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Érotisme d’hier, pornographie d’aujourd’hui

La réédition de Cérémonies de femmes (Grasset) sous le véritable nom de son auteur, Catherine Robbe-Grillet, nous replonge dans les saveurs et complexités d’une société érotique. À l’inverse, avec Quelques mois dans ma vie (Flammarion), Michel Houellebecq nous tend le miroir d’une société bassement pornographique.


L’érotisme est caché, c’est sa définition même. L’érotisme, c’est cette rose cueillie dans les jardins de Bagatelle, retenue par la jarretelle du bas d’Anne, la petite esclave de Claire. L’épine enfoncée dans la chair, mais la rose elle-même, et le mince filet de sang qui marque la blancheur de la cuisse, occultés par la jupe que l’on a pris soin de laisser retomber sur la fleur.

C’est l’une des scènes de L’Image, un joli roman à coloration SM paru aux Éditions de Minuit en 1956 et signé Jean de Berg, qui plus tard enfanta Jeanne de Berg, pseudonyme habituel de Catherine Robbe-Grillet. Qu’Alain Robbe-Grillet, qui initia son épouse aux jeux sadomasochistes que j’ai vus jadis perpétrés au château du Mesnil-au-Grain, ait mis la main à L’Image, c’est ce que tendrait à prouver l’étude lexicale de l’ouvrage. L’Image est bien plus près du Voyeur (1955) que des Cérémonies de femmes parues initialement en 1985 et que Catherine vient enfin de signer de son nom d’épouse, en renonçant aux pseudonymes.

Ces jeux étaient marqués du signe de la simulation. Au sens le plus noble du terme, c’était du cinéma. Rien d’étonnant, Catherine fut l’interprète et la coscénariste de certains des films de son sulfureux époux.

La pornographie aussi est du cinéma – mais au sens le plus bas du terme. Si Trans-Euro-Express (1967) ou Glissements progressifs du plaisir (1974) sont des films si intellectuels qu’ils en sont parfois arides, c’est qu’ils s’adressent à l’organe central de la sexualité – le cerveau. Monde d’en haut, dirait Bakhtine. La pornographie ne s’exerce que sur le monde d’en bas.

Nous avons, en une cinquantaine d’années, glissé d’une société ancienne et érotique, où le discours et l’image flirtaient avec la suggestion et l’équivoque – le passage au tutoiement dans Quai des brumes, Bardot au début du Mépris, Romy Schneider dans La Piscine – à une société pornographique où seuls comptent mensurations et gros plans. Le basculement a eu lieu dans les années 1970. Voir l’adaptation ridicule de L’Image en 1975, avec Rebecca Brooke : ce qui en mots était d’une perversité amusante devient, en images, d’une niaiserie démonstrative. Just Jaeckin a réussi le même ratage intégral avec Histoire d’O, la même année : ce qui en mots et en 1954 était d’un érotisme brûlant comme la glace est devenu un livre d’images léchées.

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L’érotisme donne à deviner, la pornographie expose. Dans un monde du moindre effort et de la consommation immédiate, la pornographie devait triompher. Jeanne de Berg l’a observé : « Dans le sadomasochisme, j’ai observé un dépérissement à partir des années 1980. » L’imagination a déserté les soirées, et il n’en est resté qu’un dress code à l’entrée de Cris et Chuchotements (9, rue Truffaut – l’ennui tout cuir).

Ce qui fait l’érotisme, c’est l’infraction – et Catherine, élevée dans une foi catholique rigide, en est un témoignage parmi tant d’autres. Les grands siècles de l’érotisme en France furent des siècles sous emprise morale. Le XVIIIe, par exemple, a enfanté aussi bien Thérèse (philosophe) que Justine et Juliette. Le XIXe et le début du XXe, embués de morale bourgeoise, ont produit les écarts jouissifs de Musset dans Gamiani, ou d’Apollinaire (dans Les Onze Mille Verges).

Cet érotisme-là marque la grande victoire des femmes, quoi qu’en pensent les puritains d’aujourd’hui, presque tous de gauche. Féministes, les héroïnes de Marivaux, de Crébillon, de Laclos, de Sade. Catherine Robbe-Grillet ou Emmanuelle Arsan appartiennent à cette filiation, où les coups de fouet ont commencé à s’abattre dans le cadre des pénitences. Et les amateurs éclairés savent bien qu’un être ligoté de contraintes morales est bien plus susceptible d’écarts grandioses qu’un contemporain « libéré » – et esclave de la mode, du qu’en-dira-t-on et du wokisme.

Michel Houellebecq, littérairement parlant, n’a jamais appartenu au monde d’avant. Ses héros lamentables font du tourisme sexuel en Thaïlande et consomment, au lieu d’explorer. L’érotisme, le vrai, ne consiste pas à jouer à l’horizontale avec des zones érogènes, mais à s’insinuer dans une psyché pour y défricher la zone grise, entre fantasmes et désirs, où l’on est tenté d’entrer sans savoir quel sera le bout et l’objet de la quête. Catherine dit très bien que le fantasme est « la cosa mentale de Léonard de Vinci – cette chose qui est dans la tête et qui vient s’ajouter à la réalité ».

Expliquons, pour les hilotes. Le viol est un fantasme pour 99 % des femmes. Mais savoir à quel moment une fessée, jeu très ordinaire, peut être remplacée par des coups de fouet ou de canne, c’est tout autre chose. Dix coups ? Cinquante coups ? Deux cents coups ? Avec incision au cutter des boursouflures ? Assez bas sur les cuisses pour qu’en prenant un verre à la terrasse du Fouquet’s, on montre innocemment aux passants ce que l’on est ? La contemporanéité balance entre le ridicule du pseudo-BDSM (les Fifty Shades of Grey d’E. L. James) et le pseudo-réalisme du film industriel.

Michel, peut mieux faire

Héros malgré lui – au sens alsacien du terme, si je puis dire – d’un film pornographique, Houellebecq raconte dans Quelques mois dans ma vie (Flammarion), ce qu’il a ressenti quand il a compris qu’une sextape où l’on voit ses ébats avec une actrice hollandaise consentante allait être diffusée sur le Web. Et en profite pour narrer une séance de domination houllebecquienne en diable – je vous en fais juge :

« Entièrement nue à l’exception d’un bandeau qui recouvre ses yeux, la femme se voit attachée par des courroies aux quatre coins du lit, bras et jambes largement écartés. Un oreiller placé sous sa tête facilite l’accès à sa bouche. Un second placé sous ses fesses place sa chatte en position élevée, la livrant entièrement au regard (dans un premier temps). Il s’agit ensuite, pour la femme, simplement d’attendre. Il appartient alors à l’homme d’utiliser ses doigts et sa langue pour amener à leur point d’excitation maximale les deux orifices offerts. Il peut à tout moment s’arrêter, laisser passer un temps, employer sa bite à une pénétration brève, s’interrompre à nouveau, se livrer à de nouveaux baisers, lécher le clitoris, s’arrêter encore avant d’utiliser toutes ses forces pour baiser à fond la bouche et la chatte. C’est une manière exquise d’occuper un après-midi d’été lorsqu’il fait trop chaud pour aller à la plage. »

Mauvais scénario de série Z, et certitude de s’ennuyer ferme, entre deux courants d’air inopportuns et l’envie de faire pipi. Allons, Michel, vous pouvez mieux faire : relisez Catherine.

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Quand tout aura son « éco-score »…

Actuellement, les autorités ne cessent d’inventer de nouvelles façons d’évaluer les produits selon leur impact sur l’environnement. Mais à quelles fins exactement? Et jusqu’où peut-on aller en suivant la logique qui y est associée?


Qu’est-ce qu’une ACV ? C’est une Analyse du cycle de vie. Tous les mots sont importants, surtout « cycle » qui implique la naissance et la mort. Pour un produit, on dit « du berceau à la tombe ». La formule est riche de possibilités qui semblent avoir échappé aux énarques qui gèrent notre pays, particulièrement au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Mais n’allons pas trop vite…

Des analyses qui valent leur pesant de papier

Imaginez un produit. Un sac de caisse par exemple. Une analyse de cycle de vie est un procédé qui compare les différents produits destinés au même usage. Il établit un bilan de la quantité des flux entrants (eau, énergie, matières premières) et sortants (eau, air, déchets), à chaque étape de son cycle de vie. Cela permet d’identifier les impacts environnementaux à toutes les étapes, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la sortie de l’usine (production des matières premières, transport, fabrication du produit, distribution, utilisation, réutilisation et fin de vie) en fonction de son impact sur les écosystèmes, les ressources et la santé.

L’Analyse de Cycle de Vie des sacs pour fruits et légumes, qui date de 2019, fait 221 pages.

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Les résultats des ACV sont souvent bluffants : ayant pris tous les critères en considération, ceux du sac de caisse en plastique (« cabas en polyéthylène », de son nom de baptême, interdit en France depuis 2016, sous la pression des associations) montrent quepour un nombre d’utilisations supérieur ou égal à 4, il consomme trois fois moins d’eau et émet 80 à 90% moins de gaz à effet de serre et de gaz acide que son concurrent en papier.[1]

La manie des « éco-scores »

« Un pays qui produit 365 sortes de fromages ne peut pas perdre la guerre », avait déclaré Charles de Gaulle en 1940. Aujourd’hui, il pourrait dire qu’un pays qui produit 365 nouvelles réglementations par an ne peut pas gagner de guerre économique ou écologique.

Justement, un nouvel outil à complexifier la vie a été annoncé pour le 1er janvier 2024, date à laquelle chaque véhicule fonctionnant sur batterie vendu dans notre pays sera doté d’un « score environnemental » calculé sur les émissions carbone générées par sa fabrication. Cela rappelle étrangement le Diagnostic de performance énergétique (DPE), institué un jour, jugé inapplicable le lendemain par les acteurs sur le terrain, obligatoire pour toute vente ou location par l’État depuis le 1er janvier 2023 et qui probablement supprimé (ou reporté sine die) au moment où la prochaine étape (le 1er janvier 2024) entrera en application.

L’éco-score est un ersatz d’ACV sans alcool : le berceau du véhicule est esquissé, en surévaluant le carbone de la production, et la fin de vie est soigneusement oubliée. Il s’agit de lutter contre la concurrence chinoise, surtout pas de démontrer scientifiquement que la voiture électrique est une catastrophe environnementale !

En jeu, la réforme du bonus écologique, une aide de plusieurs milliers d’euros accordée pour l’achat ou la location longue durée d’un véhicule peu polluant. « Cette réforme va nous permettre de réserver le soutien public aux véhicules électriques qui ont la meilleure empreinte carbone et qui sont donc produits dans les pays et usines les plus décarbonés », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.  

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Il serait étonnant que le nouvel éco-machin prenne en compte l’électricité allemande, ultra-recarbonée depuis la fermeture des centrales nucléaires. Encore plus surprenant serait le fait que l’incapacité française de fournir assez de chauffage électrique en hiver à ses citoyens soit parmi les critères étudiés…  

Quel serait le score d’un homme ?

Curieusement, si on réalisait l’analyse de cycle de vie dans le cas de l’être humain, on se rendrait compte que la PMA et l’insémination artificielle au service des futurs « pères enceints » et d’autres couples non-traditionnels a un impact infiniment plus lourd sur l’économie et l’environnement que la bonne vieille bête à deux dos.

En lisant le détail de la nouvelle exception française relative à « l’éco-score » des voitures électriques, on se prend à rêver d’une autre usine à gaz qui rapporterait à l’État de quoi rembourser sa dette : un impôt sur les successions indexé sur l’« ACV » du défunt.


[1] ACV réalisée en 2003 par Ecobilan, expert en ACV au service de l’industrie et du secteur public dans le domaine du développement durable. www.ecobilan.com.

Chantal Thomas : L’appel à nager

Chantal Thomas nous convie dans ces entretiens avec Fabrice Lardreau à partager son versant intime pour cette Etreinte de l’eau qui nous revient comme un plaisant ressac après son Journal de nage.


C’est une vision très sensorielle, camusienne en un sens, d’un monde rassemblé dans cet océan de couleurs où mer et sable offrent à l’homme nu ses forces vives. Son vitalisme nous est conté avec des mots simples et précis allant de pair avec la pureté des éléments minéraux. Les Noces à Tipasa sont aussi fêtées sur l’autre rive de la méditerranée où les interdits judéo-chrétiens sont balayés d’une brise marine. Ici, la mer semble n’avoir d’égards qu’aux amateurs d’immersion dans la sensualité de l’instant.

En effet, si la montagne ou la randonnée nécessite un minimum d’équipement, la mer quant à elle, invite son hôte dans le plus simple appareil. C’est d’ailleurs, nous dit l’auteur, la seule chose tangible qui pourrait être exigée du nageur si la nature l’obligeait. 

Aussi, suit-elle l’empreinte laissée dans le sable par l’amoralité païenne de ses glorieux prédécesseurs : Gide et Nietzsche. Ils confirmèrent son inclination – sans trop de difficultés, ajoute t-elle avec malice – à fuir toute cléricature entendue au sens large pour mieux aborder les eaux bienfaisantes du Gai savoir. En somme, un détachement naturel dans l’esprit de la philosophie zen, cousin d’un sentiment océanique parfaitement illustré dans ces entretiens.

Au chapitre sur Les Mots, Chantal Thomas évoque les écrivains Jack Kerouac et Nicolas Bouvier, dont les voyages au long cours représentèrent pour elle la bourlingue idéale typique de ceux de la Beat Generation. Très peu de préparatifs, une 2 CV aux allures de vieille guimbarde ou le grand ouest en bus, mais surtout l’ignorance affichée et presque totale des pays traversés ; foin des conventions et des Guides bleus ! Puisque seul compte l’instant avec son lot de surprises et d’altérités dont témoigne leur style fragmentaire.

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C’est « la scansion be-bop de Kerouac » qui charrie son content d’aventures d’une route tracée au hasard des chemins. Nos deux poètes en vadrouille saisissent des impressions de voyage communes par leurs instantanés de vie ; des « flashs » qui procurent ce même sentiment d’immanence éprouvé par notre distinguée Néréide en habit vert lorsqu’elle fend les flots.

Enfin, ces entretiens sont clos par quatre extraits de livres en référence aux milieux maritime et aquatique tirés d’Hugo, de Gaston Bachelard, de Charles Sprawson et Julie Otsuka pour son obsédante Ligne de nage. Les origines nippones de celle-ci nous rappellent le choix par l’impétrante du bel éventail japonais, préféré à la martiale épée d’académicien en hommage à la culture ancestrale de ce pays.

Sans doute que Paul Morand, auteur de Bains de mer, méritait d’être rappelé dans cette courte liste tant il sut éprouver et traduire dans une merveille de langue ces délices du corps dans l’étreinte sensuelle de l’eau. Cette mer dont il disait « qu’elle n’a pas d’âge ; couverte de rides, elle les perd aussitôt ». L’œil morandien rejoint cette vision hallucinée des vents marins avec « tant de cadavres sous ses plis sans fond » du fabuleux Travailleurs de la mer.

Chantal Thomas souligne à raison que seul le soulèvement des éléments naturels comme une tempête en mer allume l’imagination du vieil Hugo. La mer d’huile est souriante mais n’affole pas le verbe comme peut le faire l’ouragan « venant comme une bête boire à l’océan ».

Ces « naïades ivres qui roulent » ne laissent naturellement pas insensible notre immortelle nageuse nourrie au sein d’Amphitrite dans son bassin d’enfance que fut Arcachon.

