent. Ce n’est pas cela qui fera peur aux djihadistes.

 

Retrouvez la version initiale de cet article sur le blog autojournalisme.fr

*Photo : Peter Dejong/AP/SIPA. AP21676391_000008.

Charlie Hebdo : j’étais au bon endroit au bon moment

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Pour la première fois de ma carrière de journaliste, j’écris à la première personne. Parisienne, habitant dans le 11ème arrondissement, le quartier de la tragédie mortelle qui a frappé la rédaction de Charlie Hebdo dans la matinée du mercredi 7 janvier, j’aurais pu croiser le chemin des terroristes. L’attaque a eu lieu à deux pas de la Place de la Bastille, symbole de la Révolution française et lieu des grands rassemblements humanistes, mais elle s’est aussi déroulée à un demi-pas de l’agence Pôle emploi de la rue Pelée, qui reçoit chaque jour des dizaines de chômeurs du quartier. Pourquoi parler ici de Pôle Emploi ? Parce que deux balles perdues ont été retrouvées aux abords de leurs locaux et que c’est l’agence dont je dépends depuis que je suis au chômage. Heureusement, je n’y étais pas mercredi matin. En prenant la fuite, les terroristes ont renversé un piéton. Ce n’était pas moi. Mais, cela aurait pu. Après tout, ils ont emprunté l’avenue Parmentier, là où se trouve mon teinturier. J’y étais, mais la veille !

Dans l’après-midi, le drame se rappelle à moi lorsque je reçois un mail de la crèche de mon fils appelant les parents à la plus grande vigilance sur la fermeture des portes de l’établissement compte tenu de « l’alerte attentat » décrétée par le gouvernement. Enfin, dans la soirée, alors que j’assiste à une conférence au Collège des Bernardins situé sur la Rive Gauche, la présence d’un groupe de cent élèves qui devait venir écouter cette conférence a été annulée en raison des interdictions de sorties scolaires en groupe, une autre mesure de sécurité prise par les autorités françaises à la suite de l’attentat. Au retour, sur les quais et dans les longs couloirs du métro, les haut-parleurs diffusent de nombreux appels demandant aux usagers de prévenir les employés de la RATP en cas de paquets suspects, une « chanson » connue pour ceux qui habitent ou ont habité Israël. À 22 heures, le métro ne s’arrête pas à la station de métro Richard Lenoir ; c’est la plus proche du lieu de l’attentat. « Elle est fermée à la demande de la police », précisent les haut-parleurs.

Jeudi 8 janvier au matin, les terroristes n’ayant toujours pas été arrêtés, Philippe, mon mari part travailler en me disant : « tu n’es pas obligée de prendre le métro aujourd’hui » … Une petite phrase qui m’a rappelé certains moments de ma vie en Israël où je suis restée quinze ans comme correspondante de médias français. C’était en 2002, sans doute l’année la plus dure de la Deuxième Intifada, un sentiment étrange m’envahissait parfois consistant à renoncer à faire des courses ou à fixer des rendez-vous à l’extérieur pour éviter d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Finalement, je sortais quand même, faisant confiance au destin. Mais, je ne m’attendais pas à retrouver cette sensation à Paris.

Charlie Hebdo : les mots pour le dire

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charlie hebdo twitter france

Le massacre de Charlie Hebdo et son traitement par Internet, les réseaux sociaux et les chaines infos peut être l’occasion  d’une leçon de vocabulaire ou de réfléchir au sens des mots. Comment le dire, comment en parler, comment essayer de formaliser l’émotion  sans sombrer dans l’abjection ou l’obscénité.

Les réactions de certains tweetos, qui se réjouissaient ouvertement de l’attentat dans une orthographe approximative, réactions relevées et dénoncées par Jean-Paul Brighelli et Marc Cohen relevaient de l’abjection. L’abjection nous apprend le Littré, c’est ce qui est vil, qui doit être rejeté. Lautréamont, dans les Chants de Maldoror, parlait « du requin de l’abjection individuelle et du colimaçon monstrueux de l’idiotisme ». Comme cela a été justement souligné par l’ami Marc, une forte dimension de bêtise, qui n’excuse rien en l’occurrence, était en effet associée à ces prises de position qui n’avaient qu’un seul mérite : elle étaient abjectes, certes, mais elles étaient gratuites dans  la mesure où  s’exprimait une opinion, évidemment proche du degré zéro de la pensée, de la compassion ou de la sensibilité mais une opinion tout de même.

On franchit un stade, qui est celui qui nous amène de l’abjection à l’obscénité avec ce que l’on pourrait appeler le marketing de l’horreur. L’obscénité, c’est nous apprend le Littré, encore lui, ce qui offense la pudeur. Si l’on convoque l’étymologie, c’est ce qui doit rester hors de la scène. Les télés d’info continues sont presque nécessairement obscènes puis qu’elles vivent de ce qu’elles vont montrer ou pouvoir montrer pour accrocher le téléspectateur sur le mode hypnotique. C’est ainsi qu’on voit  les journalistes, et sur les plateaux et sur le terrain, finir par dire à peu près n’importe quoi à cause de la fatigue, de la répétition et d’une excitation qui finit par devenir, proprement, obscène. Pour qui est sensible à la tessiture des voix, l’hystérie rôde et l’hystérie ce n’est pas franchement bon pour l’info : or, ce que l’on devrait demander à une chaîne info, c’est de l’info, pas du spectacle.

