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Une classe politique qui manque singulièrement de classe


Une classe politique qui manque singulièrement de classe
Emmanuel Macron, François Hollande, Marisol Touraine, usine Novo Nordisk, Chartres, avril 2016 © HAMILTON-POOL/SIPA

Tout le monde se réclame de De Gaulle — mais qui lui arrive à la cheville ? Peut-être avons-nous le personnel politique que nous méritons, et ce n’est pas encourageant.

Je lisais ces jours-ci les Derniers jours des fauves, l’excellent roman de Jérôme Leroy que Frédéric Ferney a chroniqué dans le dernier numéro de Causeur. L’action se déroule dans une France qui ressemble fort à la nôtre, à quelques détails près : ce n’est pas un sémillant quadragénaire mariée à une alerte sexagénaire qui est au pouvoir, mais une cougar, comme on dit chez les pornographes, qui a épousé un gentil poète de 25 ans son cadet. Les ministres qui l’entourent s’entre-déchirent, dès qu’ils ont vent de la décision de la dame, minée par les manifestations, les attentats, la canicule et les derniers feux d’automne de sa libido, de ne pas se représenter à la présidentielle à venir. Le ministre de l’Intérieur, en particulier, fomente quelques actions d’éclat particulièrement sanglantes, et bon nombre de gentils hurluberlus et d’hommes et de femmes de main impitoyables seront broyés par des machinations toutes plus tordues les unes que les autres.

Les hommes politiques n’ont rien de miraculeux : ils sont le reflet et le produit de l’état de leur pays. Nous méritons Macron et ses petits marquis

Si vous n’avez pas compris qu’il faut le lire d’extrême urgence, c’est que je me suis mal exprimé.

Le roman m’a incité à peser et soupeser cette classe politique qui se dispute aujourd’hui les suffrages à venir, hante les plateaux télé, et se répand en considérations solennelles et oiseuses sur la sécurité, l’immigration, l’écologie et le déclin de la France, sans voir qu’elle est en tous points l’expression de ce déclin : voilà déjà une bonne trentaine d’années que bien peu de politiciens passent la barre, si je puis dire.

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Que Valérie Pécresse ne soit pas une oratrice naturelle, soit — et si les défections suivent leur pente actuelle, LR sera ventilé à tous les horizons dès la fin de la campagne. Que Marine Le Pen soit désormais une centriste prudente (pléonasme !) et non une femme de droite extrême, j’y consens, même si la stratégie de la prudence n’a jamais donné de bons résultats en période de crise. Qu’Eric Zemmour prétende être un homme cultivé peut faire sourire : il suffit ces temps-ci d’affirmer imprudemment deux ou trois contre-vérités historiques pour passer pour un puits de culture.

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01060914_000004

C’est que la culture est la grande oubliée de cette campagne, comme de toutes celles qui l’ont précédée : rappelez-vous la sortie d’une grande intelligence de Nicolas Sarkozy sur l’inutilité de lire la Princesse de Clèves. Dès lors, dans un pays où l’on n’apprend plus grand-chose à l’école, vous pouvez bien dire ce qui vous chante, personne ne vous contredira.

Que Fabien Roussel ait requinqué le Parti Communiste, héritier pourtant d’une histoire peu présentable, en faisant la promotion du steak-frites et du camembert est presque comique : la France a divorcé depuis lurette de ses productions paysannes emblématiques, et se nourrit de pizzas surgelées consommées par des ectoplasmes vautrés sur leur canapé devant une télévision qui déverse de l’abrutissement en continu. Je ne parlerai que pour mémoire des écologistes, dont Sandrine Rousseau est le parangon et la caricature en même temps. Quant à la gauche, elle est si pressée de perdre que ses anciens poids lourds se dispersent façon puzzle en affichant leur soutien qui à Mélenchon, qui à Macron.

Mon père, qui fut flic dans mon enfance, a repris des études sur le tard et il est devenu professeur d’université (et premier président de l’université de Corse, qu’il a créée de toutes pièces) après avoir soutenu une thèse sur le Cardinal de Retz, le plus fameux intrigant du XVIIe siècle — et un mémorialiste remarquable. J’ai baigné, dès mon adolescence, dans les complots et les conflits vertigineux qui jalonnèrent les années 1630-1660, de Richelieu à Colbert en passant par Mazarin : la chance de la France du « grand siècle » fut d’avoir à sa tête, successivement, trois puissants esprits qui gagnèrent la Guerre de Trente ans en affaiblissant à jamais l’Espagne et qui, mieux encore, gagnèrent la paix.

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Qui ne sait que Richelieu fut certainement l’un des modèles de De Gaulle ? Qui s’étonnera que Retz ait été une lecture de base, souvent citée, de François Mitterrand, le dernier des vrais fauves — pour reprendre le titre de Jérôme Leroy — de la politique française ?

C’est l’inconvénient d’avoir été exposé jeune à des œuvres et des hommes de premier plan. Ce qui suit paraît inférieur, et même dérisoire ; Laissez tomber le Suicide français et lisez donc les Mémoires de Retz, qui fomenta une révolution et manqua de renverser la royauté.

Les hommes politiques n’ont rien de miraculeux : ils sont le reflet et le produit de l’état de leur pays. Nous méritons Macron et ses petits marquis. Les Etats-Unis, cette première puissance pourrissante, mérite Trump, tweetos en chef, ou Biden, le sénile devenu roi. La Russie ou la Chine, pendant ce temps, ont produit Vladimir Poutine et Xi Jinping. Les événements d’Ukraine, cette partie de poker menteur que le président russe, qui ne veut surtout pas que l’Otan frappe à sa porte, est en train de remporter, sont l’illustration exemplaire de mon propos. Et l’insistance des médias français pour nous faire savoir que Macron a téléphoné au tsar est presque comique. Ça me rappelle l’époque où, non sans raison, Mitterrand qualifiait Giscard de « petit télégraphiste de Varsovie » parce que le président de la République s’était glorifié d’un message de Leonid Brejnev faisant état d’un retrait (qui s’avéra factice) des troupes russes hors d’Afghanistan. Une vanne qui trouva un écho avec le « barreur de petit temps », titre de gloire dont Roland Dumas avait affublé Michel Rocard.  Ou, plus près de nous, rappelez-vous cette étiquette de « capitaine de pédalo dans la saison des tempêtes » que Mélenchon avait collée sur le front de Hollande.

Notre personnel politique est exsangue parce que notre pays est à bout de souffle. Les projets des uns et des autres sont accablants de pauvreté : qui parle vraiment de réindustrialiser la France, de maîtriser le libéralisme et la mondialisation, qui parle de réorienter le système éducatif, qui parle de grandeur et de destin ? Dans ce pays qui jadis engendra les Lumières, nous n’avons plus droit qu’à des lumignons, des vers luisants qui s’agitent pour faire croire qu’ils sont des feux d’artifice. Rendez-nous Retz, rendez-nous Richelieu et Mazarin, rendez-nous Napoléon ou Clemenceau. Mais ne prétendez pas être des hommes ou des femmes providentiels — ou alors, il y a de quoi répudier à jamais la Providence. Un pays qui produit tant de petits hommes ne sera plus jamais grand. L’offre politique de cette campagne est à hauteur de nains.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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