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Niger : pourquoi la France doit intervenir

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Dix jours après le coup d’Etat, le Niger est en pleine incertitude. Il y a quelques heures, la junte a dénoncé ses accords de défense avec Paris. Alors qu’il y encore deux semaines le pays était jugé comme un partenaire fiable, c’est désormais la capacité du pays à tenir son rôle dans la lutte contre les groupes armés régionaux qui est en question. Or, tout défaut du Niger en ce sens aurait de graves conséquences du lac Tchad au Golfe de Guinée. L’analyse de Pierre d’Herbès, expert en intelligence économique.


Depuis jeudi, les événements se précipitent à Niamey. Le président Mohammed Bazoum, toujours détenu par les putschistes, a officiellement appelé « la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel ». Mais dans la foulée, la junte nigérienne, le CNSP, dénonçait le partenariat militaire opérationnel qui l’unit à la France et se rapprochait du pouvoir kaki de Bamako et de Ouagadougou.

La tension est maximale alors que l’ultimatum fixé par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à la junte arrive à expiration dimanche. Les membres de l’institution panafricaine, et en particulier le Nigeria, ont même explicitement menacé le pays d’une intervention militaire. Selon plusieurs sources, les états-majors des pays membres prépareraient en ce moment même l’opération. Est-ce le « coup d’État de trop » pour la CEDEAO ? L’organisation réagit, en effet, avec une virulence inédite car pour les pays de la région, l’inflation de coups d’État représente un danger important pour leur stabilité. Car tous ont pu mesurer l’échec militaire et politique des juntes maliennes et burkinabés dont les pays ont vu leur situation sécuritaire se dégrader. L’arrivée de militaires au pouvoir n’a en rien amélioré la lutte contre les groupes armés, bien au contraire. Et si le Niger venait à prendre le même chemin, les conséquences seraient dévastatrices pour toute la région.

Niger : dernier domino avant l’effondrement régional ?

Avant le coup d’État, le Niger était déjà en lutte contre des groupes armés dans trois zones, immenses, difficilement maitrisables et éloignées les unes des autres :  dans la région des trois-frontières (Mali, Niger, Burkina-Faso), dans la région du lac Tchad aux côtés du Nigeria et du Tchad contre Boko Haram, et à la frontière avec le Bénin pour lutter notamment contre le groupe jihadiste de la Katiba Macina.

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Bénin, Nigéria et Tchad sont d’ailleurs parmi les premiers pays à avoir réagi au coup d’État. Et pour cause : un Niger affaibli serait synonyme d’une pression sécuritaire accrue sur leurs propres territoires. Le risque est encore plus notable au Tchad. L’armée du pays y est performante et réputée sur tout le continent. Mais elle est déjà en forte tension opérationnelle. Elle fait face à un faisceau de menaces depuis la Lybie, la Centrafrique et le lac Tchad. Une aggravation directe de la menace depuis le Niger la ferait approcher d’un point de rupture, sans compter que la guerre civile au Soudan ravive les risques depuis la région du Darfour. Le tout est combiné à une situation politique intérieure tendue. La chute du Niger pourrait donc bien entraîner celle du Tchad, malgré la proximité du pays avec la France. Le Sahel serait alors hors de contrôle avec des conséquences directes sur l’Europe. L’effet domino, tant redouté, n’est peut-être pas encore terminé…

Risques sécuritaires

Quels sont les risques immédiats ? Ces six derniers mois, contrairement au discours tenu par les putschistes, la situation sécuritaire s’était améliorée. Les données récoltées par les analystes spécialisés sont formelles : l’influence des groupes armés et la violence subséquente reculaient. Un résultat obtenu grâce à l’augmentation de la cadence opérationnelle des forces nigériennes, appuyées par l’armée française et dans une moindre mesure italienne.

Une réalité qui fait certainement grincer des dents les organisateurs du coup d’État, mais loin de « rétablir l’ordre », l’arrivée au pouvoir des militaires risque surtout d’être le rétablissement du chaos : l’armée française, avec ses 1500 hommes, ses blindés et ses aéronefs, déployait au Niger un partenariat opérationnel efficace et, on peut le dire, indispensable aux troupes nigériennes. Formation des hommes, soutien logistique et accompagnement au combat avaient permis au pays de résister tant bien que mal dans la tempête sécuritaire du Sahel.

Une réussite partielle et progressive rendue aussi possible par le soutien des forces françaises aux populations locales dans les zones exposées aux groupes armées : assistance médicale, construction d’infrastructures de première nécessité (puits, groupes électrogènes) soutien à l’éducation (réfection de salles, fournitures scolaires)… Un levier indispensable pour « conquérir les âmes et les cœurs », dont il y a fort à parier que le Niger ne saura – et ne voudra – plus assurer si les militaires restent au pouvoir.

Autant dire qu’un boulevard s’ouvre donc aux jihadistes et aux groupes armés dans la région.

La junte en question

Car le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est-il en mesure de maintenir le Niger à flot ? Plusieurs éléments permettent d’avancer que non. Ce deuxième putsch militaire, après celui avorté de 2021, montre une chaîne de commandement encore très politisée, voire corrompue. En d’autres termes, il faut certainement s’attendre à d’autres putschs dans le pays, avec pour corollaire la dégradation de l’organisation de l’armée nigérienne pourtant jusqu’ici efficace comparée à celles du Mali ou du Burkina-Faso.

Au même moment, les groupes armés tentent d’exacerber les affrontements inter-communautaires : selon une étude de l’International Crisis Group, l’État Islamique dans le Grand Sahara attise depuis plusieurs années les tensions entre cultivateurs zarma et pasteurs peuls. Un antagonisme classique dans la région et historiquement structurel sur lequel les groupes armés font leur terreau. Seulement, le Niger faisait jusqu’ici exception via une politique d’intégration de ses populations nomades.

L’élection de Mohammed Bazoum, membre d’une ethnie arabe ultra-minoritaire, les Ouled Slimane, était un symbole de cette réconciliation. Le président poursuivait cette politique en refusant d’encourager les milices d’autodéfense et en travaillant explicitement au dialogue intercommunautaire ; un scénario impensable au Mali et au Burkina où l’augmentation du racisme anti-peul et touareg est en augmentation et alimente sans fin le conflit.

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La politique du gouvernement a-t-elle aussi contribué à motiver ce putsch ? On observe en effet que l’armée est composée en grande partie d’Haoussa, l’ethnie majoritaire du pays. Rien ne permet de l’affirmer à ce stade. Il n’en demeure pas moins que l’éviction du président est assez symbolique, surtout si on la relie à la traque dont est aujourd’hui l’objet le général touareg, Abou Tarka, actuellement président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP) nigérienne. Ce dernier avait vertement critiqué, en avril 2023, les juntes maliennes et burkinabés du fait de la dégradation sécuritaire de leurs pays respectifs.

Que fait la France ?

Alors que les événements se précipitent, Paris semble temporiser. Le gouvernement ne reconnait pas la junte et le lui a fait savoir lorsque celle-ci a annoncé rompre les accords militaires entre les deux pays. Récemment, l’ambassadeur du Niger en France a, lui aussi, refusé son limogeage par le CNPS. Après l’appel du Président Bazoum, jeudi, et la levée de bouclier de la CEDEAO, la France dispose de toute la légitimité pour intervenir. La situation est urgente, car dans son appel de jeudi, c’est « aux États-Unis et la communauté internationale » et non à la France que le président s’adresse. Un signal faible de son exaspération face à l’attentisme de Paris?

En tout état de cause, la France a intérêt à agir vite avant que ses compétiteurs stratégiques, russes ou américains, ne le fassent à sa place. Symboliquement, la France a connu trop de défaites et d’impondérables ces dernières années pour se permettre de rester spectatrice. Mais le gouvernement semble tétanisé face aux accusations de colonialisme que pourrait générer une intervention directe. Le sentiment anti-français est une réalité, mais il est avant tout urbain et générationnel : il n’est pas représentatif de toute la population. En parallèle, la France montrerait à la junte malienne et à l’Algérie qu’elle n’a que faire de leurs menaces, guère persuasives, en cas d’action directe contre la junte. In fine, compte tenu de la configuration, une intervention militaire de la France, aux côtés de la CEDEAO, s’impose, car autrement, quel que soit le scénario, elle sera perdante.

La presse mainstream, de plus en plus orwellienne, en est persuadée : la pensée unique c’est le pluralisme

Derrière les appels récents à renforcer l’indépendance éditoriale des journaux, derrière les attaques contre des personnalités comme Geoffroy Lejeune ou Franck Ferrand se cache une volonté de réduire le journalisme à une orthodoxie, celle de la gauche wokiste. Analyse.


Ces derniers temps, il est beaucoup question de la « déontologie de la presse ». Edwy Plenel l’évoque régulièrement ; les journalistes de Libération et ceux du JDD disent craindre sa disparition ; tous réclament de nouvelles lois renforçant l’indépendance éditoriale des rédactions et assurant ainsi, selon eux, le déploiement d’une charte déontologique en béton armé. En réalité, leur souhait est qu’il n’y ait plus qu’un seul journalisme, un journalisme dogmatique, woke, de gauche, celui-là même qui est enseigné dans la plupart des écoles de journalisme. Au nom du pluralisme, certains journalistes adaptent leur conception de ce dernier à leurs opinions politiques et dénoncent, en vue de les faire taire, les petits camarades qui ne pensent pas comme eux ou les citoyens qui échappent à la doxa.

La presse mainstream est endogame, gauchisante et aisément manipulable. La source à laquelle elle s’abreuve, l’Agence France-Presse, est censée relayer l’information nationale et internationale d’une manière « complète, impartiale et vérifiée » (site de l’AFP). Mais les dernières élections syndicales de cette officine donnent des « indications précieuses sur les orientations politiques de ses employés, journalistes et techniciens », note l’Observatoire du journalisme  (OJIM). Dans la seule « catégorie journalistes », le SNJ récolte 40% des suffrages, la CGT 20%, et l’extrême gauchiste syndicat SUD passe de 11% en 2012 à… 26% en 2022. Comme on dit, il n’y a pas photo : l’AFP emploie une majorité de journalistes de gauche et d’extrême gauche. Le journalisme paresseux se contentant souvent de reprendre les dépêches de l’AFP telles quelles, cette agence « neutre et impartiale » donne le la dans de nombreux journaux. Ainsi, nous apprend Sabine de Villeroché sur le site de Boulevard Voltaire, plusieurs d’entre eux se sont dernièrement appuyés sur un titre alléchant, basé sur une dépêche de l’AFP, pour relayer l’entretien de Nicolas Lerner, directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), paru dans Le Monde du 9 juillet : « Le patron de la DGSI alerte sur la résurgence des actions violentes de l’ultra droite ». Le Figaro, Ouest-France, Sud-Ouest et France Info ont plongé la tête la première dans l’approximation orientée de l’AFP et donc la dénonciation unique de « l’ultra droite » sans lire l’entretien du directeur de la DGSI qui qualifie pourtant la menace djihadiste de « principale menace ». Nicolas Lerner affirme également que si la menace terroriste d’ultra droite existe toujours (dix actions déjouées depuis 2017), celle d’ultra gauche s’amplifie, « investit la sphère environnementale » et est « un sujet de préoccupation ». Inspirés par la dépêche de l’AFP, les titres et les choix éditoriaux de ces organes de presse n’insistent pourtant que sur « une résurgence très préoccupante des actions violentes ou des intimidations de la part de l’ultra droite » (Le Figaro), le « recours à la violence de l’ultra droite » (Ouest-France), ou minimisent les violences de l’ultra gauche et relativisent le risque djihadiste qui serait « moins intense » (L’Indépendant). Cette littérature échotière et mensongère n’a qu’un but : masquer la réalité et minimiser les véritables dangers qui menacent notre pays.

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Mais la presse de gauche et d’extrême gauche va plus loin que le simple mensonge. À la Kommandatur Médiapart, il a par exemple été décidé de lancer un appel à la délation de tous ceux qui auraient tenu, depuis la mort de Nahel Merzouk, des « propos racistes et déplacés au travail » : « Racontez-nous si un.e collègue a partagé la cagnotte destinée au policier qui a abattu l’adolescent ; un.e autre a qualifié, au détour d’un café, les jeunes des quartiers populaires de “sauvages” ; un chef a stigmatisé les populations d’origine immigrée… ». Respectueux de la tradition délatrice qui fit les beaux jours de la sinistre Carlingue, sise rue Lauriston, l’organe plenelien précise que la dénonciation (appelée joliment « récit ») « peut être anonyme ». Rappelons que l’insignifiant mouchard médiapartien qui se fait appeler Usul proposait il y a peu de récupérer le fichier des « chiens » qui ont participé à la cagnotte du motard incriminé dans la mort de Nahel Merzouk afin de le remettre au service de surveillance politique de son journal. Bien entendu, Médiapart soutient les journalistes du JDD qui affirment sans rire que « le journalisme n’est ni de gauche, ni de droite », et Edwy Plenel dénonce les subventions publiques versées à un journal détenu par un « capitaliste » – ce qu’il s’est bien gardé de faire du temps où il était le directeur de la rédaction du Monde, journal dirigé à l’époque par lui-même, Jean-Marie Colombani et Alain Minc, ces deux anticapitalistes notoires.

De son côté, Pauline Decker, journaliste de Ouest-France, n’a pas hésité à prendre sa plus sale plume pour dénoncer le recrutement saisonnier d’un jeune homme par la municipalité de Lorient pour un poste d’agent de surveillance de la voie publique, au prétexte qu’il est un militant de Reconquête. Penaud, le maire de Lorient promet de « googliser » les candidats à l’avenir et assure qu’il a convoqué le jeune homme en question afin de lui rappeler son « devoir de réserve ». Nul doute qu’il aurait eu la même démarche s’il avait appris que l’individu embauché était un militant actif de LFI – encore aurait-il fallu dans ce cas-là que Pauline Decker se chargeât de la « dénonciation » de cet extrême gauchiste, ce qui aurait constitué par ailleurs, comme dans le cas présent, un appel à la discrimination au motif de convictions politiques, ce qui est rigoureusement interdit par le code du travail.

Libé n’a pas raté le coche. Cette feuille de chou est devenue la spécialiste de toutes les cochonneries qui traînent, elle ne pouvait par conséquent pas passer à côté d’une dénonciation bien crasse. La cible en a été cette fois Franck Ferrand, commentateur sur la télé publique de réjouissantes pastilles historiques et patrimoniales lors de la retransmission du Tour de France. Comme l’audiovisuel public n’est pas suffisamment à gauche à son goût, Libé s’est vu contraint de moucharder ce « chroniqueur à Valeurs actuelles et invité régulier de CNews », une de « ces personnalités mondaines fascinées par les grands hommes qui racontent de belles histoires sur un pays royaliste et chrétien ». L’acte d’accusation porte également mention du peu de considération que l’accusé porte aux écolos. L’article est grossièrement écrit et n’évite aucune expression outrancière pour salir l’animateur qui serait le « relais de thèses complotistes » et aurait une « vision réactionnaire de l’histoire » – il est vrai que Franck Ferrand est plus proche du « roman national » honni par les journalistes de Libé que de l’histoire mondiale de la France métissée de Patrick Boucheron. Cet article à charge n’a bien entendu qu’un seul objectif : faire en sorte que la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, vire cet homme blanc de plus de 50 ans et accomplisse totalement son rêve qui n’est pas de montrer la France telle qu’elle est mais, si l’on veut en croire sa dernière intervention auprès de la Commission des finances, telle qu’elle voudrait qu’elle soit, c’est-à-dire entièrement woke, écologiste, paritaire, diversitaire et, pour ce qui concerne son histoire, coupable et repentante –  en gros, la même France que celle souhaitée par Libé, Télérama, Le Monde et Médiapart.