L’obscénité naît de ce décalage. L’exemple le plus significatif a été cette danse du ventre autour des images de l’exécution du policier Ahmed Merabet. L’embargo annoncé avec des trémolos moraux dans la voix a assez vite cédé. Et d’images arrêtées en images arrêtées, on a fini  par tout voir. On le voyait déjà sur les réseaux sociaux ? Et alors, les réseaux sociaux ne sont pas des chaines infos mais le plus souvent des défouloirs. On pourra toujours estimer que voir la mort d’un homme exécuté par deux salopards alors qu’il est à terre et qu’il demande grâce relève de la pédagogie. Non, cela relève de l’obscénité pure et simple. Cette horreur ne convaincra personne. Les petits  cons qui approuvaient l’attentat par tweet ne seront pas convaincus par cette horreur et ceux qui savent à quoi on a affaire sont assez grands pour qu’on ne leur mette pas les points sur les i de cette façon là. Il ne me semble pas que la détermination de la population à lutter contre le terrorisme ait été moins forte dans les années 80, -je me souviens de l’horreur de l’attentat à la FNAC de la rue de Rennes-,  alors que nous n’étions pourtant pas abreuvés d’images de mutilations ou de corps explosés.

Dans un autre domaine, je ne sais pas qui a lancé le slogan « Je suis Charlie » qui est manifestement une émanation de ce génie populaire où naissent des formules qui resteront dans l’histoire, lors des moments de crise, comme en mai 68 avec « Nous sommes tous des juifs allemands » ou « Sous les pavés la plage ». Mais, par exemple, en 68, on n’a pas transformé comme ce fut le cas en moins de 36 heures pour « Je suis Charlie » ces slogans en tee-shirt, exhibé par Ali Baddou sur Canal, lui qui trouve Houellebecq à gerber mais manifestement pas une telle exhibition textile de bonne conscience.

En temps de guerre, ce n’est pas nouveau, les affaires continuent. Un stade supérieur de cette obscénité commerciale a été franchi sur Ebay. On y trouve le dernier numéro de Charlie sorti le jour même du massacre entre 650 et 1 000 euros en vent « immédiate » et une enchère montée jusqu’à 75 000 euros….

C’est quoi la prochaine étape, des photos volées à la morgue?

Charlie Hebdo : je suis en colère!

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Je suis en colère! Un sentiment qui dépasse la tristesse mais qui n’en est que plus douloureux, car il renforce le sentiment d’impuissance.

Pas parce qu’en tant qu’auteur de BD, je me sens solidaire de gens qui ont compté personnellement pour moi et qui ont participé à la construction de ma personnalité, par leur caractère gentil, lucide, drôle mais sans concession.
Non, je suis en colère pour ce qu’on leur a fait, tellement prévisible, et pour le traitement qui en est présenté en tentant d’occulter le fait musulman, dans la logique imposée de l’assimilation d’une religion à une race, afin d’en empêcher toute critique.
Les circonvolutions se succèdent et se ressemblent afin d’effacer tout rapport à l’Islam, à l’instar des voitures bélier de Noël. En traitant aussi, par exemple, l’immense  Uderzo, qui dessine dans un hommage des babouches, de raciste. Lui qui en est l’exact opposé et est la tolérance incarnée.

Les « je suis Charlie » d’aujourd’hui étaient les premiers à excuser les manifestations de haine qui ont déferlé dans le monde musulman (pas Islamiste radical, j’insiste !) suite aux caricatures de Mahomet, et qui, pour rappel, ont occasionné des morts innocents vite oubliés.
Les « je suis Charlie “ d’aujourd’hui étaient les premiers aussi à tenter de faire taire ceux qui tiraient la sonnette d’alarme, qui parlaient du réel.
Les « je suis Charlie » d’aujourd’hui cautionnaient l’idée d’une loi anti-blasphème, héritée des périodes les plus obscurantistes de notre histoire.
La presse « officielle » prend grand soin en outre de passer sous silence les manifestations d’allégresse d’Egypte, de Tunisie, du Liban et…d’Europe dans certains « quartiers ».

Ces hommes ne sont pas morts pour la liberté d’expression. Appelons un chat un chat! Ils sont morts parce qu’ils s’étaient moqués d’une religion.

Alors, Mesdames et Messieurs qui nagez dans le sens du courant, ayez au moins la décence de la fermer! La bonne conscience doit rester cohérente!
Je sais que je me ferai encore insulter, « baquer » par des amis Facebook, mais je m’en fous.
Le réel n’est pas joli, ho non. Mais il existe. Alors qu’on partage sans compter la réaction de Dalil Boubakeur, ça rassure, on fait cependant peu d’échos de celles de responsables dans les pays musulmans, tel en Tunisie, où le ministre des Affaires religieuses appelle les médias à travers le monde entier à éviter de porter atteinte aux religions et au sacré.
On oublie également  le procès intenté à Charlie par la Grande Mosquée de Paris, l’Union des Organisations Islamiques de France et la Ligue Islamique Mondiale.

