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Niger : pourquoi la France doit intervenir

Une intervention militaire de la France, aux côtés de la CEDEAO, s’impose


Niger : pourquoi la France doit intervenir
Des supporteurs de la junte négérienne, Niamey, 3/8/23 Sam Mednick/AP/SIPA ap22807099_000002

Dix jours après le coup d’Etat, le Niger est en pleine incertitude. Il y a quelques heures, la junte a dénoncé ses accords de défense avec Paris. Alors qu’il y encore deux semaines le pays était jugé comme un partenaire fiable, c’est désormais la capacité du pays à tenir son rôle dans la lutte contre les groupes armés régionaux qui est en question. Or, tout défaut du Niger en ce sens aurait de graves conséquences du lac Tchad au Golfe de Guinée. L’analyse de Pierre d’Herbès, expert en intelligence économique.


Depuis jeudi, les événements se précipitent à Niamey. Le président Mohammed Bazoum, toujours détenu par les putschistes, a officiellement appelé « la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel ». Mais dans la foulée, la junte nigérienne, le CNSP, dénonçait le partenariat militaire opérationnel qui l’unit à la France et se rapprochait du pouvoir kaki de Bamako et de Ouagadougou.

La tension est maximale alors que l’ultimatum fixé par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à la junte arrive à expiration dimanche. Les membres de l’institution panafricaine, et en particulier le Nigeria, ont même explicitement menacé le pays d’une intervention militaire. Selon plusieurs sources, les états-majors des pays membres prépareraient en ce moment même l’opération. Est-ce le « coup d’État de trop » pour la CEDEAO ? L’organisation réagit, en effet, avec une virulence inédite car pour les pays de la région, l’inflation de coups d’État représente un danger important pour leur stabilité. Car tous ont pu mesurer l’échec militaire et politique des juntes maliennes et burkinabés dont les pays ont vu leur situation sécuritaire se dégrader. L’arrivée de militaires au pouvoir n’a en rien amélioré la lutte contre les groupes armés, bien au contraire. Et si le Niger venait à prendre le même chemin, les conséquences seraient dévastatrices pour toute la région.

Niger : dernier domino avant l’effondrement régional ?

Avant le coup d’État, le Niger était déjà en lutte contre des groupes armés dans trois zones, immenses, difficilement maitrisables et éloignées les unes des autres :  dans la région des trois-frontières (Mali, Niger, Burkina-Faso), dans la région du lac Tchad aux côtés du Nigeria et du Tchad contre Boko Haram, et à la frontière avec le Bénin pour lutter notamment contre le groupe jihadiste de la Katiba Macina.

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Bénin, Nigéria et Tchad sont d’ailleurs parmi les premiers pays à avoir réagi au coup d’État. Et pour cause : un Niger affaibli serait synonyme d’une pression sécuritaire accrue sur leurs propres territoires. Le risque est encore plus notable au Tchad. L’armée du pays y est performante et réputée sur tout le continent. Mais elle est déjà en forte tension opérationnelle. Elle fait face à un faisceau de menaces depuis la Lybie, la Centrafrique et le lac Tchad. Une aggravation directe de la menace depuis le Niger la ferait approcher d’un point de rupture, sans compter que la guerre civile au Soudan ravive les risques depuis la région du Darfour. Le tout est combiné à une situation politique intérieure tendue. La chute du Niger pourrait donc bien entraîner celle du Tchad, malgré la proximité du pays avec la France. Le Sahel serait alors hors de contrôle avec des conséquences directes sur l’Europe. L’effet domino, tant redouté, n’est peut-être pas encore terminé…

Risques sécuritaires

Quels sont les risques immédiats ? Ces six derniers mois, contrairement au discours tenu par les putschistes, la situation sécuritaire s’était améliorée. Les données récoltées par les analystes spécialisés sont formelles : l’influence des groupes armés et la violence subséquente reculaient. Un résultat obtenu grâce à l’augmentation de la cadence opérationnelle des forces nigériennes, appuyées par l’armée française et dans une moindre mesure italienne.

Une réalité qui fait certainement grincer des dents les organisateurs du coup d’État, mais loin de « rétablir l’ordre », l’arrivée au pouvoir des militaires risque surtout d’être le rétablissement du chaos : l’armée française, avec ses 1500 hommes, ses blindés et ses aéronefs, déployait au Niger un partenariat opérationnel efficace et, on peut le dire, indispensable aux troupes nigériennes. Formation des hommes, soutien logistique et accompagnement au combat avaient permis au pays de résister tant bien que mal dans la tempête sécuritaire du Sahel.

