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Salle des fêtes de Crépol: rixe ou razzia?

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Après l’attaque sanglante survenue samedi à la sortie d’un bal dans la Drôme, l’enquête de la gendarmerie avance vite et fournira bientôt tous les détails. En attendant, justice et médias tentent de minimiser la portée des évènements, que la vilaine droite est accusée de récupérer politiquement, observe Elisabeth Lévy. Une marche blanche aura lieu demain à Romans-sur-Isère (26), en souvenir du jeune Thomas.


C’était un soir de bal et de fête. Il semble que des petits barbares armés de couteaux n’aient pas supporté qu’on leur refuse l’entrée, précisément à cause de ces couteaux. Revenus en nombre, ils ont semé la mort et la désolation, donnant des coups de couteau, fauchant la vie pleine de promesses de Thomas, 16 ans, et blessant une quinzaine de personnes. Je pense d’abord aux parents de Thomas, à ses frères, à ce village tranquille qui se croyait épargné par la violence de la société.

L’enquête est en cours

Alors que les témoins évoquent des agresseurs frappant à l’aveugle en tenue de racaille (survêtements et tennis), si j’ose dire, le procureur de la République, Laurent de Caigny, lui, est d’une prudence qui confine au déni. Il parle d’un possible règlement de comptes, et précise que rien n’indique que tous les assaillants venaient de la même cité. On a compris. Surtout, il ne faut pas stigmatiser. Voilà l’essentiel, selon lui. Des médias parlent de leur côté de « rixe », d’une bagarre qui aurait mal tourné, comme pour renvoyer dos-à-dos agresseurs et agressés.

Comment alors qualifier ce qui s’est passé ? Même si nous ne disposons pas encore de tous les éléments, à l’évidence, ce n’était pas une simple bagarre, si l’on s’appuie sur les témoignages, mais une razzia perpétrée par des gens qui ne connaissent qu’une loi, celle du plus fort. Des lâches qui se la jouent caïds quand ils sont en bande et armés. Bien sûr, on ne connaît pas l’identité de ces agresseurs. Mais je me dis que peut-être s’ils s’appelaient Enguerrand, Pierre ou Paul, on le saurait déjà, et que Mélenchon aurait sans doute déjà écrit un tweet accusant l’extrême droite.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: La fabrique des terroristes: l’école telle que certains la veulent

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’identité de ces agresseurs, le drame de Crépol est la preuve supplémentaire de l’ensauvagement qui touche désormais aussi la douce France des provinces.

Petits anges

Répétons-le, concernant Crépol, on ne connait ni le pedigree, ni l’origine des assaillants. Élargissons un peu notre réflexion au-delà de ce qui s’est passé ce soir-là : si on trouve désormais des points de deals jusque dans la Creuse ou en Corrèze, si la criminalité augmente plus vite en zone gendarmerie – c’est-à-dire dans la ruralité – qu’ailleurs, cela a sans doute un rapport avec l’implantation sur tout le territoire de cités HLM (loi SRU) qui sont partout des foyers de délinquance, d’immigration illégale et… de séparatisme.

Sur BFMTV, une avocate se demandait si les assaillants de Crépol n’avaient pas été victimes d’un délit de faciès. Mais bien sûr. Il faudrait les comprendre, les pauvres petits, ils avaient raison de s’énerver… Pardon, là, c’est moi qui m’énerve !

Les agresseurs seront certainement identifiés et rapidement arrêtés, des ministres promettront une sanction exemplaire, sauf que ce ne sont pas eux qui décident mais des juges. Comme ce magistrat qui vient de condamner à 35 heures de travaux d’intérêt général[1] le jeune homme qui avait trainé un policier sur plusieurs centaines de mètres après un refus d’obtempérer ! Restent chez beaucoup de Français, la colère et la peur. Et, alors qu’ils ont le sentiment que l’État ne les protège plus, il faut craindre aussi la tentation de l’autodéfense.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale après le journal de 8 heures.


[1] https://www.bfmtv.com/police-justice/je-suis-choque-que-ca-ait-ete-minimise-au-tribunal-le-policier-de-nantes-traine-sur-20-metres-par-un-automobiliste-de-16-ans-temoigne_VN-202311170462.html

Oublier Olivier Gloag

L’essayiste « décolonial » Olivier Gloag veut « déconstruire » le mythe Albert Camus. En condamnant Camus sur tout, et en plaidant pour qu’on l’oublie, l’intellectuel radical chic ne fait que « répéter le geste de ceux qui lui donnent raison pour tout », observe finement, mais avec indulgence, Le Monde.


Les livres des éditions de la Fabrique se remarquent sur les devantures des librairies « chic » de nos centres-villes avec leurs couvertures sobres. Des titres sur fond blanc dans un petit cadre soigné. À la pointe du gauchisme mental, la maison d’édition publie depuis quinze ans (un peu de) tout et (surtout) n’importe quoi – des jeunes gens qui se baladent un peu trop près des caténaires de la SNCF aux éloges d’Houria Bouteldja adressés à Alain Soral. Jamais à un naufrage près, elle a édité cet automne Olivier Gloag et son Oublier Camus. A lui seul, le titre suffit à nous plonger dans l’ambiance d’un déboulonnage de statue en règle sur un campus américain par des militants à cheveux bleus.

Citations passées au sécateur

Les deux principaux reproches faits par Olivier Gloag à Camus (on parle bien d’Albert depuis le début de cet article) : avoir été pied-noir sans être enthousiasmé par le terrorisme du nationalisme algérien ; avoir été la plupart du temps critique à l’égard du communisme. Rien n’est jamais grand dans l’attitude de l’auteur de La Peste : quand il mène une enquête et rédige une série d’articles sur la misère en Kabylie, en 1939, il est en fait dans une stratégie de sauvetage de l’Empire colonial par l’humanitaire. Quand les Arabes disparaissent à peu près du paysage dans L’Etranger, c’est sa tentation génocidaire qui s’exprime.

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Aucun biais de lecture n’est interdit pour faire marcher la moulinette à déconstruire : il est admis que La Peste est une allégorie de l’occupation allemande, mais pour les besoins de l’idéologie, on peut aussi y lire la crainte du petit colon de voir Oran l’Européenne se laisser « grand remplacée ». Tous les coups sont permis y compris tronquer des citations : rapportant les propos de Jean Grenier, ami proche de Camus (« Pourquoi ne choisissez-vous pas d’habiter une belle maison à la campagne ou au bord de la mer en Algérie, puisque vous êtes maintenant à même d’acheter une résidence de votre choix et que vous êtes si attaché à votre pays. Il me répondit, d’un air contraint : c’est parce qu’il y a les Arabes »), Olivier Gloag coupe la fin : « ne voulant pas dire que les Arabes le gênaient par leur présence, mais par le fait qu’ils avaient été dépossédés ». Donnez-moi une phrase de n’importe qui et je me charge de le faire pendre ; et si ça ne passe toujours pas, on la fera raccourcir au sécateur.

Grandir Sartre pour enfoncer Camus

On se souvient que dans L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus (2012), Michel Onfray avait eu besoin, pour grandir Camus, d’enfoncer Sartre. Olivier Gloag fait exactement l’inverse ! Camus n’aurait pas fait une si bonne guerre (il ne reçoit une fausse carte d’identité de la Résistance qu’en mai 1943) tandis que Sartre n’en aurait pas fait une si mauvaise.

Reste que l’auteur passe un peu vite sur la nomination de ce dernier au poste de professeur de philosophie à la rentrée 1941 à la khâgne du lycée Condorcet à la place d’Henri Dreyfus-Le Foyer, révoqué parce que juif. Il passe un peu vite aussi sur Les Mouches, jouées le 3 juin 1943 devant des officiers de Wehrmacht francophones. Et quid de Simone de Beauvoir à Radio-Vichy[1] ? Après sa rupture avec Sartre, Camus en vient à regretter l’ambiance de la Belle époque, quand Jean Lorrain affrontait en duel Marcel Proust : « Noble métier où l’on doit se laisser insulter sans broncher par un laquais de lettres ou de parti ! Dans d’autres temps que l’on dit dégradants, on gardait au moins le droit de provoquer sans ridicule et de tuer. Idiot bien sûr mais cela rendait l’insulte moins confortable ». Camus se refusa d’infliger une correction à Sartre, à cause de la petite taille de celui-ci. Un homme, ça s’empêche.

Le privilège blanc de la famille Camus

Ici et là, on repère quelques tics et raccourcis de la pensée woke. Page 76, Olivier Gloag écrit : « En cette fin 1946, dans un passage crucial de l’article « Le monde va vite », Camus prévient ses lecteurs de « l’imminence » d’un « choc des civilisations » : dans « dix ans, dans cinquante ans, c’est la prééminence de la civilisation occidentale qui sera en question », il faut donc ouvrir le parlement mondial à « ces civilisations » (comprendre les civilisations non européennes) pour pouvoir les maintenir dans le giron colonial. Ces lignes sont l’expression de l’angoisse provoquée par la remise en question du privilège de l’Européen dans le monde, a fortiori dans les colonies ».

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On se demande quel privilège blanc Albert Camus a pu connaître en Algérie française ! Orphelin de père (tué durant la Grande Guerre), Camus baigne dans un milieu d’ouvriers agricoles analphabètes ; en 1914, la famille échappe de peu au paludisme. Sa mère, sourde, ne maîtrise que 400 mots et s’exprime essentiellement par gestes. Même dans les coins les plus reculés de métropole à la même époque, il fallait se lever tôt pour trouver une misère d’une telle intensité.

L’art de moins se planter que les autres

Enfin, il n’y a pas que l’affaire algérienne au cœur du livre d’Olivier Gloag. Il y a aussi un passage sur la correspondance amoureuse entretenue avec Marie Casarès publiée par Gallimard. Si cette correspondance est saluée par tout le monde, à sa sortie en 2017, notre auteur – qui reproche à la presse d’avoir mené une véritable campagne publicitaire pour Gallimard – trouve quand même à redire, et détecte des traces de jalousie, presque de « masculinité toxique ».

Il n’y a pas que l’affaire algérienne, mais c’est le gros du sujet. L’ouvrage prend le risque que le lecteur en ressorte plus camusien qu’en y entrant. Car Camus s’est moins planté que beaucoup de ses contemporains, et ce n’est déjà pas si mal. On s’en aperçoit très bien grâce à cette citation de Gisèle Halimi : « Je désirais, cette fois encore, que Camus intervînt auprès de Coty, de l’Elysée ou de je ne sais quel responsable gouvernemental. Mohamed Ben Hamdi devait être gracié et j’avais besoin du soutien de Camus. Au même moment, il semblait amorcer son grand silence sur l’Algérie : « Les tueurs de femmes et d’enfants, je les méprise ». Ce jour-là, il me refusait toute aide. Brièvement et sans fioritures ». Même chose sur le communisme, en ces temps de stalinolâtrie, avec ce passage de L’Homme révolté : « Alors, quand la révolution, au nom de la puissance et l’histoire, devient cette mécanique meurtrière et démesurée, une nouvelle révolte devient sacrée, au nom de la mesure de la vie ». On n’est alors qu’en 1951. Et on entend déjà les révoltes de Budapest et de Prague gronder.

