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Israël et la France: des relations tumultueuses (2/2)

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Israël et la France ont constitué un véritable couple au vrai sens du terme, avec ses dérives et ses turbulences. Ils sont passés par toutes les phases : le flirt, l’idylle, l’amour fou, la passion, la querelle, la haine, l’indifférence, la séparation, la réconciliation et le divorce. L’histoire de ce couple a progressivement pris l’allure d’un véritable thriller. Voici la seconde partie de cette longue histoire.


Retrouver la première partie de cet article ici.

Le déclenchement des Intifada provoqua une rapide dégradation des relations franco-israéliennes. Les attaques contre les infrastructures terroristes palestiniennes, lancées en mars 2002 par Israël, furent qualifiées de «disproportionnées». Le Quai d’Orsay avait soutenu Arafat, totalement isolé, en refusant de le juger responsable du terrorisme et des violences palestiniennes. Par ailleurs, Jacques Chirac était devenu le grand ami de l’Irak tandis que dans le même temps, Israël accusait Paris de partialité.

Chirac accueille Sharon

La politique proche-orientale française se révéla contre-productive car elle avait empêché Paris de jouer le rôle de médiateur. C’est pourquoi à partir de l’été 2002, les Français œuvrèrent à l’amélioration des relations bilatérales franco-israéliennes à travers la coopération culturelle, scientifique et commerciale tout en conservant la même position partiale. La mort de Yasser Arafat, le 11 novembre 2004, avait facilité la visite officielle d’Ariel Sharon à Paris en juillet 2005 et le retrait de Gaza en août 2005. Jacques Chirac exprima alors sa volonté de donner un nouvel élan aux relations franco-israéliennes en réservant un accueil royal à Ariel Sharon, dont il salua le courage et la détermination dans le plan de désengagement de Gaza, tandis que ce dernier remerciait le Président français pour «sa lutte très ferme contre l’antisémitisme».

Mais les tensions avec la France ne disparurent jamais. Malgré ses efforts pour se présenter comme un acteur neutre, et son insistance à garantir le droit d’Israël à se défendre, la France avait formulé de sévères critiques contre l’offensive israélienne contre le Hezbollah, jugée disproportionnée. Elle a cependant réussi à maintenir le dialogue avec Israël et à jouer un rôle de médiation entre Israël et le Liban.

Sarkozy dans la continuité

Nicolas Sarkozy ne voulait pas s’opposer aux Américains mais plutôt conserver des relations privilégiées avec le monde arabe. Il croyait avoir trouvé une voie médiane en réclamant un statut d’observateur privilégié pour la Palestine. Le vote positif de la France à l’Unesco fut  une manière de faire un geste vis-à-vis des Palestiniens mais elle s’était abstenue au Conseil de Sécurité quand il a fallu voter l’admission de la Palestine en tant qu’État à part entière.

Nicolas Sarkozy n’avait pas changé d’un iota la politique de la France vis-à-vis d’Israël. Le Quai d’Orsay guida la politique internationale avec une vision gaulliste, exprimée par l’idée de grandeur de la France. L’élection de Nicolas Sarkozy avait suscité l’espoir que les relations bilatérales avec la France s’améliorent mais les divergences profondes s’étaient maintenues. Les amitiés avec les pays arabes se développèrent et furent marquées par la participation active de la France en Syrie au détriment de celles avec Israël. Mais conscient de sa partialité, Sarkozy prit la décision symbolique d’inviter, à Paris en mars 2008, le président israélien Shimon Peres, grand ami de la France, et de choisir Israël comme invité d’honneur du Salon du livre à la même époque.

Mais il existait d’importants sujets de discorde politique entre la France sous Sarkozy et le gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou. Les divergences d’opinions concernaient notamment les constructions dans les colonies israéliennes, la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens en tant qu’État juif et la démilitarisation d’un futur État palestinien. Sarkozy avait été jusqu’à conseiller à Netanyahou, lors de sa visite à Paris en juin 2009, de se «débarrasser» de son ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman pour le remplacer par Tsipi Livni.

Hollande ami d’Israël

Au début de son mandat en mai 2012, François Hollande avait défendu corps et âme Israël en adoptant les thèses sur le nucléaire iranien et sur la colonisation, comme s’il voulait surpasser les États-Unis. Du 17 au 19 novembre 2013, il fit sa première visite d’État en Israël en allant très loin dans son soutien à Israël : «Je suis votre ami et je le resterai toujours». Ce fut d’ailleurs un échange de bonnes paroles. Déjà en tant que secrétaire du parti, il s’était montré favorable à Israël car il estimait la sécurité d’Israël comme prioritaire. De son côté Netanyahou, qui avait pris soin de dérouler le tapis rouge à son invité, avait déclaré qu’il voyait «la France comme un véritable ami. Le sionisme a été influencé par les valeurs de la Révolution française». Hollande n’a pas été gêné de soutenir un Premier ministre de droite.

Cette visite illustra la similarité des points de vue des deux pays sur la question iranienne. A la tribune de la Knesset, il avait été très modéré, se contentant de demander des gestes sur la colonisation, sans mentionner leur caractère illégal. Mais pour faire bonne mesure, face à Mahmoud Abbas à Ramallah il avait exigé «l’arrêt total et définitif de la colonisation pour parvenir à un accord de paix. La France a toujours été opposée à la colonisation. Toute extension ne peut que nuire au processus de paix».

Le problème iranien avait rapproché la France et Israël. A l’instar de Netanyahou, François Hollande avait rappelé que «la prolifération nucléaire en Iran tout particulièrement était un danger, une menace sur Israël, la région et le monde entier. La France maintiendra ses exigences ainsi que les sanctions tant qu’elle n’aurait pas la certitude que l’Iran a renoncé à l’arme nucléaire». Si Hollande avait favorisé les pays arabes qui achetaient français, il n’avait jamais accepté qu’on limite ses relations avec l’État hébreu. Il avait été à l’origine du rajeunissement des  diplomates du Quai d’Orsay, profitant ainsi d’y introduire quelques uns favorables à Israël.

Il n’avait jamais ménagé ses critiques contre les Palestiniens et avait exprimé la «solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza» tout en appelant Israéliens et Palestiniens «à la retenue». Le Président avait invoqué «le droit d’Israël à se défendre contre les roquettes tirées par le Hamas» et condamné «fermement au nom de la France les agressions contre l’État hébreu».

Mais François Hollande restait ferme sur ses convictions. En votant le 29 novembre 2012, pour l’admission de la Palestine à l’ONU en tant qu’État observateur non-membre, il confirmait une certaine continuité dans la politique de la France puisque l’idée d’une Palestine État observateur non-membre avait été formulée pour la première fois par Nicolas Sarkozy.  Cependant sur les relations israélo-palestiniennes, François Hollande avait confirmé devant la Knesset la position traditionnelle de la France : «La position de la France est connue : c’est un règlement négocié pour que les États d’Israël et de Palestine, ayant tous deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité».

Cependant, l’adoption de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies contre les constructions dans les colonies avait été considérée par les Israéliens comme un coup de poignard dans le dos d’Israël.  Le positionnement de la France à l’Unesco concernant les décisions «Palestine occupée» du conseil exécutif de l’UNESCO avait déjà éclairé les Israéliens sur le parti-pris diplomatique de la France. Quant à la tenue de la conférence de Paris pour la paix, le 15 janvier 2017, elle avait créé un malaise en Israël.

Tensions sous Macron

Les relations entre Emmanuel Macron et Benyamin Netanyahou étaient parties sur de mauvaises bases. En effet, lors de son voyage en Israël en septembre 2015 en tant que ministre de l’économie, Macron n’avait rencontré que son homologue, Arie Dehry. L’ambassadeur français de l’époque, Patrick Maisonnave, avait fait une demande officielle auprès des services du premier ministre pour une entrevue avec son ministre, dans le cadre d’une visite protocolaire. Mais le conseiller français de Netanyahou pour les affaires françaises, avait fortement déconseillé cette rencontre qui pouvait causer du tort à ses soutiens de droite Nicolas Sarkozy et François Fillon.

Bien sûr, nul ne savait que Macron allait être candidat à la présidentielle. Mais Macron avait été invité en tant que ministre du président socialiste François Hollande et à ce titre, il méritait certains égards. Déçu mais pugnace, il avait donc misé sur la coopération scientifique et universitaire entre la France et Israël, pays de la start-up, où les synergies entre éducation, recherche, industrie et innovation sont particulièrement actives et fructueuses. Mais pour des raisons non expliquées, la crise avec Israël s’était poursuivie en 2018 après l’annulation du voyage officiel de Macron prévu au printemps puis reporté sine die. L’annulation de la visite du président était intervenue après que le Premier ministre Édouard Philippe a annulé sa propre visite en Israël, en invoquant des questions de politique intérieure.

En fait, des questions purement politiques avaient conduit à cette décision. De source israélienne, on avait prétendu que le Premier ministre français avait décidé de ne pas venir en Israël «en raison des manifestations meurtrières à la frontière de Gaza et de la façon dont le voyage pourrait être perçu par le public français». Dans la foulée, le président Reuven Rivlin avait également annulé son voyage en France. Seul, pour tenter de réunir les liens coupés, Benyamin Netanyahou s’était rendu à Paris en juin. Depuis les votes négatifs à l’Unesco et après le vote de la France en faveur de la résolution condamnant la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, les relations entre Israël et la France sont devenues –c’est un euphémisme– très froides.

Pourtant, les faits étaient têtus. La France avait seule décidé de se distinguer du monde occidental, et de l’Europe en particulier, en mêlant sa voix à des pays qui ne sont pas réputés pour être de véritables démocraties. Bien sûr, elle dispose de sa propre politique internationale, mais en prenant une position négative sans jamais s’abstenir, elle a perdu son rôle d’arbitre et Israël l’a accusée de s’être rangée du côté de ses ennemis irréductibles.

Froid diplomatique

Le Conseil de sécurité a dû prendre position sur des résolutions qui abordaient sous des angles différents, le conflit entre Israël et la Palestine. Mais les textes étaient partiaux car ils rejetaient toujours la responsabilité sur Israël en l’absence de toute référence au «groupe terroriste Hamas».  Le Conseil de sécurité de l’ONU avait même rejeté un projet de résolution américain rendant responsable le Hamas palestinien des violences dans la bande de Gaza. Les États-Unis ont été les seuls à voter pour leur texte. Onze pays se sont abstenus tandis que la France a voté contre. Le projet américain contenait des injonctions dirigées vers «les organisations terroristes telles que le Hamas» et proposait au Conseil de condamner les tirs de roquettes aveugles, effectués par des milices palestiniennes basées à Gaza en direction de villages israéliens.

La France n’avait pas voté le projet et par la voix de son représentant François Delattre, avait fait observer que la responsabilité du Conseil de sécurité est de répondre à la crise de Gaza dans sa globalité, «ce qui n’est pas fait dans ce texte» et avait déploré ce «lourd silence du Conseil qui est de plus en plus assourdissant. Un silence qui n’est ni acceptable, ni compréhensible. Si ce Conseil abdique aujourd’hui ses responsabilités, qui donc les assumera?»

Mais la position de la France avait entraîné une réaction forte de l’ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis (2009 à 2013) Michael Oren, qui dans un tweet s’en était pris à Paris : «Louange aux États-Unis pour avoir mis leur veto à la résolution du Conseil de sécurité sur Gaza qui ne mentionne pas le Hamas et a condamné Tsahal pour avoir défendu Israël. Honte à la France de l’avoir soutenue. Le gouvernement français ne peut pas dire que c’est contre l’antisémitisme et voter pour cette résolution antisémite». Sortant de sa réserve, l’ambassadrice Hélène le Gal a eu une réaction immédiate peu diplomatique : «Honte à vous M. Oren d’avoir insulté la France à la veille de la visite de votre Premier ministre à Paris. Vous n’avez pas lu la résolution. Ce n’était pas parfait mais elle condamnait toute la violence contre Israël. La France soutient résolument la sécurité d’Israël». Il ne lui appartenait pas de réagir ainsi alors qu’en tant qu’ambassadrice, elle était chargée d’arrondir les angles plutôt de mettre de l’huile sur le feu.

D’ailleurs, le très prudent Yigal Palmor, directeur de la communication à l’Agence juive et ancien porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, est sorti de sa réserve : «Cependant, Madame l’ambassadeur, et avec tout mon respect sincère, comment se fait-il que la France n’ait pas voté comme le Royaume-Uni, la Hollande, la Pologne et l’Éthiopie mais plutôt avec le Koweït, la Russie, la Chine, la Bolivie ? Vous savez que nous attendons plus de la France». Dans cette atmosphère tendue, toutes les visites officielles ont été suspendues.

 

La journée d’une antiraciste

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Depuis le meurtre de George Floyd par un policier américain à Minneapolis, Caroline en est convaincue : la France est un pays raciste. Voici le récit de sa journée.


Pour se rendre au rassemblement place de la République, Caroline monte dans le métro. 17 blancs pour 4 noirs dans sa rame, preuve de plus du racisme systémique (son nouveau mot préféré) à l’entrée des rames de métro. Elle envisage d’aller s’excuser pour la colonisation, mais elle ne veut pas perdre sa place assise. À la place, elle lance Instagram et aperçoit le commentaire d’un internaute qui critique le mouvement Black Lives Matter. « Ah donc black lives don’t matter ? » répond-elle courageusement avant de bloquer le fasciste. Comment peut-il y avoir tant de gens en désaccord avec elle, tant de gens contre la justice sociale et l’égalité raciale ?

Un virus incurable : le racisme

En sortant du métro, Caroline est abordée par une femme noire qui lui demande l’heure. Choisissant ses mots avec soin (certains termes relèvent de l’appropriation culturelle), dans un timbre de voix aigu (parler d’une voix grave, réflexe inconscient d’oppresseur), elle répond qu’elle ne connait pas l’heure (sa montre indique 11h23 mais elle refuse de whitesplainer). Elle est fière, elle a réussi à éliminer ses biais inconscients.

Arrivée place de La République, Caroline retrouve ses frères/soeurs/non-binaires de lutte. Il y a un mois, elle exhortait le gouvernement à prolonger le confinement ; aujourd’hui, elle manifeste contre le seul virus dont notre pays est malade : le racisme. Caroline passe par un premier stand : un homme crie des noms de personnalités et elle doit hurler « raciste ! ». Le sens du devoir accompli (il ne suffit pas de ne pas être raciste, il faut être activement anti-raciste), elle passe au stand suivant : il s’agit de vandaliser une statue (une statue raciste). L’activité d’après est encore plus amusante : elle se jette par terre pour mimer une arrestation violente. Elle se fait mal et personne ne filme : déception, elle espérait buzzer sur Twitter. Pour finir, elle passe devant les caméras télé pour scander ses revendications : « Justice sociale, égalité raciale, bonheur pour tous, paix sur Terre ! » Et elle ajoute (en anglais au cas où CNN voudrait récupérer les images) : « White people are fucking racist ! ». Caroline a beaucoup progressé en anglais grâce au mouvement BLM.

Rééducation sur Instagram

Un peu plus tard, Caroline constate, scandalisée, que certains de ses abonnés Instagram n’ont pas publié de carré noir. S’ils ne militent pas, c’est qu’ils n’ont pas été assez éduqués. Pour les aider, elle partage donc en story des « ressources à l’attention des personnes blanches », qui permettent de « s’éduquer sur le racisme ». Au programme, Rokahya Diallo, Frantz Fanon, Angela Davis et notamment des oeuvres telles que (vraie liste) : « Pour détruire le racisme il faut renverser le capitalisme », « La prison est-elle obsolète ? », « Un féminisme décolonial », « La gynécologie est une discipline mise au monde par des pères racistes », bref une liste de lecture variée puisqu’elle contient non seulement des textes d’activistes identitaires d’extrême gauche, mais aussi des textes d’activistes identitaires communistes. Hier, Caroline a appris que Staline envoyait ses opposants dans des camps de rééducation où ils devaient étudier les textes communistes. Bon, Staline était un peu méchant, se dit elle intelligemment, mais si la cause est noble – et ici elle l’est – l’idée a quelque chose de bon.

