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Pécresse: mieux vaut filer un mauvais coton qu’une mauvaise métaphore!

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Le caractère grotesque de certaines prises de parole récentes de Valérie Pécresse a de quoi dérouter. Qui aurait bien pu sérieusement anticiper que la candidate LR à l’élection présidentielle se lancerait dans une libre métaphore filée sur le thème de «Star Wars»? La faute à la dictature de la com?


Il y a comme un parfum d’Alain Juppé dans la campagne de Valérie Pécresse. En novembre 2016, on se souvient alors du « meilleur d’entre nous » lançant à la fin d’un meeting cette improbable incantation : « J’ai la pêche. Mais avec vous, c’est la super pêche ! ». Malaise dans la salle, accentué par les quelques éphèbes arborant un t-shirt « les jeunes avec Péju » frétillant sur scène pour l’occasion. Comme pour cacher la calvitie achevée de l’homme du moment, la surenchère de jeunisme dictée par des jeunes-vieux conseillers en com’ de 30 ans passés faisait l’effet de l’arrivée d’une grand-mère à une fête d’ados : on la traite avec déférence, mais tout le monde attend son départ. On connaît la suite.

Valérie Pécresse a eu plus de chance, obtenant l’investiture de son parti en vue de la magistrature suprême. Mais le ridicule consommé de ses sorties a déjà de quoi faire déchanter.

Agriculture Pride

Le 15 janvier, au sujet des politiques agricoles et de la détresse durable de la paysannerie en général, elle résumait son ambition en ces termes : « Contre l’agri-bashing, je restaurerai l’agri-fierté »[1]. Mais Valérie Pécresse nous réservait encore une bonne surprise : une métaphore filée sur le thème de « Star Wars »[2], en établissant une analogie entre chaque candidature et le titre d’un des opus de la série… la championne identifiant la sienne au « Retour du jedi ». Malaise, là encore. En l’espèce, ces sorties ne sont pas seulement minables, elles interrogent sur la substance du projet porté par la candidate : comment accorder un quelconque crédit à une vision politique dès lors qu’elle tient en quelques slogans aussi mauvais ?

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Pourtant, Valérie Pécresse n’est pas une idiote. Même les observateurs les moins bien disposés à son endroit sont forcés de le reconnaître. Et s’il est devenu de bon ton de critiquer l’ENA, c’est vite oublier aussi que les grands corps de l’État requièrent de la part de leurs membres une haute technicité administrative et juridique. Le passage par le Conseil d’État de Valérie Pécresse ne laisse pas de doute à ce sujet : la sécheresse juridique de ses quelques 380 conclusions produites entre 1995 et 1998 pour cette instance n’en dissimule pas moins la rigueur de haute volée. On est dès lors pris par un nouveau doute : comment une personne semble-t-il si compétente dans son domaine d’expertise et rodée à la prise de parole publique est-elle capable d’aligner des saillies aussi navrantes ?

La com reine (Leila ?)

Qu’un robinet d’eau tiède comme Valérie Pécresse peine à faire décoller sa campagne, personne ne s’en étonnera vraiment. Elle n’a jamais su faire le « show », comme Nicolas Sarkozy en son temps, et sa victoire surprise aux régionales de 2015 tenait avant tout à la nullité abyssale de son rival, Claude Bartolone. Mais on est sincèrement pris d’angoisse à l’idée qu’elle puisse déblatérer de telles inanités face caméra sans être débranchée par personne. Et là où en direct le « dérapage », comme l’on dit, a pour lui l’alibi de l’improvisation, ces formules prémâchées laissent d’autant plus perplexes qu’on les sait passées au tamis des incessants « brainstormings » d’une équipe de campagne. 

Certes les problèmes éminemment politiques de l’âge de départ à la retraite, de la fiscalité ou encore des politiques agricoles ou énergétiques (encore que cette dernière question se soit étonnement retrouvée récemment sous les projecteurs avec le nucléaire) sont peu à même de déchaîner les foules, en dépit de leur importance. Reste que dans l’organisation pyramidale d’une équipe de campagne que peut encore mettre sur pied un parti « à l’ancienne » comme LR s’affairent une multitude de « pôles de réflexions », produisant des notes en pagaille, elles-mêmes censées se décanter en un programme prétendant répondre à tous les problèmes du pays ; des ronds-points à la stratégie de défense. Or précisément, ici mieux qu’ailleurs, on ne connaît que trop cette injustice : la corrélation entre « l’expertise » d’un programme et sa faculté à gagner la sympathie des électeurs est nulle. 

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Là se situe une part du problème : même de projet politique, chez Valérie Pécresse, il n’y en a point. Le parti se contente de recycler des antiennes de la droite business telles que la suppression des fonctionnaires (lesquels ? comment ?) et la rigueur budgétaire. Bref, c’est le programme d’un comptable, sans vision charnelle du pays ni orientations de société. De ce fait, il n’y a rien qui puisse donner du grain à moudre aux trolls d’internet autrement que par la moquerie. À cet égard, les saillies de Valérie Pécresse sont probablement à lire comme la navrante tentative de contrefeu encouragée par les équipes de com’ face au caractère fade et insubstantiel de la championne. Il n’y a au reste pas l’ombre d’un narratif à broder autour de la vie rangée de cette femme de Neuilly qui tente de dissimuler les crocs de son ambition derrière une solidarité féminine de circonstance face à Jean-Jacques Bourdin. Ça ne coûte rien, mais qui y croit ? Ou quand la marquise de Pompadour tente une Jeanne d’Arc. Tout sonne faux. Ne reçoit pas la visite de l’ange qui veut. Il n’y a rien à aimer chez Valérie Pécresse, mais, et peut-être est-ce pire encore, il n’y a rien à détester non plus.

Cataplasme sur jambe de bois !

Or voilà encore ce que l’on ne peut pas pardonner à un politique, moins aujourd’hui qu’hier : l’inauthenticité. Dès lors que la faculté d’attention du citoyen s’est habituée au format TikTok de 45 secondes, ce sont les « coups de sang » et les formules bien senties qui créent la sympathie ou le rejet. Ne pas avoir d’idées est excusable en politique (dans certains cas, cela peut même être un avantage), et Valérie Pécresse n’est certes pas embarrassée par ce fardeau. Ne pas être « authentique », ne pas être « entier » est en revanche le pire des péchés. C’est tout le drame de ceux qui, comme Valérie Pécresse, ne sont mus par rien, et qui, s’aventurant sur le terrain escarpé des passions humaines, sont incapables de jouer une comédie dont ils n’ont pas même lu le résumé. La candidate peut bien se payer les services de l’acteur Benoît Soles pour travailler sa geste, l’effet cataplasme sur une jambe de bois est garanti. En la matière, et à la différence de la préparation d’un programme, on ne peut pas déléguer à des experts le souci de son « authenticité », précisément par ce que cela ne constitue pas un domaine d’expertise. On pourra faire turbiner tant qu’on voudra des « jeunes » pour lui donner « les codes de la culture web », rien n’y fera si elle continue de les prendre pour un arrêt de la Cour de Cassation à commenter. Sa dernière prestation au Zénith, le 13 février, avait déjà un parfum crépusculaire. Ah ! que ce serait plus simple s’il suffisait de repasser son épreuve de finances publiques pour être présidente


[1] https://twitter.com/vpecresse/status/1482419813469200396

[2] https://www.youtube.com/watch?v=cKxXz4DTn6k

Preuillaciens, Preuillaciennes, aux urnes!

La Campagne de France, de Sylvain Descloux


La Campagne de France : avec un tel titre, on pouvait s’attendre à tout. C’est l’avantage d’aller voir un film avant sa sortie en salles proprement dite, sans savoir de quoi il parle, comment, par qui et peut-être même pour qui. En ignorant jusqu’à sa nature : fiction ou documentaire ? Cinéma du vrai-mentir ou du mentir-vrai ? De quoi serait-il donc question derrière ce titre attrape-tout qui pourrait tout aussi bien cacher un énième film de guerre, une ritournelle sur le monde paysan ou bien encore une nouvelle « partie de campagne » comme celle, absolument formidable, que Raymond Depardon avait consacrée en son temps à la campagne présidentielle de Giscard d’Estaing en 1974 ? La troisième hypothèse est la bonne, mâtinée d’un peu de la seconde : La Campagne de France de Sylvain Descloux raconte, sous la forme documentaire, la dernière campagne municipale dans un petit village rural d’Indre-et-Loire, Preuilly-sur-Claise. Avec comme une ombre tutélaire, un fantôme cinématographique bienveillant et rassurant jamais évoqué de façon explicite, le frétillant film du non moins frétillant réac Éric Rohmer : L’Arbre, le Maire et la Médiathèque. En 1993, il y était déjà question d’écologie, de technocratie, de débat public et autre « démocratie participative » appliquée à l’échelon local. Luchini y faisait des merveilles en instit vert. Et Pascal Greggory incarnait à la perfection un élu socialiste prêt à tout pour promouvoir le bonheur pour tous et contre chacun par conséquent. Sans jamais en être le décalque documentaire, le film de Sylvain Descloux fait régulièrement songer à la fable de Rohmer, preuve si besoin était que ce dernier n’était en rien un cinéaste déconnecté de son époque et assigné aux seules intermittences des cœurs adolescents.

© The Jokers

Dans La Campagne de France, on assiste donc au combat que se livrent trois listes pour prendre la mairie du village, alors que le sortant ne se représente pas. Ce n’est pas le bon, la brute et le truand. Ce serait plutôt le ravi, le borné et le gros malin. Et les duels ne se font pas au soleil mais à fleurets mouchetés quand on se croise dans les rues pour faire du porte-à-porte. La « vedette » presque involontaire du film, c’est l’un des trois, le ravi, Mathieu (38 ans), certes natif du pays mais qui n’est revenu s’y installer que depuis deux ans tout auréolé, croit-il, de son statut de normalien « consultant en intelligence » et fondateur d’une start-up (évidemment !). C’est un doux mélange de Cédric Villani, du professeur Tryphon Tournesol et d’un naïf aussi définitif que handicapé du sentiment. Pendant que son père, sa seule boussole, se meurt dans un Ehpad, il fait campagne affublé de Guy, septuagénaire à l’exact opposé de lui : extraverti, tonitruant, danseur, maniant le cor de chasse comme personne et nostalgique du tandem Tapie-Mitterrand. Bref, une alliance improbable que les « Preuillaciens, Preuillaciennes » considèrent d’un œil circonspect. Mais, au-delà de ces deux quasi-caricatures, le film se fait plus acide encore quand il montre par exemple les ravages d’une communication politique au rabais avec la scène fabuleuse de l’apposition sur les panneaux électoraux des trois affiches des trois listes en présence : visuellement elles sont strictement identiques et leur slogan respectif d’une merveilleuse redondance. Mais le meilleur est encore ailleurs. Au cours d’une scène où l’une des trois listes (peu importe laquelle tant le « bonnet blanc et blanc bonnet » semble ici la règle du jeu) organise une réunion publique avec la fameuse « démocratie participative » en sautoir, une semaine avant le premier tour. Résultat ubuesque : de futurs élus potentiels qui, au nom de cette fumisterie participative, ne présentent aucun programme mais se tournent vers les électeurs pour leur demander le leur, prêts à l’adopter pour combler leur propre vide. C’est en tous points sidérant, comme le chant du cygne d’un discours politique qui a su théoriser son impuissance par un retournement dialectique où le citoyen devient le responsable de l’échec de ceux qui veulent exercer le pouvoir sans en subir les inconvénients. Au bout du compte, qui l’emporte ? On est soulagé de voir qu’au moins, c’est celui qui, retors mais lucide, ne fait pas prendre à ses concitoyens des vessies de bobos pour des lanternes républicaines.


Le capitalisme vainqueur par KO(VID)

La crise du Covid, comme toutes les précédentes, démontre l’extraordinaire souplesse du système capitaliste, qu’il soit d’obédience américaine ou désormais chinoise. Et aucune réelle alternative n’existe pour affronter les défis à venir. Un nouveau paradigme ?


C’est aux États-Unis ou en Angleterre que le Big Pharma à gros cigare a développé, en douze mois, des vaccins efficaces pour désengorger les réanimations des hôpitaux. Nouvelle désillusion Place du Colonel-Fabien, ce n’est pas la bureaucratie des ARS qui nous a tirés d’affaire. Pire système économique, à l’exception bien sûr de tous les autres, le capitalisme-roi s’est même offert le luxe de tourner au ralenti afin de préserver la santé de ses sujets. Un gigantesque édredon rempli de billets émis par les banques centrales a recouvert les pays les plus riches, leur permettant de survivre à une crise d’une intensité inouïe. Les producteurs et consommateurs sont chinois, européens, américains ou indiens, car les inféodés au libre marché résident désormais aux quatre coins de la planète. Depuis la chute du mur de Berlin, l’essentiel de l’humanité – Éthiopie comprise – s’est librement rallié à son panache.

Trente ans après la disparition de « Checkpoint Charlie », les alternatives totales au capitalisme ne mobilisent plus que des franges marginales de l’intelligentsia

N’en déplaise à Mélenchon ou aux décroissants écolos, le capitalisme fait pratiquement l’unanimité sur terre : chaque tweet vaut plébiscite pour un système sans lequel ni le web, ni les réseaux sociaux n’auraient jamais existé. L’humanité vote chaque jour pour l’économie de marché en consommant sur Alibaba ou Amazon (et en allant au boulot quand elle en a un). Le milliard d’Homo sapiens que la mondialisation a sortis de l’extrême pauvreté n’aspirent (nullement à la décroissance. Pas plus que les milliards d’autres qui se sont enrichis au cours des trente dernières années. Rappelons que 10 % seulement de la population mondiale est réputé vivre en dessous du seuil de pauvreté, c’est beaucoup en valeur (736 millions), mais laisse tout de même 7 milliards de Terriens nourris, dont plus de 5 milliards le sont suffisamment pour s’équiper d’un téléphone connecté.

L’empire du Milieu, nouvel ennemi systémique

Nul ne rira du déclassement dramatique, dans les pays occidentaux, des classes populaires et moyennes, victimes collatérales du capitalisme globalisé. Fait politique majeur chez nous, les déclassés revêtent des gilets jaunes ou élisent Trump – avec d’assez bonnes raisons de leur point de vue. Mais que pèsent pourtant dans la marche du monde ces 60 ou 100 millions de perdants face aux milliards de gagnants ? Ils peuvent certes semer le chaos en France ou aux États-Unis, mais de là à faire renoncer les Chinois à la propriété privée des moyens de production… Un scénario néanmoins à tester, notamment en fin de repas, car il est de nature à dérider tout un bus de dignitaires sino-communistes.