Ceci dit, je tiens à préciser que je mets dans le même sac les connards qui brûlent les mosquées. Les extrêmes se touchent.

Moi aussi j’aimerais, comme l’a un jour écrit Elisabeth Lévy, ne fut-ce qu’un jour, être dans le camp du bien. Que cela doit être confortable et rassurant.
Mais c’est seulement en m’endormant que je peux m’imaginer être au pays des Bisounours. En fermant les yeux.
Malheureusement pour moi, au réveil, les yeux s’ouvrent.
D’autres se sont fermés définitivement, pour avoir refusé de regarder dans le sens du troupeau.

Marche républicaine : la manif pour tous

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Marche republicaine manif pour tous

Marche republicaine manif pour tous

Evidemment, c’était un peu n’importe quoi. Comme la plupart des gens sensés que je connais, je ne voulais pas être dupe, on n’allait pas me la faire, à moi. C’était trop gros, le coup de la « marche républicaine », avec son logo « La France est Charlie », comme si tout le pays était abonné au fanzine salace de Charb et Cabu. Comme si j’avais seulement pu être pote avec Tignous, dont je n’avais même jamais entendu parler. Et pourtant, j’y suis allé.

Le matin, ma belle-mère m’avait confié au téléphone : « Le problème, c’est qu’on va marcher avec des cons. » Ne sachant pas – et ne tenant pas forcément à savoir – de quels « cons » elle parlait, je lui avais répondu : « Justement, c’est l’idée, tant qu’on arrive à marcher en compagnie de gens avec qui on n’est pas du tout d’accord, on n’est pas morts. » Elle avait acquiescé. Puis je l’avais rassurée parce qu’elle s’inquiétait un peu, quand même.

Il était évident que pas mal de gens défendraient ce jour-là une « liberté d’expression » qu’ils combattaient à longueur d’année en l’appelant « islamophobie ». Que les champions de la repentance et de l’excuse universelle se transformeraient pour une heure en patriotes cocardiers. Que les mêmes qui scandaient avant-hier « un flic, une balle » viendraient applaudir cet après-midi nos gendarmes et policiers. Et alors ? C’était exactement la raison que j’avais trouvée de ne pas me défiler.

J’avais vu juste : sur le boulevard Richard Lenoir, où j’ai croisé Clémentine Autain qui rattrapait Jean-Luc Mélenchon, quelques panneaux aussi déplacés qu’isolés appelaient à la « dissolution des charlots du FN », à la « solidarité avec Gaza » ou à lutter contre les « fascismes nationalistes ». On est en France, en 2015, et 17 morts sous les balles de terroristes islamistes ne suffisent pas encore à ramener tout le monde à la raison.

Mais ils n’étaient qu’une poignée, quelques-uns par ci par là, à ne pas jouer le jeu de bon cœur. A savoir : accepter d’être ensemble, pas forcément pour les mêmes raisons, mais en essayant de laisser au vestiaire tout ce qui nous oppose les uns aux autres. Finalement, l’immense majorité d’entre nous était venue assurer un service minimum : « Nous sommes unis », « ensemble », « contre le terrorisme »… Un pour tous, tous pour un.

Tous les « je suis » ne faisaient qu’un : « Charlie », « juif », « flic »… La marche républicaine du 11 janvier 2015 n’était pas la énième manif pour les droits des uns ou des autres. En réalité, c’était la première manif pour tous. Dieu sait combien d’énergie j’ai dépensé pour m’opposer au « mariage pour tous », quelle guerre j’ai mené à ce titre sur le terrain des idées. Voilà pourquoi, ce dimanche, j’ai aimé plus que tout battre le pavé avec ceux qui me désignaient comme leur adversaire.

Sur ces boulevards bondés, combien de personnes m’avaient caricaturé, insulté, stigmatisé ? Combien avaient moqué mes valeurs, brocardé mes idées, vomi tout ce que je représentais à leurs yeux ? Une année entière, nous nous étions affrontés autour du projet de loi Taubira, et de ses conséquences dont je savais qu’elles seraient tragiques. Aujourd’hui, ils étaient là, ils me souriaient et s’excusaient lorsqu’on se bousculait. On pouvait vivre ensemble et se respecter, l’essentiel était sauvé.

Dès la fin d’après-midi, toutes les chaînes de télévision diffusaient une superproduction inédite : de magnifiques images aériennes de foules innombrables, agglutinées dans toutes les rues de France. A la Bastille, des drapeaux tricolores flottaient dans un ciel rose alors que retentissait la Marseillaise. Place de la Nation, on s’exclamait en boucle : « Vive la France ! » Il y avait un monde fou, partout, et un cœur accroché à la colonne de Juillet. La foule s’applaudissait, on se parlait entre inconnus.

Alors bien sûr, ce tableau idyllique n’était qu’un vernis. Ce dimanche, tout le monde disait « Je suis Charlie » mais personne n’allait dans la même direction. N’empêche : c’est bien la France, sa devise, son drapeau et son hymne national qui étaient célébrés dans tout le pays. Et ça, rien ne nous l’enlèvera, n’en déplaise aux derniers dinosaures de l’incitation à la haine de soi. Nous sommes différents, nous ne sommes pas d’accord, nous sommes Français.

