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Apocalypse Now

(Donald Trump à la BnF)


Fin de partie. « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas ». Rideau noir sur fond noir, en 1957 Beckett enterrait les conventions théâtrales dans l’angoisse, l’aliénation et l’absurde. Le temps est proche… Nous y voilà. Donald Trump digresse, délire, dénonce, se pavane, s’agite : une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Black Friday, tout doit disparaitre : le libre-échange, le multilatéralisme, les parapluies. Le bazar fait bien les choses : « Apocalypse. Hier et demain », c’est aussi une exposition éblouissante, à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, jusqu’au 8 juin.

BNF

Game over

Cent jours de pétrin et le meilleur pour la fin. Un tiers Macbeth, un tiers Idi Amin Dada, un tiers Jean-Ferdinand Choublanc (La Foire aux immortels, Bilal), un quatrième tiers Abdallah (Tintin), le Léviathan de Mar-a-Lago massacre nos dernières illusions. L’idéal nihiliste-libéral-libertaire triomphe. Le pitch du metteur en Cène est simple : reféodalisation du monde, guerre de tous contre tous, Vae victis. Tout le monde rit jaune, serre les fesses, s’indigne, condamne le slam hardcore de Donald Arturo Ui.

L’Europe des marchands de choux-fleurs bio et rosières vegans réfléchit à une possible riposte, graduée : une directive « yakafautqu’on résiste », un Grenelle du missile solaire, des États-généraux du char électrique, une ligne Maginot végétalisée pour abriter le harle huppé, la marouette poussin et arrêter les Russes, sans oublier le « Coran européen » – alternatif – avec voile inclusif et Djihad bienveillante. La Nef des flous et le clan des saints. Sylvain Macron, Sylvette von der Leyen, les Européens, depuis trois générations, s’illusionnent sur les « Compères » : l’ours Russe, le loup Chinois, le renard islamique et Trump qui joue au sanglier. Si les MP Yankees mettent les bouts, qui fera la police sur la ligne Curzon, qui nous protégera contre les Cosaques, prédateurs, racailles, à l’Est, au Sud, qui menacent une Marianne en cessation des paiements ? L’Occident est rattrapé par l’histoire, fracassé par le réel et les questions maudites : l’alpha et l’oméga, le pourquoi, les raisons de vivre et de mourir.

A lire aussi: « Naissance de la Bossa Nova » d’Alain Gerber – L’évocation magistrale d’un courant musical tout aussi magistral

A Aubagne, Emmanuel Macron joue au Morfalou, se suce la langue sur la patrie, l’héroïsme de la Légion, Camerone. « La France, patrie de volonté et de bravoure, qui ne se définit ni par le sang, ni par une race, ni par une religion, ni par une identité figée, mais une volonté, chaque jour recommencée, d’accomplir de grandes choses avec une poignée de notre terre dans la main, un rêve universel, un idéal, cette solidarité, cette fidélité à la patrie ». Les bavasseries politicardes, discours avariés de bravitude toutlemondiste pondus par des Télétubbies de cabinet, minent la nation… Stabat m’atterre d’un pays qui sombre.

« La demi-journée défense et citoyenneté (JDC) obligatoire pour les jeunes de 16 à 25 ans permet de rappeler à chacun que la liberté a un prix. C’est aussi une occasion unique de contact direct avec la communauté militaire » (site du ministère des Armées). Les cœurs vaillants s’instruisent pour vaincre. Trois vidéos sur notre ZEE, les TAAF, la féminisation des SNLE, avant le morceau de bravoure, des QCM pour tester les QI : « Le mot frapiole existe-t-il ? Vice et vise se prononcent-ils de la même façon ? Épeler lapin. Quel est l’ordre correct des couleurs du drapeau français ? ».La quille à midi avec un certificat de participation et une dernière recommandation : « Ne le pliez pas, roulez-le, il va vous servir »

Les bourses, les droits de douane, les alliances tanguent, mais l’essentiel est ailleurs. Le Gilgamesh de Wall Street, la lune rousse trumpiste, ébranlent la planète des songes, une épistémè à bout de souffle, les tartufferies hors-sols du post-progressisme lacrymal-victimaire. Le ventre fait l’con d’où a surgi la bête immonde… Comme le chant du cygne du XVIIIe siècle et une machine à remonter le temps qui se met en marche. Tout le monde ment et se ment. Le retour du XVIIe siècle, de la fausseté des vertus humaines. Make Jacques Esprit, La Rochefoucauld et la marquise de Sablé Great Again ! Le retour du XVIe siècle, des guerres de Religion, du XVe siècle, de la guerre de cent ans… Cap au Cœur des ténèbres : dans une marmite d’IA, un bouillon d’anthropocène, ajouter une louche de vérités crypto-alternatives, un soupçon de complotisme, une pincée de transhumanisme, un zeste de Musk. A table ! Un ange passe et s’enfuit, épouvanté.

La BnF met en scène l’Apocalypse

Etymologiquement, l’Apocalypse c’est un dévoilement, une révélation et beaucoup d’interprétations : une manière de récapitulation (littéralement, redonner une tête), aussi. La fin d’un monde, du monde, avant quel retour, quelle Renaissance ? L’actualité, tragique, se décline au subjonctif et futur antérieur : guerres froides, chaudes, néo-ante décoloniales, post-apo, à toutes les sauces. Mad Max, Simon du Fleuve, Valérian agent spatio-temporel, Yoko Tsuno, sont revenus. Les élus, damnés, dystopies, le Septième Sceau, La Mort d’Orion (Manset), HAL 9000, de retour, pour de vrai, pour de bon ? C’est creux jusqu’à l’infini et … oh mon Dieu, c’est plein d’étoiles…

« Apocalypse. Hier et demain ». L’exposition de la BnF embrase avec bonheur l’histoire et l’esthétique des millénarismes, de l’attente, de la fin. Nous admirons de prestigieux manuscrits de l’Apocalypse de Jean, le Beatus de Saint-Sever, des fragments de la célèbre tenture de tapisseries d’Angers, la suite de gravures de Dürer, moult chefs-d’œuvre, tableaux, sculptures, installations, extraits de films de Bergman, Marker, Resnais.

 « Le Livre de la Révélation » qui ouvre l’exposition plonge le spectateur dans l’Apocalypse de Jean, suggère des clés d’interprétation sur les sept coupes de la colère de Dieu, l’étoile Absinthe et l’aigle de malheur, le dragon enchainé pour mille ans : une méditation sur le temps absolu, herméneutique savante et didactique de liturgie céleste. La seconde partie, « Le temps des catastrophes », est consacrée à la fortune de l’Apocalypse dans les arts : Dürer côtoie Callot, Goya, Blake, Redon, l’apocalyptique anglais, l’expressionnisme allemand. « Le jour d’après », troisième temps de l’exposition, imagine les mondes à venir, l’Apocalypse par les gouffres. Dans le remarquable catalogue, Charlotte Denoël, Frédéric Boyer, Georges Didi-Huberman, François Angelier, digressent sur l’Apocalypse au Moyen-âge, sa fortune populaire, les visions d’éclairs, de nuées, la lumière d’Ixo, les naufragés du temps, Brooklyn station terminus cosmos.

In fieri, le temps du rétablissement, l’apocatastase, c’est long, surtout vers la fin… Jeanne Brun, la Commissaire de l’exposition, met les pieds dans le plat : « A la question de savoir comment l’humanité devait continuer à exister s’est substituée aujourd’hui celle de savoir si elle devait ou non continuer. Cette question est écrasante… ». La situation est trop désespérée pour être vraiment sérieuse. « Puisque ça se joue comme ça, jouons ça comme ça et n’en parlons plus … » (Beckett).

Aux États-Unis, le surprenant développement des «cours de vie d’adulte»

Aux États-Unis, de plus en plus de jeunes adultes peinent à accomplir certaines tâches de la vie courante. Pour y remédier, des programmes leur enseignent les bases de l’autonomie : gérer un budget, cuisiner, entretenir leur logement ou encore se préparer à un entretien d’embauche.


Les jeunes Américains considèrent parfois leurs parents et grands-parents comme des imbéciles parce qu’ils peinent à se connecter au Wi-Fi, sont incapables de jouer à des jeux vidéo ou rechignent à regarder en continu des séries télévisées. Pourtant, au moment d’atteindre ce qu’on appelle l’âge adulte, nombre de ces jeunes gens ont de plus en plus de mal à réaliser les actes les plus simples de la vie courante.

Des associations spécialisées leur viennent alors en aide en leur proposant des « cours de vie d’adulte ». Les élèves apprennent à ouvrir un compte bancaire, recoudre un ourlet de pantalon, remplir une déclaration de revenus, aiguiser des couteaux de cuisine, rédiger un CV, choisir des vêtements convenables pour un entretien d’embauche, etc. Aucune « compétence de la vie » ne semble devoir échapper au programme de formation intitulé « Adulting 101 ». Raffi Grinberg, consultant dans un cabinet de conseil new-yorkais et instigateur de ce programme, vient d’écrire How to Be a Grown Up (« Comment être un adulte »), un livre destiné entre autres aux jeunes employés qui, comme lui, se sont avérés incapables de comprendre des papiers administratifs élémentaires lors de leur première embauche. Il est bien sûr prévu des extensions à ce programme, en particulier dans le domaine des relations amoureuses qui, de plus en plus souvent, débutent via des applications de rencontre. La crainte d’une bévue, d’une plaisanterie mal comprise, d’un geste inapproprié pouvant déclencher des moqueries sur les réseaux sociaux ou, pire, des poursuites judiciaires, angoisse de plus en plus de jeunes gens désirant passer d’une relation virtuelle à une relation réelle. Un tutoriel les aidera bientôt à éviter ces pièges.

Dans un monde où l’on tend à réduire l’existence humaine à un processus technique, il paraît logique que même les actes les plus simples soient inculqués par des experts et que les anciennes romances hasardeuses soient remplacées par des relations planifiées et strictement réglementées. L’Avenir radieux du Meilleur des mondes est enfin à portée de main.

Les Gobeurs ne se reposent jamais

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La Révolution du bon sens (ou Comment se libérer de 50 ans d’idées fausses)

Le bon sens et la lucidité commencent à bousculer le politiquement correct dans le débat public. Ainsi peut-on ouvertement dénoncer le racisme antiblanc sans passer pour un fasciste. C’est un début.


Parions : rien n’arrêtera la révolution des œillères. Le réel aura raison des croyances mondialistes. Telles les œillères, ces récitations erronées rétrécissent la vue. Timidement, François Hollande a concédé le renversement des consciences (RTL, 10 avril) : « Le politiquement correct avait sans doute ses défauts. » L’ancien président socialiste s’est gardé cependant de creuser sa clairvoyance. L’exercice l’aurait contraint à reconnaître ses bévues. Le confort du moralisme n’a cessé, en effet, de « donner à manger du mensonge » (Simone Weil). Jamais les informations tendancieuses ne se sont si bien portées. C’est pourquoi le besoin de vérité s’annonce plus fort que les rappels à l’ordre des clercs.

Des exemples ? En 2003, Claude Imbert, patron du Point, avait soulevé une indignation médiatique chez les gardiens du dogme diversitaire pour avoir déclaré (LCI) : « Je suis un peu islamophobe », critiquant l’islam et « sa débilité d’archaïsme divers ». Or, quand, le 28 mars dernier, Élisabeth Badinter a admis à son tour (RTL) : « Il ne faut pas avoir peur d’être traité d’islamophobe », son propos n’a même pas été relevé. Idem pour le racisme anti-Blanc, qui valait naguère à celui qui s’en plaignait d’être qualifié d’imposteur. Le 23 mars (CNews-Europe 1), la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a affirmé n’avoir « pas de pudeur » à évoquer ce racisme occulté. « Pourquoi le nier ? C’est une réalité », a même appuyé Manuel Valls dès le lendemain.