Pour les Américains, l’empire du Milieu a désormais pris la place de l’ex-Union soviétique dans le rôle de l’ennemi systémique. Mais, contrairement aux membres du Politburo moscovite, Chinois et Américains partagent à présent le même attachement à l’économie de marché – attention, c’est assez technique, mais en gros, ça les arrange à cause de l’argent. La question capitaliste ne fait donc débat que dans les cercles restreints d’intellectuels marxistes repeints en vert ou au sein d’une jeunesse occidentale éprise de Greta Thunberg. Ce qui est en jeu, ce n’est plus le modèle économique, mais son mode de gouvernance : démocratique à la mode occidentale ou à parti unique, façon Pékin. Jusqu’à présent, la voie démocratique semblait sans rivale. Mais l’Occident, épuisé, paraît saisi d’un doute. L’intérêt général ne serait-il pas mieux pris en compte par ce PC chinois qui a remplacé la dictature du prolétariat par celle des contrôleurs de gestion ? Tandis que le wokisme archipellisé de nos belles contrées semble, au contraire, bien décidé à torpiller le bien commun.

Convulsions

Il existe pourtant un précédent historique à cet alignement capitaliste des États-Unis et de leur ennemi du moment. De 1933 à 1945, l’Allemagne nazie fut tout à la fois une économie de marché et le bourreau, entre autres, des démocraties occidentales. De là à dire que les Chinois sont des nazis qui ont réussi, il n’y a qu’un pas, sans doute trop polémique pour être franchi. On concédera toutefois que la principale leçon n’est pas là. Les exemples teutons et chinois démontrent avant tout que le capitalisme n’a nul besoin de la démocratie ni des droits de l’homme pour s’épanouir, mais que ce tandem indispensable à nos droits fondamentaux ne saurait, lui, fleurir sans le capitalisme. À ceux qui s’étoufferont de rage (et de désespoir) face à un tel constat, je suggère de chercher un pays qui aurait été respectueux des libertés individuelles dans le cadre d’une économie régie par un autre dogme que celui du doux commerce (écrire au journal qui fera suivre, ça m’intéresse vivement).

Le capitalisme a déjà fait face à de nombreuses convulsions. Lors des dépressions précédentes – 1974, 1929, 1873 et tous les soubresauts antérieurs, du papier monnaie de John Law aux tulipes hollandaises –, des alternatives ont pu être légitimement présentées comme enviables. Aux jeunes heures de la révolution industrielle, le fantasme d’un retour à la terre et à une société préindustrielle a pu jouer ce rôle. À l’affût de la crise ultime (et reconnaissant inlassablement celle-ci à chaque chaos), c’est évidemment Marx qui a offert à partir de 1848 la solution de rechange la plus crédible – et la plus coûteuse en millions de vies broyées. Une hypothèse communiste tellement séduisante qu’elle ébranla les élites occidentales dont une partie ne fut dessillée qu’à regret, en 1989. Trente ans après la disparition de « Checkpoint Charlie », les alternatives totales au capitalisme ne mobilisent plus que des franges marginales de l’intelligentsia. La liste de ceux qui ne prônent pas son adaptation mais une rupture complète peut être rapidement dressée.

L’écologie citoyenne solidaire, décroissante et neuneu s’attire bien quelques sympathies théoriques, mais la crise du Covid a non seulement ridiculisé les professeurs Septimus en tout genre, mais aussi redoré le blason moral du grand capital – qui a pris un risque énorme en acceptant de bonne grâce sa mise à l’arrêt partiel. On a surtout bien perçu l’attachement des foules à la croissance et leur terreur à l’idée que leur pouvoir d’achat pourrait (horreur !) chuter. Les décroissants avancent chez nous plus volontiers masqués – fermez Fessenheim, tout va bien se passer (il y aura peut-être des coupures au fait cet hiver, on ne vous l’avait pas dit ?). L’écologie solidaire, c’est l’URSS sans Tchernobyl (sans rien du tout même), mais avec des goulags pour les mâles blancs hétéros. En Chine, silence radio des décroissants. Les types comme Yves Cochet doivent faire des belotes dans des camps ouïgours, en tout cas, ils ne semblent pas avoir l’oreille de Xi Jinping.

Le capitalisme, merveille d’adaptation darwinienne

L’intelligence artificielle pourrait, sur le papier, ressusciter l’hypothèse communiste le jour où elle se verrait confier tous les moyens de production – c’est la thèse d’un auteur comme Antoine Buéno. Entièrement autonome et automatisé, le système économique disqualifierait toute propriété privée. Intellectuellement stimulante, cette conjecture ne présente cependant pas encore de candidat aux différentes élections.

Si l’on fait l’impasse sur le paradigme bolivarien cher au trio Maduro-Chavez-Mélenchon, reste comme option le djihadisme et la société talibane – écologiquement responsable, surtout si on se chauffe aux opposants. Les foules musulmanes lorgnent toutefois, on le sent, vers une approche conforme au modèle du centre commercial géant de type Dubaï, plutôt que vers les grottes de Tora Bora (même en all inclusive).

Le capitalisme, merveille d’adaptation darwinienne, se trouve ainsi dans une situation de monopole désormais singulière – ce qui ne constitue pas un brevet de moralité, encore moins de perfection. Mais c’est le gage de l’extraordinaire confiance endogène d’une organisation économique qui a permis de nourrir, satisfaire et développer Homo sapiens au-delà de toute espérance. Si le système n’a pas été conçu par quelque esprit diabolique pour détruire la planète, cet épuisement des ressources naturelles ne peut laisser personne indifférent. Il s’agit, en somme, de la rançon du succès. Mais, tel le Covid, le libéralisme n’a aucun intérêt à faire mourir son hôte – l’homme ou Gaïa.

Loin d’être l’ultime convulsion du capitalisme à face de hyène, les crises de 2008 et de 2020 ont renforcé sa confiance. Sans concurrent sérieux, voire populaire, avec l’appui d’États et de banques centrales ouvertement favorables à sa cause, aucune difficulté ne lui semble insurmontable. Des chercheurs et des entrepreneurs s’allient partout pour faire face aux défis colossaux de la digitalisation du monde et de l’iconique transition écologique. Peut-être sont-ils inconscients de sous-estimer à ce point les écueils technologiques, la dette, l’inflation et plus encore, les chaudrons ukrainiens, iraniens et taïwanais. Même la guerre sino-américaine qui couve ne semble pas les inquiéter plus que cela. Ils n’y croient tout simplement pas. Tout psychologue expliquera à son patient que la certitude de surmonter un obstacle augmente fortement la probabilité d’y parvenir. Surtout pour un système qui les franchit allégrement depuis deux cents ans et qui le sait.

Une classe politique qui manque singulièrement de classe

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Tout le monde se réclame de De Gaulle — mais qui lui arrive à la cheville ? Peut-être avons-nous le personnel politique que nous méritons, et ce n’est pas encourageant.

Je lisais ces jours-ci les Derniers jours des fauves, l’excellent roman de Jérôme Leroy que Frédéric Ferney a chroniqué dans le dernier numéro de Causeur. L’action se déroule dans une France qui ressemble fort à la nôtre, à quelques détails près : ce n’est pas un sémillant quadragénaire mariée à une alerte sexagénaire qui est au pouvoir, mais une cougar, comme on dit chez les pornographes, qui a épousé un gentil poète de 25 ans son cadet. Les ministres qui l’entourent s’entre-déchirent, dès qu’ils ont vent de la décision de la dame, minée par les manifestations, les attentats, la canicule et les derniers feux d’automne de sa libido, de ne pas se représenter à la présidentielle à venir. Le ministre de l’Intérieur, en particulier, fomente quelques actions d’éclat particulièrement sanglantes, et bon nombre de gentils hurluberlus et d’hommes et de femmes de main impitoyables seront broyés par des machinations toutes plus tordues les unes que les autres.

Les hommes politiques n’ont rien de miraculeux : ils sont le reflet et le produit de l’état de leur pays. Nous méritons Macron et ses petits marquis

Si vous n’avez pas compris qu’il faut le lire d’extrême urgence, c’est que je me suis mal exprimé.

Le roman m’a incité à peser et soupeser cette classe politique qui se dispute aujourd’hui les suffrages à venir, hante les plateaux télé, et se répand en considérations solennelles et oiseuses sur la sécurité, l’immigration, l’écologie et le déclin de la France, sans voir qu’elle est en tous points l’expression de ce déclin : voilà déjà une bonne trentaine d’années que bien peu de politiciens passent la barre, si je puis dire.

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Que Valérie Pécresse ne soit pas une oratrice naturelle, soit — et si les défections suivent leur pente actuelle, LR sera ventilé à tous les horizons dès la fin de la campagne. Que Marine Le Pen soit désormais une centriste prudente (pléonasme !) et non une femme de droite extrême, j’y consens, même si la stratégie de la prudence n’a jamais donné de bons résultats en période de crise. Qu’Eric Zemmour prétende être un homme cultivé peut faire sourire : il suffit ces temps-ci d’affirmer imprudemment deux ou trois contre-vérités historiques pour passer pour un puits de culture.

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01060914_000004

C’est que la culture est la grande oubliée de cette campagne, comme de toutes celles qui l’ont précédée : rappelez-vous la sortie d’une grande intelligence de Nicolas Sarkozy sur l’inutilité de lire la Princesse de Clèves. Dès lors, dans un pays où l’on n’apprend plus grand-chose à l’école, vous pouvez bien dire ce qui vous chante, personne ne vous contredira.

Que Fabien Roussel ait requinqué le Parti Communiste, héritier pourtant d’une histoire peu présentable, en faisant la promotion du steak-frites et du camembert est presque comique : la France a divorcé depuis lurette de ses productions paysannes emblématiques, et se nourrit de pizzas surgelées consommées par des ectoplasmes vautrés sur leur canapé devant une télévision qui déverse de l’abrutissement en continu. Je ne parlerai que pour mémoire des écologistes, dont Sandrine Rousseau est le parangon et la caricature en même temps. Quant à la gauche, elle est si pressée de perdre que ses anciens poids lourds se dispersent façon puzzle en affichant leur soutien qui à Mélenchon, qui à Macron.

Mon père, qui fut flic dans mon enfance, a repris des études sur le tard et il est devenu professeur d’université (et premier président de l’université de Corse, qu’il a créée de toutes pièces) après avoir soutenu une thèse sur le Cardinal de Retz, le plus fameux intrigant du XVIIe siècle — et un mémorialiste remarquable. J’ai baigné, dès mon adolescence, dans les complots et les conflits vertigineux qui jalonnèrent les années 1630-1660, de Richelieu à Colbert en passant par Mazarin : la chance de la France du « grand siècle » fut d’avoir à sa tête, successivement, trois puissants esprits qui gagnèrent la Guerre de Trente ans en affaiblissant à jamais l’Espagne et qui, mieux encore, gagnèrent la paix.

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Qui ne sait que Richelieu fut certainement l’un des modèles de De Gaulle ? Qui s’étonnera que Retz ait été une lecture de base, souvent citée, de François Mitterrand, le dernier des vrais fauves — pour reprendre le titre de Jérôme Leroy — de la politique française ?

C’est l’inconvénient d’avoir été exposé jeune à des œuvres et des hommes de premier plan. Ce qui suit paraît inférieur, et même dérisoire ; Laissez tomber le Suicide français et lisez donc les Mémoires de Retz, qui fomenta une révolution et manqua de renverser la royauté.

Les hommes politiques n’ont rien de miraculeux : ils sont le reflet et le produit de l’état de leur pays. Nous méritons Macron et ses petits marquis. Les Etats-Unis, cette première puissance pourrissante, mérite Trump, tweetos en chef, ou Biden, le sénile devenu roi. La Russie ou la Chine, pendant ce temps, ont produit Vladimir Poutine et Xi Jinping. Les événements d’Ukraine, cette partie de poker menteur que le président russe, qui ne veut surtout pas que l’Otan frappe à sa porte, est en train de remporter, sont l’illustration exemplaire de mon propos. Et l’insistance des médias français pour nous faire savoir que Macron a téléphoné au tsar est presque comique. Ça me rappelle l’époque où, non sans raison, Mitterrand qualifiait Giscard de « petit télégraphiste de Varsovie » parce que le président de la République s’était glorifié d’un message de Leonid Brejnev faisant état d’un retrait (qui s’avéra factice) des troupes russes hors d’Afghanistan. Une vanne qui trouva un écho avec le « barreur de petit temps », titre de gloire dont Roland Dumas avait affublé Michel Rocard.  Ou, plus près de nous, rappelez-vous cette étiquette de « capitaine de pédalo dans la saison des tempêtes » que Mélenchon avait collée sur le front de Hollande.

Notre personnel politique est exsangue parce que notre pays est à bout de souffle. Les projets des uns et des autres sont accablants de pauvreté : qui parle vraiment de réindustrialiser la France, de maîtriser le libéralisme et la mondialisation, qui parle de réorienter le système éducatif, qui parle de grandeur et de destin ? Dans ce pays qui jadis engendra les Lumières, nous n’avons plus droit qu’à des lumignons, des vers luisants qui s’agitent pour faire croire qu’ils sont des feux d’artifice. Rendez-nous Retz, rendez-nous Richelieu et Mazarin, rendez-nous Napoléon ou Clemenceau. Mais ne prétendez pas être des hommes ou des femmes providentiels — ou alors, il y a de quoi répudier à jamais la Providence. Un pays qui produit tant de petits hommes ne sera plus jamais grand. L’offre politique de cette campagne est à hauteur de nains.

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Qui sont les vrais musulmans républicains?

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Les vrais musulmans républicains ne sont pas ceux qui prétendent que l’islam serait compatible avec la République, mais ceux qui ont l’honnêteté d’admettre qu’il ne l’est pas, et le courage d’œuvrer à ce qu’il le devienne. Ces derniers jours viennent d’en apporter une nouvelle illustration.


Mohamed Louizi et Amine Elbahi sont tous deux Français, et tous deux musulmans.

Tous deux sont menacés et harcelés par des islamistes, le premier pour son action de longue date contre les Frères Musulmans et leurs réseaux, le second pour avoir contribué à dénoncer l’emprise islamiste sur Roubaix dans le reportage de « Zone Interdite » diffusé le 23 janvier. Tous deux ont maintenant choisi de s’engager dans le débat électoral, Mohamed Louizi en soutenant publiquement Eric Zemmour, Amine Elbahi en choisissant Valérie Pécresse, obtenant l’investiture de LR pour les prochaines législatives. On aimerait s’arrêter là et se réjouir : aucun parti n’a le monopole du cœur, et aucun parti n’a le monopole des cœurs valeureux. Mais les choses, hélas, sont un peu plus compliquées.

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Histoires de compatibilité

Laissons de côté le passé, même récent, d’Amine Elbahi. Il aura, n’en doutons pas, l’occasion de s’en expliquer dans les prochaines semaines. Ses critiques contre Lydia Guirous lorsqu’en 2014 elle fut l’une des premières – voire la première – à oser dénoncer l’islamisme qui gangrenait Roubaix. Son action pour le rapatriement de la jihadiste Mélina Boughedir. Son soutien à la liste « Roubaix en commun » en 2020, etc. Tout le monde peut faire des erreurs, encore faut-il les reconnaître. Mais ce sont surtout ses toutes récentes déclarations qui interrogent, comme lorsqu’il évoquait pour le reportage de M6 « un certain islamisme », étonnante expression. Et plus encore celle-ci, à la matinale de Jean-Rémi Baudot dimanche 20 février : « l’islam est parfaitement compatible avec la République. »

Voilà une affirmation pour le moins discutable ! On peut bien sûr débattre de ce que recouvre précisément le terme d’islam, mais convenons que par défaut, dans le contexte français, il s’agit de l’islam sunnite des 4 madhhabs orthodoxes, dont se revendiquent la quasi-totalité des lieux de culte musulmans présents sur notre territoire. Or, pour ne mentionner que ce point parmi beaucoup d’autres, ainsi que le rappelait en 2016 l’actuel Grand Imam d’Al-Azhar, ces quatre courants sont unanimes pour demander la mise à mort des apostats, s’opposant ainsi de la manière la plus radicale possible à la liberté de conscience, qui est pourtant l’un des principes les plus fondamentaux de la République française. Comment les deux pourraient-ils être compatibles ?

