Cette 112e édition du Tour de France qui s’est élancée samedi à Lille – et qui a donné lieu à une aussi surprenante que tendue première étape, usante mentalement pour bien des coureurs (voir encadré : Une première étape qui promet) – ne fera aucune incursion à l’étranger, contrairement à une tradition séculaire bien ancrée.
Le dernier confinement du Tour à l’intérieur de ses frontières naturelles remontait à seulement 2020 – c’était pour cause de Covid et il s’était disputé en septembre et non juillet – jusqu’alors, ses fugues hors de celles-ci étaient systématiques.
Bien que 100% hexagonal cette fois-ci, est-ce que le Tour mérite encore d’être dit « DE » et non « EN » France et, dans ce cas, le mot tour prenant le sens de virée ? Il ne s’agit pas d’un simple et futile pinaillage sémantique.
À peine née, la Grande Boucle a manifesté une appétence certaine pour l’étranger au point de devenir atavique. Cette internationalisation l’a conduit à ne plus visiter des pans entiers du territoire national au point que son parcours se réduit désormais à ne fréquenter en règle générale qu’une moitié de la France en alternance, une année l’est, l’autre l’ouest, ou un grand sud, négligeant le plus souvent le nord. Les Alpes et les Pyrénées restent cependant incontournables car sans elles il ne serait plus ce qu’il est : une épopée populaire que rien n’érode, notamment les scandales liés au dopage.
Quand l’Alsace-Lorraine était allemande
En tout, dans son histoire, le Tour cumule 188 escapades hors frontière, certaines pouvant aller jusqu’à trois étapes, comme ces trois dernières années, en 2022 au Danemark, en 2023 en Euskadi (Pays basque espagnol) et en 2024 en Italie. La prochaine édition s’élancera de Barcelone et la suivante d’Édimbourg. Ainsi ce retour à la mère-patrie n’aura été qu’un intermède…
Sa première incursion à l’étranger date de 1906 alors qu’il n’avait que quatre ans d’existence. Son créateur, Henri Desgranges, était ce qu’on dirait aujourd’hui un souverainiste de droite. Depuis 1871, l’Alsace et la Lorraine étaient allemandes. Ce qu’il n’acceptait pas. Pour marquer symboliquement qu’elle était française, il fera parcourir au peloton 70 km en territoire annexé. Les quatre années suivantes, Metz, sous tutelle germanique, sera même ville étape. Il est surprenant que Berlin ait autorisé cette manifestation d’irrédentisme affichée. Le Tour ne reviendra en Allemagne qu’en 1964 pour célébrer le traité de réconciliation entre les deux pays signé l’année précédente.
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Le Tour a toujours entretenu un discret concubinage avec la politique. Ainsi, en 1992, pour célébrer la signature du traité de Maastricht, bien que parti de Saint-Sébastien, au prix d’un long transfert, il traversera les six pays fondateurs de l’Europe (France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Luxembourg et Italie). L’Espagne avait adhéré sept ans plus tôt à l’Union européenne.
En 1994, les quatrième et cinquième étapes seront courues en Angleterre à l’occasion de l’inauguration du canal de la Manche. Vingt ans plus tôt, le Tour y avait fait une incursion d’une journée, le temps de disputer une boucle autour de Plymouth. La Grande-Bretagne avait adhéré à l’Union européenne l’année précédente. Enfin, en 1998, il se rendra en Irlande, le dernier membre de l’Europe où il ne s’était encore rendu, scellant de la sorte sa prétention à être autant européen que français.
Un détour au pays de Franco
Mais le pays qui a eu sa prédilection, c’est la Belgique. Il l’a visitée 50 fois (soit presque la moitié des éditions), vient ensuite la Suisse 37, puis l’Espagne 23. C’est en 1949 qu’il a pour la première fois franchi les Pyrénées malgré un franquisme à son apogée. Avec 18 visites, l’Allemagne ne vient qu’en quatrième position, et ce en dépit de l’amitié entre les deux pays.
En même temps, la Grande Boucle n’a pas boudé les micro-états. Le Luxembourg l’a accueillie à neuf reprises, Monaco à sept, Andorre à six, et San Marin une fois, l’an dernier. Ne manque que le Liechtenstein.