En fin d’après-midi, Caroline rend visite à sa grand mère (son grand père est mort du Covid, bon débarras, c’était un mâle blanc de plus de 50 ans). Sur le chemin du retour, elle aperçoit un homme noir, cigarette à la bouche, l’air un peu opprimé. Elle s’approche.
– Monsieur, je m’excuse pour mon privilège. Sachez que je suis votre alliée : je peux vous compenser financièrement pour la colonisation ou vous aider à trouver un emploi.
– Merci mais ça ira, je suis neuro-chirurgien.
Bonne idée ces quotas pour les noirs en Fac de médecine, pense Caroline.

… et Twitter

De retour chez elle, Caroline répond à quelques tweets (« tais-toi, mâle blanc cisgenre privilégié », « ha ha fragilité blanche », « @Amazon vous n’avez que 9% d’employés noirs alors que 13% des américains sont noirs, vous êtes des suprémacistes blancs »), signe plusieurs pétitions pour interdire des trucs (important pour « faire évoluer les mentalités ») et partage un article d’Omar Sy, personnalité préférée des français, qui explique que les français sont racistes. Caroline s’endort heureuse ; il lui reste tant de combats à mener.

Pour un débat démocratique sur l’immigration

 


Afin de favoriser l’émergence d’un débat construit et dépassionné sur l’immigration, un groupe de jeunes citoyens (hauts fonctionnaires, entrepreneurs, personnes issues de la société civile) a décidé de lancer un Observatoire de l’immigration et de la démographie. Ils reviennent sur les raisons qui ont conduit à la mise en place de l’Observatoire ainsi que sur les contenus que celui-ci proposera.


Dans le cadre d’une étude intitulée L’évolution de la ségrégation résidentielle en France de 1968 à 2015 publiée au mois de juillet 2020, France Stratégie – institution rattachée au Premier ministre – a mis en place un site internet rassemblant des données et cartes permettant de comparer l’évolution de la population immigrée ou d’origine immigrée extra-européenne chez les moins de 18 ans, ville par ville, depuis la fin des années soixante.

Contre la dénégation

Les constats qui en découlent sont proprement saisissants. Ils mettent à bas une certaine rhétorique de la dénégation, qui se limite trop souvent à condamner en bloc « des fantasmes sans fondement ». A Dijon par exemple, la part des mineurs immigrés ou enfants d’immigrés d’origine extra-européenne variait de 0 à 8% dans les différents quartiers de l’agglomération en 1975 ; quatre décennies plus tard (en 2015), elle atteignait désormais 48% dans certaines zones.

Cette transformation fondamentale de la démographie française due à l’immigration emporte un grand nombre d’implications, qui concernent non seulement les finances publiques et l’économie, mais plus généralement notre société dans tous les aspects de son existence : mutations culturelles, délinquance, remise en cause de certains principes et valeurs tels que la laïcité (un projet de loi de lutte contre les « séparatismes » est actuellement en préparation), développement de l’islamisme… La France apparaît aujourd’hui profondément fragmentée, conduisant le ministre de l’Intérieur sortant Gérard Collomb à prononcer le 3 octobre dernier devant le chef du gouvernement ces phrases marquantes qui sonnaient comme un avertissement : « Aujourd’hui, on vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face ».

Six français sur dix concernés

Les conséquences immédiates et de long terme associées à l’immigration en font un thème de préoccupation aiguë pour nos compatriotes. Selon un sondage ELABE, Les Français et les mesures sur l’immigration, réalisé pour BFM TV et paru le 6 novembre 2019, près de six français sur dix considèrent que « l’immigration et l’asile sont des sujets majeurs ».

Pourtant, le débat démocratique en la matière demeure aujourd’hui quasi-inexistant. Est-ce parce que « l’immigration est présentée par les élites comme devant échapper à l’emprise du politique et des Etats, au nom d’un principe non dit mais très puissant : celui de l’universalisme radical », comme l’écrit le philosophe Marcel Gauchet ? Lequel poursuit : « En vertu de ce principe, il n’y a que des individus à la surface de la planète, qui doivent pouvoir s’installer où ils veulent en fonction de leurs intérêts. Ce qui implique qu’il n’existe plus de communauté politique capable de définir ses rapports avec l’extérieur. »

Les vingt-huit lois votées en matière d’immigration ces quarante dernières années (entre 1980 et 2018) ne sauraient tromper les citoyens en leur faisant croire qu’une réflexion d’ensemble sur la question aurait eu lieu. Comme le notait Xavier Vandendriescche, spécialiste du droit des étrangers, dans un article de l’Actualité juridique du droit administratif (AJDA) de 2018, le législateur français se borne la plupart du temps à tirer les conséquences – voire à transposer – des règles issues d’autres autorités (droit de l’UE, décisions juridictionnelles antérieures). Et lorsqu’ils décident d’agir, le gouvernement et le Parlement se trouvent parfois contraints par le juge, tantôt administratif tantôt constitutionnel, qui n’hésite pas à user d’un pouvoir d’interprétation pour le moins excessif.

Pour un diagnostic partagé

Aussi fondamental que soit ce sujet, une condition préalable est requise pour qu’un débat serein et dépassionné soit envisageable : il faut un diagnostic partagé de la situation, étayé et documenté. Or les enquêtes d’opinion – en particulier Le Baromètre de la confiance politique (Vague 10) réalisé chaque année par le CEVIPOF et OpinionWay – ont montré que les Français n’accordent qu’un très faible crédit aux statistiques publiques : moins de la moitié d’entre eux font confiance aux données fournies par l’administration, et leur confiance diminue encore plus lorsque celles-ci concernent l’immigration (seulement 33% de confiance). Nos compatriotes considèrent par ailleurs qu’il est très difficile de débattre posément de l’immigration : une enquête de l’IFOP de 2018 intitulée Le regard des Français sur l’immigration montrait notamment que pour 84% des Français, « l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement ». 

L’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie (OID) que nous lançons aujourd’hui aspire à combler ce manque. Il se veut un projet éminemment civique, à double titre : parce qu’il poursuit l’objectif d’éclairer le débat public au service du bien commun ; parce qu’il est animé par des citoyens indépendants, qu’ils soient hauts fonctionnaires, entrepreneurs ou simplement issus de la société civile. L’OID ambitionne de nourrir les discussions et d’informer les citoyens sur l’immigration par des analyses solidement ancrées. Il proposera dès les prochaines semaines des dossiers de fond, des entretiens réalisés avec des spécialistes de diverses disciplines ainsi que des analyses d’actualité.

Trois publications sont d’ores et déjà disponibles à la lecture : un dossier de synthèse sur les flux migratoires (rassemblant « tout ce qu’il faut absolument savoir »), un premier article sur l’histoire de l’immigration ainsi qu’un autre sur le droit d’asile.  D’autres éléments seront publiés chaque semaine sur un ensemble de thématiques cruciales : les actuelles règles juridiques en vigueur autour de l’immigration, les conséquences de celle-ci pour les finances publiques, les enjeux de la natalité française, l’immigration clandestine et sa gestion administrative, les mineurs non accompagnés, l’émigration, etc. Ces productions – que nous veillerons à rendre compréhensibles par le plus grand nombre – seront accompagnées de comparaisons internationales et de pistes concrètes de réforme.

Vous pouvez retrouver l’Observatoire dès à présent à l’adresse observatoire-immigration.fr ainsi que sur Twitter et Facebook. Lisez ses premières analyses, partagez-les et parlez-en autour de vous.

Sur un sujet aussi essentiel pour l’avenir de la France, l’information est un devoir ; elle est aussi le préalable nécessaire à toute action éclairée. L’OID vous donnera les moyens de la réflexion et de la décision.

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Mauvaises nouvelles de la France

 


Dans Une fin du monde sans importance, le chroniqueur du magazine Eléments Xavier Eman tire à boulets rouges sur le progressisme ambiant. 


Avec son troisième livre Une fin du monde sans importance, Xavier Eman signe une satire mordante contre l’idéologie progressiste qui n’est pas sans rappeler Philippe Muray. Comme son père spirituel, il s’inspire des aberrations engendrées par l’époque actuelle pour tourner en dérision, avec une causticité redoutable, les dérives et les contradictions des dogmes contemporains : de l’écologisme punitif à l’ostracisme pratiqué par les minorités sexuelles en passant par le matriarcat.

Tel La Bruyère avec ses Caractères, Xavier Eman, met en scène une série de personnages, victimes et bourreaux, qui lui servent d’archétypes pour railler notre époque et déboulonner ses veaux d’or. Si certains portraits sont volontairement outranciers, c’est dans l’unique but de rendre visible un réel que beaucoup planquent sous le tapis pour mieux goûter au confort du conformisme.

Société écervelée

C’est le cas du portrait intitulé « Crottin de Chavignol, crime contre l’humanité ». Le titre plante à lui tout seul le décor. On y découvre un jeune militant écolo qui fait l’affront d’être flexitarien et qui se retrouve embrigadé dans une opération commando menée par un groupuscule de végans antispécistes. Pour dénoncer les souffrances animales, ces derniers préfèrent saccager une fromagerie familiale plutôt que de s’attaquer au McDo du coin.

Un clochard qui a le malheur de se sustenter d’un sandwich au saucisson à leur passage, subit la violence sanguinaire de ces épurateurs en herbe. En quelques formules bien ciselées, Eman nous projette dans une scène digne d’Orange mécanique revisitée à l’aune du fanatisme vert.

Par touches successives, Xavier Eman dévoile ainsi le portrait d’une société écervelée, à la dérive, rendue étrangère à elle-même. Ainsi, on découvre l’emprise de la réalité virtuelle sous les traits d’un père de famille qui tue son fils en arrêtant sa voiture d’un coup sec pour aller attraper un Pikachu. La débâcle du couple est dépeinte à travers les diktats de femmes vénales et castratrices. Les tartufferies des bien-pensants du gauchisme, sont dénoncées à travers la réaction d’un « petit blanc bourgeois cisgenre » qui passe son temps à vanter les bienfaits de l’immigration jusqu’au jour où des migrants sans papiers débarquent dans son cossu appartement avenue de Breteuil. La droite aussi en prend pour son grade. Ici, on assiste au retournement de veste d’un militant de l’Action française qui vire macroniste voyant dans Jupiter, le retour du régalien. Là ce sont les tiraillements intérieurs du bourgeois des beaux quartiers, électeur LR, qui devant les manifestations des Gilets Jaunes, est pris entre « sympathie » pour cette « France d’avant » qui « sent bon le terroir »  et « agacement » devant les émeutiers, « ces gens bruyants et vindicatifs » qui ont entrainé une chute de la croissance et la suspension de son confort bourgeois.

Le bazooka de la critique sociale

Mais c’est sur le système médiatique et la médiocrité avilissante des talk shows que Xavier Eman tire à boulets rouges. On peut voir là une manière pour le chroniqueur du magazine  d’Alain de Benoist, Eléments, de prendre sa revanche contre un système qui ostracise facilement des débats publics tout intellectuel suspect de complaisance néo-fasciste. En tout cas, sa critique s’attaque à la formidable propagande destinée à retourner les restes de cerveau disponible des gens et à les convaincre que la « normalité » est de revendiquer son identité LGBTQIAP ou encore, accepter que seule l’écriture inclusive peut sauver la langue de Molière trop sexiste pour libérer les femmes.

L’auteur s’en donne à cœur joie et tire au bazooka sur les saltimbanques du petit écran à l’égocentrisme gonflés au mépris. A peine voilés par des noms d’emprunt, on reconnaît sans peine les indétrônables stars de la télé-poubelle. L’auteur taille d’ailleurs un costard sur mesure à un double de Hanouna dans la nouvelle qui clôt le livre en le décrivant comme  « le grand lobotimisateur en chef ». Ce sont eux les chiens de garde enragés, aux rires de hyènes en chaleur, qui font défiler à longueur de plateaux « les drag-queens merveilleusement épanouies, les freaks acéphales de la télé réalité (…) tout ce petit monde qui vante la nécessaire libération des infâmes carcans et de toutes les règles à commencer par celle fascisante de la nature » On pourrait rajouter : une nature forcément fascisante quand il s’agit de l’Homme mais bienveillante quand il s’agit de sauver les escargots !

Xavier Eman montre comment derrière cette entreprise d’abrutissement généralisé, la révolution du progressisme est une opération de délégitimation de l’ancien monde. Il faut purger toutes ces scories qui subsistent afin de faire advenir un nouveau monde où, comme le raconte l’auteur, on débaptise un lycée de banlieue portant le nom d’un héros de la Grande Guerre pour choisir le nom de scène d’un rappeur, natif du lieu, intronisé lors de ces talk- shows comme le nouveau Molière d’un franglais inclusif et non-genré.

Dernières poches de résistance

Pourtant, tout n’est pas irrémédiablement perdu. Parmi cette galerie d’individus pétochards, malléables comme de la glaise, quelques uns font de la résistance. Il y a cet ancien militaire à la retraite et son épouse qui envoient paître leur descendance, complètement endoctrinée par l’hygiénisme gouvernemental, et qui font un pied de nez au précautionnisme liberticide en se soûlant au porto en pleine canicule.

Autre cas de résistance, plus radicale cette fois, une caissière, archétype de cette France d’en bas, périphérique, qui roule en diesel, qui fume des clopes comme dirait l’autre, qui se lève tôt et part bosser pour des clopinettes et qui se tape des briefings matinaux de marketing opérationnel vantant « la flexibilité » et « l’esprit corporate », tout ce baratin pour cliquer sur les codes barres des produits ! Ça finira mal.

Dans la dernière nouvelle, l’anti-héros, un prof désabusé par ce renversement des valeurs, se sacrifie sur l’autel de la bêtise festive et criarde. On pense, bien entendu, à la figure christique. Seulement l’auteur, emporté par son pessimisme à la Houellebecq, ne sauve pas son personnage dont le geste fatal et désespéré ne provoque aucune révélation salvatrice. Une fin du monde sans importance donne à l’avenir les couleurs du pessimisme.

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« Le macronisme est un orléanisme 2.0 »


On ne présente plus Jérôme Fourquet de l’Ifop, auteur de L’Archipel français. Dans sa dernière enquête d’opinion, le sondeur et politologue analyse notamment les fractures de la société française et la montée de l’écologie politique. Entretien (2/2).


Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

Daoud Boughezala. Dans votre découpage de la France en catégories de droite et de gauche, où trouve-t-on la France écolo et la France des gilets jaunes ?

Jérôme Fourquet. Mon constat de base est l’archipellisation de la société française. Cet archipel est parcouru de plusieurs lignes de faille (somewhere vs anywhere, gauche-droite) dont un clivage autour de l’écologie. Le conflit s’engage assez brutalement sur la répartition des efforts à fournir pour lutter contre le réchauffement climatique, les moyens à y consacrer et le rythme nécessaire pour atteindre cet objectif. L’annonce de la taxe carbone, déclencheur du mouvement des gilets jaunes, en a marqué les prémices avec une partie de la France qui s’est mobilisée contre une autre qui voulait encourager et accélérer cette initiative. Dans le sillage de la crise du Covid, cette ligne de front sera réactivée. Car beaucoup de Français ont interprété l’épidémie comme une maladie aux profondes racines écologiques (« on a déstabilisé les écosystèmes », « on a martyrisé ces pauvres pangolins »…). Une partie de la population estime que Dame nature s’est vengée et a pris la crise sanitaire comme une répétition générale de l’effondrement de notre société jugé inéluctable si on ne prend pas des décisions écologiques très sévères. Forte de ce constat, une certaine France plutôt éduquée et influente socialement fait entendre sa voix. Elle était déjà engagée dans un changement individuel des modes de vie mais agit désormais collectivement, comme l’a montré la victoire de listes écologiques aux municipales dans toute une série de métropoles françaises. Il faudra scruter les premières mesures qui seront prises dans ces grandes métropoles écolos, notamment sur un sujet très crispant, lié à la crise des gilets jaunes : le rapport à la voiture.