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L’Observatoire du journalisme (OJIM) entame en ce moment même une série d’articles sur « les 14 écoles de journalisme reconnues par la profession », en commençant par « une des plus sectaires », l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille. Inclusif, diversitaire, wokiste, écologiste, gauchiste, l’enseignement dispensé par cette école est une caricature du progressisme dogmatique. « La diversité tant vantée ne se traduit cependant pas dans les opinions politiques des étudiants de l’école qui affirment à 87% voter pour la gauche et l’extrême gauche », constate l’OJIM. Sur France Info, Alexandra Schwartzbrod, directrice adjointe de la rédaction de Libération, confiait récemment que les plus jeunes journalistes du quotidien sont « plutôt LFI ». Les IEP, eux, proposent des Masters Journalisme qui n’échappent pas à la bien-pensance et au politiquement correct. À Sciences Po Paris, quelques mois avant les dernières élections présidentielles, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon ont été reçus à bras ouverts dans les locaux de l’école qui fut par ailleurs bloquée par des étudiants « démocrates » mécontents des résultats du premier tour. L’IEP de Grenoble est réputé pour son sectarisme d’extrême gauche ; celui de Rennes a vu émerger et croître le syndicat extrême gauchiste Solidaire, lequel, soutenu par les Antifas locaux, fit régner une sorte de petite terreur sur le campus au moment des élections en empêchant tout affichage de candidats autres que Jadot et Mélenchon. À Lyon, des étudiants militants du même syndicat Solidaire devenu majoritaire anticipent leur future carrière délatrice en listant les étudiants « fachos » – c’est-à-dire tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

Des rangs de ces institutions universitaires, ESJ ou IEP, sortent bon nombre des journalistes qui font et feront régner demain, dans une langue défaite et avec une maigre culture supplantée par une inébranlable croyance politique, l’ordre wokisto-progressite et gaucho-diversitaire qui régit d’ores et déjà la majorité de la presse écrite et l’audiovisuel public. La « déontologie » et le « pluralisme » de la presse chers aux « démocrates » des médias bien-pensants annoncent des lendemains orwelliens durant lesquels la déontologie reposera exclusivement sur la morale de gauche appliquée dans toute sa totalitaire rigueur pour le « bien commun », tandis que la pensée unique sera reconnue comme le summum du pluralisme, et la délation comme l’acte démocratique par excellence. Dernières preuves d’une alliance politico-médiatique prête à tout pour voir advenir ce monde merveilleux : Jean-François Kahn dénonce dans L’Obs le rachat par Bolloré du JDD, ce qui « rend presque inéluctable les prochaines victoires de l’extrême droite et donc l’atmosphère de guerre civile qui en découlera » – il semblerait que JFK soit passé à côté de « l’atmosphère de guerre civile » qui a considérablement assombri la vie des Français il y a un peu plus d’un mois – et ose un énième point Godwin, en l’occurrence une analogie plus que douteuse avec l’empire médiatique d’Alfred Hugenberg qui aida à l’émergence en Allemagne du… Parti national-socialiste. De leur côté, les dirigeants d’EELV déclarent que, au nom du pluralisme et de l’indépendance des médias, ils ne répondront plus aux demandes d’interviews du JDD – en revanche, bien décidés à pêcher dans les eaux marécageuses de l’islamo-gauchisme, ils recevront lors de leurs Journées d’été le rappeur Médine, ce pacifique artiste homophobe qui désire plus que tout « crucifier les laïcards ». « C’est en comprenant son parcours qu’on luttera efficacement contre l’extrême droite », affirme sur LCI l’inimitable Sandrine Rousseau, tandis que Libération met en exergue « l’engagement antiraciste » de cette « cible privilégiée de l’extrême droite ». La boucle est bouclée.

Nous sommes tous juges!

A l’époque des réseaux sociaux, où tout le monde exprime son avis sans la moindre rentenue, on nous enjoint souvent de ne pas porter de jugement. Pourtant, que serait un monde sans discernement, sans évaluation et sans liberté d’expression? Le billet de Philippe Bilger.


De la même manière que les quotidiens ne sont jamais meilleurs que durant les vacances, avec des séries passionnantes, je me donne le droit sur ce blog, au cours de cette période, de moins traiter de politique et davantage de thèmes quotidiens et familiers.

Combien de fois dans la vie courante ai-je entendu ces reproches adressés à d’autres ou à moi-même : « Il ne faut pas juger » ou « Il ne faut pas faire de comparaisons »… Je les ai toujours trouvés injustes dans la mesure où le jugement comme les comparaisons sont inévitables et permettent la plupart du temps de mieux faire comprendre les priorités qu’on a et les hiérarchies qu’implicitement on fait tous…

Soutenir le contraire revient à considérer que l’humanité est une masse indistincte, homogène, égale par principe, forcément remarquable dans sa globalité et éblouissante en chacun de ses membres. On sait bien que l’existence, que ce soit celle de nos proches ou de rencontres de hasard, pour nos dilections ou nos rejets, est radicalement aux antipodes de cet égalitarisme de façade. Il n’est pas de moyen plus efficace pour faire connaître nos choix que de les comparer ou de décrire, par exemple, pourquoi telle personnalité nous semble plus riche, plus stimulante que telle autre. Pour n’importe qui, il y a des différences, les unes sont positives et les autres négatives.

La vie elle-même, dans la plupart de ses séquences, évidemment professionnelles mais aussi d’ordre privé, nous confronte à des obligations de dire le vrai, de supporter l’imprévisibilité dure ou louangeuse des appréciations portées sur nous, à une forme de contentieux où successivement nous pouvons être des juges ou des victimes.

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Bien sûr qu’il convient de comparer – la comparaison étant souvent raison -, de ne pas occulter les ombres, de vanter les lumières, de ne pas faire semblant de placer tout le monde à la même aune, de refuser la facilité et la tromperie de l’hypocrisie.

Ce qui nous interdit d’être tous juges est d’une part l’affection, qui pourrait laisser croire qu’il y aurait là comme une contradiction avec les élans du coeur et d’autre part la politesse, nous contraignant par la bienséance à nier ce qui crève l’esprit et les yeux : le fait que l’inégalité est la règle, l’intelligence mal répartie, le courage rare et la sincérité résiduelle.

Ce n’est pas offenser l’humanisme que d’ériger la vérité comme critère capital. Bien au contraire. C’est redonner à chacun ce qui lui est dû et ne pas se payer de mots.

Pierre Chareau, le charme discret de l’avant-garde

Éclipsé par les dogmatiques Le Corbusier, Jeanneret et Perriand, Pierre Chareau a développé une œuvre singulière dans l’entre-deux-guerres. Cet architecte, décorateur et designer a même inventé un style : le « goût français ». Un beau livre lui rend enfin hommage.


En 2023, Pierre Chareau serait au chômage : il n’avait aucun diplôme. Pas plus que nombre des architectes de son temps : Le Corbusier, Frank Lloyd Wright, Ludwig Mies van der Rohe… Tous autodidactes. Au tournant du XIXe siècle, il faut croire que le talent était un gage de reconnaissance suffisant. On n’était pas encore entré dans la religion du bac + 7.

Sous la double signature des spécialistes Marc Bédarida et Francis Lamond, un « beau livre » en deux volumes récapitule la vie et la carrière de cet homme talentueux, émotif et discret. Jamais dogmatique ou doctrinaire, au contraire d’un Corbu follement idéalisé par la postérité, Chareau (1883-1950) a, lui aussi, traversé le premier XXe siècle : à la fois ensemblier, décorateur, designer (comme on ne le disait pas encore) et architecte.

L’homme à la pointe de la modernité

L’étendue, la diversité de son travail est souvent éclipsée par la légitime célébrité acquise de nos jours par son grand œuvre : cette fascinante « Maison de verre », commande du médecin Jean Dalsace et de son épouse Annie, et dont la construction, rue Saint-Guillaume dans le 7e arrondissement de Paris, s’est achevée en 1932. Un chapitre détaille la genèse du projet, les difficultés rencontrées pour démolir et transformer, dès 1928, un vieil hôtel particulier en une maison abritant le cabinet de consultation du docteur et l’intimité domestique du couple. La « Maison de verre » ? Un laboratoire avant-gardiste, puisant aux ressources de la modernité – transparence, matériaux innovants, organisation rationnelle des espaces, etc. – pour propager un art de vivre néanmoins rétif aux rigidités du fonctionnalisme promues par le pontife de la « machine à habiter » : Chareau, précisément, n’est pas Corbu. Il y a trente ans, le centre Pompidou avait consacré une première rétrospective à son œuvre. Elle n’en reste pas moins toujours méconnue dans toute son amplitude.

Né au seuil de la Belle Époque dans un milieu de négociants originaires du Havre, enfant « déclassé » à la suite du suicide de son père ruiné par de mauvais placements, Chareau est élevé par une mère réduite à l’indigence et contrainte de travailler comme dame de compagnie. Encore mineur, Pierre se marie avec Dollie, femme bilingue et très cultivée. Il se voit d’abord comme décorateur d’intérieur. Au sortir de la Grande Guerre, où il a servi comme canonnier, il aménage l’appartement du jeune couple Dalsace. Bientôt coopté comme sociétaire du Salon d’automne, et tandis qu’affluent les commandes privées (pour les Bernheim, Kapferer, Moscovitz, Daniel Dreyfus et j’en passe), Chareau, entré dans la mouvance d’un Mallet-Stevens ou d’un Francis Jourdain, contribue en outre, dès 1924, aux décors de L’Inhumaine – film muet du génial Marcel L’Herbier, cinéaste pour qui, plus tard, il réalise également ceux du Vertige (1926) puis de L’Argent (1928). Ainsi est-il l’une des sommités de l’exposition des Arts décoratifs de 1925. Entre décors pour le 7e art, expositions internationales, aménagements haut de gamme, Pierre Chareau fait sa mue d’architecte d’intérieur en architecte tout court. En 1927, Edmond Bernheim lui commande la villa « Vent d’Aval », à Beauvallon, dans la Drôme ; l’année suivante Chareau se lance dans la construction de la fameuse « Maison de verre »…

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On n’en finirait pas de pointer la liste de ses contributions, à l’UAM (Union des artistes modernes, fondée en 1929) ou encore au Salon de la France d’outre-mer, au Grand Palais, où, en 1940, Chareau est chargé de concevoir le « Foyer du soldat colonial ». Autant de projets documentés par les innombrables photographies publiées dans ce bel ouvrage. Comme il arrive parfois, l’Histoire coupe court au destin le mieux tracé : juif par sa mère et marié à une juive, l’Occupation le pousse à l’exode ; au terme d’une éprouvante odyssée, l’homme alors âgé de presque 60 ans parvient à embarquer pour New York, où Dollie va le rejoindre – sur le même paquebot que Marcel Duchamp. Impécunieux, le couple exilé trouve sa famille d’adoption chez les poètes, intellectuels et surtout artistes de l’expressionnisme abstrait – d’Anaïs Nin à Paul Bowles, en passant par Robert Motherwell. Après-guerre, Pierre Chareau ne rentre pas en France. Il meurt dans l’été 1950, à l’hôpital proche de la petite « pièce-maison » qu’il achevait d’aménager sur Long Island.

Nos auteurs citent Francis Jourdain, lequel disait de Chareau qu’« il ne savait vraisemblablement “ni combien il étonnait, ni combien il était original” ». Cet homme aussi profondément introverti qu’inventif, est décidément un anti-Le Corbusier. Amateur d’art et collectionneur avisé, Pierre Chareau épouse un monde de formes et de matériaux nouveaux qui ne font nullement obstacle à la tradition, à l’opulence et au raffinement. Il suffit, pour en prendre la mesure, de feuilleter les quelques 800 pages de ces deux volumes qui égrènent, pour l’un les expositions et le mobilier, pour l’autre les architectures d’intérieur et les projets et réalisations de l’architecte : meubles, luminaires, agencements… Rompant de bonne heure avec la tradition historicisante du mouvement Arts and Crafts, comme avec la Sécession viennoise, Chareau invente une écriture stylistique qui, tout en architecturant des espaces sans cloisons, en intégrant le mobilier à des volumétries repensées dans leurs usages, leurs distributions, leurs mobilités, propose un cadre de vie dont il faut aujourd’hui bien saisir le caractère de radicalité qu’il avait alors. Pourtant, comme l’écrit fort bien Marc Bédarida, « jamais il ne propose, comme Le Corbusier, Pierre Jeanneret ou Charlotte Perriand un prototype d’habitation moderne où l’existence charnelle abandonne ses droits au manifeste. » Ainsi Chareau incarne-t-il le « goût français » à son meilleur, tel qu’il eut, dans l’entre-deux-guerres, la faveur de tout ce qui comptait dans l’intelligentsia cultivée. Répertoire éloquent, dont il se pourrait qu’on éprouve la nostalgie.

Francis Lamond et Marc Bédarida, Pierre Chareau, Norma, 2023.

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Workaholic en vacances

Qui ne connaît pas un(e) collègue ou membre de la famille méritant le qualificatif d' »addict » au boulot? Illustre-t-il la servitude volontaire d’aujourd’hui ou l’esprit de sérieux qui nous sauvera?

On les appelait jadis les « bourreaux de travail » mais à l’époque du bourreau de travail, l’absence d’informatique et de la divine connexion permanente évitait la véritable addiction devenue aujourd’hui pathologique.

Le workaholic d’aujourd’hui est aussi addict au travail sur écran que l’alcoolique à son verre ou le fumeur à sa cigarette. L’entourage du workaholic est également victime, psychologiquement culpabilisé en permanence, nousrappelant le sévère : « Tais-toi, papa travaille » menaçant de notre enfance.

Entre ruse et dope

Le dépendant intoxiqué est rusé et bénéficie d’un a priori positif dans un monde où la paresse est un droit. Notre homme ou notre femme (plus rare) ne s’épanouit que dans un univers professionnel qui le met sous pression permanente, et si la pression n’est pas suffisante, il la crée avec talent. Le stress est sa dope!

Notre guerrier des temps modernes peut être une femme d’affaires ou un cadre sup en échec, le plus souvent professionnellement indépendant ou investi de « lourdes » (?) responsabilités selon lui. Les symptômes sont toujours les mêmes : un enjeu disproportionné à la tâche à accomplir, la conviction que son angoisse et son obsession sont la condition et la preuve de son implication et de son efficacité.

Un vocabulaire reconnaissable signe l’importance de ses missions; il ne donne ni ne reçoit de simples appels comme vous et moi : il a des « calls » car on sent bien que le « call » est d’un tout autre niveau, le call nécessite un isolement, une préparation psychologique sérieuse, un timing précis ; il l’annonce à l’avance à son entourage, la mine grave, il avertit à plusieurs reprises qu’« il veut le calme absolu»; il repère les lieux même dans la maison de famille, aura-t-il une bonne connexion ? Elles sont capricieuses ! Peut-il s’isoler ? Tout le monde est prévenu et devra faire preuve d’une discrétion à toute épreuve, que dis-je d’une disparation pure et simple. Il faut que son interlocuteur soit convaincu qu’il est à son bureau et seul… et si une voix se fait entendre, ou un aboiement de chien, il peut craquer et devenir violent (après) ou avant, si l’enfant rôde.