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Impressionnant contraste avec le commentaire fait le même jour par Mohamed Louizi : « L’islam tel que nous le connaissons, tel qu’il a été construit depuis le 8 juin 632, n’est compatible ni avec la démocratie, ni avec la République » ajoutant – et ce n’est pas une vantardise de sa part – qu’il travaille depuis des années à proposer une réforme de l’islam qui puisse justement le rendre compatible avec la République, et plus largement la démocratie et les bases les plus élémentaires d’une morale digne de ce nom.

Amine Elbahi appartient à la confrérie des croyants de la « tenaille identitaire »

Nous avons donc d’un côté, l’affirmation qu’il n’y aurait avec l’islam et dans l’islam aucun problème de fond, et de l’autre la conscience de ce problème et la volonté de le résoudre.

Prétendre que « l’islam est parfaitement compatible avec la République » est un déni de réalité dangereux : il fragilise l’action des réformateurs de l’islam en sous-entendant que ce travail de réforme serait finalement inutile ; il encourage les musulmans à se complaire dans la situation actuelle et, puisqu’il n’y aurait pas de problème avec l’islam, à en délégitimer toute critique et à se victimiser face à ces critiques ; il favorise la diffusion du poison islamiste parmi les musulmans en prétendant que l’entièreté de l’islam serait légitime, y compris donc ce qu’il y a de plus islamiste dans l’islam ; et enfin il incite les non-musulmans à baisser la garde face à l’islamisation, voire tente de les pousser moralement et politiquement à l’accepter sans réagir. Ainsi lorsqu’Amine Elbahi prétend que « les islamistes et l’extrême-droite sont dans le même camp », rhétorique bien connue et aussi fallacieuse que de renvoyer dos-à-dos Hitler et Churchill sous prétexte qu’ils sont tous les deux dans une logique d’affrontement, ou qu’ils ont la même vision de ce qu’est réellement le nazisme –  « oubliant » opportunément que l’un veut l’imposer au monde quand l’autre le combat.

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Il faut se souvenir de l’admirable « Lettre ouverte au monde musulman » d’Abdennour Bidar, qui écrivait en 2014 : « tu (il s’adresse ici au monde musulman) te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi et surtout la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner alors que ce moment aurait été une occasion historique de te remettre en question ! (….) Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal ! »

Mohamed Louizi offre 122 propositions

En effet, l’islam ne cessera pas d’engendrer des monstres tant que les musulmans ne s’attaqueront pas à la racine du mal, et si le rôle de l’Etat n’est évidemment pas de faire ce travail à leur place, il est néanmoins d’en affirmer l’absolue nécessité, de l’imposer aux musulmans de France dans leur ensemble avec toute la force de la loi, et de soutenir sans réserve ceux qui s’y attellent honnêtement, ici ou ailleurs – je pense à Yadh Ben Achour, à Razika Adnani, et d’autres.

Mohamed Louizi a publié dans le cadre de la campagne présidentielle 122 propositions allant dans ce sens : si l’on veut trouver un espoir pour que l’islam puisse un jour devenir autre chose que l’islamisme, et qu’il mérite ce jour-là d’avoir une place dans la République, c’est assurément dans cette direction qu’il faut chercher.

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Les toqués de TikTok

Une TikTokeuse américaine fait actuellement un tabac sur la plateforme chinoise, en prétendant démonter les thèses de l’histoire universitaire. Mais est-ce une opération de sabotage historique, ou une série de canulars? À l’ère du wokisme, il devient difficile de faire la distinction entre les deux.


Avec 95000 abonnés et 1,7 million de « likes », une influenceuse connue pour réaliser de courtes vidéos sur l’histoire, mises en ligne sur la plate-forme chinoise TikTok, a suscité la controverse et irrité bon nombre d’historiens en affirmant que la Rome antique, telle qu’elle nous est enseignée aujourd’hui, n’a jamais existé. 

Le 16 novembre 2021, @momllenial, qui prétend avoir commencé un diplôme en anthropologie, archéologie et histoire qu’elle n’a jamais terminé, a posté une vidéo de trois minutes sous le titre, « La « Rome antique » n’est pas réelle ».  

Son succès, fulgurant, a généré des réponses indignées auxquelles elle a pris le soin de répondre avec un aplomb aussi hilarant que désarmant. Selon elle, tout ce que nous avons appris à l’école n’est que « le fruit de l’imagination de l’inquisition espagnole », pendant qu’il n’existe aucun « document romain ou certifié comme tel » apportant la preuve de l’existence de l’empire romain. Le mur d’Hadrien ? « Une route qui n’a jamais été une vraie construction » rétorque cette historienne 2.0. Elle prétend qu’il y a des « lacunes énormes dans les archives archéologiques et que seule la Grèce a été un acteur puissant d’une période comprise entre le IVème et second siècle avant Jésus-Christ ». Adoptant une posture apparemment conspirationniste, elle affirme que l’invention de la Rome antique est le résultat d’un complot de l’Église catholique. Assez brouillonne pourtant dans ses réflexions, elle reconnaît enfin que Rome a bien été un empire, mais d’ordre « culturel et économique », comme celui de Disney…

À lire ensuite: La macronie à la conquête de TikTok: entre triomphes et flops

Bien que certains internautes semblent approuver son travail, les réactions critiques n’ont pas tardé : la TikTokeuse est ainsi accusée d’agir comme un « vulgaire troll », d’avancer des sources plus que douteuses ou de faire du « wokisme » historique. Maxwell T. Paule, professeur d’études anciennes à l’Earlham College, situé dans l’état de l’Indiana, dont le compte TikTok est suivi par presque 150000 personnes et a engrangé 3,7 millions de « likes », a décidé de démonter la thèse de @momllenial en produisant des preuves irréfutables de l’existence de Rome, notamment un document écrit en latin mais dont elle prétend que c’est du grec. Tout en la qualifiant de « théoricienne du complot »

@momllenial a fait une spécialité de ce genre de vidéo. En juin 2021, elle en a posté une autre où elle remettait en cause le « genre » d’Alexandre le Grand qui serait, selon elle, une femme et non un homme. Dans une autre, publiée fin octobre, elle a suggéré que le nom « Jésus-Christ » veut dire « guérisseur de clitoris ». Cette vidéo a quand même fait l’objet de presque 45000 « likes ». 

@momllenial est-elle sérieuse ou s’agit-il d’une série de canulars ? Jusqu’en 2014, la même personne, a publié des articles traitant de la science-fiction ou des passe-temps sur le site du média numérique américain, Buzzfeed, sous le nom de Donna Dickens. Dans ses vidéos actuelles consacrées prétendument à l’histoire, elle se met en scène avec un maquillage fantaisiste de petite fille qui assiste à une fête d’anniversaire. Pas de quoi renforcer des prétentions de chercheuse universitaire… Ce qui semble la motiver, c’est surtout le désir d’attirer l’attention, et on ne peut pas nier qu’elle a réussi.

S’il y a un problème, c’est d’abord que le chemin de la célébrité passe aujourd’hui par ce qu’on peut appeler la « fake history » (comme il y a les « fake news ») ; et ensuite, que les utilisateurs de TikTok, qui sont majoritairement des jeunes, consomment de telles fariboles au risque un jour de ne plus savoir distinguer entre le vrai et le faux.

Baie du Mont-Saint-Michel: la marée montante

En Normandie, terre traditionnellement peu favorable à la droite radicale, Eric Zemmour avait donné rendez-vous à ses militants devant le Mont-Saint-Michel. Le discours du candidat « Netflix », désormais placé au second tour par certains sondeurs, a dû être avancé à cause de la tempête Eunice, mais Causeur n’en a pas manqué une miette.


Après le périple parisien de dimanche dernier, et l’infiltration de votre serviteur parmi les jeunes avec Pécresse, je me demandais comment je pouvais agrémenter le week-end suivant. Rien de palpitant à l’horizon, jusqu’à ce que je ne reçoive jeudi un mail m’invitant à participer au meeting d’Éric Zemmour au Mont-Saint-Michel.

Ouh, la gadoue la gadoue…

Ni une ni deux, je franchis le Couesnon, petit fleuve qui sépare la Bretagne de la Normandie et dont l’embouchure a décidé, à six kilomètres près, de placer la huitième merveille du monde dans l’escarcelle normande. Les pieds dans la gadoue, munis d’une paire de bottes pour les plus prévoyants, un petit millier de militants sympathisants s’étaient retrouvés au pied du Mont, où l’on aurait vite fait de se sentir à la place de Pierre Richard en certains endroits.

D.R.

Un discours aux accents mystiques

Les références cinématographiques semblent d’ailleurs avoir été mobilisées à bon escient par l’équipe de « Reconquête! » ; quand est présentée la nouvelle recrue, Nicolas Bay, régional de l’étape et accusé par son ancien parti le RN d’espionnage au terme d’une semaine agitée, c’est le générique de James Bond qui retentit. Avec le vent à décorner les bœufs qui balayait la baie (le meeting a été avancé de quelques heures pour éviter l’averse promise pour l’après-midi), on pouvait même parler d’espion venu du froid.

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La photographie de campagne au Mont-Saint-Michel est plus ou moins une figure imposée pour tout candidat de droite qui se respecte, de Balladur en 1995 à Sarkozy en 2007. Le candidat Zemmour a voulu prendre de la hauteur, délaissant quelque peu les terrains habituels de l’immigration et de l’islam, pour évoquer une situation internationale pesante et la place de la France dans le monde. Fustigeant un président Macron « humilié » par Vladimir Poutine et par la crise des sous-marins australiens, Eric Zemmour veut s’imposer, lui, « un devoir de grandeur », réveiller « un gaullisme de reconquête » et sortir du commandement intégré de l’OTAN, à l’instar du Général en 1966. Inspiré par les lieux, le discours a pris aussi des accents mystiques, évoquant l’archange Saint-Michel et le combat que se livreraient « le Bien et le Mal depuis des millénaires ».

Des sondages donnent désormais Zemmour au second tour

Sur les réseaux sociaux, les photographies de militants englués dans la gadoue ont fait le régal des community managers LR et RN. Il fallait au moins ça pour remobiliser les troupes numériques après la sortie du sondage Ifop pour Paris Match, LCI et Sud Radio de vendredi dernier et annonçant Zemmour au deuxième tour. En contraste avec une mobilisation de terrain décevante, la vidéo du meeting publiée quelques heures après a rapidement dépassé les 300 000 vues, confirmant que le candidat Zemmour domine cette « campagne à la Netflix », idée chère à Raphaël Llorca et développée dans une note à la Fondation Jean Jaurès.

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Zemmour au Mont-Saint-Michel, c’est aussi l’occasion pour le candidat de mettre les pieds dans le Grand Ouest catholique, terre de conquête plus encore que de reconquête pour le mouvement. Situé à la jonction des régions Bretagne, Pays de la Loire et Normandie, le Mont-Saint-Michel est aussi au cœur d’un triangle Caen-Brest-La Roche-sur-Yon, c’est-à-dire le périmètre de Ouest-France, journal fondé en 1899 par l’abbé Trochu et toujours imprégné de démocratie chrétienne. Si la région a pu être le terreau de certaines radicalités (les Bonnets rouges en 2013, qui avaient en quelque sorte annoncé les Gilets jaunes ; l’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), l’ensemble régional est aussi une terre de modération. En 2017, la « droite nationale » (Marine Le Pen + Nicolas Dupont-Aignan) avaient fait 18% dans l’Ille-et-Vilaine voisine (le département de Rennes et de Saint-Malo) au premier tour contre 26% au niveau national, Marine Le Pen ne terminant qu’à la quatrième place. Au deuxième tour, elle faisait 22% contre 77%, plus proche du score du paternel en 2002 que du sien à l’échelle nationale. Si une frange plus conservatrice et sensible à la présence au meeting de Philippe de Villiers n’a pas disparu, l’Ouest catholique a suivi fidèlement en deux siècles l’évolution de son clergé : réfractaire lorsque le clergé était réfractaire pendant la Révolution, il a progressivement adhéré à la démocratie chrétienne jusqu’à devenir « catholique de gauche ». Le parcours de Jean-Marc Ayrault, du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (proche de la gauche, voire de l’extrême-gauche) à la mairie de Nantes ravie à la droite en 1983 est évocateur. L’Ouest catholique semble aujourd’hui relativement à l’aise en Macronie, plaçant en tête LREM lors des dernières européennes. Une superposition des cartes par département des prêtres réfractaires pendant la Révolution, des catholiques pratiquants dans les années 1960 et du vote LREM-Modem (en jaune sur la troisième carte plus bas) donne des constantes étonnantes, partagées avec les Pyrénées-Atlantiques, le Bas-Rhin et la Haute-Savoie par exemple.

Cartes tirées de Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, « Le mystère français », Seuil, 2011

Sur le terrain, les militants sont optimistes.

Alexandre Payen, 20 ans, est responsable de Génération Zemmour en Ille-et-Vilaine. A Rennes, il a participé au tout premier collage d’affiches, début septembre. Ils étaient sept participants lors de la première opération. Un autre militant me raconte : « Au premier collage, nous avons été interpellés par des étudiants attablés dans un bar à proximité. L’échange était resté courtois. A ce moment-là, la candidature de Zemmour paraissait aux gens peu politisés totalement invraisemblable ». Au fil des mois, alors que les nuits rennaises se faisaient de plus en plus froides et que l’espérance de vie d’une affiche d’Éric Zemmour dans le centre-ville est comprise entre trente minutes et trois heures, les rangs se gonflent et ne se découragent pas. Aujourd’hui, près de 200 militants participent aux opérations sur tout le département, alors que me signale Alexandre Payen, LR et RN semblent incapables de mobiliser les leurs. Les profils ? Des jeunes gens aux idées de droite bien arrêtées, qui n’avaient pour la plupart jamais franchi le pas du militantisme, n’ayant trouvé aucune personnalité répondant tout à fait à leurs attentes.

Les deux pieds dans la gadoue, ils ont sacrifié pour certains d’entre eux leurs paires de richelieus.

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Chômage: où est la vérité?

Un tour de passe-passe statistique permet à Bruno Le Maire ou Elisabeth Borne de louer l’action du président Macron à quelques semaines de l’élection présidentielle. En France, ce pays singulier, il existe un chômage pluriel, celui calculé par l’Insee à partir de sondages et celui de Pôle emploi qui compte les bénéficiaires de l’assurance chômage.