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[1] https://www.causeur.fr/amnesie-feministe-beauvoir-259457

IA: la puissance et la régression

L’intelligence artificielle ne signe pas la fin de l’intelligence humaine. Du moins, pas pour tout le monde. En Chine, le régime contrôle l’exposition de sa jeunesse à l’IA et aux réseaux sociaux. En Occident, où le QI moyen baisse depuis vingt ans, la population tend à se diviser en deux groupes inégaux : ceux qui savent penser sans IA, et les autres…


Olivier Rey © Hannah Assouline

Le monde se trouve aujourd’hui dans une situation singulière, dont deux citations permettent de prendre la mesure. La première date de 1900, et son auteur est Hwuy-Ung, un lettré chinois que ses idées réformatrices, peu prisées par l’impératrice douairière Cixi, avaient forcé à l’exil. D’Australie, il écrivit ceci à un ami demeuré en Chine :

« Les merveilles de ce pays et des nations occidentales nous sont, pour la plupart, inconnues et nous paraissent incroyables. […] Vénérable frère aîné, votre esprit supérieur, tout en reconnaissant l’ingéniosité surprenante des nations occidentales, n’en posera pas moins la question : “Toutes ces merveilles rendent-elles les gens plus heureux ?” Il est difficile de répondre à pareille question. Beaucoup se la posent. Tous sont dans le brouillard du doute. Sur une chose, en revanche, je n’ai aucun doute : grâce aux machines et à la science, les hommes peuvent accomplir en une vie ce qui, sans elles, en demanderait vingt, de sorte que c’est comme s’ils vivaient vingt vies. […] Mais, mon honorable frère demandera encore : “Un homme est-il plus heureux lorsque ses jours sont multipliés par vingt ? Ne court-il pas au-devant des difficultés, en rendant la vie si compliquée ? Que font les dix-neuf hommes pendant qu’un seul, avec une machine, accomplit leur travail ?” À cela, je répondrai que je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que le genre humain progresse dans la connaissance. Et que ceux qui ne suivent pas le rythme des nations les plus avancées se retrouvent victimes de ces nations, comme nous l’avons été. Qu’est-ce que le bonheur ? En tout cas, ce n’est pas le bonheur d’être soumis à la volonté d’étrangers, et spolié de son territoire. Pour être heureux, il faut être fort, pour être fort, il faut disposer de richesses. Avec des richesses, il est possible de s’armer afin de se défendre et d’être respecté. C’est pourquoi nous devons recourir aux moyens occidentaux, aux machines et à la science, qui produisent les richesses et donnent du pouvoir[1]. »

La pointe avancée de la technologie

Hwuy-Ung prend acte d’un changement de régime de la technique – dont il me semble indiqué de rendre compte en mettant à profit le doublet lexical technique/technologie. À partir du XIXe siècle, la combinaison entre le programme de déchiffrement de la nature, lancé en Europe au XVIIe, et le capitalisme, initie un déferlement technologique – où, par technologie, il faut entendre des modes de conception et de production issus et solidaires du logos scientifique. Autre façon de le dire : la technologie est cette part de la technique qui n’existerait pas sans la science moderne. Il se trouve que, depuis son apparition, et dans une mesure sans cesse croissante, la technologie est devenue une source incomparable de puissance. Au XVIe siècle, la Chine n’avait techniquement rien à envier à l’Europe. Au XIXe, les puissances occidentales furent en mesure d’imposer à la Chine les traités inégaux. La période qui s’étend de la première guerre de l’opium, déclenchée en 1839, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, est qualifiée en Chine de « siècle de l’humiliation ». Depuis lors, les dirigeants chinois s’accordent avec Hwuy-Ung sur la conviction que la Chine, pour ne pas être « soumise à la volonté d’étrangers et spoliée de son territoire », doit « recourir aux moyens occidentaux, aux machines et à la science, qui produisent les richesses et donnent du pouvoir ». Aujourd’hui, ce qu’on appelle l’intelligence artificielle est une pointe avancée de la technologie. Qui ne la maîtrise pas s’expose à un sort comparable à celui que connurent les contrées qui, au XIXe siècle, n’avaient que des sabres et des arcs à opposer aux fusils et aux canons.

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À cette nécessité, on pourrait en ajouter une autre : dans la « jungle numérique » où une part croissante de l’humanité est amenée à évoluer, l’intelligence artificielle devient de plus en plus indispensable pour frayer son chemin. Sans elle, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur.

La seconde citation est extraite du roman Blanche ou l’Oubli de Louis Aragon.

« Les hommes et les femmes que je vois dans les lieux publics marchent comme des paniers vides. […] Tout se passe comme si l’on avait mis ses idées à la banque, retiré des bijoux aussitôt enfermés dans des coffres à serrures compliquées. Cette humanité ne se défend plus contre l’oubli puisque, ce qu’elle aurait pu oublier, elle en a simplement fait dépôt. Nous ne sommes plus ces trouvères qui portaient en eux tous les chants passés, à quoi bon, depuis que l’on inventa les bibliothèques ? Et cela n’est rien : l’écriture, l’imprimerie n’étaient encore qu’inventions enfantines auprès des mémoires modernes, des machines qui mettent la pensée sur un fil ou le chant, et les calculs. On n’a plus besoin de se souvenir du moment que les machines le font pour nous : comme ces ascenseurs où dix voyageurs appuient au hasard des boutons, pour commander désordonnément l’arrêt d’étages divers, et l’intelligence construite rétablit l’ordre des mouvements à exécuter, ne se trompe jamais. Ici l’erreur est impensable et donc repos nous est donné de cette complication du souvenir. Ici le progrès réside moins dans l’habileté du robot, que dans la démission de celui qui s’en sert. J’ai enfin acquis le droit à l’oubli. Mais ce progrès qui me prive d’une fonction peu à peu m’amène à en perdre l’organe. Plus l’ingéniosité de l’homme sera grande, plus l’homme sera démuni des outils physiologiques de l’ingéniosité. Ses esclaves de fer et de fil atteindront une perfection que l’homme de chair n’a jamais connue, tandis que celui-ci progressivement retournera vers l’amibe. Il va s’oublier[2]. »

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Avec l’intelligence artificielle, dont la commande des ascenseurs n’était qu’une infime ébauche, le processus décrit par Aragon, où le « progrès qui me prive d’une fonction peu à peu m’amène à en perdre l’organe », menace de s’emballer. Avec, en perspective, des populations d’amibes humanoïdes, incapables de faire quoi que ce soit sans les indications fournies par la machine. (Certes, il n’y a pas que des inconvénients. Il ressort des réponses de ChatGPT à un questionnaire de positionnement politique qui lui a été soumis que l’agent conversationnel « a le profil d’un Californien libéral mainstream et pragmatique », très favorable au multiculturalisme, à l’accueil des migrants ou aux droits des minorités, et que, s’il était inscrit sur les listes électorales en France, il « voterait vraisemblablement Macron, Mélenchon ou Hamon[3] ». Avec le règne du chatbot d’OpenAI, le spectre de l’extrême droite serait ainsi écarté.)

Se faire distancer, le grand péril

Voici donc, en résumé, la situation. D’un côté, Charybde : la perspective de se voir écraser par ceux qui nous auraient distancés dans la course technologique. C’est le risque externe. De l’autre côté, Scylla : la perspective d’un évidement des hommes, au fur et à mesure que la technologie atrophie les facultés naturelles en marginalisant leur exercice et en s’y substituant. C’est le risque interne. Qui n’a rien d’un fantasme. D’après une étude relayée par la Fédération française de cardiologie, les capacités physiques moyennes des adolescents ont décru d’un quart en quarante ans. En Amérique, l’armée est obligée d’élever considérablement la masse graisseuse autorisée pour ses recrues sous peine d’être à court d’effectifs. Le QI moyen dans les pays occidentaux baisse depuis vingt ans. Le transfert de l’intelligence des hommes aux machines est en cours – jusqu’au point où il sera difficile de trouver assez d’humains pourvus de suffisamment d’intelligence pour concevoir lesdites machines.

Une solution au dilemme, entre impératif technologique pour la puissance, et régression humaine du fait de la technologie, serait de réserver le recours aux technologies les plus sophistiquées, et en particulier l’intelligence artificielle, aux seuls enjeux de puissance, et de préserver de leur emprise le reste des activités humaines. Pareille solution se révèle impraticable. Le développement technologique nécessite en effet des investissements colossaux, dont seule une diffusion sur de larges marchés est à même de permettre le financement. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’économie duale, d’entreprises duales, de technologies duales pour désigner l’intrication du civil et du militaire – le militaire a en permanence besoin que le civil l’alimente en idées et en capitaux.

Johan Heinrich Füssli, Ulysse face à Charybde et Scylla, vers 1795. ©Wikimédia

Perdre avec dignité…

À défaut de limiter l’emprise technologique, au moins pourrait-on veiller à ce que la jeunesse y soit le moins possible exposée, le temps qu’enfants et adolescents développent pleinement leurs facultés, grâce auxquelles ils seraient en mesure de faire ensuite un usage intelligent des ressources que la technologie met à notre disposition. Je me rappelle Michel Serres qui, lors d’une conférence, s’émerveillait du fait que, lorsqu’un vers de l’Énéide lui revenait en tête, la localisation exacte de ce vers dans l’œuvre, qui naguère aurait réclamé une longue recherche, était donnée quasi instantanément par Google. Ce qui semblait tout à fait échapper à Michel Serres, c’est que son goût pour Virgile s’était formé dans une jeunesse sans smartphone, et que l’usage qu’il faisait de Google pour retrouver un vers de l’Énéide demeurerait toujours étranger à quelqu’un ayant grandi en symbiose avec les « applications mobiles », et maintenant l’agent conversationnel ChatGPT. Les dirigeants chinois sont conscients du caractère intellectuellement destructeur de ce qui est diffusé par un réseau comme TikTok. C’est pourquoi, au sein des frontières nationales, l’exposition des jeunes à ce type de réseaux est contrôlée en durée et limitée par un couvre-feu, tandis que, dans une sorte de guerre de l’opium inversée, le stupéfiant TikTok est libéralement diffusé à l’extérieur. En Occident, des cadres de la Silicon Valley, tels des Pablo Escobar interdisant la consommation de cocaïne à leurs proches, envoient leurs enfants dans des écoles tech-free. Leurs rejetons, au moins, ne feront pas faire leurs devoirs par ChatGPT. Ils seront d’autant plus capables de tirer un bon parti de l’intelligence artificielle que leur éducation les en aura tenus à l’écart. Peut-être faut-il voir ici l’ébauche actualisée de ce qu’envisageait Nietzsche – une scission de l’humanité entre une petite caste d’êtres supérieurs, maîtresse de la technologie, et les « superflus », les « beaucoup trop nombreux », destinés à être expédiés dans le métavers, et ayant délégué la tâche et la capacité de penser à l’intelligence artificielle. Cela étant, il apparaît douteux, au train où vont les choses, que la caste supérieure trouve encore longtemps assez de personnes capables d’assurer dans toutes ses strates un fonctionnement correct du système. Parmi les ressources qui s’épuisent figurent, en bonne place, les ressources intellectuelles.

Les prévisions sur le développement de l’intelligence artificielle reposent sur le prolongement de courbes, selon des tendances dont rien n’assure qu’elles se maintiennent durablement et dont divers indices, d’ordre matériel, économique, humain, font plutôt douter de la pérennité. Si jamais la trajectoire venait, non seulement à s’infléchir, mais à se briser, il est clair que les moins avancés dans le devenir-amibe se trouveraient subitement posséder un avantage considérable. En cas de panne de réseau, le QCIA, « quotient de complémentarité avec l’IA », dont Laurent Alexandre prédit qu’il deviendra « le nouveau standard de référence », perd tout intérêt. Si jamais, à l’inverse, le salut en ce monde passait par un abandon total à l’artificiel, resterait que le premier devoir d’un homme n’est pas de gagner, mais de mener une vie humaine. Comme le disait Moussa Sissoko, à la mi-temps de la finale de la Coupe de France de football où son équipe était menée quatre buts à zéro, pour appeler ses coéquipiers à ne pas flancher : « C’est une finale, donc même si on perd, il faut perdre avec dignité. »

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[1] Lettre du 13 mars 1900, dans Hwuy-Ung, A Chinaman’s Opinion of Us and of His Own Country (trad. John A. Makepeace), Chatto & Windus, Londres, 1927, pp. 44-46.

[2] Blanche ou l’Oubli (1967), « Folio », Gallimard, 1995, p. 154.

[3] Clément Pétreault, « Woke ou réac ? Pour qui vote ChatGPT », Le Point, 27 janvier 2023.

Les digressions républicaines d’Emmanuel Macron

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Rien de concret ni d’opératoire n’est sorti des « rencontres de Saint-Denis », vendredi 17 novembre. Manuel Bompard (LFI), Eric Ciotti (LR) et Olivier Faure (Parti Socialiste), en ne s’y rendant pas, ont au moins échappé à dix heures de « Moi je, président » ! Avec ses monologues brillants, le président Macron n’est pas près de résoudre notre crise démocratique.


On ne comprendra jamais rien aux hommes de pouvoir si on fait l’impasse sur la psychologie, au prétexte que ces ressorts intimes seraient indignes des enjeux politiques. Je crois que, pour notre président de la République, refuser de s’attacher à ce qui le meut profondément serait se priver d’une lumière essentielle. Emmanuel Macron, avec une obstination rare, a mis en place, contraint ou libre, une série de dispositifs et de processus dans les marges d’une démocratie classique caractérisée par le lien organique entre pouvoir présidentiel, gouvernement et délibération parlementaire (fortement réduite depuis la déconvenue de la majorité relative).