A quelles mesures clivantes pensez-vous ?

La vignette Crit’air a par exemple été imposée avec zèle en pleine canicule. Quelques jours avant le déconfinement, Anne Hidalgo déclarait en une du Parisien que Paris ne sera plus jamais envahie par la voiture, qu’elle irait encore plus loin et plus vite en matière de piétonnisation, véloïsation. A quelques jours du second tour, la maire de Paris a annoncé la couleur en plaçant très haut la barre en matière de transition écologique : végétalisation de la ville, ralentissement de la vitesse autorisée sur le périphérique… Paris, Lyon et d’autres villes s’engagent aussi à interdire le diesel sur leur territoire dans les prochaines années. Caricaturalement, se dessine une opposition entre deux France : une France écolo essentiellement dans les grands centres urbains d’un côté, France périphérique qui par culture, mode de vie et nécessité n’est pas du tout mûre pour abandonner la voiture. Ce clivage sera très puissant.

Au point de structurer la vie politique de demain ?

Partiellement. Pour prendre un parallèle instructif, cela fait trente ans que le clivage ouvert vs fermé divise la France de manière souterraine. Il ne s’est exprimé avec force que lors de crises ou de moments très particuliers (Maastricht, TCE de 2005…). Mais la plupart du temps, il était souvent recouvert par le clivage gauche-droite même si on le sentait affleurer. Le même scénario peut se reproduire avec le clivage France écolo vs France périphérique : en fonction des moments et des sujets, il peut polariser la société française comme lors de la crise des gilets jaunes, puis redevenir souterrain sans pour autant disparaître. Attendons de voir comment la feuille de route de la Convention climat sera progressivement appliquée par le gouvernement. Dans les années qui viennent, les grandes villes sous direction écologiste feront aussi des annonces susceptibles de réactiver cette ligne de clivage.

Autrement dit, Emmanuel Macron joue sur tous les tableaux. Tout en déplaçant son centre de gravité à droite, la majorité semble s’adresser à l’électorat écologiste. L’écologisme traverse-t-il donc toute la société française, par-delà droite et gauche ?

Exactement. C’est une préoccupation qui taraude notamment une partie de l’électorat macroniste, dans les grands centres urbains. La saison deux du « en même temps » se déclinera vraisemblablement avec des mesures de droite dans le domaine régalien mises en musiques par Jean Castex pour parler à la droite, et en même temps des mesures appliquées par Barbara Pompili et d’autres qui vont dans le sens des propositions de la Convention climat. Le pouvoir exécutif entend montrer qu’en matière d’écologie, il y a ceux qui causent et ceux qui font.

Quand en 2012, Emmanuel Macron s’est imposé « par effraction », pour reprendre ses termes, il voulait faire exploser le PS et la droite. Aujourd’hui, le PS étant réduit à sa plus petite expression, Macron traite plutôt la question écologique pour contrôler son flanc gauche. Au cours de l’été, il a aussi fait voter la PMA pour toutes afin de donner des gages de progressisme sociétal à une partie de son électorat. On pourrait ainsi parler d’un orléanisme 2.0 pour qualifier le macronisme.

Avec une palette aussi large, le macronisme est-il devenu majoritaire dans l’opinion ?

Non. Dans l’archipel français, tout le monde est minoritaire puisqu’on est une société très éclatée. Mais dans un système à deux tours, l’objectif d’un candidat est de parvenir à agréger autour de lui un volume de 20-25% d’électeurs qui, dans une situation très fragmentée, permet d’accéder à la finale. Et dès lors que le RN a aussi cette capacité, il suffit pour l’instant de se retrouver en finale face à Marine Le Pen pour être élu. C’est le calcul des marconistes, qui ne sont pas du tout majoritaires dans le pays mais conservent leur socle, dont le centre de gravité s’est déporté vers la droite de manière assez spectaculaire. De mémoire de sondeur et de politologue, c’est un phénomène assez inédit. Pour le président, l’objectif est de parvenir à agréger autour de son projet et de sa personnalité plutôt que de son idéologie ou de ses valeurs tant tout cela est mouvant. Il est illusoire de penser que toute la France électrice de EELV va voter Macron – toute une partie ne s’y reconnaît pas plus qu’en Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait organisé le Grenelle de l’environnement. Mais le but de Macron est de simplement manger un bout de l’électorat écologiste, tout en vampirisant un fragment important de la droite pour faire baisser le candidat LR à 12-13%. Macron veut être en tête au sein du noyau central qu’Alain Minc appelait « le cercle de la raison » (en gros, les partis de gouvernement). Les macronistes craignent l’émergence d’une candidature forte à droite qui pourraient leur contester le monopole de la représentation du cercle de la raison.

La gauche n’inquiète-t-elle pas du tout LREM ?

Si. Malgré l’exocet lancé avec succès en 2012 contre le PS, les macronistes restent vigilants face au risque de coalition rose-verte. A Tours, les maires écologistes et certains édiles socialistes se sont récemment réunis. Ils pourraient représenter une menace. L’une des leçons des municipales, c’est la capacité de résistance au niveau local, notamment dans les villes moyennes, des forces politiques traditionnelles PS et LR. Mais ces partis ne parviennent pas pour l’heure à s’appuyer sur leur maillage local pour exister au niveau national et mettre en orbite une personnalité permettant l’incarnation.

… contrairement au RN et à LREM

De ce point de vue, le PS et LR représentent en effet l’envers du macronisme et du lepénisme, les deux formations a priori qualifiées au second tour de la présidentielle, qui sont complètement passées à côté des municipales. Le RN a conquis Perpignan, mais cela cache une forêt de déceptions. Le RN n’a pas explosé son plafond de verre tandis que le macronisme ne s’est pas du tout implanté localement.  Cela rappelle la situation au début de la Ve République avec un De Gaulle qui avait réussi un retour triomphal au niveau national et jouissait d’une capacité d’incarnation extrêmement forte mais un parti gaulliste qui a attendu une dizaine d’années avant de s’implanter localement. Pendant toute la décennie 1960, le « vieux monde » des radicaux et des indépendants, les notables IIIe et Ive République, ont fait de la résistance au niveau local. Les forces nouvelles qu’étaient les gaullistes et les communistes qui ont attendu les années 60-70 pour grignoter des positions locales.

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Mon poème du 15 août

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Pour l’Assomption, Jérôme Leroy a composé un poème. En exclusivité sur Causeur.


 Assomption

Trop de saisons et pas assez de châteaux
Les fillettes masquées crient
de bonheur et de peur
Dans les labyrinthes de Cheverny de Beaugency

Il y a les yeux battus d’une vierge à l’enfant
qui me regarde depuis le XVème siècle
Trop de saisons et pas assez de châteaux

Elle dit
Je ne retiendrai plus très longtemps le bras de mon Fils
Console-toi de rillons et de fillettes de montlouis si tu veux
Vois mes saisons vois mes châteaux
Vois les fillettes nattées comme pour un dimanche dans les labyrinthes verts
Un masque est tombé dans les fleurs
Tu aimais la beauté du monde
Le bleu exténué de la Loire
Le montlouis et les fillettes rieuses
Les actions de Grâce ne suffisent plus
Les saisons manquent autant
que les châteaux désormais
Je m’envole vers mon fils
Je vais voir ce que je peux faire
Pour les saisons les châteaux les fillettes le montlouis cette édition originale des Ziaux de Queneau à la brocante de Blois-les-rillons
Mais arrête un peu de lire ADG derrière ta canne à pêche
Va prier pour moi pour que je remonte vers lui comme une fusée chinoise
Et aide moi à sauver les châteaux les saisons les fillettes

L'Instant fatal, précédé de "Les Ziaux"

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Will Cotton, peintre hyperréaliste


À Bruxelles, la galerie Templon a présenté au début de l’été 2020 une intéressante exposition Will Cotton. L’univers de cet artiste, peuplé de pâtisseries et de femmes-friandises, s’avère troublant à plus d’un titre. Cet événement confirme le fait que l’hyperréalisme a su évoluer depuis le fastidieux photoréalisme de ses débuts.


D’accortes pin-up nues au milieu des macarons, crèmes et autres barbes à papa, tel est le thème récurrent des peintures de Will Cotton. On y caresse d’un même regard jolis nénés et parfaits glaçages. On peut, selon ses préférences, soit se rincer l’œil tout simplement, soit y voir une dénonciation au énième degré de la société de consommation. En réalité, l’ambiance de ces peintures est si sucrée, si feutrée, si drôle, si pop, si aimablement colorée, qu’on ne se sent guère porté aux interprétations militantes. L’œuvre de Will Cotton est un monde où le désir sexuel et l’appétit alimentaire sont comblés avant même de se manifester. Avec lui, l’heure est à l’apaisement et, parfois, presque à l’écœurement.

De l’Hudson river aux petits fours

Le monde artificialisé de Will Cotton est une sorte d’utopie qui actualise les représentations anciennes du jardin d’Éden ou du pays de Cocagne. L’artiste a aussi en tête les univers de taffetas et de jambes en l’air des artistes du xviiie siècle tels que François Boucher ou Honoré Fragonard dont il est évidemment très proche par ses thèmes.

Cependant, l’influence la plus marquante pour lui est curieusement celle des peintres de l’Hudson river school, groupe de paysagistes américains du xixe. Ceci est surprenant, car apparemment il n’y a rien de commun entre ces artistes et Will Cotton. Arrêtons-nous donc un peu sur cette page de l’histoire de l’art peu connue en France. Les artistes concernés sont de véritables explorateurs des grands espaces durant une partie de l’année. De retour dans leur atelier, généralement en hiver, ils composent grâce à leurs croquis et leurs souvenirs des vues évoquant la splendeur de la nature vierge. Influencés par la philosophie du sublime d’Edmund Burke (connu par ailleurs pour ses critiques de la Révolution), ils font du paysage sauvage une sorte de paradis originel, une manifestation du divin. Certains, comme Frederic Edwin Church (1826-1900), organisent des expositions de leurs grandes compositions et produisent un effet presque religieux sur le public. D’autres, comme Thomas Moran (1837-1926), font prendre conscience aux Américains de la beauté inouïe de leur pays, développent le sentiment de la nature parmi leurs compatriotes et contribuent à la création de parcs nationaux, notamment celui de Yellowstone.

Will Cotton aime les paysages de l’Hudson river school avec lesquels il s’est familiarisé durant dans sa jeunesse. Ce premier contact important avec la figuration l’a marqué légitimement, mais ce n’est pas tout. Ces toiles spectaculaires léguées par le xixe ne sont, en effet, pas peintes sur le motif ou dans un esprit naturaliste. Au contraire, elles sont composées le plus souvent en atelier comme des sortes d’affiches de propagande en faveur de la nature. Cieux incroyables, cimes neigeuses, cascades fracassantes, forêts séculaires, troupeaux de cervidés, ours et caribous : il y en a toujours un peu trop dans ces peintures pour qu’elles paraissent vraies. C’est justement cette façon de reconstituer un monde fantasmé qui fascine Will Cotton. Il y voit de véritables utopies imaginées par leurs créateurs. C’est cela qui est décisif pour lui et qu’il a eu envie de transposer au profit de ses thèmes de prédilection.

L’hyperréalisme à maturité

C’est logiquement en atelier et de façon totalement artificielle que Will Cotton crée de toutes pièces son univers. Il y met en place un processus bien structuré pour préparer ses peintures. Ayant pris soin de compléter son talent artistique par une solide formation en pâtisserie, il cuisine des décors géants à base de pain d’épices et de crèmes diverses. C’est là qu’il fait évoluer les nus féminins qui lui servent de modèles.

Sa peinture très réaliste s’inscrit évidemment dans la tradition hyperréaliste. La plupart des figures historiques de ce mouvement naissent cependant dans les années 1930 à 1940 et sont reconnues dans les années 1970. Qualifiées souvent de « photoréalistes », elles produisent des œuvres qui en imposent par leur notation très méticuleuse des détails. Cependant, leur précision quasi cartographique paraît à la longue assez fatigante pour le regard. En réalité, ces artistes apportent beaucoup de minutie au contour des objets, mais appréhendent assez mal ces insaisissables nuances qui font vivre une image et lui confèrent sa vérité. En un mot, ils sont besogneux.

Will Cotton appartient à une période beaucoup plus mûre de l’hyperréalisme. Il fait, en effet, preuve d’un rendu subtil des gradients et variations diverses. Il nous épargne les contours laborieux de ses prédécesseurs et met en place de beaux fondus. Le premier regard n’est pas rebuté par un excès de précisions. On a une impression d’ensemble très épurée, très « clean » qui relève de l’esthétique de la mode ou d’un certain goût pop. En outre, il faut remarquer que l’artiste est soucieux de mettre en place des textures rendant compte de la sensation presque tactile s’attachant aux objets représentés. Les glaçures de ses gâteaux sont alléchantes, les chairs de ses nus sont véridiques, etc.

Will Cotton pratique ainsi un hyperréalisme beaucoup plus convaincant que celui de ses prédécesseurs. C’est d’ailleurs un mouvement général qu’on peut remarquer, par exemple, chez des peintres comme Muntean et Rosenblum ou des sculpteurs tels que Ron Mueck ou John De Andrea. L’hyperréalisme évolue, et c’est tant mieux !

 

Cet été, je chausse des mocassins bateau !


Il y a cinquante ans, les Docksides prenaient le large.


 Nous entrons dans l’ère des interdits. Notre façon de manger, de s’habiller, de lire et de penser est dorénavant surveillée. De fantasques autorités (tirées au sort) ou des instances autoproclamées, sortes de communautés virtuelles qui s’épanouissent dans la rancœur, se sentent investies d’un nouvel ordre moral : le devoir de contrition. Je suis fautif par essence, mal intentionné par destination, je vous prie, par avance, de bien vouloir m’excuser. Cette vieille formule de politesse est censée désamorcer les conflits.

Comités de vigilance

Je dois donc me repentir de mes actes et bien sûr, de mes mauvaises pensées, c’est le message littéral que nous envoient, depuis plusieurs années, tous ces comités de vigilance. Le mal m’habite et je ne le savais même pas. Je suis impardonnable.

Autrefois, l’été, je faisais relâche. Je m’autorisais à décorseter mon comportement, tout en restant dans une décence provinciale, quand ce mot avait encore une signification. Je portais à cette époque-là, des espadrilles basques, des chemises hawaïennes, il m’arrivait même d’enfiler un bermuda, ultime audace, réminiscence d’un passé supposé colonial, atroce démonstration de mon incapacité à comprendre l’autre et sa colère légitime.

Aujourd’hui, je me pose trop de questions. La peur du procès m’oblige à réfléchir, chaque matin, à la manière dont je vais sortir de chez moi. Mes vacances sont devenues un véritable calvaire vestimentaire et culinaire. Ai-je, par exemple, le droit de chausser des mocassins sans offenser la mémoire des Indiens d’Amérique ? Moi, le berrichon-andalou, puis-je, impunément, avaler un falafel sans prendre part à l’imbroglio israélo-palestinien ?

Oser la chaussure de ville sans chaussettes ?

Plus grave, est-il possible dans mon pays de porter un pull sur les épaules, une « petite laine » au coucher du soleil, sans cautionner un candidat de centre-droit couperosé et avouer mon balladurisme latent ? Oser la chaussure de ville sans chaussettes, à même la peau, est-il le signe d’une odieuse réappropriation culturelle de certains rites tribaux ? Lors d’un récent séjour en Bretagne, dans le Finistère nord, j’ai été pris de panique à l’idée d’endosser les crimes commis sur le peuple breton, admirable et souverain. Ma belle-mère venait de m’offrir une marinière tricotée dans des ateliers de la Manche que j’exhibais fièrement sur la plage, sans penser à mal, je vous assure, sans volonté de choquer et encore moins de m’attribuer les souffrances de l’autochtone.