Sur les dix dernières années soit deux quinquennats, les deux présidents ont radicalement changé dans leur gestion du chômage, mais Emmanuel Macron a été beaucoup plus malin que François Hollande, ce qui lui permet de faire savoir aujourd’hui urbi et orbi, en pleine période électorale, que le taux de chômage en France, après une forte baisse, est tombé à 7,4 % au quatrième trimestre 2021 [1]. Grâce à quoi tous les courtisans habituels sur le sujet se déchaînent dans les grands médias. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, sur RTL, n’a pas hésité à sortir un époustouflant « c’est une grande victoire française ». La ministre du Travail Élisabeth Borne a été plus cérémonieuse : ces « très bonnes nouvelles », a-t-elle dit sur France Inter, sont « le résultat des réformes qui ont été menées depuis le début du quinquennat et aussi de toutes les mesures qui ont été prises pendant la crise ». Quant à Stanislas Guérini, le délégué général de LREM, il a fait très fort en déclarant à CNews que l’objectif pour le futur quinquennat allait être le « plein emploi », employant des mots dont il ne connaît même pas la signification. Mais à la guerre comme à la guerre, l’important est d’avoir l’air convaincu !


Le taux de chômage a baissé à 7,4% fin 2021. Au plus bas depuis 2008. C’est une grande victoire française contre la résignation. Notre politique économique porte ses fruits.
Contrairement à ce que disent les Cassandre, l’économie française se porte bien. #RTLMatin

Originally tweeted by Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) on 18 February 2022.


Ce dossier du chômage en France, il est vrai, ressemble plus à une pelote d’épines qu’à un bouquet de marguerites. C’est surtout un véritable feuilleton qui commence avec François Hollande, lequel, dès son arrivée au pouvoir en 2012, avait décidé d’« inverser la courbe du chômage ». Or, c’est le contraire qui s’est produit. Et de façon spectaculaire. 

Le président avait choisi de prendre pour référence les informations de Pôle emploi, qui semblaient effectivement les plus sérieuses puisqu’elles comptabilisaient les chômeurs ! 

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On a rarement vu dans l’histoire sociale française, pourtant mouvementée, une déroute aussi brutale : à Pôle emploi, pendant la période 2012-2017, la catégorie A (sans aucune activité) est passée de 3,2 millions à 3,8 millions de personnes, soit 600 000 chômeurs de plus. En cumulant les trois principales catégories ABC, les B et C regroupant des chômeurs exerçant une activité réduite de façon souvent intermittente, on est passé de 4,6 millions à 5,8 millions, soit une augmentation de 1,2 million de bénéficiaires de l’assurance chômage. Autrement dit une inversion « à l’envers » de la courbe du chômage touchant dorénavant près de 6 millions de Français. 

Une étonnante manœuvre de diversion

On connaît le résultat de la politique économique de François Hollande : lui qui avait indexé son éventuelle réélection sur des résultats probants en matière de chômage en a tiré les conséquences et pris sa retraite politique. Emmanuel Macron, un fin manœuvrier qui a tout compris du système politique français, basé parfois sur des arrangements administratifs aux limites, a trouvé une solution vis-à-vis de l’opinion et des médias dans une étonnante manœuvre de diversion : il a purement et simplement changé de thermomètre du chômage en adoptant, avec la participation de l’Insee, celui du Bureau international du travail (BIT) utilisé par ailleurs dans un grand nombre de pays, en particulier ceux dans lesquels n’existe pas l’équivalent de Pôle emploi.

L’Insee donc, pour ses statistiques « officielles », ne se réfère plus aux chiffres de Pôle emploi mais se base sur des sondages réguliers réalisés auprès d’un panel tournant de 110 000 personnes. Les chômeurs « officiels » sont ceux qui répondent « Oui » à la question suivante : « Avez-vous effectué une démarche active de recherche d’emploi au cours des quatre dernières semaines et êtes-vous disponible pour travailler dans les deux prochaines semaines ? » Les chômeurs « officieux » qui n’entrent pas dans cette catégorie et qui ont répondu « Non » au questionnaire, ceux qui sont en chômage partiel de longue durée, ou en formation, ou en emploi aidé, et tous ceux qui ne sont pas immédiatement disponibles pour une raison ou pour une autre, ne sont pas comptabilisés par l’Insee et basculent dans une catégorie annexe appelée le « halo du chômage ». 

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Toute l’astuce de Macron est là : les chômeurs officiels deviennent moins nombreux que ceux de Pôle emploi et les chômeurs officieux n’apparaissant plus, tout en étant à la charge de Pôle emploi, les statistiques officielles du chômage s’en trouvent nettement améliorées. L’iFRAP d’Agnès Verdier-Molinié a bien observé le problème et constaté ainsi qu’au deuxième trimestre 2021, « il y avait 3,5 millions de demandeurs d’emploi dans la catégorie A de Pôle emploi, contre… 2,4 millions de chômeurs au sens du BIT recensés par l’enquête emploi de l’Insee », auxquels s’ajoutait le fameux « halo » du chômage qui comportait alors 1,9 million de personnes. 

Il ne suffit pas de changer de thermomètre pour faire baisser la température

Or, ce « halo », comme c’est curieux, n’est-ce pas ? qui était de 1,4 million de personnes en 2012 a très sensiblement grossi sous Macron, passant à 1,6 million en 2018 puis à 1,9 million en 2021 : le résultat d’une gestion politique d’un problème social ultrasensible, réglé de main de maître par l’Élysée avec la complicité de médias obéissants. Dans un « édito » du 4 février dernier sur CNews, Agnès Verdier-Molinié, qui est pratiquement la seule personne en France à dire toujours la vérité sur la situation économique réelle du pays [2] nous a dévoilé la vérité sur le chômage : « En 2019, si on additionnait juste le chômage et le “halo” du chômage, on était à 13,5 % » par opposition à l’Allemagne qui « était à 7,2 %, halo inclus ». Elle a ajouté : « Si l’on fait le compte entre les demandeurs d’emploi, les inactifs qui ne cherchent plus et les personnes qui travaillent mais souhaiteraient travailler plus [sous-emploi], on englobe près de 6 millions de personnes et on triple le nombre de demandeurs d’emploi officiels. » 

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6 millions, cela ne vous rappelle rien ? C’était le nombre des chômeurs dans les trois catégories ABC de Pôle Emploi, à la fin du mandat de François Hollande… Ajoutons enfin que Pôle emploi, pour la période du quatrième trimestre 2021, a effectivement constaté de son côté une baisse de 6,2 % dans le nombre d’inscrits en catégorie A, dans laquelle n’apparaissent plus que 3,3 millions de chômeurs, face aux 2,2 millions de l’étude Insee, ce qui donne toujours entre les deux organismes un différentiel important et pour tout dire anormal. En creusant sérieusement le dossier, on s’aperçoit que 166 400 chômeurs inscrits à Pôle emploi ont été radiés en 2021 pour des raisons non précisées, ce qui est tout aussi anormal, et que le « halo » du chômage a encore augmenté de 48 000 personnes. Conclusion : nous avons en France des manipulateurs très malins, mais soyons clair, il ne suffit pas de changer de thermomètre pour faire baisser la température, même en période électorale…

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[1] Ce chiffre, publié le 18 février, représente une baisse de 0,6 point par rapport au trimestre précédent NDLR

[2] Cf. son dernier livre, Le vrai Etat de la France aux Éditions de l’Observatoire.

Good Bye Berlin!

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Berlin Berlin, la nouvelle comédie de Patrick Haudecœur et de Gérald Sibleyras mise en scène par José Paul met le feu au Théâtre Fontaine.


Le théâtre, c’est du rythme et de l’esprit, l’un ne va pas sans l’autre. La rapidité sans la maîtrise de l’adhérence est le b.a.-ba des bons pilotes de rallye. Préparez-vous à une spéciale chronométrée du Monte-Carlo dans les fauteuils rouges du Théâtre Fontaine. Les virages vous arrivent en pleine figure aussi vite que les répliques. Pif-paf côté cour, enchaînements virtuoses côté jardin. Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras, deux maîtres de l’humour à fragmentation désopilante ont mis un tigre dans le moteur de cette pièce qui se dégoupille comme une poupée russe.

Comédie policière

Sa mécanique d’entraînement, au-delà de la drôlerie et de la finesse de l’écriture, est d’une précision allemande. Rassurez-vous, elle fonctionne mieux qu’une poussive mais néanmoins résiliente Trabant. Vous embarquez à la fois chez Philippe de Broca pour un gymkhana infernal d’une heure quarante minutes, et aussi chez Les Branquignols pour la satire domestique, sorte de soupe Soljanka relevée de mauvaise foi. C’est comme si L’Homme de Rio installé à Berlin-Est voulait passer à l’Ouest. Ce Cours après moi que je t’attrape à la mode bolchévique est la révélation de la rentrée.

Préférez cette comédie policière à l’espionnite ménagère qui met le Théâtre Fontaine en transe aux interminables débats électoraux qui polluent la télé, cet hiver. Berlin Berlin a les moyens de vous faire sortir de chez vous ! Emma (Anne Charrier) et Ludwig (Patrick Haudecoeur) arriveront-ils à franchir le mur par le passage secret situé dans l’appartement de la mère de Werner Hofmann, agent assermenté de la Stasi (Maxime d’Aboville) ?

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Ce nid d’espions sur Bernauer Straße s’articule comme une fuite en avant, où la bassesse et les trahisons inhérentes aux régimes totalitaires révèlent toute leur tragédie comique. La farce de la police politique est sans fin. Il faudrait retourner plusieurs fois au théâtre pour apprécier toutes les subtilités du texte, tous ces rhizomes qui font la cohérence de la pièce. Le rythme assurément est là, tonitruant, percutant, haletant ; l’esprit français, la vanne déconnante et persifleuse aussi ; et surtout, la fluidité. On oublie trop souvent la fluidité d’une pièce, son ruissellement qui happe et submerge le public, l’attache et l’évade, le sort de sa torpeur quotidienne.

La Stasi au rendez-vous

Cette fantasia chez les Ossis repose sur des comédiens affûtés, ils ont du souffle et du ressort. Patrick Haudecoeur est un Jean Carmet lunaire et pleurnichard, tendre et lâche, rêveur et éternel défaitiste face à une existence en cul-de-sac. Une vraie mascotte des tortionnaires. Maxime d’Aboville, Don Juan du réalisme socialiste, accumule bêtises et certitudes avec une force diabolique, quel régal de voir cet amoureux éconduit ! Toute la distribution assure le spectacle, Loïc Legendre à la voix sirupeuse et suspecte ou encore l’excellente Marie Lanchas en colonel de la Stasi mélomaniaque font des merveilles.

© Bernard Richebé

Et puis, il y a la reine Anne Charrier, elle ferait du bobsleigh que je la trouverais toujours aussi séduisante. Elle glisse sur la scène, en talons plats et trench voltigeur, telle une Audrey Hepburn boulevardière. Et quand elle feint l’émotion, son vibrato ferait tressaillir un commando de légionnaires. Elle a cette grâce suspendue qui éclate dans les rires et les interrogations. Le talent ne s’explique pas, il est injuste, par nature.

Espions contre l’ennui

Souvent la comédie à gros traits est laide, inesthétique dans ses décors et son traitement visuel. Elle compte seulement sur la blague grossière pour sauver les meubles. C’est une erreur que ne commettent pas Édouard Laug au décor, Juliette Chanaud aux costumes, Laurent Béal à la lumière et Michel Winogradoff à la musique. Avec l’usage parcimonieux de la vidéo, on voit le mur s’élever et la fronde intérieure se soulever. Dès les premières minutes, le public adhère à la beauté de ce projet original. Berlin Berlin est du théâtre populaire contrairement aux démocraties ou aux primaires du même nom. Un théâtre qui combat l’ennui intelligemment, qui n’instrumentalise pas pour la gloriole et qui emporte par son mouvement salvateur. La vie des autres est assurément plus drôle avec toute cette troupe.

En attendant Georges-L. Godeau

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Le poème du dimanche


Georges-L. Godeau (1921-1999) a été ingénieur des Travaux publics dans les Deux-Sèvres où il a toujours vécu. Il a aussi été poète. Et un poète qui fut connu comme peuvent l’être les poètes, c’est à dire reconnu par ceux qui aiment la poésie. Il a reçu en son temps le prix Max-Pol Fouchet qui est un peu le Goncourt en la matière. Il a aussi été traduit en japonais, en russe et en allemand, ce qui est plus rare pour un poète. Il a même fait l’objet en 1994 d’un numéro spécial de la NRF. Aujourd’hui, il devient difficile de trouver ses livres qui ne sont plus disponibles sauf chez les bouquinistes.

C’est d’autant plus dommage que sa poésie est parfaitement accessible, formée de courts textes en prose qui disent la vie quotidienne du Marais poitevin, mais aussi de ceux qui travaillent dans les usines, les bureaux, les écoles, de ceux qui sont en vacances, de ceux qui espèrent, de ceux qui vieillissent, de ceux qui découvrent l’amour. Il saisit la vie quotidienne qui est la nôtre comme on prend une photo. Si Godeau se méfie du lyrisme, c’est qu’il n’ en a pas besoin pour dire la vie des hommes, tantôt grise, tantôt lumineuse. Pour dire Les foules prodigieuses, titre d’un de ses recueils majeurs. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, c’est deux échantillons de cette humanité qu’elle vous offre ce dimanche.


Le jeune couple

Beaux comme deux touaregs, ils marchent vers la mer.
En avant. Ils glissent comme des torpilles. Les machines
     sont bien réglées. Ils font le grand tour
     au bord du large.
 

Déjà, ils reviennent. Ils sortent sans s’ébrouer puis
     restent debout, un moment. Lui, allume une

     cigarette, elle, peigne ses cheveux.

Calmes, ils se regardent. Ils échangent un fil de

      sourire. Pour eux.

***

Le contrat

Tes disques ne sont pas les miens, mes journaux 
  les tiens.
Il m’arrive d’aller seul au cinéma.
Dans la rue, tu regardes les hommes et moi les jolies 
  filles.
Au doigt, nous n’avons pas d’alliance.
Pourtant, dans notre poche, nous avons la clé de 
  la même porte.
Nos fenêtres s’ouvrent au printemps. Parfois, tu 
  chantes.
Les voisins s’y perdent.

Georges L. Godeau, in Les Foules prodigieuses (Chambelland, 1970)

Les foules prodigieuses

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Pécresse: mieux vaut filer un mauvais coton qu’une mauvaise métaphore!

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Valérie Pécresse prononce un discours à Cannes, 18 février 2022 © SYSPEO/SIPA

Le caractère grotesque de certaines prises de parole récentes de Valérie Pécresse a de quoi dérouter. Qui aurait bien pu sérieusement anticiper que la candidate LR à l’élection présidentielle se lancerait dans une libre métaphore filée sur le thème de «Star Wars»? La faute à la dictature de la com?