La vocation européenne du Tour est devenue patente dès 1947, après une interruption de sept années due à la Seconde guerre. Pour cette reprise, la deuxième étape s’est terminée à Bruxelles et la troisième à Luxembourg. Il reviendra en Belgique chaque année jusqu’en 1972, ce qui a frisé l’annexion.
Cette vocation sera confortée en 1954, avec le premier départ de l’étranger, à Amsterdam. Depuis il a renouvelé l’expérience 26 fois, soit un départ sur quatre et cette tendance s’accélère tant la demande des pays voisins (voire lointains comme ce fut le cas avec le Danemark) à accueillir cet événement est forte. La raison en est simple : le Tour est retransmis dans 190 pays, autrement dit dans toute la planète, l’ONU comptant 193 membres. Il y a une bonne décennie, il fut même question qu’il parte de New York.
Ce n’est pas notre faute si la France a une situation géographique exceptionnelle…
Cette européanisation, à la différence des deux autres grands tours, le Giro et la Vuelta, a été favorisée par la situation géographique de la France qui est entourée de huit pays si on compte l’Irlande et la Grande Bretagne, à la différence des deux autres qui ne partagent respectivement que trois et deux frontières.
La conséquence s’est immanquablement répercutée sur le parcours. Le Tour n’épouse plus les contours de l’Hexagone depuis le milieu des années soixante. Et l’édition de cette année est la quintessence de cette logique évolution. Son itinéraire se résume à une diagonale nord-sud avec un crochet à l’est pour ne pas faire d’infidélité aux Alpes. Les villes à la fois arrivée et départ ont disparu. Dès lors la journée d’un coureur commence par un transfert en bus vers la ville départ… Nous y reviendrons.

Cette internationalisation géographique s’est aussi accompagnée d’une forte internationalisation humaine. Nous y reviendrons aussi un peu plus tard, notamment lorsque nous évoquerons les raisons qui font qu’aucun Français ne l’a remporté depuis la victoire de Bernard Hinault il y a 40 ans. Au départ de Lille, vingt-sept nationalités y étaient représentées. Avec 38 coureurs, 20% de l’effectif, la France disposait du plus fort contingent mais aucun vainqueur potentiel.
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Une première étape qui promet Cette première étape du Tour, une boucle de 184,9 km autour de Lille, n’a pas été une formalité. Certes la victoire est revenue comme prévu à un sprinteur, le Belge Jasper Philipsen, 28 ans, de l’équipe Alpecin-Decenninck, emmené de main de maître par le petit-fils de Raymond Poulidor, Mathieu Van der Poel, et premier maillot jaune. L’équipe de Jonas Vingegaard, Visma-Lease a bike, a annoncé la couleur d’emblée : elle est venue pour gagner et mener la vie dure à ses rivaux, notamment Tadej Pogacar. Second l’an dernier, Vingegaard a été « plein d’audace », comme l’a écrit L’Equipe. D’entrée de jeu, il a été offensif, provoquant un premier écrémage et il a rendu la course particulièrement stressante et tendue nerveusement. A 17 km, profitant d’un vent soutenu de côté, avec ses équipiers faisant preuve d’une solide cohésion, il a provoqué une bordure qui a relégué à 39 secondes, le troisième favori, le champion olympique Remco Evenepoel, ainsi que quelques outsiders comme Primoz Roglic, João Almeida, Carlos Buitrago. « Oui, on s’est fait piéger, a dit Evenepoel. Ce n’est pas rédhibitoire. Le Tour est long ». Certes 39 secondes, ce n’est pas beaucoup. Mais mieux vaut les avoir à son actif qu’à son débit. Peut-être pourra-t-il les récupérer lors du premier contre la montre de Caen. A cause de sa nervosité, cette première étape a été d’emblée marquée par deux abandons sur commotion après chute, ceux de l’Italien Ganna (Ineos-Grenadiers), un dur à cuire, et du Suisse Stefan Bissegger (Décathlon-Ag2R). Et aussi par la chute cocasse de deux Français, Benjamin Thomas et Mattéo Vercher, se disputant lors de la seconde difficulté le prix du meilleur grimpeur au sprint qui est revenu au premier des deux. Quant au jeune prodige français dont on attend beaucoup, Lenny Martinez, pour une raison inexplicable, il a terminé dernier à plus de 9’11’’. Ce qui aura très certainement comme conséquence de le priver d’un top 10 auquel il pouvait aspirer pour sa première participation • RU |
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