Cette lucidité renaissante est un affront à l’antiracisme obligé. Ce credo veut que la haine anti-Blanc n’existe pas puisque le dominant ne peut souffrir de peuples ethniquement dominés. Cependant, cette dialectique racialiste ne s’accorde pas aux faits. Les sondés sont 80 % à s’inquiéter de cette réalité (CSA pour CNews, 5 octobre 2022). Elle s’impose dans les écoles soumises au mélangisme. François Bousquet a enquêté1 sur le harcèlement occulté contre le « Babtou fragile », le « Francaoui de merde », le « Sale Gaouri », le « Sale gwer » (sale Blanc). Il écrit : « Tous les témoignages aboutissent à la norme antiblanche qui structure les écoles dans les zones à forte immigration. » Le Blanc est la bête noire des « minorités », dont le pape s’était fait le protecteur.

À lire aussi : Faire taire « l’extrême droite »: gare au retour de bâton!

Mais tout change. Le bon sens, associé à la France moisie, devient une vertu pour les audacieux. « J’applique le bon sens au ministère de la Justice », assure Gérald Darmanin (Europe 1, 16 avril). La veille sur CNews, Bruno Retailleau s’était réclamé des « gens du bon sens ». Au-delà des réprobations pavloviennes face aux assauts de Donald Trump contre l’immigrationnisme et le wokisme, sa « révolution du bon sens » fait mouche. Même François Bayrou en appelle, sur la dette publique, au réalisme : « Seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité de notre situation peut soutenir une action déterminée. » « La vérité vous rendra libres », avait prédit Jésus.

Reste à aller au bout de la révolution du réel. Elle oblige à une radicalité contre le progressisme bigleux qui a gagné le Système, y compris au Vatican. Ceux qui veulent se libérer de la fabrique des bobards doivent assumer une rupture avec ce monde faux, abîmé par des idées tordues. Les bidouilleurs, paniqués, annoncent cette fois l’arrivée du fascisme : leur dernier mensonge.


  1. Le Racisme antiblanc : l’enquête interdite, La Nouvelle Librairie, 2025, 292 pages. ↩︎

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La race des seigneurs

Dans une biographie romancée dont elle a le secret, l’écrivain Stéphanie des Horts dessine le portrait de Gianni Agnelli (1921-2003), le patron de la FIAT et l’homme le plus charismatique d’Italie. Un monde rapide, désinvolte, décadent et flamboyant qui continue de nourrir l’imaginaire des esthètes renaît sous la plume de cette styliste des « Beautiful People »…


Il faut du culot et du talent pour oser écrire sur ce capitaine d’industrie au profil d’empereur romain qui a fasciné le monde occidental par son charme carnassier. Un peu d’inconscience aussi. Le personnage est trop puissant, trop éclatant, trop démiurge, trop inflammable pour s’approcher d’une vérité quelconque. Dans une société de la fausse transparence et du déni de pouvoir, totalement étriquée et revancharde, Gianni cumule tous les dons et toutes les exubérances. Il ne répond pas aux codes frelatés de notre époque procédurière et pétocharde. Il ne s’excuse pas d’être né riche et beau, brillant et fissuré, couvé et adulé par un peuple en recherche d’un modèle. Il est exclusif, souverain, populaire, bambocheur, assoiffé de conquêtes et hors des lignes. Il n’écoute que son plaisir. Il a tout d’un contre-modèle, on le surnomme l’Avvocato alors qu’il n’a même pas le certificat, juste une licence de droit. Mais Gianni n’a pas besoin de diplômes et d’autorisations, il peut tout se permettre car l’Italie s’est offerte à lui comme la Juventus de Turin par une nuit d’été. « Je m’amuserai tout le temps, je ne travaillerai jamais » dit-il à dix ans à sa gouvernante américaine Miss Parker. C’est injuste et cruel pour les autres, les aristocrates « pur-sang » et les politiciens affairistes, les bons élèves et les besogneux, l’attraction ne se commande pas. Ce petit-fils de « garagiste », devenu premier employeur d’Italie, ne connaît qu’une règle : l’assouvissement de son ou plutôt de ses plaisirs. Il est un expert pour dépenser son temps et son énergie en activités rieuses et charnelles. Il aime les tables de jeu, les cylindrées démoniaques, les drogues et les filles faciles au regard d’acier. Il préfère sortir avec sa bande d’amis que de diriger le groupe FIAT. Et pourtant, c’est lui l’héritier. « Pourquoi lui ? Parce qu’il décèle chez Gianni une force irrésistible et un charme fou. Le charisme dont il aura besoin pour construire la légende de la FIAT » fait dire Stéphanie des Hors au Senatore, son grand-père. Il ne pourra échapper à son destin. Gianni était un mélange de JFK, d’Ayrton Senna, de Jean-Luc Lagardère et d’Alain Delon. Une personnalité qui ne pourrait plus exister aujourd’hui, elle étoufferait par tant d’injonctions et d’intimidations sociales. Chez ses admirateurs français, on continue de perpétuer son image, de s’échanger des anecdotes, des articles de presse, de porter sa montre-bracelet sur le poignet de sa chemise par exemple ou de plonger nu dans la Méditerranée, mais que la marche est haute pour atteindre cette idole des playboys. Il savait tout faire, skier, baiser, commander des milliers d’ouvriers et s’imposer avec un naturel fracassant aussi bien dans une âpre négociation commerciale que dans le clair-obscur d’un palais italien. Pour percer le mystère de cette icône antimoderne, il n’y avait qu’un écrivain capable de relever un tel défi. Stéphanie des Horts est la spécialiste française de cette jet-set internationale qui durant la seconde moitié du XXème siècle, des plages des Hamptons au Manoir de Chartwell, de la Riviera à la Côte Amalfitaine, a inventé un mode de vie où le désir, l’argent et la puissance ont dansé un tango souvent macabre. Elle pousse sa plume toujours plus loin, bien au-delà du simple clapotis des ragots et des commérages de salon. Stéphanie est un véritable écrivain qui d’une plume compressée, à la sensualité abrasive, ne se laisse pas prendre aux pièges du vernis. Ses livres sont toujours très informés, on ne dira jamais assez combien ses recherches historiques sont exemplaires, une somme de travail pour accéder à la vérité des Hommes ; elle ne se contente pas de rapporter des faits, elle recrée l’atmosphère, le décor des villas, l’odeur de l’huile de ricin, la suavité des peaux abandonnées, la rage et le désespoir des ruptures. « Gianni le magnifique » aux éditions Albin Michel est la radiographie précise et intimiste d’un Âge d’or où les élites étaient assurément plus libres. Elles ne cachaient pas leurs turpitudes, elles les exposaient en plein jour. Nous sommes quelques-uns à avoir vu de nos yeux Gianni Agnelli en mouvement, dans un salon automobile ou sur les bords d’une piste de Formule 1, à chaque fois, nous avons été soufflés par son énergie, son aplomb, comme si tout lui était dû, comme s’il avait la clé de la réussite. Il était le roi d’Italie. Stéphanie des Horts nous plonge au cœur des tourbillonnantes années 50/60, ils sont tous là, Ali Khan, Fon de Portago, Pamela Churchill, Marella son épouse hiératique et insondable, la papesse des jardins, le père Edoardo, le grand-père, sénateur, on voit le reflet des corniches à la belle étoile et le Lingotto, la preuve tangible du pouvoir économique dans la fournaise turinoise, les rivalités avec Henri Ford, le souvenir poisseux de Mussolini et les longues jambes d’inconnues qui se nouent pour une nuit d’ivresse autour de son cou, Stéphanie orchestre tous ses lieux et ses personnages en harmonie, dans une arabesque et une langue fureteuse. Gianni est le livre du printemps et de l’été à venir.

Gianni le magnifique de Stéphanie des Horts – Albin Michel 304 pages

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« Naissance de la Bossa Nova » d’Alain Gerber – L’évocation magistrale d’un courant musical tout aussi magistral


Sans conteste, le jazz s’est imposé comme LA musique du XXème siècle. Née comme on sait, dans le sud des Etats-Unis, il a, au fil des ans, essaimé quasiment dans le monde entier, rencontrant maints folklores avec, il faut bien le dire, des bonheurs divers. C’est que, la « créolisation » théorisée par le poète et philosophe antillais Edouard Glissant et prônée par les déconstructeurs de notre civilisation n’est pas sans risques. Son principal danger est la disparition de toute spécificité dans un melting pot informel.

Divine idylle

Par bonheur il est des mariages heureux. Des unions lumineuses. Tel est le cas de la bossa nova, fruit de la rencontre entre le jazz et la musique brésilienne. En l’occurrence, nulle idéologie abstraite mais un vrai coup de foudre. Une idylle qui se prolongera des décennies durant depuis le début des années 1960 jusqu’à nos jours.

A lire aussi, Pascal Louvrier: Cuisine et dépendances (littéraires)

Il y eut certes des précurseurs comme Dizzy Gillespie, fasciné par les rythmes afro-cubains au point d’intégrer dans son orchestre le batteur Chano Pozo (Manteca). Rien de commun toutefois avec la subtilité de musiciens brésiliens tels Vinicius de Moraes, Antônio Carlos Jobim ou encore Joao Gilberto. De quoi subjuguer Stan Getz et Charlie Byrd et autres musiciens nord-américains, Dave Brubeck, Quincy Jones ou Herb Ellis, pour ne citer qu’eux.

Qui mieux qu’Alain Gerber aurait pu rendre compte de cette idylle devenue une véritable épopée, narrée avec une précision entomologique assortie d’une vision panoramique ? La réputation de l’auteur dépasse largement le seul monde du jazz et son talent d’écrivain n’est plus à louer. Fleuron des éditions Frémeaux et Associés, tant dans le domaine du disque que dans celui du livre, il en est la clé de voûte. La pierre angulaire. Qui ne se souvient de sa contribution remarquable à la collection Quintessence ? Il en donne ici, une fois de plus, l’exemple : à son livre passionnant de bout en bout il adjoint un complément sonore indispensable. En effet un coffret de deux disques illustrant son propos d’historien vient en apporter la confirmation. Tous les grands noms y figurent, tous les succès mondiaux aussi. De Villa-Lobos à Bud Shank en passant par Jobim et Zoot Sims, ils sont tous là avec leurs chefs d’œuvre, Bachiana Brasileira, Pensativa, Maria Ninguem, entre bien d’autres.Une plongée rafraîchissante.

Un voyage à la fois dépaysant et exaltant dont on sort revigoré.

Alain Gerber, Naissance de la bossa nova, un livre de 320 pages. Un coffret de deux CD, 29,99 euros. Editions Frémeaux et Associés.

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L’école libre à l’ère du soupçon

Au prétexte de l’affaire Bétharram, l’administration sort la matraque contre l’enseignement catholique (qu’elle n’a jamais du reste tellement ménagé). Au nom de la République, bien sûr.


C’est peut-être en se rendant à l’école Notre-Dame-des-Vertus, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, que l’on mesure le mieux la popularité de l’enseignement catholique en France de nos jours. Le 5 mai, une manifestation a eu lieu devant l’entrée de l’établissement. Plusieurs membres de la section locale de la FCPE, le principal syndicat des parents d’élèves du public, sont venus distribuer des tracts. Avec ce curieux mot d’ordre : « Revenez ! ». Un message destiné aux familles qui ont préféré inscrire leur progéniture dans cette institution privée sous contrat, où les effectifs sont pourtant saturés, au lieu de les envoyer à la communale. Résultat, les écoles publiques de la ville sont désertées, et le rectorat n’a d’autre choix que de réduire drastiquement leurs capacités d’accueil. Il vient d’annoncer la fermeture de pas moins de treize classes pour la rentrée prochaine.

L’école publique va mal et on a donc trouvé le responsable. Ce ne sont ni les violences scolaires, ni les agressions de certains agents, ni l’effondrement du niveau en mathématiques, ni l’illettrisme à l’entrée au collège (voire à sa sortie). Le vrai danger, l’urgence, le fléau de l’école publique, c’est sa concurrente, l’école privée. Celle qui fonctionne à peu près, coupable de croire que l’on peut encore transmettre quelque chose à des enfants. « Chez nous, les dossiers sont déposés dès septembre pour la rentrée de l’an prochain, confie un directeur d’établissement de l’ouest parisien. Pas besoin de journée portes ouvertes pour attirer les parents. On refuse déjà un sixième des dossiers. »

Amélie Oudéa-Castera, alors éphémère ministre de l’Education nationale, Saint-Denis, 15 janvier 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Le niveau baisse !

