Accueil Site Page 1716

Johnny, le soldat du peuple inconnu des élites

0

Lorsque tôt le matin du 6 décembre, j’ai appris la disparition de Johnny Hallyday, je me suis fendu d’un petit texte posté sur les réseaux :

«Quand partent les seigneurs. Johnny Hallyday, immense héros populaire vient de nous quitter. Je n’ai jamais été Johnniste au sens artistique. Sa musique me parlait peu, la résonance un peu mystérieuse qui lie l’artiste à son public était absente. Mais total respect et admiration pour celui qui a assumé ce statut étonnant. Et du chagrin aussi pour cette part du peuple français qui s’en va. Il y a juste trente ans disparaissait un des occupants de mon panthéon personnel, mon cher Jacques Anquetil. Je me souviendrai toujours de ce dîner avec un de ses anciens coéquipiers qui répondit au journaliste qui, ne parlant que de dopage, faisait la moue. « Tu pourrais la recommencer dix fois ta pauvre vie, tu ne vivrais jamais le centième de ce que cet homme a vécu. » Épitaphe sévère, applicable à Johnny, et adressée à ceux qui prendront des pincettes. »

Le terme de « héros » fait hurler les petits-bourgeois

Et puis, prévoyant un bouillonnement médiatique un peu indigeste à l’initiative des marchands, des démagogues et de quelques moralistes, j’ai décidé de fermer les écoutilles et de me recoucher.

Mauvaise pioche ! Quelques heures plus tard, le bouillonnement était devenu tsunami, et la disparition du chanteur agissait comme un formidable révélateur du fonctionnement de la société française en 2017. Que les démagogues et les marchands fussent à l’affût étaient chose normale, mais l’explosion de rage des moralistes, délaissant les pincettes et utilisant la hache et le canon lourd, m’a surpris. Je n’aurais pas dû l’être.

A lire aussi: Ah que France Culture il aime pas Johnny Hallyday!

Le phénomène Hallyday a fait l’objet depuis longtemps d’analyses forts savantes, et souvent pertinentes. L’intensité et le caractère massif de l’engouement suscité me surprenait, surtout quand elle concernait, parfois avec des formes enfantines, des amis proches. Je regrettais de ne pouvoir la partager, car cela m’ennuyait de ne pas être de cette « passion française », même s’il me semblait comprendre complètement ce qu’elle racontait. Le terme de héros a fait hurler les petits-bourgeois qui, oubliant l’adjectif « populaire », se sont lancés dans des comparaisons méprisantes. Bien aidés d’ailleurs par le cadeau royal d’une certaine Aurore Bergé, députée LREM, jamais en retard d’une niaiserie, qui nous a annoncé que les obsèques de Johnny Hallyday seraient à l’égal de celles de Victor Hugo au XIXe siècle !

Le peuple sait reconnaître les siens

Charles Péguy nous avait donné une définition du héros : « Celui qui est désigné doit marcher. Celui qui est appelé doit répondre. C’est la loi, c’est la règle, c’est le niveau des vies héroïques. » Ornée de l’adjectif « populaire », elle me semble correspondre à ce que fut l’engagement de Johnny Hallyday qui n’a jamais manqué à ceux qui l’aimaient et qui a respecté sa parole quand il a dit que sa carrière s’arrêterait le jour de sa mort. L’interview, le premier jour, de cette femme en pleurs disait tout : « il a toujours été là. Il a accompagné les beaux moments, il en a fait de beaux souvenirs ». On pense immédiatement au fabuleux slow-collé de Retiens la nuit, vecteur des premiers émois, des premières idylles. Et elle poursuit : « il était là aussi dans les moments compliqués de la vie, atténuant les émotions tristes ». Proust nous a expliqué comment nos sens nous faisaient ressentir les émotions et comment nous en faisions des sentiments. Sur cette capacité de l’artiste à faire ressentir une émotion à chacun de ceux qui le reçoivent repose, on le sait, la création. Alain Souchon que je n’ai jamais personnellement rencontré a pourtant composé une chanson pour moi, et moi seul. Comment imaginer qu’il ait pu écrire Le dégoût sans me connaître intimement :

« Petit enfant, pas bonne mine, qui rit et pleure et, cuisine,
Tout le monde après lui. Qu’est-ce qu’y va nous faire ?
Docteur, avocat d’affaires quand il aura fini d’être un petit enfant tout petit?… »

Le problème, c’est que lors d’un concert au Zénith, il a commencé son tour de chant avec ce morceau. Et je me suis aperçu que je n’étais pas tout seul, nous étions 7000 « petits enfants pas bonne mine » dans la salle. Pour en être ravi, car avec eux, je partageais ce qui finalement lie le plus l’artiste à son public : la gratitude. Et quand on est nombreux à l’exprimer, c’est mieux.

Johnny Hallyday, le peuple français l’aimait et lui était reconnaissant d’être fidèle à ce qu’il était et de faire ce qu’il devait.

Unité nationale… ou presque

Alors, nous sommes encore dans une société de la marchandise et normalement les marchands vont faire leur beurre, et le Père Noël, s’il a été prévoyant, va pouvoir déstocker. Les démagogues en ont fait des tonnes, comment être surpris ? Emmanuel Macron, avec son message, a montré qu’il était malin, et nous a signifié qu’il n’allait pas se priver d’un peu d’unité nationale.

Et puis il y a les moralistes, toujours les mêmes, ces petits-bourgeois qui se prennent pour l’élite, et crachent sur le peuple parce qu’ils en ont peur. Il a fallu supporter leurs aigreurs, leurs insultes, leurs leçons de morale, porteuses de mépris, persuadés qu’ils sont, que le monde est comme ils le voient quand ils ouvrent leurs fenêtres. Ils se veulent arbitres de la culture et du bon goût, alors que leurs choix n’expriment en général que la volonté de signifier une appartenance qui les distinguerait du peuple français qu’ils détestent.

A lire aussi: « Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… »

Ils en font pourtant partie, mais en incarnent la figure la plus déplaisante. Je les ai toujours connus confits de suffisance, toisant le populo, et tournant ses goûts et ses élans en dérision. Prudemment d’ailleurs, quand la France avait la chance d’avoir un Parti communiste puissant. Ils détestaient le cinéma français et encensaient «  la nouvelle vague », le cinéma des petits-bourgeois pour les petits-bourgeois dont il ne reste rien, alors que les films tournés par Georges Lautner et dialogués par Michel Audiard sont devenus cultes. Lazzis et quolibets accompagnaient Gabin, Ventura, et Blier. Et surtout Louis de Funès, formidable génie comique qui présentait le terrible défaut d’être populaire. Je me rappelle encore le florilège de leurs commentaires qui accompagna sa disparition.

Alors pour cette boussole qui indique le sud avec constance, imaginez la détestation de Johnny Hallyday. Lui qui cochait toutes les cases, à commencer par celle d’être aimé par le peuple, avec son immense talent, sa simplicité, sans oublier ses faiblesses : femmes, alcool, tabac, exil fiscal pour lesquelles les Français sont toujours assez indulgents.

On répondra en saluant la révérence que Johnny Hallyday vient de tirer : « merci Monsieur, pour cette belle vie ».

Vague migratoire: Merkel boit la tasse

0

La percée de l’AfD et le virage à droite des libéraux ont fait turbuler le système et provoqué une crise politique jamais vue. Si la chancelière veut sauver son quatrième mandat, elle devra modérer son enthousiasme européen et immigrationniste. 


Dans les annales de la science politique, les élections législatives allemandes de septembre 2017 resteront un cas d’école. Celui d’un gouvernement sortant pouvant se prévaloir d’un bilan flatteur avec une situation économique florissante, des finances maîtrisées, un commerce extérieur insolemment bénéficiaire, qui reçoit un désaveu cinglant du corps électoral. À la veille des élections, un sondage indiquait que 78 % des électeurs étaient satisfaits de leur situation matérielle. Et pourtant, les deux partis au pouvoir, la CDU/CSU et le SPD enregistrent chacun leur score le plus bas depuis la création de la RFA en 1949 avec respectivement 33 % et 20,5 % des suffrages. Bien qu’annoncée par une série d’élections régionales favorables, l’entrée au Bundestag, avec 12,6 % des voix et 94 députés du parti Alternative für Deutschland (AfD), une formation alliant un fort euroscepticisme et un rejet radical de la politique d’immigration d’Angela Merkel, a été un choc dans le pays et à l’étranger.

Le joint ne sera pas « jamaïcain »

La composition du nouveau Bundestag ne laisse, arithmétiquement, que deux options à la chancelière pour constituer la majorité de son quatrième mandat : la reconduction de la « grande coalition » avec les sociaux-démocrates, ou la coalition dite « jamaïcaine » formée par les chrétiens-démocrates (les noirs), les libéraux du FDP (les jaunes) et les écologistes (les verts), ces trois couleurs se retrouvant dans le drapeau du pays de Bob Marley et Usain Bolt. Les deux autres partis représentés au parlement, l’AfD et Die Linke (rassemblement de gauchistes et d’ex-communistes de la défunte RDA) sont exclus, pour des raisons politiques et historiques, du cercle des partis aptes à entrer dans un gouvernement fédéral[tooltips content= »Die Linke participe à des gouvernements régionaux, à l’Est et à Berlin, mais n’est pas encore admis dans le club des partis pouvant participer au pouvoir fédéral »]1[/tooltips].

A lire aussi : Merkel : achtung, la droite revient ! 

Sonné par son score calamiteux, le SPD, par la voix de son nouveau patron, l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz, choisit d’essayer de se « refaire » dans l’opposition et de laisser Angela Merkel se débrouiller pour mettre sur pied sa coalition jamaïcaine. Les négociations s’engagent et vont durer six semaines, jusqu’à ce que le FDP, conduit par son jeune et fougueux leader Christian Lindner (42 ans), ne claque la porte, estimant que les propositions de son parti sur la limitation drastique de l’immigration, la rigueur dans la gestion de l’euro (pas d’Europe des transferts !) et les baisses d’impôts étaient traitées par le mépris par la CDU/CSU, alors que les Verts, désireux de revenir au gouvernement après huit ans d’opposition, étaient, eux, prêts à mettre un bémol à leurs exigences (sortie du charbon pour la production d’énergie et poursuite de la politique généreuse d’accueil des réfugiés).

Pendant ce premier round de discussions, Angela Merkel se tient en retrait, laissant ses lieutenants tenter de marier la carpe et le lapin, les Verts europhiles et immigrationnistes et les libéraux « eurovigilants », qui considèrent que le plan Macron de relance de l’UE est de la foutaise, et que la Willkommenkultur[tooltips content= »Culture de l’accueil bienveillant, un concept qui a fait d’Angela Merkel l’héroïne de la gauche immigrationniste européenne »]2[/tooltips] de Merkel 2015 était une erreur à corriger d’urgence.

L’Allemagne en marge de l’Europe ?

Merkel a donc regardé les discussions s’enliser de son balcon de la chancellerie, ce qui lui convenait tout à fait : elle ne pouvait imaginer de passer son quatrième et dernier mandat à jouer à la surveillante générale dans un gouvernement où ses alliés n’auraient cessé de se disputer pour engranger des points pour l’avenir. Autre avantage : l’échec de la « jamaïcaine » fait passer le mistigri chez les sociaux-démocrates. Si ces derniers persistent dans leur refus de reconduire la grande coalition, ils porteront la responsabilité, aux yeux de l’opinion, d’avoir plongé le pays dans une crise politique de longue durée. La Constitution prévoit en effet un délai de deux mois pour la tenue de nouvelles élections et l’autre solution possible, un gouvernement minoritaire avec les Verts, soutenu au cas par cas par le SPD, serait source de marchandages incessants comme dans un vulgaire gouvernement italien, une situation psychologiquement intenable dans la culture politique allemande. Ces deux cas de figure mettraient l’Allemagne aux abonnés absents de la politique européenne et mondiale, alors que des échéances importantes comme la gestion du Brexit, la réponse aux défis posés à tout le continent par le chaos moyen-oriental et le retour offensif de la Russie sur la scène internationale exigeraient, au contraire, que Berlin dispose d’un gouvernement solide et fiable.

Angela Merkel a trouvé un allié solide pour son plan de retour forcé du SPD dans le giron gouvernemental : le président de la République Frank-Walter Steinmeier, SPD et ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Merkel, qui, sans avoir de pouvoir réel, exerce une magistrature d’influence et qui a d’emblée appelé ses anciens camarades à revenir à la table des négociations après la rupture des discussions pour la « Jamaïque ». À l’heure où nous écrivons ces lignes (fin novembre 2017) le virage à 180° du SPD commence à s’amorcer, et l’issue la plus probable de cette folle séquence est celle de la reconduction de la GroKo, l’acronyme allemand de l’alliance de la droite modérée et de la gauche sociale-démocrate. Il est peu probable que les Verts viennent s’ajouter à cet attelage, malgré les offres de service qu’ils persistent à présenter à Angela Merkel : leur appoint ne sera plus nécessaire pour constituer une majorité et leur présence au gouvernement déporterait par trop vers la gauche l’équilibre de l’exécutif.

Merkel peut-elle réunifier l’Allemagne ?

Tout le problème est là : en décidant d’ouvrir grand les portes de l’Allemagne au flot de réfugiés et migrants économiques forçant les portes de l’Europe en 2015, Angela Merkel a déstabilisé la famille politique dont elle est issue, la droite et le centre droit, dont une partie importante des électeurs et sympathisants redoutent le choc culturel produit par une arrivée massive et peu contrôlée de populations culturellement très éloignées du mode de vie et de pensée allemands. Le « wir schaffen das ! » (« nous allons y arriver ! ») crânement lancé par la chancelière au lendemain de la déferlante migratoire de juillet 2015 n’a pas convaincu les inquiets. Cette inquiétude s’est muée en angoisse lorsque le terrorisme islamiste, qui avait jusque-là épargné l’Allemagne, a frappé à plusieurs reprises outre-Rhin, avec des attentats à l’arme blanche dans des trains et surtout l’attentat au camion fou du marché de Noël à Berlin. Bien que n’étant pas en lien direct avec l’accueil des réfugiés, les agressions sexistes perpétrées par des immigrés arabes lors du réveillon du 1er janvier 2016 à Cologne ont été inscrites a posteriori au passif de la politique « généreuse » de la chancelière.

Ce désaveu populaire est particulièrement sensible dans les Länder de l’ex-RDA, où le rejet d’une société multiculturelle, donc de l’immigration extra-européenne, est particulièrement fort, à l’image de ce qui se passe dans tous les pays entrés dans l’UE après la chute du communisme. Dans cette partie de l’Allemagne, la mémoire collective n’a pas intégré, comme à l’Ouest, l’impératif de repentance de la nation tout entière pour expier les crimes du nazisme. Le seul succès posthume du communisme en Prusse, en Saxe et en Thuringe est d’avoir ancré dans la conscience collective la certitude que la nouvelle Allemagne issue des ruines de 1945 n’était en rien comptable des crimes nazis, notamment de la Shoah, puisque ses nouveaux dirigeants étaient des communistes anciennement exilés chez Staline ou des rescapés des camps de prisonniers politiques. Cela permettait à la RDA de soutenir sans complexe les terroristes palestiniens, d’accueillir en grande pompe Yasser Arafat à Berlin-Est et même de servir de base logistique aux attentats de l’OLP ou de la Libye de Kadhafi contre les soldats américains à Berlin-Ouest. En matière de mémoire, donc, la réunification allemande est loin d’être réalisée, car il semble que les nouvelles générations des Länder de l’Est aient fait leur la doxa de leurs parents dans ce domaine.

Quelle place dans l’histoire ?

Angela Merkel, elle-même issue de la RDA, n’a pourtant pas pris la mesure de cette fracture et l’a payé cher aux élections. De même, elle a négligé l’un des principes qui avait force de loi dans sa famille politique, la CDU, depuis 1949 : faire en sorte qu’aucun parti politique pérenne ne puisse surgir à sa droite. Elle y était parvenue jusqu’à très récemment, en réussissant à circonscrire, puis à réduire, les poussées électorales de partis populistes ou ouvertement néonazis, comme les Républicains de Franz Schönhuber ou le NPD. Ces partis ont connu quelques succès lors d’élections locales, mais n’ont jamais pu franchir la porte du Bundestag. Pour réaliser ce containment, les chrétiens-démocrates possédaient une arme efficace : la CSU, la composante bavaroise de la famille, hégémonique en Bavière. Très conservatrice sur le plan économique et sociétal, elle a longtemps été incarnée par le très populaire (et passablement populiste) Franz Josef Strauss. La « gauchisation » de la CDU sous le règne d’Angela Merkel, symbolisée par les deux décisions phares de la chancelière, l’abandon du nucléaire après la catastrophe de Fukushima en 2011 et la porte ouverte aux migrants en 2015, a complètement déstabilisé la CSU, dont les électeurs ont plus massivement voté AfD que dans les autres Länder de l’ouest de l’Allemagne. La CSU, qui craint désormais de perdre sa majorité absolue lors des élections régionales de l’automne 2018, va faire pression pour que la nouvelle coalition gouvernementale change de cap dans deux domaines : d’une part avec une politique migratoire plus stricte excluant le regroupement familial ; d’autre part en refusant un gouvernement de la zone euro où l’Allemagne pourrait se retrouver minoritaire face aux pays du « Club Med » soupçonnés de vouloir se servir dans la cassette germanique.

Voilà donc l’équation que la chancelière aura à résoudre dans les semaines et les mois qui viennent. Si elle parvient à trouver la solution et à sortir par le haut d’une situation pour le moins critique, sa place dans l’histoire des grands dirigeants allemands sera assurée. Quant à Emmanuel Macron, il a pour l’instant évité le pire, le blocage par le FDP de son plan européen, mais il risque de se retrouver face à une autre Merkel, sans doute plus rigide, car moins libre de forcer la main à son peuple.