Il y a comme un parfum d’Alain Juppé dans la campagne de Valérie Pécresse. En novembre 2016, on se souvient alors du « meilleur d’entre nous » lançant à la fin d’un meeting cette improbable incantation : « J’ai la pêche. Mais avec vous, c’est la super pêche ! ». Malaise dans la salle, accentué par les quelques éphèbes arborant un t-shirt « les jeunes avec Péju » frétillant sur scène pour l’occasion. Comme pour cacher la calvitie achevée de l’homme du moment, la surenchère de jeunisme dictée par des jeunes-vieux conseillers en com’ de 30 ans passés faisait l’effet de l’arrivée d’une grand-mère à une fête d’ados : on la traite avec déférence, mais tout le monde attend son départ. On connaît la suite.

Valérie Pécresse a eu plus de chance, obtenant l’investiture de son parti en vue de la magistrature suprême. Mais le ridicule consommé de ses sorties a déjà de quoi faire déchanter.

Agriculture Pride

Le 15 janvier, au sujet des politiques agricoles et de la détresse durable de la paysannerie en général, elle résumait son ambition en ces termes : « Contre l’agri-bashing, je restaurerai l’agri-fierté »[1]. Mais Valérie Pécresse nous réservait encore une bonne surprise : une métaphore filée sur le thème de « Star Wars »[2], en établissant une analogie entre chaque candidature et le titre d’un des opus de la série… la championne identifiant la sienne au « Retour du jedi ». Malaise, là encore. En l’espèce, ces sorties ne sont pas seulement minables, elles interrogent sur la substance du projet porté par la candidate : comment accorder un quelconque crédit à une vision politique dès lors qu’elle tient en quelques slogans aussi mauvais ?

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Pourtant, Valérie Pécresse n’est pas une idiote. Même les observateurs les moins bien disposés à son endroit sont forcés de le reconnaître. Et s’il est devenu de bon ton de critiquer l’ENA, c’est vite oublier aussi que les grands corps de l’État requièrent de la part de leurs membres une haute technicité administrative et juridique. Le passage par le Conseil d’État de Valérie Pécresse ne laisse pas de doute à ce sujet : la sécheresse juridique de ses quelques 380 conclusions produites entre 1995 et 1998 pour cette instance n’en dissimule pas moins la rigueur de haute volée. On est dès lors pris par un nouveau doute : comment une personne semble-t-il si compétente dans son domaine d’expertise et rodée à la prise de parole publique est-elle capable d’aligner des saillies aussi navrantes ?

La com reine (Leila ?)

Qu’un robinet d’eau tiède comme Valérie Pécresse peine à faire décoller sa campagne, personne ne s’en étonnera vraiment. Elle n’a jamais su faire le « show », comme Nicolas Sarkozy en son temps, et sa victoire surprise aux régionales de 2015 tenait avant tout à la nullité abyssale de son rival, Claude Bartolone. Mais on est sincèrement pris d’angoisse à l’idée qu’elle puisse déblatérer de telles inanités face caméra sans être débranchée par personne. Et là où en direct le « dérapage », comme l’on dit, a pour lui l’alibi de l’improvisation, ces formules prémâchées laissent d’autant plus perplexes qu’on les sait passées au tamis des incessants « brainstormings » d’une équipe de campagne. 

Certes les problèmes éminemment politiques de l’âge de départ à la retraite, de la fiscalité ou encore des politiques agricoles ou énergétiques (encore que cette dernière question se soit étonnement retrouvée récemment sous les projecteurs avec le nucléaire) sont peu à même de déchaîner les foules, en dépit de leur importance. Reste que dans l’organisation pyramidale d’une équipe de campagne que peut encore mettre sur pied un parti « à l’ancienne » comme LR s’affairent une multitude de « pôles de réflexions », produisant des notes en pagaille, elles-mêmes censées se décanter en un programme prétendant répondre à tous les problèmes du pays ; des ronds-points à la stratégie de défense. Or précisément, ici mieux qu’ailleurs, on ne connaît que trop cette injustice : la corrélation entre « l’expertise » d’un programme et sa faculté à gagner la sympathie des électeurs est nulle. 

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Là se situe une part du problème : même de projet politique, chez Valérie Pécresse, il n’y en a point. Le parti se contente de recycler des antiennes de la droite business telles que la suppression des fonctionnaires (lesquels ? comment ?) et la rigueur budgétaire. Bref, c’est le programme d’un comptable, sans vision charnelle du pays ni orientations de société. De ce fait, il n’y a rien qui puisse donner du grain à moudre aux trolls d’internet autrement que par la moquerie. À cet égard, les saillies de Valérie Pécresse sont probablement à lire comme la navrante tentative de contrefeu encouragée par les équipes de com’ face au caractère fade et insubstantiel de la championne. Il n’y a au reste pas l’ombre d’un narratif à broder autour de la vie rangée de cette femme de Neuilly qui tente de dissimuler les crocs de son ambition derrière une solidarité féminine de circonstance face à Jean-Jacques Bourdin. Ça ne coûte rien, mais qui y croit ? Ou quand la marquise de Pompadour tente une Jeanne d’Arc. Tout sonne faux. Ne reçoit pas la visite de l’ange qui veut. Il n’y a rien à aimer chez Valérie Pécresse, mais, et peut-être est-ce pire encore, il n’y a rien à détester non plus.

Cataplasme sur jambe de bois !

Or voilà encore ce que l’on ne peut pas pardonner à un politique, moins aujourd’hui qu’hier : l’inauthenticité. Dès lors que la faculté d’attention du citoyen s’est habituée au format TikTok de 45 secondes, ce sont les « coups de sang » et les formules bien senties qui créent la sympathie ou le rejet. Ne pas avoir d’idées est excusable en politique (dans certains cas, cela peut même être un avantage), et Valérie Pécresse n’est certes pas embarrassée par ce fardeau. Ne pas être « authentique », ne pas être « entier » est en revanche le pire des péchés. C’est tout le drame de ceux qui, comme Valérie Pécresse, ne sont mus par rien, et qui, s’aventurant sur le terrain escarpé des passions humaines, sont incapables de jouer une comédie dont ils n’ont pas même lu le résumé. La candidate peut bien se payer les services de l’acteur Benoît Soles pour travailler sa geste, l’effet cataplasme sur une jambe de bois est garanti. En la matière, et à la différence de la préparation d’un programme, on ne peut pas déléguer à des experts le souci de son « authenticité », précisément par ce que cela ne constitue pas un domaine d’expertise. On pourra faire turbiner tant qu’on voudra des « jeunes » pour lui donner « les codes de la culture web », rien n’y fera si elle continue de les prendre pour un arrêt de la Cour de Cassation à commenter. Sa dernière prestation au Zénith, le 13 février, avait déjà un parfum crépusculaire. Ah ! que ce serait plus simple s’il suffisait de repasser son épreuve de finances publiques pour être présidente


[1] https://twitter.com/vpecresse/status/1482419813469200396

[2] https://www.youtube.com/watch?v=cKxXz4DTn6k

Preuillaciens, Preuillaciennes, aux urnes!

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© The Jokers

La Campagne de France, de Sylvain Descloux


La Campagne de France : avec un tel titre, on pouvait s’attendre à tout. C’est l’avantage d’aller voir un film avant sa sortie en salles proprement dite, sans savoir de quoi il parle, comment, par qui et peut-être même pour qui. En ignorant jusqu’à sa nature : fiction ou documentaire ? Cinéma du vrai-mentir ou du mentir-vrai ? De quoi serait-il donc question derrière ce titre attrape-tout qui pourrait tout aussi bien cacher un énième film de guerre, une ritournelle sur le monde paysan ou bien encore une nouvelle « partie de campagne » comme celle, absolument formidable, que Raymond Depardon avait consacrée en son temps à la campagne présidentielle de Giscard d’Estaing en 1974 ? La troisième hypothèse est la bonne, mâtinée d’un peu de la seconde : La Campagne de France de Sylvain Descloux raconte, sous la forme documentaire, la dernière campagne municipale dans un petit village rural d’Indre-et-Loire, Preuilly-sur-Claise. Avec comme une ombre tutélaire, un fantôme cinématographique bienveillant et rassurant jamais évoqué de façon explicite, le frétillant film du non moins frétillant réac Éric Rohmer : L’Arbre, le Maire et la Médiathèque. En 1993, il y était déjà question d’écologie, de technocratie, de débat public et autre « démocratie participative » appliquée à l’échelon local. Luchini y faisait des merveilles en instit vert. Et Pascal Greggory incarnait à la perfection un élu socialiste prêt à tout pour promouvoir le bonheur pour tous et contre chacun par conséquent. Sans jamais en être le décalque documentaire, le film de Sylvain Descloux fait régulièrement songer à la fable de Rohmer, preuve si besoin était que ce dernier n’était en rien un cinéaste déconnecté de son époque et assigné aux seules intermittences des cœurs adolescents.

© The Jokers

Dans La Campagne de France, on assiste donc au combat que se livrent trois listes pour prendre la mairie du village, alors que le sortant ne se représente pas. Ce n’est pas le bon, la brute et le truand. Ce serait plutôt le ravi, le borné et le gros malin. Et les duels ne se font pas au soleil mais à fleurets mouchetés quand on se croise dans les rues pour faire du porte-à-porte. La « vedette » presque involontaire du film, c’est l’un des trois, le ravi, Mathieu (38 ans), certes natif du pays mais qui n’est revenu s’y installer que depuis deux ans tout auréolé, croit-il, de son statut de normalien « consultant en intelligence » et fondateur d’une start-up (évidemment !). C’est un doux mélange de Cédric Villani, du professeur Tryphon Tournesol et d’un naïf aussi définitif que handicapé du sentiment. Pendant que son père, sa seule boussole, se meurt dans un Ehpad, il fait campagne affublé de Guy, septuagénaire à l’exact opposé de lui : extraverti, tonitruant, danseur, maniant le cor de chasse comme personne et nostalgique du tandem Tapie-Mitterrand. Bref, une alliance improbable que les « Preuillaciens, Preuillaciennes » considèrent d’un œil circonspect. Mais, au-delà de ces deux quasi-caricatures, le film se fait plus acide encore quand il montre par exemple les ravages d’une communication politique au rabais avec la scène fabuleuse de l’apposition sur les panneaux électoraux des trois affiches des trois listes en présence : visuellement elles sont strictement identiques et leur slogan respectif d’une merveilleuse redondance. Mais le meilleur est encore ailleurs. Au cours d’une scène où l’une des trois listes (peu importe laquelle tant le « bonnet blanc et blanc bonnet » semble ici la règle du jeu) organise une réunion publique avec la fameuse « démocratie participative » en sautoir, une semaine avant le premier tour. Résultat ubuesque : de futurs élus potentiels qui, au nom de cette fumisterie participative, ne présentent aucun programme mais se tournent vers les électeurs pour leur demander le leur, prêts à l’adopter pour combler leur propre vide. C’est en tous points sidérant, comme le chant du cygne d’un discours politique qui a su théoriser son impuissance par un retournement dialectique où le citoyen devient le responsable de l’échec de ceux qui veulent exercer le pouvoir sans en subir les inconvénients. Au bout du compte, qui l’emporte ? On est soulagé de voir qu’au moins, c’est celui qui, retors mais lucide, ne fait pas prendre à ses concitoyens des vessies de bobos pour des lanternes républicaines.


Le capitalisme vainqueur par KO(VID)

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Le président chinois Xi Jinping se fait le chantre du libre-échange lors d’un discours à la tribune du Forum économique mondial, Davos, 17 janvier 2017 © Lan Hongguang / Xinhua via AFP

La crise du Covid, comme toutes les précédentes, démontre l’extraordinaire souplesse du système capitaliste, qu’il soit d’obédience américaine ou désormais chinoise. Et aucune réelle alternative n’existe pour affronter les défis à venir. Un nouveau paradigme ?


C’est aux États-Unis ou en Angleterre que le Big Pharma à gros cigare a développé, en douze mois, des vaccins efficaces pour désengorger les réanimations des hôpitaux. Nouvelle désillusion Place du Colonel-Fabien, ce n’est pas la bureaucratie des ARS qui nous a tirés d’affaire. Pire système économique, à l’exception bien sûr de tous les autres, le capitalisme-roi s’est même offert le luxe de tourner au ralenti afin de préserver la santé de ses sujets. Un gigantesque édredon rempli de billets émis par les banques centrales a recouvert les pays les plus riches, leur permettant de survivre à une crise d’une intensité inouïe. Les producteurs et consommateurs sont chinois, européens, américains ou indiens, car les inféodés au libre marché résident désormais aux quatre coins de la planète. Depuis la chute du mur de Berlin, l’essentiel de l’humanité – Éthiopie comprise – s’est librement rallié à son panache.

Trente ans après la disparition de « Checkpoint Charlie », les alternatives totales au capitalisme ne mobilisent plus que des franges marginales de l’intelligentsia

N’en déplaise à Mélenchon ou aux décroissants écolos, le capitalisme fait pratiquement l’unanimité sur terre : chaque tweet vaut plébiscite pour un système sans lequel ni le web, ni les réseaux sociaux n’auraient jamais existé. L’humanité vote chaque jour pour l’économie de marché en consommant sur Alibaba ou Amazon (et en allant au boulot quand elle en a un). Le milliard d’Homo sapiens que la mondialisation a sortis de l’extrême pauvreté n’aspirent (nullement à la décroissance. Pas plus que les milliards d’autres qui se sont enrichis au cours des trente dernières années. Rappelons que 10 % seulement de la population mondiale est réputé vivre en dessous du seuil de pauvreté, c’est beaucoup en valeur (736 millions), mais laisse tout de même 7 milliards de Terriens nourris, dont plus de 5 milliards le sont suffisamment pour s’équiper d’un téléphone connecté.

L’empire du Milieu, nouvel ennemi systémique

Nul ne rira du déclassement dramatique, dans les pays occidentaux, des classes populaires et moyennes, victimes collatérales du capitalisme globalisé. Fait politique majeur chez nous, les déclassés revêtent des gilets jaunes ou élisent Trump – avec d’assez bonnes raisons de leur point de vue. Mais que pèsent pourtant dans la marche du monde ces 60 ou 100 millions de perdants face aux milliards de gagnants ? Ils peuvent certes semer le chaos en France ou aux États-Unis, mais de là à faire renoncer les Chinois à la propriété privée des moyens de production… Un scénario néanmoins à tester, notamment en fin de repas, car il est de nature à dérider tout un bus de dignitaires sino-communistes.

Pour les Américains, l’empire du Milieu a désormais pris la place de l’ex-Union soviétique dans le rôle de l’ennemi systémique. Mais, contrairement aux membres du Politburo moscovite, Chinois et Américains partagent à présent le même attachement à l’économie de marché – attention, c’est assez technique, mais en gros, ça les arrange à cause de l’argent. La question capitaliste ne fait donc débat que dans les cercles restreints d’intellectuels marxistes repeints en vert ou au sein d’une jeunesse occidentale éprise de Greta Thunberg. Ce qui est en jeu, ce n’est plus le modèle économique, mais son mode de gouvernance : démocratique à la mode occidentale ou à parti unique, façon Pékin. Jusqu’à présent, la voie démocratique semblait sans rivale. Mais l’Occident, épuisé, paraît saisi d’un doute. L’intérêt général ne serait-il pas mieux pris en compte par ce PC chinois qui a remplacé la dictature du prolétariat par celle des contrôleurs de gestion ? Tandis que le wokisme archipellisé de nos belles contrées semble, au contraire, bien décidé à torpiller le bien commun.