La visio: le nec plus ultra

Mais il y a pire comme vecteur du stress : « la visio conférence », c’est-à-dire un méga call à plusieurs. Avez-vous remarqué que rencontrer quelqu’un pour le boulot a de moins en moins d’intérêt ? Les importants, eux, plébiscitent la visio-conférence, accros au stress exquis qu’elle procure, car c’est là que tout se joue avec une tension comparable à celle du dialogue Poutine-Macron. Pour nourrir l’angoisse professionnelle s’ajoute la problématique de la connexion : Skype, Google Meet, Zoho meeting, Whereby, Report it, etc. les outils de « visio conférence » avec des codes d’installation et autres terribles incertitudes : attention au son, à la lumière, au fond (la plage, c’est pas terrible). C’est ce qu’on appelle probablement le COVID long : plus jamais de rapport normal au travail, le distanciel est né avec son cortège de pollution spatio-temporelle, ses exigences d’ubiquité et l’effacement de la vie privée en donnant la priorité aux absents professionnels.

Greffe de portable

Ne programmez rien de particulier à heure fixe en week-end (s’il s’est fait piéger et qu’il est parti), sachez que jamais au grand jamais, il ne le prolongera d’un « jour ouvrable ». Notre workaholic doit vérifier avant quelque activité ludique que ce soit, qu’il n’y a pas de raison de la retarder pour cause professionnelle. Le matin, il va d’abord courir chercher le journal car il peut y avoir eu une crise nationale pendant la nuit qui affecte un de ses clients. Les avocats sont assez touchés, béquilles de leurs clients, ils finissent par n’être disponibles que pour eux. (On aimerait bien que ce soit le cas des médecins ou des plombiers).

Son portable est greffé, il ne le quitte pas, le pose sur la table aux repas et sur ses genoux au théâtre en le cachant. Il n’a pas le temps de faire du sport mais a trouvé la solution : son portable toujours sur lui, il calcule les 10 000 pas qu’il doit faire par jour et BINGO, pendant qu’il marche, il peut passer des appels à son bureau !

Il y a un même workaholic qui a demandé le divorce parce que sa femme n’avait pas voulu annuler les billets de train de départ en vacances dont l’horaire pouvait le faire arriver en retard à la visio importante programmée à l’arrivée.

Pression maximale et cravate à la plage

C’est un hypocondriaque du boulot, rien n’est jamais assez bien fait, surtout par les autres, car il ne délègue pas, c’est la base pour maintenir une activité personnelle à saturation maximale, et qui d’autre que lui peut aussi bien faire ? Il souffre en silence de ce penchant amical ou familial qui veut l’entrainer en vacances. C’est une situation à haut risque : que va faire sa boite sans lui ? Et dans les cas aigus : comment partir quand l’économie française est dans cet état ?

Une fois en vacances quand même, il rechigne le matin à partir de la maison, il a un mail en retard, dit-il d’un air gourmand. Si ce n’est lui, c’est donc son frère que vous avez surpris à la montagne dans un restaurant d’altitude avec son iPad dissimulé sous son anorak, guettant le moment où le sortir. Et à Nice, où ses activités nécessitaient un déjeuner professionnel, il arrive en cravate sur la plage car la cravate est sa ceinture de sécurité mentale, celle du haut fonctionnaire en particulier, elle est la preuve de son sérieux inoxydable… Et ne croyez pas qu’il soit vieux, non il est né comme ça, avec une cravate.

Le sauveur de la France ?

Les mots à ne pas prononcer devant lui sont : « cool », « fais-toi plaisir », « lâche-toi », « déconnecte un peu », « allez ! oublie les dossiers », « ils se passeront bien de toi », « qu’est-ce que tu peux y faire ? », et enfin le mot « vacances » qui le met carrément en colère ! Il n’en prend pas, au mieux, il fait des « breaks »…

Cela dit, on l’aime bien comme toute espèce en voie de disparation ; la conscience professionnelle, le sens du devoir, l’esprit de responsabilité, le refus de la paresse… vous en connaissez beaucoup qui en font preuve sans risquer d’être mis au ban de la société de la coolitude, ou accusé par les syndicats d’exploitation abusive de soi-même ? Et en plus, ne croyez pas que ce soit l’appât du gain qui le motive, il n’en a cure, ce qu’il veut, c’est bosser dans l’intérêt général ! Après tout il sauvera peut-être la France ?

(Toute ressemblance avec des personnages existants n’a rien de fortuit).

Une seule culture, celle du « quartier »

Ancien préfet et fin connaisseur des cités, Michel Aubouin explique l’embrasement des banlieues par la désocialisation de leur jeunesse. Mais il pointe aussi la responsabilité des politiques. Pour lui, la palme revient à Jean-Claude Gayssot, ministre du logement dans le gouvernement Jospin et auteur de la fameuse loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU).


Causeur. La haine de la France et de notre société paraît être le ferment des émeutes. Qu’en pensez-vous, vous qui venez de publier Le Défi d’être Français ?

Michel Auboin. La plus grande partie de ceux qui mettent le feu à la France se revendiquent d’une même culture, celle des quartiers. Une culture tribale, primitive où les habitants des quartiers se considèrent comme propriétaires de leur enclave de leur territoire et considèrent que c’est chez eux et non un bout de France. S’ils nourrissent un fort ressentiment et se vivent comme des victimes, les émeutiers sont souvent au degré zéro de la conscience politique. Ils attaquent pour montrer qu’ils sont forts, qu’ils sont les meilleurs, ils font des dégâts car c’est une preuve de dangerosité qui met en valeur leur virilité et leur permet d’obtenir la reconnaissance dans le quartier. Leur vision du monde est paradoxale : ils haïssent la police, alors que le meilleur prédateur du jeune de banlieue n’est pas le policier, mais l’autre jeune de banlieue. En effet, la violence est endémique dans certains quartiers, les jeunes s’entretuent dans des rixes, peuvent se donner la mort pour des raisons absurdes. Après, tout le monde pleure dans une sorte de scène de catharsis primitive, mais là personne ne réagit, ne s’indigne, ne cherche à trouver un sens à ce gâchis. En revanche, si c’est un policier qui est en cause, tout s’embrase et le problème devient national.

Comment l’expliquez-vous ?

Ce que l’on peut constater à travers les vidéos notamment, c’est la profonde désocialisation de ces jeunes, la pauvreté de leur langue et l’absence de conscience des conséquences de leurs actes. Ils sont très frustes et n’ont pas les moyens de donner un contenu à leurs actions, faute de vocabulaire et de capacité à conceptualiser. Si certains tiennent parfois des embryons de discours politiques, c’est parce que les seuls adultes avec lesquels ils sont en contact, et dont ils acceptent la légitimité, sont des militants qui portent le discours de la victimisation, du ressentiment, de l’oppression. Parmi les très jeunes, on a affaire à une génération de gamins dont beaucoup sont déscolarisés et très violents. La plupart ont été traumatisés par la période du Covid, qui leur a symboliquement montré qu’ils n’avaient de place nulle part, ni dehors ni dedans, car ils sont nombreux à appartenir à des familles dysfonctionnelles, violentes. Ils se sont sentis en dehors du monde.

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Comment reprendre la situation en main ?

D’abord il faut que les Français réinvestissent leur histoire. Non pas parce qu’elle serait particulièrement glorieuse, encore qu’elle comporte de belles pages, mais tout simplement parce que c’est la leur ! La France est une histoire de famille. C’est cette histoire qui nous a forgés et dont nous sommes les héritiers.

Trop de personnes pensent que l’histoire de l’Europe se résume à la colonisation, donc qu’on est des salauds. Mais ils ne connaissent même pas leur histoire ! Savent-ils qu’avant que la France colonise cette zone, l’Algérie n’existait pas ? Que la région était sous domination ottomane ? Que c’était une mosaïque de tribus berbères et arabes, un repaire de pirates où prospéraient des marchés d’esclaves ? Ce n’était pas un « État » et encore moins un pays « indépendant », mais une sorte de colonie ottomane.

Pour vous, le logement social est à l’origine de cette contre-culture des quartiers.

Tout à fait. En France, c’est une vision collectiviste du logement social qui a rendu possible l’appropriation des territoires. Ces logements sociaux appartiennent en général au secteur public, par le biais des sociétés d’HLM gérées par les élus locaux. La démultiplication des violences partout, et notamment dans les petites villes, est la conséquence de l’application de la loi SRU (loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, portée par le ministre du Logement PC du gouvernement Jospin, Jean-Claude Gayssot). Il fallait du logement social partout et la loi a imposé des quotas dans des zones auparavant préservées. Du coup, des familles qui habitaient dans le Val-d’Oise ou dans l’Essonne ont déménagé un peu plus loin. Or, ce sont les mêmes sous-cultures, le même ressentiment, les mêmes logiques liées au trafic de drogue qui ont été ainsi « semées » dans tout le pays.

Comment casser cette « culture de quartier » ?

Il faut la casser en instituant un bail pour les bénéficiaires de logements HLM, comme n’importe quel locataire. En effet, les HLM ont vocation à n’être qu’un passage, une solution à durée limitée. À la fin du bail, on devrait faire un point, vérifier si les bénéficiaires relèvent toujours du secteur social, prendre en compte l’évolution de la composition de la famille et lui proposer un accompagnement pour la suite. Certaines données révèlent que parfois les personnes occupent le même logement sur deux ou trois générations ! Ce qui, par ailleurs, permet de faire construire la maison au pays en la finançant grâce au logement social et aux multiples aides et filets de sécurité que fournit la France à ses ressortissants comme aux étrangers… C’est immoral !

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Les plus pauvres n’ont pas accès au logement social et ceux qui y sont y restent, parfois pour de mauvaises raisons. Enfin, comme on accueille chaque année 250 à 270 000 personnes supplémentaires, notamment via le regroupement familial, et que l’on ne construit que 90 000 logements par an, on a mis en place toute une série de dispositifs (hébergement d’urgence, par exemple) qui favorisent la population immigrée. C’est comme cela que l’on a créé ces communautés dans ces quartiers que je ne qualifierai pas de ghettos, car dans les ghettos les gens sont pauvres. Or, dans les quartiers il existe des manifestations de richesse et de « flambe » que l’on ne voit pas dans les territoires périurbains.

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Qui a le droit de jeter la première pierre à Geoffroy Lejeune ?

Que révèlent les protestations contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD ainsi que les griefs formulés par le Monde contre les médias du groupe Bolloré ? Tout simplement que ceux qui prétendent défendre le pluralisme de la presse n’y croient pas du tout, puisqu’ils refusent toute opinion un tant soit peu conservatrice. Le billet de Philippe Bilger.


La rédaction du JDD a mis fin à sa grève historique de 40 jours. Le journal pourrait paraître dans les kiosques, au plus tôt, le dimanche 13 août (Le Figaro). À l’évidence cette issue – on a l’impression qu’elle ne réjouit pas tout le monde et qu’au nom d’une politique du pire on aurait souhaité la continuation de la crise – n’a pas mis fin aux aigreurs et aux fantasmes des donneurs de leçons médiatiques. Au premier rang desquels le quotidien Le Monde qui croit nous apprendre quelque chose avec cet éditorial : « Une presse d’opinion ne peut s’affranchir de tout principe ».

Je pourrais me contenter de cette interrogation : de quoi se mêle-t-il donc ? J’admets que ce serait un peu court.

Il me semble que l’argumentation serait déjà un peu plus dense en questionnant la légitimité de ce quotidien à se poser en surplomb et à s’offrir comme exemple de ce que devrait être, selon ses vœux, une presse d’opinion digne de ce nom. Sur ce plan, même si je ne peux me passer de sa lecture tout en ayant régulièrement le sentiment, et pas seulement sur les sujets régaliens, qu’une partialité élégante y domine (avec notamment une surabondance de tribunes libres de même acabit), il est clair que cette prétention est injustifiée.

En effet la tonalité générale du Monde n’est pas de nature à susciter l’enthousiasme de ceux qui aspirent à une presse vraiment libre et pluraliste, dégagée du progressisme chic de gauche, de l’indulgence pour l’extrême gauche et du courroux exclusif à l’encontre de ce qui est qualifié d’extrême droite, avec une information trop souvent biaisée par le désir de voir le réel tel qu’on le rêverait.

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Cette obsession aussi de considérer que Geoffroy Lejeune, parce qu’il a été rédacteur en chef de Valeurs actuelles avec des sympathies politiques clairement affichées, serait, par une sorte de mimétisme pervers, forcément le même à la tête du JDD sans tenir compte du passé de ce dernier (pas de quoi se vanter non plus avec son macronisme et ses plaidoiries constantes en faveur de Nicolas Sarkozy empêtré dans le judiciaire !), de son lectorat et de la faculté d’adaptation de celui qui ne serait pas assez sot pour oublier de mesurer les effets de cette grève de 40 jours et le poids des attentes sur sa future pratique de direction. Geoffroy Lejeune, à supposer qu’il ait mérité le regard hystériquement critique sur lui hier, ne sera évidemment pas le même demain.

Mais le pire, dans cet éditorial du Monde, est ailleurs, dans cette sinistrose complaisamment développée et d’autant plus scandaleuse qu’elle est non seulement répétitive mais aberrante et mensongère.

D’abord je ne vois pas en quoi la démarche, qui plongerait « dans l’incertain une institution comme le JDD »… serait « autrement inquiétante ». Comme si cette publication était investie d’une essence sacrée et que Geoffroy Lejeune, avec son équipe de journalistes, allait forcément briser une mythologie. C’est surestimer le JDD d’hier et sous-estimer par avance celui de demain.

Ensuite je ne suis pas davantage convaincu par le poncif politique partisan, au sujet de CNews et d’Europe 1, qui voudrait, que « sous le contrôle du groupe bâti par Vincent Bolloré, la pluralité d’opinions dans la presse française aura encore reculé ». C’est exactement l’inverse. Le pluralisme, auquel tient tellement le Monde – mais le sien singulièrement rétréci à sa vision orientée de la France et du monde – sera au contraire rendu plus effectif puisque viendra s’ajouter à la représentation médiatique classique, globalement progressiste, une perception conservatrice sur les sujets de société comme sur d’autres. Derrière la fronde des médias traditionnels, il est manifeste que s’exprime la volonté d’une « chasse gardée » et le refus d’une intrusion pourtant bénéfique à la presse d’opinion et à la démocratie.

Comment cet éditorial ose-t-il, enfin, feindre l’inquiétude, avec une totale mauvaise foi, en se demandant : « Qu’en attendre en matière de respect des faits, régulièrement malmenés sur plusieurs chaînes de ce même groupe, ou de journalisme d’investigation, puisqu’il y est manifestement considéré comme une hérésie ? » ?

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Tant au regard de mon expérience personnelle que de l’ensemble des émissions auxquelles il est fait implicitement référence, j’affirme que le procès intenté à CNews comme à Europe 1, par une vision de l’information non pas meilleure que la leur mais désireuse d’être unique, n’a pas la moindre once de crédibilité, et pas davantage à force d’être ressassé…

Je ne me fais aucune illusion. Personne n’a le droit de jeter la première pierre à Geoffroy Lejeune mais peu importe. Que le JDD sorte brillamment ou non de ces quarante jours, il aura des adversaires compulsifs.

Mais que ceux-ci ne couvrent pas leur totalitarisme du voile d’un prétendu pluralisme.

Puisqu’ils ne supportent que le leur.

Érotisme d’hier, pornographie d’aujourd’hui

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Glissements progressifs du plaisir, Alain Robbe-Grillet, 1974. © D.R

La réédition de Cérémonies de femmes (Grasset) sous le véritable nom de son auteur, Catherine Robbe-Grillet, nous replonge dans les saveurs et complexités d’une société érotique. À l’inverse, avec Quelques mois dans ma vie (Flammarion), Michel Houellebecq nous tend le miroir d’une société bassement pornographique.


L’érotisme est caché, c’est sa définition même. L’érotisme, c’est cette rose cueillie dans les jardins de Bagatelle, retenue par la jarretelle du bas d’Anne, la petite esclave de Claire. L’épine enfoncée dans la chair, mais la rose elle-même, et le mince filet de sang qui marque la blancheur de la cuisse, occultés par la jupe que l’on a pris soin de laisser retomber sur la fleur.