Une réussite partielle et progressive rendue aussi possible par le soutien des forces françaises aux populations locales dans les zones exposées aux groupes armées : assistance médicale, construction d’infrastructures de première nécessité (puits, groupes électrogènes) soutien à l’éducation (réfection de salles, fournitures scolaires)… Un levier indispensable pour « conquérir les âmes et les cœurs », dont il y a fort à parier que le Niger ne saura – et ne voudra – plus assurer si les militaires restent au pouvoir.

Autant dire qu’un boulevard s’ouvre donc aux jihadistes et aux groupes armés dans la région.

La junte en question

Car le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est-il en mesure de maintenir le Niger à flot ? Plusieurs éléments permettent d’avancer que non. Ce deuxième putsch militaire, après celui avorté de 2021, montre une chaîne de commandement encore très politisée, voire corrompue. En d’autres termes, il faut certainement s’attendre à d’autres putschs dans le pays, avec pour corollaire la dégradation de l’organisation de l’armée nigérienne pourtant jusqu’ici efficace comparée à celles du Mali ou du Burkina-Faso.

Au même moment, les groupes armés tentent d’exacerber les affrontements inter-communautaires : selon une étude de l’International Crisis Group, l’État Islamique dans le Grand Sahara attise depuis plusieurs années les tensions entre cultivateurs zarma et pasteurs peuls. Un antagonisme classique dans la région et historiquement structurel sur lequel les groupes armés font leur terreau. Seulement, le Niger faisait jusqu’ici exception via une politique d’intégration de ses populations nomades.

L’élection de Mohammed Bazoum, membre d’une ethnie arabe ultra-minoritaire, les Ouled Slimane, était un symbole de cette réconciliation. Le président poursuivait cette politique en refusant d’encourager les milices d’autodéfense et en travaillant explicitement au dialogue intercommunautaire ; un scénario impensable au Mali et au Burkina où l’augmentation du racisme anti-peul et touareg est en augmentation et alimente sans fin le conflit.

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La politique du gouvernement a-t-elle aussi contribué à motiver ce putsch ? On observe en effet que l’armée est composée en grande partie d’Haoussa, l’ethnie majoritaire du pays. Rien ne permet de l’affirmer à ce stade. Il n’en demeure pas moins que l’éviction du président est assez symbolique, surtout si on la relie à la traque dont est aujourd’hui l’objet le général touareg, Abou Tarka, actuellement président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP) nigérienne. Ce dernier avait vertement critiqué, en avril 2023, les juntes maliennes et burkinabés du fait de la dégradation sécuritaire de leurs pays respectifs.

Que fait la France ?

Alors que les événements se précipitent, Paris semble temporiser. Le gouvernement ne reconnait pas la junte et le lui a fait savoir lorsque celle-ci a annoncé rompre les accords militaires entre les deux pays. Récemment, l’ambassadeur du Niger en France a, lui aussi, refusé son limogeage par le CNPS. Après l’appel du Président Bazoum, jeudi, et la levée de bouclier de la CEDEAO, la France dispose de toute la légitimité pour intervenir. La situation est urgente, car dans son appel de jeudi, c’est « aux États-Unis et la communauté internationale » et non à la France que le président s’adresse. Un signal faible de son exaspération face à l’attentisme de Paris?

En tout état de cause, la France a intérêt à agir vite avant que ses compétiteurs stratégiques, russes ou américains, ne le fassent à sa place. Symboliquement, la France a connu trop de défaites et d’impondérables ces dernières années pour se permettre de rester spectatrice. Mais le gouvernement semble tétanisé face aux accusations de colonialisme que pourrait générer une intervention directe. Le sentiment anti-français est une réalité, mais il est avant tout urbain et générationnel : il n’est pas représentatif de toute la population. En parallèle, la France montrerait à la junte malienne et à l’Algérie qu’elle n’a que faire de leurs menaces, guère persuasives, en cas d’action directe contre la junte. In fine, compte tenu de la configuration, une intervention militaire de la France, aux côtés de la CEDEAO, s’impose, car autrement, quel que soit le scénario, elle sera perdante.



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