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Tu l’as vue ma vertu ?

Hier, alors que le Premier ministre proposait d’abolir enfin l’esclavage en France, Richard Gere dénonçait dans un texte un «génocide» en cours à Gaza, et Juliette Binoche faisait une apparition remarquée à Cannes en burqa chic.


Je veux aujourd’hui parler du Festival de Cannes. Mais pas seulement. Devinette : quel est le point commun entre François Bayrou et Richard Gere ? Réponse dans cet édito.

Le festival est de retour avec les marches et le glamour. Un glamour très sérieux car il parait qu’il ne doit plus y avoir de robe dénudée sur les marches cette année. Les actrices sont priées d’être décentes, selon les instructions données par le festival. Déjà qu’on est désormais privés des frasques sexuelles des stars, on n’aura même plus leurs robes… Rendez-moi les années 70 !

Et comme chaque année, c’est aussi la révolution en tenue de gala. Grande cause et haute couture ! L’an dernier, MeToo tenait la corde, on annonçait que des têtes glorieuses allaient tomber, les journalistes salivaient. En 2025, la tendance est à Gaza. Richard Gere, Almodovar, Costa-Gavras, Julie Delpy et quelques autres sommités signent un texte intitulé « À Cannes, Gaza ne doit pas être silenciée ». Il me semble en réalité qu’on en parle beaucoup – et à raison. Il est tout à fait légitime de se soucier du sort des Palestiniens de Gaza, mais le narratif du Hamas est adopté dans ce texte, ce qui est plus problématique. Il mentionne pour la forme les terribles massacres du 7-Octobre, puis embraye sur le « génocide » (un terme qui signifie juifs = nazis). La tribune accuse l’armée israélienne de cibler délibérément des civils et des journalistes, avant de rappeler que l’art doit lutter contre le fascisme…

Et pour conclure cette belle journée, Juliette Binoche bizarrement fagotée dans une burqa chic, dénonce les « guerres, misères, le dérèglement climatique et la misogynie primaire ». Et l’exploitation des enfants, elle s’en fout ? La Révolution commence sur la Croisette, c’est un beau titre de film.

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Je suis ironique, mais quel est le rapport avec François Bayrou, me demanderez-vous ?

J’y viens. Vous admettrez que tout ce sirop humanitaire n’améliorera pas le sort d’un seul Palestinien. D’ailleurs, ce n’est pas le but. François Bayrou, c’est la même chose. Il a annoncé hier qu’il allait faire une loi pour abroger le Code noir. Ce texte de 1685 prévoyait les châtiments et règles horribles applicables aux esclaves.

Rappelons que la France n’est pas la seule à avoir pratiqué l’esclavage, mais qu’elle est une des premières à l’avoir aboli en 1848. Nous avons des lois, des cérémonies sur la mémoire de l’esclavage. Son abomination est enseignée à l’école. Le Code noir n’a évidemment aucune réalité en France, c’est un objet historique et il est tout de même curieux d’avoir à le dire ! La France est surendettée, rongée par l’insécurité, fracturée de toutes parts, mais Bayrou veut abroger un texte tombé en désuétude depuis deux siècles. Il mène un combat sans ennemi.

M. Bayrou ne combat pas plus l’esclavage que les festivaliers de Cannes ne luttent pour Gaza. Ils veulent tous montrer leur belle âme. Donner des gages, faire partie des beaux esprits de ce monde, montrer comme ils ne sont pas fascistes, pas populistes, pas réacs : voilà l’affaire ! Les Américains appellent cela virtue signalling (l’étalage de vertu). Non seulement toute cette vertu, ce dégoulinage de bons sentiments n’ont pas la moindre influence sur le réel mais ils dessinent un monde dans lequel on s’ennuiera ferme.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin.

Le pape Léon XIV, J.D. Vance et nous

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Avant son élection comme pape sous le nom de Léon XIV, le cardinal Robert Prevost avait exprimé son désaccord avec le vice-président américain sur la question de l’immigration. Analyse.


Premier Pape américain, Léon XIV sera-t-il plutôt progressiste ou conservateur ? Plutôt woke ou plutôt Maga ? Son magistère moral sera-t-il conforme à celui de son prédécesseur, ou bien plutôt à une morale moins “christique” et plus au fait des réalités du monde ? La question revêt un intérêt brûlant, à l’heure où le monde se recompose autour de nouvelles lignes de fracture et où la guerre fait rage sur presque tous les continents.

Paix juste

En réclamant une “paix juste” pour l’Ukraine, le Pape Léon se démarque – selon certains observateurs – de son prédécesseur, qui réclamait la paix à tout prix. Qu’un Pape invoque la paix, rien d’étonnant. Mais que valent les appels à la paix d’un dirigeant qui n’a aucun moyen de coercition ? “Le pape, combien de divisions ?” disait avec une ironie cruelle Staline, dirigeant le plus sanguinaire du 20e siècle, sinon de toute l’humanité… Mais si le Pape n’a pas d’armée, sa parole porte encore, même dans un monde largement déchristianisé.

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Aussi importe-t-il de savoir quelle idéologie, ou plutôt quelle inspiration chrétienne l’anime. Un “tweet” posté par le cardinal originaire de Chicago en février dernier donne un indice pour répondre à cette question. Alors que le vice-président des États-Unis invoquait la notion augustinienne de l’ordo amoris (qu’on pourrait traduire par le dicton “charité bien ordonnée…”)  à propos de l’immigration, Robert Francis Prevost retorqua que Vance avait tort, et que “Jésus ne nous demande pas de classer notre amour pour les autres”.

Monde obscur

La polémique n’est pas seulement affaire de théologie : elle a des conséquences bien concrètes. Pour caractériser ces deux conceptions de la charité et de l’amour, le rabbin-philosophe Elie Benamozegh avait jadis opposé “morale juive” et “morale chrétienne”, la première reconnaissant un “ordre de priorité”, tandis que la seconde prétend englober indistinctement l’humanité tout entière. “Si Jésus prêche l’amour de tous les hommes, explique Benamozegh, si le christianisme a pu se donner l’air d’une morale humanitaire, c’est aux dépens d’un amour non moins sacré, celui de la patrie et de la société’’. Benamozegh souligne la différence entre une charité chrétienne abstraite qui s’étend à l’humanité tout entière, et une charité juive concrète, qui s’applique, selon des cercles concentriques, à la famille, puis à la cité, à la patrie, et enfin à l’humanité tout entière. Cette distinction, quoique schématique, reste néanmoins plus actuelle que jamais. Que l’on pense aux migrants, à l’affrontement global Nord-Sud ou au conflit à Gaza, c’est toujours de cela qu’il s’agit.

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Ainsi, quand des personnalités juives de France invoquent le verset “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” pour justifier leur soutien aux populations civiles de Gaza, elles se classent résolument du côté de la charité chrétienne universelle. À l’inverse, quand le vice-président des États-Unis invoque l’ordo amoris, c’est plutôt la “morale juive” qu’il défend.  (On pourrait même dire, quitte à susciter les protestations indignées du CRIF et de la LICRA, que la fameuse “préférence nationale” chère au R.N. est, elle aussi, conforme à la “morale juive” d’Elie Benamozegh).

Du nouveau Pape, on peut en définitive attendre une chose essentielle : qu’il mette un peu de clarté dans l’obscurité du monde actuel et qu’il rappelle des choses simples, comme la distinction entre le bien et le mal, entre amis et ennemis, entre les victimes collatérales de la juste guerre menée par Israël à Gaza et les civils israéliens délibérément visés par le Hamas, les Houthis et l’Iran. Si le nouveau Pape est capable de faire de telles distinctions, alors il pourra peut-être prétendre devenir le guide spirituel dont l’humanité tout entière a besoin.

Visibilité et fierté, enfin !

Une note datée du 8 avril, mais récemment mise en lumière sur les réseaux sociaux, attire l’attention. Signée par le général de corps d’armée Loïc Mizon, elle autorise les militaires en service à porter leur uniforme lors de leurs déplacements en Île-de-France. « Face à l’évolution rapide de notre environnement stratégique et aux manœuvres de déstabilisation de nos compétiteurs, le renforcement de la cohésion nationale est crucial. La visibilité des armées en Ile-de-France est donc primordiale, et passe aussi par le port de la tenue militaire hors des enceintes militaires. La menace terroriste demeurant élevée, celui-ci impose néanmoins la plus grande vigilance », écrit d’emblée le gouverneur militaire de Paris.


Le gouverneur militaire de Paris vient de prendre une décision qu’il convient de saluer. De nouveau, le port de l’uniforme (je crois que le terme d’usage est « la tenue ») sera autorisé en dehors des enceintes militaires à Paris et en Île-de-France. Le retour du galon, du calot, du béret, du képi dans les rues. Donc, voilà que la grande muette va redevenir – enfin ! – visible au sein de la société.

La visibilité est un paramètre fondamental, tout d’abord parce qu’elle exprime la fierté de l’appartenance à un corps, à une communauté de la nation. Ensuite, parce que la visibilité est un des moyens – basique il est vrai, mais évident – de susciter des vocations. Sans compter, bien évidemment, le côté rassurant que cela peut avoir aux yeux des citoyens. Et il y a plus encore : alors qu’au sommet de l’Etat on se complaît à mettre en avant la nécessité qu’il y aurait à montrer ses muscles, notamment face à Poutine, l’uniforme des forces armées de nouveau dans l’espace public ne pourrait donc que témoigner aussi de la grande utilité de montrer ses muscles, mais cette fois à l’intérieur même du pays, à l’adresse de la population, dans toutes ses composantes, de souche et autres, si vous voyez ce que je veux dire.

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En fait, ma réaction s’explique aussi par ce que d’aucuns qualifieraient de traumatisme de jeunesse, ce dont je m’abstiens, bien évidemment.

Je suis fils d’officier. Nous sommes en 1968 – comme par hasard -. À la sortie d’une grand-messe du dimanche, nous voyons le vicaire – un jeune gars bien formaté sans aucun doute – venir s’adresser à mon père pour lui faire savoir qu’il n’était pas forcément de bon aloi qu’il assiste à l’office religieux en tenue. Cela, semble-t-il, en raison du rôle de l’armée française en Algérie.

Aussi, permettez-moi de voir dans la décision du gouverneur militaire quelque chose comme une once de revanche posthume pour l’auteur de mes jours.

Visibilité dans l’espace public, affirmation d’une fierté, donc. Cela est manifeste. À quand, dans une identique affirmation de fierté, le retour de la soutane dans les rues, les places, de nos villes et villages ? À cet égard faut-il préciser que, contrairement à une petite musique qu’on entend un peu trop ces jours-ci selon quoi la laïcité « exclurait la spiritualité de l’espace public », ce n’est nullement la laïcité qui a chassé la soutane de la cité, mais l’Église elle-même, dans le grand mouvement de Vatican II. Peut-être le moment serait-il venu qu’elle se montre de nouveau fière d’elle-même, par une présence bien visible. Et allons donc savoir si cela ne contribuerait pas peu ou prou à générer des vocations, ces vocations dont, affirme-t-elle, elle a si grand besoin ?

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Le commerce international : un casse-tête chinois ?

La guerre tarifaire lancée par Donald Trump vise d’abord la Chine. La deuxième économie mondiale qui est toujours considérée comme un pays en développement par l’OMC contourne les règles du commerce international pour dominer des secteurs-clefs. Ainsi Pékin attire et engloutit industries, emplois et technologies.


« Le système économique mondial dans lequel la plupart des pays évoluaient depuis 80 ans est remis à plat. » Cette déclaration de l’économiste en chef du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas, le 22 avril, reflète une idée très répandue chez les politiques et les journalistes qui ont commenté, éberlués, la guerre tarifaire lancée par Donald Trump. Pour eux, c’est comme si le président américain, tout seul et du jour au lendemain, avait mis fin au « doux commerce » qui – apparemment – régnait depuis 1945. Pourtant, l’action de Trump, qu’elle soit fondée ou non, nous dit ce que nous aurions dû savoir déjà : le système est arrivé à un nouveau stade critique de son évolution. S’il en a connu d’autres dans le passé, la crise actuelle est le résultat de contradictions aiguës qui grandissaient depuis plus de vingt ans. En effet, le commerce international n’est pas nécessairement « doux » en lui-même. À l’échelle planétaire, il crée certes des interdépendances, mais elles sont inégales. C’est un monde de jeux de pouvoir, où il y a toujours des gagnants et des perdants relatifs. Quelques gros poissons en tirent le plus de bénéfices économiques et politiques, mais ils laissent assez aux petits pour que ces derniers en profitent aussi. C’est ainsi que le déficit commercial des États-Unis permet à un grand nombre d’autres nations de participer aux échanges et même à certains pays en développement d’améliorer leur situation. Le problème est qu’un de ces pays en développement, la Chine, en est venu à rivaliser avec le gros poisson américain. Un autre problème, plus grave, c’est que pour le faire, elle exploite le système mondial en contournant souvent les règles censées garantir son équité, et cela nuit à tout le monde.

Les armes de la guerre commerciale

Les règles sont nécessaires au commerce parce que les acteurs ont une tendance naturelle à chercher leur propre intérêt aux dépens des autres. Chacun aimerait protéger son marché contre la concurrence étrangère ; rééquilibrer sa balance commerciale ; monopoliser des ressources-clés ; préserver une avance en termes de technologie de pointe ou rattraper un retard par rapport aux innovations des autres. Pour se protéger, on dispose d’une panoplie d’armes, dont les tarifs, les quotas et les embargos. Il y a aussi les barrières réglementaires, c’est-à-dire des normes légales qu’un pays applique sur son marché mais auxquelles les exportateurs étrangers ont du mal à se conformer. Pour saboter les avantages des autres pays, il y a des techniques plus sournoises, comme l’espionnage industriel. Afin de rendre ses produits à l’exportation moins chers, on peut manipuler sa devise ou baisser ses coûts de production par des subventions d’État ou en baissant les salaires. Par des subventions, on peut aussi pratiquer la vente à perte – le dumping – afin d’éliminer les concurrents étrangers sur un secteur.

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Le monde a fait plus d’une tentative pour mettre de l’ordre dans cette jungle potentielle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les accords de Bretton Woods garantissent la stabilité monétaire par un régime de changes fixes fondé sur la convertibilité du dollar en or, pendant que l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) réduit ou élimine barrières tarifaires, quotas et préférences. Mais ce système n’apporte pas une stabilité durable. En 1971, le « choc Nixon » emporte le système de Bretton Woods quand le président américain se trouve obligé de mettre un terme à la convertibilité du billet vert et d’introduire des tarifs à l’importation. Et les coups de force sont toujours possibles. En 1973, le premier choc pétrolier conduit à l’enrichissement des États arabes, qui deviennent des acteurs incontournables de la haute finance, et contribue à plonger les Occidentaux dans la « stagflation », l’inflation sans la croissance. Dans les années 1980, dans un épisode qui préfigure la situation actuelle, les États-Unis craignent que leur domination industrielle soit menacée par le Japon avec lequel ils ont un déficit commercial vertigineux. Par les accords du Plaza et du Louvre, en 1985 et 1987, ils brisent cette économie rivale, obligeant le yen à rester artificiellement surévalué par rapport au dollar afin de rendre les exportations japonaises moins compétitives.

La Chine intègre le système pour mieux le détourner

Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, accéléré par la concurrence économique et technologique avec les États-Unis dans la course aux armements, la victoire apparente du capitalisme est censée permettre enfin le début d’une ère de paix et de « doux » multilatéralisme. En 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prend la relève du GATT avec un ensemble de règles encore plus ambitieux, accompagné de mécanismes sophistiqués de résolution de dispute entre les pays membres. Un grand conflit entre les États-Unis et l’UE sur l’importation des bananes est ainsi réglé après quinze ans de recours juridiques. Le développement des technologies de l’information et de la communication favorise toujours plus d’intégration économique entre les membres de l’OMC, permettant la création transfrontalière de chaînes d’approvisionnement très complexes qui rendent les nations plus interdépendantes que jamais. Le prix des biens de consommation baisse, et un flot continu de nouveaux produits vient divertir les populations. Que demandent les peuples ?

Dès la première décennie de l’OMC, deux ombres apparaissent au tableau. D’abord, la domination des États-Unis sur le nouveau système est consolidée par la technologie numérique. La nature immatérielle et transfrontalière de cette dernière rend ses activités difficiles à réguler et à taxer par les États, permettant aux champions américains, les Gafam, de réaliser des bénéfices colossaux. La volonté de l’UE de réglementer ce domaine est un sujet de discorde majeur avec Trump. La deuxième ombre, c’est l’accession à l’OMC de la seule puissance communiste qui reste, la Chine. Les autres pays membres imaginent que respecter les règles du marché international transformera son économie de socialiste en capitaliste, mais c’est le contraire qui arrive : les pratiques étatistes et déloyales de la Chine corrompent le système, permettant la montée en flèche d’une nouvelle puissance économique. Déjà en 2010, le pays est le plus grand exportateur de biens au monde. En 2020, son industrie domine des secteurs-clés entiers comme l’informatique, la chimie, les véhicules automobiles, la métallurgie… Les délocalisations de la production en Chine provoquent le chômage ailleurs. Selon une estimation, entre 2001 et 2018, les États-Unis ont perdu ainsi 3,7 millions d’emplois. L’échelle et le caractère planifié des ambitions chinoises apparaissent dans une série de projets. La nouvelle route de la soie, dévoilée en 2013, est un vaste réseau d’axes de transport maritime, ferroviaire et routier au service de son économie qui touche plus de 140 pays. Le plan « Made in China 2025 », publié en 2015, fixe comme objectif de devenir leader dans dix secteurs-clés de la haute technologie, tels que l’énergie durable, les nouveaux matériaux ou la robotique. Ces objectifs ont été pour la plupart largement atteints, notamment dans le domaine des batteries et véhicules électriques. En 2020, les Chinois ont annoncé leur stratégie de « double circulation », dont le but est d’atteindre l’autonomie complète sur leur propre marché interne, tout en profitant du marché extérieur. C’est ainsi que la Chine est devenue un trou noir au cœur de la galaxie mondiale qui attire à lui et engloutit industries, emplois, technologies et ressources matérielles. La clé de sa réussite, c’est le recours aux techniques les plus sournoises de la lutte commerciale.