Pourquoi ce succès ? Dans une étude BVA publiée par la fondation Jean-Jaurès en 2024, les trois quarts des Français considèrent que la situation de l’école publique s’est détériorée (73%) contre 15 % seulement qui font le même constat pour l’école sous contrat – constituée à 96% d’établissements catholiques. Effet d’un soudain revival de la foi ? Seuls 6% des parents optent pour le privé par conviction religieuse. Cependant, selon la même étude, une majorité trouve que les mots d’ordre, de mérite et d’autorité s’appliquent mieux au privé qu’à l’école publique. L’enseignement catholique apparaît en somme comme un recours aux yeux de nombreuses familles effrayées par la baisse de niveau telle qu’elle est confirmée par diverses études.

A lire ensuite, Lisa Kamen Hirsig: INSPE/Education nationale: la fabrique des coachs

Difficile toutefois pour la puissance publique d’interdire ce que plébiscitent les citoyens. En 1984, la loi Savary avait certes eu pour objet de fusionner l’enseignement libre et l’enseignement public dans un « grand service public unifié » de l’Éducation nationale. Seulement, des manifestations monstres avaient alors mis un coup d’arrêt au projet. Si la lutte continue à présent, c’est par d’autres moyens, moins frontaux : affaires, rapports, polémiques,  déclarations chocs…

Bref, on assèche le privé, on l’épuise méthodiquement. A la rentrée 2024, l’enseignement catholique parisien, qui fait pourtant le plein, s’est par exemple vu retirer 40 postes d’enseignants par le ministère. Un non-sens statistique. Pour le reste, ce sont des inspections-surprises, contrôles pédagogiques kafkaïens, pressions administratives. A la limite du harcèlement scolaire.

La guerre scolaire continue !

La gauche médiatico-politique est en première ligne dans cette guerre scolaire à bas bruit. On se souvient que les éphémères ministres Oudéa-Castéra et N’diaye s’étaient attiré les foudres des journaux progressistes pour avoir inscrit leurs enfants à Stanislas ou à l’école Alsacienne. LFI n’est pas en reste : le député insoumis Paul Vannier, auteur d’un rapport parlementaire de 2024 sur le sujet, réclame un resserrement administratif, à base de malus pour les établissements peu mixtes et de renforcement des contrôles.

Le 15 mars la ministre Elisabeth Borne lui a donné en partie satisfaction. Réagissant au mouvement MeToo qui s’est emparé de l’Eglise et de ses institutions, elle a décidé un rehaussement de la surveillance dans les 7500 écoles sous contrat de France. « Soixante inspecteurs supplémentaires vont être déployés en 2025 et 2026, a-t-elle annoncé, et 40 % des établissements privés sous contrat seront inspectés dans les deux prochaines années, dont la moitié par des visites sur place ».

Première école visée par l’opération : Bétharram bien sûr. La descente des services a eu lieu dès le surlendemain. Pour les professeurs de l’établissement, désormais baptisé « Le Beau Rameau », près de Pau, « la visite des inspecteurs a été vécue douloureusement alors qu’ils ne sont pas concernés directement par les événements passés » écrit la CFTC, principal syndicat des enseignants du privé.

Manifestants près du collège-lycée Notre-Dame de Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques, 12 février 2025 © Mael Garnier/SIPA

A l’Institution Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, elle aussi la cible d’accusations graves après le dépôt d’une plainte contre un surveillant pour « violence sexuelle et agression psychologique », c’est une dizaine d’hommes en gris, soit un inspecteur par discipline, qui a également débarqué récemment, assistant aux cours à l’improviste, s’entretenant avec les élèves… Les turpitudes d’un employé, aussi ignobles soient-elles, rendent-elles toute une structure suspecte ?

A lire aussi, Dominique Labarrière: Contrat rétabli, doutes maintenus

« Les inspections sont plus autoritaires cette année d’après ce qu’on me dit… » note Françoise Candelier, à la tête de l’école hors-contrat du Blanc Mesnil, à Croix dans le Nord. Depuis la création, en 2009, de cet établissement non confessionnel qui propose un parcours d’excellence avec haute dose de grec ancien et de culture civilisationnelle, la directrice a déjà connu ce genre d’inspections à plusieurs, par rangées de dix, débarquant parfois à l’improviste : « Cela pouvait être impressionnant mais cela s’est dans l’ensemble bien passé ».

Le privé sous contrat fait pour ainsi dire désormais l’expérience de la surveillance étroite réservée jusqu’à présent au privé hors-contrat. « Je ne suis pas inquiète pour Stanislas ou Neuilly, indique toutefois Françoise Candelier. Les enfants de la bourgeoisie auront toujours leurs écoles. Mais ce sont les enfants de province parfois issus des classes moyennes ou populaires qui pourraient voir leurs libertés être rognées ». Comme le disait l’ancien ministre de l’Education nationale Vincent Peillon (2012-2014) dans le titre de son livre programme, « la Révolution française n’est pas terminée ».

Islamistes honoris causa

Le 1er avril, des militants masqués interrompent brutalement le cours du professeur Balanche, géographe mondialement reconnu à Lyon-II. La présidente de l’université le soutient très mollement pour l’accuser ensuite de propos complotistes, illustrant la soumission aux islamistes d’une partie du monde académique. La capitale des Gaules serait-elle devenue la Mecque de la lâcheté universitaire ?


L’affaire Balanche, à Lyon-II, a ouvert la boîte de Pandore de cet islamisme universitaire que l’on veut ne pas voir. La notion d’islamo-gauchisme est-elle même pertinente quand l’islam politique impose sa ligne ? Chaque pôle universitaire possède aujourd’hui ses islamistes, couvés par les organisations locales de Frères musulmans, financés par les fonds européens et par les opaques mécanismes de distribution de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), et protégés par une noria d’individus et de groupes politiques, syndicaux ou scientifiques, pour cause de convictions religieuses, par stratégie politique révolutionnaire ou par bêtise (qui n’est jamais à sous-estimer).

Un excellent connaisseur de la Syrie

Ladite affaire concerne l’universitaire Fabrice Balanche, 55 ans, maître de conférences en géographie de l’université Lyon-II, spécialiste du Moyen-Orient. Le 1er avril 2025, il donne un cours de licence sur le voisinage de l’Union européenne – sans rapport avec l’islam ni avec le conflit israélo-palestinien. Soudain, une vingtaine d’individus masqués et cagoulés, dont le leader est très baraqué, font irruption dans l’amphithéâtre, munis d’une banderole « Libérez la Palestine » et « Stop au nettoyage ethnique », accusant le géographe d’être « islamophobe », « sioniste », « pro-israélien », « génocidaire » et « pro-Assad ». Quatre étudiants courageux s’interposent, permettant à l’enseignant de quitter son amphithéâtre. Pour les personnes non familières de l’université, une telle manifestation est exceptionnelle : les étudiants sont presque toujours respectueux et silencieux, et quand une délégation syndicale étudiante veut faire une annonce, elle demande l’autorisation avec politesse.

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Le maître de conférences Fabrice Balanche est l’un des meilleurs connaisseurs de la mosaïque communautaire du Moyen-Orient, et de la Syrie en particulier. Auteur en 2000 d’une thèse sur les alaouites – le groupe que l’armée coloniale française a érigé en vivier de l’armée syrienne du xxe siècle –, cet arabophone a passé dix ans au Moyen-Orient, jusqu’à son arrivée à Lyon en 2007. Dès les débuts de la révolution syrienne, qui se mue en un cruel djihad, Balanche s’élève contre la doxa française et occidentale, qui promet la chute imminente à un Bachar El Assad honni. Dès 2015, les Américains, avertis de la pertinence de ses analyses, l’invitent pour plusieurs années à Washington et à Stanford. Cette clairvoyance ne lui sera pas pardonnée en France : malgré son habilitation à diriger les recherches (HDR) obtenue en 2013, Balanche est condamné à stagner au moins douze ans dans son poste de maître de conférences… En 2024, il est lauréat du Prix du livre de géopolitique pour Les Leçons de la crise syrienne (Odile Jacob), publié à la veille de la chute d’Assad, provoquée par la volonté israélienne de casser l’axe iranien et la stratégie néo-ottomane turque qui n’hésite pas à s’appuyer sur la nébuleuse djihadiste proche d’Al-Qaïda.

Curieux poisson d’avril

Le groupe masqué qui a fait irruption dans son cours le 1er avril ne visait pas un poisson d’avril ! Le même groupe avait procédé à un blocage du campus de la porte des Alpes, appartenant également à Lyon-II, le vendredi 28 mars, au lendemain de l’interdiction par l’université d’un iftar (repas de rupture de jeûne). Ayant eu vent que cet iftar – probablement orchestré par un groupe proche des Frères musulmans –, l’administration de Lyon-II leur avait d’abord demandé de le renommer « repas partagé ». Devant leur refus, elle avait fini, en désespoir de cause, par l’interdire. D’où le blocage, qui a suscité la protestation de l’infidèle professeur.

La nécessité de punir le récalcitrant géographe, peu prisé par la mouvance frériste pour la clarté de ses analyses sur le conflit syrien et sur l’islam politique à l’offensive, a conduit à la scène d’intimidation évoquée.

En dépit de son caractère inédit et inouï, le scandale, dévoilé grâce aux réseaux sociaux, n’a été relayé que dans quelques médias. Certes, Balanche a bénéficié de la protection fonctionnelle de l’université, et il a été accompagné après la médiatisation pour porter plainte au commissariat. Mais personne ne comptait manifestement aller plus loin. Un mois plus tard, l’enquête est en cours, et ce groupe n’a subi aucune exclusion, quoique Fabrice Balanche et la présidente de l’université aient reçu des menaces de mort – nul responsable n’en ignore les dangers depuis l’assassinat de Paty et Bernard. Trois semaines après l’envahissement, le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur a dit son soutien à l’enseignant et à la présidente de l’université ; il a condamné les entraves et menaces planant sur des fonctionnaires, et a réclamé une « protection sans ambiguïtés des enseignants » de la part des présidents d’universités.

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S’il s’est exprimé ainsi, c’est que la présidente de Lyon-II, Isabelle von Bueltzingsloewen, historienne spécialiste de la santé publique, a dénoncé les propos de son professeur menacé, en retournant contre lui la présomption de culpabilité : il aurait eu le tort de parler d’un « premier blocage islamiste » (eût-elle préféré le terme d’entrave ?), de dénoncer les « recrutements politiques à l’Université » (dont Balanche a pourtant eu tout le loisir depuis son arrivée à Lyon-II, en 2007, d’examiner les méfaits). Elle lui reproche aussi ses propos (indéterminés) sur Gaza (« je n’ai pas été étonnée que ça tombe sur ce collègue »). Le recadrage du secrétaire d’État n’est donc pas fortuit, d’autant qu’en termes à peine voilés, la présidente a annoncé que « l’affaire n’était pas terminée », promettant d’en « discuter en conseil d’administration » (ce qui, en langage universitaire, annonce une sanction).

Une révélation du média Atlantico du 26 avril 2025 éclaire d’un jour cru ces menaces voilées : le vice-président de Lyon-II, le politologue Willy Beauvallet-Haddad, a rendu en septembre dernier un vibrant hommage à Hassan Nasrallah – cofondateur du Hezbollah en 1982, et secrétaire général de 1992 à 2024 : « Il a rejoint le Panthéon de nos cœurs. » Or Nasrallah, principal soutien de Bachar El Assad durant la guerre de Syrie, était le chef du Hezbollah, « organisation terroriste » aux ordres de l’Iran, selon les États-Unis et le Royaume-Uni, tandis que l’Union européenne réserve cette qualification à sa seule branche armée. « Docteur honoris causa » de l’université Lyon-II, Nasrallah a cocréé une organisation qui a tué 241 GI et 58 parachutistes français à Beyrouth en 1983, un événement qui a inauguré quatre décennies de guerres conduites par ce parti.