En une décennie, j’ai renoncé à tant de plaisirs d’habillement, les demi-bas couleur rouge cardinal afin de ne pas heurter la foi Vaticane, la cravate en tricot pour éviter la susceptibilité de certains académiciens et glaner quelques voix à la prochaine élection, ou pire, mon abdication (la plus cruelle), je parle ici de l’abandon des double-boucles, ces souliers réservés uniquement aux fans de Philippe Noiret à jour de leurs cotisations. Au début des années 1970, il n’était pas rare de croiser dans la rue, une jeune institutrice en sabot et mini-jupe, une actrice anglaise en short ultra-court et talons hauts, un professeur en costume de velours et lavallière, une star du chobizenesse en déshabillé de soie sauvage ou un ministre d’ouverture en polo crocodile sur la terre battue.

1970, année nautique

En cinquante ans, nous avons perdu cinquante nuances de diversité. Nous sommes contraints de demeurer dans notre zone de vêtements, aussi en panne que l’ascenseur social. Figés dans notre classe, parqués dans notre caste, dans notre couleur et notre soumission. Reverrons-nous, un jour, Dominique Sanda en socquettes et tennis basses, Marthe Keller, princesse de Kurlande en ciré jaune ou Sophia Loren en lunettes extra-large et chemisier moulant, etc… ? En 1970, l’américain Sebago inventait la « chaussure bateau » moderne, souple et élégante.

Les Docksides ont révolutionné la pratique des sports nautiques et popularisé le style « preppy » sur tous les pontons du globe. Les étudiants BCBG et les fils de famille s’en firent des alliées pour la vie. Héritiers de Tabarly, ils n’hésitaient pas à les garder aux pieds jusqu’au début de l’hiver même ceux qui avaient le mal de mer. Ils ne s’en séparaient que par force majeure et avis de tempête, c’est à dire avant de se rendre au rallye de la fausse comtesse du canton et vraie radine sur les petits fours. Je veux cet été faire un vœu, croire en une autre société moins segmentée.

Je fais le rêve impossible que la chaussure bateau dépasse son territoire protégé, celui des calanques et des stations huppées, comme un signe d’apaisement, elle habillerait dès lors, la cité et la campagne, le déclassé et le surclassé. La République y gagnerait en harmonie.

Dis papa, c’était comment l’école avant la théorie du genre?

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Je me souviens de l’école des petites filles et des petits garçons  qui jouaient respectivement à la marelle et au football. Nos progressistes éclairés, Verts en tête, veulent déconstruire ce modèle digne des heures les plus sombres de la tradition.


Parmi les beaux jours de mon enfance, il en est un que ma mémoire aime à souvent exhumer. J’avais neuf ans, c’était la fin de l’année scolaire. La chaleur était terrible ; les jeux de société, avec lesquels nous tuions le temps jusqu’aux vacances, nous ennuyaient. Alors, moi et dix autres élèves, nous avions pris un ballon, quatre sacs et étions allés faire un foot dans la cour. Puis nous avions été rejoints par d’autres camarades ; à la fin, nous étions bien quarante. Débuté au début de l’après-midi, ce match avait duré jusqu’à la fin. Je me rappelle des cris de joie, des coups, de mon épuisement, des hurlements des instituteurs qui voulaient nous faire rentrer, de mon copain Joël dont les genoux râpés disaient l’abnégation. J’y songe ! Parmi les joueurs, il n’y avait aucune fille. Et si ce moment que je chéris tant était en fait scandaleux ?

Les Verts à l’avant-garde

Le 8 juillet, Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, écrivait sur Twitter : « Les cours d’écoles de nos enfants ressemblent à des parkings en bitume, brûlantes en été et trop réservées aux pratiques des garçons ». Depuis son triomphe programmé dans les métropoles gentrifiées aux municipales, ELLV ne se sent plus. Habitué à quémander des places au PS, il ambitionne désormais de diriger la recomposition de la gauche. Cette assurance lui vient de ce qu’il domine le combat culturel. Orpheline du prolétariat, la gauche avait besoin d’un nouvel étendard ; comme l’immigration est trop « clivante », elle s’est rabattue sur l’écologie. Tout le monde veut mieux manger, sauver les tritons et consommer moins de pétrole. Déjà de mon temps, les cours de géographie faisaient la part belle à l’Amoco Cadiz. Aujourd’hui, c’est l’orgie : documentaires, peoples, marches pour le climat, manifestes, reportages, ONG, greenwashing, Greta Thunberg. C’est tout juste si l’on peut encore fumer une clope dans la rue sans se voir reprocher de buter un panda. La jeunesse des métropoles, qui n’a pas trop à s’inquiéter pour son avenir, le vrai, celui des fins de mois, processionne régulièrement sur les boulevards et, hélas, vote aussi. La propagande écologiste, omnipotente, porte les Verts partout en Occident. Sur le modèle des Grünen qui ont avalé le SPD, la social-démocratie se met à la remorque de ces anciens gauchistes ayant troqué la lutte des classes pour celle de la planète, dont ils parlent moins en scientifiques ou poètes qu’en zélateurs de Pachamama.

Adorateurs de la nature, ils la nient quand elle concerne l’homme

Mais l’on ne se refait pas, et l’écologie politique est le faux nez d’un progressisme fanatique. Les Verts sont des immigrationnistes passionnés, des sans-frontiéristes fervents, des pacifistes enflammés, des transhumanistes brûlants. Présents dans tous les cortèges Black lives matter, ils soutiennent également sans réserve la théorie du genre. Sur leurs tables de chevet, à côté de celles de Gro Harlem Bruntland et de Raoni, ils ont des photos de Judith Butler et de Pierre Bergé. Notre époque n’aime rien tant que les paradoxes ; voilà sans doute pourquoi, sur un plan intellectuel, les Verts ont tant de succès. Adorateurs de la nature, ils la nient quand elle concerne l’homme. Pour eux, dans ce cas, tout est « construction culturelle », et la biologie doit se soumettre. La célèbre formule de Simone de Beauvoir selon laquelle on ne naît pas femme mais on le devient figure en incipit de leur bréviaire en papier recyclé. Enragés du mariage gay, ils le sont aussi de la PMA et de la GPA ; comme autrefois les communistes, ils récusent leurs opposants du fait d’une supposée logique de l’histoire. Tous les délires sociétaux leur plaisent ; ils fonctionnent sur le mode de la transgression permanente ; jamais ils ne s’amendent, convaincus qu’ils sont d’être les éclaireurs d’une humanité nouvelle. La nation leur fait horreur ; ils sont « citoyens du monde » ; les malheurs des transsexuels ougandais les révoltent plus que ceux des clochards périgourdins. En fait, ce sont de parfaits libéraux ; ils accompagnent le capitalisme dans sa destruction systématique de toutes les structures traditionnelles. La famille composée d’un père et d’une mère, en ceci qu’elle résiste à l’individualisme, les épouvante. Sociologiquement, ils incarnent jusqu’à l’absurde ces élites hédonistes et gyrovagues qui, selon Christopher Lasch, ont fait sécession du corps social depuis le début des années 1990.

La gauche a toujours été fâchée avec le réel 

Héritiers de 68, ils en ont repris l’agit-prop. Ils pensent en slogans. Non pas qu’ils soient bêtes – c’est le parti qui comptent le plus de diplômés –, mais ils confondent les choses et les mots. Au fond, à leurs yeux, le réel n’existe que dans la mesure où on le nomme. De là vient leur passion des néologismes et du caviardage. Un concept tire toute sa légitimité de sa nomination. Par exemple, affirmer qu’il y a des « violences faites aux femmes » suffit pour en faire un « phénomène de société » et, ainsi, à justifier le soupçon généralisé qui touche aujourd’hui les hommes. En revanche, la violence endémique de la « diversité » envers les « babtous fragiles » s’inscrit dans la catégorie des « incivilités ». La gauche a toujours été fâchée avec le réel. Idéaliste, elle avance à grands coups de symboles et de métaphores. Les Verts perpétuent cette tradition et la poussent à des extrémités loufoques. A peine élu à Lyon, Grégory Doucet a décidé d’« ouvrir le débat » sur l’écriture dite inclusive.

Impérialisme masculin ?

Dans un papier de So Foot, Edith Maruéjouls, « géographe du genre », expliquait dernièrement que le foot phagocytait « 90% des espaces de jeu en élémentaire » alors que les garçons qui y jouent, « c’est au mieux 20% d’une cour ». On apprenait également que, selon un rapport de l’UNICEF, « la cour de récréation illustre la séparation des sexes à l’école (…) par la place qu’occupent les filles et les garçons ». La solution ? « On réorganise l’espace, on déplace si possible les terrains de foot sur le côté pour faire de la place, au centre de la cour, à des espaces de jeu communs, mixtes ». Car pour Edith Maruéjouls, « le plus gros problème » posé par cet impérialisme masculin, « c’est l’absence d’échange » entre les deux sexes. Il est certain que ce terrifiant constat, tous les maires EELV le partagent ; dans les mois à venir, entre deux « Aïd Moubarak », ils vont prendre des mesures en faveur de la réorganisation « non-genrée » des cours d’école. Puis ils « lutteront » pour que les portes des toilettes n’affichent plus de pictogrammes qui excluent les élèves qui, à neuf ans, « interrogent » leur « identité de genre ».

Nous avions conscience d’être différents 

Les filles de mon école n’étaient pas malheureuses. Elles avaient leurs jeux ; les garçons avaient les leurs. Et parfois, outre que nous jouions souvent ensemble, nous nous retrouvions derrière « La Montagne », un gros bloc de béton dédié à l’escalade, afin d’échanger des baisers clandestins. C’était vraiment bien, comme « échange ». Je me souviendrai toute ma vie de Jessica, ses grands yeux bleus, ses cheveux noirs, et des rires de ceux qui nous avaient pris en flag. Nous avions conscience d’être différents. Nous n’attachions pas la même importance aux petits mots qui venaient encourager ou éteindre un amour. Désormais, faudra-t-il passer par un « référent-consentement » avant d’écrire à une fille qui nous plaît ? Quelle sinistre conception des rapports entre les êtres, les sexes, de la vie telle qu’elle est, avec ses ombres et ses épiphanies. Il est vrai que j’ignore ce que Jessica en pense ; si elle lit un jour ce papier, qu’elle m’écrive ; j’ai enfin vu Sarajevo.

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Face à l’islamisme, Kamel Daoud célèbre l’art occidental

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Faut-il encore présenter Kamel Daoud ? Chroniqueur au Point et auteur de Meursault, contre-enquête, il est l’objet d’une fatwa lancée en 2014 par un sinistre barbu. Dans son livre  Le Peintre dévorant la femme, il célèbre l’art occidental et le beau sexe face à la pudibonderie islamiste.


« Qu’est-ce qu’une vieille église pour un touriste moderne ? Une pierre tombée du ciel et sur laquelle il s’adosse pour sourire », fait remarquer Kamel Daoud dans Le Peintre dévorant la femme en allusion aux grappes de touristes arpentant la très faste basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon. En ce début d’août caniculaire, les touristes n’ont pas dérogé à la règle. Venus de toute l’Europe se faire prendre en photo devant l’étincelante église, ils semblaient avoir définitivement apostasié la chrétienté pour embrasser la religion du selfie.

Islamistes vs Picasso

La splendide ville de Lyon abrite aussi un musée des beaux-arts où se niche une Venus tout de bronze d’Aristide Maillol. Deux modestes auréoles en guise de seins, des hanches qui s’affaissent certes, il n’en reste pas moins que devant un tel étalage de chair et l’air faussement naïf de la jeune femme, je me suis demandé quelle aurait été la réaction d’un islamiste. L’Algérien Kamel Daoud s’est déjà emparé du sujet il y a deux ans dans Le Peintre dévorant la femme. En confrontant un djihadiste aux femmes à poil de Picasso, il s’interroge sur le rapport de force entre l’art et les fous d’Allah.

Faut-il encore présenter Kamel Daoud ? Chroniqueur au Point et auteur de Meursault, contre-enquête, il est l’objet d’une fatwa lancée en 2014 par un sinistre barbu dénommé Abdelfattah Hamadache. Au pays où un autre gardien du Coran s’est rendu célèbre pour avoir condamné la consommation des cornets de glaces pour les femmes dans la rue, un barbu armé d’un burin et d’un marteau a défiguré et décharné visage et seins d’une femme de pierre en décembre 2017. La statue fut achevée à Sétif par le dénommé Francis de Saint-Vidal en 1898. Le barbu a mutilé la nudité, la féminité et la perpétuation de la vie. Tel Abdellah, le personnage imaginé par Kamel Daoud, il a signifié aussi une énième déclaration de guerre à l’Occident, cet Occident qui a trahi Dieu en se prenant pour le créateur, cet Occident qui a voulu le dépasser avec ses machines, ses vitrines et ses femmes nues.

« L’Occident est un nu »

Aux yeux de l’illuminé qui prend sa colère pour une guerre sainte, l’étalage de chair nue des toiles de Picasso incarne cette détestable hérésie qui laisse croire que notre corps nous appartient. Selon la loi de Dieu, le corps de l’homme ne lui appartient pas et encore moins s’il s’agit d’une femme. Celui qui osera imiter le geste de la conception divine sera donc maudit. Or, l’Occident peint le nu, « l’Occident est un nu. Abdellah voudra le convertir à la voie juste et à la volonté de son Dieu, le rendre décent […] le missionnaire n’est plus l’Occidental qui veut convertir les barbares, les « autres », mais l’Autre qui débarque chez l’Occidental et veut le convertir au nouveau Dieu colérique. L’Occident n’est plus une expansion mais une rétraction. Il n’est plus ordonnateur mais sommé ». La nudité est un scandale, les femmes qui font bronzer leurs cuisses sur les plages de Nice sont un scandale, l’impertinente assurance des Demoiselles d’Avignon est un scandale, « l’Occident est une femme et il faut voiler cette femme ». Tous au musée!

En 2015, sous nos yeux effondrés, les splendeurs antiques de la cité de Palmyre étaient sciemment réduites en poussière par l’État islamique. « Dans cet élan de purification monstrueuse, l’art est vu comme l’hérésie première, matérielle, la distance exacte de l’égarement par rapport à la voie de Dieu. Pour le croyant inquiet, il est la distraction impardonnable dans cet univers de la soumission stricte. L’art est le murmure du diable, la tentation, la parade à peine dissimulée de la licence sexuelle. Car l’art mène à l’érotisme, au sexe, à l’impureté, au mélange nocturne, à la multiplication contraire de l’unicité », énonce brillamment Kamel Daoud.

Gardien de la mémoire

Comme il nous le rappelle, danses, musiques, peintures, arabesques ou autres ondulations restent un luxe que d’obscurs purificateurs rêvent d’éteindre à jamais. Comme il nous le rappelle, le musée n’est pas qu’un divertissement pour des gens souhaitant se cultiver mais un gardien de la mémoire des hommes. L’art est « la déclamation de l’intime, une exposition dit-on à juste titre. Quand cette intimité est refusée, tout l’art est déclassé vers le vice ou la solitude. Les artistes fuient, se déguisent, sont tués ou s’exilent. Ils deviennent expression de la liberté refusée ». Lisez vite Le Peintre dévorant la femme et surtout, profitez des expositions estivales et allez remplir les musées! L’idée qu’un allumé pourrait brûler une toile de Picasso en se filmant en direct sur Facebook n’est malheureusement pas totalement farfelue.

Kamel Daoud, Le peintre dévorant la femme, Babel

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Israël et la France: des relations tumultueuses (2/2)

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israel macron netanyahou
Cérémonie du Vel d'hiv, 2017, Paris. Auteurs : Erez Lichtfeld/SIPA. Numéro de reportage : 00815222_000060

Israël et la France ont constitué un véritable couple au vrai sens du terme, avec ses dérives et ses turbulences. Ils sont passés par toutes les phases : le flirt, l’idylle, l’amour fou, la passion, la querelle, la haine, l’indifférence, la séparation, la réconciliation et le divorce. L’histoire de ce couple a progressivement pris l’allure d’un véritable thriller. Voici la seconde partie de cette longue histoire.