Photo : Constance Decorde/SIPA/1501112049

Charlie Hebdo : Je marcherai mais n’essayez pas de me faire marcher

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charlie hebdo manifestation fn

charlie hebdo manifestation fn

Bon, j’irai « marcher contre la terreur ». D’abord, quand mon président et mon premier ministre m’invitent, c’est difficile de refuser. Et puis, j’ai un cœur moi aussi. N’empêche, je suis contente d’avoir un alibi – le journalisme. Il faut dire qu’on n’a pas tous les jours l’occasion d’assister en vrai à un tel barnum planétaire. La Reine d’Angleterre et le pape n’ont pas encore confirmé, mais pour le reste, il y aura du lourd. Cameron, Renzi et Merkel, et toute l’Europe en rang d’oignon : tous Charlie, même le Hongrois Viktor Orban. Pour l’Amérique, je parierais sur Kerry et Hillary Clinton, Charlie en diable. Charlie évidemment, Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou, dont on ne sait pas s’ils défileront cote à cote, ce qui aurait une certaine allure. Certes, certains grincheux dotés d’un peu de mémoire pourraient trouver que la présence du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu ne s’imposait pas : on ne se rappelle pas que son patron, Recep Tayyip Erdogan, fût un partisan acharné de la liberté d’expression, à l’époque des caricatures, en 2006, il était même salement remonté. Et son gouvernement a cru bon de dénoncer, en même temps que le terrorisme, la montée de « l’islamophobie » et de la xénophobie en Europe. Dans le genre, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a été plus classe : « Ces groupes, a-t-il déclaré, ont porté atteinte au prophète et aux musulmans plus que leurs ennemis (…), plus que les livres, les films et les caricatures ayant injurié le prophète. ». Passons. Dommage qu’on n’ait pas invité l’émir du Qatar, on aurait pu lui envoyer la note.

Après tout, Davutoglu il n’est pas, loin s’en faut, le seul charliste de la onzième heure. En 2011, après l’incendie des locaux de l’hebdomadaire qui publiait son « Charia Hebdo », beaucoup de ceux qui arborent aujourd’hui un air affligé trouvaient que nos rigolos exagéraient, qu’ils jetaient de l’huile sur le feu et que, le droit à la satire, bien sûr, mais à condition de n’offenser personne et surtout pas les musulmans. Et un paquet de ces défenseurs acharnés de la liberté ont une fâcheuse tendance à insulter ceux qui ne pensent pas comme eux, ce qui, à la réflexion, est un brin contradictoire. Rappelons-leur que le refus du désaccord peut tuer.

On ne va pas gâcher l’ambiance pour si peu, puisque c’est l’union sacrée et qu’on est tous Charlie. Tout de même, ça me chiffonne, cette union dont on a expulsé un parti qui représente un cinquième à un quart des électeurs. Il paraît qu’on peut défiler avec ce monsieur Davutoglu, mais pas avec Marine Le Pen : questions de valeurs. On sait bien que des valeurs, elle n’en a pas. Le président a essayé de rattraper la bourde de Cambadélis en affirmant que tout le monde était invité, mais on ne voit pas pourquoi Le Pen se priverait du cadeau que lui font ses adversaires. Du reste, d’après Claude Askolovich, qui a oublié de nous dire ce que ses « amis salafs » pensaient des événements, il faut s’interroger sur la responsabilité du FN. Celle-là, elle est bien bonne.

C’est ça qui est chouette quand on est de gauche : on a le droit de dire qui fait partie du peuple et qui est au piquet. Au nom de la tolérance : toi oui, toi non. Idées rances. Bref, le coup de l’unité nationale, c’est le vieux truc de la gauche pour désigner les méchants et mobiliser son camp. Et les méchants, je vous le donne en mille, ce sont les islamophobes. Le terrorisme islamiste vient de tuer, mais les responsables sont ceux qui le dénonçaient. Logique. Puisque tout ceci n’a rien à voir avec une quelconque religion. En attendant, la preuve que le grand rassemblement républicain commence à avoir un air de manif de gauche, c’est qu’il se conclura par une grande fête organisée par Jean-Michel Ribes.

À part ça, on est tous Charlie, c’est écrit sur tous nos écrans et placardé dans toutes nos villes, on finira par le psalmodier dans les églises. Dans les médias, on est déjà entrés en religion. Un ami rédacteur en chef de JT me l’explique sans ambages : jusqu’à demain, il n’y aura pas la moindre voix dissonante, pas le moindre débat. On devrait avoir droit toute la soirée à un défilé de people et de politiques venus dire leur horreur de la barbarie, de toutes les barbaries – on ne va pas stigmatiser une barbarie particulière.