La France a un incroyable talent

Ce qu’on n’a pas assez remarqué, me semble-t-il, est que l’imagination du président l’a conduit à multiplier ce que l’on pourrait nommer des digressions républicaines, rendez-vous avec des intellectuels, Conseil national de la refondation, entretiens de Saint-Denis (ceux-ci amputés, mais une réunion « marathon » vient d’avoir lieu), grand débat national pour reprendre la main avec les gilets jaunes, contacts au plus proche et parfois risqués avec les citoyens : une série d’événements qui avaient tous pour dénominateur commun l’étoile présidentielle. Avec, à chaque fois, un Emmanuel Macron parlant plus qu’il n’écoute, monologuant brillamment, impressionnant par sa maîtrise des dossiers, sa mémoire et sa résistance. Ainsi mis en valeur, placé au centre de l’attention, souvent de l’admiration, de la part même de ses adversaires applaudissant « l’artiste » dans ces exercices très divers. Suscitant des critiques de ceux ayant accepté de venir parce qu’ils espéraient pouvoir s’exprimer, approuver ou contredire mais réduits en définitive à être des faire-valoir. Il y a là un narcissisme politique qui place l’illustration d’Emmanuel Macron au premier plan. Le ressort fondamental de ces surprenants épisodes, en périphérie de la République à laquelle les présidents précédents nous avaient habitués, est la certitude que leur inventeur a d’être au sommet dans ces configurations. Pour être atypiques, même superfétatoires, elles lui offrent l’avantage de dominer, de séduire, de réserver la portion congrue aux autres et de se donner à bon compte la réputation, mais usurpée, d’un homme de dialogue. S’il le propose, il fait en sorte de s’en passer.

A lire aussi : Les contorsions d’Emmanuel Macron

Il n’échange pas avec autrui dans ces joutes apparentes, il se donne en spectacle, il est le spectacle. La preuve irréfutable de cette réduction collective à lui-même est que jamais rien de concret ni d’opératoire ne surgit de ces moments puisqu’ils n’ont pour seule finalité que de projeter la lumière sur le président. Par exemple aucune avancée à Saint-Denis mais dix heures de personnalisation.

Désinvolture

En ce sens, je ne peux qu’approuver son épouse qui lui prête des qualités exceptionnelles (dans un entretien avec Catherine Nay pour Paris Match[1]). Elles sont en effet indiscutables et il n’a pour ambition que de les montrer, de les faire valoir, d’innover pour les exposer, alors que la démocratie classique, avec ses rythmes classiques et ses règles ordinaires, ne le passionne pas : sa banalité ne correspond pas à son désir d’éclabousser de sa classe ceux qui le voient, ceux qui l’écoutent.

Je n’ai jamais perçu un président plus indifférent à tout ce qui n’est pas une éclatante manifestation de lui-même. D’où ce sentiment qui ne m’a jamais quitté : Emmanuel Macron se moque de tout et presque de tous sauf de lui-même. Il ne fait que ce qui lui plaît. Comme une sorte de désinvolture royale. Qui répudie, qui garde, qui « blanchit ». Qui invente. Qui se fabrique pour se plaire et plaire. Après moi, ce sera le calme plat !

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[1] https://www.parismatch.com/actu/politique/brigitte-macron-jai-linfluence-quune-femme-peut-avoir-sur-son-mari-231620

Pays-Bas: la revanche de Wilders?

Mercredi qui vient, les élections législatives auront lieu aux Pays-Bas, et un certain consensus se dégage concernant l’immigration, malgré quelques renoncements et les indignations de mise. Tour d’horizon des candidats en présence, des sondages et des prévisions.


Question de priorité

Amsterdam. Le suspense règne avant les élections législatives aux Pays-Bas de mercredi 22 novembre. Un des derniers sondages place le vétéran anti-immigration, Geert Wilders, au coude-à-coude avec la fille d’immigrés turcs Dilan Yesilgöz. Pour gagner en crédibilité gouvernementale, M. Wilders a mis un bémol aux exigences posées par d’autres pour former une coalition gouvernementale avec lui. Parmi elles, la fermeture des mosquées et des écoles coraniques, l’interdiction du Coran et du port du voile islamique. Son projet pour une sortie de l’Union européenne, projet particulièrement honni, a également été renvoyé aux calendes grecques. Tous ces thèmes restent dans l’ADN de son Parti pour la Liberté (PVV), a-t-il assuré en pleine campagne électorale. Mais, étant donné l’urgence absolue de freiner l’immigration extra-européenne, ils attendront.

Dilan Yesilgöz avec le Roi, La Haye, 8 février 2022 © Shutterstock/SIPA

Les PVV et VVD en tête ?

M. Wilders « courtise » ainsi Mme Yesilgöz, 46 ans, du Parti Populaire pour la Liberté et la Democratie (VVD), qui ne l’a pas exclu a priori comme partenaire, contrairement à l’ex-Premier ministre Mark Rutte qu’elle aspire à remplacer. Selon un des derniers sondages avant le scrutin, PVV et VVD viendraient en tête avec 22 sièges chacun dans la Chambre basse du Parlement, qui en compte 150.

À la veille de ce sondage, publié le samedi 18 novembre, M. Wilders, âgé de 60 ans, devait encore se contenter de la quatrième place, loin derrière Mme Yesilgöz, talonnée à son tour par le centriste Pieter Omtzigt et le socialiste Frans Timmermans.

Le NCS partait pourtant favori

Et dire qu’au début de la campagne électorale, M. Omtzigt, et son parti flambant neuf Nouveau Contrat Social (NSC), étaient encore les grands favoris des sondages ! Cet ancien député du parti chrétien-democrate CDA séduisait les électeurs par sa « révolte du centre », un savant mélange de gauche en matière économique et sociale, et de droite sur l’immigration. Dernièrement, son étoile commençait à faiblir quelque peu, du fait, notamment, de son refus de dire s’il serait Premier ministre au cas où son parti remporterait le scrutin. M. Omtzigt, homme discret et austère, préférerait visiblement, dans ce cas, rester député et président de son groupe parlementaire.

Révolte du monde rural mais personnalités trop discrètes

La même révolte du centre, selon une analyse du journal NRC, avait projeté Caroline van der Plas sur le devant de la scène comme présidente d’un nouveau venu, le Mouvement Agriculteurs et Citoyens (BBB). Ce parti remporta même les élections provinciales en mars dernier, du fait,  notamment, de la révolte du monde rural contre les réductions drastiques des émissions d’azote imposées par le gouvernement. Rappelons que Mme Van der Plas et M. Omtzigt, 49 ans, ont en commun d’être des « provinciaux » de l’est du pays, issus de la démocratie chrétiennne, unis contre la prétendue arrogance des technocrates des grandes villes de l’Ouest, et désireux de conserver les identités des régions. Mme Van der Plas, 56 ans, aime utiliser des mots puisés dans les dialectes d’un peu partout dans le royaume. Mais, elle aussi, a vu sa popularité se réduire du fait de son peu d’ambition, voulant rester, comme M. Omtzigt, en coulisse. Ces deux politiciens atypiques, anti-établissement sans être des rebelles, partagent une certaine nostalgie des Pays-Bas d’antan, quand l’Etat-providence n’était pas encore entamé par le néo-libéralisme, quand l’immigration de masse, à laquelle ils s’opposent, n’avait pas encore changé la physionomie du pays.

Caroline van der Plas D.R.

Consensus et cris d’orfraie

Comme c’est étrange, ce quasi-consensus sur un sujet longtemps resté “tabou” non seulement pour la gauche, mais également pour la droite modérée dirigée par Mark Rutte, qui, après 13 ans de règne ininterrompu, annonça son retrait de la politique en juin dernier. C’était quelques jours après la chute de sa coalition quadripartite bringuebalante sur un projet limitant modestement le regroupement familial. Pour ses partenaires de centre-gauche, c’était encore trop. Mme Yesilgöz, ministre de la Justice, se proclama candidate Première ministre, entama un virage à droite et refusa de frapper M. Wilders d’ostracisme. Sur ce, le candidat de l’union Groen/Links, entre socialistes et Verts, M. Frans Timmermans, poussa des cris d’orfraie. Mme Yesilgöz serait coupable de « rapprochement avec l’extrême droite ». Après quoi cet ancien commissaire européen de 62 ans commença à stagner dans les sondages qu’il avait un moment dominés. Ses quatre principaux concurrents lui reprochent sa “mollesse” sur le terrain de l’immigration, que ses alliés Verts considèrent comme miné par des racistes xénophobes, si ce n’est l’inverse. Pas de vagues, donc.

Des remous en tous genres…

Pendant la campagne électorale, l’actualité favorisait M. Wilders quand la télévision publique et d’autres médias dévoilaient les malheurs des Néerlandais vivant à proximité de centres de réfugiés. Plusieurs citoyens avaient formé des “milices” pour lutter contre les fréquents larcins, vols, atteintes à l’ordre public, menaces, exhibitionnisme, maltraitance de chauffeurs de bus, cambriolages, vols dans des voitures, conduite machiste envers les jeunes filles, défécations dans les jardins… Les valeureux habitants qui osèrent manifester leur mécontentement se firent traiter de racistes.

… et de bien curieuses priorités

Un autre tabou tomba: celui qui établit un lien entre immigration et pénurie de logements, véritable fléau dans le pays. A un moment donné, la ville d’Utrecht avait eu recours à la préférence étrangère. Des demandeurs d’asile régularisés étaient temporairement prioritaires dans l’attribution de logements sociaux. Les Néerlandais qui avaient passé des années sur les listes d’attente étaient priés de patienter encore un peu. Selon des autorités embarrassées, les centres d’accueil de réfugiés étaient pleins à craquer avec des régularisés ayant droit à un logement. Aidez-nous d’abord à délester les centres, chers Néerlandais, votre tour viendra, un jour, peut-être… C’était le signe d’un sursaut national, constata l’autre jour un observateur dans le journal NRC. Il était grand temps de ne plus considérer l’immigration provenant du tiers-monde comme un phénomène naturel, mais de la restreindre dans un pays surpeuplé qui n’en peut plus. C’est le souhait, selon un récent sondage, de deux-tiers des Néerlandais. Raison pour laquelle, en campagne, M. Wilders aime-t-il citer ce sondage, preuve qu’il a eu raison avant tous ses concurrents et qu’il mériterait peut-être de codiriger le pays.

Ces pacifistes qui refusent de «prendre parti»

Face à l’islamisme, le pacifisme est une lâcheté française, s’indigne notre chroniqueur


La lâcheté française a un visage : celui, satisfait, des pacifistes. Dimanche, ceux-ci s’étaient rassemblés à Paris pour une Marche pour la paix, organisée à l’initiative de 500 personnalités de la culture et du show-biz. Le défilé, qui appelait à ressouder les liens entre Juifs et Musulmans, Israéliens et Palestiniens, a été suivi par quelques milliers de personnes, très majoritairement blanches et âgées, agitant les drapeaux blancs de la paix, mais aussi de la reddition. Une grande banderole blanche et muette ouvrait la manifestation, silencieuse et prudente.

Capitulards

La France diversitaire, invitée au dialogue par ce monde tremblotant de pétitionnaires progressistes, n’était pas présente. La ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, qui s’était jointe au cortège, a déclaré pour sa part : « Arrêtons les injonctions de prendre partie ». Voici donc pourquoi cette France vieillissante personnifie la lâcheté : elle refuse de choisir son camp et de désigner l’ennemi. Au prétexte légitime de ne pas opposer inutilement l’Islam et l’Occident, les belles âmes ne feront rien pour contrarier l’islamisme et son projet de conquête. L’esprit munichois habite les faux gentils. Ils ne voient pas l’urgence d’avoir à résister à l’islamisme, ce totalitarisme qui emprunte au communisme sa révolution des dominés et au nazisme son suprémacisme de l’homme supérieur. L’islam djihadiste n’a rien à craindre de ces capitulards.

À lire aussi, les carnets d’Ivan Rioufol: Capitulations et traîtrises ont assez duré

Le « vivre-ensemble » serait-il plus important que nos otages ?

