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Edouard Philippe, l’homme seul

L'édito politique de Jérôme Leroy


Edouard Philippe, l’homme seul
A Bordeaux, une femme et son enfant regardent à la télévision le Premier ministre présenter le programme du déconfinement de la France à l'Assemblée nationale, le 28 avril 2020 © UGO AMEZ/SIPA Numéro de reportage: 00958714_000002

Qu’on soit d’accord avec lui ou pas, Edouard Philippe rassure. Sans doute parce qu’il est le seul aujourd’hui à ressembler à l’idée qu’on se fait d’un homme d’État. Alors que le risque de reconfinement après le 11 mai est bien réel, et que le président de la République n’est bon qu’à proférer des prophéties autoréalisatrices, lui garde la tête sur les épaules. Il a présenté hier le plan du gouvernement.


 

Je n’ai, à vrai dire, aucune sympathie idéologique pour Edouard Philippe mais ce que j’ai vu hier, c’est un homme d’État, c’est-à-dire un homme qui conjugue le réalisme et l’espérance, qui promet du sang et des larmes mais qui croit malgré tout en un pays qu’il est un des rares, au gouvernement, à connaître réellement.

Une étrange assemblée

Son visage était visiblement marqué. Le fringant quadra libéral de 2017 avait le regard inquiet que tentait de démentir son discours volontariste. Dans cet hémicycle qui très symboliquement a été un des premiers clusters français de la pandémie, tout avait un air d’étrangeté, quelque chose de crépusculaire. Soixante-quinze députés dans une atmosphère de catacombe avec l’étrange et indispensable rituel de la désinfection de la tribune par les huissiers entre chaque prise de parole.

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Je persiste à croire que dans la macronie, il est le seul à avoir les pieds sur terre. On a voulu me vendre un Macron gaullien, churchillien, chef de guerre, puis président modeste. C’est tout de même un peu fort. Lors de son intervention du 15 avril, que les commentateurs décidément bien serviles ont présenté comme profondément humaine, j’ai surtout vu une manière d’illuminé qui prend ses désirs pour la réalité.

Philippe veut nous éviter « l’écroulement »

Je l’ai déjà écrit naguère mais Macron est un solipsiste : il croit que le monde est une projection de son esprit et qu’il peut le façonner par une parole performative : « Si je dis que le 11 mai, on déconfine, on déconfine ; si je dis qu’on rouvre les écoles, on rouvre les écoles ; si je dis que dans quinze jours, je veux un plan détaillé du premier ministre, il y aura un plan détaillé du premier ministre. » L’univers mental d’Emmanuel Macron est celui d’une mégalomanie dont on aurait pu et dû se douter lors de sa cérémonie d’investiture devant la pyramide du Louvre et ses métaphores jupitériennes. Il n’en est pas comme Trump à proposer des traitements à base d’UV et de détergents mais on n’en est pas loin. Après tout, n’a-t-il pas eu le droit de la part de ses thuriféraires, à l’appellation de président philosophe et thaumaturge ? S’il n’y avait pas la nécessité de la distanciation sociale, il pratiquerait l’imposition des mains pour guérir le Covid-19 qui fait figure pour lui de modernes écrouelles.

Emmanuel Macron le soir de son élection, au Louvre, le 7 mai 2017 © DAVID NIVIERE/SIPA Numéro de reportage: 00805555_000004
Emmanuel Macron le soir de son élection, au Louvre, le 7 mai 2017 © DAVID NIVIERE/SIPA Numéro de reportage: 00805555_000004

Edouard Philippe, lui, doit faire avec. Le choix totalement arbitraire du 11 mai, il a été obligé de l’atténuer, trouvant un équilibre instable entre les instances scientifiques, hier encore sacralisées et aujourd’hui vilipendées dans un bel accès d’obscurantisme irrationnel, et les nécessités politiques. On n’aimerait pas être à sa place : gérer la pénurie de moyens de base comme les masques et en même temps faire redémarrer le pays qui s’endort doucement dans une léthargie mortelle et menace ruine. C’est un drôle de défi. Edouard Philippe n’a pas voulu prononcer le mot d’effondrement, qui rappelle trop la collapsologie, mais il a bel et bien employé celui d’ « écroulement ». Pas seulement celui de l’économie mais aussi de toute notre civilisation. Il sait que les claquements de doigts et les prophéties autoréalistrices d’un président ne changeront rien à ce danger mortel.

Je marche seul, sans témoin sans personne

Les injonctions contradictoires d’un Macron ou d’un Blanquer, anxiogènes et imprudentes, il a tenté de les effacer par un discours clair, sans ambiguïtés, reconnaissant des erreurs qui ne sont pas forcément les siennes, s’offrant même le luxe de l’humour sur ceux qui exercent surtout dans les médias le ministère de la parole, exactement comme Macron lui-même. C’est peut-être précisément le péché originel de Macron, comme des commentateurs, que de ne jamais avoir été élus, c’est-à-dire de ne jamais avoir été sur le terrain. Ils sont beaucoup trop, dans notre paysage politique et médiatique, à n’avoir aucune idée de ce que signifie affronter le suffrage universel, la seule onction qui vaille en démocratie et même la seule légitimité. Quant à l’élection de Macron lui-même, c’est un coup de chance plus qu’un désir de la société : on l’a mesuré très vite avec l’apparition des gilets jaunes puis la contestation historiquement longue de la réforme de la SNCF et, encore plus, des retraites. Le premier ministre lui est maire d’une grande ville, il a donc pu s’apercevoir à quel point son N+1 avait fracturé la société et n’avait plus la légitimité suffisante pour créer cette union nationale introuvable.

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Edouard Philippe ne l’espère plus. Ce qu’il a tenté hier, c’est de limiter des dégâts humains, politiques et économiques irréversibles. Il ne réussira peut-être pas, mais au moins, il aura essayé. Et cela a quelque chose de rassurant. D’ailleurs, Edouard Philippe commence à gêner Macron et sa propre majorité, comme l’a souligné Mélenchon en montant à la tribune et en l’épargnant curieusement pour concentrer ses tirs sur le président de la République. On sent en effet Edouard Philippe sur un siège éjectable : c’est normal, à défaut d’être « le meilleur d’entre nous », il est incontestablement le moins mauvais.



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