Retrouver la première partie de cet article ici.

Le déclenchement des Intifada provoqua une rapide dégradation des relations franco-israéliennes. Les attaques contre les infrastructures terroristes palestiniennes, lancées en mars 2002 par Israël, furent qualifiées de «disproportionnées». Le Quai d’Orsay avait soutenu Arafat, totalement isolé, en refusant de le juger responsable du terrorisme et des violences palestiniennes. Par ailleurs, Jacques Chirac était devenu le grand ami de l’Irak tandis que dans le même temps, Israël accusait Paris de partialité.

Chirac accueille Sharon

La politique proche-orientale française se révéla contre-productive car elle avait empêché Paris de jouer le rôle de médiateur. C’est pourquoi à partir de l’été 2002, les Français œuvrèrent à l’amélioration des relations bilatérales franco-israéliennes à travers la coopération culturelle, scientifique et commerciale tout en conservant la même position partiale. La mort de Yasser Arafat, le 11 novembre 2004, avait facilité la visite officielle d’Ariel Sharon à Paris en juillet 2005 et le retrait de Gaza en août 2005. Jacques Chirac exprima alors sa volonté de donner un nouvel élan aux relations franco-israéliennes en réservant un accueil royal à Ariel Sharon, dont il salua le courage et la détermination dans le plan de désengagement de Gaza, tandis que ce dernier remerciait le Président français pour «sa lutte très ferme contre l’antisémitisme».

Mais les tensions avec la France ne disparurent jamais. Malgré ses efforts pour se présenter comme un acteur neutre, et son insistance à garantir le droit d’Israël à se défendre, la France avait formulé de sévères critiques contre l’offensive israélienne contre le Hezbollah, jugée disproportionnée. Elle a cependant réussi à maintenir le dialogue avec Israël et à jouer un rôle de médiation entre Israël et le Liban.

Sarkozy dans la continuité

Nicolas Sarkozy ne voulait pas s’opposer aux Américains mais plutôt conserver des relations privilégiées avec le monde arabe. Il croyait avoir trouvé une voie médiane en réclamant un statut d’observateur privilégié pour la Palestine. Le vote positif de la France à l’Unesco fut  une manière de faire un geste vis-à-vis des Palestiniens mais elle s’était abstenue au Conseil de Sécurité quand il a fallu voter l’admission de la Palestine en tant qu’État à part entière.

Nicolas Sarkozy n’avait pas changé d’un iota la politique de la France vis-à-vis d’Israël. Le Quai d’Orsay guida la politique internationale avec une vision gaulliste, exprimée par l’idée de grandeur de la France. L’élection de Nicolas Sarkozy avait suscité l’espoir que les relations bilatérales avec la France s’améliorent mais les divergences profondes s’étaient maintenues. Les amitiés avec les pays arabes se développèrent et furent marquées par la participation active de la France en Syrie au détriment de celles avec Israël. Mais conscient de sa partialité, Sarkozy prit la décision symbolique d’inviter, à Paris en mars 2008, le président israélien Shimon Peres, grand ami de la France, et de choisir Israël comme invité d’honneur du Salon du livre à la même époque.

Mais il existait d’importants sujets de discorde politique entre la France sous Sarkozy et le gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou. Les divergences d’opinions concernaient notamment les constructions dans les colonies israéliennes, la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens en tant qu’État juif et la démilitarisation d’un futur État palestinien. Sarkozy avait été jusqu’à conseiller à Netanyahou, lors de sa visite à Paris en juin 2009, de se «débarrasser» de son ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman pour le remplacer par Tsipi Livni.

Hollande ami d’Israël

Au début de son mandat en mai 2012, François Hollande avait défendu corps et âme Israël en adoptant les thèses sur le nucléaire iranien et sur la colonisation, comme s’il voulait surpasser les États-Unis. Du 17 au 19 novembre 2013, il fit sa première visite d’État en Israël en allant très loin dans son soutien à Israël : «Je suis votre ami et je le resterai toujours». Ce fut d’ailleurs un échange de bonnes paroles. Déjà en tant que secrétaire du parti, il s’était montré favorable à Israël car il estimait la sécurité d’Israël comme prioritaire. De son côté Netanyahou, qui avait pris soin de dérouler le tapis rouge à son invité, avait déclaré qu’il voyait «la France comme un véritable ami. Le sionisme a été influencé par les valeurs de la Révolution française». Hollande n’a pas été gêné de soutenir un Premier ministre de droite.

Cette visite illustra la similarité des points de vue des deux pays sur la question iranienne. A la tribune de la Knesset, il avait été très modéré, se contentant de demander des gestes sur la colonisation, sans mentionner leur caractère illégal. Mais pour faire bonne mesure, face à Mahmoud Abbas à Ramallah il avait exigé «l’arrêt total et définitif de la colonisation pour parvenir à un accord de paix. La France a toujours été opposée à la colonisation. Toute extension ne peut que nuire au processus de paix».

Le problème iranien avait rapproché la France et Israël. A l’instar de Netanyahou, François Hollande avait rappelé que «la prolifération nucléaire en Iran tout particulièrement était un danger, une menace sur Israël, la région et le monde entier. La France maintiendra ses exigences ainsi que les sanctions tant qu’elle n’aurait pas la certitude que l’Iran a renoncé à l’arme nucléaire». Si Hollande avait favorisé les pays arabes qui achetaient français, il n’avait jamais accepté qu’on limite ses relations avec l’État hébreu. Il avait été à l’origine du rajeunissement des  diplomates du Quai d’Orsay, profitant ainsi d’y introduire quelques uns favorables à Israël.

Il n’avait jamais ménagé ses critiques contre les Palestiniens et avait exprimé la «solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza» tout en appelant Israéliens et Palestiniens «à la retenue». Le Président avait invoqué «le droit d’Israël à se défendre contre les roquettes tirées par le Hamas» et condamné «fermement au nom de la France les agressions contre l’État hébreu».

Mais François Hollande restait ferme sur ses convictions. En votant le 29 novembre 2012, pour l’admission de la Palestine à l’ONU en tant qu’État observateur non-membre, il confirmait une certaine continuité dans la politique de la France puisque l’idée d’une Palestine État observateur non-membre avait été formulée pour la première fois par Nicolas Sarkozy.  Cependant sur les relations israélo-palestiniennes, François Hollande avait confirmé devant la Knesset la position traditionnelle de la France : «La position de la France est connue : c’est un règlement négocié pour que les États d’Israël et de Palestine, ayant tous deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité».

Cependant, l’adoption de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies contre les constructions dans les colonies avait été considérée par les Israéliens comme un coup de poignard dans le dos d’Israël.  Le positionnement de la France à l’Unesco concernant les décisions «Palestine occupée» du conseil exécutif de l’UNESCO avait déjà éclairé les Israéliens sur le parti-pris diplomatique de la France. Quant à la tenue de la conférence de Paris pour la paix, le 15 janvier 2017, elle avait créé un malaise en Israël.

Tensions sous Macron

Les relations entre Emmanuel Macron et Benyamin Netanyahou étaient parties sur de mauvaises bases. En effet, lors de son voyage en Israël en septembre 2015 en tant que ministre de l’économie, Macron n’avait rencontré que son homologue, Arie Dehry. L’ambassadeur français de l’époque, Patrick Maisonnave, avait fait une demande officielle auprès des services du premier ministre pour une entrevue avec son ministre, dans le cadre d’une visite protocolaire. Mais le conseiller français de Netanyahou pour les affaires françaises, avait fortement déconseillé cette rencontre qui pouvait causer du tort à ses soutiens de droite Nicolas Sarkozy et François Fillon.

Bien sûr, nul ne savait que Macron allait être candidat à la présidentielle. Mais Macron avait été invité en tant que ministre du président socialiste François Hollande et à ce titre, il méritait certains égards. Déçu mais pugnace, il avait donc misé sur la coopération scientifique et universitaire entre la France et Israël, pays de la start-up, où les synergies entre éducation, recherche, industrie et innovation sont particulièrement actives et fructueuses. Mais pour des raisons non expliquées, la crise avec Israël s’était poursuivie en 2018 après l’annulation du voyage officiel de Macron prévu au printemps puis reporté sine die. L’annulation de la visite du président était intervenue après que le Premier ministre Édouard Philippe a annulé sa propre visite en Israël, en invoquant des questions de politique intérieure.

En fait, des questions purement politiques avaient conduit à cette décision. De source israélienne, on avait prétendu que le Premier ministre français avait décidé de ne pas venir en Israël «en raison des manifestations meurtrières à la frontière de Gaza et de la façon dont le voyage pourrait être perçu par le public français». Dans la foulée, le président Reuven Rivlin avait également annulé son voyage en France. Seul, pour tenter de réunir les liens coupés, Benyamin Netanyahou s’était rendu à Paris en juin. Depuis les votes négatifs à l’Unesco et après le vote de la France en faveur de la résolution condamnant la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, les relations entre Israël et la France sont devenues –c’est un euphémisme– très froides.

Pourtant, les faits étaient têtus. La France avait seule décidé de se distinguer du monde occidental, et de l’Europe en particulier, en mêlant sa voix à des pays qui ne sont pas réputés pour être de véritables démocraties. Bien sûr, elle dispose de sa propre politique internationale, mais en prenant une position négative sans jamais s’abstenir, elle a perdu son rôle d’arbitre et Israël l’a accusée de s’être rangée du côté de ses ennemis irréductibles.

Froid diplomatique

Le Conseil de sécurité a dû prendre position sur des résolutions qui abordaient sous des angles différents, le conflit entre Israël et la Palestine. Mais les textes étaient partiaux car ils rejetaient toujours la responsabilité sur Israël en l’absence de toute référence au «groupe terroriste Hamas».  Le Conseil de sécurité de l’ONU avait même rejeté un projet de résolution américain rendant responsable le Hamas palestinien des violences dans la bande de Gaza. Les États-Unis ont été les seuls à voter pour leur texte. Onze pays se sont abstenus tandis que la France a voté contre. Le projet américain contenait des injonctions dirigées vers «les organisations terroristes telles que le Hamas» et proposait au Conseil de condamner les tirs de roquettes aveugles, effectués par des milices palestiniennes basées à Gaza en direction de villages israéliens.

La France n’avait pas voté le projet et par la voix de son représentant François Delattre, avait fait observer que la responsabilité du Conseil de sécurité est de répondre à la crise de Gaza dans sa globalité, «ce qui n’est pas fait dans ce texte» et avait déploré ce «lourd silence du Conseil qui est de plus en plus assourdissant. Un silence qui n’est ni acceptable, ni compréhensible. Si ce Conseil abdique aujourd’hui ses responsabilités, qui donc les assumera?»

Mais la position de la France avait entraîné une réaction forte de l’ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis (2009 à 2013) Michael Oren, qui dans un tweet s’en était pris à Paris : «Louange aux États-Unis pour avoir mis leur veto à la résolution du Conseil de sécurité sur Gaza qui ne mentionne pas le Hamas et a condamné Tsahal pour avoir défendu Israël. Honte à la France de l’avoir soutenue. Le gouvernement français ne peut pas dire que c’est contre l’antisémitisme et voter pour cette résolution antisémite». Sortant de sa réserve, l’ambassadrice Hélène le Gal a eu une réaction immédiate peu diplomatique : «Honte à vous M. Oren d’avoir insulté la France à la veille de la visite de votre Premier ministre à Paris. Vous n’avez pas lu la résolution. Ce n’était pas parfait mais elle condamnait toute la violence contre Israël. La France soutient résolument la sécurité d’Israël». Il ne lui appartenait pas de réagir ainsi alors qu’en tant qu’ambassadrice, elle était chargée d’arrondir les angles plutôt de mettre de l’huile sur le feu.

D’ailleurs, le très prudent Yigal Palmor, directeur de la communication à l’Agence juive et ancien porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, est sorti de sa réserve : «Cependant, Madame l’ambassadeur, et avec tout mon respect sincère, comment se fait-il que la France n’ait pas voté comme le Royaume-Uni, la Hollande, la Pologne et l’Éthiopie mais plutôt avec le Koweït, la Russie, la Chine, la Bolivie ? Vous savez que nous attendons plus de la France». Dans cette atmosphère tendue, toutes les visites officielles ont été suspendues.

 

La journée d’une antiraciste

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antiracisme black lives matter

Depuis le meurtre de George Floyd par un policier américain à Minneapolis, Caroline en est convaincue : la France est un pays raciste. Voici le récit de sa journée.


Pour se rendre au rassemblement place de la République, Caroline monte dans le métro. 17 blancs pour 4 noirs dans sa rame, preuve de plus du racisme systémique (son nouveau mot préféré) à l’entrée des rames de métro. Elle envisage d’aller s’excuser pour la colonisation, mais elle ne veut pas perdre sa place assise. À la place, elle lance Instagram et aperçoit le commentaire d’un internaute qui critique le mouvement Black Lives Matter. « Ah donc black lives don’t matter ? » répond-elle courageusement avant de bloquer le fasciste. Comment peut-il y avoir tant de gens en désaccord avec elle, tant de gens contre la justice sociale et l’égalité raciale ?

Un virus incurable : le racisme

En sortant du métro, Caroline est abordée par une femme noire qui lui demande l’heure. Choisissant ses mots avec soin (certains termes relèvent de l’appropriation culturelle), dans un timbre de voix aigu (parler d’une voix grave, réflexe inconscient d’oppresseur), elle répond qu’elle ne connait pas l’heure (sa montre indique 11h23 mais elle refuse de whitesplainer). Elle est fière, elle a réussi à éliminer ses biais inconscients.

Arrivée place de La République, Caroline retrouve ses frères/soeurs/non-binaires de lutte. Il y a un mois, elle exhortait le gouvernement à prolonger le confinement ; aujourd’hui, elle manifeste contre le seul virus dont notre pays est malade : le racisme. Caroline passe par un premier stand : un homme crie des noms de personnalités et elle doit hurler « raciste ! ». Le sens du devoir accompli (il ne suffit pas de ne pas être raciste, il faut être activement anti-raciste), elle passe au stand suivant : il s’agit de vandaliser une statue (une statue raciste). L’activité d’après est encore plus amusante : elle se jette par terre pour mimer une arrestation violente. Elle se fait mal et personne ne filme : déception, elle espérait buzzer sur Twitter. Pour finir, elle passe devant les caméras télé pour scander ses revendications : « Justice sociale, égalité raciale, bonheur pour tous, paix sur Terre ! » Et elle ajoute (en anglais au cas où CNN voudrait récupérer les images) : « White people are fucking racist ! ». Caroline a beaucoup progressé en anglais grâce au mouvement BLM.

Rééducation sur Instagram

Un peu plus tard, Caroline constate, scandalisée, que certains de ses abonnés Instagram n’ont pas publié de carré noir. S’ils ne militent pas, c’est qu’ils n’ont pas été assez éduqués. Pour les aider, elle partage donc en story des « ressources à l’attention des personnes blanches », qui permettent de « s’éduquer sur le racisme ». Au programme, Rokahya Diallo, Frantz Fanon, Angela Davis et notamment des oeuvres telles que (vraie liste) : « Pour détruire le racisme il faut renverser le capitalisme », « La prison est-elle obsolète ? », « Un féminisme décolonial », « La gynécologie est une discipline mise au monde par des pères racistes », bref une liste de lecture variée puisqu’elle contient non seulement des textes d’activistes identitaires d’extrême gauche, mais aussi des textes d’activistes identitaires communistes. Hier, Caroline a appris que Staline envoyait ses opposants dans des camps de rééducation où ils devaient étudier les textes communistes. Bon, Staline était un peu méchant, se dit elle intelligemment, mais si la cause est noble – et ici elle l’est – l’idée a quelque chose de bon.

