Accueil Politique « Le macronisme est un orléanisme 2.0 »

« Le macronisme est un orléanisme 2.0 »

Entretien avec Jérôme Fourquet


« Le macronisme est un orléanisme 2.0 »
Jérôme Fourquet. Photo : Hannah Assouline.

On ne présente plus Jérôme Fourquet de l’Ifop, auteur de L’Archipel français. Dans sa dernière enquête d’opinion, le sondeur et politologue analyse notamment les fractures de la société française et la montée de l’écologie politique. Entretien (2/2).


Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

Daoud Boughezala. Dans votre découpage de la France en catégories de droite et de gauche, où trouve-t-on la France écolo et la France des gilets jaunes ?

Jérôme Fourquet. Mon constat de base est l’archipellisation de la société française. Cet archipel est parcouru de plusieurs lignes de faille (somewhere vs anywhere, gauche-droite) dont un clivage autour de l’écologie. Le conflit s’engage assez brutalement sur la répartition des efforts à fournir pour lutter contre le réchauffement climatique, les moyens à y consacrer et le rythme nécessaire pour atteindre cet objectif. L’annonce de la taxe carbone, déclencheur du mouvement des gilets jaunes, en a marqué les prémices avec une partie de la France qui s’est mobilisée contre une autre qui voulait encourager et accélérer cette initiative. Dans le sillage de la crise du Covid, cette ligne de front sera réactivée. Car beaucoup de Français ont interprété l’épidémie comme une maladie aux profondes racines écologiques (« on a déstabilisé les écosystèmes », « on a martyrisé ces pauvres pangolins »…). Une partie de la population estime que Dame nature s’est vengée et a pris la crise sanitaire comme une répétition générale de l’effondrement de notre société jugé inéluctable si on ne prend pas des décisions écologiques très sévères. Forte de ce constat, une certaine France plutôt éduquée et influente socialement fait entendre sa voix. Elle était déjà engagée dans un changement individuel des modes de vie mais agit désormais collectivement, comme l’a montré la victoire de listes écologiques aux municipales dans toute une série de métropoles françaises. Il faudra scruter les premières mesures qui seront prises dans ces grandes métropoles écolos, notamment sur un sujet très crispant, lié à la crise des gilets jaunes : le rapport à la voiture.

A quelles mesures clivantes pensez-vous ?

La vignette Crit’air a par exemple été imposée avec zèle en pleine canicule. Quelques jours avant le déconfinement, Anne Hidalgo déclarait en une du Parisien que Paris ne sera plus jamais envahie par la voiture, qu’elle irait encore plus loin et plus vite en matière de piétonnisation, véloïsation. A quelques jours du second tour, la maire de Paris a annoncé la couleur en plaçant très haut la barre en matière de transition écologique : végétalisation de la ville, ralentissement de la vitesse autorisée sur le périphérique… Paris, Lyon et d’autres villes s’engagent aussi à interdire le diesel sur leur territoire dans les prochaines années. Caricaturalement, se dessine une opposition entre deux France : une France écolo essentiellement dans les grands centres urbains d’un côté, France périphérique qui par culture, mode de vie et nécessité n’est pas du tout mûre pour abandonner la voiture. Ce clivage sera très puissant.

Au point de structurer la vie politique de demain ?

Partiellement. Pour prendre un parallèle instructif, cela fait trente ans que le clivage ouvert vs fermé divise la France de manière souterraine. Il ne s’est exprimé avec force que lors de crises ou de moments très particuliers (Maastricht, TCE de 2005…). Mais la plupart du temps, il était souvent recouvert par le clivage gauche-droite même si on le sentait affleurer. Le même scénario peut se reproduire avec le clivage France écolo vs France périphérique : en fonction des moments et des sujets, il peut polariser la société française comme lors de la crise des gilets jaunes, puis redevenir souterrain sans pour autant disparaître. Attendons de voir comment la feuille de route de la Convention climat sera progressivement appliquée par le gouvernement. Dans les années qui viennent, les grandes villes sous direction écologiste feront aussi des annonces susceptibles de réactiver cette ligne de clivage.

Autrement dit, Emmanuel Macron joue sur tous les tableaux. Tout en déplaçant son centre de gravité à droite, la majorité semble s’adresser à l’électorat écologiste. L’écologisme traverse-t-il donc toute la société française, par-delà droite et gauche ?

