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Covid-19 rhabille les femmes!

Décidément, rien ne nous sera épargné


Covid-19 rhabille les femmes!
"Regardez-moi dans les yeux!" Garin Chadwick / Unsplash

Les premières victimes collatérales du coronavirus sont les mannequins du calendrier Pirelli, les playmates et les hôtesses des salons auto


Le Covid-19 ne renvoie pas seulement les femmes au foyer, il les empêche de poser ! S’exposer, leur est désormais formellement interdit. Le port de la blouse sera la nouvelle norme vestimentaire de l’été. Nous allons devoir nous habituer à croiser des individus gantés et masqués dans les stations balnéaires de France. Le téton libre et le bikini ravageur ne seront bientôt plus que des souvenirs comme la promiscuité du slow et le bol de cacahouètes en commun, symboles évidents d’une civilisation avancée.

Calendrier Pirelli annulé, la fin d’u(n) monde

Les intégristes de tout poil rêvaient de la combinaison intégrale, c’est un virus qui va exaucer leur phobie des corps. À la contrainte de circuler librement, s’ajoute celle de pouvoir regarder les femmes (gonflées de désir) sur la plage. Nos vacances ne ressembleront plus jamais à un tube solaire de Patrick Coutin. La notion même de congés payés n’a plus aucun intérêt. Elle perd toute sa symbolique historique. Dans ces conditions-là, nous préférons travailler soixante-dix heures par semaine et mourir au bureau. Le MEDEF a gagné la partie. En plus, il y a rupture de capotes. À quoi bon sortir couvert ? L’espoir fugace et délicieux où le dénudement chaste accompagne les premiers rayons de soleil justifiait la société du travail dans son ensemble. Il en était sa matrice. Nous acceptions d’usiner de longs mois, en serrant les dents, pour avoir enfin le droit d’observer cette lumière-là. L’érotisme était un art de vivre à la française. Il venait souvent du Sud, de Saint-Tropez à Palavas. Sur le sable, devant ce ballet enjôleur, nous oubliions, un instant, les petits chefs, les ordres contradictoires et l’absurdité de notre existence professionnelle. Ces cinq semaines arrachées au système nous permettaient de ne pas trop nous haïr. Nous étions encore des Hommes debout. Nos enfants avaient un peu d’estime pour nous. Cette année, l’été est mort au printemps. Notre tourisme et notre industrie du maillot de bain s’en remettront-ils ? 

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Ce grand mouvement de l’habillement forcé et oppresseur, vient de faire d’autres victimes, les mannequins lingerie qui se déplient d’habitude en trois volets dans les magazines. Les belles filles qui n’ont pas peur de se montrer subissent une double peine : la colère des féministes et aujourd’hui, la perte de leur emploi. Le calendrier Pirelli a annoncé l’abandon de sa prochaine édition. Depuis 1964, cet objet de tous les fantasmes n’est pas vendu dans le commerce mais envoyé gratuitement à quelques privilégiés. J’ai connu d’heureux bénéficiaires qui en étaient aussi fiers que de leur diplôme de chirurgien ou d’HEC. Mon père me disait souvent, l’humanité se partage en deux, ceux qui reçoivent le calendrier et les autres. Et dans sa voix, tous ces autres représentaient une population abandonnée à son triste sort, comme si elle n’avait pas accès à l’eau potable. L’idée d’offrir un portfolio en édition limitée revient à la succursale britannique Pirelli UK Limited qui charge Robert Freeman, le photographe des Beatles, « de réaliser le premier calendrier aux Baléares ». Que les libidineux ne se méprennent surtout pas, nous sommes assez loin de « l’esprit camionneur », gros seins et pince monseigneur à l’arrière des cabines, bien qu’un jour, il faudra écrire un essai sur cette mythologie des garages, cambouis et hypertrophie mammaire, string et huile de vidange. Le calendrier Pirelli, dans ses premières années, est « soft », on y voit des scènes dignes d’un album de Martine ou Caroline. La nudité arrivera plus tard. 

Les playmates et les hôtesses du Salon de l’auto débauchent

Dans cette longue histoire, stoppée momentanément je l’espère, je retiens deux années particulièrement évocatrices. L’édition 1969 est l’œuvre de Harri Peccinotti qui signe ici un reportage sur la Californie, ses surfeuses blondes, ses buggys et son appétit de vivre en reprenant l’esthétique du découpage en vignettes comme dans un film policier de McQueen. Et l’année suivante, la maestria des peaux perlées par Francis Giacobetti, le prince de la sensualité suffocante, dans un style volontiers plus accrocheur, avec des gros plans sur des maillots ajourés en tricot et des tee-shirts mouillés. Ces derniers jours, les mauvaises nouvelles volent en escadrille. On apprend également que le magazine Playboy profiterait de la crise sanitaire pour mettre un coup de pelle définitif à sa version papier, se recentrant sur la digitalisation et son offre numérique. L’abandon du papier est aussi obscène qu’un ex-ministre en finition manuelle. Je pourrais faire le pédant et vous parler des textes admirables de Ian Fleming ou Woody Allen lus dans les pages de Playboy, des interviews exclusives de Castro, Martin Luther King ou Frank Sinatra et même du soutien de Hugh Hefner aux jazzmen, je resterai sur l’essentiel : l’étrange et pénétrante playmate. Un tel don de soi mérite louanges et un pieux recueillement. Je retiens, là aussi, deux millésimes. 1972 sera, à jamais, marquée par l’apparition en janvier de Marilyn Cole dont la maturité explosive est un exemple de dignité pour toutes les femmes. Et puis 1974, l’année miraculeuse avec Nancy Cameron en janvier, Marylin Lange en mai, Jean Manson en août et Bebe Buell en novembre, qui valide, sans nul doute et sans débat théologique, la main de Dieu sur Terre. 

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Dans notre confinement, une dernière nouvelle nous assomme. Le salon de l’auto à Paris n’aura pas lieu cet automne. Il s’appelait depuis de nombreuses années, Mondial de l’Auto, coquetterie technocratique, je suppose. Que vont devenir toutes les hôtesses ? Elles étaient indispensables à son bon fonctionnement et à sa permanence, elles donnaient à la fadeur de certaines voitures exposées, une dimension sentimentale et une fenêtre d’évasion. Combien d’éditions ont-elles sauvé par leur indispensable présence ? Si vous pensez que je blague, je vous conseille de vous procurer le beau livre de l’allemand Werner Eisele sobrement intitulé Cars and Girls. L’ouvrage débute par des archives prises sur les stands de plusieurs salons européens. Longtemps, je me rappellerai de Turin 1971 et de deux mannequins sur la banquette arrière d’une Alfetta, elles portaient des pulls en maille à col rond et de longs cheveux bouclés. Et puis quand je repense à ces clichés du salon de Paris au tout début des années 1970, chez les Anglais d’Austin/British Leyland, un sosie de Purdey m’extrait de ma léthargie. Elles étaient des phares dans notre nuit, je ne les oublie pas.  

Cars and Girls

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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