Charlie Hebdo : les mots pour le dire


Charlie Hebdo : les mots pour le dire

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Le massacre de Charlie Hebdo et son traitement par Internet, les réseaux sociaux et les chaines infos peut être l’occasion  d’une leçon de vocabulaire ou de réfléchir au sens des mots. Comment le dire, comment en parler, comment essayer de formaliser l’émotion  sans sombrer dans l’abjection ou l’obscénité.

Les réactions de certains tweetos, qui se réjouissaient ouvertement de l’attentat dans une orthographe approximative, réactions relevées et dénoncées par Jean-Paul Brighelli et Marc Cohen relevaient de l’abjection. L’abjection nous apprend le Littré, c’est ce qui est vil, qui doit être rejeté. Lautréamont, dans les Chants de Maldoror, parlait « du requin de l’abjection individuelle et du colimaçon monstrueux de l’idiotisme ». Comme cela a été justement souligné par l’ami Marc, une forte dimension de bêtise, qui n’excuse rien en l’occurrence, était en effet associée à ces prises de position qui n’avaient qu’un seul mérite : elle étaient abjectes, certes, mais elles étaient gratuites dans  la mesure où  s’exprimait une opinion, évidemment proche du degré zéro de la pensée, de la compassion ou de la sensibilité mais une opinion tout de même.

On franchit un stade, qui est celui qui nous amène de l’abjection à l’obscénité avec ce que l’on pourrait appeler le marketing de l’horreur. L’obscénité, c’est nous apprend le Littré, encore lui, ce qui offense la pudeur. Si l’on convoque l’étymologie, c’est ce qui doit rester hors de la scène. Les télés d’info continues sont presque nécessairement obscènes puis qu’elles vivent de ce qu’elles vont montrer ou pouvoir montrer pour accrocher le téléspectateur sur le mode hypnotique. C’est ainsi qu’on voit  les journalistes, et sur les plateaux et sur le terrain, finir par dire à peu près n’importe quoi à cause de la fatigue, de la répétition et d’une excitation qui finit par devenir, proprement, obscène. Pour qui est sensible à la tessiture des voix, l’hystérie rôde et l’hystérie ce n’est pas franchement bon pour l’info : or, ce que l’on devrait demander à une chaîne info, c’est de l’info, pas du spectacle.

L’obscénité naît de ce décalage. L’exemple le plus significatif a été cette danse du ventre autour des images de l’exécution du policier Ahmed Merabet. L’embargo annoncé avec des trémolos moraux dans la voix a assez vite cédé. Et d’images arrêtées en images arrêtées, on a fini  par tout voir. On le voyait déjà sur les réseaux sociaux ? Et alors, les réseaux sociaux ne sont pas des chaines infos mais le plus souvent des défouloirs. On pourra toujours estimer que voir la mort d’un homme exécuté par deux salopards alors qu’il est à terre et qu’il demande grâce relève de la pédagogie. Non, cela relève de l’obscénité pure et simple. Cette horreur ne convaincra personne. Les petits  cons qui approuvaient l’attentat par tweet ne seront pas convaincus par cette horreur et ceux qui savent à quoi on a affaire sont assez grands pour qu’on ne leur mette pas les points sur les i de cette façon là. Il ne me semble pas que la détermination de la population à lutter contre le terrorisme ait été moins forte dans les années 80, -je me souviens de l’horreur de l’attentat à la FNAC de la rue de Rennes-,  alors que nous n’étions pourtant pas abreuvés d’images de mutilations ou de corps explosés.

Dans un autre domaine, je ne sais pas qui a lancé le slogan « Je suis Charlie » qui est manifestement une émanation de ce génie populaire où naissent des formules qui resteront dans l’histoire, lors des moments de crise, comme en mai 68 avec « Nous sommes tous des juifs allemands » ou « Sous les pavés la plage ». Mais, par exemple, en 68, on n’a pas transformé comme ce fut le cas en moins de 36 heures pour « Je suis Charlie » ces slogans en tee-shirt, exhibé par Ali Baddou sur Canal, lui qui trouve Houellebecq à gerber mais manifestement pas une telle exhibition textile de bonne conscience.

En temps de guerre, ce n’est pas nouveau, les affaires continuent. Un stade supérieur de cette obscénité commerciale a été franchi sur Ebay. On y trouve le dernier numéro de Charlie sorti le jour même du massacre entre 650 et 1 000 euros en vent « immédiate » et une enchère montée jusqu’à 75 000 euros….

C’est quoi la prochaine étape, des photos volées à la morgue?



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