Tous Charlie, donc, mais je demande si on parle tous du même Charlie. En tout cas, on ne va pas à la même manif. Va pour « marcher contre la terreur », comme nous y invite Le Monde, quoiqu’il eût été utile de préciser de quelle terreur il est question. Mais voilà que d’aussi éminents commentateurs que Plenel appellent à défiler contre le Front national (sic !). Clémentine Autain, elle, marchera « contre les attaques envers les musulmans. Contre toutes les formes de racisme et de xénophobie. Contre les fascismes » (serait-elle pour la maladie ?). Soyons clairs : toute attaque contre une mosquée ou une institution musulmane, et bien sûr, contre les personnes, doit être dénoncée et sévèrement sanctionnée. Mais alors que des journalistes, des policiers et des juifs (es qualités si on peut dire) viennent d’être tués au nom de l’islam, la violence contre l’islam est-elle la principale menace ?

N’empêche, je suis bien contente d’avoir un alibi. Parce que, autant l’avouer,, j’ai beau savoir que l’unanimité est toujours suspecte, je suis plutôt bon public pour le coup du « tous ensemble ». Comme pas mal de mes semblables, dans les crises, j’aime bien faire peuple, me dire que ce qui nous rassemble, etc. etc. Et puis, je suis certaine que mes concitoyens ont plus de bon sens que leurs supposés représentants et qu’ils ont une vague idée de la nature de l’ennemi. Alors, je veux bien être Charlie avec tout le monde. Mais pas avec n’importe qui.

 *Photo :  EREZ LICHTFELD/SIPA. 00701311_000028.

Barbarie à Paris : Quelques images qui font chaud au cœur

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JeSuisCharlie marche Nice

JeSuisCharlie marche Nice

Je savais depuis longtemps que le GIGN était une des meilleures forces antiterroristes du monde. On pouvait en déduire sans risque de se tromper qu’on avait affaire à des garçons costauds ET intelligents. Donc logiquement portés sur l’humour. On en a eu la preuve éclatante dès hier avec ce message amical – qui circule sur maintes pages Facebook de policiers, de militaires et de gendarmes – envoyé par un facétieux membre de nos forces d’élite à MM. Kouachi et Coulibaly.

Coucou Charlie Police

Dans un registre pas très lointain, on félicitera le cinéaste surdoué et marxiste conséquent Jean-François Richet pour ce post sur sa page Facebook.

Merci Police GIGN

J’ai bien sûr été épaté par le courage des jeunes Algériens, Tunisiens et Marocains qui ont manifesté, dans leurs pays, à visage découvert, pour dire leur colère et pour nommer l’ennemi. Leur geste est d’autant plus louable qu’à en croire le site kabyle Tamurt, l’ambiance était à la fiesta hier soir dans certaines mosquées d’Alger.

Tunisie hommage attentats

J’ai été très ému par la réaction immédiate du New Yorker qui sitôt connue la nouvelle de l’attentat à Charlie a republié ce dessin paru en 2012 lors de l’incendie au siège du journal. Ce dessin dit tout. C’est un DTC magistral à tous ceux qui beuglent « Liberté d’expression ! » et se félicitent quand un de leurs adversaires est censuré et licencié pour raisons politiques.
New Yorker dessin politiquement correct

*Photo : Bebert Bruno/SIPA/1501101725

En turc, Charlie, c’est Fazil Say

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En apprenant que le Premier ministre turc Davutoglu avait été invité à se joindre au cortège de la République, j’ai eu, je ne vous le cache pas, comme une légère sensation de dégoût.

Cela ne change rien à la nécessité de se rassembler aujourd’hui. Et de manifester sa colère. Serait-ce dans le même cortège que ceux qui ont cru malin d’en exclure un Français sur quatre et d’y accepter la présence des barbus de l’UOIF. Serait-ce dans le même cortège que tous ceux qui ont refusé de se solidariser de Charlie lors de l’affaire des caricatures de 2006. Ce n’est pas leur cortège, c’est celui du peuple de France, debout contre la barbarie.

Mais revenons à la Turquie. Bien sûr, dès que j’ai appris la nouvelle de l’invitation de Davutoglu, j’ai pensé, comme vous, à Kobané. J’ai pensé comme vous aux déclarations incendiaires d’Erdogan en 2006. Mais peut-être n’avez-vous pas, comme moi, instantanément pensé à Fazil Say. Et je ne peux pas vous en vouloir car on parle bien peu, en France, de Fazil Say.

Considéré par les mélomanes comme un des plus grands pianistes vivants, Fazil est athée dans un pays où cette opinion est désormais illégale. Ce pays, c’est la Turquie.

Fazil Say a commis de grands crimes. Il s’est par exemple moqué de l’appel à la prière du muezzin, citant des vers du grand poète persan du XIe siècle, Omar Khayyam. Il a aussi posté plusieurs tweets « offensant le prophète », tel celui-là :  « Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais s’il y a un pou, un médiocre, un gagne-petit, un voleur, un bouffon, c’est toujours un islamiste ».

Le problème, c’est que les poux en question sont au pouvoir là-bas, il a donc été condamné en 2012 à dix mois de prison avec sursis pour « insulte aux valeurs religieuses d’une partie de la population ». À l’annonce du verdict, le vice-Premier ministre turc Bülent Arinç s’était félicité, estimant que « si vous insultez les croyances des autres, cela requiert une sanction pénale ».

Sanction pénale, voire plus si entente, comme l’on montré MM. Kouachi et Coulibaly.