Dans un tel contexte, nul doute que M. Balanche est un empêcheur de tourner en rond.

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Joseph Macé-Scaron: terreur dans le terroir

Le nouveau polar de Joseph Macé-Scaron est une plongée macabre dans le Maine-et-Loire où des enquêteurs tentent d’élucider une série de crimes sordides. La piste diabolique n’est pas écartée.


Le « Loir gaulois » réserve bien des frayeurs, les coteaux du « petit Liré » aussi. La « douceur angevine » est démentie. On décapite ici, on coupe encore les doigts du mort, on entrouvre la cage thoracique d’une jeune fille « comme les doigts d’une main qui se desserre », bref, on va bientôt suivre « l’empreinte des sabots du Diable ». Les meurtres atroces se multiplient, ils interrogent par leur horreur. Le Mal serait donc au pied d’un morceau de la Vraie Croix du Christ, ce trésor de la congrégation des Filles du cœur de Marie de Baugé-en-Anjou ! Joseph Macé-Scaron, sur ses terres (il vit entre Paris et le Maine-et-Loire), rappelle des fantômes et, partant, cherche la part du Diable – ce qui n’a rien d’étonnant dans cette région viticole. La difficulté, fait-il dire à l’un de ses enquêteurs, « est de parvenir à séparer ce qui relève du libre choix du criminel, son sadisme assumé, et de l’œuvre du Malin. Pour cela, il faut une lame qui décolle l’un de l’autre, un acier qui tranche ». Tant il est vrai que la grande ruse du Malin consiste à nous laisser accroire qu’il ne peut exister.

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Voilà que le « Département S », spécialisé dans les affaires étranges, lequel siège, d’ordinaire, au 36, quai des Orfèvres, se transporte en Anjou. Deux membres composent ce Service d’études et de recherches françaises, inconnu du grand public – et pour cause puisqu’il est le fruit de l’imagination de notre auteur de polars : une chartiste, Paule Nirsen et un ex-capitaine de gendarmerie, Guillaume Lassire. Ces compères, dont le second est arcbouté, en bon militaire, sur la discipline et la première sur « l’équilibre » subtil entre la rigueur et le plaisir, furent déjà les personnages principaux de La Falaise aux suicidés et de La Reine jaune (Les Presses de la Cité, respectivement 2022 et 2024). Macé-Scaron est fidèle à ses lames ! Bon, ces deux-là ont malgré tout un point commun : celui d’avoir la tête sur les épaules, ce qui n’est plus si fréquent dans cet ancien duché. Cet improbable couple professionnel, sur place, ne croit pas à l’œuvre d’un fou, d’un psychopathe ou d’un « groupuscule d’extrême droite » comme le suggèrent une édile ambitieuse et un procureur obéissant. Des signes les orientent ailleurs. Loin dans l’Histoire et jusqu’en Bosnie-Herzégovine. C’est que les crimes les mettent sur les traces d’une autre croix que celle ramenée de Terre sainte par un Baugeois en 1244 : celle de l’ombre, des ténèbres. D’un côté la lumière, le bien, de l’autre, la puissance du mal ; puissance du mal en ceci que l’on va bientôt découvrir qu’il n’est pas toujours subi, mais qu’il peut construire et fournir, même, une identité. Diable !

Macé-Scaron nous donne une leçon d’Histoire. La Croix des ténèbres est un polar érudit. Parfaitement construit même s’il emprunte d’autres codes que ceux de la tradition. Et ce n’est pas rien de renouveler un genre. Voici donc un page-turner qui n’est pas exempt d’humour. Son auteur, c’est manifeste, s’est amusé à l’écrire ; on se plaît à le lire.

Joseph Macé-Scaron, La Croix des ténèbres, Presses de la Cité, 2025, 304 pages.

Reductio ad Trumpum


Nous connaissions fort bien la fameuse « reductio ad Hitlerum » inventée et popularisée par le philosophe Léo Strauss au début des années cinquante et qui, depuis, a fait florès.

Par cette locution ironiquement latine, détournée du non moins fameux « reductio ad absurdum », Strauss entendait démontrer que lorsqu’un interlocuteur manquait d’arguments pour anéantir une théorie adverse il en arrivait plus ou moins systématiquement à l’entacher d’une proximité quelconque avec Hitler ou le nazisme.

Ainsi, si vous confessiez être un admirateur de la musique de Wagner et que votre contradicteur ne trouvât aucun argument pour contester, sur le plan artistique, ce penchant, il lui suffisait de mentionner que Wagner était le compositeur préféré d’Hitler pour déconsidérer à la fois ce choix et vous-même qui osiez le revendiquer.

En une sorte de prolongement de cette « reductio ad Hitlerum », nous avons aussi la gratifiante théorie du point Godwin, théorie selon laquelle toute « disputatio » se prolongeant finira inévitablement par aborder ou au moins évoquer Hitler et le nazisme.

Or, nous assistons, mutatis mutandis (ces heures et ces jours de conclave romain m’auront probablement exagérément latinisé. Veuillez m’en excuser), mutatis mutandis, disais-je, nous assistons à une résurgence de ces deux notions, mises au goût du jour, bien entendu.

De ce fait, ce n’est plus la « réductio ad Hitlerum » qui sévit aujourd’hui dans nos médias et les propos des politiciens de convention, mais la « reductio ad Trumpum ».

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Ainsi pour ce qui est de l’élection du nouveau pape, Léon XIV, américain comme on sait. Ces jours-ci, le critère dominant qui permettrait de déterminer s’il sera un bon pape ou non semble bien être le degré d’acrimonie qu’il pourrait avoir exprimé, ou dont on pourrait le créditer, à l’encontre de président américain. Plus on sera en mesure de lui attribuer des formules critiques ou hostiles, et plus il grandira dans la faveur des observateurs dûment patentés. C’est un fait, Trump est devenu le mètre étalon en la matière.  

De même, peut-il se flatter d’obtenir un très bon score en matière de point Godwin. Il n’est guère de débat, de controverse, d’analyse qui, a un moment ou à un autre, n’en vienne à introduire ce nom et ce personnage dans le propos. C’est un incontournable, le passage obligé. À tel point que le zapper, ne pas le citer – ce qui doit être fait exclusivement en mauvaise part, bien sûr – pourrait être considéré comme une sorte de complaisance, voire de complicité.

Giorgia Meloni, chef du gouvernement italien, a droit, elle aussi, à tout autant d’honneurs décernés par presse et les médias propres sur eux. Il faut dire qu’elle leur donne de l’urticaire. Elle, qui devait échouer dans les deux mois suivant son accession au pouvoir, réussit plutôt bien après plus de deux ans et demi d’exercice. (Même les médias les moins Meloni-compatibles se voient contraints d’en convenir. De très mauvaise grâce, sans aucun doute…)

Donc, La Meloni – je ne me lasse pas de la traiter en diva – jouit elle aussi de ces marques d’infamie. Je lisais voilà quelques jours dans le Figaro le commentaire d’une de ses concitoyennes d’opposition qui tout tranquillement donnait dans la forme de reductio ad Melonium (?) la plus caricaturale. La Première ministre ayant eu la malencontreuse idée de déclarer qu’il était opportun et urgent de promouvoir la pratique sportive chez les jeunes – initiative tout à fait pertinente, chacun en conviendra – son adversaire ne trouvant pas d’argument sérieux de contestation s’empressa de mentionner que la promotion du sport était déjà un des dadas de Mussolini. Donc, selon ce bel esprit, ce faisant, Mme Meloni ne faisait que manifester sans vergogne son adhésion pleine et entière au fascisme. Là, on se dit que la bêtise n’a pas de frontière. Ce qui, à dire vrai, n’est réjouissant ni pour l’esprit ni pour le cœur.

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Recevoir un djihadiste à l’Élysée: Macron a-t-il perdu la mémoire?

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Le président Macron a accueilli, mercredi 7 mai à l’Élysée, le président syrien par intérim, Ahmed Al-Charaa. Une visite très diversement appréciée. Si la coalition islamiste parvient à stabiliser la Syrie et à assurer la protection des Syriens quelle que soit leur confession, Paris promet de lever les sanctions européennes.


Il y a des jours où l’on se pince pour y croire. Des jours où la nausée vous serre la gorge tant l’indécence est grande. Mardi 7 mai, l’Élysée déroule le tapis rouge à Ahmad al-Charaa, chef islamiste de Damas, ex-figure d’al-Qaïda et toujours recherché par Interpol. Oui, vous avez bien lu : un ancien terroriste, fraîchement repeint en président « modéré », reçu avec tous les honneurs par le président de la République française.

Farce sinistre

Al-Charaa n’a jamais été un homme de paix. Il est le visage poli de l’islamisme le plus violent, celui qui a défiguré la Syrie sous les bannières du djihad, en tandem avec les parrains turcs et qataris. Un homme qui, en mars dernier encore, laissait dérouler des massacres d’Alaouites, en avril, il y a une semaine, des razzias contre les Druzes, et des appels à « libérer Jérusalem » dans un remake douteux de la rhétorique du Hamas.

Macron, parrain des « modérés » façon Frères musulmans. Voire pire ?

Depuis la chute du dictateur Assad, Emmanuel Macron s’active visiblement pour intégrer diplomatiquement le successeur. Sous couvert de lutte contre Daech, on requalifie en « forces modérées » ceux qui, hier encore, prônaient le califat. Une farce sinistre, une manipulation de vocabulaire aussi vieille que Machiavel.

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Recevoir al-Charaa, c’est comme recevoir Sinwar du Hamas avec un nœud papillon. C’est valider la violence islamiste en costume trois pièces. C’est piétiner la mémoire des minorités massacrées, des femmes enlevées, des enfants écrasés sous les bombes et des résistants laïques abandonnés à leur sort.

Et ce n’est pas une exagération. Depuis fin avril, ses milices lancent des offensives meurtrières contre les Druzes de Soueïda. Son gouvernement autoproclamé impose la charia dans la Constitution, sans le moindre vote. Dans les rues de Damas, les slogans antisémites résonnent à plein volume,  avec la bénédiction du régime. Et c’est à ce président de guerre sainte que l’Élysée offre une tribune ?

Deux poids, deux mesures — version République

La même France qui condamne le régime iranien, qui sanctionne des oligarques russes, accueille un islamiste syrien impliqué dans des crimes de guerre ? Il faut oser. Et Emmanuel Macron ose.

L’homme fort de Damas nomme à des postes ministériels des figures comme Ahmed al-Hays, alias Abou Hatim Shaqra, connu pour ses exécutions sommaires et son trafic de femmes yézidies. Mais qu’importe : à Paris, l’heure est à la réhabilitation, tant que cela sert une illusion de stabilité.

Car l’obsession française, c’est toujours d’être en tête de cortège, le premier à serrer des mains, le premier à croire à une « solution politique » où il n’y a que la loi du plus fanatique.

La diplomatie sans mémoire est une forme de trahison.

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On nous dira que la diplomatie exige d’ouvrir des canaux. C’est vrai. Mais les Américains et les Israéliens, eux, savent poser des conditions. Ils ne distribuent pas les invitations à la légère ni les chèques en blanc.

Recevoir al-Charaa, sans exiger de garanties pour les minorités, sans même un semblant de vérification de dialogue pluraliste, c’est entériner la victoire du plus sectaire. C’est trahir non seulement la Syrie, mais aussi ce qu’il reste des principes français : la justice, la liberté de conscience, la défense des opprimés.

Je suis franco-syrien. Je n’attendais pas de la France qu’elle sauve mon pays d’origine. Mais j’espérais au moins qu’elle ne s’abaisse pas à légitimer les djihadistes, ex-Al-Qaïda, qui l’ont un jour martyrisé et qui y perpètrent encore des massacres.

En accueillant Ahmad al-Charaa, Emmanuel Macron ne fait pas un pas de diplomate : il commet une faute morale.

Apocalypse Now

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Bibliothèque François Mitterrand, Paris. DR.