Être un homme, mesdames, c’est pas si facile

0

«Pauvres diables, vulnérables, misérables que nous sommes nous les hommes », chantait notre crooner international Julio Iglésias dans les années 1970. Y aurait-il une misère de la condition masculine ? Certaines féministes l’ont compris, considérant que l’homme est un frère autant qu’un partenaire amoureux ou un adversaire. En 1988, nous étions quelques femmes et hommes, à créer une association sur les violences masculines (« S.O.S hommes et violences en privé »). Nous allions ouvrir le premier centre d’accueil et d’écoute des hommes qui battent leurs femmes. C’était 10 ans après l’ouverture, à Clichy, du premier centre d’hébergement pour les femmes battues.

Je souffre, tu souffres,… elle souffre

Il s’agissait d’éviter la récidive des violences en apportant écoute et soutien psy à ces hommes considérés comme « bourreaux » ou « monstres ». Le propos était, outre ce soutien effectif, de sortir ces hommes d’une image réductrice et de montrer qu’eux aussi étaient des victimes. Des victimes d’une condition masculine prise au pied de la lettre qui les enfermait dans le cycle noir de la violence.  Le centre allait fermer ses portes en 1995, fautes de bénévoles et de soutien financier des pouvoirs publics.

Ceux-ci subventionnent généralement les victimes. Impossible de faire passer nos hommes pour des victimes. Ironiquement, on nous a suggéré de recourir au mécénat de fournisseurs de gants de boxe ! On touche là du doigt la difficulté à sortir les individus de la catégorie où on les a enfermés. Les hommes, plus encore que les femmes, en sont prisonniers. D’autant plus qu’aucune expression ne qualifie le commun des mâles humains. Peut-être parce qu’ils sont le propre de l’humanité. Constat incroyable. Notre langue n’offre en effet aucun équivalent masculin aux expressions : la condition féminine ou la condition humaine. Tout le monde a droit à sa condition ; le travailleur immigré, le handicapé, le chômeur, même l’animal ; mais pas le mâle humain. Alors pourquoi ce blanc dans la langue ?

Est-ce parce que le masculin l’emporte sur le féminin qu’il n’a pas droit de cité à part égale avec les femmes et les autres ? Peut être faut-il chercher du côté du genre et de sa fameuse « théorie ». Là encore le féminin prévaut. Quand on évoque le genre, c’est le plus souvent pour parler des femmes. Il faut dire que nos chercheuses ne se penchent guère sur le genre masculin, comme s’il ne méritait pas leur attention. Pas touche à l’homme ! On sait que l’Homme, celui de la Déclaration, fait double emploi avec le petit homme. Les Baruya, étudiés par Maurice Godelier ; n’y allaient pas par quatre chemins, ils se dénommaient sans détour les « Grands Hommes ».

La souffrance n’est pas loin

Le moment est peut-être venu de prendre pour objet d’observation le grand sujet, d’aller voir ce qui se trame derrière le petit homme qui se tapit sous l’Homme. Deux évènements actuels y poussent : le raz de marée du harcèlement sexuel et la disparition de Françoise Héritier, qui était allée sonder nos origines sur le terrain et a beaucoup fait avancer la question du masculin et du féminin.

Le terme condition accolé à masculin relève d’une certaine transgression. Ramener les mâles à leur condition c’est baisser le regard vers les pieds d’argile du colosse. Évoquer une condition, renvoie à l’idée de chaînes, de lourdeur. La souffrance n’est pas loin. Or le mâle échapperait à cette souffrance. Il serait du côté de la force, de la domination. Et la domination préserverait de la souffrance. Celle-ci serait du côté de la victime, pas du côté de celui qui fabrique des victimes. Rien de plus faux. Il y a un retour de l’humiliation qu’on inflige. Il y a un inconfort de la domination qu’il convient de mettre à jour pour réintégrer le dominant dans sa condition humaine et cesser de mythifier sa souveraine indifférence. Pour mieux le rapprocher de sa compagne, au-delà de polarisation millénaire autour de la différence sexuée.

Trois écueils majeurs

La condition masculine me semble comporter au moins trois écueils majeurs, facteurs de désarroi. Dilemme, frustration et contraintes de la virilité, me semblent marquer le destin masculin.

– Le dilemme originel :  la mère de l’homme sera sa femme. Deux en un. La personne qui l’a mis au monde et avec laquelle il était interdit de coucher sera celle avec qui il couchera et fera des enfants. Beau sujet de confusion. Il va falloir, par une gymnastique problématique, concilier ces deux termes apparemment contradictoires. De là vient peut-être la fameuse dichotomie mère/putain. Comment concilier les deux femmes, celle que l’on respecte et celle qu’on baise. La fascination qu’exerce le fameux tableau de Courbet, L’origine du monde, n’est peut-être pas sans rapport avec le dilemme évoqué. Longtemps, ce tableau a été soustrait à la vue du grand public, et jalousement caché par ceux qui l’ont détenu. C’est seulement depuis  1995 qu’il est visible au Musée d’Orsay.

– La frustration : elle est double. L’homme ne peut pas être mère, et en plus il est évincé  lorsque l’enfant parait. Il  ne sera plus le petit garçon de sa femme. Détrôné, le roi du monde ! L’appropriation millénaire du ventre des femmes par les hommes, lui revient en boomerang. Rappelons que bon nombre d’hommes violents commencent à battre leur femme quand elle est enceinte. Ils tapent sur leur futur rival.  Ils savent bien qu’ils ne feront jamais le poids avec l’enfant, fut- il le leur. Là gît certainement, occultée, honteuse, une des souffrances du mâle. Voilà pourquoi aussi leur mère demeurera la femme de leur vie. Ils se savent uniques et irremplaçables pour elle.

– La contrainte de la virilité :  pas facile d’être un homme, tu sais… On met rarement le projecteur sur les affres de la condition masculine. Le mythe est là plus qu’ailleurs à l’œuvre. Freud nous a inventé l’hypothétique « envie de pénis » pour mieux nous dérouter de la véritable envie, qui serait plutôt du côté du féminin. Ne parlons même pas de l’envie de grossesse. Pourquoi, parmi les transsexuels, une grande majorité est constituée d’hommes qui veulent devenir des femmes ? Pourquoi les travestis s’acharnent à mimer une féminité de pacotille ? Que cache cette fascination pour la féminité ? Nous les femmes, avons la chance d’échapper à l’impératif fondateur de la virilité : mon fils, tu te forgeras dans la compétition et la bagarre, tu feras fi des larmes. Si j’avais été un homme, j’aurais fait partie de ces millions de jeunes gars qu’on a expédiés au fil de l’Histoire vers les champs de bataille, arrachés à leur fiancée, leurs parents, leur paisible village, pour affronter  une mort souvent atroce, mutilés, gueules cassées… De pauvres petits dormeurs du Val  dont la seule faute était d’être mâles nés. Ca se paye cher aussi d’en avoir. Et quel bonheur de se blottir dans ce creux naturel que la nature vous donne quand vous êtes fille et qui vous met à l’abri des boucheries rituelles et récurrentes qui saignent à blanc les hommes. Aujourd’hui, en Occident, la guerre s’est déplacée. Dans d’autres espaces : l’économique, le cyber espace, le sidéral… Il s’agit toujours de se battre, de conquérir, pour planter son drapeau quelque part, de marquer son territoire comme le chien qui pisse. Mais le chien est plus modeste, il se contente de son petit bout de terre et ne prétend pas polluer à grande échelle. Pourquoi le mâle humain s’est-il cru autorisé à sortir de son coin à pipi ?

Réconcilier l’homme et la femme

On aura compris qu’être un homme n’est pas toujours une sinécure. Il est lui aussi victime du système de domination qui s’est mis en place à l’aube des temps. Montrer que le roi est nu permet de l’habiller autrement. Le moment est venu de mettre en évidence les inconvénients d’être un homme pour mieux montrer tout ce qui le rapproche de la femme. Ne sommes-nous pas semblables avant d’être différents ? Ce qui nous attire chez l’autre, ce sont les points communs que nous avons avec lui. La différence surévaluée des sexes, maintient dans le divorce les deux composantes d’une difficile condition humaine. L’avenir de l’humanité appartient à leur réconciliation.

Laurent Wauquiez: « L’immigration doit être réduite à son strict minimum »


Identité, Europe, immigration, ancrage à droite: avant même son élection prévisible, Laurent Wauquiez, le candidat à la présidence LR revendique sa rupture avec l’héritage de la droite gestionnaire. Entretien exclusif (2/2). 


A lire aussi: la première partie de notre entretien avec Laurent Wauquiez

Le modèle républicain assimilationniste vous paraît-il adapté aux dernières vagues d’immigration afro-maghrébine ?

Il est évidemment plus facile d’intégrer des populations qui ont les mêmes références artistiques, culturelles ou religieuses, mais il n’y a jamais d’impossibilité à intégrer quelqu’un. Notre modèle reste opérationnel, mais on a renoncé à l’appliquer. En trente ans, le creuset républicain a progressivement laissé place à une juxtaposition de communautés dans laquelle chacun revendique et oppose aux autres un droit à la différence.

Et vous, quelle politique migratoire mèneriez-vous ?

L’immigration doit être réduite au strict minimum, c’est-à-dire à quelques dizaines de milliers d’arrivées par an, aussi longtemps que nous n’avons pas réussi à reconstruire notre modèle d’intégration. En matière de politique migratoire, tout est à revoir : la jurisprudence, les textes de loi, la politique européenne. Dans ce domaine, je souhaite que la France retrouve sa souveraineté. Il est d’ailleurs ahurissant qu’on n’ait jamais demandé leur avis aux Français : quelle immigration voulez-vous ?

Un pays comme l’Allemagne, qui a une faible croissance démographique et un très faible taux de chômage a un très gros besoin migratoire, alors que la France a plutôt un bon taux démographique, mais souffre du manque d’emplois. Comme le Canada, la France devrait choisir le profil professionnel de ses immigrés, sachant qu’il est plus facile d’intégrer un codeur informatique que d’intégrer quelqu’un qui a une formation d’éducateur…

Il faut transmettre la fierté et l’amour de la France

En réalité, l’essentiel de l’immigration française est « d’auto-engendrement », comme le dit Michèle Tribalat. Autrement dit, par des mariages mixtes endogames, beaucoup d’enfants d’immigrés épousent une fille du bled. Allez-vous empêcher cette pratique ?

Vous n’interdisez pas un mariage, mais il y a des questions à se poser sur le cap d’obtention de la nationalité.

Mettons les pieds dans le plat : l’islam est-il un problème pour la République ?

Je connais bien l’islam pour avoir vécu quelque temps en Égypte, parler un peu arabe et avoir travaillé sur l’histoire de la confrontation entre les deux rives de la Méditerranée. Dans sa construction même, l’islam est traversé par un affrontement entre une partie intégriste et une composante plus moderne. Même dans la collation des textes du Coran cohabitent des sourates qui sont d’une extraordinaire intolérance et d’autres qui sont des messages d’apaisement et de tolérance. N’oublions pas que par le biais de l’Espagne andalouse, les Maures ont contribué à nous transmettre l’héritage des Grecs. Nous avons donc une vraie bataille à mener pour que la composante intégriste ne l’emporte pas.

Dans ma région, j’ai par exemple refusé de financer un institut dit « musulman », en partie financé par l’Arabie saoudite. Quand l’enquête de l’Institut Montaigne révèle que pour 30 % de la communauté musulmane, la charia doit être supérieure à la loi de la République, on mesure l’ampleur du chemin à parcourir. Je suis aussi très frappé par l’émergence extrêmement inquiétante d’un nouvel antisémitisme. Un journal aussi érudit que Le Monde a récemment publié un reportage en une sans jamais dire d’où venait cet antisémitisme…

Pardon, mais cet antisémitisme existe depuis quinze ans au moins, et nous n’avons cessé d’alerter ; sans aucun succès d’ailleurs, jusqu’au 7 janvier 2015. Ça fait exactement quinze ans que ça existe et on le dit tout le temps.

Dans ma région, je vois la communauté juive déserter certaines villes où sa sécurité n’est plus assurée. Quand je discute avec le grand rabbin de Lyon, il me décrit les crachats, les attaques, les insultes dont il fait l’objet quand il se promène en ville… Or, l’antisémitisme est la pointe avancée d’un combat entre la République et l’islam intégriste.

On trouve beaucoup de politiques qui ont des propos déterminés sur le terrorisme, mais très peu pour s’attaquer à la face immergée de l’iceberg, qu’est l’implantation progressive, dans les esprits, de cet intégrisme islamique.

Il est effectivement plus facile de mener le combat sécuritaire que la bataille des esprits. Comment vous y prendriez-vous pour reconquérir cette fraction de la jeunesse musulmane qui a fait sécession mentalement et ressouder la communauté nationale ?

J’aime cette phrase de Simone Weil : « Éduquer, c’est donner quelque chose à aimer. » Ce « quelque chose à aimer », c’est la France. Il faut transmettre la fierté et l’amour de la France. Or, l’identité française repose sur trois fondamentaux qu’on a totalement démembrés. Tout d’abord, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), la constitution de l’identité française est intrinsèquement liée à la langue. C’est pourquoi le combat contre l’écriture inclusive n’est pas du tout anecdotique.

Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous à aimer la France quand nous-mêmes ne l’aimons plus ?

Saluons donc la position claire et censée du Premier ministre à ce sujet…

Le deuxième pilier, c’est l’histoire. Moi qui suis agrégé d’histoire, je mesure à quel point on a basculé dans une culture de la repentance. Ouvrez un manuel : du Moyen Âge jusqu’à la collaboration en passant par la colonisation, c’est une succession de devoirs de mémoire conçus comme des devoirs de repentance. Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous à aimer la France quand nous-mêmes ne l’aimons plus ? En France, le passé n’est pas une nostalgie, c’est une promesse d’avenir. J’entends combattre cette maladie mortifère du progressisme qui consiste à croire qu’un pays qui renonce à son histoire est un pays moderne.

Même si vous arrivez aux affaires, Patrick Boucheron, qui a dirigé L’Histoire mondiale de la France, occupera toujours une chaire au Collège de France et continuera à vendre des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres…

Certes, mais j’ai la conviction que la majorité du pays n’est pas de ce côté-là. Ceci m’amène au troisième pilier de l’identité française : la géographie. En France, la construction de l’État-nation est allée de pair avec une certaine vision de l’aménagement du territoire. Or, le gouvernement donne l’impression que seule la métropole parisienne a de l’avenir, tandis que le reste est un désert qu’il n’aménage plus et que les territoires perdus de la République sont à l’abandon. Certains s’offusquent lorsque je dis que dans certains quartiers de Saint-Étienne ou de Firminy, les policiers ne peuvent même plus entrer. C’est pourtant la réalité !

Enfin, pour compléter la définition de l’identité, je voudrais réhabiliter la notion de frontière. La frontière permet le dialogue, c’est ce qui définit ce qui est dedans et ce qui est dehors.

Ce qui veut dire que vous êtes un peu moins libéral et un peu plus protectionniste que François Fillon ?

C’est vrai.

Je viens d’un milieu de bonne famille et je suis un pur produit des grandes écoles françaises

Il serait bienvenu de recouvrer des marges de souveraineté, mais comment vous émanciperez-vous de la Cour de justice européenne ?

S’il faut changer notre rapport à la Cour européenne des droits de l’homme, on le changera ! S’il faut adapter la Constitution, on l’adaptera ! Au xixe siècle, la République a construit ses fondamentaux dans une très grande adversité : une révolution industrielle, des changements sociologiques d’une brutalité inouïe, l’émergence d’une conscience critique extraordinaire. La seule différence de fond, c’est qu’à l’époque on avait des politiques courageux et qu’aujourd’hui on a démissionné.

Le jeune homme que vous étiez il y a encore quelques années n’y reconnaîtrait pas ses petits ! Comment expliquez-vous votre évolution politique, du centre droit bon teint à une droite dite « populiste » ?

Mon parcours est une libération progressive des carcans. Je viens d’un milieu de bonne famille et je suis un pur produit des grandes écoles françaises. J’en suis très fier, mais j’en connais aussi les limites, notamment en matière de moule de pensée. En réalité, je n’ai jamais été centriste, mais j’ai succédé au centriste Jacques Barrot. Jeune député à l’Assemblée nationale, j’ai fait le singe savant, en récitant la partition qu’attendaient les médias. Ensuite, j’ai été précipité dans l’ivresse du début de quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui m’a fait confiance et donné ma chance. Dans le fond, la première étape de mon émancipation a été ma décision de choisir la Haute-Loire plutôt que les palais de la République qu’affectionne Emmanuel Macron. C’est le réel qui nous enseigne : j’ai vu le déclassement des classes moyennes, la difficulté à maintenir le tissu industriel… À un moment donné, soit vous acceptez de voir le réel en face, soit il faut définitivement se taire.

Y a-t-il eu un moment déclencheur de votre mue idéologique ?

Le débat sur le RSA a été libérateur. Au moment où Martin Hirsch était au sommet de la courtisanerie vis-à-vis de Sarkozy, j’ai refusé de me soumettre. J’ai alors dit clairement qu’on irait dans le mur, au mépris de ce pour quoi on avait été élus, si l’on ne faisait plus de différence entre le travail et l’assistanat. Depuis dix ans, ayant choisi d’arrêter de jouer la comédie, je n’ai pas bougé d’un pouce.

Il y a chez les dirigeants du FN une vision extrêmement rabougrie, diminuée et caricaturale de la France

Mais beaucoup vous accusent d’opportunisme…

Parce que je ne dis pas la même chose qu’à 18 ans, je serais taxé d’inconstance ? Et Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, eux ne sont pas opportunistes ? Ma détermination est totale. Je connais le prix à payer puisque de chouchou des médias, je suis devenu leur tête de Turc. Il y a un beau trait d’humour d’Yvan Audouard : « Les coupures de presse sont celles qui cicatrisent le plus vite. » Et je voudrais citer aussi Michel Houellebecq, pour lequel j’ai une tendresse sans limites. Il m’a rendu un hommage espiègle en me disant : « Quelqu’un qui est autant critiqué par certains médias ne peut pas être totalement mauvais. »

Vous parlez de courage, mais vous avez viré le malheureux Christophe Billan de la présidence de Sens commun parce qu’il proposait de dialoguer avec Marion Le Pen.