Vue aérienne du port en eau profonde de Yangshan à Shanghai, Chine, 1er avril 2023. Ce port, relié au continent par le pont de Donghai, long de 32,5 km, est le plus grand terminal à conteneurs automatisé au monde, avec une capacité annuelle de plus de 6,6 millions de conteneurs © CFOTO/Sipa USA

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C’est qu’un grand nombre de sociétés chinoises dans les secteurs-clés sont en réalité des entreprises d’État qui reçoivent des subventions gouvernementales ou des prêts garantis par l’État en contravention des règles de l’OMC. Ces aides leur donnent un avantage sur leurs concurrents étrangers et leur permettent d’être en surcapacité pour exclure la concurrence étrangère ou pratiquer le dumping. La Chine crée des obstacles réglementaires protégeant l’accès à ses propres marchés, notamment en finance, télécommunications et informatique. En échange du privilège de travailler en Chine, les entreprises étrangères sont forcées de transférer leur technologie à une société chinoise, et il y a de fréquentes violations des brevets des étrangers qui ont le plus grand mal à avoir gain de cause auprès des tribunaux chinois. Même quand les brevets étrangers sont respectés, la Chine oblige les entreprises à baisser les taux de redevance pour que ses propres sociétés puissent les exploiter à un coût réduit. L’espionnage vient s’ajouter à ces pratiques qui représentent un vaste programme de vol de propriété intellectuelle. En 2023, il y avait 2 000 enquêtes ouvertes aux États-Unis concernant ce type d’affaires. Le pays a manipulé sa devise, le renminbi (nom officiel du yuan), pour le maintenir à une valeur artificiellement basse, et il est accusé d’exploiter le travail forcé des Ouïghours, notamment dans la construction de panneaux solaires. Enfin, la Chine, deuxième économie du monde, jouit du statut de pays en développement auprès de l’OMC. Dans de nombreux cas, les États-Unis ont réussi à contester le recours de la Chine à ce statut, qui est autodéclaratif, mais il lui est toujours utile dans le domaine de l’agriculture.

Le monde face à un Etat-voyou

Comment gérer ce coucou dans le nid de l’OMC qui fausse tout le système ? Les Américains ne sont pas les seuls à se plaindre des Chinois, mais ils sont les seuls à disposer de suffisamment de ressources et de motivation pour prendre le problème à bras le corps. Si la guerre tarifaire avec la Chine lancée par Trump en 2018 a marqué les esprits, Barack Obama avait déjà tenté la voie du recours juridique. Tout au long de sa présidence, les États-Unis ont déposé de nombreuses plaintes contre la Chine auprès de l’OMC, mais avec un succès mitigé. En 2013, l’organe d’appel de l’OMC a rendu un jugement historique en acceptant la définition chinoise d’une entreprise d’État, ce qui a permis à de nombreuses sociétés chinoises subventionnées par leur gouvernement de continuer de commercer en toute liberté. Obama et Trump ont boycotté l’organe d’appel qui est devenu inopérant en 2019. Obama a négocié un accord de partenariat transpacifique avec 11 pays pour contenir la Chine, mais bien que ratifié en 2016, ce traité a rencontré une forte opposition aux États-Unis et il n’est pas entré en vigueur. C’est face à l’échec de ces approches légalistes que le premier Trump s’est tourné vers les droits de douane. Joe Biden s’est montré encore plus déterminé que lui à dompter le mastodonte chinois en imposant des tarifs élevés sur de nombreux produits, dont 100 % sur les véhicules électriques. Il a essayé aussi une autre voie, le « friendshoring », qui consiste à remplacer les produits importés de Chine par d’autres importés de pays amis, comme le Mexique, l’Inde ou le Vietnam. Cette approche s’est heurtée à la complexité des chaînes d’approvisionnement, qui a permis à la Chine de délocaliser discrètement une partie de sa production dans ces pays amis. Ces derniers ont triché aussi en important des pièces et des produits chinois pour les réexpédier aux États-Unis, sous une nouvelle forme ou un nouvel emballage.

Les deux grands obstacles à la résolution du casse-tête chinois sont la faiblesse des institutions internationales censées appliquer les règles, et l’imbrication de nos économies nationales les unes dans les autres à travers les chaînes d’approvisionnement. La lutte commerciale actuelle s’apparente à une bagarre dans un ascenseur bondé. Américains et Chinois se rendent coup pour coup en cherchant des « chokepoints », ou goulets d’étranglement, c’est-à-dire des éléments des chaînes d’approvisionnement qui, bloqués, immobiliseraient toute la chaîne pour le rival. Ainsi, à partir de 2022, Biden a limité l’exportation des semi-conducteurs vers la Chine pour ralentir ses progrès technologiques, et en 2024 les Chinois ont bloqué les exportations de terres rares aux États-Unis afin d’entraver leur développement. Ces tentatives sont largement vaines et tout le monde pâtit de ce combat. La nouvelle guerre tarifaire déclenchée par Trump a au moins le mérite de focaliser l’attention générale sur le défi colossal créé, non pas par Trump lui-même, mais par l’État voyou chinois.

Emmanuel Macron, le droit à mourir d’ennui

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Le président de la République était convié hier soir sur TF1 à une grande soirée de débats avec Gilles Bouleau, Cécile Duflot, Robert Ménard, M. In Shape, Melle Saqué, Mme Binet… Qui sera le maillon faible? Céline Pina a regardé ce joli moment de télévision.


« Tout ça pour ça » pourrait être le titre de chacune des messes cathodiques que nous inflige régulièrement notre président. Il faut dire que le sermon est aussi long qu’ennuyeux et s’il se caractérise par une chose, c’est le manque d’inspiration, de souffle et de vision. Que retenir des plus de trois heures de la nouvelle séance d’autosatisfaction qui nous fut infligée hier soir sur TF1 ? A part l’ennui incommensurable qui en résulte pour le spectateur, pas grand-chose. L’exercice est répétitif et l’acteur principal se complait dans le monologue sans avoir le talent nécessaire pour transmettre quoi que ce soit. On imagine même les conseils du responsable du média-training :

  • Il faut que l’on te sente concerné, habité. Les Français souffrent, ils ont peur, montre-leur que tu es conscient de l’ampleur de leurs attentes ! On doit le lire sur ton visage. Essaie !
  • Sinon, tu peux aussi froncer les sourcils et prendre un air revêche.

On eut donc droit à un premier Macron en mode « conscient des obligations de la charge ». Donc sourcils froncés. Il faut dire qu’il abordait son sujet préféré : montrer que l’on appartient à la cour des grands en montrant ses biceps face à la Russie et en jouant au va-t-en-guerre, mais en mode « retenez-moi où je fais un malheur ». Ou pas.

Guerre en Ukraine : rodomontades et absence de vision

Seul problème, derrière l’empilement de bla-bla justificatif, c’est surtout l’immense faiblesse des Européens qui apparait. Derrière la nécessité de l’ambigüité mise en avant par Emmanuel Macron, c’est l’irrésolution et le manque de moyens que l’on sent. Sorti du prêchi-prêcha, rien ne tient la route, à commencer par la question des sanctions contre la Russie. On aimerait bien que quelqu’un se dévoue pour expliquer à nos dirigeants ce que la mère d’un enfant de trois ans saisit assez vite sans avoir besoin de faire Saint-Cyr : « N’agite pas une sanction que tu n’es pas prêt à exécuter ». Et avant de menacer, commence par savoir jusqu’où tu es prêt à aller… Faute de respecter ces règles de base, une fois la séquence dépouillée de l’amoncellement de mots et de circonvolutions verbales qui caractérisent la parole présidentielle, il ne restait rien à se mettre sous la dent. La menace russe est décrite avec force détails, les nécessaires investissements, sacrifices et contraintes que la proximité du danger implique, eux, restent flous et ne sont pas à la hauteur des peurs agitées.

Silence sur la menace islamiste, tir à boulets rouges sur Israël

La menace islamiste, elle, a été évacuée sous le biais de « nos services maitrisent le risque terroriste ». Fermez le ban. La menace géopolitique et intérieure que cette idéologie représente a été écartée des sujets. Elle ne sera même pas effleurée. Il faut dire que lorsqu’un président choisit de reprendre en creux la lecture islamo-gauchiste de ce qui se passe à Gaza, pour valider, tout en ayant l’air de ne pas y toucher, le terme de génocide, il commet une faute politique. Mais il y est encouragé par un Gilles Bouleau qui prétend que cette qualification a été validée par des juristes et des historiens.

Le problème c’est que ce n’est pas le cas et que les spécialistes de la question, eux, disent clairement qu’il n’y a pas de génocide. Même le Hamas a reconnu que la plupart des victimes (70%) étaient des combattants, ce qui met le ratio civil/combattant tué au niveau de n’importe quelle guerre moderne. Mais qui reprochera à un président une séquence émotion surjouée, larme à l’œil et lippe tremblante, quand est mise en avant la mort d’enfants ? En revanche le président est moins disert quand il s’agit de remonter à la source de cette guerre, d’évoquer clairement pourquoi le pogrome a eu lieu, à quel point la haine des juifs est culturelle dans la région et est structurante dans l’idéologie islamiste ; et à quel point l’instrumentalisation de ce conflit et la bêtise des politiques a des conséquences sur la vie quotidienne des juifs de France.

La séquence Gaza avait tout des figures imposées du patinage artistique. Mais derrière les sourcils froncés de l’homme concerné, la vacuité de l’analyse était totale. C’était de la captation de bienveillance à usage clientéliste ; alors pour faire passer la pilule, après avoir versé de l’huile sur le feu, le président a bien entendu déploré l’antisémitisme. En même temps.

Lors de ce grand exercice d’émotion contenue, perlant sous la cuirasse sans risquer de la rouiller, il y a portant eu un grand oublié. Emmanuel Macron n’aura en effet pas eu un seul mot pour un de nos compatriotes qui subit l’injustice et la violence d’un régime autoritaire. Boualem Sansal, arbitrairement emprisonné dans les geôles algériennes est un symbole de l’écrivain dont la tyrannie veut faire taire la voix. Visiblement ce sont là préoccupations trop triviales pour notre Grande conscience.

Des invités censés bousculer le président, aussi prévisibles que peu passionnants : le cas Binet

Disons-le franchement, si je n’avais pas été missionnée pour écrire cette analyse ce matin, je n’aurais probablement pas tenu jusque-là. Entre le chanoine Gilles Bouleau, dégoulinant d’onctuosité et de bons sentiments, tellement porte-manteau de la bien-pensance qu’il confine à l’insignifiance, et un Emmanuel Macron professoral et pontifiant, la séquence « Poutine va tous nous tuer » était déjà rasoir alors même qu’elle était censée être existentielle. Mais, le reste allait s’avérer pire. La séquence Sophie Binet était caricaturale – et elle doit avoir le même spécialiste des médias qu’Emmanuel Macron :

  • Montre que tu incarnes la mobilisation des travailleurs et travailleuses, Sophie !
  • Sinon tu peux aussi froncer les sourcils.

Alors Sophie va froncer les sourcils toute la séquence. En même temps, c’est ce qu’elle maitrise le mieux. Parce que niveau connaissance des dossiers, il y a de grosses lacunes. Le passage sur l’Espagne aura été un moment plutôt amusant tant il témoigne de l’inanité de la posture de la Secrétaire générale de la CGT. Sophie Binet, en vantant l’exemple espagnol, se tire une balle dans le pied avec une efficacité rarement atteinte : arguant de l’augmentation du salaire minimum espagnol, elle oublie juste au passage que celui-ci reste bien inférieur au Smic français, que le redressement économique espagnol s’est fait après des réformes drastiques que n’a jamais essuyé notre pays et que ces réformes ont fait hurler à la mort la CGT à l’époque, justement. Emmanuel Macron a beau jeu de la mettre en face du réel et de la laisser le nez dans ses déjections.

Ce moment n’aide pas à crédibiliser la parole de la dirigeante de la CGT qui apparait peu inspirée dans le choix de ses arguments et se perd sur des questions de détails sans que l’on arrive à bien comprendre les objectifs de cet échange. Elle est sur ce point-là bien aidée par un Emmanuel Macron qui produit de l’échange filandreux et interminable comme l’araignée, sa toile. A ce stade de la soirée, je reconnais avoir eu du mal à fixer mon attention tant l’émission ronronnait et tant j’avais l’impression d’être enfermée dans une boucle temporelle : cette émission ressemblait à toutes celles qui l’avaient précédée et n’en finissait plus de ne pas s’achever.

Une séquence Ménard qui sort du ronronnement !

Robert Ménard allait secouer enfin le cocotier, mettant les pieds dans le plat avec des exemples précis, exprimant clairement l’exaspération des Français sur les questions de sécurité et d’immigration. Quelques engagements concrets et précis en ressortent, comme une position a priori claire sur la situation de ces maires qui se retrouvent devant les tribunaux pour avoir refusé de marier une personne sous OQTF, en situation de récidive. Situation concrète à laquelle est confronté le Maire de Béziers. Hormis sur ce point, la séquence montre à quel point les questions d’immigration restent taboues en France, et à quel point elles mettent Emmanuel Macron mal à l’aise.

Salomé : le péril jeune

S’ensuit alors la séquence « jeunes ». Arrive Salomé Saqué. Elle aussi a recruté le conseiller médias d’Emmanuel Macron et de Sophie Binet, figurez-vous…

  • Tu représentes la jeunesse dans sa diversité, il faut qu’on te sente habitée par ta mission !
  • Sinon tu peux aussi froncer les sourcils.

Salomé Saqué tient à montrer qu’elle sait garder ses distances face à l’ennemi de classe et le démontre en conservant un visage constipé censé probablement signifier l’incorruptibilité, la rigueur et l’intransigeance… Tout cela, pour finalement dérouler un argumentaire geignard sur la santé mentale des jeunes, victimes de la méchante société.

Elisabeth Levy résume la séquence dans un tweet percutant où elle rappelle cette injonction de Kennedy à la jeunesse américaine : « Avant de te demander ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ». Et c’est ce que l’on aurait aimé entendre dans la bouche d’Emmanuel Macron, tant la logorrhée victimaire de la journaliste du média d’extrême gauche Blast était pénible à écouter, surtout dans un des pays les plus protecteurs qu’il soit. Et si justement choisir l’action plutôt que la plainte permanente était une réponse politique concrète ? On aurait aimé voir un adulte remettre à sa place une Salomé Saqué tout en récriminations adolescentes, mais avec un Gilles Bouleau en chœur de pleureuses à lui tout seul, c’était difficile !

Last but not least

L’émission se referme sur ce par quoi elle a débuté, une référence à la guerre. Après la longue marche de la récrimination, vous reprendrez bien un peu de doute existentiel pour la route ?

Elle se clôt enfin, au terme de plus de trois heures dont on aurait pu se passer, avec un moment où le ridicule le dispute à la prétention : la séquence où le président doit écrire un engagement fort sur une tablette prêtée par l’émission. Cela aboutit à une phrase d’une terne banalité, sans aucun intérêt, dont la vacuité résume parfaitement cet interminable moment. « Rester libres : une armée plus forte, une économie plus indépendante, une jeunesse protégée et éduquée. Nous y arriverons ». « On est pour le bien et contre le mal » devait être déjà pris, mais c’est du même niveau ! Pathétique. Non que les objectifs soient contestables, mais qui croit que nous fournissons les efforts nécessaires ? Une fois de plus, seul l’effet d’annonce est recherché et seul l’effet d’annonce sera atteint.

Et le référendum me direz-vous ? Allez savoir… Notre majesté attend les propositions de son gouvernement. Il s’engage néanmoins à en faire un sur la loi du droit à l’aide à mourir. Il faut dire que l’extrait montrant la situation de Charles Bietry, atteint de la maladie de Charcot, était déchirant. Mais la séquence était manipulatoire. Comment rester factuel face à une telle émotion ? Et pourtant. La maladie de Charcot et les maladies neurodégénératives entrent dans le champ de l’aide à mourir, et ne suscitent pas de levée de boucliers. Ceux qui s’inquiètent des dérives de la loi actuelle le font au regard des amendements qui souhaitent élargir l’accès à l’euthanasie des personnes souffrant de maladies mentales, par exemple, des amendements qui interdisent que l’on examine les pressions qui peuvent être exercées sur les malades, qui interrogent le fait de mettre en place l’euthanasie avant que de réels engagements sur le déploiement des soins palliatifs aient été pris… etc.

Mais il faut reconnaitre que les trois heures d’émission ayant accouché d’une accumulation de clichés et de sermons et de pas grand-chose de concret, il fallait bien trouver une idée pour placer Emmanuel Macron au-dessus de la vulgate et le montrer capable d’exaucer au moins une attente des Français. Pour cela, il a choisi la guerre et l’aide à mourir. De bien belles perspectives collectives !