(Donald Trump à la BnF)


Fin de partie. « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas ». Rideau noir sur fond noir, en 1957 Beckett enterrait les conventions théâtrales dans l’angoisse, l’aliénation et l’absurde. Le temps est proche… Nous y voilà. Donald Trump digresse, délire, dénonce, se pavane, s’agite : une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Black Friday, tout doit disparaitre : le libre-échange, le multilatéralisme, les parapluies. Le bazar fait bien les choses : « Apocalypse. Hier et demain », c’est aussi une exposition éblouissante, à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, jusqu’au 8 juin.

BNF

Game over

Cent jours de pétrin et le meilleur pour la fin. Un tiers Macbeth, un tiers Idi Amin Dada, un tiers Jean-Ferdinand Choublanc (La Foire aux immortels, Bilal), un quatrième tiers Abdallah (Tintin), le Léviathan de Mar-a-Lago massacre nos dernières illusions. L’idéal nihiliste-libéral-libertaire triomphe. Le pitch du metteur en Cène est simple : reféodalisation du monde, guerre de tous contre tous, Vae victis. Tout le monde rit jaune, serre les fesses, s’indigne, condamne le slam hardcore de Donald Arturo Ui.

L’Europe des marchands de choux-fleurs bio et rosières vegans réfléchit à une possible riposte, graduée : une directive « yakafautqu’on résiste », un Grenelle du missile solaire, des États-généraux du char électrique, une ligne Maginot végétalisée pour abriter le harle huppé, la marouette poussin et arrêter les Russes, sans oublier le « Coran européen » – alternatif – avec voile inclusif et Djihad bienveillante. La Nef des flous et le clan des saints. Sylvain Macron, Sylvette von der Leyen, les Européens, depuis trois générations, s’illusionnent sur les « Compères » : l’ours Russe, le loup Chinois, le renard islamique et Trump qui joue au sanglier. Si les MP Yankees mettent les bouts, qui fera la police sur la ligne Curzon, qui nous protégera contre les Cosaques, prédateurs, racailles, à l’Est, au Sud, qui menacent une Marianne en cessation des paiements ? L’Occident est rattrapé par l’histoire, fracassé par le réel et les questions maudites : l’alpha et l’oméga, le pourquoi, les raisons de vivre et de mourir.

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A Aubagne, Emmanuel Macron joue au Morfalou, se suce la langue sur la patrie, l’héroïsme de la Légion, Camerone. « La France, patrie de volonté et de bravoure, qui ne se définit ni par le sang, ni par une race, ni par une religion, ni par une identité figée, mais une volonté, chaque jour recommencée, d’accomplir de grandes choses avec une poignée de notre terre dans la main, un rêve universel, un idéal, cette solidarité, cette fidélité à la patrie ». Les bavasseries politicardes, discours avariés de bravitude toutlemondiste pondus par des Télétubbies de cabinet, minent la nation… Stabat m’atterre d’un pays qui sombre.

« La demi-journée défense et citoyenneté (JDC) obligatoire pour les jeunes de 16 à 25 ans permet de rappeler à chacun que la liberté a un prix. C’est aussi une occasion unique de contact direct avec la communauté militaire » (site du ministère des Armées). Les cœurs vaillants s’instruisent pour vaincre. Trois vidéos sur notre ZEE, les TAAF, la féminisation des SNLE, avant le morceau de bravoure, des QCM pour tester les QI : « Le mot frapiole existe-t-il ? Vice et vise se prononcent-ils de la même façon ? Épeler lapin. Quel est l’ordre correct des couleurs du drapeau français ? ».La quille à midi avec un certificat de participation et une dernière recommandation : « Ne le pliez pas, roulez-le, il va vous servir »

Les bourses, les droits de douane, les alliances tanguent, mais l’essentiel est ailleurs. Le Gilgamesh de Wall Street, la lune rousse trumpiste, ébranlent la planète des songes, une épistémè à bout de souffle, les tartufferies hors-sols du post-progressisme lacrymal-victimaire. Le ventre fait l’con d’où a surgi la bête immonde… Comme le chant du cygne du XVIIIe siècle et une machine à remonter le temps qui se met en marche. Tout le monde ment et se ment. Le retour du XVIIe siècle, de la fausseté des vertus humaines. Make Jacques Esprit, La Rochefoucauld et la marquise de Sablé Great Again ! Le retour du XVIe siècle, des guerres de Religion, du XVe siècle, de la guerre de cent ans… Cap au Cœur des ténèbres : dans une marmite d’IA, un bouillon d’anthropocène, ajouter une louche de vérités crypto-alternatives, un soupçon de complotisme, une pincée de transhumanisme, un zeste de Musk. A table ! Un ange passe et s’enfuit, épouvanté.

La BnF met en scène l’Apocalypse

Etymologiquement, l’Apocalypse c’est un dévoilement, une révélation et beaucoup d’interprétations : une manière de récapitulation (littéralement, redonner une tête), aussi. La fin d’un monde, du monde, avant quel retour, quelle Renaissance ? L’actualité, tragique, se décline au subjonctif et futur antérieur : guerres froides, chaudes, néo-ante décoloniales, post-apo, à toutes les sauces. Mad Max, Simon du Fleuve, Valérian agent spatio-temporel, Yoko Tsuno, sont revenus. Les élus, damnés, dystopies, le Septième Sceau, La Mort d’Orion (Manset), HAL 9000, de retour, pour de vrai, pour de bon ? C’est creux jusqu’à l’infini et … oh mon Dieu, c’est plein d’étoiles…

« Apocalypse. Hier et demain ». L’exposition de la BnF embrase avec bonheur l’histoire et l’esthétique des millénarismes, de l’attente, de la fin. Nous admirons de prestigieux manuscrits de l’Apocalypse de Jean, le Beatus de Saint-Sever, des fragments de la célèbre tenture de tapisseries d’Angers, la suite de gravures de Dürer, moult chefs-d’œuvre, tableaux, sculptures, installations, extraits de films de Bergman, Marker, Resnais.

 « Le Livre de la Révélation » qui ouvre l’exposition plonge le spectateur dans l’Apocalypse de Jean, suggère des clés d’interprétation sur les sept coupes de la colère de Dieu, l’étoile Absinthe et l’aigle de malheur, le dragon enchainé pour mille ans : une méditation sur le temps absolu, herméneutique savante et didactique de liturgie céleste. La seconde partie, « Le temps des catastrophes », est consacrée à la fortune de l’Apocalypse dans les arts : Dürer côtoie Callot, Goya, Blake, Redon, l’apocalyptique anglais, l’expressionnisme allemand. « Le jour d’après », troisième temps de l’exposition, imagine les mondes à venir, l’Apocalypse par les gouffres. Dans le remarquable catalogue, Charlotte Denoël, Frédéric Boyer, Georges Didi-Huberman, François Angelier, digressent sur l’Apocalypse au Moyen-âge, sa fortune populaire, les visions d’éclairs, de nuées, la lumière d’Ixo, les naufragés du temps, Brooklyn station terminus cosmos.

In fieri, le temps du rétablissement, l’apocatastase, c’est long, surtout vers la fin… Jeanne Brun, la Commissaire de l’exposition, met les pieds dans le plat : « A la question de savoir comment l’humanité devait continuer à exister s’est substituée aujourd’hui celle de savoir si elle devait ou non continuer. Cette question est écrasante… ». La situation est trop désespérée pour être vraiment sérieuse. « Puisque ça se joue comme ça, jouons ça comme ça et n’en parlons plus … » (Beckett).

Aux États-Unis, le surprenant développement des «cours de vie d’adulte»

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Raffi Grinberg © D.R.

Aux États-Unis, de plus en plus de jeunes adultes peinent à accomplir certaines tâches de la vie courante. Pour y remédier, des programmes leur enseignent les bases de l’autonomie : gérer un budget, cuisiner, entretenir leur logement ou encore se préparer à un entretien d’embauche.


Les jeunes Américains considèrent parfois leurs parents et grands-parents comme des imbéciles parce qu’ils peinent à se connecter au Wi-Fi, sont incapables de jouer à des jeux vidéo ou rechignent à regarder en continu des séries télévisées. Pourtant, au moment d’atteindre ce qu’on appelle l’âge adulte, nombre de ces jeunes gens ont de plus en plus de mal à réaliser les actes les plus simples de la vie courante.

Des associations spécialisées leur viennent alors en aide en leur proposant des « cours de vie d’adulte ». Les élèves apprennent à ouvrir un compte bancaire, recoudre un ourlet de pantalon, remplir une déclaration de revenus, aiguiser des couteaux de cuisine, rédiger un CV, choisir des vêtements convenables pour un entretien d’embauche, etc. Aucune « compétence de la vie » ne semble devoir échapper au programme de formation intitulé « Adulting 101 ». Raffi Grinberg, consultant dans un cabinet de conseil new-yorkais et instigateur de ce programme, vient d’écrire How to Be a Grown Up (« Comment être un adulte »), un livre destiné entre autres aux jeunes employés qui, comme lui, se sont avérés incapables de comprendre des papiers administratifs élémentaires lors de leur première embauche. Il est bien sûr prévu des extensions à ce programme, en particulier dans le domaine des relations amoureuses qui, de plus en plus souvent, débutent via des applications de rencontre. La crainte d’une bévue, d’une plaisanterie mal comprise, d’un geste inapproprié pouvant déclencher des moqueries sur les réseaux sociaux ou, pire, des poursuites judiciaires, angoisse de plus en plus de jeunes gens désirant passer d’une relation virtuelle à une relation réelle. Un tutoriel les aidera bientôt à éviter ces pièges.

Dans un monde où l’on tend à réduire l’existence humaine à un processus technique, il paraît logique que même les actes les plus simples soient inculqués par des experts et que les anciennes romances hasardeuses soient remplacées par des relations planifiées et strictement réglementées. L’Avenir radieux du Meilleur des mondes est enfin à portée de main.

Les Gobeurs ne se reposent jamais

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La Révolution du bon sens (ou Comment se libérer de 50 ans d’idées fausses)

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Une pancarte brandie lors de la Manifestation contre le racisme et le fascisme, Paris, le 22 mars 2025 © ISA HARSIN/SIPA

Le bon sens et la lucidité commencent à bousculer le politiquement correct dans le débat public. Ainsi peut-on ouvertement dénoncer le racisme antiblanc sans passer pour un fasciste. C’est un début.


Parions : rien n’arrêtera la révolution des œillères. Le réel aura raison des croyances mondialistes. Telles les œillères, ces récitations erronées rétrécissent la vue. Timidement, François Hollande a concédé le renversement des consciences (RTL, 10 avril) : « Le politiquement correct avait sans doute ses défauts. » L’ancien président socialiste s’est gardé cependant de creuser sa clairvoyance. L’exercice l’aurait contraint à reconnaître ses bévues. Le confort du moralisme n’a cessé, en effet, de « donner à manger du mensonge » (Simone Weil). Jamais les informations tendancieuses ne se sont si bien portées. C’est pourquoi le besoin de vérité s’annonce plus fort que les rappels à l’ordre des clercs.

Des exemples ? En 2003, Claude Imbert, patron du Point, avait soulevé une indignation médiatique chez les gardiens du dogme diversitaire pour avoir déclaré (LCI) : « Je suis un peu islamophobe », critiquant l’islam et « sa débilité d’archaïsme divers ». Or, quand, le 28 mars dernier, Élisabeth Badinter a admis à son tour (RTL) : « Il ne faut pas avoir peur d’être traité d’islamophobe », son propos n’a même pas été relevé. Idem pour le racisme anti-Blanc, qui valait naguère à celui qui s’en plaignait d’être qualifié d’imposteur. Le 23 mars (CNews-Europe 1), la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a affirmé n’avoir « pas de pudeur » à évoquer ce racisme occulté. « Pourquoi le nier ? C’est une réalité », a même appuyé Manuel Valls dès le lendemain.