En fin d’après-midi, Caroline rend visite à sa grand mère (son grand père est mort du Covid, bon débarras, c’était un mâle blanc de plus de 50 ans). Sur le chemin du retour, elle aperçoit un homme noir, cigarette à la bouche, l’air un peu opprimé. Elle s’approche.
– Monsieur, je m’excuse pour mon privilège. Sachez que je suis votre alliée : je peux vous compenser financièrement pour la colonisation ou vous aider à trouver un emploi.
– Merci mais ça ira, je suis neuro-chirurgien.
Bonne idée ces quotas pour les noirs en Fac de médecine, pense Caroline.

… et Twitter

De retour chez elle, Caroline répond à quelques tweets (« tais-toi, mâle blanc cisgenre privilégié », « ha ha fragilité blanche », « @Amazon vous n’avez que 9% d’employés noirs alors que 13% des américains sont noirs, vous êtes des suprémacistes blancs »), signe plusieurs pétitions pour interdire des trucs (important pour « faire évoluer les mentalités ») et partage un article d’Omar Sy, personnalité préférée des français, qui explique que les français sont racistes. Caroline s’endort heureuse ; il lui reste tant de combats à mener.

Pour un débat démocratique sur l’immigration

observatoire immigration demographie
Auteurs : ALLILI MOURAD/SIPA. Numéro de reportage : 00894685_000001

 


Afin de favoriser l’émergence d’un débat construit et dépassionné sur l’immigration, un groupe de jeunes citoyens (hauts fonctionnaires, entrepreneurs, personnes issues de la société civile) a décidé de lancer un Observatoire de l’immigration et de la démographie. Ils reviennent sur les raisons qui ont conduit à la mise en place de l’Observatoire ainsi que sur les contenus que celui-ci proposera.


Dans le cadre d’une étude intitulée L’évolution de la ségrégation résidentielle en France de 1968 à 2015 publiée au mois de juillet 2020, France Stratégie – institution rattachée au Premier ministre – a mis en place un site internet rassemblant des données et cartes permettant de comparer l’évolution de la population immigrée ou d’origine immigrée extra-européenne chez les moins de 18 ans, ville par ville, depuis la fin des années soixante.

Contre la dénégation

Les constats qui en découlent sont proprement saisissants. Ils mettent à bas une certaine rhétorique de la dénégation, qui se limite trop souvent à condamner en bloc « des fantasmes sans fondement ». A Dijon par exemple, la part des mineurs immigrés ou enfants d’immigrés d’origine extra-européenne variait de 0 à 8% dans les différents quartiers de l’agglomération en 1975 ; quatre décennies plus tard (en 2015), elle atteignait désormais 48% dans certaines zones.

Cette transformation fondamentale de la démographie française due à l’immigration emporte un grand nombre d’implications, qui concernent non seulement les finances publiques et l’économie, mais plus généralement notre société dans tous les aspects de son existence : mutations culturelles, délinquance, remise en cause de certains principes et valeurs tels que la laïcité (un projet de loi de lutte contre les « séparatismes » est actuellement en préparation), développement de l’islamisme… La France apparaît aujourd’hui profondément fragmentée, conduisant le ministre de l’Intérieur sortant Gérard Collomb à prononcer le 3 octobre dernier devant le chef du gouvernement ces phrases marquantes qui sonnaient comme un avertissement : « Aujourd’hui, on vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face ».

Six français sur dix concernés

Les conséquences immédiates et de long terme associées à l’immigration en font un thème de préoccupation aiguë pour nos compatriotes. Selon un sondage ELABE, Les Français et les mesures sur l’immigration, réalisé pour BFM TV et paru le 6 novembre 2019, près de six français sur dix considèrent que « l’immigration et l’asile sont des sujets majeurs ».

Pourtant, le débat démocratique en la matière demeure aujourd’hui quasi-inexistant. Est-ce parce que « l’immigration est présentée par les élites comme devant échapper à l’emprise du politique et des Etats, au nom d’un principe non dit mais très puissant : celui de l’universalisme radical », comme l’écrit le philosophe Marcel Gauchet ? Lequel poursuit : « En vertu de ce principe, il n’y a que des individus à la surface de la planète, qui doivent pouvoir s’installer où ils veulent en fonction de leurs intérêts. Ce qui implique qu’il n’existe plus de communauté politique capable de définir ses rapports avec l’extérieur. »

Les vingt-huit lois votées en matière d’immigration ces quarante dernières années (entre 1980 et 2018) ne sauraient tromper les citoyens en leur faisant croire qu’une réflexion d’ensemble sur la question aurait eu lieu. Comme le notait Xavier Vandendriescche, spécialiste du droit des étrangers, dans un article de l’Actualité juridique du droit administratif (AJDA) de 2018, le législateur français se borne la plupart du temps à tirer les conséquences – voire à transposer – des règles issues d’autres autorités (droit de l’UE, décisions juridictionnelles antérieures). Et lorsqu’ils décident d’agir, le gouvernement et le Parlement se trouvent parfois contraints par le juge, tantôt administratif tantôt constitutionnel, qui n’hésite pas à user d’un pouvoir d’interprétation pour le moins excessif.

Pour un diagnostic partagé

Aussi fondamental que soit ce sujet, une condition préalable est requise pour qu’un débat serein et dépassionné soit envisageable : il faut un diagnostic partagé de la situation, étayé et documenté. Or les enquêtes d’opinion – en particulier Le Baromètre de la confiance politique (Vague 10) réalisé chaque année par le CEVIPOF et OpinionWay – ont montré que les Français n’accordent qu’un très faible crédit aux statistiques publiques : moins de la moitié d’entre eux font confiance aux données fournies par l’administration, et leur confiance diminue encore plus lorsque celles-ci concernent l’immigration (seulement 33% de confiance). Nos compatriotes considèrent par ailleurs qu’il est très difficile de débattre posément de l’immigration : une enquête de l’IFOP de 2018 intitulée Le regard des Français sur l’immigration montrait notamment que pour 84% des Français, « l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement ». 

L’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie (OID) que nous lançons aujourd’hui aspire à combler ce manque. Il se veut un projet éminemment civique, à double titre : parce qu’il poursuit l’objectif d’éclairer le débat public au service du bien commun ; parce qu’il est animé par des citoyens indépendants, qu’ils soient hauts fonctionnaires, entrepreneurs ou simplement issus de la société civile. L’OID ambitionne de nourrir les discussions et d’informer les citoyens sur l’immigration par des analyses solidement ancrées. Il proposera dès les prochaines semaines des dossiers de fond, des entretiens réalisés avec des spécialistes de diverses disciplines ainsi que des analyses d’actualité.

Trois publications sont d’ores et déjà disponibles à la lecture : un dossier de synthèse sur les flux migratoires (rassemblant « tout ce qu’il faut absolument savoir »), un premier article sur l’histoire de l’immigration ainsi qu’un autre sur le droit d’asile.  D’autres éléments seront publiés chaque semaine sur un ensemble de thématiques cruciales : les actuelles règles juridiques en vigueur autour de l’immigration, les conséquences de celle-ci pour les finances publiques, les enjeux de la natalité française, l’immigration clandestine et sa gestion administrative, les mineurs non accompagnés, l’émigration, etc. Ces productions – que nous veillerons à rendre compréhensibles par le plus grand nombre – seront accompagnées de comparaisons internationales et de pistes concrètes de réforme.

Vous pouvez retrouver l’Observatoire dès à présent à l’adresse observatoire-immigration.fr ainsi que sur Twitter et Facebook. Lisez ses premières analyses, partagez-les et parlez-en autour de vous.

Sur un sujet aussi essentiel pour l’avenir de la France, l’information est un devoir ; elle est aussi le préalable nécessaire à toute action éclairée. L’OID vous donnera les moyens de la réflexion et de la décision.

La France au miroir de l'immigration

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Mauvaises nouvelles de la France

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xavier eman fin monde
Cyril Hanouna et Enrico Macias. Auteurs : Henri Collot/SIPA. Numéro de reportage : 00932613_000025

 


Dans Une fin du monde sans importance, le chroniqueur du magazine Eléments Xavier Eman tire à boulets rouges sur le progressisme ambiant. 


Avec son troisième livre Une fin du monde sans importance, Xavier Eman signe une satire mordante contre l’idéologie progressiste qui n’est pas sans rappeler Philippe Muray. Comme son père spirituel, il s’inspire des aberrations engendrées par l’époque actuelle pour tourner en dérision, avec une causticité redoutable, les dérives et les contradictions des dogmes contemporains : de l’écologisme punitif à l’ostracisme pratiqué par les minorités sexuelles en passant par le matriarcat.

Tel La Bruyère avec ses Caractères, Xavier Eman, met en scène une série de personnages, victimes et bourreaux, qui lui servent d’archétypes pour railler notre époque et déboulonner ses veaux d’or. Si certains portraits sont volontairement outranciers, c’est dans l’unique but de rendre visible un réel que beaucoup planquent sous le tapis pour mieux goûter au confort du conformisme.

Société écervelée

C’est le cas du portrait intitulé « Crottin de Chavignol, crime contre l’humanité ». Le titre plante à lui tout seul le décor. On y découvre un jeune militant écolo qui fait l’affront d’être flexitarien et qui se retrouve embrigadé dans une opération commando menée par un groupuscule de végans antispécistes. Pour dénoncer les souffrances animales, ces derniers préfèrent saccager une fromagerie familiale plutôt que de s’attaquer au McDo du coin.

Un clochard qui a le malheur de se sustenter d’un sandwich au saucisson à leur passage, subit la violence sanguinaire de ces épurateurs en herbe. En quelques formules bien ciselées, Eman nous projette dans une scène digne d’Orange mécanique revisitée à l’aune du fanatisme vert.

Par touches successives, Xavier Eman dévoile ainsi le portrait d’une société écervelée, à la dérive, rendue étrangère à elle-même. Ainsi, on découvre l’emprise de la réalité virtuelle sous les traits d’un père de famille qui tue son fils en arrêtant sa voiture d’un coup sec pour aller attraper un Pikachu. La débâcle du couple est dépeinte à travers les diktats de femmes vénales et castratrices. Les tartufferies des bien-pensants du gauchisme, sont dénoncées à travers la réaction d’un « petit blanc bourgeois cisgenre » qui passe son temps à vanter les bienfaits de l’immigration jusqu’au jour où des migrants sans papiers débarquent dans son cossu appartement avenue de Breteuil. La droite aussi en prend pour son grade. Ici, on assiste au retournement de veste d’un militant de l’Action française qui vire macroniste voyant dans Jupiter, le retour du régalien. Là ce sont les tiraillements intérieurs du bourgeois des beaux quartiers, électeur LR, qui devant les manifestations des Gilets Jaunes, est pris entre « sympathie » pour cette « France d’avant » qui « sent bon le terroir »  et « agacement » devant les émeutiers, « ces gens bruyants et vindicatifs » qui ont entrainé une chute de la croissance et la suspension de son confort bourgeois.

Le bazooka de la critique sociale

Mais c’est sur le système médiatique et la médiocrité avilissante des talk shows que Xavier Eman tire à boulets rouges. On peut voir là une manière pour le chroniqueur du magazine  d’Alain de Benoist, Eléments, de prendre sa revanche contre un système qui ostracise facilement des débats publics tout intellectuel suspect de complaisance néo-fasciste. En tout cas, sa critique s’attaque à la formidable propagande destinée à retourner les restes de cerveau disponible des gens et à les convaincre que la « normalité » est de revendiquer son identité LGBTQIAP ou encore, accepter que seule l’écriture inclusive peut sauver la langue de Molière trop sexiste pour libérer les femmes.

L’auteur s’en donne à cœur joie et tire au bazooka sur les saltimbanques du petit écran à l’égocentrisme gonflés au mépris. A peine voilés par des noms d’emprunt, on reconnaît sans peine les indétrônables stars de la télé-poubelle. L’auteur taille d’ailleurs un costard sur mesure à un double de Hanouna dans la nouvelle qui clôt le livre en le décrivant comme  « le grand lobotimisateur en chef ». Ce sont eux les chiens de garde enragés, aux rires de hyènes en chaleur, qui font défiler à longueur de plateaux « les drag-queens merveilleusement épanouies, les freaks acéphales de la télé réalité (…) tout ce petit monde qui vante la nécessaire libération des infâmes carcans et de toutes les règles à commencer par celle fascisante de la nature » On pourrait rajouter : une nature forcément fascisante quand il s’agit de l’Homme mais bienveillante quand il s’agit de sauver les escargots !

Xavier Eman montre comment derrière cette entreprise d’abrutissement généralisé, la révolution du progressisme est une opération de délégitimation de l’ancien monde. Il faut purger toutes ces scories qui subsistent afin de faire advenir un nouveau monde où, comme le raconte l’auteur, on débaptise un lycée de banlieue portant le nom d’un héros de la Grande Guerre pour choisir le nom de scène d’un rappeur, natif du lieu, intronisé lors de ces talk- shows comme le nouveau Molière d’un franglais inclusif et non-genré.

Dernières poches de résistance

Pourtant, tout n’est pas irrémédiablement perdu. Parmi cette galerie d’individus pétochards, malléables comme de la glaise, quelques uns font de la résistance. Il y a cet ancien militaire à la retraite et son épouse qui envoient paître leur descendance, complètement endoctrinée par l’hygiénisme gouvernemental, et qui font un pied de nez au précautionnisme liberticide en se soûlant au porto en pleine canicule.

Autre cas de résistance, plus radicale cette fois, une caissière, archétype de cette France d’en bas, périphérique, qui roule en diesel, qui fume des clopes comme dirait l’autre, qui se lève tôt et part bosser pour des clopinettes et qui se tape des briefings matinaux de marketing opérationnel vantant « la flexibilité » et « l’esprit corporate », tout ce baratin pour cliquer sur les codes barres des produits ! Ça finira mal.

Dans la dernière nouvelle, l’anti-héros, un prof désabusé par ce renversement des valeurs, se sacrifie sur l’autel de la bêtise festive et criarde. On pense, bien entendu, à la figure christique. Seulement l’auteur, emporté par son pessimisme à la Houellebecq, ne sauve pas son personnage dont le geste fatal et désespéré ne provoque aucune révélation salvatrice. Une fin du monde sans importance donne à l’avenir les couleurs du pessimisme.

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« Le macronisme est un orléanisme 2.0 »

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jerome fourquet verts ps macron
Jérôme Fourquet. Photo : Hannah Assouline.

On ne présente plus Jérôme Fourquet de l’Ifop, auteur de L’Archipel français. Dans sa dernière enquête d’opinion, le sondeur et politologue analyse notamment les fractures de la société française et la montée de l’écologie politique. Entretien (2/2).


Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

Daoud Boughezala. Dans votre découpage de la France en catégories de droite et de gauche, où trouve-t-on la France écolo et la France des gilets jaunes ?

Jérôme Fourquet. Mon constat de base est l’archipellisation de la société française. Cet archipel est parcouru de plusieurs lignes de faille (somewhere vs anywhere, gauche-droite) dont un clivage autour de l’écologie. Le conflit s’engage assez brutalement sur la répartition des efforts à fournir pour lutter contre le réchauffement climatique, les moyens à y consacrer et le rythme nécessaire pour atteindre cet objectif. L’annonce de la taxe carbone, déclencheur du mouvement des gilets jaunes, en a marqué les prémices avec une partie de la France qui s’est mobilisée contre une autre qui voulait encourager et accélérer cette initiative. Dans le sillage de la crise du Covid, cette ligne de front sera réactivée. Car beaucoup de Français ont interprété l’épidémie comme une maladie aux profondes racines écologiques (« on a déstabilisé les écosystèmes », « on a martyrisé ces pauvres pangolins »…). Une partie de la population estime que Dame nature s’est vengée et a pris la crise sanitaire comme une répétition générale de l’effondrement de notre société jugé inéluctable si on ne prend pas des décisions écologiques très sévères. Forte de ce constat, une certaine France plutôt éduquée et influente socialement fait entendre sa voix. Elle était déjà engagée dans un changement individuel des modes de vie mais agit désormais collectivement, comme l’a montré la victoire de listes écologiques aux municipales dans toute une série de métropoles françaises. Il faudra scruter les premières mesures qui seront prises dans ces grandes métropoles écolos, notamment sur un sujet très crispant, lié à la crise des gilets jaunes : le rapport à la voiture.