Mais la lâcheté ne se réduit pas à la caricature de cet univers éthéré, incapable d’énoncer une seule idée audacieuse de peur de flétrir sa réputation. Le silence du monde intellectuel et médiatique sur le sort des huit otages franco-israéliens est également assourdissant. Hormis CNews, qui rappelle désormais régulièrement les visages des victimes du Hamas, et Le Parisien Dimanche, qui titrait hier sous leurs portraits : « Ne les oublions pas ! », l’indifférence est la règle[1].

Pire : les photos placardées dans les rues sont souvent arrachées par des militants de la cause palestinienne qui croient y voir une propagande d’Israël. Le non-dit est, au prétexte de rester neutre dans le conflit, de ne pas soutenir l’État hébreu dans son combat pour sa survie. Mais ce choix de la débandade ne fait qu’asseoir la stratégie de la terreur abjecte du Hamas. Qui, pour résister à l’infiltration sophistiquée des Frères musulmans et à leur subversion des esprits les plus malléables ?

Ce lundi, la presse somnolente n’évoquait qu’à la marge l’attaque commise dans la nuit de samedi à dimanche contre les participants à une fête de village à Crépol (Drôme). Un jeune rugbyman, Thomas, a été tué au couteau et quinze autres ont été blessés par des « jeunes » venus probablement du quartier de La Monnaie, à Romans-sur-Isère. Alors que le « vivre ensemble » vole en éclats, la couardise médiatique s’empêche encore de décrire ces deux France qui se détestent, se séparent et deviennent irréconciliables. Cette lâcheté est mortelle pour la France.


[1] Notre chroniqueur oublie Elisabeth Lévy ! NDLR -> https://www.causeur.fr/n-oublions-pas-ces-huit-noms-otages-francais-gaza-269507

Quand Trump commence à croire les sondeurs

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Un an avant l’élection présidentielle américaine, les sondages montrent qu’un match retour opposant Trump et Biden est très probable, tout comme la victoire de l’homme d’affaires…


À un an de l’élection présidentielle américaine, tout porte à croire que Trump et Biden vont répéter leur affrontement de 2020. Si cette perspective n’enchante guère outre-Atlantique, il est peu probable que nous échappions à leurs candidatures respectives. Pourtant, cette élection pourrait ne pas être une simple copie de celle d’il y a quatre ans, avec une issue différente. En effet, à moins d’un an de l’élection, Donald Trump est le grand favori.

Vers un scenario similaire à 2020

Joe Biden et Donald Trump sont les mieux placés dans leurs camps respectifs pour remporter l’investiture et se présenter à l’élection présidentielle de novembre 2024. Pour Biden, le suspense était inexistant et il était acquis que le président sortant allait de nouveau défendre les couleurs du parti démocrate. La candidature de Robert Kennedy Jr. à la primaire démocrate ne trompait personne tant elle était vouée à l’échec, mais avec le retrait de celui-ci, Biden a désormais le champ libre. De son côté, Trump fait également la course en tête chez les Républicains et Ron DeSantis, qui semblait pouvoir inquiéter l’ancien président, s’est effondré dans les sondages ces derniers mois. Ainsi, plus de 60% des sympathisants des deux partis historiques veulent voir Trump et Biden se présenter à l’élection présidentielle, ce qui confirme qu’ils se sont imposés comme les meilleurs candidats.

Ron DeSantis à Sioux Center (Iowa), 13 mai 2023 © Charlie Neibergall/AP/SIPA

Pour autant, si Biden et Trump ont réussi à s’imposer dans leur camp respectif, les Américains ne veulent pas voir l’affrontement de 2020 se répéter. Un sondage récent de la chaîne CNN montre que seulement 36% des Américains veulent assister à un match retour entre Trump et Biden. Il y a quelques jours, c’est David Axelrod, ancien conseiller spécial de Barack Obama, qui a remis en question la candidature de Biden pointant du doigt les mauvais sondages. Trump ne fait pas non plus l’unanimité chez les Américains ou dans son propre camp (notamment dans l’establishment) car il est vu comme trop clivant et extrême. Malgré ce rejet et faute d’alternative, il semble que nous nous dirigeons vers une répétition de 2020.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Biden peut-il perdre en 2024 à cause du vote musulman?

Mais de nombreuses différences avec 2020

La prochaine élection présidentielle va avoir lieu dans des conditions bien différentes de celle de 2020 sur les plans politique, économique et géopolitique. La pandémie de coronavirus avait empêché les deux candidats de faire campagne normalement en 2020, ce qui avait procuré un avantage à Biden. Ainsi, le Covid-19 ne sera plus un thème principal, ce qui forcera Biden à faire campagne et ne lui donnera plus un avantage précieux auprès des électeurs retraités qui avaient été effrayés par les prises de position de Trump sur la gestion de la crise. Économiquement, l’inflation durant le mandat de Biden a été a son plus haut depuis 40 ans, ce que ne manquera pas de pointer du doigt Trump. Ainsi, le pouvoir d’achat des ménages et notamment des classes moyennes et populaires s’est effondré. C’était déjà sur ce thème que les États de la Rust Belt avaient fui les Démocrates d’Hillary Clinton en 2016. Sur le plan géopolitique, la situation est pour le moins morose alors que les États-Unis sont engagés dans une guerre par procuration avec la Russie par le biais de l’Ukraine, que le pays soutient financièrement et matériellement. Alors que cette aide est déjà de plus en plus remise en cause par les Américains, s’est ajouté le soutien à l’allié historique israélien victime d’atrocités de la part du Hamas.

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L’élection de 2024 va vraisemblablement se jouer sur des thèmes annexes, loin d’être politiques. Tout d’abord, l’âge avancé des deux candidats devrait vraisemblablement faire couler beaucoup d’encre et surtout servir d’argument. Ainsi, Robert Kennedy qui est beaucoup plus jeune que ses opposants, insiste sur sa jeunesse pour plaire aux électeurs. Trump n’a lui aucun remord à se moquer d’un Biden jugé gâteux et incapable d’assurer ses fonctions. Les affaires judiciaires de Trump vont aussi faire énormément parler et les Démocrates vont à coup sûr s’en donner à cœur joie pour décrédibiliser leur adversaire. Les ennuis de Hunter Biden, fils du président sortant, pourraient également servir d’argument durant la campagne alors que celui-ci est sous le coup d’une enquête pour ses agissements en Ukraine. Enfin, l’élection de 2024 pourrait voir un troisième homme, en la personne de RFK, neveu complotiste de l’ancien président, remporter plus de 15% des voix au niveau national, une première depuis 1992.

Devant cette pagaille, peut-on dire que Trump est favori ?

Donald Trump semble mieux parti que Biden pour l’emporter en 2024. Un récent sondage commandé par le New York Times a montré que l’ancien locataire de la Maison-Blanche était en mesure de l’emporter au Nevada, en Arizona, au Michigan, en Géorgie ou en Pennsylvanie. Donald Trump emporterait ces états clefs qui se sont régulièrement montrés décisifs lors des dernières élections, avec une large avance alors qu’ils avaient préféré Biden en 2020. D’un côté, ce signal est inquiétant pour Joe Biden car il perd ces États clés par un large écart, bien au-delà de la marge d’erreur. De l’autre côté, les sondages en 2016 et 2020 avaient toujours surestimé le vote démocrate, ce qui pourrait signifier que le mécontentement envers l’actuel locataire de la Maison Blanche est encore plus important que ce que mesurent actuellement les enquêtes d’opinion.

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Précisément, les enquêtes révèlent un changement de mentalité aux États-Unis qui pourrait traduire l’échec de la stratégie des partis de gauche en faveur des « minorités ». Tout d’abord, le vote des jeunes qui est traditionnellement favorable aux démocrates, le serait beaucoup moins en 2024 que par le passé. Ensuite, ce que l’on appelle le « gender gap » soit la différence entre le vote féminin favorable au démocrate et le vote masculin favorable au républicain ne l’est plus dans la même proportion que dans la précédente élection. Ainsi, les femmes sont moins hostiles à Donald Trump ; qui enregistre toujours un soutien massif des hommes. Enfin, le vote des « minorités » hispaniques et afro-américaines poursuit la même tendance que lors de la précédente élection de 2020. En effet, les « minorités » votent de moins en moins automatiquement pour les démocrates et Donald Trump devrait battre le record de suffrages obtenus par un candidat républicain (qui appartenait déjà à Trump en 2020) auprès de « ces cibles électorales ».

Si le milliardaire semble être l’immense favori à un an de l’élection, de nombreux obstacles se dressent face à lui. La polarisation probable de la campagne autour des thèmes annexes à l’élection comme les affaires pourraient faire changer l’avis des modérés et des indécis qui bousculeraient l’élection. Autre indice d’incertitude : les candidatures possibles de deux personnalités d’envergure avec Robert Kennedy et Cornel West. Ces candidats supplémentaires pourraient, à défaut de rivaliser pour la première place, faire tomber les deux grands rivaux.


William Thay, Politologue et fondateur du Milllénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaire, spécialiste des questions européennes et internationales.

La Corse, un «safe space» pour les juifs?

« Des Juifs songent sérieusement à venir s’installer en Corse face à la recrudescence des actes antisémites en France. J’ai reçu une dizaine d’appels téléphoniques, rien que la semaine dernière », indique Levi Pinson, rabbin de Corse.


En juin dernier, des milliers de casseurs semaient le chaos dans plusieurs villes de France après la mort du jeune délinquant Nahel. La Corse fut la seule région française épargnée par les dégradations et les violences. Quelques mois plus tard, l’ile de beauté se distingue, de nouveau, du continent marqué par le développement d’un antisémitisme débridé. En Corse, pas une seule mezouza n’a été retirée, pas un seul patronyme n’a été effacé sur les boîtes aux lettres, pas une seule étoile de David ni de croix gammée n’a été taguée, pas un seul chant néonazi n’a été hurlé dans les transports en communs, pas un seul slogan anti israélien n’a été crié dans les rues ajacciennes par une foule brandissant des drapeaux palestiniens. En Corse, les synagogues d’Ajaccio, de Bastia et de Porto Vecchio n’ont pas été vandalisées, et les rabbins ne sont pas plus menacés de mort que les quatre à cinq cent membres de la communauté juive de corse.

Alors que les actes antisémites se propagent à une vitesse grand V sur le continent, la Corse s’honore à n’en compter pas un seul. L’île serait-elle la seule région de France, voire d’Europe, où les juifs peuvent vivre en sécurité, à tel point que des familles de confession juive vivant en métropole souhaitent s’y installer ? « Attention tout de même à ne pas trop idéaliser. Il y a comme partout des antisémites en Corse mais il y en a peu », relativise le président de l’association d’amitié corso-israélienne, « Terra Eretz Corsica Israël », Frédéric Joseph Bianchi avant d’ajouter que « la grande différence avec le continent est que l’antisémitisme n’ose pas se manifester : il ne trouve aucun relais dans la classe politique, et en Corse la notion de respect de l’autre reste encore fondamentalement très présente. »

La manif pro-Gaza fait un flop

Les Corses n’ont pas tergiversé pour soutenir Israël et le peuple juif comme en témoigne la manifestation du 12 octobre, organisée par l’association, à Ajaccio, qui a rassemblé 300 personnes, des Corses, juifs et non juifs, des élus. Des drapeaux corses et israéliens trônaient place Foch. En métropole, c’est plutôt le trouillomètre qui domine. À peine accroché aux frontons de certaines mairies que le drapeau d’Israël fut retiré. Comme à Strasbourg où il a tenu deux jours.

Depuis les attaques, Frédéric Joseph Bianchi a lancé un appel aux dons pour aider à la reconstruction des kibboutz détruits par les attaques du Hamas et prévoit une conférence sur l’antisémitisme dans les prochaines semaines.

A lire aussi, Philippe Delaroche: «Une sorte de nazi»: France Inter et l’hiver de l’humour

Les manifestations pro palestiniennes, quant à elles, ne prennent pas sur l’ile. Celle – unique – organisée, début novembre, à l’appel du PCF et de la CGT de Haute-Corse qui s’est tenue devant la préfecture de Bastia pour demander l’arrêt des bombardements sur Gaza, a rassemblé à peine trente personnes. Un flop. Un contraste saisissant avec la métropole où les manifestations rassemblent des dizaines de milliers de personnes qui, dissimulés derrière le paravent pacifique de l’appel au cessez-le-feu, crient leur haine d’Israël. Et pourtant, étant donné la part de population immigrée sur l’ile, la manifestation aurait pu prendre. Mais c’est bien mal connaitre l’ile que de le penser. Selon l’Insee, il y a environ 10% d’immigrés, notamment d’origine marocaine qui vivent en Corse.