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Avocats: retour à l’Inquisition

Devant le tribunal, Mme Le Pen et M. Depardieu ont eu le culot de prétendre présenter une défense, d’exercer leur bon droit de contester les accusations dont ils faisaient l’objet. Mais, cela revient désormais à ajouter un nouveau crime à ceux qu’on leur reprochait déjà…


« Le rôle de l’avocat est de presser l’accusé d’avouer et de se repentir, et de solliciter une pénitence pour le crime qu’il a commis. »

Voilà la triste mission dévolue à la défense telle qu’elle est formulée dans le Manuel des Inquisiteurs (Directorium Inquisitorum) conçu et écrit entre 1376 et 1378 par le dominicain Nicolau Eymerich et complété deux siècles plus tard, en 1578, par le canoniste Francisco Pena. Cet ouvrage sera le guide suprême auprès des juges de tous les tribunaux de l’inquisition durant près de trois siècles.

Pour ma part, j’ignorais qu’il fût encore en vigueur. Je le découvre donc.

Car c’est bien ce que nous venons de constater ces derniers temps dans deux affaires de grand écho. Il semble, en effet, que les deux tribunaux ayant eu à juger ces deux affaires s’en tiennent, quant au rôle de l’avocat, rigoureusement à la même conception que celle énoncée ci-dessus : « Presser l’accusé d’avouer ». Et non pas, comme un vain peuple pourrait se l’imaginer, s’attacher à présenter une quelconque défense.

Ces deux affaires sont les procès instruits à l’encontre de Marine Le Pen, et de Gérard Depardieu. Fort différents quant au fond, bien évidemment.

Abus de contre-pouvoir

Cependant, dans le cas de Marine Le Pen, que déclare le tribunal en substance ? « Puisque vos avocats contestent la réalité de l’accusation, la matérialité des faits qui vous sont reprochés, osent arguer de votre innocence, cela implique forcément que vous vous trouviez dans la disposition d’esprit – au moins d’esprit – de récidiver. En d’autres termes, la seule voie que ce tribunal aurait reconnue comme légitime aurait été que les défenseurs « pressent la prévenue de passer aux aveux » et, accessoirement, proposent d’eux-mêmes une peine en cohérence avec la gravité des faits avoués.

A ne pas manquer: Causeur # 134 : l’extrême droit ne passera pas !

Même sophisme dans l’affaire Depardieu. C’est ce que révèle et dénonce avec fermeté l’avocat de l’acteur, Maître Jérémie Assous. Prétendre présenter une défense, exercer le droit de tout justiciable de contester les accusations dont il fait l’objet, revient donc à ajouter un crime à celui ou ceux déjà reprochés. Là aussi, le tribunal n’attendait rien d’autre que des aveux, une contrition bien sonnante, spectaculaire, assortie éventuellement d’une flagellation publique du prévenu en plein prétoire. Cela aurait eu de l’allure, vraiment. Et l’immense acteur aurait certainement su jouer la scène avec un exceptionnel brio, lui qui sait aussi bien être époustouflant en Cyrano qu’en Obélix.

Rouleau compresseur

Cela dit, ces faits judiciaires, ce dévoiement des principes fondamentaux du droit de la défense, sont d’une gravité extrême. Comment les interpréter autrement que comme un retour – à bas bruit, mais bel et bien effectif – à une forme d’obscurantisme où, comme au temps de l’inquisition, la réalité des faits, la vérité ne pèsent d’aucun poids face au rouleau compresseur de l’idéologie dominante. Le tribunal n’est plus alors un lieu où l’on juge, mais la chambre d’enregistrement des dernières dérives d’une opinion publique dûment façonnée par un concert médiatique parfaitement orchestré. On se souvient du mot cinglant, mais ô combien parlant du grand avocat Moro Giafferi: « Sortez la du prétoire, l’opinion publique, cette putain qui tire le juge par la manche. » Puisque je citais les auteurs du Manuel des Inquisiteurs, ne boudons pas notre plaisir et ajoutons cette autre affirmation en forme d’aveu : « La finalité du procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de maintenir le bien public et de terroriser le peuple. » Au moins, les choses étaient clairement dites. On en serait presque à regretter tant de cynique franchise…

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Comment avoir une bonne note en dissertation de Français — du Bac à l’Agrégation

Le prof de Lettres qui sommeillait dans l’inconscient de notre chroniqueur s’est brutalement réveillé, en cette période d’examens et de concours. Mais n’est-il pas un peu trop exigeant — en cette ère d’ignorance satisfaite ?


Il y a peu, Le Figaro, sentant venir le Bac, s’est fendu d’un article dressant la liste (les journaux adorent les listes, meilleurs collèges, meilleurs lycées, meilleurs hôpitaux, meilleurs sextoys et autres données indispensables) des « 20 classiques de la littérature à avoir lu avant 18 ans selon les professeurs des meilleurs lycées » — et l’on voit qu’un classement renvoie à un autre classement, selon un processus sans fin. Rien que de très attendu dans cette mini-bibliothèque idéale — mais rien non plus qui permette d’avoir une très bonne note. L’illustre journal s’aligne au fond sur les données de l’Intelligence Artificielle, dont on sait ici ce que j’en pense, et qui certainement, si on lui posait la question, dresserait le même palmarès.

Parfait. C’est tout à fait suffisant pour avoir la moyenne, cet idéal des machines.

Mais si la moyenne suffit au Bac ou en Licence, elle est notoirement insuffisante dès que l’on passe à l’échelon au-dessus. La « moyenne » des candidats admissibles à l’ENS ? par exemple, n’est pas 10 — elle est légèrement au-dessus de 14. C’est-à-dire que si vous avez 10 ou 12, vous êtes recalé dès l’écrit. Et si vous avez tout juste 14, vos chances de réussir après l’oral sont faibles, étant entendu que vous n’avez aucun capital pour compenser un faux-pas, toujours possible.

L’élitisme républicain, dont je défends ardemment le principe, ne s’est jamais contenté d’une moyenne médiocre (cette formule est techniquement un isolexisme, mais si vous êtes feignant, vous pouvez la ranger, bien sûr, dans la grande famille des polyptotes…). Jean Jaurès fut lauréat du Concours général en latin — Jean Zay, lui, fut lauréat en Littérature française — avant de réussir 1er à l’Ecole Normale Supérieure, Léon Blum a suivi le même cursus, et écrivit un essai remarquable sur Stendhal et le beylisme — entre autres travaux littéraires. C’était cela, la gauche. Voilà qui nous éloigne assez de Sébastien Delogu et autres figures majeures de la Gauche d’aujourd’hui. Mais comme ne cessent de le proclamer les sociologues, le niveau monte…

La liste du Figaro est une base. Imaginez que visant une performance olympique, on fasse remarquer que vous avez appris à marcher. Ces vingt « classiques » sont certainement indispensables (et je n’imagine pas que de futurs enseignants de Lettres, par exemple, n’aient pas lu les classiques répertoriés par le journal). Mais en aucun cas ils vous permettront de passer à l’étape suivante : avoir une très bonne note qui vous qualifiera pour la marche du dessus.

Le Père Goriot ou La Peau de chagrin, sans doute. Mais Le Cousin Pons, du même Balzac, vous procurera des plaisirs tout aussi délicats, et c’est une référence moins attendue que le début des aventures de Rastignac et de Vautrin. Les Misérables, soit — mais Notre-Dame de Paris vous fournira des exemples autrement saisissants de romantisme troubadour, et cela vous évitera de croire qu’à la fin, Esmeralda se marie avec Phoebus pendant que Quasimodo fait des cabrioles de joie : il y a peu, des hypokhâgneux, qui a priori visaient l’ENS, m’ont affirmé que telle était la fin du roman — étant entendu qu’ils confondaient un chef d’œuvre de Hugo avec un dessin animé de Walt Disney. L’Etranger ne m’a jamais convaincu (où avez-vous vu que dans les années 1930 un Blanc abattant un Algérien armé et menaçant finirait sur l’échafaud ? On l’aurait décoré…), et lisez plutôt La Chute, roman éblouissant du vrai Camus, séducteur, ambigu, monstrueux.

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Et ainsi de suite. Lire les Liaisons, c’est certainement indispensable — après tout, c’est le plus grand roman jamais écrit en français, et sans doute le brûlot féministe le plus ardent jamais écrit — par un homme… Mais connaître le Discours sur l’Education des femmes de Laclos permet de relativiser les déclarations filandreuses et un peu niaises d’Olympe de Gouges, référence fréquente chez les enseignants formés par les IUFM / ESPE / INSPE et autres hauts lieux du pédagogisme et de l’ignorance considérée comme l’un des beaux-arts.

Un prof de Lettres compétent devrait utiliser cette liste (d’où est absent Manon Lescaut, chef d’œuvre de l’abbé Prévost) pour dresser le socle des connaissances indispensables — puis édifier posément le monument des œuvres moins visibles mais dont la référence impressionnera le jury. Il devrait la compléter avec quelques titres majeurs de littérature étrangère (quelle bien-pensance a limité au seul Primo Levi les références non françaises ?), mais surtout fouiller dans le second rayon pour fournir des exemples percutants. Les Liaisons pour évoquer le libertinage, soit ; mais quid du Sopha, de Crébillon, ou du Canapé couleur de feu de Fougeret de Monbron ?

Ce que je dis ici du roman doit s’entendre aussi en poésie ou au théâtre. Un bon élève connaît les classiques, un excellent élève connaît les marges. Au lieu de se contenter des titres-phares, il fait un pas de côté dans la bibliothèque, et se lance à la découverte des œuvres moins voyantes mais dont la connaissance témoigne d’une vraie culture.

Evidemment, seuls des maîtres bien formés peuvent aiguiller leurs classes dans le labyrinthe de la « bibliothèque de Babel », comme disait Borgès. On ne peut jamais tout lire, mais il est essentiel de varier ses lectures. Si les grands phares sont indispensables, les petits lumignons sont souvent jouissifs et plus révélateurs d’une vraie culture que les références de base que tout le monde utilisera, étant entendu que l’on vous demande certes de connaître les fondamentaux, mais aussi de vous démarquer subtilement en allant chercher des exemples moins évidents — tout en évitant de citer des œuvres que le correcteur ignore, ce qui ne manquerait pas de le vexer. Ce ne sont pas vingt grands textes qu’il faut maîtriser, mais cent ou deux cents — et alors l’avenir vous appartiendra.

Bien sûr, ce que je dis de la littérature est à adapter à la philosophie, à l’Histoire, et à toutes les disciplines qui requièrent un certain niveau de culture. Parce que c’est en frottant les bons esprits les uns contre les autres, et en vous colletant vous-même avec eux, que vous élaborerez un écrit susceptible d’accrocher les correcteurs les plus blasés, qui vous seront reconnaissants de trouver enfin une copie qui se distingue — et l’élitisme républicain, c’est la distinction fondée sur le mérite.

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Le narcissisme vertueux et l’antisionisme


Concernant Israël, certaines personnalités, auréolées d’une judéité talismanique, se permettent des jugements moraux sans rapport avec les réalités existentielles et militaires du terrain. Pire, elles font de cette arrogance morale le fondement d’une proposition politique qui contribue à construire l’opinion, et plus particulièrement à renforcer l’antisionisme de principe du camp islamo-gauchiste. C’est ainsi que derrière une proclamation humaniste relevant de la niaiserie larmoyante, on lit des accusations qu’ont déjà reprises en cœur les adversaires d’Israël. Tel est le cas d’un texte pervers publié dans Tenoua, « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », où Delphine Horvilleur se livre à une exhibition de moralité qui est un pur exercice rhétorique. Son argumentation y sacrifie le raisonnement et la démonstration (logos) au profit de l’émotion (pathos) et de l’exhibition de soi (éthos) : cette articulation du pathos, de l’indignation morale, de la notoriété et de l’argument identitaire (« en tant que juif ») signe un texte mondain, opportuniste, égocentrique.

Mise en scène de la vertu

La déclaration d’amour domine le début de son texte : « C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. » Cette captatio benevolentiae sert de paravent : on peut ensuite dire les pires choses, on se sera protégé par l’affichage d’une bonne intention dont la sincérité est pourtant démentie par le reste du texte. Elle prolonge ensuite cette phrase par une vigoureuse proclamation : « Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région. »

L’épanaphore (« par amour […] par la force […] par la douleur […] par la tragédie »…) sert à accentuer la gravité des propos tout en valorisant le courage de celle qui ose prendre la parole à la suite d’un dilemme moral (« Moi‐même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole »). La répétition du « je » qui traverse son texte est d’ailleurs manifeste : cette mise en scène de l’émotion personnelle est un argument affectif sans aucune valeur de démonstration factuelle. Elle pose ainsi une supposée « faillite morale » par allusion, sans en établir la réalité. De même, le mot « tragédie » relève du pathos et non de la description. Par le consensus moral qu’il invoque — puisque personne, évidemment, ne serait favorable à une tragédie — il cache la réalité politique : ayant déclenché une guerre d’agression, Gaza en subi les conséquences, comme pour toute attaque ratée.

S’il est bien vrai que toute la région est concernée, ce n’est pas par un « traumatisme » qu’elle endurerait mais du fait de l’agression à laquelle elle participe : les Houthis du Yémen, l’Iran, le Hezbollah au Liban. Mais peut-être faut-il en effet parler de « traumatisme » quand on ne parvient pas à tuer autant de Juifs que prévu. Cette victimisation des agresseurs est tout de même un retournement bien étonnant de la part d’un esprit se voulant aussi fin que Delphine Horvilleur dont la morale semble singulièrement en porte-à-faux avec le réel. Il faudrait sans doute épargner celui qui vient vous tuer et lui laisser la possibilité de recommencer.

Victimisation et réalité politique

Cette volonté de tendre la joue gauche ressemble plutôt à la martyrologie chrétienne qu’au sionisme. Dans le Talmud (Traité Sanhédrin, 72a et b), il est dit : « Si quelqu’un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ! » Mais il faut compléter cela par le devoir d’altruisme qui l’inspire : « Ne reste pas immobile sur le sang de ton frère en le regardant mourir, alors que tu peux le sauver », commente Rashi pour expliciter « ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Vayikra 19,16) : c’est précisément sauver son prochain que d’empêcher une agression. Plutôt qu’une incantation « pacifiste » comme celle de Delphine Horvilleur, l’interprétation des situations spécifiques qui occupe les talmudistes fonde une réflexion éthique autant que politique de la matérialité des situations, loin de toute abstraction. La survie et la protection de son peuple face à l’ennemi venu l’annihiler est bel et bien un cas exigeant la violence.

On ne saurait en trouver d’illustration plus évidente que l’agression qui s’abat sur Israël depuis toujours, et notamment en 1948, 1967, 1973 et depuis toutes les attaques provenant de Gaza (2008, 2012, 2014, et, bien sûr, le 7 octobre 2023…). Israël ne déclenche pas de guerre. Et Israël ne peut pas perdre de guerre. Et jusqu’à présent, Israël n’était pas autorisé non plus par ses « alliés » américains et européens à gagner de guerre. Delphine Horvilleur ne veut pas qu’Israël gagne une guerre de manière définitive — veut-elle que ses ennemis puissent se ressaisir ? Après tout, telle était la doctrine habituelle : gérer les agressions et, sous la pression des États-Unis et de l’Europe, ne pas éliminer complètement les agresseurs.

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Après avoir changé ses chiffres, le Hamas a finalement dû reconnaitre que 72% des pertes étaient des hommes en âge de combattre et non des femmes et des enfants. Voilà qui ressemble davantage au ratio de victimes civiles le plus faible de l’histoire de la guerre et non à une « faillite morale ». On est plus proche de l’exemplarité que de la honte. Alors même qu’Israël prévient les civils de ses attaques, cible ses frappes et exfiltre les Gazaouis qui le désirent, Delphine Horvilleur choisit d’adopter le narratif victimaire propagé par le Hamas.

L’accumulation de reproches de son texte donne une impression d’évidence incontestable mais cette conglobation repose sur l’abstraction et non sur la factualité : cet empilement d’évitements et de demi-vérités allusives joue un rôle argumentatif insidieux mais dénué de valeur de vérité. L’accusation d’Israël est, en soi, un renversement de culpabilité : si Gaza veut que la guerre s’arrête, il suffit de rendre les otages et de déposer les armes. L’acharnement est bien celui du Hamas. Et en étrillant Israël sans évoquer ces crimes du Hamas, Delphine Horvilleur réalise un retournement moral d’une gravité capitale. Que son texte soit repris sur les réseaux par de nombreux antisionistes et de militants islamo-gauchistes est bien la marque d’un positionnement qui satisfait les ennemis d’Israël.

En formulant l’injonction que « cet État doit […] tendre la main » à tous les pays voisins et à leurs peuples », elle fait comme si cela n’était pas le cas depuis même avant 1947 (Accords Fayçal-Weizmann, 1919). Comme si Camp David (1978 et 2000), Oslo (1993), Taba (2001), le plan Olmert (2008) n’avaient pas existé. Toutes les propositions faites aux Arabes de Palestine se sont soldées par un rejet (même en leur offrant jusqu’à 94% de la Judée-Samarie…). Bill Clinton lui-même a rappelé le refus d’Arafat d’avoir un État, comme tous les dirigeants palestiniens depuis, car ils réclament non pas un État pour eux-mêmes mais la destruction d’Israël. C’est un point de doctrine qu’a toujours soutenu l’OLP lui-même (le plan en 10 points de 1974 n’envisageait la solution à deux États que comme une étape avant la conquête totale). Soit Delphine Horvilleur est ignorante de cette réalité politique, soit elle fait comme si elle n’existait pas, pour sauvegarder sa belle âme si télégénique.