Convulsions

Il existe pourtant un précédent historique à cet alignement capitaliste des États-Unis et de leur ennemi du moment. De 1933 à 1945, l’Allemagne nazie fut tout à la fois une économie de marché et le bourreau, entre autres, des démocraties occidentales. De là à dire que les Chinois sont des nazis qui ont réussi, il n’y a qu’un pas, sans doute trop polémique pour être franchi. On concédera toutefois que la principale leçon n’est pas là. Les exemples teutons et chinois démontrent avant tout que le capitalisme n’a nul besoin de la démocratie ni des droits de l’homme pour s’épanouir, mais que ce tandem indispensable à nos droits fondamentaux ne saurait, lui, fleurir sans le capitalisme. À ceux qui s’étoufferont de rage (et de désespoir) face à un tel constat, je suggère de chercher un pays qui aurait été respectueux des libertés individuelles dans le cadre d’une économie régie par un autre dogme que celui du doux commerce (écrire au journal qui fera suivre, ça m’intéresse vivement).

Le capitalisme a déjà fait face à de nombreuses convulsions. Lors des dépressions précédentes – 1974, 1929, 1873 et tous les soubresauts antérieurs, du papier monnaie de John Law aux tulipes hollandaises –, des alternatives ont pu être légitimement présentées comme enviables. Aux jeunes heures de la révolution industrielle, le fantasme d’un retour à la terre et à une société préindustrielle a pu jouer ce rôle. À l’affût de la crise ultime (et reconnaissant inlassablement celle-ci à chaque chaos), c’est évidemment Marx qui a offert à partir de 1848 la solution de rechange la plus crédible – et la plus coûteuse en millions de vies broyées. Une hypothèse communiste tellement séduisante qu’elle ébranla les élites occidentales dont une partie ne fut dessillée qu’à regret, en 1989. Trente ans après la disparition de « Checkpoint Charlie », les alternatives totales au capitalisme ne mobilisent plus que des franges marginales de l’intelligentsia. La liste de ceux qui ne prônent pas son adaptation mais une rupture complète peut être rapidement dressée.

L’écologie citoyenne solidaire, décroissante et neuneu s’attire bien quelques sympathies théoriques, mais la crise du Covid a non seulement ridiculisé les professeurs Septimus en tout genre, mais aussi redoré le blason moral du grand capital – qui a pris un risque énorme en acceptant de bonne grâce sa mise à l’arrêt partiel. On a surtout bien perçu l’attachement des foules à la croissance et leur terreur à l’idée que leur pouvoir d’achat pourrait (horreur !) chuter. Les décroissants avancent chez nous plus volontiers masqués – fermez Fessenheim, tout va bien se passer (il y aura peut-être des coupures au fait cet hiver, on ne vous l’avait pas dit ?). L’écologie solidaire, c’est l’URSS sans Tchernobyl (sans rien du tout même), mais avec des goulags pour les mâles blancs hétéros. En Chine, silence radio des décroissants. Les types comme Yves Cochet doivent faire des belotes dans des camps ouïgours, en tout cas, ils ne semblent pas avoir l’oreille de Xi Jinping.

Le capitalisme, merveille d’adaptation darwinienne

L’intelligence artificielle pourrait, sur le papier, ressusciter l’hypothèse communiste le jour où elle se verrait confier tous les moyens de production – c’est la thèse d’un auteur comme Antoine Buéno. Entièrement autonome et automatisé, le système économique disqualifierait toute propriété privée. Intellectuellement stimulante, cette conjecture ne présente cependant pas encore de candidat aux différentes élections.

Si l’on fait l’impasse sur le paradigme bolivarien cher au trio Maduro-Chavez-Mélenchon, reste comme option le djihadisme et la société talibane – écologiquement responsable, surtout si on se chauffe aux opposants. Les foules musulmanes lorgnent toutefois, on le sent, vers une approche conforme au modèle du centre commercial géant de type Dubaï, plutôt que vers les grottes de Tora Bora (même en all inclusive).

Le capitalisme, merveille d’adaptation darwinienne, se trouve ainsi dans une situation de monopole désormais singulière – ce qui ne constitue pas un brevet de moralité, encore moins de perfection. Mais c’est le gage de l’extraordinaire confiance endogène d’une organisation économique qui a permis de nourrir, satisfaire et développer Homo sapiens au-delà de toute espérance. Si le système n’a pas été conçu par quelque esprit diabolique pour détruire la planète, cet épuisement des ressources naturelles ne peut laisser personne indifférent. Il s’agit, en somme, de la rançon du succès. Mais, tel le Covid, le libéralisme n’a aucun intérêt à faire mourir son hôte – l’homme ou Gaïa.

Loin d’être l’ultime convulsion du capitalisme à face de hyène, les crises de 2008 et de 2020 ont renforcé sa confiance. Sans concurrent sérieux, voire populaire, avec l’appui d’États et de banques centrales ouvertement favorables à sa cause, aucune difficulté ne lui semble insurmontable. Des chercheurs et des entrepreneurs s’allient partout pour faire face aux défis colossaux de la digitalisation du monde et de l’iconique transition écologique. Peut-être sont-ils inconscients de sous-estimer à ce point les écueils technologiques, la dette, l’inflation et plus encore, les chaudrons ukrainiens, iraniens et taïwanais. Même la guerre sino-américaine qui couve ne semble pas les inquiéter plus que cela. Ils n’y croient tout simplement pas. Tout psychologue expliquera à son patient que la certitude de surmonter un obstacle augmente fortement la probabilité d’y parvenir. Surtout pour un système qui les franchit allégrement depuis deux cents ans et qui le sait.

Une classe politique qui manque singulièrement de classe

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Emmanuel Macron, François Hollande, Marisol Touraine, usine Novo Nordisk, Chartres, avril 2016 © HAMILTON-POOL/SIPA

Tout le monde se réclame de De Gaulle — mais qui lui arrive à la cheville ? Peut-être avons-nous le personnel politique que nous méritons, et ce n’est pas encourageant.

Je lisais ces jours-ci les Derniers jours des fauves, l’excellent roman de Jérôme Leroy que Frédéric Ferney a chroniqué dans le dernier numéro de Causeur. L’action se déroule dans une France qui ressemble fort à la nôtre, à quelques détails près : ce n’est pas un sémillant quadragénaire mariée à une alerte sexagénaire qui est au pouvoir, mais une cougar, comme on dit chez les pornographes, qui a épousé un gentil poète de 25 ans son cadet. Les ministres qui l’entourent s’entre-déchirent, dès qu’ils ont vent de la décision de la dame, minée par les manifestations, les attentats, la canicule et les derniers feux d’automne de sa libido, de ne pas se représenter à la présidentielle à venir. Le ministre de l’Intérieur, en particulier, fomente quelques actions d’éclat particulièrement sanglantes, et bon nombre de gentils hurluberlus et d’hommes et de femmes de main impitoyables seront broyés par des machinations toutes plus tordues les unes que les autres.

Les hommes politiques n’ont rien de miraculeux : ils sont le reflet et le produit de l’état de leur pays. Nous méritons Macron et ses petits marquis

Si vous n’avez pas compris qu’il faut le lire d’extrême urgence, c’est que je me suis mal exprimé.

Le roman m’a incité à peser et soupeser cette classe politique qui se dispute aujourd’hui les suffrages à venir, hante les plateaux télé, et se répand en considérations solennelles et oiseuses sur la sécurité, l’immigration, l’écologie et le déclin de la France, sans voir qu’elle est en tous points l’expression de ce déclin : voilà déjà une bonne trentaine d’années que bien peu de politiciens passent la barre, si je puis dire.

À lire aussi: Jérôme Leroy, juste la fin du monde

Que Valérie Pécresse ne soit pas une oratrice naturelle, soit — et si les défections suivent leur pente actuelle, LR sera ventilé à tous les horizons dès la fin de la campagne. Que Marine Le Pen soit désormais une centriste prudente (pléonasme !) et non une femme de droite extrême, j’y consens, même si la stratégie de la prudence n’a jamais donné de bons résultats en période de crise. Qu’Eric Zemmour prétende être un homme cultivé peut faire sourire : il suffit ces temps-ci d’affirmer imprudemment deux ou trois contre-vérités historiques pour passer pour un puits de culture.

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01060914_000004

C’est que la culture est la grande oubliée de cette campagne, comme de toutes celles qui l’ont précédée : rappelez-vous la sortie d’une grande intelligence de Nicolas Sarkozy sur l’inutilité de lire la Princesse de Clèves. Dès lors, dans un pays où l’on n’apprend plus grand-chose à l’école, vous pouvez bien dire ce qui vous chante, personne ne vous contredira.

Que Fabien Roussel ait requinqué le Parti Communiste, héritier pourtant d’une histoire peu présentable, en faisant la promotion du steak-frites et du camembert est presque comique : la France a divorcé depuis lurette de ses productions paysannes emblématiques, et se nourrit de pizzas surgelées consommées par des ectoplasmes vautrés sur leur canapé devant une télévision qui déverse de l’abrutissement en continu. Je ne parlerai que pour mémoire des écologistes, dont Sandrine Rousseau est le parangon et la caricature en même temps. Quant à la gauche, elle est si pressée de perdre que ses anciens poids lourds se dispersent façon puzzle en affichant leur soutien qui à Mélenchon, qui à Macron.

Mon père, qui fut flic dans mon enfance, a repris des études sur le tard et il est devenu professeur d’université (et premier président de l’université de Corse, qu’il a créée de toutes pièces) après avoir soutenu une thèse sur le Cardinal de Retz, le plus fameux intrigant du XVIIe siècle — et un mémorialiste remarquable. J’ai baigné, dès mon adolescence, dans les complots et les conflits vertigineux qui jalonnèrent les années 1630-1660, de Richelieu à Colbert en passant par Mazarin : la chance de la France du « grand siècle » fut d’avoir à sa tête, successivement, trois puissants esprits qui gagnèrent la Guerre de Trente ans en affaiblissant à jamais l’Espagne et qui, mieux encore, gagnèrent la paix.

A lire aussi, Pascal Louvrier: Malraux, De Gaulle et la France

Qui ne sait que Richelieu fut certainement l’un des modèles de De Gaulle ? Qui s’étonnera que Retz ait été une lecture de base, souvent citée, de François Mitterrand, le dernier des vrais fauves — pour reprendre le titre de Jérôme Leroy — de la politique française ?

C’est l’inconvénient d’avoir été exposé jeune à des œuvres et des hommes de premier plan. Ce qui suit paraît inférieur, et même dérisoire ; Laissez tomber le Suicide français et lisez donc les Mémoires de Retz, qui fomenta une révolution et manqua de renverser la royauté.

Les hommes politiques n’ont rien de miraculeux : ils sont le reflet et le produit de l’état de leur pays. Nous méritons Macron et ses petits marquis. Les Etats-Unis, cette première puissance pourrissante, mérite Trump, tweetos en chef, ou Biden, le sénile devenu roi. La Russie ou la Chine, pendant ce temps, ont produit Vladimir Poutine et Xi Jinping. Les événements d’Ukraine, cette partie de poker menteur que le président russe, qui ne veut surtout pas que l’Otan frappe à sa porte, est en train de remporter, sont l’illustration exemplaire de mon propos. Et l’insistance des médias français pour nous faire savoir que Macron a téléphoné au tsar est presque comique. Ça me rappelle l’époque où, non sans raison, Mitterrand qualifiait Giscard de « petit télégraphiste de Varsovie » parce que le président de la République s’était glorifié d’un message de Leonid Brejnev faisant état d’un retrait (qui s’avéra factice) des troupes russes hors d’Afghanistan. Une vanne qui trouva un écho avec le « barreur de petit temps », titre de gloire dont Roland Dumas avait affublé Michel Rocard.  Ou, plus près de nous, rappelez-vous cette étiquette de « capitaine de pédalo dans la saison des tempêtes » que Mélenchon avait collée sur le front de Hollande.

Notre personnel politique est exsangue parce que notre pays est à bout de souffle. Les projets des uns et des autres sont accablants de pauvreté : qui parle vraiment de réindustrialiser la France, de maîtriser le libéralisme et la mondialisation, qui parle de réorienter le système éducatif, qui parle de grandeur et de destin ? Dans ce pays qui jadis engendra les Lumières, nous n’avons plus droit qu’à des lumignons, des vers luisants qui s’agitent pour faire croire qu’ils sont des feux d’artifice. Rendez-nous Retz, rendez-nous Richelieu et Mazarin, rendez-nous Napoléon ou Clemenceau. Mais ne prétendez pas être des hommes ou des femmes providentiels — ou alors, il y a de quoi répudier à jamais la Providence. Un pays qui produit tant de petits hommes ne sera plus jamais grand. L’offre politique de cette campagne est à hauteur de nains.

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Qui sont les vrais musulmans républicains?

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Le juriste Amine Elbahi, dont la soeur est partie en Syrie et qui est menacé après un reportage diffusé sur M6, soutient Valérie Pécresse. DR

Les vrais musulmans républicains ne sont pas ceux qui prétendent que l’islam serait compatible avec la République, mais ceux qui ont l’honnêteté d’admettre qu’il ne l’est pas, et le courage d’œuvrer à ce qu’il le devienne. Ces derniers jours viennent d’en apporter une nouvelle illustration.


Mohamed Louizi et Amine Elbahi sont tous deux Français, et tous deux musulmans.

Tous deux sont menacés et harcelés par des islamistes, le premier pour son action de longue date contre les Frères Musulmans et leurs réseaux, le second pour avoir contribué à dénoncer l’emprise islamiste sur Roubaix dans le reportage de « Zone Interdite » diffusé le 23 janvier. Tous deux ont maintenant choisi de s’engager dans le débat électoral, Mohamed Louizi en soutenant publiquement Eric Zemmour, Amine Elbahi en choisissant Valérie Pécresse, obtenant l’investiture de LR pour les prochaines législatives. On aimerait s’arrêter là et se réjouir : aucun parti n’a le monopole du cœur, et aucun parti n’a le monopole des cœurs valeureux. Mais les choses, hélas, sont un peu plus compliquées.