A quelles mesures clivantes pensez-vous ?

La vignette Crit’air a par exemple été imposée avec zèle en pleine canicule. Quelques jours avant le déconfinement, Anne Hidalgo déclarait en une du Parisien que Paris ne sera plus jamais envahie par la voiture, qu’elle irait encore plus loin et plus vite en matière de piétonnisation, véloïsation. A quelques jours du second tour, la maire de Paris a annoncé la couleur en plaçant très haut la barre en matière de transition écologique : végétalisation de la ville, ralentissement de la vitesse autorisée sur le périphérique… Paris, Lyon et d’autres villes s’engagent aussi à interdire le diesel sur leur territoire dans les prochaines années. Caricaturalement, se dessine une opposition entre deux France : une France écolo essentiellement dans les grands centres urbains d’un côté, France périphérique qui par culture, mode de vie et nécessité n’est pas du tout mûre pour abandonner la voiture. Ce clivage sera très puissant.

Au point de structurer la vie politique de demain ?

Partiellement. Pour prendre un parallèle instructif, cela fait trente ans que le clivage ouvert vs fermé divise la France de manière souterraine. Il ne s’est exprimé avec force que lors de crises ou de moments très particuliers (Maastricht, TCE de 2005…). Mais la plupart du temps, il était souvent recouvert par le clivage gauche-droite même si on le sentait affleurer. Le même scénario peut se reproduire avec le clivage France écolo vs France périphérique : en fonction des moments et des sujets, il peut polariser la société française comme lors de la crise des gilets jaunes, puis redevenir souterrain sans pour autant disparaître. Attendons de voir comment la feuille de route de la Convention climat sera progressivement appliquée par le gouvernement. Dans les années qui viennent, les grandes villes sous direction écologiste feront aussi des annonces susceptibles de réactiver cette ligne de clivage.

Autrement dit, Emmanuel Macron joue sur tous les tableaux. Tout en déplaçant son centre de gravité à droite, la majorité semble s’adresser à l’électorat écologiste. L’écologisme traverse-t-il donc toute la société française, par-delà droite et gauche ?

Exactement. C’est une préoccupation qui taraude notamment une partie de l’électorat macroniste, dans les grands centres urbains. La saison deux du « en même temps » se déclinera vraisemblablement avec des mesures de droite dans le domaine régalien mises en musiques par Jean Castex pour parler à la droite, et en même temps des mesures appliquées par Barbara Pompili et d’autres qui vont dans le sens des propositions de la Convention climat. Le pouvoir exécutif entend montrer qu’en matière d’écologie, il y a ceux qui causent et ceux qui font.

Quand en 2012, Emmanuel Macron s’est imposé « par effraction », pour reprendre ses termes, il voulait faire exploser le PS et la droite. Aujourd’hui, le PS étant réduit à sa plus petite expression, Macron traite plutôt la question écologique pour contrôler son flanc gauche. Au cours de l’été, il a aussi fait voter la PMA pour toutes afin de donner des gages de progressisme sociétal à une partie de son électorat. On pourrait ainsi parler d’un orléanisme 2.0 pour qualifier le macronisme.

Avec une palette aussi large, le macronisme est-il devenu majoritaire dans l’opinion ?

Non. Dans l’archipel français, tout le monde est minoritaire puisqu’on est une société très éclatée. Mais dans un système à deux tours, l’objectif d’un candidat est de parvenir à agréger autour de lui un volume de 20-25% d’électeurs qui, dans une situation très fragmentée, permet d’accéder à la finale. Et dès lors que le RN a aussi cette capacité, il suffit pour l’instant de se retrouver en finale face à Marine Le Pen pour être élu. C’est le calcul des marconistes, qui ne sont pas du tout majoritaires dans le pays mais conservent leur socle, dont le centre de gravité s’est déporté vers la droite de manière assez spectaculaire. De mémoire de sondeur et de politologue, c’est un phénomène assez inédit. Pour le président, l’objectif est de parvenir à agréger autour de son projet et de sa personnalité plutôt que de son idéologie ou de ses valeurs tant tout cela est mouvant. Il est illusoire de penser que toute la France électrice de EELV va voter Macron – toute une partie ne s’y reconnaît pas plus qu’en Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait organisé le Grenelle de l’environnement. Mais le but de Macron est de simplement manger un bout de l’électorat écologiste, tout en vampirisant un fragment important de la droite pour faire baisser le candidat LR à 12-13%. Macron veut être en tête au sein du noyau central qu’Alain Minc appelait « le cercle de la raison » (en gros, les partis de gouvernement). Les macronistes craignent l’émergence d’une candidature forte à droite qui pourraient leur contester le monopole de la représentation du cercle de la raison.

La gauche n’inquiète-t-elle pas du tout LREM ?

Si. Malgré l’exocet lancé avec succès en 2012 contre le PS, les macronistes restent vigilants face au risque de coalition rose-verte. A Tours, les maires écologistes et certains édiles socialistes se sont récemment réunis. Ils pourraient représenter une menace. L’une des leçons des municipales, c’est la capacité de résistance au niveau local, notamment dans les villes moyennes, des forces politiques traditionnelles PS et LR. Mais ces partis ne parviennent pas pour l’heure à s’appuyer sur leur maillage local pour exister au niveau national et mettre en orbite une personnalité permettant l’incarnation.

… contrairement au RN et à LREM

De ce point de vue, le PS et LR représentent en effet l’envers du macronisme et du lepénisme, les deux formations a priori qualifiées au second tour de la présidentielle, qui sont complètement passées à côté des municipales. Le RN a conquis Perpignan, mais cela cache une forêt de déceptions. Le RN n’a pas explosé son plafond de verre tandis que le macronisme ne s’est pas du tout implanté localement.  Cela rappelle la situation au début de la Ve République avec un De Gaulle qui avait réussi un retour triomphal au niveau national et jouissait d’une capacité d’incarnation extrêmement forte mais un parti gaulliste qui a attendu une dizaine d’années avant de s’implanter localement. Pendant toute la décennie 1960, le « vieux monde » des radicaux et des indépendants, les notables IIIe et Ive République, ont fait de la résistance au niveau local. Les forces nouvelles qu’étaient les gaullistes et les communistes qui ont attendu les années 60-70 pour grignoter des positions locales.

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et divisée

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Mon poème du 15 août

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marie assomption queneau
Auteurs : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. Numéro de reportage : 00919601_000012

Pour l’Assomption, Jérôme Leroy a composé un poème. En exclusivité sur Causeur.


 Assomption

Trop de saisons et pas assez de châteaux
Les fillettes masquées crient
de bonheur et de peur
Dans les labyrinthes de Cheverny de Beaugency

Il y a les yeux battus d’une vierge à l’enfant
qui me regarde depuis le XVème siècle
Trop de saisons et pas assez de châteaux

Elle dit
Je ne retiendrai plus très longtemps le bras de mon Fils
Console-toi de rillons et de fillettes de montlouis si tu veux
Vois mes saisons vois mes châteaux
Vois les fillettes nattées comme pour un dimanche dans les labyrinthes verts
Un masque est tombé dans les fleurs
Tu aimais la beauté du monde
Le bleu exténué de la Loire
Le montlouis et les fillettes rieuses
Les actions de Grâce ne suffisent plus
Les saisons manquent autant
que les châteaux désormais
Je m’envole vers mon fils
Je vais voir ce que je peux faire
Pour les saisons les châteaux les fillettes le montlouis cette édition originale des Ziaux de Queneau à la brocante de Blois-les-rillons
Mais arrête un peu de lire ADG derrière ta canne à pêche
Va prier pour moi pour que je remonte vers lui comme une fusée chinoise
Et aide moi à sauver les châteaux les saisons les fillettes

L'Instant fatal, précédé de "Les Ziaux"

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Will Cotton, peintre hyperréaliste

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À Bruxelles, la galerie Templon a présenté au début de l’été 2020 une intéressante exposition Will Cotton. L’univers de cet artiste, peuplé de pâtisseries et de femmes-friandises, s’avère troublant à plus d’un titre. Cet événement confirme le fait que l’hyperréalisme a su évoluer depuis le fastidieux photoréalisme de ses débuts.


D’accortes pin-up nues au milieu des macarons, crèmes et autres barbes à papa, tel est le thème récurrent des peintures de Will Cotton. On y caresse d’un même regard jolis nénés et parfaits glaçages. On peut, selon ses préférences, soit se rincer l’œil tout simplement, soit y voir une dénonciation au énième degré de la société de consommation. En réalité, l’ambiance de ces peintures est si sucrée, si feutrée, si drôle, si pop, si aimablement colorée, qu’on ne se sent guère porté aux interprétations militantes. L’œuvre de Will Cotton est un monde où le désir sexuel et l’appétit alimentaire sont comblés avant même de se manifester. Avec lui, l’heure est à l’apaisement et, parfois, presque à l’écœurement.

De l’Hudson river aux petits fours

Le monde artificialisé de Will Cotton est une sorte d’utopie qui actualise les représentations anciennes du jardin d’Éden ou du pays de Cocagne. L’artiste a aussi en tête les univers de taffetas et de jambes en l’air des artistes du xviiie siècle tels que François Boucher ou Honoré Fragonard dont il est évidemment très proche par ses thèmes.

Cependant, l’influence la plus marquante pour lui est curieusement celle des peintres de l’Hudson river school, groupe de paysagistes américains du xixe. Ceci est surprenant, car apparemment il n’y a rien de commun entre ces artistes et Will Cotton. Arrêtons-nous donc un peu sur cette page de l’histoire de l’art peu connue en France. Les artistes concernés sont de véritables explorateurs des grands espaces durant une partie de l’année. De retour dans leur atelier, généralement en hiver, ils composent grâce à leurs croquis et leurs souvenirs des vues évoquant la splendeur de la nature vierge. Influencés par la philosophie du sublime d’Edmund Burke (connu par ailleurs pour ses critiques de la Révolution), ils font du paysage sauvage une sorte de paradis originel, une manifestation du divin. Certains, comme Frederic Edwin Church (1826-1900), organisent des expositions de leurs grandes compositions et produisent un effet presque religieux sur le public. D’autres, comme Thomas Moran (1837-1926), font prendre conscience aux Américains de la beauté inouïe de leur pays, développent le sentiment de la nature parmi leurs compatriotes et contribuent à la création de parcs nationaux, notamment celui de Yellowstone.

Will Cotton aime les paysages de l’Hudson river school avec lesquels il s’est familiarisé durant dans sa jeunesse. Ce premier contact important avec la figuration l’a marqué légitimement, mais ce n’est pas tout. Ces toiles spectaculaires léguées par le xixe ne sont, en effet, pas peintes sur le motif ou dans un esprit naturaliste. Au contraire, elles sont composées le plus souvent en atelier comme des sortes d’affiches de propagande en faveur de la nature. Cieux incroyables, cimes neigeuses, cascades fracassantes, forêts séculaires, troupeaux de cervidés, ours et caribous : il y en a toujours un peu trop dans ces peintures pour qu’elles paraissent vraies. C’est justement cette façon de reconstituer un monde fantasmé qui fascine Will Cotton. Il y voit de véritables utopies imaginées par leurs créateurs. C’est cela qui est décisif pour lui et qu’il a eu envie de transposer au profit de ses thèmes de prédilection.

L’hyperréalisme à maturité

C’est logiquement en atelier et de façon totalement artificielle que Will Cotton crée de toutes pièces son univers. Il y met en place un processus bien structuré pour préparer ses peintures. Ayant pris soin de compléter son talent artistique par une solide formation en pâtisserie, il cuisine des décors géants à base de pain d’épices et de crèmes diverses. C’est là qu’il fait évoluer les nus féminins qui lui servent de modèles.

Sa peinture très réaliste s’inscrit évidemment dans la tradition hyperréaliste. La plupart des figures historiques de ce mouvement naissent cependant dans les années 1930 à 1940 et sont reconnues dans les années 1970. Qualifiées souvent de « photoréalistes », elles produisent des œuvres qui en imposent par leur notation très méticuleuse des détails. Cependant, leur précision quasi cartographique paraît à la longue assez fatigante pour le regard. En réalité, ces artistes apportent beaucoup de minutie au contour des objets, mais appréhendent assez mal ces insaisissables nuances qui font vivre une image et lui confèrent sa vérité. En un mot, ils sont besogneux.

Will Cotton appartient à une période beaucoup plus mûre de l’hyperréalisme. Il fait, en effet, preuve d’un rendu subtil des gradients et variations diverses. Il nous épargne les contours laborieux de ses prédécesseurs et met en place de beaux fondus. Le premier regard n’est pas rebuté par un excès de précisions. On a une impression d’ensemble très épurée, très « clean » qui relève de l’esthétique de la mode ou d’un certain goût pop. En outre, il faut remarquer que l’artiste est soucieux de mettre en place des textures rendant compte de la sensation presque tactile s’attachant aux objets représentés. Les glaçures de ses gâteaux sont alléchantes, les chairs de ses nus sont véridiques, etc.

Will Cotton pratique ainsi un hyperréalisme beaucoup plus convaincant que celui de ses prédécesseurs. C’est d’ailleurs un mouvement général qu’on peut remarquer, par exemple, chez des peintres comme Muntean et Rosenblum ou des sculpteurs tels que Ron Mueck ou John De Andrea. L’hyperréalisme évolue, et c’est tant mieux !

 

Cet été, je chausse des mocassins bateau !

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docksides chaussures bateau
Auteurs : Daryn Slover/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP21890808_000001

Il y a cinquante ans, les Docksides prenaient le large.


 Nous entrons dans l’ère des interdits. Notre façon de manger, de s’habiller, de lire et de penser est dorénavant surveillée. De fantasques autorités (tirées au sort) ou des instances autoproclamées, sortes de communautés virtuelles qui s’épanouissent dans la rancœur, se sentent investies d’un nouvel ordre moral : le devoir de contrition. Je suis fautif par essence, mal intentionné par destination, je vous prie, par avance, de bien vouloir m’excuser. Cette vieille formule de politesse est censée désamorcer les conflits.

Comités de vigilance

Je dois donc me repentir de mes actes et bien sûr, de mes mauvaises pensées, c’est le message littéral que nous envoient, depuis plusieurs années, tous ces comités de vigilance. Le mal m’habite et je ne le savais même pas. Je suis impardonnable.

Autrefois, l’été, je faisais relâche. Je m’autorisais à décorseter mon comportement, tout en restant dans une décence provinciale, quand ce mot avait encore une signification. Je portais à cette époque-là, des espadrilles basques, des chemises hawaïennes, il m’arrivait même d’enfiler un bermuda, ultime audace, réminiscence d’un passé supposé colonial, atroce démonstration de mon incapacité à comprendre l’autre et sa colère légitime.

Aujourd’hui, je me pose trop de questions. La peur du procès m’oblige à réfléchir, chaque matin, à la manière dont je vais sortir de chez moi. Mes vacances sont devenues un véritable calvaire vestimentaire et culinaire. Ai-je, par exemple, le droit de chausser des mocassins sans offenser la mémoire des Indiens d’Amérique ? Moi, le berrichon-andalou, puis-je, impunément, avaler un falafel sans prendre part à l’imbroglio israélo-palestinien ?

Oser la chaussure de ville sans chaussettes ?