Cette lucidité renaissante est un affront à l’antiracisme obligé. Ce credo veut que la haine anti-Blanc n’existe pas puisque le dominant ne peut souffrir de peuples ethniquement dominés. Cependant, cette dialectique racialiste ne s’accorde pas aux faits. Les sondés sont 80 % à s’inquiéter de cette réalité (CSA pour CNews, 5 octobre 2022). Elle s’impose dans les écoles soumises au mélangisme. François Bousquet a enquêté1 sur le harcèlement occulté contre le « Babtou fragile », le « Francaoui de merde », le « Sale Gaouri », le « Sale gwer » (sale Blanc). Il écrit : « Tous les témoignages aboutissent à la norme antiblanche qui structure les écoles dans les zones à forte immigration. » Le Blanc est la bête noire des « minorités », dont le pape s’était fait le protecteur.

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Mais tout change. Le bon sens, associé à la France moisie, devient une vertu pour les audacieux. « J’applique le bon sens au ministère de la Justice », assure Gérald Darmanin (Europe 1, 16 avril). La veille sur CNews, Bruno Retailleau s’était réclamé des « gens du bon sens ». Au-delà des réprobations pavloviennes face aux assauts de Donald Trump contre l’immigrationnisme et le wokisme, sa « révolution du bon sens » fait mouche. Même François Bayrou en appelle, sur la dette publique, au réalisme : « Seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité de notre situation peut soutenir une action déterminée. » « La vérité vous rendra libres », avait prédit Jésus.

Reste à aller au bout de la révolution du réel. Elle oblige à une radicalité contre le progressisme bigleux qui a gagné le Système, y compris au Vatican. Ceux qui veulent se libérer de la fabrique des bobards doivent assumer une rupture avec ce monde faux, abîmé par des idées tordues. Les bidouilleurs, paniqués, annoncent cette fois l’arrivée du fascisme : leur dernier mensonge.


  1. Le Racisme antiblanc : l’enquête interdite, La Nouvelle Librairie, 2025, 292 pages. ↩︎

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La race des seigneurs

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Stephanie des Horts © BALTEL/SIPA

Dans une biographie romancée dont elle a le secret, l’écrivain Stéphanie des Horts dessine le portrait de Gianni Agnelli (1921-2003), le patron de la FIAT et l’homme le plus charismatique d’Italie. Un monde rapide, désinvolte, décadent et flamboyant qui continue de nourrir l’imaginaire des esthètes renaît sous la plume de cette styliste des « Beautiful People »…


Il faut du culot et du talent pour oser écrire sur ce capitaine d’industrie au profil d’empereur romain qui a fasciné le monde occidental par son charme carnassier. Un peu d’inconscience aussi. Le personnage est trop puissant, trop éclatant, trop démiurge, trop inflammable pour s’approcher d’une vérité quelconque. Dans une société de la fausse transparence et du déni de pouvoir, totalement étriquée et revancharde, Gianni cumule tous les dons et toutes les exubérances. Il ne répond pas aux codes frelatés de notre époque procédurière et pétocharde. Il ne s’excuse pas d’être né riche et beau, brillant et fissuré, couvé et adulé par un peuple en recherche d’un modèle. Il est exclusif, souverain, populaire, bambocheur, assoiffé de conquêtes et hors des lignes. Il n’écoute que son plaisir. Il a tout d’un contre-modèle, on le surnomme l’Avvocato alors qu’il n’a même pas le certificat, juste une licence de droit. Mais Gianni n’a pas besoin de diplômes et d’autorisations, il peut tout se permettre car l’Italie s’est offerte à lui comme la Juventus de Turin par une nuit d’été. « Je m’amuserai tout le temps, je ne travaillerai jamais » dit-il à dix ans à sa gouvernante américaine Miss Parker. C’est injuste et cruel pour les autres, les aristocrates « pur-sang » et les politiciens affairistes, les bons élèves et les besogneux, l’attraction ne se commande pas. Ce petit-fils de « garagiste », devenu premier employeur d’Italie, ne connaît qu’une règle : l’assouvissement de son ou plutôt de ses plaisirs. Il est un expert pour dépenser son temps et son énergie en activités rieuses et charnelles. Il aime les tables de jeu, les cylindrées démoniaques, les drogues et les filles faciles au regard d’acier. Il préfère sortir avec sa bande d’amis que de diriger le groupe FIAT. Et pourtant, c’est lui l’héritier. « Pourquoi lui ? Parce qu’il décèle chez Gianni une force irrésistible et un charme fou. Le charisme dont il aura besoin pour construire la légende de la FIAT » fait dire Stéphanie des Hors au Senatore, son grand-père. Il ne pourra échapper à son destin. Gianni était un mélange de JFK, d’Ayrton Senna, de Jean-Luc Lagardère et d’Alain Delon. Une personnalité qui ne pourrait plus exister aujourd’hui, elle étoufferait par tant d’injonctions et d’intimidations sociales. Chez ses admirateurs français, on continue de perpétuer son image, de s’échanger des anecdotes, des articles de presse, de porter sa montre-bracelet sur le poignet de sa chemise par exemple ou de plonger nu dans la Méditerranée, mais que la marche est haute pour atteindre cette idole des playboys. Il savait tout faire, skier, baiser, commander des milliers d’ouvriers et s’imposer avec un naturel fracassant aussi bien dans une âpre négociation commerciale que dans le clair-obscur d’un palais italien. Pour percer le mystère de cette icône antimoderne, il n’y avait qu’un écrivain capable de relever un tel défi. Stéphanie des Horts est la spécialiste française de cette jet-set internationale qui durant la seconde moitié du XXème siècle, des plages des Hamptons au Manoir de Chartwell, de la Riviera à la Côte Amalfitaine, a inventé un mode de vie où le désir, l’argent et la puissance ont dansé un tango souvent macabre. Elle pousse sa plume toujours plus loin, bien au-delà du simple clapotis des ragots et des commérages de salon. Stéphanie est un véritable écrivain qui d’une plume compressée, à la sensualité abrasive, ne se laisse pas prendre aux pièges du vernis. Ses livres sont toujours très informés, on ne dira jamais assez combien ses recherches historiques sont exemplaires, une somme de travail pour accéder à la vérité des Hommes ; elle ne se contente pas de rapporter des faits, elle recrée l’atmosphère, le décor des villas, l’odeur de l’huile de ricin, la suavité des peaux abandonnées, la rage et le désespoir des ruptures. « Gianni le magnifique » aux éditions Albin Michel est la radiographie précise et intimiste d’un Âge d’or où les élites étaient assurément plus libres. Elles ne cachaient pas leurs turpitudes, elles les exposaient en plein jour. Nous sommes quelques-uns à avoir vu de nos yeux Gianni Agnelli en mouvement, dans un salon automobile ou sur les bords d’une piste de Formule 1, à chaque fois, nous avons été soufflés par son énergie, son aplomb, comme si tout lui était dû, comme s’il avait la clé de la réussite. Il était le roi d’Italie. Stéphanie des Horts nous plonge au cœur des tourbillonnantes années 50/60, ils sont tous là, Ali Khan, Fon de Portago, Pamela Churchill, Marella son épouse hiératique et insondable, la papesse des jardins, le père Edoardo, le grand-père, sénateur, on voit le reflet des corniches à la belle étoile et le Lingotto, la preuve tangible du pouvoir économique dans la fournaise turinoise, les rivalités avec Henri Ford, le souvenir poisseux de Mussolini et les longues jambes d’inconnues qui se nouent pour une nuit d’ivresse autour de son cou, Stéphanie orchestre tous ses lieux et ses personnages en harmonie, dans une arabesque et une langue fureteuse. Gianni est le livre du printemps et de l’été à venir.

Gianni le magnifique de Stéphanie des Horts – Albin Michel 304 pages

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« Naissance de la Bossa Nova » d’Alain Gerber – L’évocation magistrale d’un courant musical tout aussi magistral

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DR.

Sans conteste, le jazz s’est imposé comme LA musique du XXème siècle. Née comme on sait, dans le sud des Etats-Unis, il a, au fil des ans, essaimé quasiment dans le monde entier, rencontrant maints folklores avec, il faut bien le dire, des bonheurs divers. C’est que, la « créolisation » théorisée par le poète et philosophe antillais Edouard Glissant et prônée par les déconstructeurs de notre civilisation n’est pas sans risques. Son principal danger est la disparition de toute spécificité dans un melting pot informel.

Divine idylle

Par bonheur il est des mariages heureux. Des unions lumineuses. Tel est le cas de la bossa nova, fruit de la rencontre entre le jazz et la musique brésilienne. En l’occurrence, nulle idéologie abstraite mais un vrai coup de foudre. Une idylle qui se prolongera des décennies durant depuis le début des années 1960 jusqu’à nos jours.

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Il y eut certes des précurseurs comme Dizzy Gillespie, fasciné par les rythmes afro-cubains au point d’intégrer dans son orchestre le batteur Chano Pozo (Manteca). Rien de commun toutefois avec la subtilité de musiciens brésiliens tels Vinicius de Moraes, Antônio Carlos Jobim ou encore Joao Gilberto. De quoi subjuguer Stan Getz et Charlie Byrd et autres musiciens nord-américains, Dave Brubeck, Quincy Jones ou Herb Ellis, pour ne citer qu’eux.

Qui mieux qu’Alain Gerber aurait pu rendre compte de cette idylle devenue une véritable épopée, narrée avec une précision entomologique assortie d’une vision panoramique ? La réputation de l’auteur dépasse largement le seul monde du jazz et son talent d’écrivain n’est plus à louer. Fleuron des éditions Frémeaux et Associés, tant dans le domaine du disque que dans celui du livre, il en est la clé de voûte. La pierre angulaire. Qui ne se souvient de sa contribution remarquable à la collection Quintessence ? Il en donne ici, une fois de plus, l’exemple : à son livre passionnant de bout en bout il adjoint un complément sonore indispensable. En effet un coffret de deux disques illustrant son propos d’historien vient en apporter la confirmation. Tous les grands noms y figurent, tous les succès mondiaux aussi. De Villa-Lobos à Bud Shank en passant par Jobim et Zoot Sims, ils sont tous là avec leurs chefs d’œuvre, Bachiana Brasileira, Pensativa, Maria Ninguem, entre bien d’autres.Une plongée rafraîchissante.

Un voyage à la fois dépaysant et exaltant dont on sort revigoré.

Alain Gerber, Naissance de la bossa nova, un livre de 320 pages. Un coffret de deux CD, 29,99 euros. Editions Frémeaux et Associés.

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L’école libre à l’ère du soupçon

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© ROMAIN DOUCELIN/SIPA

Au prétexte de l’affaire Bétharram, l’administration sort la matraque contre l’enseignement catholique (qu’elle n’a jamais du reste tellement ménagé). Au nom de la République, bien sûr.


C’est peut-être en se rendant à l’école Notre-Dame-des-Vertus, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, que l’on mesure le mieux la popularité de l’enseignement catholique en France de nos jours. Le 5 mai, une manifestation a eu lieu devant l’entrée de l’établissement. Plusieurs membres de la section locale de la FCPE, le principal syndicat des parents d’élèves du public, sont venus distribuer des tracts. Avec ce curieux mot d’ordre : « Revenez ! ». Un message destiné aux familles qui ont préféré inscrire leur progéniture dans cette institution privée sous contrat, où les effectifs sont pourtant saturés, au lieu de les envoyer à la communale. Résultat, les écoles publiques de la ville sont désertées, et le rectorat n’a d’autre choix que de réduire drastiquement leurs capacités d’accueil. Il vient d’annoncer la fermeture de pas moins de treize classes pour la rentrée prochaine.

L’école publique va mal et on a donc trouvé le responsable. Ce ne sont ni les violences scolaires, ni les agressions de certains agents, ni l’effondrement du niveau en mathématiques, ni l’illettrisme à l’entrée au collège (voire à sa sortie). Le vrai danger, l’urgence, le fléau de l’école publique, c’est sa concurrente, l’école privée. Celle qui fonctionne à peu près, coupable de croire que l’on peut encore transmettre quelque chose à des enfants. « Chez nous, les dossiers sont déposés dès septembre pour la rentrée de l’an prochain, confie un directeur d’établissement de l’ouest parisien. Pas besoin de journée portes ouvertes pour attirer les parents. On refuse déjà un sixième des dossiers. »

Amélie Oudéa-Castera, alors éphémère ministre de l’Education nationale, Saint-Denis, 15 janvier 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Le niveau baisse !