C’est l’une des scènes de L’Image, un joli roman à coloration SM paru aux Éditions de Minuit en 1956 et signé Jean de Berg, qui plus tard enfanta Jeanne de Berg, pseudonyme habituel de Catherine Robbe-Grillet. Qu’Alain Robbe-Grillet, qui initia son épouse aux jeux sadomasochistes que j’ai vus jadis perpétrés au château du Mesnil-au-Grain, ait mis la main à L’Image, c’est ce que tendrait à prouver l’étude lexicale de l’ouvrage. L’Image est bien plus près du Voyeur (1955) que des Cérémonies de femmes parues initialement en 1985 et que Catherine vient enfin de signer de son nom d’épouse, en renonçant aux pseudonymes.

Ces jeux étaient marqués du signe de la simulation. Au sens le plus noble du terme, c’était du cinéma. Rien d’étonnant, Catherine fut l’interprète et la coscénariste de certains des films de son sulfureux époux.

La pornographie aussi est du cinéma – mais au sens le plus bas du terme. Si Trans-Euro-Express (1967) ou Glissements progressifs du plaisir (1974) sont des films si intellectuels qu’ils en sont parfois arides, c’est qu’ils s’adressent à l’organe central de la sexualité – le cerveau. Monde d’en haut, dirait Bakhtine. La pornographie ne s’exerce que sur le monde d’en bas.

Nous avons, en une cinquantaine d’années, glissé d’une société ancienne et érotique, où le discours et l’image flirtaient avec la suggestion et l’équivoque – le passage au tutoiement dans Quai des brumes, Bardot au début du Mépris, Romy Schneider dans La Piscine – à une société pornographique où seuls comptent mensurations et gros plans. Le basculement a eu lieu dans les années 1970. Voir l’adaptation ridicule de L’Image en 1975, avec Rebecca Brooke : ce qui en mots était d’une perversité amusante devient, en images, d’une niaiserie démonstrative. Just Jaeckin a réussi le même ratage intégral avec Histoire d’O, la même année : ce qui en mots et en 1954 était d’un érotisme brûlant comme la glace est devenu un livre d’images léchées.

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L’érotisme donne à deviner, la pornographie expose. Dans un monde du moindre effort et de la consommation immédiate, la pornographie devait triompher. Jeanne de Berg l’a observé : « Dans le sadomasochisme, j’ai observé un dépérissement à partir des années 1980. » L’imagination a déserté les soirées, et il n’en est resté qu’un dress code à l’entrée de Cris et Chuchotements (9, rue Truffaut – l’ennui tout cuir).

Ce qui fait l’érotisme, c’est l’infraction – et Catherine, élevée dans une foi catholique rigide, en est un témoignage parmi tant d’autres. Les grands siècles de l’érotisme en France furent des siècles sous emprise morale. Le XVIIIe, par exemple, a enfanté aussi bien Thérèse (philosophe) que Justine et Juliette. Le XIXe et le début du XXe, embués de morale bourgeoise, ont produit les écarts jouissifs de Musset dans Gamiani, ou d’Apollinaire (dans Les Onze Mille Verges).

Cet érotisme-là marque la grande victoire des femmes, quoi qu’en pensent les puritains d’aujourd’hui, presque tous de gauche. Féministes, les héroïnes de Marivaux, de Crébillon, de Laclos, de Sade. Catherine Robbe-Grillet ou Emmanuelle Arsan appartiennent à cette filiation, où les coups de fouet ont commencé à s’abattre dans le cadre des pénitences. Et les amateurs éclairés savent bien qu’un être ligoté de contraintes morales est bien plus susceptible d’écarts grandioses qu’un contemporain « libéré » – et esclave de la mode, du qu’en-dira-t-on et du wokisme.

Michel Houellebecq, littérairement parlant, n’a jamais appartenu au monde d’avant. Ses héros lamentables font du tourisme sexuel en Thaïlande et consomment, au lieu d’explorer. L’érotisme, le vrai, ne consiste pas à jouer à l’horizontale avec des zones érogènes, mais à s’insinuer dans une psyché pour y défricher la zone grise, entre fantasmes et désirs, où l’on est tenté d’entrer sans savoir quel sera le bout et l’objet de la quête. Catherine dit très bien que le fantasme est « la cosa mentale de Léonard de Vinci – cette chose qui est dans la tête et qui vient s’ajouter à la réalité ».

Expliquons, pour les hilotes. Le viol est un fantasme pour 99 % des femmes. Mais savoir à quel moment une fessée, jeu très ordinaire, peut être remplacée par des coups de fouet ou de canne, c’est tout autre chose. Dix coups ? Cinquante coups ? Deux cents coups ? Avec incision au cutter des boursouflures ? Assez bas sur les cuisses pour qu’en prenant un verre à la terrasse du Fouquet’s, on montre innocemment aux passants ce que l’on est ? La contemporanéité balance entre le ridicule du pseudo-BDSM (les Fifty Shades of Grey d’E. L. James) et le pseudo-réalisme du film industriel.

Michel, peut mieux faire

Héros malgré lui – au sens alsacien du terme, si je puis dire – d’un film pornographique, Houellebecq raconte dans Quelques mois dans ma vie (Flammarion), ce qu’il a ressenti quand il a compris qu’une sextape où l’on voit ses ébats avec une actrice hollandaise consentante allait être diffusée sur le Web. Et en profite pour narrer une séance de domination houllebecquienne en diable – je vous en fais juge :

« Entièrement nue à l’exception d’un bandeau qui recouvre ses yeux, la femme se voit attachée par des courroies aux quatre coins du lit, bras et jambes largement écartés. Un oreiller placé sous sa tête facilite l’accès à sa bouche. Un second placé sous ses fesses place sa chatte en position élevée, la livrant entièrement au regard (dans un premier temps). Il s’agit ensuite, pour la femme, simplement d’attendre. Il appartient alors à l’homme d’utiliser ses doigts et sa langue pour amener à leur point d’excitation maximale les deux orifices offerts. Il peut à tout moment s’arrêter, laisser passer un temps, employer sa bite à une pénétration brève, s’interrompre à nouveau, se livrer à de nouveaux baisers, lécher le clitoris, s’arrêter encore avant d’utiliser toutes ses forces pour baiser à fond la bouche et la chatte. C’est une manière exquise d’occuper un après-midi d’été lorsqu’il fait trop chaud pour aller à la plage. »

Mauvais scénario de série Z, et certitude de s’ennuyer ferme, entre deux courants d’air inopportuns et l’envie de faire pipi. Allons, Michel, vous pouvez mieux faire : relisez Catherine.

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Quand tout aura son « éco-score »…

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Bruno Lemaire au 22eme Forum des rencontres économiques de Aix-en-Provence le 8 juillet 2023 Alain ROBERT/SIPA 01119984_000026

Actuellement, les autorités ne cessent d’inventer de nouvelles façons d’évaluer les produits selon leur impact sur l’environnement. Mais à quelles fins exactement? Et jusqu’où peut-on aller en suivant la logique qui y est associée?


Qu’est-ce qu’une ACV ? C’est une Analyse du cycle de vie. Tous les mots sont importants, surtout « cycle » qui implique la naissance et la mort. Pour un produit, on dit « du berceau à la tombe ». La formule est riche de possibilités qui semblent avoir échappé aux énarques qui gèrent notre pays, particulièrement au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Mais n’allons pas trop vite…

Des analyses qui valent leur pesant de papier

Imaginez un produit. Un sac de caisse par exemple. Une analyse de cycle de vie est un procédé qui compare les différents produits destinés au même usage. Il établit un bilan de la quantité des flux entrants (eau, énergie, matières premières) et sortants (eau, air, déchets), à chaque étape de son cycle de vie. Cela permet d’identifier les impacts environnementaux à toutes les étapes, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la sortie de l’usine (production des matières premières, transport, fabrication du produit, distribution, utilisation, réutilisation et fin de vie) en fonction de son impact sur les écosystèmes, les ressources et la santé.

L’Analyse de Cycle de Vie des sacs pour fruits et légumes, qui date de 2019, fait 221 pages.

A lire aussi: Loi de restauration de la nature: l’UE fait un pas de plus vers la biodiversitocratie

Les résultats des ACV sont souvent bluffants : ayant pris tous les critères en considération, ceux du sac de caisse en plastique (« cabas en polyéthylène », de son nom de baptême, interdit en France depuis 2016, sous la pression des associations) montrent quepour un nombre d’utilisations supérieur ou égal à 4, il consomme trois fois moins d’eau et émet 80 à 90% moins de gaz à effet de serre et de gaz acide que son concurrent en papier.[1]

La manie des « éco-scores »

« Un pays qui produit 365 sortes de fromages ne peut pas perdre la guerre », avait déclaré Charles de Gaulle en 1940. Aujourd’hui, il pourrait dire qu’un pays qui produit 365 nouvelles réglementations par an ne peut pas gagner de guerre économique ou écologique.

Justement, un nouvel outil à complexifier la vie a été annoncé pour le 1er janvier 2024, date à laquelle chaque véhicule fonctionnant sur batterie vendu dans notre pays sera doté d’un « score environnemental » calculé sur les émissions carbone générées par sa fabrication. Cela rappelle étrangement le Diagnostic de performance énergétique (DPE), institué un jour, jugé inapplicable le lendemain par les acteurs sur le terrain, obligatoire pour toute vente ou location par l’État depuis le 1er janvier 2023 et qui probablement supprimé (ou reporté sine die) au moment où la prochaine étape (le 1er janvier 2024) entrera en application.

L’éco-score est un ersatz d’ACV sans alcool : le berceau du véhicule est esquissé, en surévaluant le carbone de la production, et la fin de vie est soigneusement oubliée. Il s’agit de lutter contre la concurrence chinoise, surtout pas de démontrer scientifiquement que la voiture électrique est une catastrophe environnementale !

En jeu, la réforme du bonus écologique, une aide de plusieurs milliers d’euros accordée pour l’achat ou la location longue durée d’un véhicule peu polluant. « Cette réforme va nous permettre de réserver le soutien public aux véhicules électriques qui ont la meilleure empreinte carbone et qui sont donc produits dans les pays et usines les plus décarbonés », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.  

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Il serait étonnant que le nouvel éco-machin prenne en compte l’électricité allemande, ultra-recarbonée depuis la fermeture des centrales nucléaires. Encore plus surprenant serait le fait que l’incapacité française de fournir assez de chauffage électrique en hiver à ses citoyens soit parmi les critères étudiés…  

Quel serait le score d’un homme ?

Curieusement, si on réalisait l’analyse de cycle de vie dans le cas de l’être humain, on se rendrait compte que la PMA et l’insémination artificielle au service des futurs « pères enceints » et d’autres couples non-traditionnels a un impact infiniment plus lourd sur l’économie et l’environnement que la bonne vieille bête à deux dos.

En lisant le détail de la nouvelle exception française relative à « l’éco-score » des voitures électriques, on se prend à rêver d’une autre usine à gaz qui rapporterait à l’État de quoi rembourser sa dette : un impôt sur les successions indexé sur l’« ACV » du défunt.


[1] ACV réalisée en 2003 par Ecobilan, expert en ACV au service de l’industrie et du secteur public dans le domaine du développement durable. www.ecobilan.com.

Chantal Thomas : L’appel à nager

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Chantal Thomas 14/06/2013 ANDERSEN ULF/SIPA 10001211_000012

Chantal Thomas nous convie dans ces entretiens avec Fabrice Lardreau à partager son versant intime pour cette Etreinte de l’eau qui nous revient comme un plaisant ressac après son Journal de nage.


C’est une vision très sensorielle, camusienne en un sens, d’un monde rassemblé dans cet océan de couleurs où mer et sable offrent à l’homme nu ses forces vives. Son vitalisme nous est conté avec des mots simples et précis allant de pair avec la pureté des éléments minéraux. Les Noces à Tipasa sont aussi fêtées sur l’autre rive de la méditerranée où les interdits judéo-chrétiens sont balayés d’une brise marine. Ici, la mer semble n’avoir d’égards qu’aux amateurs d’immersion dans la sensualité de l’instant.

En effet, si la montagne ou la randonnée nécessite un minimum d’équipement, la mer quant à elle, invite son hôte dans le plus simple appareil. C’est d’ailleurs, nous dit l’auteur, la seule chose tangible qui pourrait être exigée du nageur si la nature l’obligeait. 

Aussi, suit-elle l’empreinte laissée dans le sable par l’amoralité païenne de ses glorieux prédécesseurs : Gide et Nietzsche. Ils confirmèrent son inclination – sans trop de difficultés, ajoute t-elle avec malice – à fuir toute cléricature entendue au sens large pour mieux aborder les eaux bienfaisantes du Gai savoir. En somme, un détachement naturel dans l’esprit de la philosophie zen, cousin d’un sentiment océanique parfaitement illustré dans ces entretiens.

Au chapitre sur Les Mots, Chantal Thomas évoque les écrivains Jack Kerouac et Nicolas Bouvier, dont les voyages au long cours représentèrent pour elle la bourlingue idéale typique de ceux de la Beat Generation. Très peu de préparatifs, une 2 CV aux allures de vieille guimbarde ou le grand ouest en bus, mais surtout l’ignorance affichée et presque totale des pays traversés ; foin des conventions et des Guides bleus ! Puisque seul compte l’instant avec son lot de surprises et d’altérités dont témoigne leur style fragmentaire.

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C’est « la scansion be-bop de Kerouac » qui charrie son content d’aventures d’une route tracée au hasard des chemins. Nos deux poètes en vadrouille saisissent des impressions de voyage communes par leurs instantanés de vie ; des « flashs » qui procurent ce même sentiment d’immanence éprouvé par notre distinguée Néréide en habit vert lorsqu’elle fend les flots.

Enfin, ces entretiens sont clos par quatre extraits de livres en référence aux milieux maritime et aquatique tirés d’Hugo, de Gaston Bachelard, de Charles Sprawson et Julie Otsuka pour son obsédante Ligne de nage. Les origines nippones de celle-ci nous rappellent le choix par l’impétrante du bel éventail japonais, préféré à la martiale épée d’académicien en hommage à la culture ancestrale de ce pays.

Sans doute que Paul Morand, auteur de Bains de mer, méritait d’être rappelé dans cette courte liste tant il sut éprouver et traduire dans une merveille de langue ces délices du corps dans l’étreinte sensuelle de l’eau. Cette mer dont il disait « qu’elle n’a pas d’âge ; couverte de rides, elle les perd aussitôt ». L’œil morandien rejoint cette vision hallucinée des vents marins avec « tant de cadavres sous ses plis sans fond » du fabuleux Travailleurs de la mer.

Chantal Thomas souligne à raison que seul le soulèvement des éléments naturels comme une tempête en mer allume l’imagination du vieil Hugo. La mer d’huile est souriante mais n’affole pas le verbe comme peut le faire l’ouragan « venant comme une bête boire à l’océan ».

Ces « naïades ivres qui roulent » ne laissent naturellement pas insensible notre immortelle nageuse nourrie au sein d’Amphitrite dans son bassin d’enfance que fut Arcachon.

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Niger : pourquoi la France doit intervenir

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Des supporteurs de la junte négérienne, Niamey, 3/8/23 Sam Mednick/AP/SIPA ap22807099_000002

Dix jours après le coup d’Etat, le Niger est en pleine incertitude. Il y a quelques heures, la junte a dénoncé ses accords de défense avec Paris. Alors qu’il y encore deux semaines le pays était jugé comme un partenaire fiable, c’est désormais la capacité du pays à tenir son rôle dans la lutte contre les groupes armés régionaux qui est en question. Or, tout défaut du Niger en ce sens aurait de graves conséquences du lac Tchad au Golfe de Guinée. L’analyse de Pierre d’Herbès, expert en intelligence économique.