Je suis Casher : Hommage aux victimes des crimes antisémites de la Porte de Vincennes

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Je suis casher

Je suis casherDe sources concordantes, nous apprenons que plusieurs clients de l’Hyper casher ont été froidement assassinés par le preneur d’otage, dès son entrée dans le magasin.

Nous n’en savons pas plus pour l’instant, mais nous savons que l’antisémitisme et l’islamisme ont tué.  A Paris, en 2015.

On nous a dit partout qu’après le monstrueux crime de Charlie Hebdo,  le seul danger du moment, c’était l’islamophobie. On nous a menti.

Nous appelons tous ceux qui ont proféré et continuent à proférer de telles contrevérités à faire enfin preuve de décence.

Plus que jamais, il faut réagir. Par la vérité et la dignité.

Je suis casher

Attentats de Paris : Des juifs? Quels juifs?

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djihadisme juifs charlie hebdo

djihadisme juifs charlie hebdo

Causeur y a pensé avant moi. « Je suis casher », affiche le site, dans les mêmes caractères que ceux que l’on voit partout pour « Charlie ».

Car hier vendredi, à Paris, un homme est entré dans un  magasin casher et a fait feu sur des gens qui s’y trouvaient. Pour quelle raison selon vous ? Qu’est-ce qui désignait ces personnes à sa vindicte ?

Rien d’autre, évidemment, que le fait qu’elles étaient juives, comme leur présence dans ce magasin pouvait autoriser à le présumer.

Si vos consultez les médias, ce samedi matin, vous n’en saurez rien. Il n’est question que de « Charlie », ou plus récemment d’Ahmed Merabet, le policier achevé mercredi sur un trottoir par ceux qui venaient d’assassiner les collaborateurs de l’hebdomadaire.

On a tué des juifs au hasard dans une rue de Paris le vendredi 9 janvier 2015 ? Silence quasi-général. Le « live » du Monde parle d’ « otages » qui ont été tués. Quels otages ? Des « otages » pour quoi faire, pour négocier ou obtenir quoi ?

Il n’y a eu aucune prise d’otage par Amedy Coulibaly, mais une tuerie de juifs, d’emblée, dès son entrée dans le magasin. Le Monde ne vous dit pas qu’il s’agissait de juifs.

Tuer des juifs dans Paris en 2015,  ça ne fait pas un titre dans les médias. C’est banal comme de tuer des enfants juifs dans une école à Toulouse en 2012, ou des gens dans un musée juif à Bruxelles l’an dernier, ou de crier « mort aux juifs » dans les rues de Paris, ou d’agresser une famille juive dans un immeuble à Créteil.

Il va peut-être se trouver un journaliste pour dire que si Coulibaly s’est attaqué à un magasin casher, c’est juste parce que les juifs sont riches, comme chacun sait, et qu’il voulait piquer la caisse.

Il y aurait à dire sur la dégoulinade larmoyante que l’on subit depuis trois jours « en hommage » aux collaborateurs de Charlie Hebdo, présentés comme incarnant l’âme de la France. Or on peut être révolté par l’assassinat de ces hommes et femmes, on peut être déterminé à combattre ceux qui les ont tués, sans se reconnaître pour autant dans les idées et le style de ce journal, ni même dans sa décision de publier des « caricatures » désignant les musulmans  comme adeptes d’une foi intrinsèquement meurtrière.

Plutôt que de répéter jusqu’à plus soif « je suis Charlie », sur le modèle des campagnes « contre le sida » ou « pour le Téléthon », ne faudrait-il pas plutôt prendre conscience de la situation dans laquelle nous sommes et des dangers qui nous menacent ? N’est-il pas temps de se mobiliser contre l’ennemi qui harcèle nos sociétés depuis les années 1990 ? Le moment n’est-il pas venu de choisir son camp au lieu de se réfugier dans une sorte de « pas nous ! pas nous ! » Pathétique ?

L’histoire a montré la tendance d’un grand nombre de Français à se planquer en attendant que ça se passe. Cela leur a plutôt bien réussi. La plupart sont ainsi passés entre les gouttes au prix, pour quelques-uns,  de séjours imprévus mais pas mortels dans les usines et les fermes allemandes et, pour le plus grand nombre, de substitutions alimentaires regrettables (mais le rutabaga est aujourd’hui à  la mode).

« Je suis Charlie » traduit aujourd’hui une attitude de repli, quasi-victimaire, avec laquelle on croit se donner bonne conscience en évitant les questions qui fâchent. Ce n’est pas cela qui fera peur aux djihadistes.

 

Retrouvez la version initiale de cet article sur le blog autojournalisme.fr

*Photo : Peter Dejong/AP/SIPA. AP21676391_000008.