Je n’ai viré personne ! Je ne suis jamais intervenu dans la gouvernance de Sens Commun.

Pourquoi ne pas pousser la transgression jusqu’à vous rapprocher du Front national ?

Parce que le Front national n’apporte rien à ma vision et à mon projet. Il y a chez ses dirigeants une vision extrêmement rabougrie, diminuée et caricaturale de la France et je ne suis pas du tout sûr qu’ils se soient tous vraiment débarrassés de l’antisémitisme. En réalité, ces gens-là sont la meilleure façon de tuer nos idées.

A lire aussi: la première partie de notre entretien avec Laurent Wauquiez

Tous les « martyrs » ne se valent pas

1

A Berlin, des artistes ont associé dans une œuvre toutes sortes de « martyrs » ou prétendus tels, de Socrate à Maximilien Kolbe en passant par des terroristes djihadistes. A première vue, on croirait relire le texte de Nicolas Mariot sur Robert Hertz et Mohamed Merah, à ceci près que Libération a rédigé un article factuel et complet sur le sujet, une fois n’est pas coutume.

Préférer le débat à la censure

Cette « affaire » a au moins le mérite de nous permettre de nous poser quelques questions, ce qui au vu des diverses réactions est loin d’être inutile.

Faut-il laisser faire ? Interdire cette œuvre ? Ou, comme l’a fait une association de victimes, demander qu’en soit retiré tel ou tel portrait ?

Y a-t-il une glorification des terroristes ? Y a-t-il le message, explicite ou implicite, que ce qu’ils ont fait « n’est pas si grave », voire une incitation à soutenir leur cause ou, pourquoi pas, à imiter leurs actions ? Si oui, il s’agit d’apologie du terrorisme, ce qui est sanctionné par le droit français – j’ignore ce qu’il en est dans le droit allemand qui, naturellement, doit s’appliquer en l’espèce. Si non, rappelons qu’on peut vouloir comprendre sans chercher à excuser et encore moins à justifier ni à encourager. Si cette tentative de compréhension conduit à des amalgames maladroits ou à des conclusions stupides, c’est fort regrettable mais ce n’est pas illégal.

A lire aussi: Balthus, Schiele, Facebook : cachez cet art que je ne saurais voir !

Interdire la propagande ennemie est légitime, combattre sans relâche ses arguments est indispensable, mais il faut aussi garder à l’esprit que la liberté d’expression est très précisément la liberté pour les autres de tenir des propos que je trouve scandaleux. Au demeurant, je ne peux réfuter qu’une opinion exprimée, et je préfère les débats à la censure.

L’art de la confusion

Reste ce qui est, je pense, la question essentielle : ce « mur des martyrs » entretien-t-il la confusion ou au contraire cherche-t-il à faire toucher du doigt le fait que ce mot, « martyr », peut recouvrir des réalités radicalement différentes les unes des autres ? Est-ce une nouvelle et délétère manifestation du relativisme moral, ou une tentative courageuse mais incomprise de s’arracher à ce relativisme ?

A la suite de la polémique, artistes et organisateurs n’ont pas manqué de souligner que les individus exposés « ont été désignés comme martyrs par un État, une religion ou une organisation. Aucun ne l’a été par les artistes ». « Le terme martyr est utilisé de manière très différente dans notre pays et dans d’autres pays ou cultures, comme les musées des martyrs en Iran ou en Irak qui honorent les personnes que nous considérons comme des meurtriers et des terroristes. »

Que faire de ce constat ? Certains, hélas, se hâteront d’en conclure que « tout est relatif », « tout est une question de point de vue », « tout est subjectif » et donc in fine « tout se vaut ».

Mais on pourrait aussi explorer les différences, se demander ce que le sens qu’un « État, une religion ou une organisation » donne au terme de martyr révèle sur cet État, cette religion ou cette organisation.

Une thèse ne suffirait pas à en faire le tour, mais voici un florilège de ces précieuses nuances qu’il serait bon d’avoir à l’esprit.

Tous n’est pas relatif

Être assassiné par surprise, ou aller consciemment à la mort ? Mourir pour ses idées parce que l’on refuse d’employer la force pour se défendre, ou mourir au combat pour frapper ses ennemis le plus durement possible ? Tuer des combattants, ou tuer des civils ? Accepter de mourir si c’est nécessaire, ou désirer cette mort dans un moment d’exaltation ? Seuls les morts sont-ils martyrs, ou ce terme s’applique-t-il aussi à ceux qui ont profondément souffert pour leur cause ? Les victimes peuvent-elles être martyrs, ou cela suppose-t-il d’accepter préalablement les sacrifices imposés, ou du moins le risque de ces sacrifices ? Mourir pour ses convictions est-il toujours un don de soi, ou parfois une manière de s’accaparer la cause que l’on revendique ? Faut-il plus de courage pour mourir dans la gloire ou pour vivre humblement ? Une noble mort efface-t-elle toujours les turpitudes de la vie ? Quels honneurs pour les morts pourraient être à la hauteur du sacrifice qu’ils ont consenti ? Dans quels cas ce sacrifice ennobli-t-il la cause défendue, et dans quels cas en souligne-t-il l’absurdité ? La monstruosité de certaines causes doit-elle faire oublier le courage et le dévouement, le courage et le dévouement doivent-ils faire oublier la monstruosité ? Qu’est-ce qui fait que quelqu’un puisse mourir pour ses convictions, qu’est-ce qui fait qu’il puisse tuer pour elles ? Quand est-ce ou n’est-ce pas légitime ? Pourquoi, pour quoi ou pour qui serions-nous nous-mêmes prêts à mourir ? A tuer ?

Au-delà des exemples donnés dans l’exposition, il faudrait aussi par exemple nous référer à l’admirable oraison funèbre prononcée par Périclès – sans doute l’un des meilleurs hommages aux morts de tous les temps – ou examiner les polémiques autour du sanctuaire Yasukuni au Japon (les anglophones curieux de ce sujet peuvent lire l’excellente étude d’Akiko Takenaka, dont les grandes lignes sont résumées ici).

Du peu que j’en sais, j’ai bien peur que le « mur des martyrs » se contente de tout mettre sur le même plan dans l’égalité superficielle de « mourir pour ses convictions ». Si c’est effectivement le cas, c’est choquant et stupide.

Mais cela ne doit pas nous empêcher de profiter de l’occasion pour réfléchir. Et, qui sait ? En suscitant le débat, de mettre en évidence des nuances que l’on ne prend généralement pas la peine de conceptualiser, et de pousser à la prise de conscience que tout n’est pas relatif.

Tous les « martyrs » ne se valent pas, et ceux que nous choisissons d’honorer en disent beaucoup sur ce que nous décidons d’être.

Les Rien-pensants

Price: 23,56 €

23 used & new available from 3,97 €

« Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… »

0

Mon premier Johnny, je l’ai rencontré en 1960, à l’âge de 11 ans, un jour que ma cousine Lydia me mit sous l’oreille Souvenirs, souvenirs. Autour de nous, les attentats se déchaînaient dans l’Algérie sanglante de la fin. Avec lui, j’entrai de plain-pied dans la fureur du rock qui me délivrait des angoisses de l’adolescence commençante et des incertitudes du temps, alors que nos parents vacillaient sous le poids de l’avenir incertain.

Johnny n’était pas un plouc

Ma deuxième rencontre eut lieu à l’Olympia, pour l’anniversaire de mes 15 ans, concert que ma tante Odette – prise soudain d’un accès incongru de modernité – m’avait offert. Je n’oublierai jamais la chorégraphie pataude de Si vous cherchez la bagarre et la frénésie finale de I Got a Woman.

Ce soir-là, je pénétrai dans le monde nouveau du yé-yé, du cuir, et de l’Amérique fantasmée (sans oublier ma fascination devant ses exploits de gardian improbable dans D’où viens-tu Johnny ? qui fit rigoler la critique et me fit, moi, me précipiter pour acheter un pantalon gardian gris au liséré noir. Hélas, je n’en trouvai pas à ma taille, déjà un peu hors normes…).

La troisième et dernière se déroula dans les salons de l’hôtel Raphaël, un jour de septembre 1999 où je vins dresser son portrait pour Libération. J’avais emporté de haute lutte le privilège de l’interviewer contre une collègue, groupie non moins véhémente que moi au milieu d’une rédaction qui se gaussait de nos ferveurs de midinette. Rencontre mémorable, intime, loin du Johnny « ah que je… » caricaturée par la bien-pensance parisienne. Nous avons échangé quelques aperçus sur l’esprit « réac » dont le taxaient les intellos et autres antifas de l’époque, ses relations avec Chirac et Marchais. Inutile de dire que je revins à ma rédaction, fier comme un paon, m’échinant à prouver que Johnny n’était pas un plouc. Peine perdue. Seule ma collègue frustrée reçut avec ferveur mon récit qui, à mesure que je le déroulais, revêtit les couleurs d’une épopée. Depuis, nous partagions cet engouement comme des jeunes filles de pensionnat leurs amours secrètes.

Paris préfère Biolay…

Le directeur de rédaction de l’époque me déclara : « Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… » Les directeurs passent, Johnny reste pour l’éternité.

A lire aussi: Ah que France Culture il aime pas Johnny Hallyday!

Je retrouve cet amour de notre idole chez les gens de ma génération. Les sexagénaires qui ont rompu avec le vieux monde de leurs parents. Dans les bistrots. Au stade. Ou chez Daniel Rondeau, fameux fan de Johnny, inattaquable (?) caution intellectuelle aux yeux des petits marquis qui se pâment devant Benjamin Biolay ou les borborygmes des rappeurs semi-incultes.

Le dépuceleur des sixties

Et je prétends que les déchaînements des « blousons noirs » du concert de la Nation du 22 juin 1963 ont ouvert la voie au monôme petit-bourgeois de mai 1968.

Salut les copains était ma Bible, l’idylle entre Johnny et Sylvie, mon Tristan et Iseut. Johnny m’a fait découvrir Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley (ma deuxième idole), le blues, le rythm’n blues. Il m’a dépucelé des langueurs mièvres de la chanson française d’alors.

Comme des milliers d’autres fans, aujourd’hui, je suis orphelin. Il me reste Eddy Mitchell et Jacques Dutronc (ma troisième idole). Ne partez pas trop vite !

Johnny, tu es parti. Je retiens, jusqu’à mon dernier souffle, la nuit électrique du rock. Et des amours noires.

Balthus, Schiele, Facebook : cachez cet art que je ne saurais voir !

0

« De nouvelles libations à Cypris terminèrent cette seconde épreuve et l’on m’interrogea. Ô mon amie ! dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. Je suis jeune, innocente, timide, peu faite aux plaisirs dont je viens d’être comblée, il serait possible que je me trompasse sur l’espèce et la nature de ces plaisirs en eux-mêmes, mais vous me demandez ce que j’ai senti, je le dis. »

A lire aussi: Balthus: une censure peut en cacher une autre

Mon père travaillait alors à l’Evêché — ainsi appelle-t-on ici l’office central de la police marseillaise. Il en avait profité pour mettre la main sur toute une série d’ouvrages alors interdits par la censure pudibonde de la Vème République commençante et saisis par la maréchaussée. C’est ainsi que vers 10 ans, ayant épuisé notre maigre bibliothèque de bas en haut, je tombai sur Histoire d’O et les tribulations de Justine puis de Juliette, les uns et les autres dans l’édition d’origine de Jean-Jacques Pauvert, régulièrement poursuivi dès qu’il imprimait et diffusait ces petits chefs d’œuvre.

Egon Schiele censuré

La petite citation ci-dessus est extraite de l’Histoire de Juliette — et quelques lignes plus loin, Delbène conclut une séance de fouterie particulièrement approfondie par ces mots ailés, comme dit Homère : « Vous m’avez fait mourir de volupté, asseyons-nous, et dissertons. »

Et je profitai de la philosophie sadienne comme j’avais profité de sa mise en application.
J’avais dix ans. Quelques années plus tard, mon prof de philo, l’immense Michel Gourinat, nous donna comme sujet, en khâgne, « l’immoralité ». Arguant que le problème que posait ce sujet était dans le –ité qui mettait en action cette anti-morale, j’alternai dans ma dissert’ scènes de cul et raisonnements philosophiques. Je décrochai ainsi la meilleure note, résultat peu couru d’avance avec un maître aussi exigeant : mais un maître qui ne l’est pas est-il encore un maître ?

« Désolé, âgées de 100 ans, toujours trop osées pour aujourd’hui »

Pourquoi pensais-je à cette minuscule anecdote ? Parce qu’Anastasie est de retour dans notre société jadis permissive, désormais pudibonde. Sauf que la censure jadis générée par les ligues de vertu l’est aujourd’hui par les ligues féministes et leurs émules. Jamais l’injonction de Tartuffe — « Cachez ce sein que je ne saurais voir » — n’a été si prégnante. Dernier épisode en date de ce retour des grands ciseaux, la réaction outrée des autorités allemandes et anglaises devant les affiches annonçant la grande rétrospective Egon Schiele (on va célébrer l’année prochaine le centenaire de la grippe espagnole qui l’emporta, à 28 ans — lui, sa femme et son enfant à naître, et Apollinaire en sus, et 100 millions de pékins d’après les estimations les plus récentes).

Censure bénie pour l’office du tourisme de Vienne, qui a immédiatement répliqué en fournissant des affiches à carré blanc qui expliquent que cent ans après, le grand artiste viennois est toujours aussi scandaleux.

Cela rejoint la censure méticuleuse exercée par Facebook. Un instituteur amateur d’art se bat depuis 2011 contre la société de Zuckerberg, qui…

>>>  Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli  <<<

 

C'est le français qu'on assassine

Price: 161,37 €

7 used & new available from 64,76 €



Laurent Wauquiez: « Quand la droite s’assume, elle rayonne »


Identité, Europe, immigration, ancrage à droite: avant même son élection prévisible, Laurent Wauquiez, le candidat à la présidence des Républicains revendique sa rupture avec l’héritage de la droite gestionnaire. Entretien exclusif (1/2). 


Causeur. Il y a un an, François Fillon gagnait haut la main la primaire de la droite. Tout le monde pensait, nous compris, qu’il allait être président de la République. Son échec est-il seulement imputable aux affaires ou a-t-il des causes plus profondes ?

Laurent Wauquiez. François Fillon a perdu à cause de l’instrumentalisation des affaires. Je lui suis très reconnaissant de ne pas avoir cherché à jeter son programme en pâture pour acheter la clémence de la meute. En cela, il a fait preuve de courage, car toute une partie de la droite essaie d’expliquer qu’on aurait perdu les deux dernières présidentielles, 2012 comme 2017, parce qu’on aurait trop défendu nos valeurs. Je crois exactement l’inverse : le problème de la droite française, ce n’est pas de trop en dire, c’est de ne pas assez en faire. Quand la droite se trahit, elle se recroqueville, quand elle s’assume, elle rayonne.

La formule est belle, mais vous ne nous ferez pas croire que la déconnexion entre LR et les Français s’explique par une histoire de costumes.

J’ai la conviction que les valeurs auxquelles les Français sont les plus attachés supposent un programme résolument et sereinement à droite. Le doute qui s’est instillé dans notre rapport avec les Français ne porte pas sur nos valeurs, mais sur notre capacité à tenir nos engagements. Au printemps, la France s’est retrouvée dans ce paradoxe hallucinant : elle se réveille avec un président de la République libéral-libertaire, l’exact inverse de ce que le pays attendait ! Aboutissement logique de cette supercherie, Macron est tombé à une vitesse ahurissante dans les sondages.

Des individus comme Thierry Solère resteront comme la parfaite incarnation de Iago

Le Premier ministre de ce libéral-libertaire vient d’interdire l’écriture inclusive et il joue plutôt la verticalité que l’horizontalité soixante-huitarde.

Je me félicite que le « point médian », la forme la plus caricaturale d’écriture inclusive, soit rejetée, mais méfions-nous du « en même temps ». Les sites des ministères sont truffés d’écriture inclusive, y compris celui de l’Éducation nationale. Le ministère du Travail promeut l’utilisation de l’écriture inclusive en entreprise, Emmanuel Macron et son gouvernement n’ont que le ridicule « celles et ceux » à la bouche. C’est avoir une piètre image des femmes que de penser les défendre par cette novlangue indigeste. Quant à Mai 68, Emmanuel Macron est le premier président à vouloir le commémorer, ce n’est pas anodin. Je préfère que la France célèbre Austerlitz, Valmy ou l’Appel de Londres.

Reste qu’Emmanuel Macron est très populaire dans une frange de l’électorat de droite qui ne vous apprécie guère. N’auriez-vous pas intérêt à revenir sur la fiction d’une « droite rassemblée » dans un « grand parti » ? Quitte à vous séparer calmement de Juppé et de quelques autres, vous gagneriez en cohérence idéologique.

On a déjà perdu tous ceux qui avaient comme seul courage leur traîtrise. Bon vent ! La lâcheté les a même empêchés de partir totalement, parce qu’ils se sont dit : « On ne sait jamais, si le vent tourne à nouveau ! » Des individus comme Thierry Solère resteront comme la parfaite incarnation de Iago.

Ces noms d’oiseaux sont-ils nécessaires alors que vous avez de réelles divergences de fond ?

Après la primaire, ces gens-là se sont roulés par terre pour occuper des postes dans la campagne de François Fillon. Ils ont découvert leurs divergences idéologiques en même temps que la victoire d’Emmanuel Macron. C’est l’opportunisme en marche. Pour le reste, je reste convaincu qu’un rassemblement est possible, mais à condition de le faire dans le bon sens – dans les deux sens du terme. Jusque-là, l’UMP puis Les Républicains ont défini le cap en fonction du rassemblement alors qu’il faut faire exactement l’inverse. Fixons clairement le cap, le rassemblement se fera sur ce cap. Il doit y avoir un projet non négociable qui est la terre promise où amener le vaisseau.

Je veux nouer un pacte fondateur avec tous ceux qui refusent que la France change de nature

Si vous présidez le parti, inciterez-vous vos opposants de l’intérieur à quitter LR ?