Pourquoi ce succès ? Dans une étude BVA publiée par la fondation Jean-Jaurès en 2024, les trois quarts des Français considèrent que la situation de l’école publique s’est détériorée (73%) contre 15 % seulement qui font le même constat pour l’école sous contrat – constituée à 96% d’établissements catholiques. Effet d’un soudain revival de la foi ? Seuls 6% des parents optent pour le privé par conviction religieuse. Cependant, selon la même étude, une majorité trouve que les mots d’ordre, de mérite et d’autorité s’appliquent mieux au privé qu’à l’école publique. L’enseignement catholique apparaît en somme comme un recours aux yeux de nombreuses familles effrayées par la baisse de niveau telle qu’elle est confirmée par diverses études.

A lire ensuite, Lisa Kamen Hirsig: INSPE/Education nationale: la fabrique des coachs

Difficile toutefois pour la puissance publique d’interdire ce que plébiscitent les citoyens. En 1984, la loi Savary avait certes eu pour objet de fusionner l’enseignement libre et l’enseignement public dans un « grand service public unifié » de l’Éducation nationale. Seulement, des manifestations monstres avaient alors mis un coup d’arrêt au projet. Si la lutte continue à présent, c’est par d’autres moyens, moins frontaux : affaires, rapports, polémiques,  déclarations chocs…

Bref, on assèche le privé, on l’épuise méthodiquement. A la rentrée 2024, l’enseignement catholique parisien, qui fait pourtant le plein, s’est par exemple vu retirer 40 postes d’enseignants par le ministère. Un non-sens statistique. Pour le reste, ce sont des inspections-surprises, contrôles pédagogiques kafkaïens, pressions administratives. A la limite du harcèlement scolaire.

La guerre scolaire continue !

La gauche médiatico-politique est en première ligne dans cette guerre scolaire à bas bruit. On se souvient que les éphémères ministres Oudéa-Castéra et N’diaye s’étaient attiré les foudres des journaux progressistes pour avoir inscrit leurs enfants à Stanislas ou à l’école Alsacienne. LFI n’est pas en reste : le député insoumis Paul Vannier, auteur d’un rapport parlementaire de 2024 sur le sujet, réclame un resserrement administratif, à base de malus pour les établissements peu mixtes et de renforcement des contrôles.

Le 15 mars la ministre Elisabeth Borne lui a donné en partie satisfaction. Réagissant au mouvement MeToo qui s’est emparé de l’Eglise et de ses institutions, elle a décidé un rehaussement de la surveillance dans les 7500 écoles sous contrat de France. « Soixante inspecteurs supplémentaires vont être déployés en 2025 et 2026, a-t-elle annoncé, et 40 % des établissements privés sous contrat seront inspectés dans les deux prochaines années, dont la moitié par des visites sur place ».

Première école visée par l’opération : Bétharram bien sûr. La descente des services a eu lieu dès le surlendemain. Pour les professeurs de l’établissement, désormais baptisé « Le Beau Rameau », près de Pau, « la visite des inspecteurs a été vécue douloureusement alors qu’ils ne sont pas concernés directement par les événements passés » écrit la CFTC, principal syndicat des enseignants du privé.

Manifestants près du collège-lycée Notre-Dame de Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques, 12 février 2025 © Mael Garnier/SIPA

A l’Institution Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, elle aussi la cible d’accusations graves après le dépôt d’une plainte contre un surveillant pour « violence sexuelle et agression psychologique », c’est une dizaine d’hommes en gris, soit un inspecteur par discipline, qui a également débarqué récemment, assistant aux cours à l’improviste, s’entretenant avec les élèves… Les turpitudes d’un employé, aussi ignobles soient-elles, rendent-elles toute une structure suspecte ?

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« Les inspections sont plus autoritaires cette année d’après ce qu’on me dit… » note Françoise Candelier, à la tête de l’école hors-contrat du Blanc Mesnil, à Croix dans le Nord. Depuis la création, en 2009, de cet établissement non confessionnel qui propose un parcours d’excellence avec haute dose de grec ancien et de culture civilisationnelle, la directrice a déjà connu ce genre d’inspections à plusieurs, par rangées de dix, débarquant parfois à l’improviste : « Cela pouvait être impressionnant mais cela s’est dans l’ensemble bien passé ».

Le privé sous contrat fait pour ainsi dire désormais l’expérience de la surveillance étroite réservée jusqu’à présent au privé hors-contrat. « Je ne suis pas inquiète pour Stanislas ou Neuilly, indique toutefois Françoise Candelier. Les enfants de la bourgeoisie auront toujours leurs écoles. Mais ce sont les enfants de province parfois issus des classes moyennes ou populaires qui pourraient voir leurs libertés être rognées ». Comme le disait l’ancien ministre de l’Education nationale Vincent Peillon (2012-2014) dans le titre de son livre programme, « la Révolution française n’est pas terminée ».

Islamistes honoris causa

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Fabrice Balanche © D.R.

Le 1er avril, des militants masqués interrompent brutalement le cours du professeur Balanche, géographe mondialement reconnu à Lyon-II. La présidente de l’université le soutient très mollement pour l’accuser ensuite de propos complotistes, illustrant la soumission aux islamistes d’une partie du monde académique. La capitale des Gaules serait-elle devenue la Mecque de la lâcheté universitaire ?


L’affaire Balanche, à Lyon-II, a ouvert la boîte de Pandore de cet islamisme universitaire que l’on veut ne pas voir. La notion d’islamo-gauchisme est-elle même pertinente quand l’islam politique impose sa ligne ? Chaque pôle universitaire possède aujourd’hui ses islamistes, couvés par les organisations locales de Frères musulmans, financés par les fonds européens et par les opaques mécanismes de distribution de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), et protégés par une noria d’individus et de groupes politiques, syndicaux ou scientifiques, pour cause de convictions religieuses, par stratégie politique révolutionnaire ou par bêtise (qui n’est jamais à sous-estimer).

Un excellent connaisseur de la Syrie

Ladite affaire concerne l’universitaire Fabrice Balanche, 55 ans, maître de conférences en géographie de l’université Lyon-II, spécialiste du Moyen-Orient. Le 1er avril 2025, il donne un cours de licence sur le voisinage de l’Union européenne – sans rapport avec l’islam ni avec le conflit israélo-palestinien. Soudain, une vingtaine d’individus masqués et cagoulés, dont le leader est très baraqué, font irruption dans l’amphithéâtre, munis d’une banderole « Libérez la Palestine » et « Stop au nettoyage ethnique », accusant le géographe d’être « islamophobe », « sioniste », « pro-israélien », « génocidaire » et « pro-Assad ». Quatre étudiants courageux s’interposent, permettant à l’enseignant de quitter son amphithéâtre. Pour les personnes non familières de l’université, une telle manifestation est exceptionnelle : les étudiants sont presque toujours respectueux et silencieux, et quand une délégation syndicale étudiante veut faire une annonce, elle demande l’autorisation avec politesse.

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Le maître de conférences Fabrice Balanche est l’un des meilleurs connaisseurs de la mosaïque communautaire du Moyen-Orient, et de la Syrie en particulier. Auteur en 2000 d’une thèse sur les alaouites – le groupe que l’armée coloniale française a érigé en vivier de l’armée syrienne du xxe siècle –, cet arabophone a passé dix ans au Moyen-Orient, jusqu’à son arrivée à Lyon en 2007. Dès les débuts de la révolution syrienne, qui se mue en un cruel djihad, Balanche s’élève contre la doxa française et occidentale, qui promet la chute imminente à un Bachar El Assad honni. Dès 2015, les Américains, avertis de la pertinence de ses analyses, l’invitent pour plusieurs années à Washington et à Stanford. Cette clairvoyance ne lui sera pas pardonnée en France : malgré son habilitation à diriger les recherches (HDR) obtenue en 2013, Balanche est condamné à stagner au moins douze ans dans son poste de maître de conférences… En 2024, il est lauréat du Prix du livre de géopolitique pour Les Leçons de la crise syrienne (Odile Jacob), publié à la veille de la chute d’Assad, provoquée par la volonté israélienne de casser l’axe iranien et la stratégie néo-ottomane turque qui n’hésite pas à s’appuyer sur la nébuleuse djihadiste proche d’Al-Qaïda.

Curieux poisson d’avril

Le groupe masqué qui a fait irruption dans son cours le 1er avril ne visait pas un poisson d’avril ! Le même groupe avait procédé à un blocage du campus de la porte des Alpes, appartenant également à Lyon-II, le vendredi 28 mars, au lendemain de l’interdiction par l’université d’un iftar (repas de rupture de jeûne). Ayant eu vent que cet iftar – probablement orchestré par un groupe proche des Frères musulmans –, l’administration de Lyon-II leur avait d’abord demandé de le renommer « repas partagé ». Devant leur refus, elle avait fini, en désespoir de cause, par l’interdire. D’où le blocage, qui a suscité la protestation de l’infidèle professeur.

La nécessité de punir le récalcitrant géographe, peu prisé par la mouvance frériste pour la clarté de ses analyses sur le conflit syrien et sur l’islam politique à l’offensive, a conduit à la scène d’intimidation évoquée.

En dépit de son caractère inédit et inouï, le scandale, dévoilé grâce aux réseaux sociaux, n’a été relayé que dans quelques médias. Certes, Balanche a bénéficié de la protection fonctionnelle de l’université, et il a été accompagné après la médiatisation pour porter plainte au commissariat. Mais personne ne comptait manifestement aller plus loin. Un mois plus tard, l’enquête est en cours, et ce groupe n’a subi aucune exclusion, quoique Fabrice Balanche et la présidente de l’université aient reçu des menaces de mort – nul responsable n’en ignore les dangers depuis l’assassinat de Paty et Bernard. Trois semaines après l’envahissement, le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur a dit son soutien à l’enseignant et à la présidente de l’université ; il a condamné les entraves et menaces planant sur des fonctionnaires, et a réclamé une « protection sans ambiguïtés des enseignants » de la part des présidents d’universités.

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S’il s’est exprimé ainsi, c’est que la présidente de Lyon-II, Isabelle von Bueltzingsloewen, historienne spécialiste de la santé publique, a dénoncé les propos de son professeur menacé, en retournant contre lui la présomption de culpabilité : il aurait eu le tort de parler d’un « premier blocage islamiste » (eût-elle préféré le terme d’entrave ?), de dénoncer les « recrutements politiques à l’Université » (dont Balanche a pourtant eu tout le loisir depuis son arrivée à Lyon-II, en 2007, d’examiner les méfaits). Elle lui reproche aussi ses propos (indéterminés) sur Gaza (« je n’ai pas été étonnée que ça tombe sur ce collègue »). Le recadrage du secrétaire d’État n’est donc pas fortuit, d’autant qu’en termes à peine voilés, la présidente a annoncé que « l’affaire n’était pas terminée », promettant d’en « discuter en conseil d’administration » (ce qui, en langage universitaire, annonce une sanction).

Une révélation du média Atlantico du 26 avril 2025 éclaire d’un jour cru ces menaces voilées : le vice-président de Lyon-II, le politologue Willy Beauvallet-Haddad, a rendu en septembre dernier un vibrant hommage à Hassan Nasrallah – cofondateur du Hezbollah en 1982, et secrétaire général de 1992 à 2024 : « Il a rejoint le Panthéon de nos cœurs. » Or Nasrallah, principal soutien de Bachar El Assad durant la guerre de Syrie, était le chef du Hezbollah, « organisation terroriste » aux ordres de l’Iran, selon les États-Unis et le Royaume-Uni, tandis que l’Union européenne réserve cette qualification à sa seule branche armée. « Docteur honoris causa » de l’université Lyon-II, Nasrallah a cocréé une organisation qui a tué 241 GI et 58 parachutistes français à Beyrouth en 1983, un événement qui a inauguré quatre décennies de guerres conduites par ce parti.

Dans un tel contexte, nul doute que M. Balanche est un empêcheur de tourner en rond.