Pathos et abstraction

Outre la complaisance qui caractérise son style, plus proche des ouvrages de développement personnel que de l’analyse talmudique, le fait de s’exhausser par un lexique abstrait qui donne l’impression de la hauteur philosophique (« amour », « conscience », « âme »…) et de l’émotion (« douleur », « cœur ») permet d’éviter les réalités, politiques, diplomatiques, stratégiques et, tout simplement, guerrières. Concrètement, comment « sauver son âme » face à un milicien gazaoui armée d’une kalachnikov ? Dans cette situation, c’est rendre Israël moralement responsable des turpitudes qu’il subit. Peut-être n’a-t-elle pas vu les vidéos où les mères palestiniennes hurlent de joie quand meurent leurs enfants élevés dans le culte du martyre jihadiste, ni celles où les braves Gazaouis prennent la pose devant des décombres et refont plusieurs prises pour être sûrs que l’émotion passe bien. Elle n’a dû voir que le montage final, à destination de l’Occident et des esprits fragiles.

Penser « au peuple palestinien » semble une obligation déclarative, mais peut-être s’agit-il d’un véritable objectif politique. Auquel cas, il faut rappeler le soutien des civils au Hamas qu’ils ont élu, leur participation au 7-Octobre, leur joie, leur rôle dans la détention des otages. Ces civils qui endossent tantôt une tenue militaire, tantôt un gilet marqué « presse » ou une blouse blanche de médecin pour aller stocker des armes dans des hôpitaux. Leur révolte apparente contre le Hamas n’intervient que dans la défaite, alors que la population, pour sa plus grande majorité, a célébré le 7-Octobre.

Depuis Stéphane Hessel et le pathos de son évocation anti-israélienne[1], « les enfants de Gaza » est devenu un topos antisémite dont les racines sont celles de l’accusation de meurtre rituel. La répétition lancinante du mot « enfant » dans le texte de Delphine Horvilleur est un procédé pathétique qui nie la réalité sociale et politique de Gaza. Peut-être pourrait-elle accuser le Hamas, pointer le conditionnement mortifère qu’il inflige à sa population, plutôt que de se tourner vers Israël ? Ou s’étonner de ces mères qui ne cessent de proclamer leur désir de voir leurs enfants devenir des shaheed, des martyres capables de tuer des Juifs. Mosab Hassan Youssef, fils d’un fondateur du Hamas, ne cesse de décrire ce culte de la mort, cette haine du Juif, théologique autant que culturelle, qui a été inculquée à tous les enfants de Gaza qui apprennent dès leur plus jeune âge à égorger des Juifs et à manipuler des armes. Même l’Union européenne, qui fermait les yeux avec tellement d’intensité sur l’utilisation des financements qu’elle octroyait à l’UNRWA, vient de voter pour un gel des financements des écoles de l’UNRWA pour mettre fin à l’éducation à la haine qui a cours à Gaza[2]

Mais Delphine Horvilleur préfère accuser Israël au nom de l’amour qu’elle lui porte : « [mon amour de ce pays] est un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger et il est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser. » Habilement, elle reprend l’accusation de génocide sans prononcer le mot, accusation indirecte, informulée et donc d’autant plus perfide. La formulation nominale (« l’annihilation ») et l’article indéfini (« un » peuple) permettent aussi une abstraction commode qui évite de poser des faits.

Le nouveau recours à l’épanaphore conclut sa harangue :

« Cet amour d’Israël consiste aujourd’hui à l’appeler à un sursaut de conscience…Il consiste à soutenir ceux qui savent que la Démocratie est la seule fidélité au projet sioniste.

Soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire.

Soutenir ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza.

Soutenir ceux qui savent que seul le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation.

Soutenir ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien.

Soutenir ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants. »

Cette litanie anaphorique est une figure d’emphase qui verse dans la grandiloquence. L’épanaphore est une figure tellement visible qu’elle crée un effet hypnotique faisant passer au second plan les contenus propositionnels, ici douteux, qui suivent au bénéfice de la force de conviction qu’elle permet d’afficher. Elle indique, par son ampleur même, la gravité des propos que l’on désire assumer. C’est une figure de tribun, de procureur, d’accusateur public. Mais son réquisitoire exalte simultanément « ceux qui savent », au rang desquels elle se compte, bien entendu. Or, cette emphase n’est pas juste un ornement stylistique. Ici, les procédures d’amplification sont de l’ordre de l’intimidation morale. En systématisant cette hyperbole, ce texte rend impossible la contradiction argumentative : quiconque oserait contredire cette figure d’innocence dont la vertu est si emphatiquement proclamée serait forcément une personne ignoble… Un tel miroir narcissique — « pensez comme moi si vous êtes une bonne personne » — relève d’une démagogie de l’enrôlement.

Le grand retournement

Elle utilise le même pathos manipulateur que naguère Stéphane Hessel (« les enfants »), reprend le vocabulaire antisioniste (« suprémaciste et raciste »), le lexique pacifiste (elle dit « fin des combats » et non « victoire ») et creux (« avenir », « sauver son âme »), voire fallacieux (« affamer des innocents ») dans un propos qui vise à désarmer Israël et à confisquer la démocratie au profit de son camp politique présenté comme incarnant la vertu. C’est une rhétorique ampoulée, pleine de morgue jusque dans sa prétention à l’humilité.

En reprenant les poncifs antisionistes les plus caricaturaux et les plus radicaux, elle semble avoir choisi le créneau discursif du « Juif anti-israélien par amour d’Israël ». Car elle saurait, elle, ce qu’est le vrai Israël. Cela rappelle malheureusement un topos anti-judaïque, celui du supersessionisme comme doctrine du christianisme se pensant comme Verus Israel et condamnant le judaïsme comme une erreur destinale. Les Juifs qui ne pensent pas comme elle seraient alors des imposteurs, des malfaisants, des mauvais Juifs.

Par facilité, on parle souvent de « haine de soi », mais c’est bien l’inverse qui anime certaines personnes, désireuses au contraire de se valoriser au détriment des autres, en exhibant leur vertu, leur supériorité morale et en faisant l’argument de leur gloire. Depuis les descriptions qu’en a fait Vladimir Jankélévitch dans L’aventure, l’ennui, le sérieux, on connait bien ces professionnels de la vertu, mais il reste à comprendre les ressorts des petits boutiquiers du judaïsme officiel, ces élites carriéristes qui se complaisent dans le mépris et décident que la démocratie doit leur ressembler, en toute exclusivité, y compris s’il faut pour cela vendre le renom de leurs frères et apporter des arguments à ses ennemis. Cet orgueil démesuré, hybris narcissique de la vertu se voulant loi, finit alors par trouver sa place dans une typologie des traitres.


[1] « Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre.[…] c’est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vus confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. » (Indignez-vous !, p.17)

[2] « Les contribuables européens ne veulent pas que leur argent soutienne une éducation qui célèbre le terrorisme et prône la haine d’Israël » a conclu le parlement européen en votant massivement sa résolution le 7 mai 2025.

Magistrale BB

Brigitte Bardot s’est confiée avec mélancolie et franc-parler à BFMTV. Elle a bien sûr rappelé son combat pour la cause animale et livré sa vision critique du monde contemporain, sans crainte du jugement. Résultat: les féministes enragent. « Longue vie à notre éternelle sex-symbol ! » lance notre rédactrice en chef dans sa chronique radio. Nous vous proposons de l’écouter.


Brigitte Bardot s’est livrée sur BFMTV. Certaines de ses déclarations font bondir les féministes. Et moi, elles m’enchantent. Sacrée BB. Une femme libre. Non seulement l’actrice défend Nicolas Bedos et Gérard Depardieu (le jugement de ce dernier était attendu ce matin), mais elle tire à boulets rouges sur la plus sacrée des vaches sacrées : le féminisme.

Le féminisme, c’est pas mon truc. Moi j’aime les mecs ! lance la star
– On peut aimer les mecs et être féministe, rétorque le journaliste.
– Non !

Stricto sensu, Brigitte Bardot a tort. Je suis féministe et j’aime les hommes (enfin, certains hommes). Elle aussi, sans le savoir ; mais féministe à l’ancienne, c’est-à-dire universaliste -une féministe qui prône l’égalité des sexes. Bien sûr, cette égalité n’est jamais réalisée complètement, comme la démocratie. Mais, dans nos sociétés c’est la norme. Une égalité juridique, politique et sociale. Personne n’oserait plus faire dire à un de ses personnages dans un film : « Alors, ta bourgeoise, tu lui claques le beignet ?» (Ça, c’était Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol). La société ne tolère plus qu’un homme claque le beignet de sa bourgeoise. La révolution féministe a réussi. C’est même (avec les bas-jarretières, vous savez ceux qui tiennent tout seuls) le plus bel héritage du XXème siècle.

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Mais pourquoi ces déclarations m’enchantent-elles ?

BB dit la vérité sur ce que le féminisme est devenu – bien avant MeToo d’ailleurs (on appelait déjà cela le néo-féminisme) :

  • Un mouvement pleurnichard et victimaire qui ne voit jamais les progrès accomplis. Des mauvaises gagnantes (comme l’a dit joliment Alain Finkielkraut) qui ont besoin de ranimer un patriarcat évanoui pour exister. À les entendre, la France est pire que l’Iran et l’Afghanistan où le sort des femmes ne les soucie guère (Manon Aubry est très fière de distribuer des pilules abortives en Pologne, que ne le fait-elle en Algérie ?)
  • Ces néoféministes ne veulent pas la justice mais la revanche. À notre tour de dominer, à votre tour d’en baver.
  • Derrière tous leurs discours, tous leurs actes ou derrière leurs commissions McCarthy se cache une haine de la sexualité en général, de la sexualité masculine en particulier et singulièrement de l’homme blanc hétéro. Elles détestent la séduction, la drague, les jeux de l’amour et du hasard transformés en VSS – violences sexistes et sexuelles. Le procès de Mazan est ainsi devenu celui des hommes. Tous des violeurs. Tous des porcs. Anouk Grimbert déclare dans Libération « on ne veut plus voir la queue des hommes, ça ne nous intéresse pas ». Parle pour toi !

Comme BB, je suis une féministe joyeuse et victorieuse. Et je dis à toutes ces coupeuses de… têtes : si vous n’aimez pas ça, n’essayez pas d’en dégoûter les autres. Longue vie à notre éternelle sex-symbol !


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud radio (99.9FM Paris). 

Giuliano da Empoli: le retour des conquistadors et des Borgia

Giuliano da Empoli, écrivain et conseiller politique italien et suisse, a déjà publié Les ingénieurs du chaos et Le mage du Kremlin. Il nous offre à présent L’heure des prédateurs qui nous plonge dans l’enfer souriant et autiste des seigneurs de la tech, ainsi que dans l’univers impitoyable de certains gouvernants.


Au fil des nouvelles pérégrinations de Giuliano da Empoli à travers le monde, nous découvrons à quelle sauce nous allons être mangés.

Les nouveaux conquistadors

Le narrateur de son dernier livre se présente comme « un scribe aztèque » qui, depuis la victoire des conquistadors, traverse le temps et les pays en prenant des notes. Aujourd’hui, les hommes couverts de métal scintillant au soleil de telle sorte qu’ils furent pris pour des dieux – d’autant qu’ils avaient des armes à feu convaincantes – ne sont plus les soldats de Cortès, mais les seigneurs de la tech.

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« Au cours des trois dernières décennies, les responsables politiques des démocraties occidentales se sont comportés, face aux conquistadors de la tech, exactement comme les Aztèques du XVIème siècle. Confrontés à la foudre et au tonnerre d’Internet, des réseaux sociaux et de l’IA, ils se sont soumis, dans l’espoir qu’un peu de poussière de fée rejaillirait sur eux. » Mais « Les conquistadors de la tech ont décidé de se débarrasser des anciennes élites politiques. » D’abord, ils ont marché avec eux, et le scribe nous raconte le rôle d’Eric Schmidt dans la réélection d’Obama en 2012, puis, ils les ont surplombés en récoltant les dividendes de la complicité ; à savoir le silence des avocats quant au rôle des plateformes dans la vie politique de la nation. Mais, les démocrates seront-ils les seuls à être laissés sur la touche ? Rien n’est moins sûr.

Les nouveaux Borgia

En attendant qu’ils n’en fassent qu’une bouchée, ils peuvent compter sur les nouveaux Borgia. « À l’heure des prédateurs, les borgiens de la planète entière offrent les territoires qu’ils gouvernent comme un laboratoire aux conquistadors numériques, pour qu’ils viennent y déployer leur vision du futur sans s’encombrer de lois et de droits d’un autre âge. MBS construit des enclaves où ne s’appliqueront que les lois de la tech, Bukele a adopté le bitcoin comme monnaie officielle de son pays, Milei envisage de bâtir des centrales nucléaires pour alimenter les serveurs de l’IA. De son côté, Trump a confié des pans entiers de son administration aux accélérationnistes les plus déchaînés de la Valley ». On ne s’encombrera pas non plus de lois et de droits d’un autre âge pour enfermer de hauts dignitaires et de grosses fortunes au Ritz-Carlton comme MBS le fit, afin de soutirer aveux et chèques conséquents en maniant le matériel qui convient. L’État saoudien a récupéré ce faisant plus de « 100 milliards pour financer les projets pharaoniques du jeune prince. » Au Salvador, Bukele n’a pas davantage hésité, pour mettre fin à la criminalité ambiante, à enfermer tous les tatoués du pays (80 000 personnes tout de même) vu que les gangsters sont friands des écritures épidermiques. Bon, il y a bien eu quelques rockers égarés dans le nombre, mais le fait est que la criminalité fut divisée par 10. Il s’agit de frapper fort et vite, bref, de surprendre, voire de sidérer. Pourquoi ? Parce que « Tolstoï montre que la condition du puissant est toujours l’empêchement, car la réalisation de sa volonté dépend de tant d’autres volontés qu’elle en devient pratiquement impossible, de telle sorte que le dernier des fantassins est plus libre que Napoléon ». Raison pour laquelle « l’action résolue du prince constitue l’antidote à ce mal. »

Manière forte et nouveau terrain de jeu

« Les borgiens se concentrent sur le fond, pas sur la forme. Ils promettent de résoudre les vrais problèmes du peuple : la criminalité, l’immigration, le coût de la vie. Et que répondent leurs adversaires, les libéraux, les progressistes, les gentils démocrates ? Règles, démocratie en péril, protection des minorités… » Quant aux conquistadors, ils ont décidé que la compétition changeait désormais de terrain ; celle-ci n’a plus lieu dans un endroit réel avec us et coutumes de chacun, mais dans une sorte de « Somalie digitale » où les seules règles sont celles des plateformes. D’où l’inversion, dit le scribe : « Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants ».

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Il faut lire, pour saisir l’enjeu, un autre ouvrage1 du même auteur, où la notion de chaos est à comprendre à partir de la physique, et où l’on voit les manœuvres informatiques manipuler les foules et déterminer des votes, en faveur de la manière forte ou, éventuellement, à des fins qui échapperaient à l’utilisateur… Henry Kissinger, en 2015, se rendit à une conférence sur l’IA qui lui fit dire en sortant : « Pour la première fois, la connaissance humaine perd son caractère personnel, les individus se transforment en données, et les données deviennent prépondérantes. L’IA développe une capacité que l’on croyait réservée aux êtres humains. Elle émet des jugements stratégiques sur l’avenir. »

Et ce ne sont pas les deux papes de l’IA, Sam Altman et Demis Hassabis, qui auraient pu à Lisbonne en 2023 le rassurer. Ces deux-là, au profil Asperger prononcé pour l’un et post-humain pour les deux, ont mis KO les plus endurcis. Giuliano da Empoli nous offre là de très belles pages sur la post-humanité, après nous avoir non seulement renseignés, mais aussi divertis avec des portraits de présidents, des descriptions de l’ONU, un style enlevé et des réflexions sur le pouvoir qui valent assurément qu’on s’y penche. Tonique et vertigineux.


L’heure des prédateurs, de Giuliano da Empoli, Éditions Gallimard mars 2025, 160 pages.

L'heure des prédateurs

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Les ingénieurs du chaos

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  1. Les ingénieurs du chaos, de Giuliano da Empoli, folio actuel, mars 2025 ; 1ère édition, février 2023 ↩︎

Tu l’as vue ma vertu ?

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François Bayrou, Juliette Binoche et Richard Gere © Mourad ALLILI/SIPA -Picture/Raymond/Shutterstock/SIPA - LUIS FELIPE CASTILLEJA/OL/SIPA

Hier, alors que le Premier ministre proposait d’abolir enfin l’esclavage en France, Richard Gere dénonçait dans un texte un «génocide» en cours à Gaza, et Juliette Binoche faisait une apparition remarquée à Cannes en burqa chic.


Je veux aujourd’hui parler du Festival de Cannes. Mais pas seulement. Devinette : quel est le point commun entre François Bayrou et Richard Gere ? Réponse dans cet édito.