Exactement. C’est une préoccupation qui taraude notamment une partie de l’électorat macroniste, dans les grands centres urbains. La saison deux du « en même temps » se déclinera vraisemblablement avec des mesures de droite dans le domaine régalien mises en musiques par Jean Castex pour parler à la droite, et en même temps des mesures appliquées par Barbara Pompili et d’autres qui vont dans le sens des propositions de la Convention climat. Le pouvoir exécutif entend montrer qu’en matière d’écologie, il y a ceux qui causent et ceux qui font.

Quand en 2012, Emmanuel Macron s’est imposé « par effraction », pour reprendre ses termes, il voulait faire exploser le PS et la droite. Aujourd’hui, le PS étant réduit à sa plus petite expression, Macron traite plutôt la question écologique pour contrôler son flanc gauche. Au cours de l’été, il a aussi fait voter la PMA pour toutes afin de donner des gages de progressisme sociétal à une partie de son électorat. On pourrait ainsi parler d’un orléanisme 2.0 pour qualifier le macronisme.

Avec une palette aussi large, le macronisme est-il devenu majoritaire dans l’opinion ?

Non. Dans l’archipel français, tout le monde est minoritaire puisqu’on est une société très éclatée. Mais dans un système à deux tours, l’objectif d’un candidat est de parvenir à agréger autour de lui un volume de 20-25% d’électeurs qui, dans une situation très fragmentée, permet d’accéder à la finale. Et dès lors que le RN a aussi cette capacité, il suffit pour l’instant de se retrouver en finale face à Marine Le Pen pour être élu. C’est le calcul des marconistes, qui ne sont pas du tout majoritaires dans le pays mais conservent leur socle, dont le centre de gravité s’est déporté vers la droite de manière assez spectaculaire. De mémoire de sondeur et de politologue, c’est un phénomène assez inédit. Pour le président, l’objectif est de parvenir à agréger autour de son projet et de sa personnalité plutôt que de son idéologie ou de ses valeurs tant tout cela est mouvant. Il est illusoire de penser que toute la France électrice de EELV va voter Macron – toute une partie ne s’y reconnaît pas plus qu’en Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait organisé le Grenelle de l’environnement. Mais le but de Macron est de simplement manger un bout de l’électorat écologiste, tout en vampirisant un fragment important de la droite pour faire baisser le candidat LR à 12-13%. Macron veut être en tête au sein du noyau central qu’Alain Minc appelait « le cercle de la raison » (en gros, les partis de gouvernement). Les macronistes craignent l’émergence d’une candidature forte à droite qui pourraient leur contester le monopole de la représentation du cercle de la raison.

La gauche n’inquiète-t-elle pas du tout LREM ?

Si. Malgré l’exocet lancé avec succès en 2012 contre le PS, les macronistes restent vigilants face au risque de coalition rose-verte. A Tours, les maires écologistes et certains édiles socialistes se sont récemment réunis. Ils pourraient représenter une menace. L’une des leçons des municipales, c’est la capacité de résistance au niveau local, notamment dans les villes moyennes, des forces politiques traditionnelles PS et LR. Mais ces partis ne parviennent pas pour l’heure à s’appuyer sur leur maillage local pour exister au niveau national et mettre en orbite une personnalité permettant l’incarnation.

… contrairement au RN et à LREM

De ce point de vue, le PS et LR représentent en effet l’envers du macronisme et du lepénisme, les deux formations a priori qualifiées au second tour de la présidentielle, qui sont complètement passées à côté des municipales. Le RN a conquis Perpignan, mais cela cache une forêt de déceptions. Le RN n’a pas explosé son plafond de verre tandis que le macronisme ne s’est pas du tout implanté localement.  Cela rappelle la situation au début de la Ve République avec un De Gaulle qui avait réussi un retour triomphal au niveau national et jouissait d’une capacité d’incarnation extrêmement forte mais un parti gaulliste qui a attendu une dizaine d’années avant de s’implanter localement. Pendant toute la décennie 1960, le « vieux monde » des radicaux et des indépendants, les notables IIIe et Ive République, ont fait de la résistance au niveau local. Les forces nouvelles qu’étaient les gaullistes et les communistes qui ont attendu les années 60-70 pour grignoter des positions locales.

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est journaliste.

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