La population musulmane priée d’être discrète

Mais voilà, la communauté maghrébine se tient à carreau. Ses membres savent bien que les Corses ne se laissent pas faire devant des revendications religieuses de l’islam radical – comme lors de l’affaire du burqini, en 2016, à Sisco – et qu’ils répliquent lorsque des délinquants s’en prennent aux représentants de la force légitime et de la préservation de la sécurité civile – comme lorsque les pompiers furent agressés dans le quartier des jardins de l’empereur, à Ajaccio. La population s’était alors sentie également blessée – toute famille corse comptant très souvent un pompier parmi ses membres – et était descendue dans la rue pour manifester son soutien, sa colère mais aussi pour mettre la pression sur les agresseurs issus de la communauté maghrébine. Bilan : 0 incident de ce genre depuis. Ce qui ne veut pas dire que la violence n’existe pas par ailleurs. La Corse reste une ile sauvage où la vendetta peut encore s’exercer et où la violence est souvent liée aux règlements de compte, notamment sur fond de trafic de drogue. Mais cette violence ne vient jamais frapper des « innocents ». Et, les insulaires ne vivent donc pas dans la peur de se faire agresser, violer, tuer comme c’est le cas sur le continent. Les femmes sont reines et les enfants sont rois. On n’y touche pas, ils sont sacrés comme les mœurs et la manière de vivre.

Mais si des juifs viennent s’installer en Corse, c’est aussi parce qu’il y a un lien historique et quasi existentiel qui les relie à l’île. Dans son dernier essai sur l’histoire de la Corse[1], paru début octobre, Paul-François Paoli rappelle que la Corse a été une terre d’accueil dans l’histoire pour le peuple du Livre. Lorsque le héros de l’indépendance de la Corse, Pascal Paoli, fonda le port de l’Ile Rousse en 1765, il fit venir des négociants juifs pour dynamiser l’économie insulaire grâce à leur savoir-faire dans l’art du commerce et des échanges. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Corses ont caché et protégé les juifs qui vivaient sur l’ile. Aucun n’a été déporté. Bravoure, sens de l’honneur et franchise composent le caractère des Corses qui exècrent au plus haut point la délation, la lâcheté et la traitrise. L’ile de beauté est ainsi devenue l’ile des « Justes ». Aujourd’hui, les Corses honorent leur statut une fois encore !

Mais, Frédéric Joseph Bianchi va un peu plus loin pour expliquer cette relation particulière qui unit les Corses aux juifs. « Les Corses et le peuple juif vivent sur deux terres qui dans l’histoire ont été occupées, la Corse par les Grecs, les Aragonais, la République de Pise, puis de Gènes avant de devenir française; Israël ce fut par les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Arabes, les Turcs et bien d’autres peuples jusqu’aux Anglais avant la création de l’Etat hébreu en 1948 ! » 

Pour le président de l’association Terra Eretz Corsica Israël, « cette identification mutuelle – les Corses se projetant dans le peuple juif et inversement – est l’un des moteurs de cette bienveillance réciproque. » À travers ce parallélisme historique, les Corses et les Juifs ont donc le sentiment de partager un même destin et un même rapport à la terre – terra en corse. Eretz, en hébreu, signifie une terre désirée comme promise et indépendante, une terre comprise comme patrie. Les Corses sont fiers de leur ile, de leurs racines, de leur identité et ne comprennent pas la façon dont les élites qui nous gouvernent ont instillé et développé la haine de ce qu’a été la France. C’est d’ailleurs pour cette raison que des Corses disent qu’ils ne se sentent plus français, et se replient sur leur identité corse. Tous les essais de Paul François Paoli analysent finement cette déception que ressentent les insulaires pour la France – autrefois admirée pour sa grandeur.

Les juifs partagent avec les Corses un rapport émotionnel à la terre, au sacré profane et religieux, à l’identité – on ne devient pas Corse, on nait Corse comme on nait juif – et un certain sens du courage. Les Corses sauront défendre ces derniers s’ils sont attaqués.

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[1] Une histoire de la Corse française, de Sampiero Corso à nos jours, p.66, Paul-François Paoli, Edition Tallandier

Flûte alors!

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Le cinéaste progressiste Cédric Klapisch s’essaie à l’opéra, avec La Flûte enchantée de Mozart. Nous sommes allés écouter.


Ce n’est pas sans curiosité qu’en ce mardi 14 novembre l’on se rendait au Théâtre des Champs-Elysées pour assister à la première de Die Zauberflöte : comme chacun sait, l’ultime opéra du divin Mozart, millésimé 1791. Car c’est aussi la première mise en scène lyrique du cinéaste de L’Auberge espagnole, Cédric Klapisch.  

Couac

On y allait sans a priori : les plus grands du septième art n’ont-ils pas tâté de l’opéra, parfois même avant que d’avoir tourné leur premier film, tel l’immense Luchino Visconti ? De Michael Haneke à Kirill Serebrennikov en passant par Patrice Chéreau, Ingmar Bergman, Benoît Jacquot ou Franco Zeffirelli, le flambeau est passé par des mains parfois baguées au sceau du génie.

Or c’est peu dire que la flamme vacille, ranimée à feu très bas par Cédric Klapisch : sous la baguette de François-Xavier Roch à la tête de sa formation « Les Siècles » censée magnifier les interprétations sur instruments d’époque, ça commence par un couac bizarre du côté des cors, en plein milieu de l’ouverture de La flûte enchantée. Comme notre cinéaste a cru bon d’assaisonner son plateau d’un bruitage liminaire (le spectacle se verra ensuite grevé des sons variés de la nature, voire même, in extremis, des crépitements d’un incendie de forêt), on en était même venu à douter si le couac augural n’était pas intentionnel – une insolite ponctuation contemporaine fichée dans la partition ? La suite montrera que non : la battue (exagérément lente et piano) semble constamment hésiter entre esthétique baroqueuse et poussées de fièvre préromantique : on ne sait plus à quel parti pris orchestral se vouer.

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Entre en scène un Tamino plus rouge qu’une fleur de coquelicot, vêture criarde de pied en cap (et en cape), sous les traits du ténor Cyrille Dubois, habituellement de bonne facture vocale, mais son vibrato serré semble, avec le temps, devenu strident –  il chantait le rôle beaucoup mieux à la Bastille, il y a deux ans, dans la mise en scène autrement inspirée de Robert Carsen. Le baryton Florent Karrer, gallinacé à barbe rousse et à la voix grave, sa corpulence nappée d’un lourd plumage bigarré, ne remplace pas à son avantage, en Papageno, le bon Florian Sempey qui a déclaré forfait. Le sommet dans l’échec est tout de même atteint avec La Reine de la Nuit, laquelle dépare cette distribution essentiellement francophone, non tant en raison de son accent polonais (on ne saurait décemment en faire le reproche à la soprano Aleksandra Olczyk) que par une insuffisance avérée dans les vocalises, particulièrement dans les aigus. Il est entendu que le rôle, sur le plan technique, est en soi une performance de haut niveau. Reste que son vibrato, pesant, ébréché, criard, ne tirait de sa gorge qu’un nombre incalculable de fausses notes – on en était presque gêné pour elle.

© Vincent Pontet

Beaucoup trop loin du livret original

Quant à Catherine Trottmann, elle nous aurait fait une Papagena acceptable si Cedric Klaplisch, tout à son souci de « moderniser » Mozart, entre autres par des récitatifs en français (pourquoi pas ?), ne poussait la « traduction » jusqu’à lui faire dire, à la toute fin du deuxième acte : « t’as kiffé ? », à l’adresse d’un Papageno qui, lui, s’avouera carrément « gérontophile » devant celle qui a pris, comme le veut l’intrigue, l’apparence trompeuse d’une vieillarde. Heureusement, Papagena réagit : « Eh, faites gaffe ! Un peu de délicatesse pour les vieilles dames ». Voilà ce que lui fait répondre notre Klapisch, s’échappant sans vergogne du livret original d’Emmanuel Schikaneder. Goûtant décidément l’anachronisme au point de ne résister à aucune trivialité, au Premier ministre enjoignant Papageno de se « comporter comme un homme », Klapisch invente la réplique qui suit : « Cette injonction est tellement genrée. J’hallucine ! Hello, on est en 1791, mec ! Le monde a changé ! ». Il fallait tout de même oser.  L’« immonde » Monostatos à « l’emprise toxique » -sic- (campé par le baryton Marc Mauillon) apparaît de bout en bout nippé en lycra noir façon SM, torse tatoué. Pamina, à Papageno : « – il est amoureux ? ». Réponse : « –de ouf ! » Bref, vous l’aurez compris, l’idiome du 9-3 a pénétré Mozart.

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C’est sans aucun doute la propension à raccorder, à n’importe quel prix, la savante fantasmagorie de ce Singspiel ouvertement franc-maçon aux préoccupations woke, écologistes, environnementales, qui a poussé Cédric Klapisch, hors de tout recours au cinéma (à part la projection de vignettes animalières stylisées en noir et blanc créées par Stéphane Blanquet), à concevoir avec sa scénographe Clémence Bezat (jadis assistante de Richard Peduzzi, le décorateur attitré de Chéreau) un plateau qui conjuguera, dans un rapport à l’univers mozartien tout à la fois tendancieux, artificiel et illisible, une sorte de résille architecturée, transparente, ajourée ; des lianes torsadées, verticales, comme de la fibre connectique ; de longs et purs voilages blancs qui tombent des cintres ; un vaste papier peint en toile de fond montrant un paysage inviolé de forêt tropicale ; et pour finir le tableau géant, en fond de scène, de quelque improbable mégalopole futuriste traversée d’îlots arborés, semées de tours sans fin et de membranes immaculées flottant dans l’azur – la Ville de l’an 2000 comme on se la figurait en 1950…  Signés Stéphane Rolland et Pierre Martinez, les costumes renvoient à je ne sais quelle haute couture d’anticipation (longues traînes miroitantes, Reine de la Nuit casquée d’un énorme compotier en résille argentée, « initiés » nippés tels des bonzes du Népal, trois enfants solistes en chasubles rouges – mais pourquoi une fillette, parmi eux, et non point trois garçons, tout simplement, comme c’est la règle ?

© Vincent Pontet

Bref, l’impératif manifeste de plaquer sur l’esthétique mozartienne l’échantillonnage complet des problématiques en vogue – exigence écologique, sexisme, changement climatique, etc. – rend le propos assez lourdingue, subordonné qu’il est à ses intentions moralisantes. D’ailleurs Cédric Klapisch ne s’en cache même pas : il est là pour catéchiser. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’entretien avec Vincent Borel qui figure dans la brochure-programme : « Le livret de La Flûte, observe-t-il sans rire, a des aspects misogynes, sexistes et parfois racistes (sic). Ainsi, poursuit le cinéaste-metteur en scène, il m’apparaît impossible de conserver cela sans pointer du doigt des propos auxquels je ne peux adhérer. L’utilisation de l’humour et du deuxième degré a souvent été mon choix pour me moquer sciemment de ces passages délicats et aider à les contextualiser ».

Mozart n’a plus qu’à remercier Klapisch de le remettre dans le droit chemin, et nous avec. Il était temps.  

La Flûte enchantée/ Die Zauberflöte. Opéra/ Singspiel en deux actes de W.A. Mozart.
Direction François-Xavier Roth. Mise en scène Cédric Klapisch. Orchestre Les Siècles.
Théâtre des Champs-Elysées. Jusqu’au 24 novembre.

Le cas Gilles Verdez

L’agaçant chroniqueur de Cyril Hanouna a fait son dada de la défense des musulmans que d’odieux Français s’échineraient à vouloir assimiler.


Il y a un phénomène physique récurrent dont j’aimerais entretenir mon lecteur. Chaque fois que, par inadvertance ou par plaisir coupable, je visionne une séquence de l’émission Touche pas à mon poste, ma main est prise d’une irrésistible envie de balancer la télécommande contre l’écran dès qu’y apparait Gilles Verdez. En effet, dans cette émission, la palme de l’intervention la plus stupéfiante de niaiserie revient systématiquement à ce journaliste. Récemment, l’avocat Pierre Gentillet s’est confronté à la meute de chroniqueurs de Touche pas à mon poste au sujet de l’actualité de l’antisémitisme en France.