Au contraire, une fois le cap défini, je suis tout à fait prêt à accepter des paroles différentes. J’ai autour de moi des personnalités comme Virginie Calmels, qui est beaucoup plus libérale que moi, Éric Ciotti, qui est extrêmement déterminé dans le domaine régalien, ou Jean-Claude Gaudin, qui est issu du centrisme. Ce rassemblement ne doit pas aboutir à faire une soupe indigeste, mais a vocation à créer un débat. Je crois à cet adage de Montaigne selon lequel il n’y a rien de plus fertile que de « frotter sa cervelle contre celle d’autrui ». Mais mon parti a fait tout le contraire. Aux dernières élections européennes, les grands chapeaux à plumes de ma famille politique m’ont interdit de mettre mes propositions sur la table ! Qu’on ne soit pas d’accord avec mes idées, pas de problème, mais qu’on m’interdise de les défendre, c’est autre chose !

Il n’y a pas seulement deux lignes au sein de votre parti – l’une, libérale et européenne, l’autre, identitaire et populiste – mais aussi deux sociologies au moins, que René Rémond aurait qualifiées de bonapartiste et d’orléaniste. Il y a bien une droite populaire et une droite plus bourgeoise. Comment concilier ces groupes aux intérêts parfois contradictoires ?

Je veux nouer un pacte fondateur avec tous ceux qui refusent que la France change de nature. Certes, il y a des différences sociologiques entre le bourgeois conservateur et l’ouvrier déclassé victime de la désindustrialisation. Mais ils ont en commun l’attachement à la transmission, à la permanence, le sentiment profond et presque charnel qu’on a mis notre pays la tête à l’envers. Et cette volonté est beaucoup plus forte que les différences socio-économiques. Au-delà des catégories sociales, la majorité silencieuse des Français refuse qu’on détruise avec autant d’acharnement ce qui fait la France.

Pouvez-vous être plus précis ?

On a sabré toutes les fondations de la France. Les exemples sont légion. La méritocratie républicaine a cédé devant le nivellement par le bas. Notre société du travail a laissé place à la société des loisirs. La France du respect a basculé dans l’idée qu’il est interdit d’interdire. La République laïque est rongée de l’intérieur par le communautarisme. C’est d’ailleurs ma différence ontologique par rapport à Emmanuel Macron, qui est prêt à accepter que la France se renie pour monter dans le train de la mondialisation.

Dès lors que Macron investit le champ économique, la droite n’a plus rien !

En quoi voyez-vous Emmanuel Macron renier la France ?

Le multiculturalisme, le communautarisme assumé, le fait de se diluer totalement dans la mondialisation, de vendre nos fleurons industriels, d’accepter les vagues d’immigration massive : tout son logiciel est libéral-libertaire. Au fond, la phrase qui le traduit le mieux, c’est celle où il explique qu’en France, il y a « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Philippe Muray le disait très bien : les « élitocrates » ont besoin de « ploucs émissaires ».

Vous ne pouvez pas parler de communautarisme assumé. Au fond, n’est-ce pas le primat de l’économie qui vous distingue du président de la République ?

Absolument, mais cela me distingue également de la droite des techniciens à petits pieds. Depuis trente ans, certains dans ma famille politique ont accumulé une telle série de démissions et de renoncements idéologiques que le seul sujet qu’ils s’autorisent à débattre, c’est la bonne gestion des déficits comptables. Tout cela pour savoir si le déficit doit être à 2,9 ou 3,1 % du PIB… Ceci explique d’ailleurs que toute une partie de la droite soit déboussolée : dès lors que Macron investit le champ économique, elle n’a plus rien !

Or, si j’estime que Macron ne fait pas le travail sur le plan économique – si ce n’est d’avoir bougé quatre articles du Code du travail –, je récuse également sa vision de la liberté. Il n’incarne pas le libéralisme à la française, mais le libéralisme anglo-saxon, sans intérêt général, sans protection, ouvert aux quatre vents.

Avouez que tout ne vous déplaît pas dans la politique du gouvernement. Jean-Michel Blanquer était également pressenti pour diriger l’Éducation nationale en cas de victoire de la droite.

Jean-Michel Blanquer est le ministre que je préfère. J’applaudis son action sur certains sujets : la réforme de l’orthographe, le retour du grec et du latin, mais pas sur la démission de la laïcité ou le recul face au communautarisme. Quand un ancien principal sort un livre poignant sur les démissions quotidiennes dans l’Éducation nationale (Bernard Ravet, Principal de collège ou imam de la République ?, Kero, 2017), entend-on le ministre ? Ce silence est emblématique des désertions du macronisme. Notre président n’a pas de ligne politique claire, car il n’a aucune vision profonde. Son seul projet politique est « soit mon parti unique, soit les extrêmes ».

Macron rend un grand service à la droite en l’obligeant à se réinventer

Ne sous-estimez-vous pas la cohérence de votre adversaire, qui a su réunir sur un plan sociologique et politique des gens qui partagent à peu près une vision commune, ce que Marine Le Pen appelait « l’UMPS » ?

Très bonne nouvelle : je le lui laisse ! En réalité, il rend un grand service à la droite en l’obligeant à se réinventer. Nous sommes sur un champ de ruines, toute une génération a été décapitée : c’est le moment de toutes les audaces ! À nous de répondre à la question suivante : quelle est l’utilité de la droite ?

Bonne question ! Qu’y répondez-vous ?

Je crois à ce que la philosophe Simone Weil appelait la continuité historique. Pour réussir, la France doit retrouver ce qu’elle est. Réussir dans la mondialisation n’empêche pas de rester un peuple.

Vous nous tendez la perche : un peuple ne peut pas vraiment rester lui-même en subissant des vagues d’immigration massive non assimilées. À ce propos, à quoi attribuez-vous l’échec de l’intégration depuis trente ans ?

Certains feignent de croire que l’échec de l’intégration, la montée du communautarisme et l’islamisme ne sont qu’une question économique. En gros, s’il n’y avait pas de chômage en banlieue, on n’aurait pas d’intégrisme. Bien sûr que les problèmes économiques aggravent les difficultés, mais à la base se pose une question anthropologique. Au début des années 1980, nos élites ont fait le choix de déconstruire la France. Du creuset républicain, dans lequel le nouvel arrivant pouvait devenir français à condition d’adhérer totalement à l’extraordinaire générosité de la France, on est ainsi passé au culte de la diversité. Le modèle français est souvent caricaturé : quand Nicolas Sarkozy évoquait « nos ancêtres, les Gaulois », en réalité, ce n’était pas un archaïsme consistant à dire que tous les Français étaient des Gaulois, mais une façon de rappeler que notre pays offre son patrimoine historique et culturel à tous ses enfants, qu’ils soient français de naissance ou d’adoption.

Croyez-vous vraiment que les « élites » – et lesquelles ? – ont choisi de déconstruire la France ? N’y a-t-il pas plutôt une accumulation de décisions à courte vue qui se sont combinées aux effets de l’individualisme triomphant ? 

Depuis mai 1968, la gauche n’a eu de cesse de reprendre et de mettre en pratique ce qu’avaient inventé les philosophes « d’avant-garde » de la seconde moitié du xxe siècle. Gilles Deleuze s’attaquait aux « racines » et faisait l’éloge du « nomadisme ». Michel Foucault disséquait les « institutions disciplinaires » et appelait au « sabotage de l’État ». Pierre Bourdieu voyait dans toute notre société, y compris dans la langue française elle-même, des sources de « violence symbolique » qu’il s’agissait de combattre. Enfin, Jacques Derrida a popularisé le mot magique, celui qui permettait de justifier toute mise à bas des traditions et des valeurs françaises : la « déconstruction ». Toutes ces idées ont infusé dans la gauche politique et ses alliés médiatiques. Ils les ont transformées en vulgate simpliste, dangereuse et agressive : l’idéologie de la déconstruction. C’est Najat Vallaud-Belkacem qui explique qu’il faut « déconstruire les préjugés de genre ». C’est Jacques Attali qui dit que « l’arrivée des migrants est une incroyable chance ». C’est Emmanuel Macron qui affirme qu’il « n’y a pas une culture française ». C’est Marlène Schiappa qui dénonce la diffusion de la messe sur France Télévisions. C’est une députée de la France insoumise qui défend le droit de clamer « Nique la France » et qui se trouve mal à l’aise à l’idée de prononcer à la radio les mots « Vive la France ». Ce sont à ces signaux que l’on reconnaît leur attachement au grand projet de la déconstruction. Ces gens-là ne naviguent pas à vue. Ils ont une ambition : détruire ce qui formait jusqu’ici le cœur de notre pays.

Retrouvez bientôt la suite de cet entretien sur Causeur.fr

Johnny d’Ormesson, Janus aux deux belles gueules

0

A première vue, tout les sépare, sauf le triste hasard chronologique qui les a fait mourir à quelques heures de distance. Jean Lefèvre d’Ormesson, descendant d’une lignée de noblesse de robe, grand journaliste de droite, écrivain élégant et ironique, a vécu dans un autre monde que Johnny. Jean-Philippe Smet, prolétaire franco-belge, chanteur viscéral, a commencé par transposer chez nous des airs américains avant de chanter des chansons françaises pleines de l’énergie d’outre-Atlantique. Il n’a sans doute jamais lu Au plaisir de Dieu ou Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Non qu’il manquât de culture ou de curiosité, mais le scepticisme souriant de l’écrivain est trop éloigné de la rage passionnelle qui habite Noir c’est Noir ou Les Portes du Pénitencier. Aucun point commun, vraiment ? Regardons de plus près.

Courageux jusqu’au bout

Dans une France ravagée depuis des décennies par la haine du travail et la construction d’une société d’assistanat, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday furent tous deux des héros de l’énergie. Le journaliste-écrivain rédigeait ses romans et ses articles du Figaro, il menait une vie mondaine, politique et militante très active et son agenda a dû être plein à ras-bord jusqu’à ses derniers jours. L’énergie herculéenne du chanteur l’a poussé à monter sur scène alors qu’il était malade, et il nous a encore offert l’été dernier le roboratif spectacle des Vieilles Canailles.

Une interprétation mesquine consisterait à dire qu’il ne pouvait pas dételer par goût des applaudissements, je préfère admirer ce courage jusqu’au-boutiste. Une légende espagnole prétend que le Cid Campeador fut ligoté mourant sur son cheval et que son cadavre cavalcadant effraya l’armée musulmane qui assiégeait Valence.

Jean et Johnny se sont construit ce qu’on ne peut appeler autrement que des tronches. On a dit que les hommes ont à vingt ans le visage que la nature leur a donné et à quarante celui qu’ils méritent. Jean d’Ormesson qui attirait les photographes comme le miel attire les mouches s’est fabriqué méthodiquement une figure qui ressemble totalement à son œuvre : des yeux pétillants d’humour et d’intelligence, des lèvres sensuelles d’homme qui aime les femmes et le vin, des rides amères autour de la bouche, des rides qui disent : j’aime la vie, j’aime l’humanité, mais je ne suis pas dupe du mal que l’une et l’autre peuvent faire. A l’aide du tabac, de l’alcool, des nuits d’amour et des stupéfiants de diverses sortes (dont le « stupéfiant image » des surréalistes, c’est-à-dire la poésie considérée comme la plus efficace des drogues), Johnny s’est sculpté une tronche magnifique. Il ressemblait à un faune, à un loup qui hurlait jusqu’au fond de nos cœurs. Il était devenu une icône aux deux sens d’image qui réclame une vénération religieuse et de symbole de la modernité la plus criante.

Johnny obsédé par sa gueule

Ces deux-là ont-ils éprouvé de la fascination pour autre chose que leur propre image ? J’en doute un peu, tout en sachant que la fascination narcissique peut engendrer de grandes œuvres, comme celle de Chateaubriand. « Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Si tu veux te la payer, je te rends la monnaie » : c’est saisissant parce que dans cette chanson le narcissisme appelle tout de suite son corollaire : l’agressivité envers autrui. Dans Que je t’aime le chanteur s’extasie d’abord sur sa propre force d’amour dans le refrain, accessoirement sur la femme aimée dans les couplets. Proust fut obsédé par le temps perdu, Aragon fut obsédé par Elsa Triolet, D’Ormesson fut obsédé par la personnalité charmeuse et désillusionnée de d’Ormesson, Johnny Hallyday fut obsédé par la gueule virile et poignante de Johnny Hallyday. Dans ces deux œuvres la place de l’autre, qu’il soit amant, ami ou simplement homme de la rue, me paraît réduite à un strapontin. A ce titre, les deux artistes sont vraiment des « héros de notre temps » comme dirait Lermontov, de grands individualistes férocement narcissiques avant tout soucieux de leur succès et de leur épanouissement.

D’Ormesson patriote napoléonien

Loin de moi la volonté de les rabaisser, mais il faut souligner que beaucoup d’œuvres majeures dissimulent le plus possible l’existence de leur auteur. Flaubert se voulait « absent » de ses romans, Proust pensait que le « moi social », celui qui connaît et fréquente les autres, n’a que très peu de rapport avec le « moi profond », le « moi créateur ». Pierre Louÿs, Céline, Henri Michaux et plus près de nous Michel Houellebecq se sont fait photographier le moins possible et ont détesté la propagation de leur image dans l’espace public. Que restera-t-il d’Ormesson et de Hallyday lorsque leur flamboyante image se sera ternie dans les souvenirs de leurs admirateurs ?

Autre chose de gênant. Entre ces deux-là et la France, il n’y a pas de réciprocité d’amour. Ou alors une réciprocité très imparfaite. « Jean d’Ormesson, c’est la France » proclame L’Express. Nul doute que l’écrivain ait été un patriote à l’ancienne. Dans La Gloire de l’Empire, il a le bon goût de célébrer un Napoléon qu’il est aujourd’hui à la mode de dénigrer. Le Monde publiait il y a quelques années le blog d’une ignorante institutrice de Corrèze qui y écrivit fièrement : « Ce matin j’ai fait à mes élèves un cours sur la dictature de Napoléon ». « Dictature » ? J’ai failli faire le voyage de Tulle pour aller lui tirer les oreilles et lui poser sur la tête un bonnet d’âne. Je n’ai vu chez Jean d’Ormesson aucune trace de sympathie ou de pitié pour la France d’aujourd’hui, celle qui est gravement menacée dans son être par l’immigration de masse et la mondialisation. Mais peut-être ai-je insuffisamment cherché. L’écrivain devait fréquenter rarement la RATP.

Qui es-tu, Johnny ?

La dissymétrie est encore plus voyante avec Johnny Hallyday. Il est depuis longtemps idolâtré par la France entière et nous allons voir ces jours-ci se déclencher un tsunami de tristesse, de pleurnicheries publiques et privées, chacun de nos nombreux et onéreux ex-présidents de la République va y aller de son trémolo, il y aura peut-être des émeutes du chagrin comme il y en eut à Moscou à la mort de Staline. Mais lui, au fait, aimait-il la France ? D’amour charnel comme Péguy, la réponse est évidemment non. Il l’aimait, comme beaucoup de Français, en tant que commodité, pays où les hôpitaux sont gratuits et efficaces. « Ne m’appelez plus jamais France, car la France elle m’a laissé tomber » n’est pas un vers de Johnny, mais de Michel Sardou.

Gérard Depardieu m’émeut jusqu’aux larmes dans ses interviews. Il a la France chevillée au corps par son enfance, par ses films bretons ou charentais, par sa passion de la viticulture. Il a choisi la Belgique puis la Russie par dépit amoureux, comme un homme qui courtise ostensiblement deux amies de sa femme pour que celle-ci redevienne amoureuse de lui et retombe dans ses bras. Johnny est un Américain imaginaire jusque dans le nom qu’il s’est donné, et ses nostalgies d’enracinement l’entraînaient plus vers Malibu que vers Châteauroux.




La mère « matrie » arrive en Italie !

Grâce à Facebook, j’ai appris fin novembre que le groupe EELV au Conseil de Paris avait émis un vœu linguistique pour qu’on parle désormais de « Journée du matrimoine et du patrimoine ». Une semaine plus tard, c’était au tour de Québec solidaire, l’équivalent local des Insoumis, de réclamer une décision similaire dans la Belle Province. Excusez ma franchise, camarades antisexistes, mais tout ça, c’est petit bras.

« Dans le mot “patrie”, les mères n’existent pas. »

Chez nous en Italie, les théoriciennes du néoféminisme ne se contentent pas de demi-mesures dans leur lutte contre le vocabulaire imposé par le mâle blanc hétérosexuel. La plus célèbre d’entre elles, Michela Murgia, vient ainsi de réclamer dans L’Espresso une substitution lexicale radicale : « Le concept de patrie n’a fait que des dégâts. Il faut qu’on commence à parler de matrie. » En vertu de quoi « il faut une nouvelle catégorie, qui arrache à la racine le machisme, strictement lié au concept de patriotisme ».

Bien sûr, cet argumentaire est assorti de tous les grigris géopolitiques des partisans du village global : « Dans un monde où les frontières qui séparent les terres ont bougé mille fois et où les cultures se mélangent sans cesse, le fait de dire “ma patrie” pour désigner une terre précise n’a aucune signification sur le plan logique et géologique. » La conclusion de Murgia est sans appel : « Dans le mot “patrie”, les mères n’existent pas. » Le fait que notre langue italienne ait consacré depuis des siècles l’expression « madre patria » doit donc être considéré comme un détail insignifiant, voire réactionnaire.