Le festival est de retour avec les marches et le glamour. Un glamour très sérieux car il parait qu’il ne doit plus y avoir de robe dénudée sur les marches cette année. Les actrices sont priées d’être décentes, selon les instructions données par le festival. Déjà qu’on est désormais privés des frasques sexuelles des stars, on n’aura même plus leurs robes… Rendez-moi les années 70 !

Et comme chaque année, c’est aussi la révolution en tenue de gala. Grande cause et haute couture ! L’an dernier, MeToo tenait la corde, on annonçait que des têtes glorieuses allaient tomber, les journalistes salivaient. En 2025, la tendance est à Gaza. Richard Gere, Almodovar, Costa-Gavras, Julie Delpy et quelques autres sommités signent un texte intitulé « À Cannes, Gaza ne doit pas être silenciée ». Il me semble en réalité qu’on en parle beaucoup – et à raison. Il est tout à fait légitime de se soucier du sort des Palestiniens de Gaza, mais le narratif du Hamas est adopté dans ce texte, ce qui est plus problématique. Il mentionne pour la forme les terribles massacres du 7-Octobre, puis embraye sur le « génocide » (un terme qui signifie juifs = nazis). La tribune accuse l’armée israélienne de cibler délibérément des civils et des journalistes, avant de rappeler que l’art doit lutter contre le fascisme…

Et pour conclure cette belle journée, Juliette Binoche bizarrement fagotée dans une burqa chic, dénonce les « guerres, misères, le dérèglement climatique et la misogynie primaire ». Et l’exploitation des enfants, elle s’en fout ? La Révolution commence sur la Croisette, c’est un beau titre de film.

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Je suis ironique, mais quel est le rapport avec François Bayrou, me demanderez-vous ?

J’y viens. Vous admettrez que tout ce sirop humanitaire n’améliorera pas le sort d’un seul Palestinien. D’ailleurs, ce n’est pas le but. François Bayrou, c’est la même chose. Il a annoncé hier qu’il allait faire une loi pour abroger le Code noir. Ce texte de 1685 prévoyait les châtiments et règles horribles applicables aux esclaves.

Rappelons que la France n’est pas la seule à avoir pratiqué l’esclavage, mais qu’elle est une des premières à l’avoir aboli en 1848. Nous avons des lois, des cérémonies sur la mémoire de l’esclavage. Son abomination est enseignée à l’école. Le Code noir n’a évidemment aucune réalité en France, c’est un objet historique et il est tout de même curieux d’avoir à le dire ! La France est surendettée, rongée par l’insécurité, fracturée de toutes parts, mais Bayrou veut abroger un texte tombé en désuétude depuis deux siècles. Il mène un combat sans ennemi.

M. Bayrou ne combat pas plus l’esclavage que les festivaliers de Cannes ne luttent pour Gaza. Ils veulent tous montrer leur belle âme. Donner des gages, faire partie des beaux esprits de ce monde, montrer comme ils ne sont pas fascistes, pas populistes, pas réacs : voilà l’affaire ! Les Américains appellent cela virtue signalling (l’étalage de vertu). Non seulement toute cette vertu, ce dégoulinage de bons sentiments n’ont pas la moindre influence sur le réel mais ils dessinent un monde dans lequel on s’ennuiera ferme.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin.

Le pape Léon XIV, J.D. Vance et nous

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Le vice-président des États-Unis, J.D. Vance, entouré de sa famille, assiste à un office du Vendredi saint dirigé par le cardinal Claudio Gugerotti, à droite, à l'intérieur de la basilique Saint-Pierre au Vatican, le vendredi 18 avril 2025 © Alessandra Tarantino/AP/SIPA

Avant son élection comme pape sous le nom de Léon XIV, le cardinal Robert Prevost avait exprimé son désaccord avec le vice-président américain sur la question de l’immigration. Analyse.


Premier Pape américain, Léon XIV sera-t-il plutôt progressiste ou conservateur ? Plutôt woke ou plutôt Maga ? Son magistère moral sera-t-il conforme à celui de son prédécesseur, ou bien plutôt à une morale moins “christique” et plus au fait des réalités du monde ? La question revêt un intérêt brûlant, à l’heure où le monde se recompose autour de nouvelles lignes de fracture et où la guerre fait rage sur presque tous les continents.

Paix juste

En réclamant une “paix juste” pour l’Ukraine, le Pape Léon se démarque – selon certains observateurs – de son prédécesseur, qui réclamait la paix à tout prix. Qu’un Pape invoque la paix, rien d’étonnant. Mais que valent les appels à la paix d’un dirigeant qui n’a aucun moyen de coercition ? “Le pape, combien de divisions ?” disait avec une ironie cruelle Staline, dirigeant le plus sanguinaire du 20e siècle, sinon de toute l’humanité… Mais si le Pape n’a pas d’armée, sa parole porte encore, même dans un monde largement déchristianisé.

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Aussi importe-t-il de savoir quelle idéologie, ou plutôt quelle inspiration chrétienne l’anime. Un “tweet” posté par le cardinal originaire de Chicago en février dernier donne un indice pour répondre à cette question. Alors que le vice-président des États-Unis invoquait la notion augustinienne de l’ordo amoris (qu’on pourrait traduire par le dicton “charité bien ordonnée…”)  à propos de l’immigration, Robert Francis Prevost retorqua que Vance avait tort, et que “Jésus ne nous demande pas de classer notre amour pour les autres”.

Monde obscur

La polémique n’est pas seulement affaire de théologie : elle a des conséquences bien concrètes. Pour caractériser ces deux conceptions de la charité et de l’amour, le rabbin-philosophe Elie Benamozegh avait jadis opposé “morale juive” et “morale chrétienne”, la première reconnaissant un “ordre de priorité”, tandis que la seconde prétend englober indistinctement l’humanité tout entière. “Si Jésus prêche l’amour de tous les hommes, explique Benamozegh, si le christianisme a pu se donner l’air d’une morale humanitaire, c’est aux dépens d’un amour non moins sacré, celui de la patrie et de la société’’. Benamozegh souligne la différence entre une charité chrétienne abstraite qui s’étend à l’humanité tout entière, et une charité juive concrète, qui s’applique, selon des cercles concentriques, à la famille, puis à la cité, à la patrie, et enfin à l’humanité tout entière. Cette distinction, quoique schématique, reste néanmoins plus actuelle que jamais. Que l’on pense aux migrants, à l’affrontement global Nord-Sud ou au conflit à Gaza, c’est toujours de cela qu’il s’agit.

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Ainsi, quand des personnalités juives de France invoquent le verset “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” pour justifier leur soutien aux populations civiles de Gaza, elles se classent résolument du côté de la charité chrétienne universelle. À l’inverse, quand le vice-président des États-Unis invoque l’ordo amoris, c’est plutôt la “morale juive” qu’il défend.  (On pourrait même dire, quitte à susciter les protestations indignées du CRIF et de la LICRA, que la fameuse “préférence nationale” chère au R.N. est, elle aussi, conforme à la “morale juive” d’Elie Benamozegh).

Du nouveau Pape, on peut en définitive attendre une chose essentielle : qu’il mette un peu de clarté dans l’obscurité du monde actuel et qu’il rappelle des choses simples, comme la distinction entre le bien et le mal, entre amis et ennemis, entre les victimes collatérales de la juste guerre menée par Israël à Gaza et les civils israéliens délibérément visés par le Hamas, les Houthis et l’Iran. Si le nouveau Pape est capable de faire de telles distinctions, alors il pourra peut-être prétendre devenir le guide spirituel dont l’humanité tout entière a besoin.

Visibilité et fierté, enfin !

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Militaires de l'opération Sentinelle, Vincennes, juillet 2016 © ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA

Une note datée du 8 avril, mais récemment mise en lumière sur les réseaux sociaux, attire l’attention. Signée par le général de corps d’armée Loïc Mizon, elle autorise les militaires en service à porter leur uniforme lors de leurs déplacements en Île-de-France. « Face à l’évolution rapide de notre environnement stratégique et aux manœuvres de déstabilisation de nos compétiteurs, le renforcement de la cohésion nationale est crucial. La visibilité des armées en Ile-de-France est donc primordiale, et passe aussi par le port de la tenue militaire hors des enceintes militaires. La menace terroriste demeurant élevée, celui-ci impose néanmoins la plus grande vigilance », écrit d’emblée le gouverneur militaire de Paris.


Le gouverneur militaire de Paris vient de prendre une décision qu’il convient de saluer. De nouveau, le port de l’uniforme (je crois que le terme d’usage est « la tenue ») sera autorisé en dehors des enceintes militaires à Paris et en Île-de-France. Le retour du galon, du calot, du béret, du képi dans les rues. Donc, voilà que la grande muette va redevenir – enfin ! – visible au sein de la société.

La visibilité est un paramètre fondamental, tout d’abord parce qu’elle exprime la fierté de l’appartenance à un corps, à une communauté de la nation. Ensuite, parce que la visibilité est un des moyens – basique il est vrai, mais évident – de susciter des vocations. Sans compter, bien évidemment, le côté rassurant que cela peut avoir aux yeux des citoyens. Et il y a plus encore : alors qu’au sommet de l’Etat on se complaît à mettre en avant la nécessité qu’il y aurait à montrer ses muscles, notamment face à Poutine, l’uniforme des forces armées de nouveau dans l’espace public ne pourrait donc que témoigner aussi de la grande utilité de montrer ses muscles, mais cette fois à l’intérieur même du pays, à l’adresse de la population, dans toutes ses composantes, de souche et autres, si vous voyez ce que je veux dire.

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En fait, ma réaction s’explique aussi par ce que d’aucuns qualifieraient de traumatisme de jeunesse, ce dont je m’abstiens, bien évidemment.

Je suis fils d’officier. Nous sommes en 1968 – comme par hasard -. À la sortie d’une grand-messe du dimanche, nous voyons le vicaire – un jeune gars bien formaté sans aucun doute – venir s’adresser à mon père pour lui faire savoir qu’il n’était pas forcément de bon aloi qu’il assiste à l’office religieux en tenue. Cela, semble-t-il, en raison du rôle de l’armée française en Algérie.

Aussi, permettez-moi de voir dans la décision du gouverneur militaire quelque chose comme une once de revanche posthume pour l’auteur de mes jours.

Visibilité dans l’espace public, affirmation d’une fierté, donc. Cela est manifeste. À quand, dans une identique affirmation de fierté, le retour de la soutane dans les rues, les places, de nos villes et villages ? À cet égard faut-il préciser que, contrairement à une petite musique qu’on entend un peu trop ces jours-ci selon quoi la laïcité « exclurait la spiritualité de l’espace public », ce n’est nullement la laïcité qui a chassé la soutane de la cité, mais l’Église elle-même, dans le grand mouvement de Vatican II. Peut-être le moment serait-il venu qu’elle se montre de nouveau fière d’elle-même, par une présence bien visible. Et allons donc savoir si cela ne contribuerait pas peu ou prou à générer des vocations, ces vocations dont, affirme-t-elle, elle a si grand besoin ?

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Le commerce international : un casse-tête chinois ?

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Klaus Schwab, président exécutif du Forum économique mondial, écoute le discours de Xi Jinping en visioconférence lors de l’ouverture de l’Agenda de Davos 2022, 17 janvier 2022 © Salvatore Di Nolfi/Keystone via AP/SIPA

La guerre tarifaire lancée par Donald Trump vise d’abord la Chine. La deuxième économie mondiale qui est toujours considérée comme un pays en développement par l’OMC contourne les règles du commerce international pour dominer des secteurs-clefs. Ainsi Pékin attire et engloutit industries, emplois et technologies.


« Le système économique mondial dans lequel la plupart des pays évoluaient depuis 80 ans est remis à plat. » Cette déclaration de l’économiste en chef du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas, le 22 avril, reflète une idée très répandue chez les politiques et les journalistes qui ont commenté, éberlués, la guerre tarifaire lancée par Donald Trump. Pour eux, c’est comme si le président américain, tout seul et du jour au lendemain, avait mis fin au « doux commerce » qui – apparemment – régnait depuis 1945. Pourtant, l’action de Trump, qu’elle soit fondée ou non, nous dit ce que nous aurions dû savoir déjà : le système est arrivé à un nouveau stade critique de son évolution. S’il en a connu d’autres dans le passé, la crise actuelle est le résultat de contradictions aiguës qui grandissaient depuis plus de vingt ans. En effet, le commerce international n’est pas nécessairement « doux » en lui-même. À l’échelle planétaire, il crée certes des interdépendances, mais elles sont inégales. C’est un monde de jeux de pouvoir, où il y a toujours des gagnants et des perdants relatifs. Quelques gros poissons en tirent le plus de bénéfices économiques et politiques, mais ils laissent assez aux petits pour que ces derniers en profitent aussi. C’est ainsi que le déficit commercial des États-Unis permet à un grand nombre d’autres nations de participer aux échanges et même à certains pays en développement d’améliorer leur situation. Le problème est qu’un de ces pays en développement, la Chine, en est venu à rivaliser avec le gros poisson américain. Un autre problème, plus grave, c’est que pour le faire, elle exploite le système mondial en contournant souvent les règles censées garantir son équité, et cela nuit à tout le monde.

Les armes de la guerre commerciale

Les règles sont nécessaires au commerce parce que les acteurs ont une tendance naturelle à chercher leur propre intérêt aux dépens des autres. Chacun aimerait protéger son marché contre la concurrence étrangère ; rééquilibrer sa balance commerciale ; monopoliser des ressources-clés ; préserver une avance en termes de technologie de pointe ou rattraper un retard par rapport aux innovations des autres. Pour se protéger, on dispose d’une panoplie d’armes, dont les tarifs, les quotas et les embargos. Il y a aussi les barrières réglementaires, c’est-à-dire des normes légales qu’un pays applique sur son marché mais auxquelles les exportateurs étrangers ont du mal à se conformer. Pour saboter les avantages des autres pays, il y a des techniques plus sournoises, comme l’espionnage industriel. Afin de rendre ses produits à l’exportation moins chers, on peut manipuler sa devise ou baisser ses coûts de production par des subventions d’État ou en baissant les salaires. Par des subventions, on peut aussi pratiquer la vente à perte – le dumping – afin d’éliminer les concurrents étrangers sur un secteur.

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Le monde a fait plus d’une tentative pour mettre de l’ordre dans cette jungle potentielle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les accords de Bretton Woods garantissent la stabilité monétaire par un régime de changes fixes fondé sur la convertibilité du dollar en or, pendant que l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) réduit ou élimine barrières tarifaires, quotas et préférences. Mais ce système n’apporte pas une stabilité durable. En 1971, le « choc Nixon » emporte le système de Bretton Woods quand le président américain se trouve obligé de mettre un terme à la convertibilité du billet vert et d’introduire des tarifs à l’importation. Et les coups de force sont toujours possibles. En 1973, le premier choc pétrolier conduit à l’enrichissement des États arabes, qui deviennent des acteurs incontournables de la haute finance, et contribue à plonger les Occidentaux dans la « stagflation », l’inflation sans la croissance. Dans les années 1980, dans un épisode qui préfigure la situation actuelle, les États-Unis craignent que leur domination industrielle soit menacée par le Japon avec lequel ils ont un déficit commercial vertigineux. Par les accords du Plaza et du Louvre, en 1985 et 1987, ils brisent cette économie rivale, obligeant le yen à rester artificiellement surévalué par rapport au dollar afin de rendre les exportations japonaises moins compétitives.

La Chine intègre le système pour mieux le détourner

Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, accéléré par la concurrence économique et technologique avec les États-Unis dans la course aux armements, la victoire apparente du capitalisme est censée permettre enfin le début d’une ère de paix et de « doux » multilatéralisme. En 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prend la relève du GATT avec un ensemble de règles encore plus ambitieux, accompagné de mécanismes sophistiqués de résolution de dispute entre les pays membres. Un grand conflit entre les États-Unis et l’UE sur l’importation des bananes est ainsi réglé après quinze ans de recours juridiques. Le développement des technologies de l’information et de la communication favorise toujours plus d’intégration économique entre les membres de l’OMC, permettant la création transfrontalière de chaînes d’approvisionnement très complexes qui rendent les nations plus interdépendantes que jamais. Le prix des biens de consommation baisse, et un flot continu de nouveaux produits vient divertir les populations. Que demandent les peuples ?

Dès la première décennie de l’OMC, deux ombres apparaissent au tableau. D’abord, la domination des États-Unis sur le nouveau système est consolidée par la technologie numérique. La nature immatérielle et transfrontalière de cette dernière rend ses activités difficiles à réguler et à taxer par les États, permettant aux champions américains, les Gafam, de réaliser des bénéfices colossaux. La volonté de l’UE de réglementer ce domaine est un sujet de discorde majeur avec Trump. La deuxième ombre, c’est l’accession à l’OMC de la seule puissance communiste qui reste, la Chine. Les autres pays membres imaginent que respecter les règles du marché international transformera son économie de socialiste en capitaliste, mais c’est le contraire qui arrive : les pratiques étatistes et déloyales de la Chine corrompent le système, permettant la montée en flèche d’une nouvelle puissance économique. Déjà en 2010, le pays est le plus grand exportateur de biens au monde. En 2020, son industrie domine des secteurs-clés entiers comme l’informatique, la chimie, les véhicules automobiles, la métallurgie… Les délocalisations de la production en Chine provoquent le chômage ailleurs. Selon une estimation, entre 2001 et 2018, les États-Unis ont perdu ainsi 3,7 millions d’emplois. L’échelle et le caractère planifié des ambitions chinoises apparaissent dans une série de projets. La nouvelle route de la soie, dévoilée en 2013, est un vaste réseau d’axes de transport maritime, ferroviaire et routier au service de son économie qui touche plus de 140 pays. Le plan « Made in China 2025 », publié en 2015, fixe comme objectif de devenir leader dans dix secteurs-clés de la haute technologie, tels que l’énergie durable, les nouveaux matériaux ou la robotique. Ces objectifs ont été pour la plupart largement atteints, notamment dans le domaine des batteries et véhicules électriques. En 2020, les Chinois ont annoncé leur stratégie de « double circulation », dont le but est d’atteindre l’autonomie complète sur leur propre marché interne, tout en profitant du marché extérieur. C’est ainsi que la Chine est devenue un trou noir au cœur de la galaxie mondiale qui attire à lui et engloutit industries, emplois, technologies et ressources matérielles. La clé de sa réussite, c’est le recours aux techniques les plus sournoises de la lutte commerciale.