L’indignation pour seule argumentation

Cet article se propose de comprendre comment les opinions de la première bobo gauchiste aux cheveux verts venue se retrouvent dans la bouche d’un vieil homme aux cheveux blancs. À l’instar d’un Torquemada du vivre-ensemble, Gilles Verdez ne prend pas la peine de discuter les opinions qui ne plaident pas en faveur du communautarisme; il se contente de les mettre à l’index de sa morale du jour bricolée au doigt mouillé, en les déclarant inacceptables. Chez lui, l’indignation perpétuelle remplace la démonstration.

« Parler des radicalisés à l’école, c’est très bien, mais en réalité ça pose une question politique en amont qui est la question de la montée de l’islamisme et aussi de la question migratoire, dit Me Gentillet.
– Vous êtes en train de vriller. Bientôt, vous allez nous dire que c’est à cause des musulmans, répond Verdez. 
« Oui, c’est à cause des chrétiens aussi, sans doute ? lui réplique Gentillet.
– Ah, donc vous dites ça ? Voilà voilà, là vous vrillez… » finit par lui opposer Verdez, les yeux exorbités.

S’il ne s’était réellement converti, je dirais que sa religion est, non pas l’islam, mais la défense de l’islam[1]. Et pas n’importe quel type de défense, non. Une défense systématique, qui intervient à la base de tous ses raisonnements plutôt qu’au moment de leur conclusion. Gilles Verdez s’astreint à un exercice difficile : déconsidérer et attaquer par principe toute personne ou tout groupe de personnes dès l’instant qu’elles remettent en cause le modèle de société multiculturelle dont le seul bonheur qu’il retire est visiblement sa femme, tout en prêchant son adhésion aux principes normalement partagés de laïcité, de liberté d’expression ou de sécurité publique. Mais à l’impossible nul n’est tenu, et, pour parvenir à cette contorsion intellectuelle, le chroniqueur doit accepter de faire partie de la catégorie des hommes extraordinaires. Non pas ceux ont le pouvoir de changer la réalité; ceux qu’ils ont la faiblesse de l’ignorer.

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Amusant personnage

Gilles Verdez doit se résoudre à jouer le rôle d’un personnage qui se situe à mi-chemin entre la précieuse ridicule et le bourgeois gentilhomme, ce qui n’est pas sans élever l’émission de C8. Ainsi, par exemple, lorsqu’il s’offusque qu’on puisse constater l’implication de la communauté arabo-musulmane dans la délinquance urbaine, ou dans les actes d’antisémitisme perpétrés ces derniers temps étrangement en même temps que la réactivation d’un conflit qui oppose Juifs et… Arabes. C’est par cette sorte de négationnisme politique que ce brave chroniqueur participe, avec des gens comme Yassine Bellatar et autres infiltrés du communautarisme musulman, à la prospération d’une étrange ambiance en France, c’est-à-dire à la banalisation et à la normalisation de l’instauration d’un mode de vie arabisant sur le sol français, qui ne tire sa justification que du nombre de ses adeptes. Ce qui va de la langue au vêtement en passant par les considérations géopolitiques, je crains que la ligne 3 du métro parisien dans laquelle se sont fait entendre des chants antijuifs à l’initiative de nos futurs compatriotes ne s’en souvienne si Gilles Verdez l’a oublié.

Gilles Verdez confond peut-être sa vie privée avec les affaires publiques. Il croit que, s’étant converti lui-même à l’islam, la société française serait tenue de le faire aussi. Qu’aimant une femme de culture musulmane, et je ne l’en blâme pas, puisque moi aussi, la France devrait s’accommoder des mêmes contraintes qu’on trouve dans son ménage. Or voilà, deux individus peuvent faire bon ménage, pas deux peuples sur le même sol, et les agréments qu’on trouve au seuil de la chambre à coucher n’ont pas leur pareil passé le seuil de sa porte d’entrée. Gilles Verdez le saurait, s’il sortait quelquefois dans la rue ou s’il ouvrait plus souvent les yeux plutôt que sa grande bouche.


[1] https://www.midilibre.fr/2022/11/18/tpmp-je-vais-faire-mon-premier-ramadan-annonce-le-chroniqueur-gilles-verdez-10812456.php

Salle des fêtes de Crépol: rixe ou razzia?

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L'information a fait la une des journaux télévisés le 20 novembre, les journalistes parlant de "rixe mortelle". Capture MyTF1.

Après l’attaque sanglante survenue samedi à la sortie d’un bal dans la Drôme, l’enquête de la gendarmerie avance vite et fournira bientôt tous les détails. En attendant, justice et médias tentent de minimiser la portée des évènements, que la vilaine droite est accusée de récupérer politiquement, observe Elisabeth Lévy. Une marche blanche aura lieu demain à Romans-sur-Isère (26), en souvenir du jeune Thomas.


C’était un soir de bal et de fête. Il semble que des petits barbares armés de couteaux n’aient pas supporté qu’on leur refuse l’entrée, précisément à cause de ces couteaux. Revenus en nombre, ils ont semé la mort et la désolation, donnant des coups de couteau, fauchant la vie pleine de promesses de Thomas, 16 ans, et blessant une quinzaine de personnes. Je pense d’abord aux parents de Thomas, à ses frères, à ce village tranquille qui se croyait épargné par la violence de la société.

L’enquête est en cours

Alors que les témoins évoquent des agresseurs frappant à l’aveugle en tenue de racaille (survêtements et tennis), si j’ose dire, le procureur de la République, Laurent de Caigny, lui, est d’une prudence qui confine au déni. Il parle d’un possible règlement de comptes, et précise que rien n’indique que tous les assaillants venaient de la même cité. On a compris. Surtout, il ne faut pas stigmatiser. Voilà l’essentiel, selon lui. Des médias parlent de leur côté de « rixe », d’une bagarre qui aurait mal tourné, comme pour renvoyer dos-à-dos agresseurs et agressés.

Comment alors qualifier ce qui s’est passé ? Même si nous ne disposons pas encore de tous les éléments, à l’évidence, ce n’était pas une simple bagarre, si l’on s’appuie sur les témoignages, mais une razzia perpétrée par des gens qui ne connaissent qu’une loi, celle du plus fort. Des lâches qui se la jouent caïds quand ils sont en bande et armés. Bien sûr, on ne connaît pas l’identité de ces agresseurs. Mais je me dis que peut-être s’ils s’appelaient Enguerrand, Pierre ou Paul, on le saurait déjà, et que Mélenchon aurait sans doute déjà écrit un tweet accusant l’extrême droite.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: La fabrique des terroristes: l’école telle que certains la veulent

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’identité de ces agresseurs, le drame de Crépol est la preuve supplémentaire de l’ensauvagement qui touche désormais aussi la douce France des provinces.

Petits anges

Répétons-le, concernant Crépol, on ne connait ni le pedigree, ni l’origine des assaillants. Élargissons un peu notre réflexion au-delà de ce qui s’est passé ce soir-là : si on trouve désormais des points de deals jusque dans la Creuse ou en Corrèze, si la criminalité augmente plus vite en zone gendarmerie – c’est-à-dire dans la ruralité – qu’ailleurs, cela a sans doute un rapport avec l’implantation sur tout le territoire de cités HLM (loi SRU) qui sont partout des foyers de délinquance, d’immigration illégale et… de séparatisme.

Sur BFMTV, une avocate se demandait si les assaillants de Crépol n’avaient pas été victimes d’un délit de faciès. Mais bien sûr. Il faudrait les comprendre, les pauvres petits, ils avaient raison de s’énerver… Pardon, là, c’est moi qui m’énerve !

Les agresseurs seront certainement identifiés et rapidement arrêtés, des ministres promettront une sanction exemplaire, sauf que ce ne sont pas eux qui décident mais des juges. Comme ce magistrat qui vient de condamner à 35 heures de travaux d’intérêt général[1] le jeune homme qui avait trainé un policier sur plusieurs centaines de mètres après un refus d’obtempérer ! Restent chez beaucoup de Français, la colère et la peur. Et, alors qu’ils ont le sentiment que l’État ne les protège plus, il faut craindre aussi la tentation de l’autodéfense.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale après le journal de 8 heures.


[1] https://www.bfmtv.com/police-justice/je-suis-choque-que-ca-ait-ete-minimise-au-tribunal-le-policier-de-nantes-traine-sur-20-metres-par-un-automobiliste-de-16-ans-temoigne_VN-202311170462.html

Oublier Olivier Gloag

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L'essayiste d'extrême gauche Olivier Gloag. Capture YouTube.

L’essayiste « décolonial » Olivier Gloag veut « déconstruire » le mythe Albert Camus. En condamnant Camus sur tout, et en plaidant pour qu’on l’oublie, l’intellectuel radical chic ne fait que « répéter le geste de ceux qui lui donnent raison pour tout », observe finement, mais avec indulgence, Le Monde.


Les livres des éditions de la Fabrique se remarquent sur les devantures des librairies « chic » de nos centres-villes avec leurs couvertures sobres. Des titres sur fond blanc dans un petit cadre soigné. À la pointe du gauchisme mental, la maison d’édition publie depuis quinze ans (un peu de) tout et (surtout) n’importe quoi – des jeunes gens qui se baladent un peu trop près des caténaires de la SNCF aux éloges d’Houria Bouteldja adressés à Alain Soral. Jamais à un naufrage près, elle a édité cet automne Olivier Gloag et son Oublier Camus. A lui seul, le titre suffit à nous plonger dans l’ambiance d’un déboulonnage de statue en règle sur un campus américain par des militants à cheveux bleus.

Citations passées au sécateur

Les deux principaux reproches faits par Olivier Gloag à Camus (on parle bien d’Albert depuis le début de cet article) : avoir été pied-noir sans être enthousiasmé par le terrorisme du nationalisme algérien ; avoir été la plupart du temps critique à l’égard du communisme. Rien n’est jamais grand dans l’attitude de l’auteur de La Peste : quand il mène une enquête et rédige une série d’articles sur la misère en Kabylie, en 1939, il est en fait dans une stratégie de sauvetage de l’Empire colonial par l’humanitaire. Quand les Arabes disparaissent à peu près du paysage dans L’Etranger, c’est sa tentation génocidaire qui s’exprime.

A lire aussi, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

Aucun biais de lecture n’est interdit pour faire marcher la moulinette à déconstruire : il est admis que La Peste est une allégorie de l’occupation allemande, mais pour les besoins de l’idéologie, on peut aussi y lire la crainte du petit colon de voir Oran l’Européenne se laisser « grand remplacée ». Tous les coups sont permis y compris tronquer des citations : rapportant les propos de Jean Grenier, ami proche de Camus (« Pourquoi ne choisissez-vous pas d’habiter une belle maison à la campagne ou au bord de la mer en Algérie, puisque vous êtes maintenant à même d’acheter une résidence de votre choix et que vous êtes si attaché à votre pays. Il me répondit, d’un air contraint : c’est parce qu’il y a les Arabes »), Olivier Gloag coupe la fin : « ne voulant pas dire que les Arabes le gênaient par leur présence, mais par le fait qu’ils avaient été dépossédés ». Donnez-moi une phrase de n’importe qui et je me charge de le faire pendre ; et si ça ne passe toujours pas, on la fera raccourcir au sécateur.

Grandir Sartre pour enfoncer Camus

On se souvient que dans L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus (2012), Michel Onfray avait eu besoin, pour grandir Camus, d’enfoncer Sartre. Olivier Gloag fait exactement l’inverse ! Camus n’aurait pas fait une si bonne guerre (il ne reçoit une fausse carte d’identité de la Résistance qu’en mai 1943) tandis que Sartre n’en aurait pas fait une si mauvaise.