Depuis jeudi, les événements se précipitent à Niamey. Le président Mohammed Bazoum, toujours détenu par les putschistes, a officiellement appelé « la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel ». Mais dans la foulée, la junte nigérienne, le CNSP, dénonçait le partenariat militaire opérationnel qui l’unit à la France et se rapprochait du pouvoir kaki de Bamako et de Ouagadougou.

La tension est maximale alors que l’ultimatum fixé par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à la junte arrive à expiration dimanche. Les membres de l’institution panafricaine, et en particulier le Nigeria, ont même explicitement menacé le pays d’une intervention militaire. Selon plusieurs sources, les états-majors des pays membres prépareraient en ce moment même l’opération. Est-ce le « coup d’État de trop » pour la CEDEAO ? L’organisation réagit, en effet, avec une virulence inédite car pour les pays de la région, l’inflation de coups d’État représente un danger important pour leur stabilité. Car tous ont pu mesurer l’échec militaire et politique des juntes maliennes et burkinabés dont les pays ont vu leur situation sécuritaire se dégrader. L’arrivée de militaires au pouvoir n’a en rien amélioré la lutte contre les groupes armés, bien au contraire. Et si le Niger venait à prendre le même chemin, les conséquences seraient dévastatrices pour toute la région.

Niger : dernier domino avant l’effondrement régional ?

Avant le coup d’État, le Niger était déjà en lutte contre des groupes armés dans trois zones, immenses, difficilement maitrisables et éloignées les unes des autres :  dans la région des trois-frontières (Mali, Niger, Burkina-Faso), dans la région du lac Tchad aux côtés du Nigeria et du Tchad contre Boko Haram, et à la frontière avec le Bénin pour lutter notamment contre le groupe jihadiste de la Katiba Macina.

A lire aussi: Niger, Maroc, Algérie: la France en difficulté

Bénin, Nigéria et Tchad sont d’ailleurs parmi les premiers pays à avoir réagi au coup d’État. Et pour cause : un Niger affaibli serait synonyme d’une pression sécuritaire accrue sur leurs propres territoires. Le risque est encore plus notable au Tchad. L’armée du pays y est performante et réputée sur tout le continent. Mais elle est déjà en forte tension opérationnelle. Elle fait face à un faisceau de menaces depuis la Lybie, la Centrafrique et le lac Tchad. Une aggravation directe de la menace depuis le Niger la ferait approcher d’un point de rupture, sans compter que la guerre civile au Soudan ravive les risques depuis la région du Darfour. Le tout est combiné à une situation politique intérieure tendue. La chute du Niger pourrait donc bien entraîner celle du Tchad, malgré la proximité du pays avec la France. Le Sahel serait alors hors de contrôle avec des conséquences directes sur l’Europe. L’effet domino, tant redouté, n’est peut-être pas encore terminé…

Risques sécuritaires

Quels sont les risques immédiats ? Ces six derniers mois, contrairement au discours tenu par les putschistes, la situation sécuritaire s’était améliorée. Les données récoltées par les analystes spécialisés sont formelles : l’influence des groupes armés et la violence subséquente reculaient. Un résultat obtenu grâce à l’augmentation de la cadence opérationnelle des forces nigériennes, appuyées par l’armée française et dans une moindre mesure italienne.

Une réalité qui fait certainement grincer des dents les organisateurs du coup d’État, mais loin de « rétablir l’ordre », l’arrivée au pouvoir des militaires risque surtout d’être le rétablissement du chaos : l’armée française, avec ses 1500 hommes, ses blindés et ses aéronefs, déployait au Niger un partenariat opérationnel efficace et, on peut le dire, indispensable aux troupes nigériennes. Formation des hommes, soutien logistique et accompagnement au combat avaient permis au pays de résister tant bien que mal dans la tempête sécuritaire du Sahel.

Une réussite partielle et progressive rendue aussi possible par le soutien des forces françaises aux populations locales dans les zones exposées aux groupes armées : assistance médicale, construction d’infrastructures de première nécessité (puits, groupes électrogènes) soutien à l’éducation (réfection de salles, fournitures scolaires)… Un levier indispensable pour « conquérir les âmes et les cœurs », dont il y a fort à parier que le Niger ne saura – et ne voudra – plus assurer si les militaires restent au pouvoir.

Autant dire qu’un boulevard s’ouvre donc aux jihadistes et aux groupes armés dans la région.

La junte en question

Car le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est-il en mesure de maintenir le Niger à flot ? Plusieurs éléments permettent d’avancer que non. Ce deuxième putsch militaire, après celui avorté de 2021, montre une chaîne de commandement encore très politisée, voire corrompue. En d’autres termes, il faut certainement s’attendre à d’autres putschs dans le pays, avec pour corollaire la dégradation de l’organisation de l’armée nigérienne pourtant jusqu’ici efficace comparée à celles du Mali ou du Burkina-Faso.

Au même moment, les groupes armés tentent d’exacerber les affrontements inter-communautaires : selon une étude de l’International Crisis Group, l’État Islamique dans le Grand Sahara attise depuis plusieurs années les tensions entre cultivateurs zarma et pasteurs peuls. Un antagonisme classique dans la région et historiquement structurel sur lequel les groupes armés font leur terreau. Seulement, le Niger faisait jusqu’ici exception via une politique d’intégration de ses populations nomades.

L’élection de Mohammed Bazoum, membre d’une ethnie arabe ultra-minoritaire, les Ouled Slimane, était un symbole de cette réconciliation. Le président poursuivait cette politique en refusant d’encourager les milices d’autodéfense et en travaillant explicitement au dialogue intercommunautaire ; un scénario impensable au Mali et au Burkina où l’augmentation du racisme anti-peul et touareg est en augmentation et alimente sans fin le conflit.

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La politique du gouvernement a-t-elle aussi contribué à motiver ce putsch ? On observe en effet que l’armée est composée en grande partie d’Haoussa, l’ethnie majoritaire du pays. Rien ne permet de l’affirmer à ce stade. Il n’en demeure pas moins que l’éviction du président est assez symbolique, surtout si on la relie à la traque dont est aujourd’hui l’objet le général touareg, Abou Tarka, actuellement président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP) nigérienne. Ce dernier avait vertement critiqué, en avril 2023, les juntes maliennes et burkinabés du fait de la dégradation sécuritaire de leurs pays respectifs.

Que fait la France ?

Alors que les événements se précipitent, Paris semble temporiser. Le gouvernement ne reconnait pas la junte et le lui a fait savoir lorsque celle-ci a annoncé rompre les accords militaires entre les deux pays. Récemment, l’ambassadeur du Niger en France a, lui aussi, refusé son limogeage par le CNPS. Après l’appel du Président Bazoum, jeudi, et la levée de bouclier de la CEDEAO, la France dispose de toute la légitimité pour intervenir. La situation est urgente, car dans son appel de jeudi, c’est « aux États-Unis et la communauté internationale » et non à la France que le président s’adresse. Un signal faible de son exaspération face à l’attentisme de Paris?

En tout état de cause, la France a intérêt à agir vite avant que ses compétiteurs stratégiques, russes ou américains, ne le fassent à sa place. Symboliquement, la France a connu trop de défaites et d’impondérables ces dernières années pour se permettre de rester spectatrice. Mais le gouvernement semble tétanisé face aux accusations de colonialisme que pourrait générer une intervention directe. Le sentiment anti-français est une réalité, mais il est avant tout urbain et générationnel : il n’est pas représentatif de toute la population. En parallèle, la France montrerait à la junte malienne et à l’Algérie qu’elle n’a que faire de leurs menaces, guère persuasives, en cas d’action directe contre la junte. In fine, compte tenu de la configuration, une intervention militaire de la France, aux côtés de la CEDEAO, s’impose, car autrement, quel que soit le scénario, elle sera perdante.

La presse mainstream, de plus en plus orwellienne, en est persuadée : la pensée unique c’est le pluralisme

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Edwy Plenel, lors des Journees d'ete le 21 Aout 2020, à Pantin. 21/08/2020 ISA HARSIN/SIPA 00977486_000039

Derrière les appels récents à renforcer l’indépendance éditoriale des journaux, derrière les attaques contre des personnalités comme Geoffroy Lejeune ou Franck Ferrand se cache une volonté de réduire le journalisme à une orthodoxie, celle de la gauche wokiste. Analyse.


Ces derniers temps, il est beaucoup question de la « déontologie de la presse ». Edwy Plenel l’évoque régulièrement ; les journalistes de Libération et ceux du JDD disent craindre sa disparition ; tous réclament de nouvelles lois renforçant l’indépendance éditoriale des rédactions et assurant ainsi, selon eux, le déploiement d’une charte déontologique en béton armé. En réalité, leur souhait est qu’il n’y ait plus qu’un seul journalisme, un journalisme dogmatique, woke, de gauche, celui-là même qui est enseigné dans la plupart des écoles de journalisme. Au nom du pluralisme, certains journalistes adaptent leur conception de ce dernier à leurs opinions politiques et dénoncent, en vue de les faire taire, les petits camarades qui ne pensent pas comme eux ou les citoyens qui échappent à la doxa.

La presse mainstream est endogame, gauchisante et aisément manipulable. La source à laquelle elle s’abreuve, l’Agence France-Presse, est censée relayer l’information nationale et internationale d’une manière « complète, impartiale et vérifiée » (site de l’AFP). Mais les dernières élections syndicales de cette officine donnent des « indications précieuses sur les orientations politiques de ses employés, journalistes et techniciens », note l’Observatoire du journalisme  (OJIM). Dans la seule « catégorie journalistes », le SNJ récolte 40% des suffrages, la CGT 20%, et l’extrême gauchiste syndicat SUD passe de 11% en 2012 à… 26% en 2022. Comme on dit, il n’y a pas photo : l’AFP emploie une majorité de journalistes de gauche et d’extrême gauche. Le journalisme paresseux se contentant souvent de reprendre les dépêches de l’AFP telles quelles, cette agence « neutre et impartiale » donne le la dans de nombreux journaux. Ainsi, nous apprend Sabine de Villeroché sur le site de Boulevard Voltaire, plusieurs d’entre eux se sont dernièrement appuyés sur un titre alléchant, basé sur une dépêche de l’AFP, pour relayer l’entretien de Nicolas Lerner, directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), paru dans Le Monde du 9 juillet : « Le patron de la DGSI alerte sur la résurgence des actions violentes de l’ultra droite ». Le Figaro, Ouest-France, Sud-Ouest et France Info ont plongé la tête la première dans l’approximation orientée de l’AFP et donc la dénonciation unique de « l’ultra droite » sans lire l’entretien du directeur de la DGSI qui qualifie pourtant la menace djihadiste de « principale menace ». Nicolas Lerner affirme également que si la menace terroriste d’ultra droite existe toujours (dix actions déjouées depuis 2017), celle d’ultra gauche s’amplifie, « investit la sphère environnementale » et est « un sujet de préoccupation ». Inspirés par la dépêche de l’AFP, les titres et les choix éditoriaux de ces organes de presse n’insistent pourtant que sur « une résurgence très préoccupante des actions violentes ou des intimidations de la part de l’ultra droite » (Le Figaro), le « recours à la violence de l’ultra droite » (Ouest-France), ou minimisent les violences de l’ultra gauche et relativisent le risque djihadiste qui serait « moins intense » (L’Indépendant). Cette littérature échotière et mensongère n’a qu’un but : masquer la réalité et minimiser les véritables dangers qui menacent notre pays.

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Mais la presse de gauche et d’extrême gauche va plus loin que le simple mensonge. À la Kommandatur Médiapart, il a par exemple été décidé de lancer un appel à la délation de tous ceux qui auraient tenu, depuis la mort de Nahel Merzouk, des « propos racistes et déplacés au travail » : « Racontez-nous si un.e collègue a partagé la cagnotte destinée au policier qui a abattu l’adolescent ; un.e autre a qualifié, au détour d’un café, les jeunes des quartiers populaires de “sauvages” ; un chef a stigmatisé les populations d’origine immigrée… ». Respectueux de la tradition délatrice qui fit les beaux jours de la sinistre Carlingue, sise rue Lauriston, l’organe plenelien précise que la dénonciation (appelée joliment « récit ») « peut être anonyme ». Rappelons que l’insignifiant mouchard médiapartien qui se fait appeler Usul proposait il y a peu de récupérer le fichier des « chiens » qui ont participé à la cagnotte du motard incriminé dans la mort de Nahel Merzouk afin de le remettre au service de surveillance politique de son journal. Bien entendu, Médiapart soutient les journalistes du JDD qui affirment sans rire que « le journalisme n’est ni de gauche, ni de droite », et Edwy Plenel dénonce les subventions publiques versées à un journal détenu par un « capitaliste » – ce qu’il s’est bien gardé de faire du temps où il était le directeur de la rédaction du Monde, journal dirigé à l’époque par lui-même, Jean-Marie Colombani et Alain Minc, ces deux anticapitalistes notoires.

De son côté, Pauline Decker, journaliste de Ouest-France, n’a pas hésité à prendre sa plus sale plume pour dénoncer le recrutement saisonnier d’un jeune homme par la municipalité de Lorient pour un poste d’agent de surveillance de la voie publique, au prétexte qu’il est un militant de Reconquête. Penaud, le maire de Lorient promet de « googliser » les candidats à l’avenir et assure qu’il a convoqué le jeune homme en question afin de lui rappeler son « devoir de réserve ». Nul doute qu’il aurait eu la même démarche s’il avait appris que l’individu embauché était un militant actif de LFI – encore aurait-il fallu dans ce cas-là que Pauline Decker se chargeât de la « dénonciation » de cet extrême gauchiste, ce qui aurait constitué par ailleurs, comme dans le cas présent, un appel à la discrimination au motif de convictions politiques, ce qui est rigoureusement interdit par le code du travail.

Libé n’a pas raté le coche. Cette feuille de chou est devenue la spécialiste de toutes les cochonneries qui traînent, elle ne pouvait par conséquent pas passer à côté d’une dénonciation bien crasse. La cible en a été cette fois Franck Ferrand, commentateur sur la télé publique de réjouissantes pastilles historiques et patrimoniales lors de la retransmission du Tour de France. Comme l’audiovisuel public n’est pas suffisamment à gauche à son goût, Libé s’est vu contraint de moucharder ce « chroniqueur à Valeurs actuelles et invité régulier de CNews », une de « ces personnalités mondaines fascinées par les grands hommes qui racontent de belles histoires sur un pays royaliste et chrétien ». L’acte d’accusation porte également mention du peu de considération que l’accusé porte aux écolos. L’article est grossièrement écrit et n’évite aucune expression outrancière pour salir l’animateur qui serait le « relais de thèses complotistes » et aurait une « vision réactionnaire de l’histoire » – il est vrai que Franck Ferrand est plus proche du « roman national » honni par les journalistes de Libé que de l’histoire mondiale de la France métissée de Patrick Boucheron. Cet article à charge n’a bien entendu qu’un seul objectif : faire en sorte que la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, vire cet homme blanc de plus de 50 ans et accomplisse totalement son rêve qui n’est pas de montrer la France telle qu’elle est mais, si l’on veut en croire sa dernière intervention auprès de la Commission des finances, telle qu’elle voudrait qu’elle soit, c’est-à-dire entièrement woke, écologiste, paritaire, diversitaire et, pour ce qui concerne son histoire, coupable et repentante –  en gros, la même France que celle souhaitée par Libé, Télérama, Le Monde et Médiapart.