Vue aérienne du port en eau profonde de Yangshan à Shanghai, Chine, 1er avril 2023. Ce port, relié au continent par le pont de Donghai, long de 32,5 km, est le plus grand terminal à conteneurs automatisé au monde, avec une capacité annuelle de plus de 6,6 millions de conteneurs © CFOTO/Sipa USA

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C’est qu’un grand nombre de sociétés chinoises dans les secteurs-clés sont en réalité des entreprises d’État qui reçoivent des subventions gouvernementales ou des prêts garantis par l’État en contravention des règles de l’OMC. Ces aides leur donnent un avantage sur leurs concurrents étrangers et leur permettent d’être en surcapacité pour exclure la concurrence étrangère ou pratiquer le dumping. La Chine crée des obstacles réglementaires protégeant l’accès à ses propres marchés, notamment en finance, télécommunications et informatique. En échange du privilège de travailler en Chine, les entreprises étrangères sont forcées de transférer leur technologie à une société chinoise, et il y a de fréquentes violations des brevets des étrangers qui ont le plus grand mal à avoir gain de cause auprès des tribunaux chinois. Même quand les brevets étrangers sont respectés, la Chine oblige les entreprises à baisser les taux de redevance pour que ses propres sociétés puissent les exploiter à un coût réduit. L’espionnage vient s’ajouter à ces pratiques qui représentent un vaste programme de vol de propriété intellectuelle. En 2023, il y avait 2 000 enquêtes ouvertes aux États-Unis concernant ce type d’affaires. Le pays a manipulé sa devise, le renminbi (nom officiel du yuan), pour le maintenir à une valeur artificiellement basse, et il est accusé d’exploiter le travail forcé des Ouïghours, notamment dans la construction de panneaux solaires. Enfin, la Chine, deuxième économie du monde, jouit du statut de pays en développement auprès de l’OMC. Dans de nombreux cas, les États-Unis ont réussi à contester le recours de la Chine à ce statut, qui est autodéclaratif, mais il lui est toujours utile dans le domaine de l’agriculture.

Le monde face à un Etat-voyou

Comment gérer ce coucou dans le nid de l’OMC qui fausse tout le système ? Les Américains ne sont pas les seuls à se plaindre des Chinois, mais ils sont les seuls à disposer de suffisamment de ressources et de motivation pour prendre le problème à bras le corps. Si la guerre tarifaire avec la Chine lancée par Trump en 2018 a marqué les esprits, Barack Obama avait déjà tenté la voie du recours juridique. Tout au long de sa présidence, les États-Unis ont déposé de nombreuses plaintes contre la Chine auprès de l’OMC, mais avec un succès mitigé. En 2013, l’organe d’appel de l’OMC a rendu un jugement historique en acceptant la définition chinoise d’une entreprise d’État, ce qui a permis à de nombreuses sociétés chinoises subventionnées par leur gouvernement de continuer de commercer en toute liberté. Obama et Trump ont boycotté l’organe d’appel qui est devenu inopérant en 2019. Obama a négocié un accord de partenariat transpacifique avec 11 pays pour contenir la Chine, mais bien que ratifié en 2016, ce traité a rencontré une forte opposition aux États-Unis et il n’est pas entré en vigueur. C’est face à l’échec de ces approches légalistes que le premier Trump s’est tourné vers les droits de douane. Joe Biden s’est montré encore plus déterminé que lui à dompter le mastodonte chinois en imposant des tarifs élevés sur de nombreux produits, dont 100 % sur les véhicules électriques. Il a essayé aussi une autre voie, le « friendshoring », qui consiste à remplacer les produits importés de Chine par d’autres importés de pays amis, comme le Mexique, l’Inde ou le Vietnam. Cette approche s’est heurtée à la complexité des chaînes d’approvisionnement, qui a permis à la Chine de délocaliser discrètement une partie de sa production dans ces pays amis. Ces derniers ont triché aussi en important des pièces et des produits chinois pour les réexpédier aux États-Unis, sous une nouvelle forme ou un nouvel emballage.

Les deux grands obstacles à la résolution du casse-tête chinois sont la faiblesse des institutions internationales censées appliquer les règles, et l’imbrication de nos économies nationales les unes dans les autres à travers les chaînes d’approvisionnement. La lutte commerciale actuelle s’apparente à une bagarre dans un ascenseur bondé. Américains et Chinois se rendent coup pour coup en cherchant des « chokepoints », ou goulets d’étranglement, c’est-à-dire des éléments des chaînes d’approvisionnement qui, bloqués, immobiliseraient toute la chaîne pour le rival. Ainsi, à partir de 2022, Biden a limité l’exportation des semi-conducteurs vers la Chine pour ralentir ses progrès technologiques, et en 2024 les Chinois ont bloqué les exportations de terres rares aux États-Unis afin d’entraver leur développement. Ces tentatives sont largement vaines et tout le monde pâtit de ce combat. La nouvelle guerre tarifaire déclenchée par Trump a au moins le mérite de focaliser l’attention générale sur le défi colossal créé, non pas par Trump lui-même, mais par l’État voyou chinois.

Emmanuel Macron, le droit à mourir d’ennui

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Le président de la République Emmanuel Macron et le journaliste Gilles Bouleau sur le plateau de TF1 "Les défis de la France", 13 mai 2025 © Jacques Witt/SIPA

Le président de la République était convié hier soir sur TF1 à une grande soirée de débats avec Gilles Bouleau, Cécile Duflot, Robert Ménard, M. In Shape, Melle Saqué, Mme Binet… Qui sera le maillon faible? Céline Pina a regardé ce joli moment de télévision.


« Tout ça pour ça » pourrait être le titre de chacune des messes cathodiques que nous inflige régulièrement notre président. Il faut dire que le sermon est aussi long qu’ennuyeux et s’il se caractérise par une chose, c’est le manque d’inspiration, de souffle et de vision. Que retenir des plus de trois heures de la nouvelle séance d’autosatisfaction qui nous fut infligée hier soir sur TF1 ? A part l’ennui incommensurable qui en résulte pour le spectateur, pas grand-chose. L’exercice est répétitif et l’acteur principal se complait dans le monologue sans avoir le talent nécessaire pour transmettre quoi que ce soit. On imagine même les conseils du responsable du média-training :

  • Il faut que l’on te sente concerné, habité. Les Français souffrent, ils ont peur, montre-leur que tu es conscient de l’ampleur de leurs attentes ! On doit le lire sur ton visage. Essaie !
  • Sinon, tu peux aussi froncer les sourcils et prendre un air revêche.

On eut donc droit à un premier Macron en mode « conscient des obligations de la charge ». Donc sourcils froncés. Il faut dire qu’il abordait son sujet préféré : montrer que l’on appartient à la cour des grands en montrant ses biceps face à la Russie et en jouant au va-t-en-guerre, mais en mode « retenez-moi où je fais un malheur ». Ou pas.

Guerre en Ukraine : rodomontades et absence de vision

Seul problème, derrière l’empilement de bla-bla justificatif, c’est surtout l’immense faiblesse des Européens qui apparait. Derrière la nécessité de l’ambigüité mise en avant par Emmanuel Macron, c’est l’irrésolution et le manque de moyens que l’on sent. Sorti du prêchi-prêcha, rien ne tient la route, à commencer par la question des sanctions contre la Russie. On aimerait bien que quelqu’un se dévoue pour expliquer à nos dirigeants ce que la mère d’un enfant de trois ans saisit assez vite sans avoir besoin de faire Saint-Cyr : « N’agite pas une sanction que tu n’es pas prêt à exécuter ». Et avant de menacer, commence par savoir jusqu’où tu es prêt à aller… Faute de respecter ces règles de base, une fois la séquence dépouillée de l’amoncellement de mots et de circonvolutions verbales qui caractérisent la parole présidentielle, il ne restait rien à se mettre sous la dent. La menace russe est décrite avec force détails, les nécessaires investissements, sacrifices et contraintes que la proximité du danger implique, eux, restent flous et ne sont pas à la hauteur des peurs agitées.

Silence sur la menace islamiste, tir à boulets rouges sur Israël

La menace islamiste, elle, a été évacuée sous le biais de « nos services maitrisent le risque terroriste ». Fermez le ban. La menace géopolitique et intérieure que cette idéologie représente a été écartée des sujets. Elle ne sera même pas effleurée. Il faut dire que lorsqu’un président choisit de reprendre en creux la lecture islamo-gauchiste de ce qui se passe à Gaza, pour valider, tout en ayant l’air de ne pas y toucher, le terme de génocide, il commet une faute politique. Mais il y est encouragé par un Gilles Bouleau qui prétend que cette qualification a été validée par des juristes et des historiens.

Le problème c’est que ce n’est pas le cas et que les spécialistes de la question, eux, disent clairement qu’il n’y a pas de génocide. Même le Hamas a reconnu que la plupart des victimes (70%) étaient des combattants, ce qui met le ratio civil/combattant tué au niveau de n’importe quelle guerre moderne. Mais qui reprochera à un président une séquence émotion surjouée, larme à l’œil et lippe tremblante, quand est mise en avant la mort d’enfants ? En revanche le président est moins disert quand il s’agit de remonter à la source de cette guerre, d’évoquer clairement pourquoi le pogrome a eu lieu, à quel point la haine des juifs est culturelle dans la région et est structurante dans l’idéologie islamiste ; et à quel point l’instrumentalisation de ce conflit et la bêtise des politiques a des conséquences sur la vie quotidienne des juifs de France.

La séquence Gaza avait tout des figures imposées du patinage artistique. Mais derrière les sourcils froncés de l’homme concerné, la vacuité de l’analyse était totale. C’était de la captation de bienveillance à usage clientéliste ; alors pour faire passer la pilule, après avoir versé de l’huile sur le feu, le président a bien entendu déploré l’antisémitisme. En même temps.

Lors de ce grand exercice d’émotion contenue, perlant sous la cuirasse sans risquer de la rouiller, il y a portant eu un grand oublié. Emmanuel Macron n’aura en effet pas eu un seul mot pour un de nos compatriotes qui subit l’injustice et la violence d’un régime autoritaire. Boualem Sansal, arbitrairement emprisonné dans les geôles algériennes est un symbole de l’écrivain dont la tyrannie veut faire taire la voix. Visiblement ce sont là préoccupations trop triviales pour notre Grande conscience.

Des invités censés bousculer le président, aussi prévisibles que peu passionnants : le cas Binet

Disons-le franchement, si je n’avais pas été missionnée pour écrire cette analyse ce matin, je n’aurais probablement pas tenu jusque-là. Entre le chanoine Gilles Bouleau, dégoulinant d’onctuosité et de bons sentiments, tellement porte-manteau de la bien-pensance qu’il confine à l’insignifiance, et un Emmanuel Macron professoral et pontifiant, la séquence « Poutine va tous nous tuer » était déjà rasoir alors même qu’elle était censée être existentielle. Mais, le reste allait s’avérer pire. La séquence Sophie Binet était caricaturale – et elle doit avoir le même spécialiste des médias qu’Emmanuel Macron :

  • Montre que tu incarnes la mobilisation des travailleurs et travailleuses, Sophie !
  • Sinon tu peux aussi froncer les sourcils.

Alors Sophie va froncer les sourcils toute la séquence. En même temps, c’est ce qu’elle maitrise le mieux. Parce que niveau connaissance des dossiers, il y a de grosses lacunes. Le passage sur l’Espagne aura été un moment plutôt amusant tant il témoigne de l’inanité de la posture de la Secrétaire générale de la CGT. Sophie Binet, en vantant l’exemple espagnol, se tire une balle dans le pied avec une efficacité rarement atteinte : arguant de l’augmentation du salaire minimum espagnol, elle oublie juste au passage que celui-ci reste bien inférieur au Smic français, que le redressement économique espagnol s’est fait après des réformes drastiques que n’a jamais essuyé notre pays et que ces réformes ont fait hurler à la mort la CGT à l’époque, justement. Emmanuel Macron a beau jeu de la mettre en face du réel et de la laisser le nez dans ses déjections.

Ce moment n’aide pas à crédibiliser la parole de la dirigeante de la CGT qui apparait peu inspirée dans le choix de ses arguments et se perd sur des questions de détails sans que l’on arrive à bien comprendre les objectifs de cet échange. Elle est sur ce point-là bien aidée par un Emmanuel Macron qui produit de l’échange filandreux et interminable comme l’araignée, sa toile. A ce stade de la soirée, je reconnais avoir eu du mal à fixer mon attention tant l’émission ronronnait et tant j’avais l’impression d’être enfermée dans une boucle temporelle : cette émission ressemblait à toutes celles qui l’avaient précédée et n’en finissait plus de ne pas s’achever.

Une séquence Ménard qui sort du ronronnement !

Robert Ménard allait secouer enfin le cocotier, mettant les pieds dans le plat avec des exemples précis, exprimant clairement l’exaspération des Français sur les questions de sécurité et d’immigration. Quelques engagements concrets et précis en ressortent, comme une position a priori claire sur la situation de ces maires qui se retrouvent devant les tribunaux pour avoir refusé de marier une personne sous OQTF, en situation de récidive. Situation concrète à laquelle est confronté le Maire de Béziers. Hormis sur ce point, la séquence montre à quel point les questions d’immigration restent taboues en France, et à quel point elles mettent Emmanuel Macron mal à l’aise.

Salomé : le péril jeune

S’ensuit alors la séquence « jeunes ». Arrive Salomé Saqué. Elle aussi a recruté le conseiller médias d’Emmanuel Macron et de Sophie Binet, figurez-vous…

  • Tu représentes la jeunesse dans sa diversité, il faut qu’on te sente habitée par ta mission !
  • Sinon tu peux aussi froncer les sourcils.

Salomé Saqué tient à montrer qu’elle sait garder ses distances face à l’ennemi de classe et le démontre en conservant un visage constipé censé probablement signifier l’incorruptibilité, la rigueur et l’intransigeance… Tout cela, pour finalement dérouler un argumentaire geignard sur la santé mentale des jeunes, victimes de la méchante société.

Elisabeth Levy résume la séquence dans un tweet percutant où elle rappelle cette injonction de Kennedy à la jeunesse américaine : « Avant de te demander ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ». Et c’est ce que l’on aurait aimé entendre dans la bouche d’Emmanuel Macron, tant la logorrhée victimaire de la journaliste du média d’extrême gauche Blast était pénible à écouter, surtout dans un des pays les plus protecteurs qu’il soit. Et si justement choisir l’action plutôt que la plainte permanente était une réponse politique concrète ? On aurait aimé voir un adulte remettre à sa place une Salomé Saqué tout en récriminations adolescentes, mais avec un Gilles Bouleau en chœur de pleureuses à lui tout seul, c’était difficile !

Last but not least

L’émission se referme sur ce par quoi elle a débuté, une référence à la guerre. Après la longue marche de la récrimination, vous reprendrez bien un peu de doute existentiel pour la route ?

Elle se clôt enfin, au terme de plus de trois heures dont on aurait pu se passer, avec un moment où le ridicule le dispute à la prétention : la séquence où le président doit écrire un engagement fort sur une tablette prêtée par l’émission. Cela aboutit à une phrase d’une terne banalité, sans aucun intérêt, dont la vacuité résume parfaitement cet interminable moment. « Rester libres : une armée plus forte, une économie plus indépendante, une jeunesse protégée et éduquée. Nous y arriverons ». « On est pour le bien et contre le mal » devait être déjà pris, mais c’est du même niveau ! Pathétique. Non que les objectifs soient contestables, mais qui croit que nous fournissons les efforts nécessaires ? Une fois de plus, seul l’effet d’annonce est recherché et seul l’effet d’annonce sera atteint.

Et le référendum me direz-vous ? Allez savoir… Notre majesté attend les propositions de son gouvernement. Il s’engage néanmoins à en faire un sur la loi du droit à l’aide à mourir. Il faut dire que l’extrait montrant la situation de Charles Bietry, atteint de la maladie de Charcot, était déchirant. Mais la séquence était manipulatoire. Comment rester factuel face à une telle émotion ? Et pourtant. La maladie de Charcot et les maladies neurodégénératives entrent dans le champ de l’aide à mourir, et ne suscitent pas de levée de boucliers. Ceux qui s’inquiètent des dérives de la loi actuelle le font au regard des amendements qui souhaitent élargir l’accès à l’euthanasie des personnes souffrant de maladies mentales, par exemple, des amendements qui interdisent que l’on examine les pressions qui peuvent être exercées sur les malades, qui interrogent le fait de mettre en place l’euthanasie avant que de réels engagements sur le déploiement des soins palliatifs aient été pris… etc.