Reste que l’auteur passe un peu vite sur la nomination de ce dernier au poste de professeur de philosophie à la rentrée 1941 à la khâgne du lycée Condorcet à la place d’Henri Dreyfus-Le Foyer, révoqué parce que juif. Il passe un peu vite aussi sur Les Mouches, jouées le 3 juin 1943 devant des officiers de Wehrmacht francophones. Et quid de Simone de Beauvoir à Radio-Vichy[1] ? Après sa rupture avec Sartre, Camus en vient à regretter l’ambiance de la Belle époque, quand Jean Lorrain affrontait en duel Marcel Proust : « Noble métier où l’on doit se laisser insulter sans broncher par un laquais de lettres ou de parti ! Dans d’autres temps que l’on dit dégradants, on gardait au moins le droit de provoquer sans ridicule et de tuer. Idiot bien sûr mais cela rendait l’insulte moins confortable ». Camus se refusa d’infliger une correction à Sartre, à cause de la petite taille de celui-ci. Un homme, ça s’empêche.

Le privilège blanc de la famille Camus

Ici et là, on repère quelques tics et raccourcis de la pensée woke. Page 76, Olivier Gloag écrit : « En cette fin 1946, dans un passage crucial de l’article « Le monde va vite », Camus prévient ses lecteurs de « l’imminence » d’un « choc des civilisations » : dans « dix ans, dans cinquante ans, c’est la prééminence de la civilisation occidentale qui sera en question », il faut donc ouvrir le parlement mondial à « ces civilisations » (comprendre les civilisations non européennes) pour pouvoir les maintenir dans le giron colonial. Ces lignes sont l’expression de l’angoisse provoquée par la remise en question du privilège de l’Européen dans le monde, a fortiori dans les colonies ».

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On se demande quel privilège blanc Albert Camus a pu connaître en Algérie française ! Orphelin de père (tué durant la Grande Guerre), Camus baigne dans un milieu d’ouvriers agricoles analphabètes ; en 1914, la famille échappe de peu au paludisme. Sa mère, sourde, ne maîtrise que 400 mots et s’exprime essentiellement par gestes. Même dans les coins les plus reculés de métropole à la même époque, il fallait se lever tôt pour trouver une misère d’une telle intensité.

L’art de moins se planter que les autres

Enfin, il n’y a pas que l’affaire algérienne au cœur du livre d’Olivier Gloag. Il y a aussi un passage sur la correspondance amoureuse entretenue avec Marie Casarès publiée par Gallimard. Si cette correspondance est saluée par tout le monde, à sa sortie en 2017, notre auteur – qui reproche à la presse d’avoir mené une véritable campagne publicitaire pour Gallimard – trouve quand même à redire, et détecte des traces de jalousie, presque de « masculinité toxique ».

Il n’y a pas que l’affaire algérienne, mais c’est le gros du sujet. L’ouvrage prend le risque que le lecteur en ressorte plus camusien qu’en y entrant. Car Camus s’est moins planté que beaucoup de ses contemporains, et ce n’est déjà pas si mal. On s’en aperçoit très bien grâce à cette citation de Gisèle Halimi : « Je désirais, cette fois encore, que Camus intervînt auprès de Coty, de l’Elysée ou de je ne sais quel responsable gouvernemental. Mohamed Ben Hamdi devait être gracié et j’avais besoin du soutien de Camus. Au même moment, il semblait amorcer son grand silence sur l’Algérie : « Les tueurs de femmes et d’enfants, je les méprise ». Ce jour-là, il me refusait toute aide. Brièvement et sans fioritures ». Même chose sur le communisme, en ces temps de stalinolâtrie, avec ce passage de L’Homme révolté : « Alors, quand la révolution, au nom de la puissance et l’histoire, devient cette mécanique meurtrière et démesurée, une nouvelle révolte devient sacrée, au nom de la mesure de la vie ». On n’est alors qu’en 1951. Et on entend déjà les révoltes de Budapest et de Prague gronder.

Correspondance (1941-1957)

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[1] https://www.causeur.fr/amnesie-feministe-beauvoir-259457

IA: la puissance et la régression

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Après avoir été limogé vendredi 17 novembre 2023 de la direction générale de Open AI (ChatGPT), Sam Altman (photographié ici à San Fransisco le 16) vient d'être recruté par Microsoft © Eric Risberg/AP/SIPA

L’intelligence artificielle ne signe pas la fin de l’intelligence humaine. Du moins, pas pour tout le monde. En Chine, le régime contrôle l’exposition de sa jeunesse à l’IA et aux réseaux sociaux. En Occident, où le QI moyen baisse depuis vingt ans, la population tend à se diviser en deux groupes inégaux : ceux qui savent penser sans IA, et les autres…


Olivier Rey © Hannah Assouline

Le monde se trouve aujourd’hui dans une situation singulière, dont deux citations permettent de prendre la mesure. La première date de 1900, et son auteur est Hwuy-Ung, un lettré chinois que ses idées réformatrices, peu prisées par l’impératrice douairière Cixi, avaient forcé à l’exil. D’Australie, il écrivit ceci à un ami demeuré en Chine :

« Les merveilles de ce pays et des nations occidentales nous sont, pour la plupart, inconnues et nous paraissent incroyables. […] Vénérable frère aîné, votre esprit supérieur, tout en reconnaissant l’ingéniosité surprenante des nations occidentales, n’en posera pas moins la question : “Toutes ces merveilles rendent-elles les gens plus heureux ?” Il est difficile de répondre à pareille question. Beaucoup se la posent. Tous sont dans le brouillard du doute. Sur une chose, en revanche, je n’ai aucun doute : grâce aux machines et à la science, les hommes peuvent accomplir en une vie ce qui, sans elles, en demanderait vingt, de sorte que c’est comme s’ils vivaient vingt vies. […] Mais, mon honorable frère demandera encore : “Un homme est-il plus heureux lorsque ses jours sont multipliés par vingt ? Ne court-il pas au-devant des difficultés, en rendant la vie si compliquée ? Que font les dix-neuf hommes pendant qu’un seul, avec une machine, accomplit leur travail ?” À cela, je répondrai que je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que le genre humain progresse dans la connaissance. Et que ceux qui ne suivent pas le rythme des nations les plus avancées se retrouvent victimes de ces nations, comme nous l’avons été. Qu’est-ce que le bonheur ? En tout cas, ce n’est pas le bonheur d’être soumis à la volonté d’étrangers, et spolié de son territoire. Pour être heureux, il faut être fort, pour être fort, il faut disposer de richesses. Avec des richesses, il est possible de s’armer afin de se défendre et d’être respecté. C’est pourquoi nous devons recourir aux moyens occidentaux, aux machines et à la science, qui produisent les richesses et donnent du pouvoir[1]. »

La pointe avancée de la technologie

Hwuy-Ung prend acte d’un changement de régime de la technique – dont il me semble indiqué de rendre compte en mettant à profit le doublet lexical technique/technologie. À partir du XIXe siècle, la combinaison entre le programme de déchiffrement de la nature, lancé en Europe au XVIIe, et le capitalisme, initie un déferlement technologique – où, par technologie, il faut entendre des modes de conception et de production issus et solidaires du logos scientifique. Autre façon de le dire : la technologie est cette part de la technique qui n’existerait pas sans la science moderne. Il se trouve que, depuis son apparition, et dans une mesure sans cesse croissante, la technologie est devenue une source incomparable de puissance. Au XVIe siècle, la Chine n’avait techniquement rien à envier à l’Europe. Au XIXe, les puissances occidentales furent en mesure d’imposer à la Chine les traités inégaux. La période qui s’étend de la première guerre de l’opium, déclenchée en 1839, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, est qualifiée en Chine de « siècle de l’humiliation ». Depuis lors, les dirigeants chinois s’accordent avec Hwuy-Ung sur la conviction que la Chine, pour ne pas être « soumise à la volonté d’étrangers et spoliée de son territoire », doit « recourir aux moyens occidentaux, aux machines et à la science, qui produisent les richesses et donnent du pouvoir ». Aujourd’hui, ce qu’on appelle l’intelligence artificielle est une pointe avancée de la technologie. Qui ne la maîtrise pas s’expose à un sort comparable à celui que connurent les contrées qui, au XIXe siècle, n’avaient que des sabres et des arcs à opposer aux fusils et aux canons.

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À cette nécessité, on pourrait en ajouter une autre : dans la « jungle numérique » où une part croissante de l’humanité est amenée à évoluer, l’intelligence artificielle devient de plus en plus indispensable pour frayer son chemin. Sans elle, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur.

La seconde citation est extraite du roman Blanche ou l’Oubli de Louis Aragon.

« Les hommes et les femmes que je vois dans les lieux publics marchent comme des paniers vides. […] Tout se passe comme si l’on avait mis ses idées à la banque, retiré des bijoux aussitôt enfermés dans des coffres à serrures compliquées. Cette humanité ne se défend plus contre l’oubli puisque, ce qu’elle aurait pu oublier, elle en a simplement fait dépôt. Nous ne sommes plus ces trouvères qui portaient en eux tous les chants passés, à quoi bon, depuis que l’on inventa les bibliothèques ? Et cela n’est rien : l’écriture, l’imprimerie n’étaient encore qu’inventions enfantines auprès des mémoires modernes, des machines qui mettent la pensée sur un fil ou le chant, et les calculs. On n’a plus besoin de se souvenir du moment que les machines le font pour nous : comme ces ascenseurs où dix voyageurs appuient au hasard des boutons, pour commander désordonnément l’arrêt d’étages divers, et l’intelligence construite rétablit l’ordre des mouvements à exécuter, ne se trompe jamais. Ici l’erreur est impensable et donc repos nous est donné de cette complication du souvenir. Ici le progrès réside moins dans l’habileté du robot, que dans la démission de celui qui s’en sert. J’ai enfin acquis le droit à l’oubli. Mais ce progrès qui me prive d’une fonction peu à peu m’amène à en perdre l’organe. Plus l’ingéniosité de l’homme sera grande, plus l’homme sera démuni des outils physiologiques de l’ingéniosité. Ses esclaves de fer et de fil atteindront une perfection que l’homme de chair n’a jamais connue, tandis que celui-ci progressivement retournera vers l’amibe. Il va s’oublier[2]. »

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Avec l’intelligence artificielle, dont la commande des ascenseurs n’était qu’une infime ébauche, le processus décrit par Aragon, où le « progrès qui me prive d’une fonction peu à peu m’amène à en perdre l’organe », menace de s’emballer. Avec, en perspective, des populations d’amibes humanoïdes, incapables de faire quoi que ce soit sans les indications fournies par la machine. (Certes, il n’y a pas que des inconvénients. Il ressort des réponses de ChatGPT à un questionnaire de positionnement politique qui lui a été soumis que l’agent conversationnel « a le profil d’un Californien libéral mainstream et pragmatique », très favorable au multiculturalisme, à l’accueil des migrants ou aux droits des minorités, et que, s’il était inscrit sur les listes électorales en France, il « voterait vraisemblablement Macron, Mélenchon ou Hamon[3] ». Avec le règne du chatbot d’OpenAI, le spectre de l’extrême droite serait ainsi écarté.)

Se faire distancer, le grand péril

Voici donc, en résumé, la situation. D’un côté, Charybde : la perspective de se voir écraser par ceux qui nous auraient distancés dans la course technologique. C’est le risque externe. De l’autre côté, Scylla : la perspective d’un évidement des hommes, au fur et à mesure que la technologie atrophie les facultés naturelles en marginalisant leur exercice et en s’y substituant. C’est le risque interne. Qui n’a rien d’un fantasme. D’après une étude relayée par la Fédération française de cardiologie, les capacités physiques moyennes des adolescents ont décru d’un quart en quarante ans. En Amérique, l’armée est obligée d’élever considérablement la masse graisseuse autorisée pour ses recrues sous peine d’être à court d’effectifs. Le QI moyen dans les pays occidentaux baisse depuis vingt ans. Le transfert de l’intelligence des hommes aux machines est en cours – jusqu’au point où il sera difficile de trouver assez d’humains pourvus de suffisamment d’intelligence pour concevoir lesdites machines.

Une solution au dilemme, entre impératif technologique pour la puissance, et régression humaine du fait de la technologie, serait de réserver le recours aux technologies les plus sophistiquées, et en particulier l’intelligence artificielle, aux seuls enjeux de puissance, et de préserver de leur emprise le reste des activités humaines. Pareille solution se révèle impraticable. Le développement technologique nécessite en effet des investissements colossaux, dont seule une diffusion sur de larges marchés est à même de permettre le financement. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’économie duale, d’entreprises duales, de technologies duales pour désigner l’intrication du civil et du militaire – le militaire a en permanence besoin que le civil l’alimente en idées et en capitaux.