Charlie Hebdo : j’étais au bon endroit au bon moment

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Pour la première fois de ma carrière de journaliste, j’écris à la première personne. Parisienne, habitant dans le 11ème arrondissement, le quartier de la tragédie mortelle qui a frappé la rédaction de Charlie Hebdo dans la matinée du mercredi 7 janvier, j’aurais pu croiser le chemin des terroristes. L’attaque a eu lieu à deux pas de la Place de la Bastille, symbole de la Révolution française et lieu des grands rassemblements humanistes, mais elle s’est aussi déroulée à un demi-pas de l’agence Pôle emploi de la rue Pelée, qui reçoit chaque jour des dizaines de chômeurs du quartier. Pourquoi parler ici de Pôle Emploi ? Parce que deux balles perdues ont été retrouvées aux abords de leurs locaux et que c’est l’agence dont je dépends depuis que je suis au chômage. Heureusement, je n’y étais pas mercredi matin. En prenant la fuite, les terroristes ont renversé un piéton. Ce n’était pas moi. Mais, cela aurait pu. Après tout, ils ont emprunté l’avenue Parmentier, là où se trouve mon teinturier. J’y étais, mais la veille !

Dans l’après-midi, le drame se rappelle à moi lorsque je reçois un mail de la crèche de mon fils appelant les parents à la plus grande vigilance sur la fermeture des portes de l’établissement compte tenu de « l’alerte attentat » décrétée par le gouvernement. Enfin, dans la soirée, alors que j’assiste à une conférence au Collège des Bernardins situé sur la Rive Gauche, la présence d’un groupe de cent élèves qui devait venir écouter cette conférence a été annulée en raison des interdictions de sorties scolaires en groupe, une autre mesure de sécurité prise par les autorités françaises à la suite de l’attentat. Au retour, sur les quais et dans les longs couloirs du métro, les haut-parleurs diffusent de nombreux appels demandant aux usagers de prévenir les employés de la RATP en cas de paquets suspects, une « chanson » connue pour ceux qui habitent ou ont habité Israël. À 22 heures, le métro ne s’arrête pas à la station de métro Richard Lenoir ; c’est la plus proche du lieu de l’attentat. « Elle est fermée à la demande de la police », précisent les haut-parleurs.

Jeudi 8 janvier au matin, les terroristes n’ayant toujours pas été arrêtés, Philippe, mon mari part travailler en me disant : « tu n’es pas obligée de prendre le métro aujourd’hui » … Une petite phrase qui m’a rappelé certains moments de ma vie en Israël où je suis restée quinze ans comme correspondante de médias français. C’était en 2002, sans doute l’année la plus dure de la Deuxième Intifada, un sentiment étrange m’envahissait parfois consistant à renoncer à faire des courses ou à fixer des rendez-vous à l’extérieur pour éviter d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Finalement, je sortais quand même, faisant confiance au destin. Mais, je ne m’attendais pas à retrouver cette sensation à Paris.

Charlie Hebdo : les mots pour le dire

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charlie hebdo twitter france

charlie hebdo twitter france

Le massacre de Charlie Hebdo et son traitement par Internet, les réseaux sociaux et les chaines infos peut être l’occasion  d’une leçon de vocabulaire ou de réfléchir au sens des mots. Comment le dire, comment en parler, comment essayer de formaliser l’émotion  sans sombrer dans l’abjection ou l’obscénité.

Les réactions de certains tweetos, qui se réjouissaient ouvertement de l’attentat dans une orthographe approximative, réactions relevées et dénoncées par Jean-Paul Brighelli et Marc Cohen relevaient de l’abjection. L’abjection nous apprend le Littré, c’est ce qui est vil, qui doit être rejeté. Lautréamont, dans les Chants de Maldoror, parlait « du requin de l’abjection individuelle et du colimaçon monstrueux de l’idiotisme ». Comme cela a été justement souligné par l’ami Marc, une forte dimension de bêtise, qui n’excuse rien en l’occurrence, était en effet associée à ces prises de position qui n’avaient qu’un seul mérite : elle étaient abjectes, certes, mais elles étaient gratuites dans  la mesure où  s’exprimait une opinion, évidemment proche du degré zéro de la pensée, de la compassion ou de la sensibilité mais une opinion tout de même.

On franchit un stade, qui est celui qui nous amène de l’abjection à l’obscénité avec ce que l’on pourrait appeler le marketing de l’horreur. L’obscénité, c’est nous apprend le Littré, encore lui, ce qui offense la pudeur. Si l’on convoque l’étymologie, c’est ce qui doit rester hors de la scène. Les télés d’info continues sont presque nécessairement obscènes puis qu’elles vivent de ce qu’elles vont montrer ou pouvoir montrer pour accrocher le téléspectateur sur le mode hypnotique. C’est ainsi qu’on voit  les journalistes, et sur les plateaux et sur le terrain, finir par dire à peu près n’importe quoi à cause de la fatigue, de la répétition et d’une excitation qui finit par devenir, proprement, obscène. Pour qui est sensible à la tessiture des voix, l’hystérie rôde et l’hystérie ce n’est pas franchement bon pour l’info : or, ce que l’on devrait demander à une chaîne info, c’est de l’info, pas du spectacle.