A lire aussi, Lina Murr Nehmé: Quand M’hammed Henniche faisait la pluie et le beau temps en Seine-Saint-Denis

Histoires de compatibilité

Laissons de côté le passé, même récent, d’Amine Elbahi. Il aura, n’en doutons pas, l’occasion de s’en expliquer dans les prochaines semaines. Ses critiques contre Lydia Guirous lorsqu’en 2014 elle fut l’une des premières – voire la première – à oser dénoncer l’islamisme qui gangrenait Roubaix. Son action pour le rapatriement de la jihadiste Mélina Boughedir. Son soutien à la liste « Roubaix en commun » en 2020, etc. Tout le monde peut faire des erreurs, encore faut-il les reconnaître. Mais ce sont surtout ses toutes récentes déclarations qui interrogent, comme lorsqu’il évoquait pour le reportage de M6 « un certain islamisme », étonnante expression. Et plus encore celle-ci, à la matinale de Jean-Rémi Baudot dimanche 20 février : « l’islam est parfaitement compatible avec la République. »

Voilà une affirmation pour le moins discutable ! On peut bien sûr débattre de ce que recouvre précisément le terme d’islam, mais convenons que par défaut, dans le contexte français, il s’agit de l’islam sunnite des 4 madhhabs orthodoxes, dont se revendiquent la quasi-totalité des lieux de culte musulmans présents sur notre territoire. Or, pour ne mentionner que ce point parmi beaucoup d’autres, ainsi que le rappelait en 2016 l’actuel Grand Imam d’Al-Azhar, ces quatre courants sont unanimes pour demander la mise à mort des apostats, s’opposant ainsi de la manière la plus radicale possible à la liberté de conscience, qui est pourtant l’un des principes les plus fondamentaux de la République française. Comment les deux pourraient-ils être compatibles ?

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Impressionnant contraste avec le commentaire fait le même jour par Mohamed Louizi : « L’islam tel que nous le connaissons, tel qu’il a été construit depuis le 8 juin 632, n’est compatible ni avec la démocratie, ni avec la République » ajoutant – et ce n’est pas une vantardise de sa part – qu’il travaille depuis des années à proposer une réforme de l’islam qui puisse justement le rendre compatible avec la République, et plus largement la démocratie et les bases les plus élémentaires d’une morale digne de ce nom.

Amine Elbahi appartient à la confrérie des croyants de la « tenaille identitaire »

Nous avons donc d’un côté, l’affirmation qu’il n’y aurait avec l’islam et dans l’islam aucun problème de fond, et de l’autre la conscience de ce problème et la volonté de le résoudre.

Prétendre que « l’islam est parfaitement compatible avec la République » est un déni de réalité dangereux : il fragilise l’action des réformateurs de l’islam en sous-entendant que ce travail de réforme serait finalement inutile ; il encourage les musulmans à se complaire dans la situation actuelle et, puisqu’il n’y aurait pas de problème avec l’islam, à en délégitimer toute critique et à se victimiser face à ces critiques ; il favorise la diffusion du poison islamiste parmi les musulmans en prétendant que l’entièreté de l’islam serait légitime, y compris donc ce qu’il y a de plus islamiste dans l’islam ; et enfin il incite les non-musulmans à baisser la garde face à l’islamisation, voire tente de les pousser moralement et politiquement à l’accepter sans réagir. Ainsi lorsqu’Amine Elbahi prétend que « les islamistes et l’extrême-droite sont dans le même camp », rhétorique bien connue et aussi fallacieuse que de renvoyer dos-à-dos Hitler et Churchill sous prétexte qu’ils sont tous les deux dans une logique d’affrontement, ou qu’ils ont la même vision de ce qu’est réellement le nazisme –  « oubliant » opportunément que l’un veut l’imposer au monde quand l’autre le combat.

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Il faut se souvenir de l’admirable « Lettre ouverte au monde musulman » d’Abdennour Bidar, qui écrivait en 2014 : « tu (il s’adresse ici au monde musulman) te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi et surtout la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner alors que ce moment aurait été une occasion historique de te remettre en question ! (….) Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal ! »

Mohamed Louizi offre 122 propositions

En effet, l’islam ne cessera pas d’engendrer des monstres tant que les musulmans ne s’attaqueront pas à la racine du mal, et si le rôle de l’Etat n’est évidemment pas de faire ce travail à leur place, il est néanmoins d’en affirmer l’absolue nécessité, de l’imposer aux musulmans de France dans leur ensemble avec toute la force de la loi, et de soutenir sans réserve ceux qui s’y attellent honnêtement, ici ou ailleurs – je pense à Yadh Ben Achour, à Razika Adnani, et d’autres.

Mohamed Louizi a publié dans le cadre de la campagne présidentielle 122 propositions allant dans ce sens : si l’on veut trouver un espoir pour que l’islam puisse un jour devenir autre chose que l’islamisme, et qu’il mérite ce jour-là d’avoir une place dans la République, c’est assurément dans cette direction qu’il faut chercher.

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Les toqués de TikTok

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Capture d'écran de la vidéo postée sur TikTok par @momllenial le 16/11/2021

Une TikTokeuse américaine fait actuellement un tabac sur la plateforme chinoise, en prétendant démonter les thèses de l’histoire universitaire. Mais est-ce une opération de sabotage historique, ou une série de canulars? À l’ère du wokisme, il devient difficile de faire la distinction entre les deux.


Avec 95000 abonnés et 1,7 million de « likes », une influenceuse connue pour réaliser de courtes vidéos sur l’histoire, mises en ligne sur la plate-forme chinoise TikTok, a suscité la controverse et irrité bon nombre d’historiens en affirmant que la Rome antique, telle qu’elle nous est enseignée aujourd’hui, n’a jamais existé. 

Le 16 novembre 2021, @momllenial, qui prétend avoir commencé un diplôme en anthropologie, archéologie et histoire qu’elle n’a jamais terminé, a posté une vidéo de trois minutes sous le titre, « La « Rome antique » n’est pas réelle ».  

Son succès, fulgurant, a généré des réponses indignées auxquelles elle a pris le soin de répondre avec un aplomb aussi hilarant que désarmant. Selon elle, tout ce que nous avons appris à l’école n’est que « le fruit de l’imagination de l’inquisition espagnole », pendant qu’il n’existe aucun « document romain ou certifié comme tel » apportant la preuve de l’existence de l’empire romain. Le mur d’Hadrien ? « Une route qui n’a jamais été une vraie construction » rétorque cette historienne 2.0. Elle prétend qu’il y a des « lacunes énormes dans les archives archéologiques et que seule la Grèce a été un acteur puissant d’une période comprise entre le IVème et second siècle avant Jésus-Christ ». Adoptant une posture apparemment conspirationniste, elle affirme que l’invention de la Rome antique est le résultat d’un complot de l’Église catholique. Assez brouillonne pourtant dans ses réflexions, elle reconnaît enfin que Rome a bien été un empire, mais d’ordre « culturel et économique », comme celui de Disney…

À lire ensuite: La macronie à la conquête de TikTok: entre triomphes et flops

Bien que certains internautes semblent approuver son travail, les réactions critiques n’ont pas tardé : la TikTokeuse est ainsi accusée d’agir comme un « vulgaire troll », d’avancer des sources plus que douteuses ou de faire du « wokisme » historique. Maxwell T. Paule, professeur d’études anciennes à l’Earlham College, situé dans l’état de l’Indiana, dont le compte TikTok est suivi par presque 150000 personnes et a engrangé 3,7 millions de « likes », a décidé de démonter la thèse de @momllenial en produisant des preuves irréfutables de l’existence de Rome, notamment un document écrit en latin mais dont elle prétend que c’est du grec. Tout en la qualifiant de « théoricienne du complot »

@momllenial a fait une spécialité de ce genre de vidéo. En juin 2021, elle en a posté une autre où elle remettait en cause le « genre » d’Alexandre le Grand qui serait, selon elle, une femme et non un homme. Dans une autre, publiée fin octobre, elle a suggéré que le nom « Jésus-Christ » veut dire « guérisseur de clitoris ». Cette vidéo a quand même fait l’objet de presque 45000 « likes ». 

@momllenial est-elle sérieuse ou s’agit-il d’une série de canulars ? Jusqu’en 2014, la même personne, a publié des articles traitant de la science-fiction ou des passe-temps sur le site du média numérique américain, Buzzfeed, sous le nom de Donna Dickens. Dans ses vidéos actuelles consacrées prétendument à l’histoire, elle se met en scène avec un maquillage fantaisiste de petite fille qui assiste à une fête d’anniversaire. Pas de quoi renforcer des prétentions de chercheuse universitaire… Ce qui semble la motiver, c’est surtout le désir d’attirer l’attention, et on ne peut pas nier qu’elle a réussi.

S’il y a un problème, c’est d’abord que le chemin de la célébrité passe aujourd’hui par ce qu’on peut appeler la « fake history » (comme il y a les « fake news ») ; et ensuite, que les utilisateurs de TikTok, qui sont majoritairement des jeunes, consomment de telles fariboles au risque un jour de ne plus savoir distinguer entre le vrai et le faux.

Baie du Mont-Saint-Michel: la marée montante

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Le 19 février 2022, Eric Zemmour s'est affiché avec Nicolas Bay, son nouvel allié, lors d'un meeting au Mont-Saint-Michel et à Port-en-Bessin (14) © SICCOLI PATRICK/SIPA

En Normandie, terre traditionnellement peu favorable à la droite radicale, Eric Zemmour avait donné rendez-vous à ses militants devant le Mont-Saint-Michel. Le discours du candidat « Netflix », désormais placé au second tour par certains sondeurs, a dû être avancé à cause de la tempête Eunice, mais Causeur n’en a pas manqué une miette.


Après le périple parisien de dimanche dernier, et l’infiltration de votre serviteur parmi les jeunes avec Pécresse, je me demandais comment je pouvais agrémenter le week-end suivant. Rien de palpitant à l’horizon, jusqu’à ce que je ne reçoive jeudi un mail m’invitant à participer au meeting d’Éric Zemmour au Mont-Saint-Michel.

Ouh, la gadoue la gadoue…

Ni une ni deux, je franchis le Couesnon, petit fleuve qui sépare la Bretagne de la Normandie et dont l’embouchure a décidé, à six kilomètres près, de placer la huitième merveille du monde dans l’escarcelle normande. Les pieds dans la gadoue, munis d’une paire de bottes pour les plus prévoyants, un petit millier de militants sympathisants s’étaient retrouvés au pied du Mont, où l’on aurait vite fait de se sentir à la place de Pierre Richard en certains endroits.

D.R.

Un discours aux accents mystiques

Les références cinématographiques semblent d’ailleurs avoir été mobilisées à bon escient par l’équipe de « Reconquête! » ; quand est présentée la nouvelle recrue, Nicolas Bay, régional de l’étape et accusé par son ancien parti le RN d’espionnage au terme d’une semaine agitée, c’est le générique de James Bond qui retentit. Avec le vent à décorner les bœufs qui balayait la baie (le meeting a été avancé de quelques heures pour éviter l’averse promise pour l’après-midi), on pouvait même parler d’espion venu du froid.

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La photographie de campagne au Mont-Saint-Michel est plus ou moins une figure imposée pour tout candidat de droite qui se respecte, de Balladur en 1995 à Sarkozy en 2007. Le candidat Zemmour a voulu prendre de la hauteur, délaissant quelque peu les terrains habituels de l’immigration et de l’islam, pour évoquer une situation internationale pesante et la place de la France dans le monde. Fustigeant un président Macron « humilié » par Vladimir Poutine et par la crise des sous-marins australiens, Eric Zemmour veut s’imposer, lui, « un devoir de grandeur », réveiller « un gaullisme de reconquête » et sortir du commandement intégré de l’OTAN, à l’instar du Général en 1966. Inspiré par les lieux, le discours a pris aussi des accents mystiques, évoquant l’archange Saint-Michel et le combat que se livreraient « le Bien et le Mal depuis des millénaires ».

Des sondages donnent désormais Zemmour au second tour

Sur les réseaux sociaux, les photographies de militants englués dans la gadoue ont fait le régal des community managers LR et RN. Il fallait au moins ça pour remobiliser les troupes numériques après la sortie du sondage Ifop pour Paris Match, LCI et Sud Radio de vendredi dernier et annonçant Zemmour au deuxième tour. En contraste avec une mobilisation de terrain décevante, la vidéo du meeting publiée quelques heures après a rapidement dépassé les 300 000 vues, confirmant que le candidat Zemmour domine cette « campagne à la Netflix », idée chère à Raphaël Llorca et développée dans une note à la Fondation Jean Jaurès.

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Zemmour au Mont-Saint-Michel, c’est aussi l’occasion pour le candidat de mettre les pieds dans le Grand Ouest catholique, terre de conquête plus encore que de reconquête pour le mouvement. Situé à la jonction des régions Bretagne, Pays de la Loire et Normandie, le Mont-Saint-Michel est aussi au cœur d’un triangle Caen-Brest-La Roche-sur-Yon, c’est-à-dire le périmètre de Ouest-France, journal fondé en 1899 par l’abbé Trochu et toujours imprégné de démocratie chrétienne. Si la région a pu être le terreau de certaines radicalités (les Bonnets rouges en 2013, qui avaient en quelque sorte annoncé les Gilets jaunes ; l’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), l’ensemble régional est aussi une terre de modération. En 2017, la « droite nationale » (Marine Le Pen + Nicolas Dupont-Aignan) avaient fait 18% dans l’Ille-et-Vilaine voisine (le département de Rennes et de Saint-Malo) au premier tour contre 26% au niveau national, Marine Le Pen ne terminant qu’à la quatrième place. Au deuxième tour, elle faisait 22% contre 77%, plus proche du score du paternel en 2002 que du sien à l’échelle nationale. Si une frange plus conservatrice et sensible à la présence au meeting de Philippe de Villiers n’a pas disparu, l’Ouest catholique a suivi fidèlement en deux siècles l’évolution de son clergé : réfractaire lorsque le clergé était réfractaire pendant la Révolution, il a progressivement adhéré à la démocratie chrétienne jusqu’à devenir « catholique de gauche ». Le parcours de Jean-Marc Ayrault, du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (proche de la gauche, voire de l’extrême-gauche) à la mairie de Nantes ravie à la droite en 1983 est évocateur. L’Ouest catholique semble aujourd’hui relativement à l’aise en Macronie, plaçant en tête LREM lors des dernières européennes. Une superposition des cartes par département des prêtres réfractaires pendant la Révolution, des catholiques pratiquants dans les années 1960 et du vote LREM-Modem (en jaune sur la troisième carte plus bas) donne des constantes étonnantes, partagées avec les Pyrénées-Atlantiques, le Bas-Rhin et la Haute-Savoie par exemple.

Cartes tirées de Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, « Le mystère français », Seuil, 2011

Sur le terrain, les militants sont optimistes.

Alexandre Payen, 20 ans, est responsable de Génération Zemmour en Ille-et-Vilaine. A Rennes, il a participé au tout premier collage d’affiches, début septembre. Ils étaient sept participants lors de la première opération. Un autre militant me raconte : « Au premier collage, nous avons été interpellés par des étudiants attablés dans un bar à proximité. L’échange était resté courtois. A ce moment-là, la candidature de Zemmour paraissait aux gens peu politisés totalement invraisemblable ». Au fil des mois, alors que les nuits rennaises se faisaient de plus en plus froides et que l’espérance de vie d’une affiche d’Éric Zemmour dans le centre-ville est comprise entre trente minutes et trois heures, les rangs se gonflent et ne se découragent pas. Aujourd’hui, près de 200 militants participent aux opérations sur tout le département, alors que me signale Alexandre Payen, LR et RN semblent incapables de mobiliser les leurs. Les profils ? Des jeunes gens aux idées de droite bien arrêtées, qui n’avaient pour la plupart jamais franchi le pas du militantisme, n’ayant trouvé aucune personnalité répondant tout à fait à leurs attentes.