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L’Observatoire du journalisme (OJIM) entame en ce moment même une série d’articles sur « les 14 écoles de journalisme reconnues par la profession », en commençant par « une des plus sectaires », l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille. Inclusif, diversitaire, wokiste, écologiste, gauchiste, l’enseignement dispensé par cette école est une caricature du progressisme dogmatique. « La diversité tant vantée ne se traduit cependant pas dans les opinions politiques des étudiants de l’école qui affirment à 87% voter pour la gauche et l’extrême gauche », constate l’OJIM. Sur France Info, Alexandra Schwartzbrod, directrice adjointe de la rédaction de Libération, confiait récemment que les plus jeunes journalistes du quotidien sont « plutôt LFI ». Les IEP, eux, proposent des Masters Journalisme qui n’échappent pas à la bien-pensance et au politiquement correct. À Sciences Po Paris, quelques mois avant les dernières élections présidentielles, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon ont été reçus à bras ouverts dans les locaux de l’école qui fut par ailleurs bloquée par des étudiants « démocrates » mécontents des résultats du premier tour. L’IEP de Grenoble est réputé pour son sectarisme d’extrême gauche ; celui de Rennes a vu émerger et croître le syndicat extrême gauchiste Solidaire, lequel, soutenu par les Antifas locaux, fit régner une sorte de petite terreur sur le campus au moment des élections en empêchant tout affichage de candidats autres que Jadot et Mélenchon. À Lyon, des étudiants militants du même syndicat Solidaire devenu majoritaire anticipent leur future carrière délatrice en listant les étudiants « fachos » – c’est-à-dire tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

Des rangs de ces institutions universitaires, ESJ ou IEP, sortent bon nombre des journalistes qui font et feront régner demain, dans une langue défaite et avec une maigre culture supplantée par une inébranlable croyance politique, l’ordre wokisto-progressite et gaucho-diversitaire qui régit d’ores et déjà la majorité de la presse écrite et l’audiovisuel public. La « déontologie » et le « pluralisme » de la presse chers aux « démocrates » des médias bien-pensants annoncent des lendemains orwelliens durant lesquels la déontologie reposera exclusivement sur la morale de gauche appliquée dans toute sa totalitaire rigueur pour le « bien commun », tandis que la pensée unique sera reconnue comme le summum du pluralisme, et la délation comme l’acte démocratique par excellence. Dernières preuves d’une alliance politico-médiatique prête à tout pour voir advenir ce monde merveilleux : Jean-François Kahn dénonce dans L’Obs le rachat par Bolloré du JDD, ce qui « rend presque inéluctable les prochaines victoires de l’extrême droite et donc l’atmosphère de guerre civile qui en découlera » – il semblerait que JFK soit passé à côté de « l’atmosphère de guerre civile » qui a considérablement assombri la vie des Français il y a un peu plus d’un mois – et ose un énième point Godwin, en l’occurrence une analogie plus que douteuse avec l’empire médiatique d’Alfred Hugenberg qui aida à l’émergence en Allemagne du… Parti national-socialiste. De leur côté, les dirigeants d’EELV déclarent que, au nom du pluralisme et de l’indépendance des médias, ils ne répondront plus aux demandes d’interviews du JDD – en revanche, bien décidés à pêcher dans les eaux marécageuses de l’islamo-gauchisme, ils recevront lors de leurs Journées d’été le rappeur Médine, ce pacifique artiste homophobe qui désire plus que tout « crucifier les laïcards ». « C’est en comprenant son parcours qu’on luttera efficacement contre l’extrême droite », affirme sur LCI l’inimitable Sandrine Rousseau, tandis que Libération met en exergue « l’engagement antiraciste » de cette « cible privilégiée de l’extrême droite ». La boucle est bouclée.

Nous sommes tous juges!

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Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

A l’époque des réseaux sociaux, où tout le monde exprime son avis sans la moindre rentenue, on nous enjoint souvent de ne pas porter de jugement. Pourtant, que serait un monde sans discernement, sans évaluation et sans liberté d’expression? Le billet de Philippe Bilger.


De la même manière que les quotidiens ne sont jamais meilleurs que durant les vacances, avec des séries passionnantes, je me donne le droit sur ce blog, au cours de cette période, de moins traiter de politique et davantage de thèmes quotidiens et familiers.

Combien de fois dans la vie courante ai-je entendu ces reproches adressés à d’autres ou à moi-même : « Il ne faut pas juger » ou « Il ne faut pas faire de comparaisons »… Je les ai toujours trouvés injustes dans la mesure où le jugement comme les comparaisons sont inévitables et permettent la plupart du temps de mieux faire comprendre les priorités qu’on a et les hiérarchies qu’implicitement on fait tous…

Soutenir le contraire revient à considérer que l’humanité est une masse indistincte, homogène, égale par principe, forcément remarquable dans sa globalité et éblouissante en chacun de ses membres. On sait bien que l’existence, que ce soit celle de nos proches ou de rencontres de hasard, pour nos dilections ou nos rejets, est radicalement aux antipodes de cet égalitarisme de façade. Il n’est pas de moyen plus efficace pour faire connaître nos choix que de les comparer ou de décrire, par exemple, pourquoi telle personnalité nous semble plus riche, plus stimulante que telle autre. Pour n’importe qui, il y a des différences, les unes sont positives et les autres négatives.

La vie elle-même, dans la plupart de ses séquences, évidemment professionnelles mais aussi d’ordre privé, nous confronte à des obligations de dire le vrai, de supporter l’imprévisibilité dure ou louangeuse des appréciations portées sur nous, à une forme de contentieux où successivement nous pouvons être des juges ou des victimes.

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Bien sûr qu’il convient de comparer – la comparaison étant souvent raison -, de ne pas occulter les ombres, de vanter les lumières, de ne pas faire semblant de placer tout le monde à la même aune, de refuser la facilité et la tromperie de l’hypocrisie.

Ce qui nous interdit d’être tous juges est d’une part l’affection, qui pourrait laisser croire qu’il y aurait là comme une contradiction avec les élans du coeur et d’autre part la politesse, nous contraignant par la bienséance à nier ce qui crève l’esprit et les yeux : le fait que l’inégalité est la règle, l’intelligence mal répartie, le courage rare et la sincérité résiduelle.

Ce n’est pas offenser l’humanisme que d’ériger la vérité comme critère capital. Bien au contraire. C’est redonner à chacun ce qui lui est dû et ne pas se payer de mots.

Pierre Chareau, le charme discret de l’avant-garde

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"La maison de verre" de Pierre Chareau : le grand salon et ses cinq poteaux. © Norma éditions

Éclipsé par les dogmatiques Le Corbusier, Jeanneret et Perriand, Pierre Chareau a développé une œuvre singulière dans l’entre-deux-guerres. Cet architecte, décorateur et designer a même inventé un style : le « goût français ». Un beau livre lui rend enfin hommage.


En 2023, Pierre Chareau serait au chômage : il n’avait aucun diplôme. Pas plus que nombre des architectes de son temps : Le Corbusier, Frank Lloyd Wright, Ludwig Mies van der Rohe… Tous autodidactes. Au tournant du XIXe siècle, il faut croire que le talent était un gage de reconnaissance suffisant. On n’était pas encore entré dans la religion du bac + 7.

Sous la double signature des spécialistes Marc Bédarida et Francis Lamond, un « beau livre » en deux volumes récapitule la vie et la carrière de cet homme talentueux, émotif et discret. Jamais dogmatique ou doctrinaire, au contraire d’un Corbu follement idéalisé par la postérité, Chareau (1883-1950) a, lui aussi, traversé le premier XXe siècle : à la fois ensemblier, décorateur, designer (comme on ne le disait pas encore) et architecte.

L’homme à la pointe de la modernité

L’étendue, la diversité de son travail est souvent éclipsée par la légitime célébrité acquise de nos jours par son grand œuvre : cette fascinante « Maison de verre », commande du médecin Jean Dalsace et de son épouse Annie, et dont la construction, rue Saint-Guillaume dans le 7e arrondissement de Paris, s’est achevée en 1932. Un chapitre détaille la genèse du projet, les difficultés rencontrées pour démolir et transformer, dès 1928, un vieil hôtel particulier en une maison abritant le cabinet de consultation du docteur et l’intimité domestique du couple. La « Maison de verre » ? Un laboratoire avant-gardiste, puisant aux ressources de la modernité – transparence, matériaux innovants, organisation rationnelle des espaces, etc. – pour propager un art de vivre néanmoins rétif aux rigidités du fonctionnalisme promues par le pontife de la « machine à habiter » : Chareau, précisément, n’est pas Corbu. Il y a trente ans, le centre Pompidou avait consacré une première rétrospective à son œuvre. Elle n’en reste pas moins toujours méconnue dans toute son amplitude.

Né au seuil de la Belle Époque dans un milieu de négociants originaires du Havre, enfant « déclassé » à la suite du suicide de son père ruiné par de mauvais placements, Chareau est élevé par une mère réduite à l’indigence et contrainte de travailler comme dame de compagnie. Encore mineur, Pierre se marie avec Dollie, femme bilingue et très cultivée. Il se voit d’abord comme décorateur d’intérieur. Au sortir de la Grande Guerre, où il a servi comme canonnier, il aménage l’appartement du jeune couple Dalsace. Bientôt coopté comme sociétaire du Salon d’automne, et tandis qu’affluent les commandes privées (pour les Bernheim, Kapferer, Moscovitz, Daniel Dreyfus et j’en passe), Chareau, entré dans la mouvance d’un Mallet-Stevens ou d’un Francis Jourdain, contribue en outre, dès 1924, aux décors de L’Inhumaine – film muet du génial Marcel L’Herbier, cinéaste pour qui, plus tard, il réalise également ceux du Vertige (1926) puis de L’Argent (1928). Ainsi est-il l’une des sommités de l’exposition des Arts décoratifs de 1925. Entre décors pour le 7e art, expositions internationales, aménagements haut de gamme, Pierre Chareau fait sa mue d’architecte d’intérieur en architecte tout court. En 1927, Edmond Bernheim lui commande la villa « Vent d’Aval », à Beauvallon, dans la Drôme ; l’année suivante Chareau se lance dans la construction de la fameuse « Maison de verre »…

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On n’en finirait pas de pointer la liste de ses contributions, à l’UAM (Union des artistes modernes, fondée en 1929) ou encore au Salon de la France d’outre-mer, au Grand Palais, où, en 1940, Chareau est chargé de concevoir le « Foyer du soldat colonial ». Autant de projets documentés par les innombrables photographies publiées dans ce bel ouvrage. Comme il arrive parfois, l’Histoire coupe court au destin le mieux tracé : juif par sa mère et marié à une juive, l’Occupation le pousse à l’exode ; au terme d’une éprouvante odyssée, l’homme alors âgé de presque 60 ans parvient à embarquer pour New York, où Dollie va le rejoindre – sur le même paquebot que Marcel Duchamp. Impécunieux, le couple exilé trouve sa famille d’adoption chez les poètes, intellectuels et surtout artistes de l’expressionnisme abstrait – d’Anaïs Nin à Paul Bowles, en passant par Robert Motherwell. Après-guerre, Pierre Chareau ne rentre pas en France. Il meurt dans l’été 1950, à l’hôpital proche de la petite « pièce-maison » qu’il achevait d’aménager sur Long Island.

Nos auteurs citent Francis Jourdain, lequel disait de Chareau qu’« il ne savait vraisemblablement “ni combien il étonnait, ni combien il était original” ». Cet homme aussi profondément introverti qu’inventif, est décidément un anti-Le Corbusier. Amateur d’art et collectionneur avisé, Pierre Chareau épouse un monde de formes et de matériaux nouveaux qui ne font nullement obstacle à la tradition, à l’opulence et au raffinement. Il suffit, pour en prendre la mesure, de feuilleter les quelques 800 pages de ces deux volumes qui égrènent, pour l’un les expositions et le mobilier, pour l’autre les architectures d’intérieur et les projets et réalisations de l’architecte : meubles, luminaires, agencements… Rompant de bonne heure avec la tradition historicisante du mouvement Arts and Crafts, comme avec la Sécession viennoise, Chareau invente une écriture stylistique qui, tout en architecturant des espaces sans cloisons, en intégrant le mobilier à des volumétries repensées dans leurs usages, leurs distributions, leurs mobilités, propose un cadre de vie dont il faut aujourd’hui bien saisir le caractère de radicalité qu’il avait alors. Pourtant, comme l’écrit fort bien Marc Bédarida, « jamais il ne propose, comme Le Corbusier, Pierre Jeanneret ou Charlotte Perriand un prototype d’habitation moderne où l’existence charnelle abandonne ses droits au manifeste. » Ainsi Chareau incarne-t-il le « goût français » à son meilleur, tel qu’il eut, dans l’entre-deux-guerres, la faveur de tout ce qui comptait dans l’intelligentsia cultivée. Répertoire éloquent, dont il se pourrait qu’on éprouve la nostalgie.

Francis Lamond et Marc Bédarida, Pierre Chareau, Norma, 2023.

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Workaholic en vacances

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Qui ne connaît pas un(e) collègue ou membre de la famille méritant le qualificatif d' »addict » au boulot? Illustre-t-il la servitude volontaire d’aujourd’hui ou l’esprit de sérieux qui nous sauvera?

On les appelait jadis les « bourreaux de travail » mais à l’époque du bourreau de travail, l’absence d’informatique et de la divine connexion permanente évitait la véritable addiction devenue aujourd’hui pathologique.

Le workaholic d’aujourd’hui est aussi addict au travail sur écran que l’alcoolique à son verre ou le fumeur à sa cigarette. L’entourage du workaholic est également victime, psychologiquement culpabilisé en permanence, nousrappelant le sévère : « Tais-toi, papa travaille » menaçant de notre enfance.

Entre ruse et dope

Le dépendant intoxiqué est rusé et bénéficie d’un a priori positif dans un monde où la paresse est un droit. Notre homme ou notre femme (plus rare) ne s’épanouit que dans un univers professionnel qui le met sous pression permanente, et si la pression n’est pas suffisante, il la crée avec talent. Le stress est sa dope!

Notre guerrier des temps modernes peut être une femme d’affaires ou un cadre sup en échec, le plus souvent professionnellement indépendant ou investi de « lourdes » (?) responsabilités selon lui. Les symptômes sont toujours les mêmes : un enjeu disproportionné à la tâche à accomplir, la conviction que son angoisse et son obsession sont la condition et la preuve de son implication et de son efficacité.

Un vocabulaire reconnaissable signe l’importance de ses missions; il ne donne ni ne reçoit de simples appels comme vous et moi : il a des « calls » car on sent bien que le « call » est d’un tout autre niveau, le call nécessite un isolement, une préparation psychologique sérieuse, un timing précis ; il l’annonce à l’avance à son entourage, la mine grave, il avertit à plusieurs reprises qu’« il veut le calme absolu»; il repère les lieux même dans la maison de famille, aura-t-il une bonne connexion ? Elles sont capricieuses ! Peut-il s’isoler ? Tout le monde est prévenu et devra faire preuve d’une discrétion à toute épreuve, que dis-je d’une disparation pure et simple. Il faut que son interlocuteur soit convaincu qu’il est à son bureau et seul… et si une voix se fait entendre, ou un aboiement de chien, il peut craquer et devenir violent (après) ou avant, si l’enfant rôde.