Johnny, le soldat du peuple inconnu des élites

0
Les admirateurs de Johnny lui rendent hommage à Bruxelles, décembre 2017. SIPA. 00834936_000001

Lorsque tôt le matin du 6 décembre, j’ai appris la disparition de Johnny Hallyday, je me suis fendu d’un petit texte posté sur les réseaux :

«Quand partent les seigneurs. Johnny Hallyday, immense héros populaire vient de nous quitter. Je n’ai jamais été Johnniste au sens artistique. Sa musique me parlait peu, la résonance un peu mystérieuse qui lie l’artiste à son public était absente. Mais total respect et admiration pour celui qui a assumé ce statut étonnant. Et du chagrin aussi pour cette part du peuple français qui s’en va. Il y a juste trente ans disparaissait un des occupants de mon panthéon personnel, mon cher Jacques Anquetil. Je me souviendrai toujours de ce dîner avec un de ses anciens coéquipiers qui répondit au journaliste qui, ne parlant que de dopage, faisait la moue. « Tu pourrais la recommencer dix fois ta pauvre vie, tu ne vivrais jamais le centième de ce que cet homme a vécu. » Épitaphe sévère, applicable à Johnny, et adressée à ceux qui prendront des pincettes. »

Le terme de « héros » fait hurler les petits-bourgeois

Et puis, prévoyant un bouillonnement médiatique un peu indigeste à l’initiative des marchands, des démagogues et de quelques moralistes, j’ai décidé de fermer les écoutilles et de me recoucher.

Mauvaise pioche ! Quelques heures plus tard, le bouillonnement était devenu tsunami, et la disparition du chanteur agissait comme un formidable révélateur du fonctionnement de la société française en 2017. Que les démagogues et les marchands fussent à l’affût étaient chose normale, mais l’explosion de rage des moralistes, délaissant les pincettes et utilisant la hache et le canon lourd, m’a surpris. Je n’aurais pas dû l’être.

A lire aussi: Ah que France Culture il aime pas Johnny Hallyday!

Le phénomène Hallyday a fait l’objet depuis longtemps d’analyses forts savantes, et souvent pertinentes. L’intensité et le caractère massif de l’engouement suscité me surprenait, surtout quand elle concernait, parfois avec des formes enfantines, des amis proches. Je regrettais de ne pouvoir la partager, car cela m’ennuyait de ne pas être de cette « passion française », même s’il me semblait comprendre complètement ce qu’elle racontait. Le terme de héros a fait hurler les petits-bourgeois qui, oubliant l’adjectif « populaire », se sont lancés dans des comparaisons méprisantes. Bien aidés d’ailleurs par le cadeau royal d’une certaine Aurore Bergé, députée LREM, jamais en retard d’une niaiserie, qui nous a annoncé que les obsèques de Johnny Hallyday seraient à l’égal de celles de Victor Hugo au XIXe siècle !

Le peuple sait reconnaître les siens

Charles Péguy nous avait donné une définition du héros : « Celui qui est désigné doit marcher. Celui qui est appelé doit répondre. C’est la loi, c’est la règle, c’est le niveau des vies héroïques. » Ornée de l’adjectif « populaire », elle me semble correspondre à ce que fut l’engagement de Johnny Hallyday qui n’a jamais manqué à ceux qui l’aimaient et qui a respecté sa parole quand il a dit que sa carrière s’arrêterait le jour de sa mort. L’interview, le premier jour, de cette femme en pleurs disait tout : « il a toujours été là. Il a accompagné les beaux moments, il en a fait de beaux souvenirs ». On pense immédiatement au fabuleux slow-collé de Retiens la nuit, vecteur des premiers émois, des premières idylles. Et elle poursuit : « il était là aussi dans les moments compliqués de la vie, atténuant les émotions tristes ». Proust nous a expliqué comment nos sens nous faisaient ressentir les émotions et comment nous en faisions des sentiments. Sur cette capacité de l’artiste à faire ressentir une émotion à chacun de ceux qui le reçoivent repose, on le sait, la création. Alain Souchon que je n’ai jamais personnellement rencontré a pourtant composé une chanson pour moi, et moi seul. Comment imaginer qu’il ait pu écrire Le dégoût sans me connaître intimement :

« Petit enfant, pas bonne mine, qui rit et pleure et, cuisine,
Tout le monde après lui. Qu’est-ce qu’y va nous faire ?
Docteur, avocat d’affaires quand il aura fini d’être un petit enfant tout petit?… »

Le problème, c’est que lors d’un concert au Zénith, il a commencé son tour de chant avec ce morceau. Et je me suis aperçu que je n’étais pas tout seul, nous étions 7000 « petits enfants pas bonne mine » dans la salle. Pour en être ravi, car avec eux, je partageais ce qui finalement lie le plus l’artiste à son public : la gratitude. Et quand on est nombreux à l’exprimer, c’est mieux.

Johnny Hallyday, le peuple français l’aimait et lui était reconnaissant d’être fidèle à ce qu’il était et de faire ce qu’il devait.

Unité nationale… ou presque

Alors, nous sommes encore dans une société de la marchandise et normalement les marchands vont faire leur beurre, et le Père Noël, s’il a été prévoyant, va pouvoir déstocker. Les démagogues en ont fait des tonnes, comment être surpris ? Emmanuel Macron, avec son message, a montré qu’il était malin, et nous a signifié qu’il n’allait pas se priver d’un peu d’unité nationale.

Et puis il y a les moralistes, toujours les mêmes, ces petits-bourgeois qui se prennent pour l’élite, et crachent sur le peuple parce qu’ils en ont peur. Il a fallu supporter leurs aigreurs, leurs insultes, leurs leçons de morale, porteuses de mépris, persuadés qu’ils sont, que le monde est comme ils le voient quand ils ouvrent leurs fenêtres. Ils se veulent arbitres de la culture et du bon goût, alors que leurs choix n’expriment en général que la volonté de signifier une appartenance qui les distinguerait du peuple français qu’ils détestent.

A lire aussi: « Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… »

Ils en font pourtant partie, mais en incarnent la figure la plus déplaisante. Je les ai toujours connus confits de suffisance, toisant le populo, et tournant ses goûts et ses élans en dérision. Prudemment d’ailleurs, quand la France avait la chance d’avoir un Parti communiste puissant. Ils détestaient le cinéma français et encensaient «  la nouvelle vague », le cinéma des petits-bourgeois pour les petits-bourgeois dont il ne reste rien, alors que les films tournés par Georges Lautner et dialogués par Michel Audiard sont devenus cultes. Lazzis et quolibets accompagnaient Gabin, Ventura, et Blier. Et surtout Louis de Funès, formidable génie comique qui présentait le terrible défaut d’être populaire. Je me rappelle encore le florilège de leurs commentaires qui accompagna sa disparition.

Alors pour cette boussole qui indique le sud avec constance, imaginez la détestation de Johnny Hallyday. Lui qui cochait toutes les cases, à commencer par celle d’être aimé par le peuple, avec son immense talent, sa simplicité, sans oublier ses faiblesses : femmes, alcool, tabac, exil fiscal pour lesquelles les Français sont toujours assez indulgents.

On répondra en saluant la révérence que Johnny Hallyday vient de tirer : « merci Monsieur, pour cette belle vie ».

Vague migratoire: Merkel boit la tasse

0
Angela Merkel, Bruxelles, novembre 2017 / Virginia Mayo

La percée de l’AfD et le virage à droite des libéraux ont fait turbuler le système et provoqué une crise politique jamais vue. Si la chancelière veut sauver son quatrième mandat, elle devra modérer son enthousiasme européen et immigrationniste. 


Dans les annales de la science politique, les élections législatives allemandes de septembre 2017 resteront un cas d’école. Celui d’un gouvernement sortant pouvant se prévaloir d’un bilan flatteur avec une situation économique florissante, des finances maîtrisées, un commerce extérieur insolemment bénéficiaire, qui reçoit un désaveu cinglant du corps électoral. À la veille des élections, un sondage indiquait que 78 % des électeurs étaient satisfaits de leur situation matérielle. Et pourtant, les deux partis au pouvoir, la CDU/CSU et le SPD enregistrent chacun leur score le plus bas depuis la création de la RFA en 1949 avec respectivement 33 % et 20,5 % des suffrages. Bien qu’annoncée par une série d’élections régionales favorables, l’entrée au Bundestag, avec 12,6 % des voix et 94 députés du parti Alternative für Deutschland (AfD), une formation alliant un fort euroscepticisme et un rejet radical de la politique d’immigration d’Angela Merkel, a été un choc dans le pays et à l’étranger.

Le joint ne sera pas « jamaïcain »

La composition du nouveau Bundestag ne laisse, arithmétiquement, que deux options à la chancelière pour constituer la majorité de son quatrième mandat : la reconduction de la « grande coalition » avec les sociaux-démocrates, ou la coalition dite « jamaïcaine » formée par les chrétiens-démocrates (les noirs), les libéraux du FDP (les jaunes) et les écologistes (les verts), ces trois couleurs se retrouvant dans le drapeau du pays de Bob Marley et Usain Bolt. Les deux autres partis représentés au parlement, l’AfD et Die Linke (rassemblement de gauchistes et d’ex-communistes de la défunte RDA) sont exclus, pour des raisons politiques et historiques, du cercle des partis aptes à entrer dans un gouvernement fédéral[tooltips content= »Die Linke participe à des gouvernements régionaux, à l’Est et à Berlin, mais n’est pas encore admis dans le club des partis pouvant participer au pouvoir fédéral »]1[/tooltips].

A lire aussi : Merkel : achtung, la droite revient ! 

Sonné par son score calamiteux, le SPD, par la voix de son nouveau patron, l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz, choisit d’essayer de se « refaire » dans l’opposition et de laisser Angela Merkel se débrouiller pour mettre sur pied sa coalition jamaïcaine. Les négociations s’engagent et vont durer six semaines, jusqu’à ce que le FDP, conduit par son jeune et fougueux leader Christian Lindner (42 ans), ne claque la porte, estimant que les propositions de son parti sur la limitation drastique de l’immigration, la rigueur dans la gestion de l’euro (pas d’Europe des transferts !) et les baisses d’impôts étaient traitées par le mépris par la CDU/CSU, alors que les Verts, désireux de revenir au gouvernement après huit ans d’opposition, étaient, eux, prêts à mettre un bémol à leurs exigences (sortie du charbon pour la production d’énergie et poursuite de la politique généreuse d’accueil des réfugiés).

Pendant ce premier round de discussions, Angela Merkel se tient en retrait, laissant ses lieutenants tenter de marier la carpe et le lapin, les Verts europhiles et immigrationnistes et les libéraux « eurovigilants », qui considèrent que le plan Macron de relance de l’UE est de la foutaise, et que la Willkommenkultur[tooltips content= »Culture de l’accueil bienveillant, un concept qui a fait d’Angela Merkel l’héroïne de la gauche immigrationniste européenne »]2[/tooltips] de Merkel 2015 était une erreur à corriger d’urgence.

L’Allemagne en marge de l’Europe ?

Merkel a donc regardé les discussions s’enliser de son balcon de la chancellerie, ce qui lui convenait tout à fait : elle ne pouvait imaginer de passer son quatrième et dernier mandat à jouer à la surveillante générale dans un gouvernement où ses alliés n’auraient cessé de se disputer pour engranger des points pour l’avenir. Autre avantage : l’échec de la « jamaïcaine » fait passer le mistigri chez les sociaux-démocrates. Si ces derniers persistent dans leur refus de reconduire la grande coalition, ils porteront la responsabilité, aux yeux de l’opinion, d’avoir plongé le pays dans une crise politique de longue durée. La Constitution prévoit en effet un délai de deux mois pour la tenue de nouvelles élections et l’autre solution possible, un gouvernement minoritaire avec les Verts, soutenu au cas par cas par le SPD, serait source de marchandages incessants comme dans un vulgaire gouvernement italien, une situation psychologiquement intenable dans la culture politique allemande. Ces deux cas de figure mettraient l’Allemagne aux abonnés absents de la politique européenne et mondiale, alors que des échéances importantes comme la gestion du Brexit, la réponse aux défis posés à tout le continent par le chaos moyen-oriental et le retour offensif de la Russie sur la scène internationale exigeraient, au contraire, que Berlin dispose d’un gouvernement solide et fiable.

Angela Merkel a trouvé un allié solide pour son plan de retour forcé du SPD dans le giron gouvernemental : le président de la République Frank-Walter Steinmeier, SPD et ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Merkel, qui, sans avoir de pouvoir réel, exerce une magistrature d’influence et qui a d’emblée appelé ses anciens camarades à revenir à la table des négociations après la rupture des discussions pour la « Jamaïque ». À l’heure où nous écrivons ces lignes (fin novembre 2017) le virage à 180° du SPD commence à s’amorcer, et l’issue la plus probable de cette folle séquence est celle de la reconduction de la GroKo, l’acronyme allemand de l’alliance de la droite modérée et de la gauche sociale-démocrate. Il est peu probable que les Verts viennent s’ajouter à cet attelage, malgré les offres de service qu’ils persistent à présenter à Angela Merkel : leur appoint ne sera plus nécessaire pour constituer une majorité et leur présence au gouvernement déporterait par trop vers la gauche l’équilibre de l’exécutif.

Merkel peut-elle réunifier l’Allemagne ?

Tout le problème est là : en décidant d’ouvrir grand les portes de l’Allemagne au flot de réfugiés et migrants économiques forçant les portes de l’Europe en 2015, Angela Merkel a déstabilisé la famille politique dont elle est issue, la droite et le centre droit, dont une partie importante des électeurs et sympathisants redoutent le choc culturel produit par une arrivée massive et peu contrôlée de populations culturellement très éloignées du mode de vie et de pensée allemands. Le « wir schaffen das ! » (« nous allons y arriver ! ») crânement lancé par la chancelière au lendemain de la déferlante migratoire de juillet 2015 n’a pas convaincu les inquiets. Cette inquiétude s’est muée en angoisse lorsque le terrorisme islamiste, qui avait jusque-là épargné l’Allemagne, a frappé à plusieurs reprises outre-Rhin, avec des attentats à l’arme blanche dans des trains et surtout l’attentat au camion fou du marché de Noël à Berlin. Bien que n’étant pas en lien direct avec l’accueil des réfugiés, les agressions sexistes perpétrées par des immigrés arabes lors du réveillon du 1er janvier 2016 à Cologne ont été inscrites a posteriori au passif de la politique « généreuse » de la chancelière.

Ce désaveu populaire est particulièrement sensible dans les Länder de l’ex-RDA, où le rejet d’une société multiculturelle, donc de l’immigration extra-européenne, est particulièrement fort, à l’image de ce qui se passe dans tous les pays entrés dans l’UE après la chute du communisme. Dans cette partie de l’Allemagne, la mémoire collective n’a pas intégré, comme à l’Ouest, l’impératif de repentance de la nation tout entière pour expier les crimes du nazisme. Le seul succès posthume du communisme en Prusse, en Saxe et en Thuringe est d’avoir ancré dans la conscience collective la certitude que la nouvelle Allemagne issue des ruines de 1945 n’était en rien comptable des crimes nazis, notamment de la Shoah, puisque ses nouveaux dirigeants étaient des communistes anciennement exilés chez Staline ou des rescapés des camps de prisonniers politiques. Cela permettait à la RDA de soutenir sans complexe les terroristes palestiniens, d’accueillir en grande pompe Yasser Arafat à Berlin-Est et même de servir de base logistique aux attentats de l’OLP ou de la Libye de Kadhafi contre les soldats américains à Berlin-Ouest. En matière de mémoire, donc, la réunification allemande est loin d’être réalisée, car il semble que les nouvelles générations des Länder de l’Est aient fait leur la doxa de leurs parents dans ce domaine.

Quelle place dans l’histoire ?

Angela Merkel, elle-même issue de la RDA, n’a pourtant pas pris la mesure de cette fracture et l’a payé cher aux élections. De même, elle a négligé l’un des principes qui avait force de loi dans sa famille politique, la CDU, depuis 1949 : faire en sorte qu’aucun parti politique pérenne ne puisse surgir à sa droite. Elle y était parvenue jusqu’à très récemment, en réussissant à circonscrire, puis à réduire, les poussées électorales de partis populistes ou ouvertement néonazis, comme les Républicains de Franz Schönhuber ou le NPD. Ces partis ont connu quelques succès lors d’élections locales, mais n’ont jamais pu franchir la porte du Bundestag. Pour réaliser ce containment, les chrétiens-démocrates possédaient une arme efficace : la CSU, la composante bavaroise de la famille, hégémonique en Bavière. Très conservatrice sur le plan économique et sociétal, elle a longtemps été incarnée par le très populaire (et passablement populiste) Franz Josef Strauss. La « gauchisation » de la CDU sous le règne d’Angela Merkel, symbolisée par les deux décisions phares de la chancelière, l’abandon du nucléaire après la catastrophe de Fukushima en 2011 et la porte ouverte aux migrants en 2015, a complètement déstabilisé la CSU, dont les électeurs ont plus massivement voté AfD que dans les autres Länder de l’ouest de l’Allemagne. La CSU, qui craint désormais de perdre sa majorité absolue lors des élections régionales de l’automne 2018, va faire pression pour que la nouvelle coalition gouvernementale change de cap dans deux domaines : d’une part avec une politique migratoire plus stricte excluant le regroupement familial ; d’autre part en refusant un gouvernement de la zone euro où l’Allemagne pourrait se retrouver minoritaire face aux pays du « Club Med » soupçonnés de vouloir se servir dans la cassette germanique.

Voilà donc l’équation que la chancelière aura à résoudre dans les semaines et les mois qui viennent. Si elle parvient à trouver la solution et à sortir par le haut d’une situation pour le moins critique, sa place dans l’histoire des grands dirigeants allemands sera assurée. Quant à Emmanuel Macron, il a pour l’instant évité le pire, le blocage par le FDP de son plan européen, mais il risque de se retrouver face à une autre Merkel, sans doute plus rigide, car moins libre de forcer la main à son peuple.

Être un homme, mesdames, c’est pas si facile

0
Sculpture à Aix-la-Chapelle (Allemagne). Photo: domaine public

«Pauvres diables, vulnérables, misérables que nous sommes nous les hommes », chantait notre crooner international Julio Iglésias dans les années 1970. Y aurait-il une misère de la condition masculine ? Certaines féministes l’ont compris, considérant que l’homme est un frère autant qu’un partenaire amoureux ou un adversaire. En 1988, nous étions quelques femmes et hommes, à créer une association sur les violences masculines (« S.O.S hommes et violences en privé »). Nous allions ouvrir le premier centre d’accueil et d’écoute des hommes qui battent leurs femmes. C’était 10 ans après l’ouverture, à Clichy, du premier centre d’hébergement pour les femmes battues.

