Accueil Édition Abonné Avril 2020 Les consolations d’un confiné

Les consolations d’un confiné


Les consolations d’un confiné
Le gérant d’un bureau de tabac devant son commerce, Toulouse, 19 mars 2020. © Pablo Tupin/ Hans Lucas/ AFP

Quand la dope manque en temps de confinement, on peut voir la vie en rose. Et la mort aussi.


Avec le confinement, j’ai arrêté de fumer. Les queues devant les tabacs de toxicos patients et résignés ont été plus dissuasives que toutes les campagnes et que tous les cancers. Cinquante mètres et cinquante personnes, c’est trop. Je suis beaucoup trop orgueilleux pour prendre ma place dans une file de plus de cinquante mecs pour n’importe quelle raison, et même pour n’importe quelle fille. 

Quand la dope vient à manquer

Il y a une autre raison. Aujourd’hui dans ma France périphérique, les ronds-points se sont remplis de gendarmes et le marché du shit a connu des ratés dans la chaîne de distribution et des ruptures de stock. Les dealers étant confinés, seuls les prévoyants, les précautionneux, les avisés, les minables continuent de se droguer à l’abri de la pénurie. Seuls les maniaques qui bichonnent leur herbe dans leur petit jardin ou leur petite cave, avec les petites graigraines plantées, arrosées, éclairées, puis leurs petits planplans récoltés, séparés, taillés, fument encore mais attention, avec modération.

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Comme le marché international du masque, celui du cannabis, dans ma lointaine banlieue, au bord de la campagne et pas loin des cités, était tel qu’à part les petits épargnants et les grands dépendants, personne n’avait jamais craint qu’un jour la dope viendrait à manquer. Mais qui dit confinement disette, alors les fourmis tirent encore sur leurs joints quotidiens, et les cigales en manque dansent la java du sevrage.

Regards sur la mort

À l’inverse des masques, le manque, c’est bon pour la santé et pour la gracieuseté. Après deux jours d’une humeur difficile, surtout pour l’entourage, on perd son haleine, sa toux, son cynisme, ses sarcasmes et son aquoibonisme pour retrouver son souffle, son goût, son sourire, ses sentiments, ses émotions, son mojo, ses rêves et son humour. Voilà sans doute pourquoi je n’arrive pas à trouver ces temps si difficiles. Et mes co-confinés apprécient.

Mais la pénurie psychotropique n’est pas la seule raison. Depuis qu’autour de nous, des humains trouvent la mort par milliers, j’appréhende la mienne beaucoup plus sereinement. Une mort collective me semble un peu moins triste qu’une mort individuelle, quand c’est la mienne. Qu’est ce qui rend le trépas si inacceptable, enfin le mien ? Le bout de ma vie, la fin de ma pensée, la mort de mon regard, la perte de ma conscience, le retour à un néant que je ne verrai même pas, certes. Mais surtout et avant tout, l’idée que sans moi et malgré la fin de mon moi, la vie de tous les autres continue. Si je meurs en temps normal, partout dans le monde et même dans mon immeuble, et un jour dans mon appart, on continuera de regarder la télé et de faire l’amour, et la terre continuera de tourner comme si de rien n’était. En temps de mortalité collective, modestement les choses changent. Évidemment, aujourd’hui tout ne disparaîtrait pas avec moi, mais un peu moins de mes frères humains me survivraient, et ce n’est pas pour me déplaire. Si je dois être coronaviré ce soir plutôt que disparaître de mort naturelle plus tard, je me consolerai avec l’idée que je ne serai pas seul à ne plus bander demain matin. Mourir seul est un drame insupportable, partir en bande même désorganisée, une idée plus douce.

Si je devais expirer en ce moment, je le préférerais sans doute à un autre pour une autre raison encore. Comme quand, pensionnaire, j’avais échappé à la douche. Je trouverais dans mon dernier soupir la force de sourire en pensant que je vais échapper à la toilette, surtout mortuaire. N’ayant jamais abusé du savon pour entretenir mes défenses immunitaires, je n’aurais pas mérité qu’on se salisse les mains à me faire une vidange eaux et gaz, à me boucher les trous, à me tartiner de fond de teint, à me peinturlurer la tronche. De toute façon, je ne veux pas qu’on me voie : ce ne sera plus moi, juste un corps covide de mon esprit, et après la toilette, un faciès transfiguré de cire, maquillé comme un clown vivant, pathétique et grotesque. Et je n’ai pas de costume correct, ou alors il faudrait mettre mon bras sur un trou ou une tache. Déjà vivant, j’avais honte d’être l’objet de l’attention publique, alors mort… Ni présentable, ni présentation, les gestes barrière me sauveraient la mise. Si l’heure de mon trépas sonnait au temps du coronavirus, je disparaîtrais tranquille, presque incognito. Mais je précise, pas dans un four. Même avant d’être allé voir Auschwitz, je voulais être enterré.

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Enfin, une dernière pensée me fait voir la vie en rose et ma mort entre gris clair et gris foncé s’il m’arrivait de coronachavirer : je ne déplacerai pas plus de vingt personnes à mon enterrement, en attendant mieux. J’épargnerai un devoir moral et pénible, une corvée, un de ces « j’ai envie d’y aller comme de me pendre mais décemment, je ne peux pas ne pas » à des gens que je ne veux pas déranger. Et si le confinement devait se resserrer, je permettrais à mes amis ? mes enfants ? ma femme ? de pouvoir être absents sans être indécents.

Alors, peut-on être à la fois un misanthrope égocentrique et un innocent timide ? Vous avez quatre heures ?

Avril 2020 - Causeur #78

Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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