La visio: le nec plus ultra

Mais il y a pire comme vecteur du stress : « la visio conférence », c’est-à-dire un méga call à plusieurs. Avez-vous remarqué que rencontrer quelqu’un pour le boulot a de moins en moins d’intérêt ? Les importants, eux, plébiscitent la visio-conférence, accros au stress exquis qu’elle procure, car c’est là que tout se joue avec une tension comparable à celle du dialogue Poutine-Macron. Pour nourrir l’angoisse professionnelle s’ajoute la problématique de la connexion : Skype, Google Meet, Zoho meeting, Whereby, Report it, etc. les outils de « visio conférence » avec des codes d’installation et autres terribles incertitudes : attention au son, à la lumière, au fond (la plage, c’est pas terrible). C’est ce qu’on appelle probablement le COVID long : plus jamais de rapport normal au travail, le distanciel est né avec son cortège de pollution spatio-temporelle, ses exigences d’ubiquité et l’effacement de la vie privée en donnant la priorité aux absents professionnels.

Greffe de portable

Ne programmez rien de particulier à heure fixe en week-end (s’il s’est fait piéger et qu’il est parti), sachez que jamais au grand jamais, il ne le prolongera d’un « jour ouvrable ». Notre workaholic doit vérifier avant quelque activité ludique que ce soit, qu’il n’y a pas de raison de la retarder pour cause professionnelle. Le matin, il va d’abord courir chercher le journal car il peut y avoir eu une crise nationale pendant la nuit qui affecte un de ses clients. Les avocats sont assez touchés, béquilles de leurs clients, ils finissent par n’être disponibles que pour eux. (On aimerait bien que ce soit le cas des médecins ou des plombiers).

Son portable est greffé, il ne le quitte pas, le pose sur la table aux repas et sur ses genoux au théâtre en le cachant. Il n’a pas le temps de faire du sport mais a trouvé la solution : son portable toujours sur lui, il calcule les 10 000 pas qu’il doit faire par jour et BINGO, pendant qu’il marche, il peut passer des appels à son bureau !

Il y a un même workaholic qui a demandé le divorce parce que sa femme n’avait pas voulu annuler les billets de train de départ en vacances dont l’horaire pouvait le faire arriver en retard à la visio importante programmée à l’arrivée.

Pression maximale et cravate à la plage

C’est un hypocondriaque du boulot, rien n’est jamais assez bien fait, surtout par les autres, car il ne délègue pas, c’est la base pour maintenir une activité personnelle à saturation maximale, et qui d’autre que lui peut aussi bien faire ? Il souffre en silence de ce penchant amical ou familial qui veut l’entrainer en vacances. C’est une situation à haut risque : que va faire sa boite sans lui ? Et dans les cas aigus : comment partir quand l’économie française est dans cet état ?

Une fois en vacances quand même, il rechigne le matin à partir de la maison, il a un mail en retard, dit-il d’un air gourmand. Si ce n’est lui, c’est donc son frère que vous avez surpris à la montagne dans un restaurant d’altitude avec son iPad dissimulé sous son anorak, guettant le moment où le sortir. Et à Nice, où ses activités nécessitaient un déjeuner professionnel, il arrive en cravate sur la plage car la cravate est sa ceinture de sécurité mentale, celle du haut fonctionnaire en particulier, elle est la preuve de son sérieux inoxydable… Et ne croyez pas qu’il soit vieux, non il est né comme ça, avec une cravate.

Le sauveur de la France ?

Les mots à ne pas prononcer devant lui sont : « cool », « fais-toi plaisir », « lâche-toi », « déconnecte un peu », « allez ! oublie les dossiers », « ils se passeront bien de toi », « qu’est-ce que tu peux y faire ? », et enfin le mot « vacances » qui le met carrément en colère ! Il n’en prend pas, au mieux, il fait des « breaks »…

Cela dit, on l’aime bien comme toute espèce en voie de disparation ; la conscience professionnelle, le sens du devoir, l’esprit de responsabilité, le refus de la paresse… vous en connaissez beaucoup qui en font preuve sans risquer d’être mis au ban de la société de la coolitude, ou accusé par les syndicats d’exploitation abusive de soi-même ? Et en plus, ne croyez pas que ce soit l’appât du gain qui le motive, il n’en a cure, ce qu’il veut, c’est bosser dans l’intérêt général ! Après tout il sauvera peut-être la France ?

(Toute ressemblance avec des personnages existants n’a rien de fortuit).

Une seule culture, celle du « quartier »

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Michel Aubouin © D.R

Ancien préfet et fin connaisseur des cités, Michel Aubouin explique l’embrasement des banlieues par la désocialisation de leur jeunesse. Mais il pointe aussi la responsabilité des politiques. Pour lui, la palme revient à Jean-Claude Gayssot, ministre du logement dans le gouvernement Jospin et auteur de la fameuse loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU).


Causeur. La haine de la France et de notre société paraît être le ferment des émeutes. Qu’en pensez-vous, vous qui venez de publier Le Défi d’être Français ?

Michel Auboin. La plus grande partie de ceux qui mettent le feu à la France se revendiquent d’une même culture, celle des quartiers. Une culture tribale, primitive où les habitants des quartiers se considèrent comme propriétaires de leur enclave de leur territoire et considèrent que c’est chez eux et non un bout de France. S’ils nourrissent un fort ressentiment et se vivent comme des victimes, les émeutiers sont souvent au degré zéro de la conscience politique. Ils attaquent pour montrer qu’ils sont forts, qu’ils sont les meilleurs, ils font des dégâts car c’est une preuve de dangerosité qui met en valeur leur virilité et leur permet d’obtenir la reconnaissance dans le quartier. Leur vision du monde est paradoxale : ils haïssent la police, alors que le meilleur prédateur du jeune de banlieue n’est pas le policier, mais l’autre jeune de banlieue. En effet, la violence est endémique dans certains quartiers, les jeunes s’entretuent dans des rixes, peuvent se donner la mort pour des raisons absurdes. Après, tout le monde pleure dans une sorte de scène de catharsis primitive, mais là personne ne réagit, ne s’indigne, ne cherche à trouver un sens à ce gâchis. En revanche, si c’est un policier qui est en cause, tout s’embrase et le problème devient national.

Comment l’expliquez-vous ?

Ce que l’on peut constater à travers les vidéos notamment, c’est la profonde désocialisation de ces jeunes, la pauvreté de leur langue et l’absence de conscience des conséquences de leurs actes. Ils sont très frustes et n’ont pas les moyens de donner un contenu à leurs actions, faute de vocabulaire et de capacité à conceptualiser. Si certains tiennent parfois des embryons de discours politiques, c’est parce que les seuls adultes avec lesquels ils sont en contact, et dont ils acceptent la légitimité, sont des militants qui portent le discours de la victimisation, du ressentiment, de l’oppression. Parmi les très jeunes, on a affaire à une génération de gamins dont beaucoup sont déscolarisés et très violents. La plupart ont été traumatisés par la période du Covid, qui leur a symboliquement montré qu’ils n’avaient de place nulle part, ni dehors ni dedans, car ils sont nombreux à appartenir à des familles dysfonctionnelles, violentes. Ils se sont sentis en dehors du monde.

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Comment reprendre la situation en main ?

D’abord il faut que les Français réinvestissent leur histoire. Non pas parce qu’elle serait particulièrement glorieuse, encore qu’elle comporte de belles pages, mais tout simplement parce que c’est la leur ! La France est une histoire de famille. C’est cette histoire qui nous a forgés et dont nous sommes les héritiers.

Trop de personnes pensent que l’histoire de l’Europe se résume à la colonisation, donc qu’on est des salauds. Mais ils ne connaissent même pas leur histoire ! Savent-ils qu’avant que la France colonise cette zone, l’Algérie n’existait pas ? Que la région était sous domination ottomane ? Que c’était une mosaïque de tribus berbères et arabes, un repaire de pirates où prospéraient des marchés d’esclaves ? Ce n’était pas un « État » et encore moins un pays « indépendant », mais une sorte de colonie ottomane.

Pour vous, le logement social est à l’origine de cette contre-culture des quartiers.

Tout à fait. En France, c’est une vision collectiviste du logement social qui a rendu possible l’appropriation des territoires. Ces logements sociaux appartiennent en général au secteur public, par le biais des sociétés d’HLM gérées par les élus locaux. La démultiplication des violences partout, et notamment dans les petites villes, est la conséquence de l’application de la loi SRU (loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, portée par le ministre du Logement PC du gouvernement Jospin, Jean-Claude Gayssot). Il fallait du logement social partout et la loi a imposé des quotas dans des zones auparavant préservées. Du coup, des familles qui habitaient dans le Val-d’Oise ou dans l’Essonne ont déménagé un peu plus loin. Or, ce sont les mêmes sous-cultures, le même ressentiment, les mêmes logiques liées au trafic de drogue qui ont été ainsi « semées » dans tout le pays.

Comment casser cette « culture de quartier » ?

Il faut la casser en instituant un bail pour les bénéficiaires de logements HLM, comme n’importe quel locataire. En effet, les HLM ont vocation à n’être qu’un passage, une solution à durée limitée. À la fin du bail, on devrait faire un point, vérifier si les bénéficiaires relèvent toujours du secteur social, prendre en compte l’évolution de la composition de la famille et lui proposer un accompagnement pour la suite. Certaines données révèlent que parfois les personnes occupent le même logement sur deux ou trois générations ! Ce qui, par ailleurs, permet de faire construire la maison au pays en la finançant grâce au logement social et aux multiples aides et filets de sécurité que fournit la France à ses ressortissants comme aux étrangers… C’est immoral !

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Les plus pauvres n’ont pas accès au logement social et ceux qui y sont y restent, parfois pour de mauvaises raisons. Enfin, comme on accueille chaque année 250 à 270 000 personnes supplémentaires, notamment via le regroupement familial, et que l’on ne construit que 90 000 logements par an, on a mis en place toute une série de dispositifs (hébergement d’urgence, par exemple) qui favorisent la population immigrée. C’est comme cela que l’on a créé ces communautés dans ces quartiers que je ne qualifierai pas de ghettos, car dans les ghettos les gens sont pauvres. Or, dans les quartiers il existe des manifestations de richesse et de « flambe » que l’on ne voit pas dans les territoires périurbains.

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Qui a le droit de jeter la première pierre à Geoffroy Lejeune ?

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Daniele Obono et Mathilde Pano du groupe Les insoumis. 27 eme journee de greve pour le Journal du dimanche JDD. Daniele Obono et Mathilde Pano du groupe Les insoumis. 27 eme journee de greve pour le Journal du dimanche JDD. Daniele Obono et Mathilde Pano du groupe Les insoumis. 27 eme journee de greve pour le Journal du dimanche JDD. Paris, 19 juillet 2023. JEANNE ACCORSINI/SIPA 01120892_000006

Que révèlent les protestations contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD ainsi que les griefs formulés par le Monde contre les médias du groupe Bolloré ? Tout simplement que ceux qui prétendent défendre le pluralisme de la presse n’y croient pas du tout, puisqu’ils refusent toute opinion un tant soit peu conservatrice. Le billet de Philippe Bilger.


La rédaction du JDD a mis fin à sa grève historique de 40 jours. Le journal pourrait paraître dans les kiosques, au plus tôt, le dimanche 13 août (Le Figaro). À l’évidence cette issue – on a l’impression qu’elle ne réjouit pas tout le monde et qu’au nom d’une politique du pire on aurait souhaité la continuation de la crise – n’a pas mis fin aux aigreurs et aux fantasmes des donneurs de leçons médiatiques. Au premier rang desquels le quotidien Le Monde qui croit nous apprendre quelque chose avec cet éditorial : « Une presse d’opinion ne peut s’affranchir de tout principe ».

Je pourrais me contenter de cette interrogation : de quoi se mêle-t-il donc ? J’admets que ce serait un peu court.

Il me semble que l’argumentation serait déjà un peu plus dense en questionnant la légitimité de ce quotidien à se poser en surplomb et à s’offrir comme exemple de ce que devrait être, selon ses vœux, une presse d’opinion digne de ce nom. Sur ce plan, même si je ne peux me passer de sa lecture tout en ayant régulièrement le sentiment, et pas seulement sur les sujets régaliens, qu’une partialité élégante y domine (avec notamment une surabondance de tribunes libres de même acabit), il est clair que cette prétention est injustifiée.

En effet la tonalité générale du Monde n’est pas de nature à susciter l’enthousiasme de ceux qui aspirent à une presse vraiment libre et pluraliste, dégagée du progressisme chic de gauche, de l’indulgence pour l’extrême gauche et du courroux exclusif à l’encontre de ce qui est qualifié d’extrême droite, avec une information trop souvent biaisée par le désir de voir le réel tel qu’on le rêverait.

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Cette obsession aussi de considérer que Geoffroy Lejeune, parce qu’il a été rédacteur en chef de Valeurs actuelles avec des sympathies politiques clairement affichées, serait, par une sorte de mimétisme pervers, forcément le même à la tête du JDD sans tenir compte du passé de ce dernier (pas de quoi se vanter non plus avec son macronisme et ses plaidoiries constantes en faveur de Nicolas Sarkozy empêtré dans le judiciaire !), de son lectorat et de la faculté d’adaptation de celui qui ne serait pas assez sot pour oublier de mesurer les effets de cette grève de 40 jours et le poids des attentes sur sa future pratique de direction. Geoffroy Lejeune, à supposer qu’il ait mérité le regard hystériquement critique sur lui hier, ne sera évidemment pas le même demain.

Mais le pire, dans cet éditorial du Monde, est ailleurs, dans cette sinistrose complaisamment développée et d’autant plus scandaleuse qu’elle est non seulement répétitive mais aberrante et mensongère.

D’abord je ne vois pas en quoi la démarche, qui plongerait « dans l’incertain une institution comme le JDD »… serait « autrement inquiétante ». Comme si cette publication était investie d’une essence sacrée et que Geoffroy Lejeune, avec son équipe de journalistes, allait forcément briser une mythologie. C’est surestimer le JDD d’hier et sous-estimer par avance celui de demain.

Ensuite je ne suis pas davantage convaincu par le poncif politique partisan, au sujet de CNews et d’Europe 1, qui voudrait, que « sous le contrôle du groupe bâti par Vincent Bolloré, la pluralité d’opinions dans la presse française aura encore reculé ». C’est exactement l’inverse. Le pluralisme, auquel tient tellement le Monde – mais le sien singulièrement rétréci à sa vision orientée de la France et du monde – sera au contraire rendu plus effectif puisque viendra s’ajouter à la représentation médiatique classique, globalement progressiste, une perception conservatrice sur les sujets de société comme sur d’autres. Derrière la fronde des médias traditionnels, il est manifeste que s’exprime la volonté d’une « chasse gardée » et le refus d’une intrusion pourtant bénéfique à la presse d’opinion et à la démocratie.

Comment cet éditorial ose-t-il, enfin, feindre l’inquiétude, avec une totale mauvaise foi, en se demandant : « Qu’en attendre en matière de respect des faits, régulièrement malmenés sur plusieurs chaînes de ce même groupe, ou de journalisme d’investigation, puisqu’il y est manifestement considéré comme une hérésie ? » ?

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Tant au regard de mon expérience personnelle que de l’ensemble des émissions auxquelles il est fait implicitement référence, j’affirme que le procès intenté à CNews comme à Europe 1, par une vision de l’information non pas meilleure que la leur mais désireuse d’être unique, n’a pas la moindre once de crédibilité, et pas davantage à force d’être ressassé…

Je ne me fais aucune illusion. Personne n’a le droit de jeter la première pierre à Geoffroy Lejeune mais peu importe. Que le JDD sorte brillamment ou non de ces quarante jours, il aura des adversaires compulsifs.

Mais que ceux-ci ne couvrent pas leur totalitarisme du voile d’un prétendu pluralisme.

Puisqu’ils ne supportent que le leur.