Je souffre, tu souffres,… elle souffre

Il s’agissait d’éviter la récidive des violences en apportant écoute et soutien psy à ces hommes considérés comme « bourreaux » ou « monstres ». Le propos était, outre ce soutien effectif, de sortir ces hommes d’une image réductrice et de montrer qu’eux aussi étaient des victimes. Des victimes d’une condition masculine prise au pied de la lettre qui les enfermait dans le cycle noir de la violence.  Le centre allait fermer ses portes en 1995, fautes de bénévoles et de soutien financier des pouvoirs publics.

Ceux-ci subventionnent généralement les victimes. Impossible de faire passer nos hommes pour des victimes. Ironiquement, on nous a suggéré de recourir au mécénat de fournisseurs de gants de boxe ! On touche là du doigt la difficulté à sortir les individus de la catégorie où on les a enfermés. Les hommes, plus encore que les femmes, en sont prisonniers. D’autant plus qu’aucune expression ne qualifie le commun des mâles humains. Peut-être parce qu’ils sont le propre de l’humanité. Constat incroyable. Notre langue n’offre en effet aucun équivalent masculin aux expressions : la condition féminine ou la condition humaine. Tout le monde a droit à sa condition ; le travailleur immigré, le handicapé, le chômeur, même l’animal ; mais pas le mâle humain. Alors pourquoi ce blanc dans la langue ?

Est-ce parce que le masculin l’emporte sur le féminin qu’il n’a pas droit de cité à part égale avec les femmes et les autres ? Peut être faut-il chercher du côté du genre et de sa fameuse « théorie ». Là encore le féminin prévaut. Quand on évoque le genre, c’est le plus souvent pour parler des femmes. Il faut dire que nos chercheuses ne se penchent guère sur le genre masculin, comme s’il ne méritait pas leur attention. Pas touche à l’homme ! On sait que l’Homme, celui de la Déclaration, fait double emploi avec le petit homme. Les Baruya, étudiés par Maurice Godelier ; n’y allaient pas par quatre chemins, ils se dénommaient sans détour les « Grands Hommes ».

La souffrance n’est pas loin

Le moment est peut-être venu de prendre pour objet d’observation le grand sujet, d’aller voir ce qui se trame derrière le petit homme qui se tapit sous l’Homme. Deux évènements actuels y poussent : le raz de marée du harcèlement sexuel et la disparition de Françoise Héritier, qui était allée sonder nos origines sur le terrain et a beaucoup fait avancer la question du masculin et du féminin.

Le terme condition accolé à masculin relève d’une certaine transgression. Ramener les mâles à leur condition c’est baisser le regard vers les pieds d’argile du colosse. Évoquer une condition, renvoie à l’idée de chaînes, de lourdeur. La souffrance n’est pas loin. Or le mâle échapperait à cette souffrance. Il serait du côté de la force, de la domination. Et la domination préserverait de la souffrance. Celle-ci serait du côté de la victime, pas du côté de celui qui fabrique des victimes. Rien de plus faux. Il y a un retour de l’humiliation qu’on inflige. Il y a un inconfort de la domination qu’il convient de mettre à jour pour réintégrer le dominant dans sa condition humaine et cesser de mythifier sa souveraine indifférence. Pour mieux le rapprocher de sa compagne, au-delà de polarisation millénaire autour de la différence sexuée.

Trois écueils majeurs

La condition masculine me semble comporter au moins trois écueils majeurs, facteurs de désarroi. Dilemme, frustration et contraintes de la virilité, me semblent marquer le destin masculin.

– Le dilemme originel :  la mère de l’homme sera sa femme. Deux en un. La personne qui l’a mis au monde et avec laquelle il était interdit de coucher sera celle avec qui il couchera et fera des enfants. Beau sujet de confusion. Il va falloir, par une gymnastique problématique, concilier ces deux termes apparemment contradictoires. De là vient peut-être la fameuse dichotomie mère/putain. Comment concilier les deux femmes, celle que l’on respecte et celle qu’on baise. La fascination qu’exerce le fameux tableau de Courbet, L’origine du monde, n’est peut-être pas sans rapport avec le dilemme évoqué. Longtemps, ce tableau a été soustrait à la vue du grand public, et jalousement caché par ceux qui l’ont détenu. C’est seulement depuis  1995 qu’il est visible au Musée d’Orsay.

– La frustration : elle est double. L’homme ne peut pas être mère, et en plus il est évincé  lorsque l’enfant parait. Il  ne sera plus le petit garçon de sa femme. Détrôné, le roi du monde ! L’appropriation millénaire du ventre des femmes par les hommes, lui revient en boomerang. Rappelons que bon nombre d’hommes violents commencent à battre leur femme quand elle est enceinte. Ils tapent sur leur futur rival.  Ils savent bien qu’ils ne feront jamais le poids avec l’enfant, fut- il le leur. Là gît certainement, occultée, honteuse, une des souffrances du mâle. Voilà pourquoi aussi leur mère demeurera la femme de leur vie. Ils se savent uniques et irremplaçables pour elle.

– La contrainte de la virilité :  pas facile d’être un homme, tu sais… On met rarement le projecteur sur les affres de la condition masculine. Le mythe est là plus qu’ailleurs à l’œuvre. Freud nous a inventé l’hypothétique « envie de pénis » pour mieux nous dérouter de la véritable envie, qui serait plutôt du côté du féminin. Ne parlons même pas de l’envie de grossesse. Pourquoi, parmi les transsexuels, une grande majorité est constituée d’hommes qui veulent devenir des femmes ? Pourquoi les travestis s’acharnent à mimer une féminité de pacotille ? Que cache cette fascination pour la féminité ? Nous les femmes, avons la chance d’échapper à l’impératif fondateur de la virilité : mon fils, tu te forgeras dans la compétition et la bagarre, tu feras fi des larmes. Si j’avais été un homme, j’aurais fait partie de ces millions de jeunes gars qu’on a expédiés au fil de l’Histoire vers les champs de bataille, arrachés à leur fiancée, leurs parents, leur paisible village, pour affronter  une mort souvent atroce, mutilés, gueules cassées… De pauvres petits dormeurs du Val  dont la seule faute était d’être mâles nés. Ca se paye cher aussi d’en avoir. Et quel bonheur de se blottir dans ce creux naturel que la nature vous donne quand vous êtes fille et qui vous met à l’abri des boucheries rituelles et récurrentes qui saignent à blanc les hommes. Aujourd’hui, en Occident, la guerre s’est déplacée. Dans d’autres espaces : l’économique, le cyber espace, le sidéral… Il s’agit toujours de se battre, de conquérir, pour planter son drapeau quelque part, de marquer son territoire comme le chien qui pisse. Mais le chien est plus modeste, il se contente de son petit bout de terre et ne prétend pas polluer à grande échelle. Pourquoi le mâle humain s’est-il cru autorisé à sortir de son coin à pipi ?

Réconcilier l’homme et la femme

On aura compris qu’être un homme n’est pas toujours une sinécure. Il est lui aussi victime du système de domination qui s’est mis en place à l’aube des temps. Montrer que le roi est nu permet de l’habiller autrement. Le moment est venu de mettre en évidence les inconvénients d’être un homme pour mieux montrer tout ce qui le rapproche de la femme. Ne sommes-nous pas semblables avant d’être différents ? Ce qui nous attire chez l’autre, ce sont les points communs que nous avons avec lui. La différence surévaluée des sexes, maintient dans le divorce les deux composantes d’une difficile condition humaine. L’avenir de l’humanité appartient à leur réconciliation.

Laurent Wauquiez: « L’immigration doit être réduite à son strict minimum »

0
Laurent Wauquiez, novembre 2017. Photo: Hannah Assouline

Identité, Europe, immigration, ancrage à droite: avant même son élection prévisible, Laurent Wauquiez, le candidat à la présidence LR revendique sa rupture avec l’héritage de la droite gestionnaire. Entretien exclusif (2/2). 


A lire aussi: la première partie de notre entretien avec Laurent Wauquiez

Le modèle républicain assimilationniste vous paraît-il adapté aux dernières vagues d’immigration afro-maghrébine ?

Il est évidemment plus facile d’intégrer des populations qui ont les mêmes références artistiques, culturelles ou religieuses, mais il n’y a jamais d’impossibilité à intégrer quelqu’un. Notre modèle reste opérationnel, mais on a renoncé à l’appliquer. En trente ans, le creuset républicain a progressivement laissé place à une juxtaposition de communautés dans laquelle chacun revendique et oppose aux autres un droit à la différence.

Et vous, quelle politique migratoire mèneriez-vous ?

L’immigration doit être réduite au strict minimum, c’est-à-dire à quelques dizaines de milliers d’arrivées par an, aussi longtemps que nous n’avons pas réussi à reconstruire notre modèle d’intégration. En matière de politique migratoire, tout est à revoir : la jurisprudence, les textes de loi, la politique européenne. Dans ce domaine, je souhaite que la France retrouve sa souveraineté. Il est d’ailleurs ahurissant qu’on n’ait jamais demandé leur avis aux Français : quelle immigration voulez-vous ?

Un pays comme l’Allemagne, qui a une faible croissance démographique et un très faible taux de chômage a un très gros besoin migratoire, alors que la France a plutôt un bon taux démographique, mais souffre du manque d’emplois. Comme le Canada, la France devrait choisir le profil professionnel de ses immigrés, sachant qu’il est plus facile d’intégrer un codeur informatique que d’intégrer quelqu’un qui a une formation d’éducateur…

Il faut transmettre la fierté et l’amour de la France

En réalité, l’essentiel de l’immigration française est « d’auto-engendrement », comme le dit Michèle Tribalat. Autrement dit, par des mariages mixtes endogames, beaucoup d’enfants d’immigrés épousent une fille du bled. Allez-vous empêcher cette pratique ?

Vous n’interdisez pas un mariage, mais il y a des questions à se poser sur le cap d’obtention de la nationalité.

Mettons les pieds dans le plat : l’islam est-il un problème pour la République ?

Je connais bien l’islam pour avoir vécu quelque temps en Égypte, parler un peu arabe et avoir travaillé sur l’histoire de la confrontation entre les deux rives de la Méditerranée. Dans sa construction même, l’islam est traversé par un affrontement entre une partie intégriste et une composante plus moderne. Même dans la collation des textes du Coran cohabitent des sourates qui sont d’une extraordinaire intolérance et d’autres qui sont des messages d’apaisement et de tolérance. N’oublions pas que par le biais de l’Espagne andalouse, les Maures ont contribué à nous transmettre l’héritage des Grecs. Nous avons donc une vraie bataille à mener pour que la composante intégriste ne l’emporte pas.

Dans ma région, j’ai par exemple refusé de financer un institut dit « musulman », en partie financé par l’Arabie saoudite. Quand l’enquête de l’Institut Montaigne révèle que pour 30 % de la communauté musulmane, la charia doit être supérieure à la loi de la République, on mesure l’ampleur du chemin à parcourir. Je suis aussi très frappé par l’émergence extrêmement inquiétante d’un nouvel antisémitisme. Un journal aussi érudit que Le Monde a récemment publié un reportage en une sans jamais dire d’où venait cet antisémitisme…

Pardon, mais cet antisémitisme existe depuis quinze ans au moins, et nous n’avons cessé d’alerter ; sans aucun succès d’ailleurs, jusqu’au 7 janvier 2015. Ça fait exactement quinze ans que ça existe et on le dit tout le temps.

Dans ma région, je vois la communauté juive déserter certaines villes où sa sécurité n’est plus assurée. Quand je discute avec le grand rabbin de Lyon, il me décrit les crachats, les attaques, les insultes dont il fait l’objet quand il se promène en ville… Or, l’antisémitisme est la pointe avancée d’un combat entre la République et l’islam intégriste.

On trouve beaucoup de politiques qui ont des propos déterminés sur le terrorisme, mais très peu pour s’attaquer à la face immergée de l’iceberg, qu’est l’implantation progressive, dans les esprits, de cet intégrisme islamique.

Il est effectivement plus facile de mener le combat sécuritaire que la bataille des esprits. Comment vous y prendriez-vous pour reconquérir cette fraction de la jeunesse musulmane qui a fait sécession mentalement et ressouder la communauté nationale ?

J’aime cette phrase de Simone Weil : « Éduquer, c’est donner quelque chose à aimer. » Ce « quelque chose à aimer », c’est la France. Il faut transmettre la fierté et l’amour de la France. Or, l’identité française repose sur trois fondamentaux qu’on a totalement démembrés. Tout d’abord, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), la constitution de l’identité française est intrinsèquement liée à la langue. C’est pourquoi le combat contre l’écriture inclusive n’est pas du tout anecdotique.

Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous à aimer la France quand nous-mêmes ne l’aimons plus ?

Saluons donc la position claire et censée du Premier ministre à ce sujet…

Le deuxième pilier, c’est l’histoire. Moi qui suis agrégé d’histoire, je mesure à quel point on a basculé dans une culture de la repentance. Ouvrez un manuel : du Moyen Âge jusqu’à la collaboration en passant par la colonisation, c’est une succession de devoirs de mémoire conçus comme des devoirs de repentance. Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous à aimer la France quand nous-mêmes ne l’aimons plus ? En France, le passé n’est pas une nostalgie, c’est une promesse d’avenir. J’entends combattre cette maladie mortifère du progressisme qui consiste à croire qu’un pays qui renonce à son histoire est un pays moderne.

Même si vous arrivez aux affaires, Patrick Boucheron, qui a dirigé L’Histoire mondiale de la France, occupera toujours une chaire au Collège de France et continuera à vendre des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres…

Certes, mais j’ai la conviction que la majorité du pays n’est pas de ce côté-là. Ceci m’amène au troisième pilier de l’identité française : la géographie. En France, la construction de l’État-nation est allée de pair avec une certaine vision de l’aménagement du territoire. Or, le gouvernement donne l’impression que seule la métropole parisienne a de l’avenir, tandis que le reste est un désert qu’il n’aménage plus et que les territoires perdus de la République sont à l’abandon. Certains s’offusquent lorsque je dis que dans certains quartiers de Saint-Étienne ou de Firminy, les policiers ne peuvent même plus entrer. C’est pourtant la réalité !

Enfin, pour compléter la définition de l’identité, je voudrais réhabiliter la notion de frontière. La frontière permet le dialogue, c’est ce qui définit ce qui est dedans et ce qui est dehors.

Ce qui veut dire que vous êtes un peu moins libéral et un peu plus protectionniste que François Fillon ?

C’est vrai.

Je viens d’un milieu de bonne famille et je suis un pur produit des grandes écoles françaises

Il serait bienvenu de recouvrer des marges de souveraineté, mais comment vous émanciperez-vous de la Cour de justice européenne ?

S’il faut changer notre rapport à la Cour européenne des droits de l’homme, on le changera ! S’il faut adapter la Constitution, on l’adaptera ! Au xixe siècle, la République a construit ses fondamentaux dans une très grande adversité : une révolution industrielle, des changements sociologiques d’une brutalité inouïe, l’émergence d’une conscience critique extraordinaire. La seule différence de fond, c’est qu’à l’époque on avait des politiques courageux et qu’aujourd’hui on a démissionné.

Le jeune homme que vous étiez il y a encore quelques années n’y reconnaîtrait pas ses petits ! Comment expliquez-vous votre évolution politique, du centre droit bon teint à une droite dite « populiste » ?

Mon parcours est une libération progressive des carcans. Je viens d’un milieu de bonne famille et je suis un pur produit des grandes écoles françaises. J’en suis très fier, mais j’en connais aussi les limites, notamment en matière de moule de pensée. En réalité, je n’ai jamais été centriste, mais j’ai succédé au centriste Jacques Barrot. Jeune député à l’Assemblée nationale, j’ai fait le singe savant, en récitant la partition qu’attendaient les médias. Ensuite, j’ai été précipité dans l’ivresse du début de quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui m’a fait confiance et donné ma chance. Dans le fond, la première étape de mon émancipation a été ma décision de choisir la Haute-Loire plutôt que les palais de la République qu’affectionne Emmanuel Macron. C’est le réel qui nous enseigne : j’ai vu le déclassement des classes moyennes, la difficulté à maintenir le tissu industriel… À un moment donné, soit vous acceptez de voir le réel en face, soit il faut définitivement se taire.

Y a-t-il eu un moment déclencheur de votre mue idéologique ?

Le débat sur le RSA a été libérateur. Au moment où Martin Hirsch était au sommet de la courtisanerie vis-à-vis de Sarkozy, j’ai refusé de me soumettre. J’ai alors dit clairement qu’on irait dans le mur, au mépris de ce pour quoi on avait été élus, si l’on ne faisait plus de différence entre le travail et l’assistanat. Depuis dix ans, ayant choisi d’arrêter de jouer la comédie, je n’ai pas bougé d’un pouce.

Il y a chez les dirigeants du FN une vision extrêmement rabougrie, diminuée et caricaturale de la France

Mais beaucoup vous accusent d’opportunisme…

Parce que je ne dis pas la même chose qu’à 18 ans, je serais taxé d’inconstance ? Et Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, eux ne sont pas opportunistes ? Ma détermination est totale. Je connais le prix à payer puisque de chouchou des médias, je suis devenu leur tête de Turc. Il y a un beau trait d’humour d’Yvan Audouard : « Les coupures de presse sont celles qui cicatrisent le plus vite. » Et je voudrais citer aussi Michel Houellebecq, pour lequel j’ai une tendresse sans limites. Il m’a rendu un hommage espiègle en me disant : « Quelqu’un qui est autant critiqué par certains médias ne peut pas être totalement mauvais. »

Vous parlez de courage, mais vous avez viré le malheureux Christophe Billan de la présidence de Sens commun parce qu’il proposait de dialoguer avec Marion Le Pen.

Je n’ai viré personne ! Je ne suis jamais intervenu dans la gouvernance de Sens Commun.

Pourquoi ne pas pousser la transgression jusqu’à vous rapprocher du Front national ?