Mais il faut reconnaitre que les trois heures d’émission ayant accouché d’une accumulation de clichés et de sermons et de pas grand-chose de concret, il fallait bien trouver une idée pour placer Emmanuel Macron au-dessus de la vulgate et le montrer capable d’exaucer au moins une attente des Français. Pour cela, il a choisi la guerre et l’aide à mourir. De bien belles perspectives collectives !

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Avocats: retour à l’Inquisition

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L'avocat de Gérard Deparideu Jérémie Assous s'adresse à la presse, hier, Paris © Gabrielle CEZARD/SIPA

Devant le tribunal, Mme Le Pen et M. Depardieu ont eu le culot de prétendre présenter une défense, d’exercer leur bon droit de contester les accusations dont ils faisaient l’objet. Mais, cela revient désormais à ajouter un nouveau crime à ceux qu’on leur reprochait déjà…


« Le rôle de l’avocat est de presser l’accusé d’avouer et de se repentir, et de solliciter une pénitence pour le crime qu’il a commis. »

Voilà la triste mission dévolue à la défense telle qu’elle est formulée dans le Manuel des Inquisiteurs (Directorium Inquisitorum) conçu et écrit entre 1376 et 1378 par le dominicain Nicolau Eymerich et complété deux siècles plus tard, en 1578, par le canoniste Francisco Pena. Cet ouvrage sera le guide suprême auprès des juges de tous les tribunaux de l’inquisition durant près de trois siècles.

Pour ma part, j’ignorais qu’il fût encore en vigueur. Je le découvre donc.

Car c’est bien ce que nous venons de constater ces derniers temps dans deux affaires de grand écho. Il semble, en effet, que les deux tribunaux ayant eu à juger ces deux affaires s’en tiennent, quant au rôle de l’avocat, rigoureusement à la même conception que celle énoncée ci-dessus : « Presser l’accusé d’avouer ». Et non pas, comme un vain peuple pourrait se l’imaginer, s’attacher à présenter une quelconque défense.

Ces deux affaires sont les procès instruits à l’encontre de Marine Le Pen, et de Gérard Depardieu. Fort différents quant au fond, bien évidemment.

Abus de contre-pouvoir

Cependant, dans le cas de Marine Le Pen, que déclare le tribunal en substance ? « Puisque vos avocats contestent la réalité de l’accusation, la matérialité des faits qui vous sont reprochés, osent arguer de votre innocence, cela implique forcément que vous vous trouviez dans la disposition d’esprit – au moins d’esprit – de récidiver. En d’autres termes, la seule voie que ce tribunal aurait reconnue comme légitime aurait été que les défenseurs « pressent la prévenue de passer aux aveux » et, accessoirement, proposent d’eux-mêmes une peine en cohérence avec la gravité des faits avoués.

A ne pas manquer: Causeur # 134 : l’extrême droit ne passera pas !

Même sophisme dans l’affaire Depardieu. C’est ce que révèle et dénonce avec fermeté l’avocat de l’acteur, Maître Jérémie Assous. Prétendre présenter une défense, exercer le droit de tout justiciable de contester les accusations dont il fait l’objet, revient donc à ajouter un crime à celui ou ceux déjà reprochés. Là aussi, le tribunal n’attendait rien d’autre que des aveux, une contrition bien sonnante, spectaculaire, assortie éventuellement d’une flagellation publique du prévenu en plein prétoire. Cela aurait eu de l’allure, vraiment. Et l’immense acteur aurait certainement su jouer la scène avec un exceptionnel brio, lui qui sait aussi bien être époustouflant en Cyrano qu’en Obélix.

Rouleau compresseur

Cela dit, ces faits judiciaires, ce dévoiement des principes fondamentaux du droit de la défense, sont d’une gravité extrême. Comment les interpréter autrement que comme un retour – à bas bruit, mais bel et bien effectif – à une forme d’obscurantisme où, comme au temps de l’inquisition, la réalité des faits, la vérité ne pèsent d’aucun poids face au rouleau compresseur de l’idéologie dominante. Le tribunal n’est plus alors un lieu où l’on juge, mais la chambre d’enregistrement des dernières dérives d’une opinion publique dûment façonnée par un concert médiatique parfaitement orchestré. On se souvient du mot cinglant, mais ô combien parlant du grand avocat Moro Giafferi: « Sortez la du prétoire, l’opinion publique, cette putain qui tire le juge par la manche. » Puisque je citais les auteurs du Manuel des Inquisiteurs, ne boudons pas notre plaisir et ajoutons cette autre affirmation en forme d’aveu : « La finalité du procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de maintenir le bien public et de terroriser le peuple. » Au moins, les choses étaient clairement dites. On en serait presque à regretter tant de cynique franchise…

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Comment avoir une bonne note en dissertation de Français — du Bac à l’Agrégation

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Résultats du baccalauréat, Nice, 2023 © SYSPEO/SIPA

Le prof de Lettres qui sommeillait dans l’inconscient de notre chroniqueur s’est brutalement réveillé, en cette période d’examens et de concours. Mais n’est-il pas un peu trop exigeant — en cette ère d’ignorance satisfaite ?


Il y a peu, Le Figaro, sentant venir le Bac, s’est fendu d’un article dressant la liste (les journaux adorent les listes, meilleurs collèges, meilleurs lycées, meilleurs hôpitaux, meilleurs sextoys et autres données indispensables) des « 20 classiques de la littérature à avoir lu avant 18 ans selon les professeurs des meilleurs lycées » — et l’on voit qu’un classement renvoie à un autre classement, selon un processus sans fin. Rien que de très attendu dans cette mini-bibliothèque idéale — mais rien non plus qui permette d’avoir une très bonne note. L’illustre journal s’aligne au fond sur les données de l’Intelligence Artificielle, dont on sait ici ce que j’en pense, et qui certainement, si on lui posait la question, dresserait le même palmarès.

Parfait. C’est tout à fait suffisant pour avoir la moyenne, cet idéal des machines.

Mais si la moyenne suffit au Bac ou en Licence, elle est notoirement insuffisante dès que l’on passe à l’échelon au-dessus. La « moyenne » des candidats admissibles à l’ENS ? par exemple, n’est pas 10 — elle est légèrement au-dessus de 14. C’est-à-dire que si vous avez 10 ou 12, vous êtes recalé dès l’écrit. Et si vous avez tout juste 14, vos chances de réussir après l’oral sont faibles, étant entendu que vous n’avez aucun capital pour compenser un faux-pas, toujours possible.

L’élitisme républicain, dont je défends ardemment le principe, ne s’est jamais contenté d’une moyenne médiocre (cette formule est techniquement un isolexisme, mais si vous êtes feignant, vous pouvez la ranger, bien sûr, dans la grande famille des polyptotes…). Jean Jaurès fut lauréat du Concours général en latin — Jean Zay, lui, fut lauréat en Littérature française — avant de réussir 1er à l’Ecole Normale Supérieure, Léon Blum a suivi le même cursus, et écrivit un essai remarquable sur Stendhal et le beylisme — entre autres travaux littéraires. C’était cela, la gauche. Voilà qui nous éloigne assez de Sébastien Delogu et autres figures majeures de la Gauche d’aujourd’hui. Mais comme ne cessent de le proclamer les sociologues, le niveau monte…

La liste du Figaro est une base. Imaginez que visant une performance olympique, on fasse remarquer que vous avez appris à marcher. Ces vingt « classiques » sont certainement indispensables (et je n’imagine pas que de futurs enseignants de Lettres, par exemple, n’aient pas lu les classiques répertoriés par le journal). Mais en aucun cas ils vous permettront de passer à l’étape suivante : avoir une très bonne note qui vous qualifiera pour la marche du dessus.

Le Père Goriot ou La Peau de chagrin, sans doute. Mais Le Cousin Pons, du même Balzac, vous procurera des plaisirs tout aussi délicats, et c’est une référence moins attendue que le début des aventures de Rastignac et de Vautrin. Les Misérables, soit — mais Notre-Dame de Paris vous fournira des exemples autrement saisissants de romantisme troubadour, et cela vous évitera de croire qu’à la fin, Esmeralda se marie avec Phoebus pendant que Quasimodo fait des cabrioles de joie : il y a peu, des hypokhâgneux, qui a priori visaient l’ENS, m’ont affirmé que telle était la fin du roman — étant entendu qu’ils confondaient un chef d’œuvre de Hugo avec un dessin animé de Walt Disney. L’Etranger ne m’a jamais convaincu (où avez-vous vu que dans les années 1930 un Blanc abattant un Algérien armé et menaçant finirait sur l’échafaud ? On l’aurait décoré…), et lisez plutôt La Chute, roman éblouissant du vrai Camus, séducteur, ambigu, monstrueux.

A lire aussi, Didier Desrimais: Pédagogisme: Philippe Meirieu assure qu’il n’est pour rien dans l’échec de l’Éducation nationale

Et ainsi de suite. Lire les Liaisons, c’est certainement indispensable — après tout, c’est le plus grand roman jamais écrit en français, et sans doute le brûlot féministe le plus ardent jamais écrit — par un homme… Mais connaître le Discours sur l’Education des femmes de Laclos permet de relativiser les déclarations filandreuses et un peu niaises d’Olympe de Gouges, référence fréquente chez les enseignants formés par les IUFM / ESPE / INSPE et autres hauts lieux du pédagogisme et de l’ignorance considérée comme l’un des beaux-arts.

Un prof de Lettres compétent devrait utiliser cette liste (d’où est absent Manon Lescaut, chef d’œuvre de l’abbé Prévost) pour dresser le socle des connaissances indispensables — puis édifier posément le monument des œuvres moins visibles mais dont la référence impressionnera le jury. Il devrait la compléter avec quelques titres majeurs de littérature étrangère (quelle bien-pensance a limité au seul Primo Levi les références non françaises ?), mais surtout fouiller dans le second rayon pour fournir des exemples percutants. Les Liaisons pour évoquer le libertinage, soit ; mais quid du Sopha, de Crébillon, ou du Canapé couleur de feu de Fougeret de Monbron ?

Ce que je dis ici du roman doit s’entendre aussi en poésie ou au théâtre. Un bon élève connaît les classiques, un excellent élève connaît les marges. Au lieu de se contenter des titres-phares, il fait un pas de côté dans la bibliothèque, et se lance à la découverte des œuvres moins voyantes mais dont la connaissance témoigne d’une vraie culture.

Evidemment, seuls des maîtres bien formés peuvent aiguiller leurs classes dans le labyrinthe de la « bibliothèque de Babel », comme disait Borgès. On ne peut jamais tout lire, mais il est essentiel de varier ses lectures. Si les grands phares sont indispensables, les petits lumignons sont souvent jouissifs et plus révélateurs d’une vraie culture que les références de base que tout le monde utilisera, étant entendu que l’on vous demande certes de connaître les fondamentaux, mais aussi de vous démarquer subtilement en allant chercher des exemples moins évidents — tout en évitant de citer des œuvres que le correcteur ignore, ce qui ne manquerait pas de le vexer. Ce ne sont pas vingt grands textes qu’il faut maîtriser, mais cent ou deux cents — et alors l’avenir vous appartiendra.

Bien sûr, ce que je dis de la littérature est à adapter à la philosophie, à l’Histoire, et à toutes les disciplines qui requièrent un certain niveau de culture. Parce que c’est en frottant les bons esprits les uns contre les autres, et en vous colletant vous-même avec eux, que vous élaborerez un écrit susceptible d’accrocher les correcteurs les plus blasés, qui vous seront reconnaissants de trouver enfin une copie qui se distingue — et l’élitisme républicain, c’est la distinction fondée sur le mérite.

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Le narcissisme vertueux et l’antisionisme

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Jean Szlamowicz. DR.

Concernant Israël, certaines personnalités, auréolées d’une judéité talismanique, se permettent des jugements moraux sans rapport avec les réalités existentielles et militaires du terrain. Pire, elles font de cette arrogance morale le fondement d’une proposition politique qui contribue à construire l’opinion, et plus particulièrement à renforcer l’antisionisme de principe du camp islamo-gauchiste. C’est ainsi que derrière une proclamation humaniste relevant de la niaiserie larmoyante, on lit des accusations qu’ont déjà reprises en cœur les adversaires d’Israël. Tel est le cas d’un texte pervers publié dans Tenoua, « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », où Delphine Horvilleur se livre à une exhibition de moralité qui est un pur exercice rhétorique. Son argumentation y sacrifie le raisonnement et la démonstration (logos) au profit de l’émotion (pathos) et de l’exhibition de soi (éthos) : cette articulation du pathos, de l’indignation morale, de la notoriété et de l’argument identitaire (« en tant que juif ») signe un texte mondain, opportuniste, égocentrique.

Mise en scène de la vertu

La déclaration d’amour domine le début de son texte : « C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. » Cette captatio benevolentiae sert de paravent : on peut ensuite dire les pires choses, on se sera protégé par l’affichage d’une bonne intention dont la sincérité est pourtant démentie par le reste du texte. Elle prolonge ensuite cette phrase par une vigoureuse proclamation : « Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région. »

L’épanaphore (« par amour […] par la force […] par la douleur […] par la tragédie »…) sert à accentuer la gravité des propos tout en valorisant le courage de celle qui ose prendre la parole à la suite d’un dilemme moral (« Moi‐même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole »). La répétition du « je » qui traverse son texte est d’ailleurs manifeste : cette mise en scène de l’émotion personnelle est un argument affectif sans aucune valeur de démonstration factuelle. Elle pose ainsi une supposée « faillite morale » par allusion, sans en établir la réalité. De même, le mot « tragédie » relève du pathos et non de la description. Par le consensus moral qu’il invoque — puisque personne, évidemment, ne serait favorable à une tragédie — il cache la réalité politique : ayant déclenché une guerre d’agression, Gaza en subi les conséquences, comme pour toute attaque ratée.

S’il est bien vrai que toute la région est concernée, ce n’est pas par un « traumatisme » qu’elle endurerait mais du fait de l’agression à laquelle elle participe : les Houthis du Yémen, l’Iran, le Hezbollah au Liban. Mais peut-être faut-il en effet parler de « traumatisme » quand on ne parvient pas à tuer autant de Juifs que prévu. Cette victimisation des agresseurs est tout de même un retournement bien étonnant de la part d’un esprit se voulant aussi fin que Delphine Horvilleur dont la morale semble singulièrement en porte-à-faux avec le réel. Il faudrait sans doute épargner celui qui vient vous tuer et lui laisser la possibilité de recommencer.

Victimisation et réalité politique

Cette volonté de tendre la joue gauche ressemble plutôt à la martyrologie chrétienne qu’au sionisme. Dans le Talmud (Traité Sanhédrin, 72a et b), il est dit : « Si quelqu’un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ! » Mais il faut compléter cela par le devoir d’altruisme qui l’inspire : « Ne reste pas immobile sur le sang de ton frère en le regardant mourir, alors que tu peux le sauver », commente Rashi pour expliciter « ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Vayikra 19,16) : c’est précisément sauver son prochain que d’empêcher une agression. Plutôt qu’une incantation « pacifiste » comme celle de Delphine Horvilleur, l’interprétation des situations spécifiques qui occupe les talmudistes fonde une réflexion éthique autant que politique de la matérialité des situations, loin de toute abstraction. La survie et la protection de son peuple face à l’ennemi venu l’annihiler est bel et bien un cas exigeant la violence.

On ne saurait en trouver d’illustration plus évidente que l’agression qui s’abat sur Israël depuis toujours, et notamment en 1948, 1967, 1973 et depuis toutes les attaques provenant de Gaza (2008, 2012, 2014, et, bien sûr, le 7 octobre 2023…). Israël ne déclenche pas de guerre. Et Israël ne peut pas perdre de guerre. Et jusqu’à présent, Israël n’était pas autorisé non plus par ses « alliés » américains et européens à gagner de guerre. Delphine Horvilleur ne veut pas qu’Israël gagne une guerre de manière définitive — veut-elle que ses ennemis puissent se ressaisir ? Après tout, telle était la doctrine habituelle : gérer les agressions et, sous la pression des États-Unis et de l’Europe, ne pas éliminer complètement les agresseurs.

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Après avoir changé ses chiffres, le Hamas a finalement dû reconnaitre que 72% des pertes étaient des hommes en âge de combattre et non des femmes et des enfants. Voilà qui ressemble davantage au ratio de victimes civiles le plus faible de l’histoire de la guerre et non à une « faillite morale ». On est plus proche de l’exemplarité que de la honte. Alors même qu’Israël prévient les civils de ses attaques, cible ses frappes et exfiltre les Gazaouis qui le désirent, Delphine Horvilleur choisit d’adopter le narratif victimaire propagé par le Hamas.

L’accumulation de reproches de son texte donne une impression d’évidence incontestable mais cette conglobation repose sur l’abstraction et non sur la factualité : cet empilement d’évitements et de demi-vérités allusives joue un rôle argumentatif insidieux mais dénué de valeur de vérité. L’accusation d’Israël est, en soi, un renversement de culpabilité : si Gaza veut que la guerre s’arrête, il suffit de rendre les otages et de déposer les armes. L’acharnement est bien celui du Hamas. Et en étrillant Israël sans évoquer ces crimes du Hamas, Delphine Horvilleur réalise un retournement moral d’une gravité capitale. Que son texte soit repris sur les réseaux par de nombreux antisionistes et de militants islamo-gauchistes est bien la marque d’un positionnement qui satisfait les ennemis d’Israël.