Plus grave, est-il possible dans mon pays de porter un pull sur les épaules, une « petite laine » au coucher du soleil, sans cautionner un candidat de centre-droit couperosé et avouer mon balladurisme latent ? Oser la chaussure de ville sans chaussettes, à même la peau, est-il le signe d’une odieuse réappropriation culturelle de certains rites tribaux ? Lors d’un récent séjour en Bretagne, dans le Finistère nord, j’ai été pris de panique à l’idée d’endosser les crimes commis sur le peuple breton, admirable et souverain. Ma belle-mère venait de m’offrir une marinière tricotée dans des ateliers de la Manche que j’exhibais fièrement sur la plage, sans penser à mal, je vous assure, sans volonté de choquer et encore moins de m’attribuer les souffrances de l’autochtone.

En une décennie, j’ai renoncé à tant de plaisirs d’habillement, les demi-bas couleur rouge cardinal afin de ne pas heurter la foi Vaticane, la cravate en tricot pour éviter la susceptibilité de certains académiciens et glaner quelques voix à la prochaine élection, ou pire, mon abdication (la plus cruelle), je parle ici de l’abandon des double-boucles, ces souliers réservés uniquement aux fans de Philippe Noiret à jour de leurs cotisations. Au début des années 1970, il n’était pas rare de croiser dans la rue, une jeune institutrice en sabot et mini-jupe, une actrice anglaise en short ultra-court et talons hauts, un professeur en costume de velours et lavallière, une star du chobizenesse en déshabillé de soie sauvage ou un ministre d’ouverture en polo crocodile sur la terre battue.

1970, année nautique

En cinquante ans, nous avons perdu cinquante nuances de diversité. Nous sommes contraints de demeurer dans notre zone de vêtements, aussi en panne que l’ascenseur social. Figés dans notre classe, parqués dans notre caste, dans notre couleur et notre soumission. Reverrons-nous, un jour, Dominique Sanda en socquettes et tennis basses, Marthe Keller, princesse de Kurlande en ciré jaune ou Sophia Loren en lunettes extra-large et chemisier moulant, etc… ? En 1970, l’américain Sebago inventait la « chaussure bateau » moderne, souple et élégante.

Les Docksides ont révolutionné la pratique des sports nautiques et popularisé le style « preppy » sur tous les pontons du globe. Les étudiants BCBG et les fils de famille s’en firent des alliées pour la vie. Héritiers de Tabarly, ils n’hésitaient pas à les garder aux pieds jusqu’au début de l’hiver même ceux qui avaient le mal de mer. Ils ne s’en séparaient que par force majeure et avis de tempête, c’est à dire avant de se rendre au rallye de la fausse comtesse du canton et vraie radine sur les petits fours. Je veux cet été faire un vœu, croire en une autre société moins segmentée.

Je fais le rêve impossible que la chaussure bateau dépasse son territoire protégé, celui des calanques et des stations huppées, comme un signe d’apaisement, elle habillerait dès lors, la cité et la campagne, le déclassé et le surclassé. La République y gagnerait en harmonie.

Dis papa, c’était comment l’école avant la théorie du genre?

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Cour de l'école Gustave Rouanet, Paris, 2018. Auteurs : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA. Numéro de reportage : 00873678_000047

Je me souviens de l’école des petites filles et des petits garçons  qui jouaient respectivement à la marelle et au football. Nos progressistes éclairés, Verts en tête, veulent déconstruire ce modèle digne des heures les plus sombres de la tradition.


Parmi les beaux jours de mon enfance, il en est un que ma mémoire aime à souvent exhumer. J’avais neuf ans, c’était la fin de l’année scolaire. La chaleur était terrible ; les jeux de société, avec lesquels nous tuions le temps jusqu’aux vacances, nous ennuyaient. Alors, moi et dix autres élèves, nous avions pris un ballon, quatre sacs et étions allés faire un foot dans la cour. Puis nous avions été rejoints par d’autres camarades ; à la fin, nous étions bien quarante. Débuté au début de l’après-midi, ce match avait duré jusqu’à la fin. Je me rappelle des cris de joie, des coups, de mon épuisement, des hurlements des instituteurs qui voulaient nous faire rentrer, de mon copain Joël dont les genoux râpés disaient l’abnégation. J’y songe ! Parmi les joueurs, il n’y avait aucune fille. Et si ce moment que je chéris tant était en fait scandaleux ?

Les Verts à l’avant-garde

Le 8 juillet, Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, écrivait sur Twitter : « Les cours d’écoles de nos enfants ressemblent à des parkings en bitume, brûlantes en été et trop réservées aux pratiques des garçons ». Depuis son triomphe programmé dans les métropoles gentrifiées aux municipales, ELLV ne se sent plus. Habitué à quémander des places au PS, il ambitionne désormais de diriger la recomposition de la gauche. Cette assurance lui vient de ce qu’il domine le combat culturel. Orpheline du prolétariat, la gauche avait besoin d’un nouvel étendard ; comme l’immigration est trop « clivante », elle s’est rabattue sur l’écologie. Tout le monde veut mieux manger, sauver les tritons et consommer moins de pétrole. Déjà de mon temps, les cours de géographie faisaient la part belle à l’Amoco Cadiz. Aujourd’hui, c’est l’orgie : documentaires, peoples, marches pour le climat, manifestes, reportages, ONG, greenwashing, Greta Thunberg. C’est tout juste si l’on peut encore fumer une clope dans la rue sans se voir reprocher de buter un panda. La jeunesse des métropoles, qui n’a pas trop à s’inquiéter pour son avenir, le vrai, celui des fins de mois, processionne régulièrement sur les boulevards et, hélas, vote aussi. La propagande écologiste, omnipotente, porte les Verts partout en Occident. Sur le modèle des Grünen qui ont avalé le SPD, la social-démocratie se met à la remorque de ces anciens gauchistes ayant troqué la lutte des classes pour celle de la planète, dont ils parlent moins en scientifiques ou poètes qu’en zélateurs de Pachamama.

Adorateurs de la nature, ils la nient quand elle concerne l’homme

Mais l’on ne se refait pas, et l’écologie politique est le faux nez d’un progressisme fanatique. Les Verts sont des immigrationnistes passionnés, des sans-frontiéristes fervents, des pacifistes enflammés, des transhumanistes brûlants. Présents dans tous les cortèges Black lives matter, ils soutiennent également sans réserve la théorie du genre. Sur leurs tables de chevet, à côté de celles de Gro Harlem Bruntland et de Raoni, ils ont des photos de Judith Butler et de Pierre Bergé. Notre époque n’aime rien tant que les paradoxes ; voilà sans doute pourquoi, sur un plan intellectuel, les Verts ont tant de succès. Adorateurs de la nature, ils la nient quand elle concerne l’homme. Pour eux, dans ce cas, tout est « construction culturelle », et la biologie doit se soumettre. La célèbre formule de Simone de Beauvoir selon laquelle on ne naît pas femme mais on le devient figure en incipit de leur bréviaire en papier recyclé. Enragés du mariage gay, ils le sont aussi de la PMA et de la GPA ; comme autrefois les communistes, ils récusent leurs opposants du fait d’une supposée logique de l’histoire. Tous les délires sociétaux leur plaisent ; ils fonctionnent sur le mode de la transgression permanente ; jamais ils ne s’amendent, convaincus qu’ils sont d’être les éclaireurs d’une humanité nouvelle. La nation leur fait horreur ; ils sont « citoyens du monde » ; les malheurs des transsexuels ougandais les révoltent plus que ceux des clochards périgourdins. En fait, ce sont de parfaits libéraux ; ils accompagnent le capitalisme dans sa destruction systématique de toutes les structures traditionnelles. La famille composée d’un père et d’une mère, en ceci qu’elle résiste à l’individualisme, les épouvante. Sociologiquement, ils incarnent jusqu’à l’absurde ces élites hédonistes et gyrovagues qui, selon Christopher Lasch, ont fait sécession du corps social depuis le début des années 1990.

La gauche a toujours été fâchée avec le réel 

Héritiers de 68, ils en ont repris l’agit-prop. Ils pensent en slogans. Non pas qu’ils soient bêtes – c’est le parti qui comptent le plus de diplômés –, mais ils confondent les choses et les mots. Au fond, à leurs yeux, le réel n’existe que dans la mesure où on le nomme. De là vient leur passion des néologismes et du caviardage. Un concept tire toute sa légitimité de sa nomination. Par exemple, affirmer qu’il y a des « violences faites aux femmes » suffit pour en faire un « phénomène de société » et, ainsi, à justifier le soupçon généralisé qui touche aujourd’hui les hommes. En revanche, la violence endémique de la « diversité » envers les « babtous fragiles » s’inscrit dans la catégorie des « incivilités ». La gauche a toujours été fâchée avec le réel. Idéaliste, elle avance à grands coups de symboles et de métaphores. Les Verts perpétuent cette tradition et la poussent à des extrémités loufoques. A peine élu à Lyon, Grégory Doucet a décidé d’« ouvrir le débat » sur l’écriture dite inclusive.

Impérialisme masculin ?

Dans un papier de So Foot, Edith Maruéjouls, « géographe du genre », expliquait dernièrement que le foot phagocytait « 90% des espaces de jeu en élémentaire » alors que les garçons qui y jouent, « c’est au mieux 20% d’une cour ». On apprenait également que, selon un rapport de l’UNICEF, « la cour de récréation illustre la séparation des sexes à l’école (…) par la place qu’occupent les filles et les garçons ». La solution ? « On réorganise l’espace, on déplace si possible les terrains de foot sur le côté pour faire de la place, au centre de la cour, à des espaces de jeu communs, mixtes ». Car pour Edith Maruéjouls, « le plus gros problème » posé par cet impérialisme masculin, « c’est l’absence d’échange » entre les deux sexes. Il est certain que ce terrifiant constat, tous les maires EELV le partagent ; dans les mois à venir, entre deux « Aïd Moubarak », ils vont prendre des mesures en faveur de la réorganisation « non-genrée » des cours d’école. Puis ils « lutteront » pour que les portes des toilettes n’affichent plus de pictogrammes qui excluent les élèves qui, à neuf ans, « interrogent » leur « identité de genre ».

Nous avions conscience d’être différents 

Les filles de mon école n’étaient pas malheureuses. Elles avaient leurs jeux ; les garçons avaient les leurs. Et parfois, outre que nous jouions souvent ensemble, nous nous retrouvions derrière « La Montagne », un gros bloc de béton dédié à l’escalade, afin d’échanger des baisers clandestins. C’était vraiment bien, comme « échange ». Je me souviendrai toute ma vie de Jessica, ses grands yeux bleus, ses cheveux noirs, et des rires de ceux qui nous avaient pris en flag. Nous avions conscience d’être différents. Nous n’attachions pas la même importance aux petits mots qui venaient encourager ou éteindre un amour. Désormais, faudra-t-il passer par un « référent-consentement » avant d’écrire à une fille qui nous plaît ? Quelle sinistre conception des rapports entre les êtres, les sexes, de la vie telle qu’elle est, avec ses ombres et ses épiphanies. Il est vrai que j’ignore ce que Jessica en pense ; si elle lit un jour ce papier, qu’elle m’écrive ; j’ai enfin vu Sarajevo.

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Face à l’islamisme, Kamel Daoud célèbre l’art occidental

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Faut-il encore présenter Kamel Daoud ? Chroniqueur au Point et auteur de Meursault, contre-enquête, il est l’objet d’une fatwa lancée en 2014 par un sinistre barbu. Dans son livre  Le Peintre dévorant la femme, il célèbre l’art occidental et le beau sexe face à la pudibonderie islamiste.


« Qu’est-ce qu’une vieille église pour un touriste moderne ? Une pierre tombée du ciel et sur laquelle il s’adosse pour sourire », fait remarquer Kamel Daoud dans Le Peintre dévorant la femme en allusion aux grappes de touristes arpentant la très faste basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon. En ce début d’août caniculaire, les touristes n’ont pas dérogé à la règle. Venus de toute l’Europe se faire prendre en photo devant l’étincelante église, ils semblaient avoir définitivement apostasié la chrétienté pour embrasser la religion du selfie.

Islamistes vs Picasso

La splendide ville de Lyon abrite aussi un musée des beaux-arts où se niche une Venus tout de bronze d’Aristide Maillol. Deux modestes auréoles en guise de seins, des hanches qui s’affaissent certes, il n’en reste pas moins que devant un tel étalage de chair et l’air faussement naïf de la jeune femme, je me suis demandé quelle aurait été la réaction d’un islamiste. L’Algérien Kamel Daoud s’est déjà emparé du sujet il y a deux ans dans Le Peintre dévorant la femme. En confrontant un djihadiste aux femmes à poil de Picasso, il s’interroge sur le rapport de force entre l’art et les fous d’Allah.

Faut-il encore présenter Kamel Daoud ? Chroniqueur au Point et auteur de Meursault, contre-enquête, il est l’objet d’une fatwa lancée en 2014 par un sinistre barbu dénommé Abdelfattah Hamadache. Au pays où un autre gardien du Coran s’est rendu célèbre pour avoir condamné la consommation des cornets de glaces pour les femmes dans la rue, un barbu armé d’un burin et d’un marteau a défiguré et décharné visage et seins d’une femme de pierre en décembre 2017. La statue fut achevée à Sétif par le dénommé Francis de Saint-Vidal en 1898. Le barbu a mutilé la nudité, la féminité et la perpétuation de la vie. Tel Abdellah, le personnage imaginé par Kamel Daoud, il a signifié aussi une énième déclaration de guerre à l’Occident, cet Occident qui a trahi Dieu en se prenant pour le créateur, cet Occident qui a voulu le dépasser avec ses machines, ses vitrines et ses femmes nues.

« L’Occident est un nu »

Aux yeux de l’illuminé qui prend sa colère pour une guerre sainte, l’étalage de chair nue des toiles de Picasso incarne cette détestable hérésie qui laisse croire que notre corps nous appartient. Selon la loi de Dieu, le corps de l’homme ne lui appartient pas et encore moins s’il s’agit d’une femme. Celui qui osera imiter le geste de la conception divine sera donc maudit. Or, l’Occident peint le nu, « l’Occident est un nu. Abdellah voudra le convertir à la voie juste et à la volonté de son Dieu, le rendre décent […] le missionnaire n’est plus l’Occidental qui veut convertir les barbares, les « autres », mais l’Autre qui débarque chez l’Occidental et veut le convertir au nouveau Dieu colérique. L’Occident n’est plus une expansion mais une rétraction. Il n’est plus ordonnateur mais sommé ». La nudité est un scandale, les femmes qui font bronzer leurs cuisses sur les plages de Nice sont un scandale, l’impertinente assurance des Demoiselles d’Avignon est un scandale, « l’Occident est une femme et il faut voiler cette femme ». Tous au musée!

En 2015, sous nos yeux effondrés, les splendeurs antiques de la cité de Palmyre étaient sciemment réduites en poussière par l’État islamique. « Dans cet élan de purification monstrueuse, l’art est vu comme l’hérésie première, matérielle, la distance exacte de l’égarement par rapport à la voie de Dieu. Pour le croyant inquiet, il est la distraction impardonnable dans cet univers de la soumission stricte. L’art est le murmure du diable, la tentation, la parade à peine dissimulée de la licence sexuelle. Car l’art mène à l’érotisme, au sexe, à l’impureté, au mélange nocturne, à la multiplication contraire de l’unicité », énonce brillamment Kamel Daoud.

Gardien de la mémoire

Comme il nous le rappelle, danses, musiques, peintures, arabesques ou autres ondulations restent un luxe que d’obscurs purificateurs rêvent d’éteindre à jamais. Comme il nous le rappelle, le musée n’est pas qu’un divertissement pour des gens souhaitant se cultiver mais un gardien de la mémoire des hommes. L’art est « la déclamation de l’intime, une exposition dit-on à juste titre. Quand cette intimité est refusée, tout l’art est déclassé vers le vice ou la solitude. Les artistes fuient, se déguisent, sont tués ou s’exilent. Ils deviennent expression de la liberté refusée ». Lisez vite Le Peintre dévorant la femme et surtout, profitez des expositions estivales et allez remplir les musées! L’idée qu’un allumé pourrait brûler une toile de Picasso en se filmant en direct sur Facebook n’est malheureusement pas totalement farfelue.

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