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Joseph Macé-Scaron: terreur dans le terroir

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Joseph Macé-Scaron © Hannah Assouline

Le nouveau polar de Joseph Macé-Scaron est une plongée macabre dans le Maine-et-Loire où des enquêteurs tentent d’élucider une série de crimes sordides. La piste diabolique n’est pas écartée.


Le « Loir gaulois » réserve bien des frayeurs, les coteaux du « petit Liré » aussi. La « douceur angevine » est démentie. On décapite ici, on coupe encore les doigts du mort, on entrouvre la cage thoracique d’une jeune fille « comme les doigts d’une main qui se desserre », bref, on va bientôt suivre « l’empreinte des sabots du Diable ». Les meurtres atroces se multiplient, ils interrogent par leur horreur. Le Mal serait donc au pied d’un morceau de la Vraie Croix du Christ, ce trésor de la congrégation des Filles du cœur de Marie de Baugé-en-Anjou ! Joseph Macé-Scaron, sur ses terres (il vit entre Paris et le Maine-et-Loire), rappelle des fantômes et, partant, cherche la part du Diable – ce qui n’a rien d’étonnant dans cette région viticole. La difficulté, fait-il dire à l’un de ses enquêteurs, « est de parvenir à séparer ce qui relève du libre choix du criminel, son sadisme assumé, et de l’œuvre du Malin. Pour cela, il faut une lame qui décolle l’un de l’autre, un acier qui tranche ». Tant il est vrai que la grande ruse du Malin consiste à nous laisser accroire qu’il ne peut exister.

À lire aussi : Qui se souvient de l’affaire Fualdès?

Voilà que le « Département S », spécialisé dans les affaires étranges, lequel siège, d’ordinaire, au 36, quai des Orfèvres, se transporte en Anjou. Deux membres composent ce Service d’études et de recherches françaises, inconnu du grand public – et pour cause puisqu’il est le fruit de l’imagination de notre auteur de polars : une chartiste, Paule Nirsen et un ex-capitaine de gendarmerie, Guillaume Lassire. Ces compères, dont le second est arcbouté, en bon militaire, sur la discipline et la première sur « l’équilibre » subtil entre la rigueur et le plaisir, furent déjà les personnages principaux de La Falaise aux suicidés et de La Reine jaune (Les Presses de la Cité, respectivement 2022 et 2024). Macé-Scaron est fidèle à ses lames ! Bon, ces deux-là ont malgré tout un point commun : celui d’avoir la tête sur les épaules, ce qui n’est plus si fréquent dans cet ancien duché. Cet improbable couple professionnel, sur place, ne croit pas à l’œuvre d’un fou, d’un psychopathe ou d’un « groupuscule d’extrême droite » comme le suggèrent une édile ambitieuse et un procureur obéissant. Des signes les orientent ailleurs. Loin dans l’Histoire et jusqu’en Bosnie-Herzégovine. C’est que les crimes les mettent sur les traces d’une autre croix que celle ramenée de Terre sainte par un Baugeois en 1244 : celle de l’ombre, des ténèbres. D’un côté la lumière, le bien, de l’autre, la puissance du mal ; puissance du mal en ceci que l’on va bientôt découvrir qu’il n’est pas toujours subi, mais qu’il peut construire et fournir, même, une identité. Diable !

Macé-Scaron nous donne une leçon d’Histoire. La Croix des ténèbres est un polar érudit. Parfaitement construit même s’il emprunte d’autres codes que ceux de la tradition. Et ce n’est pas rien de renouveler un genre. Voici donc un page-turner qui n’est pas exempt d’humour. Son auteur, c’est manifeste, s’est amusé à l’écrire ; on se plaît à le lire.

Joseph Macé-Scaron, La Croix des ténèbres, Presses de la Cité, 2025, 304 pages.

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Reductio ad Trumpum

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Paques 2025 à la Maison Blanche, Etats-Unis © CNP/NEWSCOM/SIPA

Nous connaissions fort bien la fameuse « reductio ad Hitlerum » inventée et popularisée par le philosophe Léo Strauss au début des années cinquante et qui, depuis, a fait florès.

Par cette locution ironiquement latine, détournée du non moins fameux « reductio ad absurdum », Strauss entendait démontrer que lorsqu’un interlocuteur manquait d’arguments pour anéantir une théorie adverse il en arrivait plus ou moins systématiquement à l’entacher d’une proximité quelconque avec Hitler ou le nazisme.

Ainsi, si vous confessiez être un admirateur de la musique de Wagner et que votre contradicteur ne trouvât aucun argument pour contester, sur le plan artistique, ce penchant, il lui suffisait de mentionner que Wagner était le compositeur préféré d’Hitler pour déconsidérer à la fois ce choix et vous-même qui osiez le revendiquer.

En une sorte de prolongement de cette « reductio ad Hitlerum », nous avons aussi la gratifiante théorie du point Godwin, théorie selon laquelle toute « disputatio » se prolongeant finira inévitablement par aborder ou au moins évoquer Hitler et le nazisme.

Or, nous assistons, mutatis mutandis (ces heures et ces jours de conclave romain m’auront probablement exagérément latinisé. Veuillez m’en excuser), mutatis mutandis, disais-je, nous assistons à une résurgence de ces deux notions, mises au goût du jour, bien entendu.

De ce fait, ce n’est plus la « réductio ad Hitlerum » qui sévit aujourd’hui dans nos médias et les propos des politiciens de convention, mais la « reductio ad Trumpum ».

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Ainsi pour ce qui est de l’élection du nouveau pape, Léon XIV, américain comme on sait. Ces jours-ci, le critère dominant qui permettrait de déterminer s’il sera un bon pape ou non semble bien être le degré d’acrimonie qu’il pourrait avoir exprimé, ou dont on pourrait le créditer, à l’encontre de président américain. Plus on sera en mesure de lui attribuer des formules critiques ou hostiles, et plus il grandira dans la faveur des observateurs dûment patentés. C’est un fait, Trump est devenu le mètre étalon en la matière.  

De même, peut-il se flatter d’obtenir un très bon score en matière de point Godwin. Il n’est guère de débat, de controverse, d’analyse qui, a un moment ou à un autre, n’en vienne à introduire ce nom et ce personnage dans le propos. C’est un incontournable, le passage obligé. À tel point que le zapper, ne pas le citer – ce qui doit être fait exclusivement en mauvaise part, bien sûr – pourrait être considéré comme une sorte de complaisance, voire de complicité.

Giorgia Meloni, chef du gouvernement italien, a droit, elle aussi, à tout autant d’honneurs décernés par presse et les médias propres sur eux. Il faut dire qu’elle leur donne de l’urticaire. Elle, qui devait échouer dans les deux mois suivant son accession au pouvoir, réussit plutôt bien après plus de deux ans et demi d’exercice. (Même les médias les moins Meloni-compatibles se voient contraints d’en convenir. De très mauvaise grâce, sans aucun doute…)

Donc, La Meloni – je ne me lasse pas de la traiter en diva – jouit elle aussi de ces marques d’infamie. Je lisais voilà quelques jours dans le Figaro le commentaire d’une de ses concitoyennes d’opposition qui tout tranquillement donnait dans la forme de reductio ad Melonium (?) la plus caricaturale. La Première ministre ayant eu la malencontreuse idée de déclarer qu’il était opportun et urgent de promouvoir la pratique sportive chez les jeunes – initiative tout à fait pertinente, chacun en conviendra – son adversaire ne trouvant pas d’argument sérieux de contestation s’empressa de mentionner que la promotion du sport était déjà un des dadas de Mussolini. Donc, selon ce bel esprit, ce faisant, Mme Meloni ne faisait que manifester sans vergogne son adhésion pleine et entière au fascisme. Là, on se dit que la bêtise n’a pas de frontière. Ce qui, à dire vrai, n’est réjouissant ni pour l’esprit ni pour le cœur.

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Recevoir un djihadiste à l’Élysée: Macron a-t-il perdu la mémoire?

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Emmanuel Macron reçoit le Syrien Ahmed Al-Charaa, au Palais de l'Elysée à Paris, 7 mai 2025 © Stephane Lemouton/SIPA

Le président Macron a accueilli, mercredi 7 mai à l’Élysée, le président syrien par intérim, Ahmed Al-Charaa. Une visite très diversement appréciée. Si la coalition islamiste parvient à stabiliser la Syrie et à assurer la protection des Syriens quelle que soit leur confession, Paris promet de lever les sanctions européennes.


Il y a des jours où l’on se pince pour y croire. Des jours où la nausée vous serre la gorge tant l’indécence est grande. Mardi 7 mai, l’Élysée déroule le tapis rouge à Ahmad al-Charaa, chef islamiste de Damas, ex-figure d’al-Qaïda et toujours recherché par Interpol. Oui, vous avez bien lu : un ancien terroriste, fraîchement repeint en président « modéré », reçu avec tous les honneurs par le président de la République française.

Farce sinistre

Al-Charaa n’a jamais été un homme de paix. Il est le visage poli de l’islamisme le plus violent, celui qui a défiguré la Syrie sous les bannières du djihad, en tandem avec les parrains turcs et qataris. Un homme qui, en mars dernier encore, laissait dérouler des massacres d’Alaouites, en avril, il y a une semaine, des razzias contre les Druzes, et des appels à « libérer Jérusalem » dans un remake douteux de la rhétorique du Hamas.

Macron, parrain des « modérés » façon Frères musulmans. Voire pire ?

Depuis la chute du dictateur Assad, Emmanuel Macron s’active visiblement pour intégrer diplomatiquement le successeur. Sous couvert de lutte contre Daech, on requalifie en « forces modérées » ceux qui, hier encore, prônaient le califat. Une farce sinistre, une manipulation de vocabulaire aussi vieille que Machiavel.

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Recevoir al-Charaa, c’est comme recevoir Sinwar du Hamas avec un nœud papillon. C’est valider la violence islamiste en costume trois pièces. C’est piétiner la mémoire des minorités massacrées, des femmes enlevées, des enfants écrasés sous les bombes et des résistants laïques abandonnés à leur sort.

Et ce n’est pas une exagération. Depuis fin avril, ses milices lancent des offensives meurtrières contre les Druzes de Soueïda. Son gouvernement autoproclamé impose la charia dans la Constitution, sans le moindre vote. Dans les rues de Damas, les slogans antisémites résonnent à plein volume,  avec la bénédiction du régime. Et c’est à ce président de guerre sainte que l’Élysée offre une tribune ?

Deux poids, deux mesures — version République

La même France qui condamne le régime iranien, qui sanctionne des oligarques russes, accueille un islamiste syrien impliqué dans des crimes de guerre ? Il faut oser. Et Emmanuel Macron ose.

L’homme fort de Damas nomme à des postes ministériels des figures comme Ahmed al-Hays, alias Abou Hatim Shaqra, connu pour ses exécutions sommaires et son trafic de femmes yézidies. Mais qu’importe : à Paris, l’heure est à la réhabilitation, tant que cela sert une illusion de stabilité.

Car l’obsession française, c’est toujours d’être en tête de cortège, le premier à serrer des mains, le premier à croire à une « solution politique » où il n’y a que la loi du plus fanatique.

La diplomatie sans mémoire est une forme de trahison.

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On nous dira que la diplomatie exige d’ouvrir des canaux. C’est vrai. Mais les Américains et les Israéliens, eux, savent poser des conditions. Ils ne distribuent pas les invitations à la légère ni les chèques en blanc.

Recevoir al-Charaa, sans exiger de garanties pour les minorités, sans même un semblant de vérification de dialogue pluraliste, c’est entériner la victoire du plus sectaire. C’est trahir non seulement la Syrie, mais aussi ce qu’il reste des principes français : la justice, la liberté de conscience, la défense des opprimés.

Je suis franco-syrien. Je n’attendais pas de la France qu’elle sauve mon pays d’origine. Mais j’espérais au moins qu’elle ne s’abaisse pas à légitimer les djihadistes, ex-Al-Qaïda, qui l’ont un jour martyrisé et qui y perpètrent encore des massacres.

En accueillant Ahmad al-Charaa, Emmanuel Macron ne fait pas un pas de diplomate : il commet une faute morale.