En formulant l’injonction que « cet État doit […] tendre la main » à tous les pays voisins et à leurs peuples », elle fait comme si cela n’était pas le cas depuis même avant 1947 (Accords Fayçal-Weizmann, 1919). Comme si Camp David (1978 et 2000), Oslo (1993), Taba (2001), le plan Olmert (2008) n’avaient pas existé. Toutes les propositions faites aux Arabes de Palestine se sont soldées par un rejet (même en leur offrant jusqu’à 94% de la Judée-Samarie…). Bill Clinton lui-même a rappelé le refus d’Arafat d’avoir un État, comme tous les dirigeants palestiniens depuis, car ils réclament non pas un État pour eux-mêmes mais la destruction d’Israël. C’est un point de doctrine qu’a toujours soutenu l’OLP lui-même (le plan en 10 points de 1974 n’envisageait la solution à deux États que comme une étape avant la conquête totale). Soit Delphine Horvilleur est ignorante de cette réalité politique, soit elle fait comme si elle n’existait pas, pour sauvegarder sa belle âme si télégénique.

Pathos et abstraction

Outre la complaisance qui caractérise son style, plus proche des ouvrages de développement personnel que de l’analyse talmudique, le fait de s’exhausser par un lexique abstrait qui donne l’impression de la hauteur philosophique (« amour », « conscience », « âme »…) et de l’émotion (« douleur », « cœur ») permet d’éviter les réalités, politiques, diplomatiques, stratégiques et, tout simplement, guerrières. Concrètement, comment « sauver son âme » face à un milicien gazaoui armée d’une kalachnikov ? Dans cette situation, c’est rendre Israël moralement responsable des turpitudes qu’il subit. Peut-être n’a-t-elle pas vu les vidéos où les mères palestiniennes hurlent de joie quand meurent leurs enfants élevés dans le culte du martyre jihadiste, ni celles où les braves Gazaouis prennent la pose devant des décombres et refont plusieurs prises pour être sûrs que l’émotion passe bien. Elle n’a dû voir que le montage final, à destination de l’Occident et des esprits fragiles.

Penser « au peuple palestinien » semble une obligation déclarative, mais peut-être s’agit-il d’un véritable objectif politique. Auquel cas, il faut rappeler le soutien des civils au Hamas qu’ils ont élu, leur participation au 7-Octobre, leur joie, leur rôle dans la détention des otages. Ces civils qui endossent tantôt une tenue militaire, tantôt un gilet marqué « presse » ou une blouse blanche de médecin pour aller stocker des armes dans des hôpitaux. Leur révolte apparente contre le Hamas n’intervient que dans la défaite, alors que la population, pour sa plus grande majorité, a célébré le 7-Octobre.

Depuis Stéphane Hessel et le pathos de son évocation anti-israélienne[1], « les enfants de Gaza » est devenu un topos antisémite dont les racines sont celles de l’accusation de meurtre rituel. La répétition lancinante du mot « enfant » dans le texte de Delphine Horvilleur est un procédé pathétique qui nie la réalité sociale et politique de Gaza. Peut-être pourrait-elle accuser le Hamas, pointer le conditionnement mortifère qu’il inflige à sa population, plutôt que de se tourner vers Israël ? Ou s’étonner de ces mères qui ne cessent de proclamer leur désir de voir leurs enfants devenir des shaheed, des martyres capables de tuer des Juifs. Mosab Hassan Youssef, fils d’un fondateur du Hamas, ne cesse de décrire ce culte de la mort, cette haine du Juif, théologique autant que culturelle, qui a été inculquée à tous les enfants de Gaza qui apprennent dès leur plus jeune âge à égorger des Juifs et à manipuler des armes. Même l’Union européenne, qui fermait les yeux avec tellement d’intensité sur l’utilisation des financements qu’elle octroyait à l’UNRWA, vient de voter pour un gel des financements des écoles de l’UNRWA pour mettre fin à l’éducation à la haine qui a cours à Gaza[2]

Mais Delphine Horvilleur préfère accuser Israël au nom de l’amour qu’elle lui porte : « [mon amour de ce pays] est un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger et il est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser. » Habilement, elle reprend l’accusation de génocide sans prononcer le mot, accusation indirecte, informulée et donc d’autant plus perfide. La formulation nominale (« l’annihilation ») et l’article indéfini (« un » peuple) permettent aussi une abstraction commode qui évite de poser des faits.

Le nouveau recours à l’épanaphore conclut sa harangue :

« Cet amour d’Israël consiste aujourd’hui à l’appeler à un sursaut de conscience…Il consiste à soutenir ceux qui savent que la Démocratie est la seule fidélité au projet sioniste.

Soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire.

Soutenir ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza.

Soutenir ceux qui savent que seul le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation.

Soutenir ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien.

Soutenir ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants. »

Cette litanie anaphorique est une figure d’emphase qui verse dans la grandiloquence. L’épanaphore est une figure tellement visible qu’elle crée un effet hypnotique faisant passer au second plan les contenus propositionnels, ici douteux, qui suivent au bénéfice de la force de conviction qu’elle permet d’afficher. Elle indique, par son ampleur même, la gravité des propos que l’on désire assumer. C’est une figure de tribun, de procureur, d’accusateur public. Mais son réquisitoire exalte simultanément « ceux qui savent », au rang desquels elle se compte, bien entendu. Or, cette emphase n’est pas juste un ornement stylistique. Ici, les procédures d’amplification sont de l’ordre de l’intimidation morale. En systématisant cette hyperbole, ce texte rend impossible la contradiction argumentative : quiconque oserait contredire cette figure d’innocence dont la vertu est si emphatiquement proclamée serait forcément une personne ignoble… Un tel miroir narcissique — « pensez comme moi si vous êtes une bonne personne » — relève d’une démagogie de l’enrôlement.

Le grand retournement

Elle utilise le même pathos manipulateur que naguère Stéphane Hessel (« les enfants »), reprend le vocabulaire antisioniste (« suprémaciste et raciste »), le lexique pacifiste (elle dit « fin des combats » et non « victoire ») et creux (« avenir », « sauver son âme »), voire fallacieux (« affamer des innocents ») dans un propos qui vise à désarmer Israël et à confisquer la démocratie au profit de son camp politique présenté comme incarnant la vertu. C’est une rhétorique ampoulée, pleine de morgue jusque dans sa prétention à l’humilité.

En reprenant les poncifs antisionistes les plus caricaturaux et les plus radicaux, elle semble avoir choisi le créneau discursif du « Juif anti-israélien par amour d’Israël ». Car elle saurait, elle, ce qu’est le vrai Israël. Cela rappelle malheureusement un topos anti-judaïque, celui du supersessionisme comme doctrine du christianisme se pensant comme Verus Israel et condamnant le judaïsme comme une erreur destinale. Les Juifs qui ne pensent pas comme elle seraient alors des imposteurs, des malfaisants, des mauvais Juifs.

Par facilité, on parle souvent de « haine de soi », mais c’est bien l’inverse qui anime certaines personnes, désireuses au contraire de se valoriser au détriment des autres, en exhibant leur vertu, leur supériorité morale et en faisant l’argument de leur gloire. Depuis les descriptions qu’en a fait Vladimir Jankélévitch dans L’aventure, l’ennui, le sérieux, on connait bien ces professionnels de la vertu, mais il reste à comprendre les ressorts des petits boutiquiers du judaïsme officiel, ces élites carriéristes qui se complaisent dans le mépris et décident que la démocratie doit leur ressembler, en toute exclusivité, y compris s’il faut pour cela vendre le renom de leurs frères et apporter des arguments à ses ennemis. Cet orgueil démesuré, hybris narcissique de la vertu se voulant loi, finit alors par trouver sa place dans une typologie des traitres.


[1] « Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre.[…] c’est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vus confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. » (Indignez-vous !, p.17)

[2] « Les contribuables européens ne veulent pas que leur argent soutienne une éducation qui célèbre le terrorisme et prône la haine d’Israël » a conclu le parlement européen en votant massivement sa résolution le 7 mai 2025.

Magistrale BB

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Brigitte Bardot a reçu BFMTV. Mai 2025. Capture d'écran BFM.

Brigitte Bardot s’est confiée avec mélancolie et franc-parler à BFMTV. Elle a bien sûr rappelé son combat pour la cause animale et livré sa vision critique du monde contemporain, sans crainte du jugement. Résultat: les féministes enragent. « Longue vie à notre éternelle sex-symbol ! » lance notre rédactrice en chef dans sa chronique radio. Nous vous proposons de l’écouter.


Brigitte Bardot s’est livrée sur BFMTV. Certaines de ses déclarations font bondir les féministes. Et moi, elles m’enchantent. Sacrée BB. Une femme libre. Non seulement l’actrice défend Nicolas Bedos et Gérard Depardieu (le jugement de ce dernier était attendu ce matin), mais elle tire à boulets rouges sur la plus sacrée des vaches sacrées : le féminisme.

Le féminisme, c’est pas mon truc. Moi j’aime les mecs ! lance la star
– On peut aimer les mecs et être féministe, rétorque le journaliste.
– Non !

Stricto sensu, Brigitte Bardot a tort. Je suis féministe et j’aime les hommes (enfin, certains hommes). Elle aussi, sans le savoir ; mais féministe à l’ancienne, c’est-à-dire universaliste -une féministe qui prône l’égalité des sexes. Bien sûr, cette égalité n’est jamais réalisée complètement, comme la démocratie. Mais, dans nos sociétés c’est la norme. Une égalité juridique, politique et sociale. Personne n’oserait plus faire dire à un de ses personnages dans un film : « Alors, ta bourgeoise, tu lui claques le beignet ?» (Ça, c’était Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol). La société ne tolère plus qu’un homme claque le beignet de sa bourgeoise. La révolution féministe a réussi. C’est même (avec les bas-jarretières, vous savez ceux qui tiennent tout seuls) le plus bel héritage du XXème siècle.

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Mais pourquoi ces déclarations m’enchantent-elles ?

BB dit la vérité sur ce que le féminisme est devenu – bien avant MeToo d’ailleurs (on appelait déjà cela le néo-féminisme) :

  • Un mouvement pleurnichard et victimaire qui ne voit jamais les progrès accomplis. Des mauvaises gagnantes (comme l’a dit joliment Alain Finkielkraut) qui ont besoin de ranimer un patriarcat évanoui pour exister. À les entendre, la France est pire que l’Iran et l’Afghanistan où le sort des femmes ne les soucie guère (Manon Aubry est très fière de distribuer des pilules abortives en Pologne, que ne le fait-elle en Algérie ?)
  • Ces néoféministes ne veulent pas la justice mais la revanche. À notre tour de dominer, à votre tour d’en baver.
  • Derrière tous leurs discours, tous leurs actes ou derrière leurs commissions McCarthy se cache une haine de la sexualité en général, de la sexualité masculine en particulier et singulièrement de l’homme blanc hétéro. Elles détestent la séduction, la drague, les jeux de l’amour et du hasard transformés en VSS – violences sexistes et sexuelles. Le procès de Mazan est ainsi devenu celui des hommes. Tous des violeurs. Tous des porcs. Anouk Grimbert déclare dans Libération « on ne veut plus voir la queue des hommes, ça ne nous intéresse pas ». Parle pour toi !

Comme BB, je suis une féministe joyeuse et victorieuse. Et je dis à toutes ces coupeuses de… têtes : si vous n’aimez pas ça, n’essayez pas d’en dégoûter les autres. Longue vie à notre éternelle sex-symbol !


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud radio (99.9FM Paris). 

Giuliano da Empoli: le retour des conquistadors et des Borgia

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Giuliano da Empoli en 2023 © SOPA Images/SIPA

Giuliano da Empoli, écrivain et conseiller politique italien et suisse, a déjà publié Les ingénieurs du chaos et Le mage du Kremlin. Il nous offre à présent L’heure des prédateurs qui nous plonge dans l’enfer souriant et autiste des seigneurs de la tech, ainsi que dans l’univers impitoyable de certains gouvernants.


Au fil des nouvelles pérégrinations de Giuliano da Empoli à travers le monde, nous découvrons à quelle sauce nous allons être mangés.

Les nouveaux conquistadors

Le narrateur de son dernier livre se présente comme « un scribe aztèque » qui, depuis la victoire des conquistadors, traverse le temps et les pays en prenant des notes. Aujourd’hui, les hommes couverts de métal scintillant au soleil de telle sorte qu’ils furent pris pour des dieux – d’autant qu’ils avaient des armes à feu convaincantes – ne sont plus les soldats de Cortès, mais les seigneurs de la tech.

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« Au cours des trois dernières décennies, les responsables politiques des démocraties occidentales se sont comportés, face aux conquistadors de la tech, exactement comme les Aztèques du XVIème siècle. Confrontés à la foudre et au tonnerre d’Internet, des réseaux sociaux et de l’IA, ils se sont soumis, dans l’espoir qu’un peu de poussière de fée rejaillirait sur eux. » Mais « Les conquistadors de la tech ont décidé de se débarrasser des anciennes élites politiques. » D’abord, ils ont marché avec eux, et le scribe nous raconte le rôle d’Eric Schmidt dans la réélection d’Obama en 2012, puis, ils les ont surplombés en récoltant les dividendes de la complicité ; à savoir le silence des avocats quant au rôle des plateformes dans la vie politique de la nation. Mais, les démocrates seront-ils les seuls à être laissés sur la touche ? Rien n’est moins sûr.

Les nouveaux Borgia

En attendant qu’ils n’en fassent qu’une bouchée, ils peuvent compter sur les nouveaux Borgia. « À l’heure des prédateurs, les borgiens de la planète entière offrent les territoires qu’ils gouvernent comme un laboratoire aux conquistadors numériques, pour qu’ils viennent y déployer leur vision du futur sans s’encombrer de lois et de droits d’un autre âge. MBS construit des enclaves où ne s’appliqueront que les lois de la tech, Bukele a adopté le bitcoin comme monnaie officielle de son pays, Milei envisage de bâtir des centrales nucléaires pour alimenter les serveurs de l’IA. De son côté, Trump a confié des pans entiers de son administration aux accélérationnistes les plus déchaînés de la Valley ». On ne s’encombrera pas non plus de lois et de droits d’un autre âge pour enfermer de hauts dignitaires et de grosses fortunes au Ritz-Carlton comme MBS le fit, afin de soutirer aveux et chèques conséquents en maniant le matériel qui convient. L’État saoudien a récupéré ce faisant plus de « 100 milliards pour financer les projets pharaoniques du jeune prince. » Au Salvador, Bukele n’a pas davantage hésité, pour mettre fin à la criminalité ambiante, à enfermer tous les tatoués du pays (80 000 personnes tout de même) vu que les gangsters sont friands des écritures épidermiques. Bon, il y a bien eu quelques rockers égarés dans le nombre, mais le fait est que la criminalité fut divisée par 10. Il s’agit de frapper fort et vite, bref, de surprendre, voire de sidérer. Pourquoi ? Parce que « Tolstoï montre que la condition du puissant est toujours l’empêchement, car la réalisation de sa volonté dépend de tant d’autres volontés qu’elle en devient pratiquement impossible, de telle sorte que le dernier des fantassins est plus libre que Napoléon ». Raison pour laquelle « l’action résolue du prince constitue l’antidote à ce mal. »

Manière forte et nouveau terrain de jeu

« Les borgiens se concentrent sur le fond, pas sur la forme. Ils promettent de résoudre les vrais problèmes du peuple : la criminalité, l’immigration, le coût de la vie. Et que répondent leurs adversaires, les libéraux, les progressistes, les gentils démocrates ? Règles, démocratie en péril, protection des minorités… » Quant aux conquistadors, ils ont décidé que la compétition changeait désormais de terrain ; celle-ci n’a plus lieu dans un endroit réel avec us et coutumes de chacun, mais dans une sorte de « Somalie digitale » où les seules règles sont celles des plateformes. D’où l’inversion, dit le scribe : « Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants ».

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Il faut lire, pour saisir l’enjeu, un autre ouvrage1 du même auteur, où la notion de chaos est à comprendre à partir de la physique, et où l’on voit les manœuvres informatiques manipuler les foules et déterminer des votes, en faveur de la manière forte ou, éventuellement, à des fins qui échapperaient à l’utilisateur… Henry Kissinger, en 2015, se rendit à une conférence sur l’IA qui lui fit dire en sortant : « Pour la première fois, la connaissance humaine perd son caractère personnel, les individus se transforment en données, et les données deviennent prépondérantes. L’IA développe une capacité que l’on croyait réservée aux êtres humains. Elle émet des jugements stratégiques sur l’avenir. »

Et ce ne sont pas les deux papes de l’IA, Sam Altman et Demis Hassabis, qui auraient pu à Lisbonne en 2023 le rassurer. Ces deux-là, au profil Asperger prononcé pour l’un et post-humain pour les deux, ont mis KO les plus endurcis. Giuliano da Empoli nous offre là de très belles pages sur la post-humanité, après nous avoir non seulement renseignés, mais aussi divertis avec des portraits de présidents, des descriptions de l’ONU, un style enlevé et des réflexions sur le pouvoir qui valent assurément qu’on s’y penche. Tonique et vertigineux.


L’heure des prédateurs, de Giuliano da Empoli, Éditions Gallimard mars 2025, 160 pages.

L'heure des prédateurs

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Les ingénieurs du chaos

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  1. Les ingénieurs du chaos, de Giuliano da Empoli, folio actuel, mars 2025 ; 1ère édition, février 2023 ↩︎