Parce que le Front national n’apporte rien à ma vision et à mon projet. Il y a chez ses dirigeants une vision extrêmement rabougrie, diminuée et caricaturale de la France et je ne suis pas du tout sûr qu’ils se soient tous vraiment débarrassés de l’antisémitisme. En réalité, ces gens-là sont la meilleure façon de tuer nos idées.

A lire aussi: la première partie de notre entretien avec Laurent Wauquiez

Tous les « martyrs » ne se valent pas

1
Commémoration de l'attentat du Bataclan, novembre 2017. SIPA. AP22129312_000002

A Berlin, des artistes ont associé dans une œuvre toutes sortes de « martyrs » ou prétendus tels, de Socrate à Maximilien Kolbe en passant par des terroristes djihadistes. A première vue, on croirait relire le texte de Nicolas Mariot sur Robert Hertz et Mohamed Merah, à ceci près que Libération a rédigé un article factuel et complet sur le sujet, une fois n’est pas coutume.

Préférer le débat à la censure

Cette « affaire » a au moins le mérite de nous permettre de nous poser quelques questions, ce qui au vu des diverses réactions est loin d’être inutile.

Faut-il laisser faire ? Interdire cette œuvre ? Ou, comme l’a fait une association de victimes, demander qu’en soit retiré tel ou tel portrait ?

Y a-t-il une glorification des terroristes ? Y a-t-il le message, explicite ou implicite, que ce qu’ils ont fait « n’est pas si grave », voire une incitation à soutenir leur cause ou, pourquoi pas, à imiter leurs actions ? Si oui, il s’agit d’apologie du terrorisme, ce qui est sanctionné par le droit français – j’ignore ce qu’il en est dans le droit allemand qui, naturellement, doit s’appliquer en l’espèce. Si non, rappelons qu’on peut vouloir comprendre sans chercher à excuser et encore moins à justifier ni à encourager. Si cette tentative de compréhension conduit à des amalgames maladroits ou à des conclusions stupides, c’est fort regrettable mais ce n’est pas illégal.

A lire aussi: Balthus, Schiele, Facebook : cachez cet art que je ne saurais voir !

Interdire la propagande ennemie est légitime, combattre sans relâche ses arguments est indispensable, mais il faut aussi garder à l’esprit que la liberté d’expression est très précisément la liberté pour les autres de tenir des propos que je trouve scandaleux. Au demeurant, je ne peux réfuter qu’une opinion exprimée, et je préfère les débats à la censure.

L’art de la confusion

Reste ce qui est, je pense, la question essentielle : ce « mur des martyrs » entretien-t-il la confusion ou au contraire cherche-t-il à faire toucher du doigt le fait que ce mot, « martyr », peut recouvrir des réalités radicalement différentes les unes des autres ? Est-ce une nouvelle et délétère manifestation du relativisme moral, ou une tentative courageuse mais incomprise de s’arracher à ce relativisme ?

A la suite de la polémique, artistes et organisateurs n’ont pas manqué de souligner que les individus exposés « ont été désignés comme martyrs par un État, une religion ou une organisation. Aucun ne l’a été par les artistes ». « Le terme martyr est utilisé de manière très différente dans notre pays et dans d’autres pays ou cultures, comme les musées des martyrs en Iran ou en Irak qui honorent les personnes que nous considérons comme des meurtriers et des terroristes. »

Que faire de ce constat ? Certains, hélas, se hâteront d’en conclure que « tout est relatif », « tout est une question de point de vue », « tout est subjectif » et donc in fine « tout se vaut ».

Mais on pourrait aussi explorer les différences, se demander ce que le sens qu’un « État, une religion ou une organisation » donne au terme de martyr révèle sur cet État, cette religion ou cette organisation.

Une thèse ne suffirait pas à en faire le tour, mais voici un florilège de ces précieuses nuances qu’il serait bon d’avoir à l’esprit.

Tous n’est pas relatif

Être assassiné par surprise, ou aller consciemment à la mort ? Mourir pour ses idées parce que l’on refuse d’employer la force pour se défendre, ou mourir au combat pour frapper ses ennemis le plus durement possible ? Tuer des combattants, ou tuer des civils ? Accepter de mourir si c’est nécessaire, ou désirer cette mort dans un moment d’exaltation ? Seuls les morts sont-ils martyrs, ou ce terme s’applique-t-il aussi à ceux qui ont profondément souffert pour leur cause ? Les victimes peuvent-elles être martyrs, ou cela suppose-t-il d’accepter préalablement les sacrifices imposés, ou du moins le risque de ces sacrifices ? Mourir pour ses convictions est-il toujours un don de soi, ou parfois une manière de s’accaparer la cause que l’on revendique ? Faut-il plus de courage pour mourir dans la gloire ou pour vivre humblement ? Une noble mort efface-t-elle toujours les turpitudes de la vie ? Quels honneurs pour les morts pourraient être à la hauteur du sacrifice qu’ils ont consenti ? Dans quels cas ce sacrifice ennobli-t-il la cause défendue, et dans quels cas en souligne-t-il l’absurdité ? La monstruosité de certaines causes doit-elle faire oublier le courage et le dévouement, le courage et le dévouement doivent-ils faire oublier la monstruosité ? Qu’est-ce qui fait que quelqu’un puisse mourir pour ses convictions, qu’est-ce qui fait qu’il puisse tuer pour elles ? Quand est-ce ou n’est-ce pas légitime ? Pourquoi, pour quoi ou pour qui serions-nous nous-mêmes prêts à mourir ? A tuer ?

Au-delà des exemples donnés dans l’exposition, il faudrait aussi par exemple nous référer à l’admirable oraison funèbre prononcée par Périclès – sans doute l’un des meilleurs hommages aux morts de tous les temps – ou examiner les polémiques autour du sanctuaire Yasukuni au Japon (les anglophones curieux de ce sujet peuvent lire l’excellente étude d’Akiko Takenaka, dont les grandes lignes sont résumées ici).

Du peu que j’en sais, j’ai bien peur que le « mur des martyrs » se contente de tout mettre sur le même plan dans l’égalité superficielle de « mourir pour ses convictions ». Si c’est effectivement le cas, c’est choquant et stupide.

Mais cela ne doit pas nous empêcher de profiter de l’occasion pour réfléchir. Et, qui sait ? En suscitant le débat, de mettre en évidence des nuances que l’on ne prend généralement pas la peine de conceptualiser, et de pousser à la prise de conscience que tout n’est pas relatif.

Tous les « martyrs » ne se valent pas, et ceux que nous choisissons d’honorer en disent beaucoup sur ce que nous décidons d’être.

Les Rien-pensants

Price: 23,56 €

23 used & new available from 3,97 €

« Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… »

0
Johnny Hallyday à Namur en 2013. SIPA. 00660168_000006

Mon premier Johnny, je l’ai rencontré en 1960, à l’âge de 11 ans, un jour que ma cousine Lydia me mit sous l’oreille Souvenirs, souvenirs. Autour de nous, les attentats se déchaînaient dans l’Algérie sanglante de la fin. Avec lui, j’entrai de plain-pied dans la fureur du rock qui me délivrait des angoisses de l’adolescence commençante et des incertitudes du temps, alors que nos parents vacillaient sous le poids de l’avenir incertain.

Johnny n’était pas un plouc

Ma deuxième rencontre eut lieu à l’Olympia, pour l’anniversaire de mes 15 ans, concert que ma tante Odette – prise soudain d’un accès incongru de modernité – m’avait offert. Je n’oublierai jamais la chorégraphie pataude de Si vous cherchez la bagarre et la frénésie finale de I Got a Woman.

Ce soir-là, je pénétrai dans le monde nouveau du yé-yé, du cuir, et de l’Amérique fantasmée (sans oublier ma fascination devant ses exploits de gardian improbable dans D’où viens-tu Johnny ? qui fit rigoler la critique et me fit, moi, me précipiter pour acheter un pantalon gardian gris au liséré noir. Hélas, je n’en trouvai pas à ma taille, déjà un peu hors normes…).

La troisième et dernière se déroula dans les salons de l’hôtel Raphaël, un jour de septembre 1999 où je vins dresser son portrait pour Libération. J’avais emporté de haute lutte le privilège de l’interviewer contre une collègue, groupie non moins véhémente que moi au milieu d’une rédaction qui se gaussait de nos ferveurs de midinette. Rencontre mémorable, intime, loin du Johnny « ah que je… » caricaturée par la bien-pensance parisienne. Nous avons échangé quelques aperçus sur l’esprit « réac » dont le taxaient les intellos et autres antifas de l’époque, ses relations avec Chirac et Marchais. Inutile de dire que je revins à ma rédaction, fier comme un paon, m’échinant à prouver que Johnny n’était pas un plouc. Peine perdue. Seule ma collègue frustrée reçut avec ferveur mon récit qui, à mesure que je le déroulais, revêtit les couleurs d’une épopée. Depuis, nous partagions cet engouement comme des jeunes filles de pensionnat leurs amours secrètes.

Paris préfère Biolay…

Le directeur de rédaction de l’époque me déclara : « Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… » Les directeurs passent, Johnny reste pour l’éternité.

A lire aussi: Ah que France Culture il aime pas Johnny Hallyday!

Je retrouve cet amour de notre idole chez les gens de ma génération. Les sexagénaires qui ont rompu avec le vieux monde de leurs parents. Dans les bistrots. Au stade. Ou chez Daniel Rondeau, fameux fan de Johnny, inattaquable (?) caution intellectuelle aux yeux des petits marquis qui se pâment devant Benjamin Biolay ou les borborygmes des rappeurs semi-incultes.

Le dépuceleur des sixties

Et je prétends que les déchaînements des « blousons noirs » du concert de la Nation du 22 juin 1963 ont ouvert la voie au monôme petit-bourgeois de mai 1968.

Salut les copains était ma Bible, l’idylle entre Johnny et Sylvie, mon Tristan et Iseut. Johnny m’a fait découvrir Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley (ma deuxième idole), le blues, le rythm’n blues. Il m’a dépucelé des langueurs mièvres de la chanson française d’alors.

Comme des milliers d’autres fans, aujourd’hui, je suis orphelin. Il me reste Eddy Mitchell et Jacques Dutronc (ma troisième idole). Ne partez pas trop vite !

Johnny, tu es parti. Je retiens, jusqu’à mon dernier souffle, la nuit électrique du rock. Et des amours noires.

Balthus, Schiele, Facebook : cachez cet art que je ne saurais voir !

0
Affiches publicitaires de l'office du tourisme de Vienne en réponse à la censure des oeuvres d'Egon Schiele en Allemagne et en Angleterre, décembre 2017. Photo: Christian LENDL / VIENNA TOURIST BOARD / AFP

« De nouvelles libations à Cypris terminèrent cette seconde épreuve et l’on m’interrogea. Ô mon amie ! dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. Je suis jeune, innocente, timide, peu faite aux plaisirs dont je viens d’être comblée, il serait possible que je me trompasse sur l’espèce et la nature de ces plaisirs en eux-mêmes, mais vous me demandez ce que j’ai senti, je le dis. »

A lire aussi: Balthus: une censure peut en cacher une autre

Mon père travaillait alors à l’Evêché — ainsi appelle-t-on ici l’office central de la police marseillaise. Il en avait profité pour mettre la main sur toute une série d’ouvrages alors interdits par la censure pudibonde de la Vème République commençante et saisis par la maréchaussée. C’est ainsi que vers 10 ans, ayant épuisé notre maigre bibliothèque de bas en haut, je tombai sur Histoire d’O et les tribulations de Justine puis de Juliette, les uns et les autres dans l’édition d’origine de Jean-Jacques Pauvert, régulièrement poursuivi dès qu’il imprimait et diffusait ces petits chefs d’œuvre.

Egon Schiele censuré

La petite citation ci-dessus est extraite de l’Histoire de Juliette — et quelques lignes plus loin, Delbène conclut une séance de fouterie particulièrement approfondie par ces mots ailés, comme dit Homère : « Vous m’avez fait mourir de volupté, asseyons-nous, et dissertons. »

Et je profitai de la philosophie sadienne comme j’avais profité de sa mise en application.
J’avais dix ans. Quelques années plus tard, mon prof de philo, l’immense Michel Gourinat, nous donna comme sujet, en khâgne, « l’immoralité ». Arguant que le problème que posait ce sujet était dans le –ité qui mettait en action cette anti-morale, j’alternai dans ma dissert’ scènes de cul et raisonnements philosophiques. Je décrochai ainsi la meilleure note, résultat peu couru d’avance avec un maître aussi exigeant : mais un maître qui ne l’est pas est-il encore un maître ?

« Désolé, âgées de 100 ans, toujours trop osées pour aujourd’hui »

Pourquoi pensais-je à cette minuscule anecdote ? Parce qu’Anastasie est de retour dans notre société jadis permissive, désormais pudibonde. Sauf que la censure jadis générée par les ligues de vertu l’est aujourd’hui par les ligues féministes et leurs émules. Jamais l’injonction de Tartuffe — « Cachez ce sein que je ne saurais voir » — n’a été si prégnante. Dernier épisode en date de ce retour des grands ciseaux, la réaction outrée des autorités allemandes et anglaises devant les affiches annonçant la grande rétrospective Egon Schiele (on va célébrer l’année prochaine le centenaire de la grippe espagnole qui l’emporta, à 28 ans — lui, sa femme et son enfant à naître, et Apollinaire en sus, et 100 millions de pékins d’après les estimations les plus récentes).

Censure bénie pour l’office du tourisme de Vienne, qui a immédiatement répliqué en fournissant des affiches à carré blanc qui expliquent que cent ans après, le grand artiste viennois est toujours aussi scandaleux.

Cela rejoint la censure méticuleuse exercée par Facebook. Un instituteur amateur d’art se bat depuis 2011 contre la société de Zuckerberg, qui…

>>>  Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli  <<<

 

C'est le français qu'on assassine

Price: 161,37 €

7 used & new available from 64,76 €



Laurent Wauquiez: « Quand la droite s’assume, elle rayonne »

0
Laurent Wauquiez. Photo: Hannah Assouline

Identité, Europe, immigration, ancrage à droite: avant même son élection prévisible, Laurent Wauquiez, le candidat à la présidence des Républicains revendique sa rupture avec l’héritage de la droite gestionnaire. Entretien exclusif (1/2). 


Causeur. Il y a un an, François Fillon gagnait haut la main la primaire de la droite. Tout le monde pensait, nous compris, qu’il allait être président de la République. Son échec est-il seulement imputable aux affaires ou a-t-il des causes plus profondes ?

Laurent Wauquiez. François Fillon a perdu à cause de l’instrumentalisation des affaires. Je lui suis très reconnaissant de ne pas avoir cherché à jeter son programme en pâture pour acheter la clémence de la meute. En cela, il a fait preuve de courage, car toute une partie de la droite essaie d’expliquer qu’on aurait perdu les deux dernières présidentielles, 2012 comme 2017, parce qu’on aurait trop défendu nos valeurs. Je crois exactement l’inverse : le problème de la droite française, ce n’est pas de trop en dire, c’est de ne pas assez en faire. Quand la droite se trahit, elle se recroqueville, quand elle s’assume, elle rayonne.

La formule est belle, mais vous ne nous ferez pas croire que la déconnexion entre LR et les Français s’explique par une histoire de costumes.

J’ai la conviction que les valeurs auxquelles les Français sont les plus attachés supposent un programme résolument et sereinement à droite. Le doute qui s’est instillé dans notre rapport avec les Français ne porte pas sur nos valeurs, mais sur notre capacité à tenir nos engagements. Au printemps, la France s’est retrouvée dans ce paradoxe hallucinant : elle se réveille avec un président de la République libéral-libertaire, l’exact inverse de ce que le pays attendait ! Aboutissement logique de cette supercherie, Macron est tombé à une vitesse ahurissante dans les sondages.

Des individus comme Thierry Solère resteront comme la parfaite incarnation de Iago

Le Premier ministre de ce libéral-libertaire vient d’interdire l’écriture inclusive et il joue plutôt la verticalité que l’horizontalité soixante-huitarde.

Je me félicite que le « point médian », la forme la plus caricaturale d’écriture inclusive, soit rejetée, mais méfions-nous du « en même temps ». Les sites des ministères sont truffés d’écriture inclusive, y compris celui de l’Éducation nationale. Le ministère du Travail promeut l’utilisation de l’écriture inclusive en entreprise, Emmanuel Macron et son gouvernement n’ont que le ridicule « celles et ceux » à la bouche. C’est avoir une piètre image des femmes que de penser les défendre par cette novlangue indigeste. Quant à Mai 68, Emmanuel Macron est le premier président à vouloir le commémorer, ce n’est pas anodin. Je préfère que la France célèbre Austerlitz, Valmy ou l’Appel de Londres.

Reste qu’Emmanuel Macron est très populaire dans une frange de l’électorat de droite qui ne vous apprécie guère. N’auriez-vous pas intérêt à revenir sur la fiction d’une « droite rassemblée » dans un « grand parti » ? Quitte à vous séparer calmement de Juppé et de quelques autres, vous gagneriez en cohérence idéologique.

On a déjà perdu tous ceux qui avaient comme seul courage leur traîtrise. Bon vent ! La lâcheté les a même empêchés de partir totalement, parce qu’ils se sont dit : « On ne sait jamais, si le vent tourne à nouveau ! » Des individus comme Thierry Solère resteront comme la parfaite incarnation de Iago.

Ces noms d’oiseaux sont-ils nécessaires alors que vous avez de réelles divergences de fond ?

Après la primaire, ces gens-là se sont roulés par terre pour occuper des postes dans la campagne de François Fillon. Ils ont découvert leurs divergences idéologiques en même temps que la victoire d’Emmanuel Macron. C’est l’opportunisme en marche. Pour le reste, je reste convaincu qu’un rassemblement est possible, mais à condition de le faire dans le bon sens – dans les deux sens du terme. Jusque-là, l’UMP puis Les Républicains ont défini le cap en fonction du rassemblement alors qu’il faut faire exactement l’inverse. Fixons clairement le cap, le rassemblement se fera sur ce cap. Il doit y avoir un projet non négociable qui est la terre promise où amener le vaisseau.