Les deux pieds dans la gadoue, ils ont sacrifié pour certains d’entre eux leurs paires de richelieus.

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Chômage: où est la vérité?

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Agence Pôle Emploi à Nice, août 2021 © SYSPEO/SIPA

Un tour de passe-passe statistique permet à Bruno Le Maire ou Elisabeth Borne de louer l’action du président Macron à quelques semaines de l’élection présidentielle. En France, ce pays singulier, il existe un chômage pluriel, celui calculé par l’Insee à partir de sondages et celui de Pôle emploi qui compte les bénéficiaires de l’assurance chômage.


Sur les dix dernières années soit deux quinquennats, les deux présidents ont radicalement changé dans leur gestion du chômage, mais Emmanuel Macron a été beaucoup plus malin que François Hollande, ce qui lui permet de faire savoir aujourd’hui urbi et orbi, en pleine période électorale, que le taux de chômage en France, après une forte baisse, est tombé à 7,4 % au quatrième trimestre 2021 [1]. Grâce à quoi tous les courtisans habituels sur le sujet se déchaînent dans les grands médias. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, sur RTL, n’a pas hésité à sortir un époustouflant « c’est une grande victoire française ». La ministre du Travail Élisabeth Borne a été plus cérémonieuse : ces « très bonnes nouvelles », a-t-elle dit sur France Inter, sont « le résultat des réformes qui ont été menées depuis le début du quinquennat et aussi de toutes les mesures qui ont été prises pendant la crise ». Quant à Stanislas Guérini, le délégué général de LREM, il a fait très fort en déclarant à CNews que l’objectif pour le futur quinquennat allait être le « plein emploi », employant des mots dont il ne connaît même pas la signification. Mais à la guerre comme à la guerre, l’important est d’avoir l’air convaincu !


Le taux de chômage a baissé à 7,4% fin 2021. Au plus bas depuis 2008. C’est une grande victoire française contre la résignation. Notre politique économique porte ses fruits.
Contrairement à ce que disent les Cassandre, l’économie française se porte bien. #RTLMatin

Originally tweeted by Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) on 18 February 2022.


Ce dossier du chômage en France, il est vrai, ressemble plus à une pelote d’épines qu’à un bouquet de marguerites. C’est surtout un véritable feuilleton qui commence avec François Hollande, lequel, dès son arrivée au pouvoir en 2012, avait décidé d’« inverser la courbe du chômage ». Or, c’est le contraire qui s’est produit. Et de façon spectaculaire. 

Le président avait choisi de prendre pour référence les informations de Pôle emploi, qui semblaient effectivement les plus sérieuses puisqu’elles comptabilisaient les chômeurs ! 

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On a rarement vu dans l’histoire sociale française, pourtant mouvementée, une déroute aussi brutale : à Pôle emploi, pendant la période 2012-2017, la catégorie A (sans aucune activité) est passée de 3,2 millions à 3,8 millions de personnes, soit 600 000 chômeurs de plus. En cumulant les trois principales catégories ABC, les B et C regroupant des chômeurs exerçant une activité réduite de façon souvent intermittente, on est passé de 4,6 millions à 5,8 millions, soit une augmentation de 1,2 million de bénéficiaires de l’assurance chômage. Autrement dit une inversion « à l’envers » de la courbe du chômage touchant dorénavant près de 6 millions de Français. 

Une étonnante manœuvre de diversion

On connaît le résultat de la politique économique de François Hollande : lui qui avait indexé son éventuelle réélection sur des résultats probants en matière de chômage en a tiré les conséquences et pris sa retraite politique. Emmanuel Macron, un fin manœuvrier qui a tout compris du système politique français, basé parfois sur des arrangements administratifs aux limites, a trouvé une solution vis-à-vis de l’opinion et des médias dans une étonnante manœuvre de diversion : il a purement et simplement changé de thermomètre du chômage en adoptant, avec la participation de l’Insee, celui du Bureau international du travail (BIT) utilisé par ailleurs dans un grand nombre de pays, en particulier ceux dans lesquels n’existe pas l’équivalent de Pôle emploi.

L’Insee donc, pour ses statistiques « officielles », ne se réfère plus aux chiffres de Pôle emploi mais se base sur des sondages réguliers réalisés auprès d’un panel tournant de 110 000 personnes. Les chômeurs « officiels » sont ceux qui répondent « Oui » à la question suivante : « Avez-vous effectué une démarche active de recherche d’emploi au cours des quatre dernières semaines et êtes-vous disponible pour travailler dans les deux prochaines semaines ? » Les chômeurs « officieux » qui n’entrent pas dans cette catégorie et qui ont répondu « Non » au questionnaire, ceux qui sont en chômage partiel de longue durée, ou en formation, ou en emploi aidé, et tous ceux qui ne sont pas immédiatement disponibles pour une raison ou pour une autre, ne sont pas comptabilisés par l’Insee et basculent dans une catégorie annexe appelée le « halo du chômage ». 

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Toute l’astuce de Macron est là : les chômeurs officiels deviennent moins nombreux que ceux de Pôle emploi et les chômeurs officieux n’apparaissant plus, tout en étant à la charge de Pôle emploi, les statistiques officielles du chômage s’en trouvent nettement améliorées. L’iFRAP d’Agnès Verdier-Molinié a bien observé le problème et constaté ainsi qu’au deuxième trimestre 2021, « il y avait 3,5 millions de demandeurs d’emploi dans la catégorie A de Pôle emploi, contre… 2,4 millions de chômeurs au sens du BIT recensés par l’enquête emploi de l’Insee », auxquels s’ajoutait le fameux « halo » du chômage qui comportait alors 1,9 million de personnes. 

Il ne suffit pas de changer de thermomètre pour faire baisser la température

Or, ce « halo », comme c’est curieux, n’est-ce pas ? qui était de 1,4 million de personnes en 2012 a très sensiblement grossi sous Macron, passant à 1,6 million en 2018 puis à 1,9 million en 2021 : le résultat d’une gestion politique d’un problème social ultrasensible, réglé de main de maître par l’Élysée avec la complicité de médias obéissants. Dans un « édito » du 4 février dernier sur CNews, Agnès Verdier-Molinié, qui est pratiquement la seule personne en France à dire toujours la vérité sur la situation économique réelle du pays [2] nous a dévoilé la vérité sur le chômage : « En 2019, si on additionnait juste le chômage et le “halo” du chômage, on était à 13,5 % » par opposition à l’Allemagne qui « était à 7,2 %, halo inclus ». Elle a ajouté : « Si l’on fait le compte entre les demandeurs d’emploi, les inactifs qui ne cherchent plus et les personnes qui travaillent mais souhaiteraient travailler plus [sous-emploi], on englobe près de 6 millions de personnes et on triple le nombre de demandeurs d’emploi officiels. » 

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6 millions, cela ne vous rappelle rien ? C’était le nombre des chômeurs dans les trois catégories ABC de Pôle Emploi, à la fin du mandat de François Hollande… Ajoutons enfin que Pôle emploi, pour la période du quatrième trimestre 2021, a effectivement constaté de son côté une baisse de 6,2 % dans le nombre d’inscrits en catégorie A, dans laquelle n’apparaissent plus que 3,3 millions de chômeurs, face aux 2,2 millions de l’étude Insee, ce qui donne toujours entre les deux organismes un différentiel important et pour tout dire anormal. En creusant sérieusement le dossier, on s’aperçoit que 166 400 chômeurs inscrits à Pôle emploi ont été radiés en 2021 pour des raisons non précisées, ce qui est tout aussi anormal, et que le « halo » du chômage a encore augmenté de 48 000 personnes. Conclusion : nous avons en France des manipulateurs très malins, mais soyons clair, il ne suffit pas de changer de thermomètre pour faire baisser la température, même en période électorale…

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[1] Ce chiffre, publié le 18 février, représente une baisse de 0,6 point par rapport au trimestre précédent NDLR

[2] Cf. son dernier livre, Le vrai Etat de la France aux Éditions de l’Observatoire.

Good Bye Berlin!

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© Bernard Richebé

Berlin Berlin, la nouvelle comédie de Patrick Haudecœur et de Gérald Sibleyras mise en scène par José Paul met le feu au Théâtre Fontaine.


Le théâtre, c’est du rythme et de l’esprit, l’un ne va pas sans l’autre. La rapidité sans la maîtrise de l’adhérence est le b.a.-ba des bons pilotes de rallye. Préparez-vous à une spéciale chronométrée du Monte-Carlo dans les fauteuils rouges du Théâtre Fontaine. Les virages vous arrivent en pleine figure aussi vite que les répliques. Pif-paf côté cour, enchaînements virtuoses côté jardin. Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras, deux maîtres de l’humour à fragmentation désopilante ont mis un tigre dans le moteur de cette pièce qui se dégoupille comme une poupée russe.

Comédie policière

Sa mécanique d’entraînement, au-delà de la drôlerie et de la finesse de l’écriture, est d’une précision allemande. Rassurez-vous, elle fonctionne mieux qu’une poussive mais néanmoins résiliente Trabant. Vous embarquez à la fois chez Philippe de Broca pour un gymkhana infernal d’une heure quarante minutes, et aussi chez Les Branquignols pour la satire domestique, sorte de soupe Soljanka relevée de mauvaise foi. C’est comme si L’Homme de Rio installé à Berlin-Est voulait passer à l’Ouest. Ce Cours après moi que je t’attrape à la mode bolchévique est la révélation de la rentrée.

Préférez cette comédie policière à l’espionnite ménagère qui met le Théâtre Fontaine en transe aux interminables débats électoraux qui polluent la télé, cet hiver. Berlin Berlin a les moyens de vous faire sortir de chez vous ! Emma (Anne Charrier) et Ludwig (Patrick Haudecoeur) arriveront-ils à franchir le mur par le passage secret situé dans l’appartement de la mère de Werner Hofmann, agent assermenté de la Stasi (Maxime d’Aboville) ?

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Ce nid d’espions sur Bernauer Straße s’articule comme une fuite en avant, où la bassesse et les trahisons inhérentes aux régimes totalitaires révèlent toute leur tragédie comique. La farce de la police politique est sans fin. Il faudrait retourner plusieurs fois au théâtre pour apprécier toutes les subtilités du texte, tous ces rhizomes qui font la cohérence de la pièce. Le rythme assurément est là, tonitruant, percutant, haletant ; l’esprit français, la vanne déconnante et persifleuse aussi ; et surtout, la fluidité. On oublie trop souvent la fluidité d’une pièce, son ruissellement qui happe et submerge le public, l’attache et l’évade, le sort de sa torpeur quotidienne.

La Stasi au rendez-vous

Cette fantasia chez les Ossis repose sur des comédiens affûtés, ils ont du souffle et du ressort. Patrick Haudecoeur est un Jean Carmet lunaire et pleurnichard, tendre et lâche, rêveur et éternel défaitiste face à une existence en cul-de-sac. Une vraie mascotte des tortionnaires. Maxime d’Aboville, Don Juan du réalisme socialiste, accumule bêtises et certitudes avec une force diabolique, quel régal de voir cet amoureux éconduit ! Toute la distribution assure le spectacle, Loïc Legendre à la voix sirupeuse et suspecte ou encore l’excellente Marie Lanchas en colonel de la Stasi mélomaniaque font des merveilles.

© Bernard Richebé

Et puis, il y a la reine Anne Charrier, elle ferait du bobsleigh que je la trouverais toujours aussi séduisante. Elle glisse sur la scène, en talons plats et trench voltigeur, telle une Audrey Hepburn boulevardière. Et quand elle feint l’émotion, son vibrato ferait tressaillir un commando de légionnaires. Elle a cette grâce suspendue qui éclate dans les rires et les interrogations. Le talent ne s’explique pas, il est injuste, par nature.

Espions contre l’ennui

Souvent la comédie à gros traits est laide, inesthétique dans ses décors et son traitement visuel. Elle compte seulement sur la blague grossière pour sauver les meubles. C’est une erreur que ne commettent pas Édouard Laug au décor, Juliette Chanaud aux costumes, Laurent Béal à la lumière et Michel Winogradoff à la musique. Avec l’usage parcimonieux de la vidéo, on voit le mur s’élever et la fronde intérieure se soulever. Dès les premières minutes, le public adhère à la beauté de ce projet original. Berlin Berlin est du théâtre populaire contrairement aux démocraties ou aux primaires du même nom. Un théâtre qui combat l’ennui intelligemment, qui n’instrumentalise pas pour la gloriole et qui emporte par son mouvement salvateur. La vie des autres est assurément plus drôle avec toute cette troupe.

En attendant Georges-L. Godeau

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Marais poitevin Wikimedia Commons

Le poème du dimanche


Georges-L. Godeau (1921-1999) a été ingénieur des Travaux publics dans les Deux-Sèvres où il a toujours vécu. Il a aussi été poète. Et un poète qui fut connu comme peuvent l’être les poètes, c’est à dire reconnu par ceux qui aiment la poésie. Il a reçu en son temps le prix Max-Pol Fouchet qui est un peu le Goncourt en la matière. Il a aussi été traduit en japonais, en russe et en allemand, ce qui est plus rare pour un poète. Il a même fait l’objet en 1994 d’un numéro spécial de la NRF. Aujourd’hui, il devient difficile de trouver ses livres qui ne sont plus disponibles sauf chez les bouquinistes.

C’est d’autant plus dommage que sa poésie est parfaitement accessible, formée de courts textes en prose qui disent la vie quotidienne du Marais poitevin, mais aussi de ceux qui travaillent dans les usines, les bureaux, les écoles, de ceux qui sont en vacances, de ceux qui espèrent, de ceux qui vieillissent, de ceux qui découvrent l’amour. Il saisit la vie quotidienne qui est la nôtre comme on prend une photo. Si Godeau se méfie du lyrisme, c’est qu’il n’ en a pas besoin pour dire la vie des hommes, tantôt grise, tantôt lumineuse. Pour dire Les foules prodigieuses, titre d’un de ses recueils majeurs. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, c’est deux échantillons de cette humanité qu’elle vous offre ce dimanche.


Le jeune couple

Beaux comme deux touaregs, ils marchent vers la mer.
En avant. Ils glissent comme des torpilles. Les machines
     sont bien réglées. Ils font le grand tour
     au bord du large.
 

Déjà, ils reviennent. Ils sortent sans s’ébrouer puis
     restent debout, un moment. Lui, allume une

     cigarette, elle, peigne ses cheveux.

Calmes, ils se regardent. Ils échangent un fil de

      sourire. Pour eux.

***

Le contrat

Tes disques ne sont pas les miens, mes journaux 
  les tiens.
Il m’arrive d’aller seul au cinéma.
Dans la rue, tu regardes les hommes et moi les jolies 
  filles.
Au doigt, nous n’avons pas d’alliance.
Pourtant, dans notre poche, nous avons la clé de 
  la même porte.
Nos fenêtres s’ouvrent au printemps. Parfois, tu 
  chantes.
Les voisins s’y perdent.

Georges L. Godeau, in Les Foules prodigieuses (Chambelland, 1970)

Les foules prodigieuses

Price: 13,92 €

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