L’obscénité naît de ce décalage. L’exemple le plus significatif a été cette danse du ventre autour des images de l’exécution du policier Ahmed Merabet. L’embargo annoncé avec des trémolos moraux dans la voix a assez vite cédé. Et d’images arrêtées en images arrêtées, on a fini  par tout voir. On le voyait déjà sur les réseaux sociaux ? Et alors, les réseaux sociaux ne sont pas des chaines infos mais le plus souvent des défouloirs. On pourra toujours estimer que voir la mort d’un homme exécuté par deux salopards alors qu’il est à terre et qu’il demande grâce relève de la pédagogie. Non, cela relève de l’obscénité pure et simple. Cette horreur ne convaincra personne. Les petits  cons qui approuvaient l’attentat par tweet ne seront pas convaincus par cette horreur et ceux qui savent à quoi on a affaire sont assez grands pour qu’on ne leur mette pas les points sur les i de cette façon là. Il ne me semble pas que la détermination de la population à lutter contre le terrorisme ait été moins forte dans les années 80, -je me souviens de l’horreur de l’attentat à la FNAC de la rue de Rennes-,  alors que nous n’étions pourtant pas abreuvés d’images de mutilations ou de corps explosés.

Dans un autre domaine, je ne sais pas qui a lancé le slogan « Je suis Charlie » qui est manifestement une émanation de ce génie populaire où naissent des formules qui resteront dans l’histoire, lors des moments de crise, comme en mai 68 avec « Nous sommes tous des juifs allemands » ou « Sous les pavés la plage ». Mais, par exemple, en 68, on n’a pas transformé comme ce fut le cas en moins de 36 heures pour « Je suis Charlie » ces slogans en tee-shirt, exhibé par Ali Baddou sur Canal, lui qui trouve Houellebecq à gerber mais manifestement pas une telle exhibition textile de bonne conscience.

En temps de guerre, ce n’est pas nouveau, les affaires continuent. Un stade supérieur de cette obscénité commerciale a été franchi sur Ebay. On y trouve le dernier numéro de Charlie sorti le jour même du massacre entre 650 et 1 000 euros en vent « immédiate » et une enchère montée jusqu’à 75 000 euros….

C’est quoi la prochaine étape, des photos volées à la morgue?

Charlie Hebdo : je suis en colère!

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Je suis en colère! Un sentiment qui dépasse la tristesse mais qui n’en est que plus douloureux, car il renforce le sentiment d’impuissance.

Pas parce qu’en tant qu’auteur de BD, je me sens solidaire de gens qui ont compté personnellement pour moi et qui ont participé à la construction de ma personnalité, par leur caractère gentil, lucide, drôle mais sans concession.
Non, je suis en colère pour ce qu’on leur a fait, tellement prévisible, et pour le traitement qui en est présenté en tentant d’occulter le fait musulman, dans la logique imposée de l’assimilation d’une religion à une race, afin d’en empêcher toute critique.
Les circonvolutions se succèdent et se ressemblent afin d’effacer tout rapport à l’Islam, à l’instar des voitures bélier de Noël. En traitant aussi, par exemple, l’immense  Uderzo, qui dessine dans un hommage des babouches, de raciste. Lui qui en est l’exact opposé et est la tolérance incarnée.

Les « je suis Charlie » d’aujourd’hui étaient les premiers à excuser les manifestations de haine qui ont déferlé dans le monde musulman (pas Islamiste radical, j’insiste !) suite aux caricatures de Mahomet, et qui, pour rappel, ont occasionné des morts innocents vite oubliés.
Les « je suis Charlie “ d’aujourd’hui étaient les premiers aussi à tenter de faire taire ceux qui tiraient la sonnette d’alarme, qui parlaient du réel.
Les « je suis Charlie » d’aujourd’hui cautionnaient l’idée d’une loi anti-blasphème, héritée des périodes les plus obscurantistes de notre histoire.
La presse « officielle » prend grand soin en outre de passer sous silence les manifestations d’allégresse d’Egypte, de Tunisie, du Liban et…d’Europe dans certains « quartiers ».

Ces hommes ne sont pas morts pour la liberté d’expression. Appelons un chat un chat! Ils sont morts parce qu’ils s’étaient moqués d’une religion.

Alors, Mesdames et Messieurs qui nagez dans le sens du courant, ayez au moins la décence de la fermer! La bonne conscience doit rester cohérente!
Je sais que je me ferai encore insulter, « baquer » par des amis Facebook, mais je m’en fous.
Le réel n’est pas joli, ho non. Mais il existe. Alors qu’on partage sans compter la réaction de Dalil Boubakeur, ça rassure, on fait cependant peu d’échos de celles de responsables dans les pays musulmans, tel en Tunisie, où le ministre des Affaires religieuses appelle les médias à travers le monde entier à éviter de porter atteinte aux religions et au sacré.
On oublie également  le procès intenté à Charlie par la Grande Mosquée de Paris, l’Union des Organisations Islamiques de France et la Ligue Islamique Mondiale.

Ceci dit, je tiens à préciser que je mets dans le même sac les connards qui brûlent les mosquées. Les extrêmes se touchent.

Moi aussi j’aimerais, comme l’a un jour écrit Elisabeth Lévy, ne fut-ce qu’un jour, être dans le camp du bien. Que cela doit être confortable et rassurant.
Mais c’est seulement en m’endormant que je peux m’imaginer être au pays des Bisounours. En fermant les yeux.
Malheureusement pour moi, au réveil, les yeux s’ouvrent.
D’autres se sont fermés définitivement, pour avoir refusé de regarder dans le sens du troupeau.