Je veux nouer un pacte fondateur avec tous ceux qui refusent que la France change de nature

Si vous présidez le parti, inciterez-vous vos opposants de l’intérieur à quitter LR ?

Au contraire, une fois le cap défini, je suis tout à fait prêt à accepter des paroles différentes. J’ai autour de moi des personnalités comme Virginie Calmels, qui est beaucoup plus libérale que moi, Éric Ciotti, qui est extrêmement déterminé dans le domaine régalien, ou Jean-Claude Gaudin, qui est issu du centrisme. Ce rassemblement ne doit pas aboutir à faire une soupe indigeste, mais a vocation à créer un débat. Je crois à cet adage de Montaigne selon lequel il n’y a rien de plus fertile que de « frotter sa cervelle contre celle d’autrui ». Mais mon parti a fait tout le contraire. Aux dernières élections européennes, les grands chapeaux à plumes de ma famille politique m’ont interdit de mettre mes propositions sur la table ! Qu’on ne soit pas d’accord avec mes idées, pas de problème, mais qu’on m’interdise de les défendre, c’est autre chose !

Il n’y a pas seulement deux lignes au sein de votre parti – l’une, libérale et européenne, l’autre, identitaire et populiste – mais aussi deux sociologies au moins, que René Rémond aurait qualifiées de bonapartiste et d’orléaniste. Il y a bien une droite populaire et une droite plus bourgeoise. Comment concilier ces groupes aux intérêts parfois contradictoires ?

Je veux nouer un pacte fondateur avec tous ceux qui refusent que la France change de nature. Certes, il y a des différences sociologiques entre le bourgeois conservateur et l’ouvrier déclassé victime de la désindustrialisation. Mais ils ont en commun l’attachement à la transmission, à la permanence, le sentiment profond et presque charnel qu’on a mis notre pays la tête à l’envers. Et cette volonté est beaucoup plus forte que les différences socio-économiques. Au-delà des catégories sociales, la majorité silencieuse des Français refuse qu’on détruise avec autant d’acharnement ce qui fait la France.

Pouvez-vous être plus précis ?

On a sabré toutes les fondations de la France. Les exemples sont légion. La méritocratie républicaine a cédé devant le nivellement par le bas. Notre société du travail a laissé place à la société des loisirs. La France du respect a basculé dans l’idée qu’il est interdit d’interdire. La République laïque est rongée de l’intérieur par le communautarisme. C’est d’ailleurs ma différence ontologique par rapport à Emmanuel Macron, qui est prêt à accepter que la France se renie pour monter dans le train de la mondialisation.

Dès lors que Macron investit le champ économique, la droite n’a plus rien !

En quoi voyez-vous Emmanuel Macron renier la France ?

Le multiculturalisme, le communautarisme assumé, le fait de se diluer totalement dans la mondialisation, de vendre nos fleurons industriels, d’accepter les vagues d’immigration massive : tout son logiciel est libéral-libertaire. Au fond, la phrase qui le traduit le mieux, c’est celle où il explique qu’en France, il y a « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Philippe Muray le disait très bien : les « élitocrates » ont besoin de « ploucs émissaires ».

Vous ne pouvez pas parler de communautarisme assumé. Au fond, n’est-ce pas le primat de l’économie qui vous distingue du président de la République ?

Absolument, mais cela me distingue également de la droite des techniciens à petits pieds. Depuis trente ans, certains dans ma famille politique ont accumulé une telle série de démissions et de renoncements idéologiques que le seul sujet qu’ils s’autorisent à débattre, c’est la bonne gestion des déficits comptables. Tout cela pour savoir si le déficit doit être à 2,9 ou 3,1 % du PIB… Ceci explique d’ailleurs que toute une partie de la droite soit déboussolée : dès lors que Macron investit le champ économique, elle n’a plus rien !

Or, si j’estime que Macron ne fait pas le travail sur le plan économique – si ce n’est d’avoir bougé quatre articles du Code du travail –, je récuse également sa vision de la liberté. Il n’incarne pas le libéralisme à la française, mais le libéralisme anglo-saxon, sans intérêt général, sans protection, ouvert aux quatre vents.

Avouez que tout ne vous déplaît pas dans la politique du gouvernement. Jean-Michel Blanquer était également pressenti pour diriger l’Éducation nationale en cas de victoire de la droite.

Jean-Michel Blanquer est le ministre que je préfère. J’applaudis son action sur certains sujets : la réforme de l’orthographe, le retour du grec et du latin, mais pas sur la démission de la laïcité ou le recul face au communautarisme. Quand un ancien principal sort un livre poignant sur les démissions quotidiennes dans l’Éducation nationale (Bernard Ravet, Principal de collège ou imam de la République ?, Kero, 2017), entend-on le ministre ? Ce silence est emblématique des désertions du macronisme. Notre président n’a pas de ligne politique claire, car il n’a aucune vision profonde. Son seul projet politique est « soit mon parti unique, soit les extrêmes ».

Macron rend un grand service à la droite en l’obligeant à se réinventer

Ne sous-estimez-vous pas la cohérence de votre adversaire, qui a su réunir sur un plan sociologique et politique des gens qui partagent à peu près une vision commune, ce que Marine Le Pen appelait « l’UMPS » ?

Très bonne nouvelle : je le lui laisse ! En réalité, il rend un grand service à la droite en l’obligeant à se réinventer. Nous sommes sur un champ de ruines, toute une génération a été décapitée : c’est le moment de toutes les audaces ! À nous de répondre à la question suivante : quelle est l’utilité de la droite ?

Bonne question ! Qu’y répondez-vous ?

Je crois à ce que la philosophe Simone Weil appelait la continuité historique. Pour réussir, la France doit retrouver ce qu’elle est. Réussir dans la mondialisation n’empêche pas de rester un peuple.

Vous nous tendez la perche : un peuple ne peut pas vraiment rester lui-même en subissant des vagues d’immigration massive non assimilées. À ce propos, à quoi attribuez-vous l’échec de l’intégration depuis trente ans ?

Certains feignent de croire que l’échec de l’intégration, la montée du communautarisme et l’islamisme ne sont qu’une question économique. En gros, s’il n’y avait pas de chômage en banlieue, on n’aurait pas d’intégrisme. Bien sûr que les problèmes économiques aggravent les difficultés, mais à la base se pose une question anthropologique. Au début des années 1980, nos élites ont fait le choix de déconstruire la France. Du creuset républicain, dans lequel le nouvel arrivant pouvait devenir français à condition d’adhérer totalement à l’extraordinaire générosité de la France, on est ainsi passé au culte de la diversité. Le modèle français est souvent caricaturé : quand Nicolas Sarkozy évoquait « nos ancêtres, les Gaulois », en réalité, ce n’était pas un archaïsme consistant à dire que tous les Français étaient des Gaulois, mais une façon de rappeler que notre pays offre son patrimoine historique et culturel à tous ses enfants, qu’ils soient français de naissance ou d’adoption.

Croyez-vous vraiment que les « élites » – et lesquelles ? – ont choisi de déconstruire la France ? N’y a-t-il pas plutôt une accumulation de décisions à courte vue qui se sont combinées aux effets de l’individualisme triomphant ? 

Depuis mai 1968, la gauche n’a eu de cesse de reprendre et de mettre en pratique ce qu’avaient inventé les philosophes « d’avant-garde » de la seconde moitié du xxe siècle. Gilles Deleuze s’attaquait aux « racines » et faisait l’éloge du « nomadisme ». Michel Foucault disséquait les « institutions disciplinaires » et appelait au « sabotage de l’État ». Pierre Bourdieu voyait dans toute notre société, y compris dans la langue française elle-même, des sources de « violence symbolique » qu’il s’agissait de combattre. Enfin, Jacques Derrida a popularisé le mot magique, celui qui permettait de justifier toute mise à bas des traditions et des valeurs françaises : la « déconstruction ». Toutes ces idées ont infusé dans la gauche politique et ses alliés médiatiques. Ils les ont transformées en vulgate simpliste, dangereuse et agressive : l’idéologie de la déconstruction. C’est Najat Vallaud-Belkacem qui explique qu’il faut « déconstruire les préjugés de genre ». C’est Jacques Attali qui dit que « l’arrivée des migrants est une incroyable chance ». C’est Emmanuel Macron qui affirme qu’il « n’y a pas une culture française ». C’est Marlène Schiappa qui dénonce la diffusion de la messe sur France Télévisions. C’est une députée de la France insoumise qui défend le droit de clamer « Nique la France » et qui se trouve mal à l’aise à l’idée de prononcer à la radio les mots « Vive la France ». Ce sont à ces signaux que l’on reconnaît leur attachement au grand projet de la déconstruction. Ces gens-là ne naviguent pas à vue. Ils ont une ambition : détruire ce qui formait jusqu’ici le cœur de notre pays.

Retrouvez bientôt la suite de cet entretien sur Causeur.fr

Johnny d’Ormesson, Janus aux deux belles gueules

0
jean ormesson johnny hallyday
Jean d'Ormesson. Johnny Hallyday. Sipa. 00738220_000023 / Shutterstock40616717_000005 .

A première vue, tout les sépare, sauf le triste hasard chronologique qui les a fait mourir à quelques heures de distance. Jean Lefèvre d’Ormesson, descendant d’une lignée de noblesse de robe, grand journaliste de droite, écrivain élégant et ironique, a vécu dans un autre monde que Johnny. Jean-Philippe Smet, prolétaire franco-belge, chanteur viscéral, a commencé par transposer chez nous des airs américains avant de chanter des chansons françaises pleines de l’énergie d’outre-Atlantique. Il n’a sans doute jamais lu Au plaisir de Dieu ou Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Non qu’il manquât de culture ou de curiosité, mais le scepticisme souriant de l’écrivain est trop éloigné de la rage passionnelle qui habite Noir c’est Noir ou Les Portes du Pénitencier. Aucun point commun, vraiment ? Regardons de plus près.

Courageux jusqu’au bout

Dans une France ravagée depuis des décennies par la haine du travail et la construction d’une société d’assistanat, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday furent tous deux des héros de l’énergie. Le journaliste-écrivain rédigeait ses romans et ses articles du Figaro, il menait une vie mondaine, politique et militante très active et son agenda a dû être plein à ras-bord jusqu’à ses derniers jours. L’énergie herculéenne du chanteur l’a poussé à monter sur scène alors qu’il était malade, et il nous a encore offert l’été dernier le roboratif spectacle des Vieilles Canailles.

Une interprétation mesquine consisterait à dire qu’il ne pouvait pas dételer par goût des applaudissements, je préfère admirer ce courage jusqu’au-boutiste. Une légende espagnole prétend que le Cid Campeador fut ligoté mourant sur son cheval et que son cadavre cavalcadant effraya l’armée musulmane qui assiégeait Valence.

Jean et Johnny se sont construit ce qu’on ne peut appeler autrement que des tronches. On a dit que les hommes ont à vingt ans le visage que la nature leur a donné et à quarante celui qu’ils méritent. Jean d’Ormesson qui attirait les photographes comme le miel attire les mouches s’est fabriqué méthodiquement une figure qui ressemble totalement à son œuvre : des yeux pétillants d’humour et d’intelligence, des lèvres sensuelles d’homme qui aime les femmes et le vin, des rides amères autour de la bouche, des rides qui disent : j’aime la vie, j’aime l’humanité, mais je ne suis pas dupe du mal que l’une et l’autre peuvent faire. A l’aide du tabac, de l’alcool, des nuits d’amour et des stupéfiants de diverses sortes (dont le « stupéfiant image » des surréalistes, c’est-à-dire la poésie considérée comme la plus efficace des drogues), Johnny s’est sculpté une tronche magnifique. Il ressemblait à un faune, à un loup qui hurlait jusqu’au fond de nos cœurs. Il était devenu une icône aux deux sens d’image qui réclame une vénération religieuse et de symbole de la modernité la plus criante.

Johnny obsédé par sa gueule

Ces deux-là ont-ils éprouvé de la fascination pour autre chose que leur propre image ? J’en doute un peu, tout en sachant que la fascination narcissique peut engendrer de grandes œuvres, comme celle de Chateaubriand. « Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Si tu veux te la payer, je te rends la monnaie » : c’est saisissant parce que dans cette chanson le narcissisme appelle tout de suite son corollaire : l’agressivité envers autrui. Dans Que je t’aime le chanteur s’extasie d’abord sur sa propre force d’amour dans le refrain, accessoirement sur la femme aimée dans les couplets. Proust fut obsédé par le temps perdu, Aragon fut obsédé par Elsa Triolet, D’Ormesson fut obsédé par la personnalité charmeuse et désillusionnée de d’Ormesson, Johnny Hallyday fut obsédé par la gueule virile et poignante de Johnny Hallyday. Dans ces deux œuvres la place de l’autre, qu’il soit amant, ami ou simplement homme de la rue, me paraît réduite à un strapontin. A ce titre, les deux artistes sont vraiment des « héros de notre temps » comme dirait Lermontov, de grands individualistes férocement narcissiques avant tout soucieux de leur succès et de leur épanouissement.

D’Ormesson patriote napoléonien

Loin de moi la volonté de les rabaisser, mais il faut souligner que beaucoup d’œuvres majeures dissimulent le plus possible l’existence de leur auteur. Flaubert se voulait « absent » de ses romans, Proust pensait que le « moi social », celui qui connaît et fréquente les autres, n’a que très peu de rapport avec le « moi profond », le « moi créateur ». Pierre Louÿs, Céline, Henri Michaux et plus près de nous Michel Houellebecq se sont fait photographier le moins possible et ont détesté la propagation de leur image dans l’espace public. Que restera-t-il d’Ormesson et de Hallyday lorsque leur flamboyante image se sera ternie dans les souvenirs de leurs admirateurs ?

Autre chose de gênant. Entre ces deux-là et la France, il n’y a pas de réciprocité d’amour. Ou alors une réciprocité très imparfaite. « Jean d’Ormesson, c’est la France » proclame L’Express. Nul doute que l’écrivain ait été un patriote à l’ancienne. Dans La Gloire de l’Empire, il a le bon goût de célébrer un Napoléon qu’il est aujourd’hui à la mode de dénigrer. Le Monde publiait il y a quelques années le blog d’une ignorante institutrice de Corrèze qui y écrivit fièrement : « Ce matin j’ai fait à mes élèves un cours sur la dictature de Napoléon ». « Dictature » ? J’ai failli faire le voyage de Tulle pour aller lui tirer les oreilles et lui poser sur la tête un bonnet d’âne. Je n’ai vu chez Jean d’Ormesson aucune trace de sympathie ou de pitié pour la France d’aujourd’hui, celle qui est gravement menacée dans son être par l’immigration de masse et la mondialisation. Mais peut-être ai-je insuffisamment cherché. L’écrivain devait fréquenter rarement la RATP.

Qui es-tu, Johnny ?

La dissymétrie est encore plus voyante avec Johnny Hallyday. Il est depuis longtemps idolâtré par la France entière et nous allons voir ces jours-ci se déclencher un tsunami de tristesse, de pleurnicheries publiques et privées, chacun de nos nombreux et onéreux ex-présidents de la République va y aller de son trémolo, il y aura peut-être des émeutes du chagrin comme il y en eut à Moscou à la mort de Staline. Mais lui, au fait, aimait-il la France ? D’amour charnel comme Péguy, la réponse est évidemment non. Il l’aimait, comme beaucoup de Français, en tant que commodité, pays où les hôpitaux sont gratuits et efficaces. « Ne m’appelez plus jamais France, car la France elle m’a laissé tomber » n’est pas un vers de Johnny, mais de Michel Sardou.

Gérard Depardieu m’émeut jusqu’aux larmes dans ses interviews. Il a la France chevillée au corps par son enfance, par ses films bretons ou charentais, par sa passion de la viticulture. Il a choisi la Belgique puis la Russie par dépit amoureux, comme un homme qui courtise ostensiblement deux amies de sa femme pour que celle-ci redevienne amoureuse de lui et retombe dans ses bras. Johnny est un Américain imaginaire jusque dans le nom qu’il s’est donné, et ses nostalgies d’enracinement l’entraînaient plus vers Malibu que vers Châteauroux.

Les 100 Plus Belles Chansons

Price: 76,00 €

22 used & new available from 28,50 €




La mère « matrie » arrive en Italie !

0
Portrait de Michela Murgia, mai 2016. Photographie ©Leonardo Cendamo/Leemage

Grâce à Facebook, j’ai appris fin novembre que le groupe EELV au Conseil de Paris avait émis un vœu linguistique pour qu’on parle désormais de « Journée du matrimoine et du patrimoine ». Une semaine plus tard, c’était au tour de Québec solidaire, l’équivalent local des Insoumis, de réclamer une décision similaire dans la Belle Province. Excusez ma franchise, camarades antisexistes, mais tout ça, c’est petit bras.

« Dans le mot “patrie”, les mères n’existent pas. »

Chez nous en Italie, les théoriciennes du néoféminisme ne se contentent pas de demi-mesures dans leur lutte contre le vocabulaire imposé par le mâle blanc hétérosexuel. La plus célèbre d’entre elles, Michela Murgia, vient ainsi de réclamer dans L’Espresso une substitution lexicale radicale : « Le concept de patrie n’a fait que des dégâts. Il faut qu’on commence à parler de matrie. » En vertu de quoi « il faut une nouvelle catégorie, qui arrache à la racine le machisme, strictement lié au concept de patriotisme ».

Bien sûr, cet argumentaire est assorti de tous les grigris géopolitiques des partisans du village global : « Dans un monde où les frontières qui séparent les terres ont bougé mille fois et où les cultures se mélangent sans cesse, le fait de dire “ma patrie” pour désigner une terre précise n’a aucune signification sur le plan logique et géologique. » La conclusion de Murgia est sans appel : « Dans le mot “patrie”, les mères n’existent pas. » Le fait que notre langue italienne ait consacré depuis des siècles l’expression « madre patria » doit donc être considéré comme un détail insignifiant, voire réactionnaire.