Johan Heinrich Füssli, Ulysse face à Charybde et Scylla, vers 1795. ©Wikimédia

Perdre avec dignité…

À défaut de limiter l’emprise technologique, au moins pourrait-on veiller à ce que la jeunesse y soit le moins possible exposée, le temps qu’enfants et adolescents développent pleinement leurs facultés, grâce auxquelles ils seraient en mesure de faire ensuite un usage intelligent des ressources que la technologie met à notre disposition. Je me rappelle Michel Serres qui, lors d’une conférence, s’émerveillait du fait que, lorsqu’un vers de l’Énéide lui revenait en tête, la localisation exacte de ce vers dans l’œuvre, qui naguère aurait réclamé une longue recherche, était donnée quasi instantanément par Google. Ce qui semblait tout à fait échapper à Michel Serres, c’est que son goût pour Virgile s’était formé dans une jeunesse sans smartphone, et que l’usage qu’il faisait de Google pour retrouver un vers de l’Énéide demeurerait toujours étranger à quelqu’un ayant grandi en symbiose avec les « applications mobiles », et maintenant l’agent conversationnel ChatGPT. Les dirigeants chinois sont conscients du caractère intellectuellement destructeur de ce qui est diffusé par un réseau comme TikTok. C’est pourquoi, au sein des frontières nationales, l’exposition des jeunes à ce type de réseaux est contrôlée en durée et limitée par un couvre-feu, tandis que, dans une sorte de guerre de l’opium inversée, le stupéfiant TikTok est libéralement diffusé à l’extérieur. En Occident, des cadres de la Silicon Valley, tels des Pablo Escobar interdisant la consommation de cocaïne à leurs proches, envoient leurs enfants dans des écoles tech-free. Leurs rejetons, au moins, ne feront pas faire leurs devoirs par ChatGPT. Ils seront d’autant plus capables de tirer un bon parti de l’intelligence artificielle que leur éducation les en aura tenus à l’écart. Peut-être faut-il voir ici l’ébauche actualisée de ce qu’envisageait Nietzsche – une scission de l’humanité entre une petite caste d’êtres supérieurs, maîtresse de la technologie, et les « superflus », les « beaucoup trop nombreux », destinés à être expédiés dans le métavers, et ayant délégué la tâche et la capacité de penser à l’intelligence artificielle. Cela étant, il apparaît douteux, au train où vont les choses, que la caste supérieure trouve encore longtemps assez de personnes capables d’assurer dans toutes ses strates un fonctionnement correct du système. Parmi les ressources qui s’épuisent figurent, en bonne place, les ressources intellectuelles.

Les prévisions sur le développement de l’intelligence artificielle reposent sur le prolongement de courbes, selon des tendances dont rien n’assure qu’elles se maintiennent durablement et dont divers indices, d’ordre matériel, économique, humain, font plutôt douter de la pérennité. Si jamais la trajectoire venait, non seulement à s’infléchir, mais à se briser, il est clair que les moins avancés dans le devenir-amibe se trouveraient subitement posséder un avantage considérable. En cas de panne de réseau, le QCIA, « quotient de complémentarité avec l’IA », dont Laurent Alexandre prédit qu’il deviendra « le nouveau standard de référence », perd tout intérêt. Si jamais, à l’inverse, le salut en ce monde passait par un abandon total à l’artificiel, resterait que le premier devoir d’un homme n’est pas de gagner, mais de mener une vie humaine. Comme le disait Moussa Sissoko, à la mi-temps de la finale de la Coupe de France de football où son équipe était menée quatre buts à zéro, pour appeler ses coéquipiers à ne pas flancher : « C’est une finale, donc même si on perd, il faut perdre avec dignité. »

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[1] Lettre du 13 mars 1900, dans Hwuy-Ung, A Chinaman’s Opinion of Us and of His Own Country (trad. John A. Makepeace), Chatto & Windus, Londres, 1927, pp. 44-46.

[2] Blanche ou l’Oubli (1967), « Folio », Gallimard, 1995, p. 154.

[3] Clément Pétreault, « Woke ou réac ? Pour qui vote ChatGPT », Le Point, 27 janvier 2023.

Les digressions républicaines d’Emmanuel Macron

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Emmanuel Macron à Bern, en Suisse, le 15 novembre 2023 © Peter Schneider/AP/SIPA

Rien de concret ni d’opératoire n’est sorti des « rencontres de Saint-Denis », vendredi 17 novembre. Manuel Bompard (LFI), Eric Ciotti (LR) et Olivier Faure (Parti Socialiste), en ne s’y rendant pas, ont au moins échappé à dix heures de « Moi je, président » ! Avec ses monologues brillants, le président Macron n’est pas près de résoudre notre crise démocratique.


On ne comprendra jamais rien aux hommes de pouvoir si on fait l’impasse sur la psychologie, au prétexte que ces ressorts intimes seraient indignes des enjeux politiques. Je crois que, pour notre président de la République, refuser de s’attacher à ce qui le meut profondément serait se priver d’une lumière essentielle. Emmanuel Macron, avec une obstination rare, a mis en place, contraint ou libre, une série de dispositifs et de processus dans les marges d’une démocratie classique caractérisée par le lien organique entre pouvoir présidentiel, gouvernement et délibération parlementaire (fortement réduite depuis la déconvenue de la majorité relative).

La France a un incroyable talent

Ce qu’on n’a pas assez remarqué, me semble-t-il, est que l’imagination du président l’a conduit à multiplier ce que l’on pourrait nommer des digressions républicaines, rendez-vous avec des intellectuels, Conseil national de la refondation, entretiens de Saint-Denis (ceux-ci amputés, mais une réunion « marathon » vient d’avoir lieu), grand débat national pour reprendre la main avec les gilets jaunes, contacts au plus proche et parfois risqués avec les citoyens : une série d’événements qui avaient tous pour dénominateur commun l’étoile présidentielle. Avec, à chaque fois, un Emmanuel Macron parlant plus qu’il n’écoute, monologuant brillamment, impressionnant par sa maîtrise des dossiers, sa mémoire et sa résistance. Ainsi mis en valeur, placé au centre de l’attention, souvent de l’admiration, de la part même de ses adversaires applaudissant « l’artiste » dans ces exercices très divers. Suscitant des critiques de ceux ayant accepté de venir parce qu’ils espéraient pouvoir s’exprimer, approuver ou contredire mais réduits en définitive à être des faire-valoir. Il y a là un narcissisme politique qui place l’illustration d’Emmanuel Macron au premier plan. Le ressort fondamental de ces surprenants épisodes, en périphérie de la République à laquelle les présidents précédents nous avaient habitués, est la certitude que leur inventeur a d’être au sommet dans ces configurations. Pour être atypiques, même superfétatoires, elles lui offrent l’avantage de dominer, de séduire, de réserver la portion congrue aux autres et de se donner à bon compte la réputation, mais usurpée, d’un homme de dialogue. S’il le propose, il fait en sorte de s’en passer.

A lire aussi : Les contorsions d’Emmanuel Macron

Il n’échange pas avec autrui dans ces joutes apparentes, il se donne en spectacle, il est le spectacle. La preuve irréfutable de cette réduction collective à lui-même est que jamais rien de concret ni d’opératoire ne surgit de ces moments puisqu’ils n’ont pour seule finalité que de projeter la lumière sur le président. Par exemple aucune avancée à Saint-Denis mais dix heures de personnalisation.

Désinvolture

En ce sens, je ne peux qu’approuver son épouse qui lui prête des qualités exceptionnelles (dans un entretien avec Catherine Nay pour Paris Match[1]). Elles sont en effet indiscutables et il n’a pour ambition que de les montrer, de les faire valoir, d’innover pour les exposer, alors que la démocratie classique, avec ses rythmes classiques et ses règles ordinaires, ne le passionne pas : sa banalité ne correspond pas à son désir d’éclabousser de sa classe ceux qui le voient, ceux qui l’écoutent.

Je n’ai jamais perçu un président plus indifférent à tout ce qui n’est pas une éclatante manifestation de lui-même. D’où ce sentiment qui ne m’a jamais quitté : Emmanuel Macron se moque de tout et presque de tous sauf de lui-même. Il ne fait que ce qui lui plaît. Comme une sorte de désinvolture royale. Qui répudie, qui garde, qui « blanchit ». Qui invente. Qui se fabrique pour se plaire et plaire. Après moi, ce sera le calme plat !

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[1] https://www.parismatch.com/actu/politique/brigitte-macron-jai-linfluence-quune-femme-peut-avoir-sur-son-mari-231620

Pays-Bas: la revanche de Wilders?

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Geert Wilders, le président du Parti pour la Liberté, à Wassenaar, au nord de la Haye © PPE/Beijersbergen/SIPA

Mercredi qui vient, les élections législatives auront lieu aux Pays-Bas, et un certain consensus se dégage concernant l’immigration, malgré quelques renoncements et les indignations de mise. Tour d’horizon des candidats en présence, des sondages et des prévisions.


Question de priorité

Amsterdam. Le suspense règne avant les élections législatives aux Pays-Bas de mercredi 22 novembre. Un des derniers sondages place le vétéran anti-immigration, Geert Wilders, au coude-à-coude avec la fille d’immigrés turcs Dilan Yesilgöz. Pour gagner en crédibilité gouvernementale, M. Wilders a mis un bémol aux exigences posées par d’autres pour former une coalition gouvernementale avec lui. Parmi elles, la fermeture des mosquées et des écoles coraniques, l’interdiction du Coran et du port du voile islamique. Son projet pour une sortie de l’Union européenne, projet particulièrement honni, a également été renvoyé aux calendes grecques. Tous ces thèmes restent dans l’ADN de son Parti pour la Liberté (PVV), a-t-il assuré en pleine campagne électorale. Mais, étant donné l’urgence absolue de freiner l’immigration extra-européenne, ils attendront.

Dilan Yesilgöz avec le Roi, La Haye, 8 février 2022 © Shutterstock/SIPA

Les PVV et VVD en tête ?

M. Wilders « courtise » ainsi Mme Yesilgöz, 46 ans, du Parti Populaire pour la Liberté et la Democratie (VVD), qui ne l’a pas exclu a priori comme partenaire, contrairement à l’ex-Premier ministre Mark Rutte qu’elle aspire à remplacer. Selon un des derniers sondages avant le scrutin, PVV et VVD viendraient en tête avec 22 sièges chacun dans la Chambre basse du Parlement, qui en compte 150.

À la veille de ce sondage, publié le samedi 18 novembre, M. Wilders, âgé de 60 ans, devait encore se contenter de la quatrième place, loin derrière Mme Yesilgöz, talonnée à son tour par le centriste Pieter Omtzigt et le socialiste Frans Timmermans.

Le NCS partait pourtant favori

Et dire qu’au début de la campagne électorale, M. Omtzigt, et son parti flambant neuf Nouveau Contrat Social (NSC), étaient encore les grands favoris des sondages ! Cet ancien député du parti chrétien-democrate CDA séduisait les électeurs par sa « révolte du centre », un savant mélange de gauche en matière économique et sociale, et de droite sur l’immigration. Dernièrement, son étoile commençait à faiblir quelque peu, du fait, notamment, de son refus de dire s’il serait Premier ministre au cas où son parti remporterait le scrutin. M. Omtzigt, homme discret et austère, préférerait visiblement, dans ce cas, rester député et président de son groupe parlementaire.

Révolte du monde rural mais personnalités trop discrètes

La même révolte du centre, selon une analyse du journal NRC, avait projeté Caroline van der Plas sur le devant de la scène comme présidente d’un nouveau venu, le Mouvement Agriculteurs et Citoyens (BBB). Ce parti remporta même les élections provinciales en mars dernier, du fait,  notamment, de la révolte du monde rural contre les réductions drastiques des émissions d’azote imposées par le gouvernement. Rappelons que Mme Van der Plas et M. Omtzigt, 49 ans, ont en commun d’être des « provinciaux » de l’est du pays, issus de la démocratie chrétiennne, unis contre la prétendue arrogance des technocrates des grandes villes de l’Ouest, et désireux de conserver les identités des régions. Mme Van der Plas, 56 ans, aime utiliser des mots puisés dans les dialectes d’un peu partout dans le royaume. Mais, elle aussi, a vu sa popularité se réduire du fait de son peu d’ambition, voulant rester, comme M. Omtzigt, en coulisse. Ces deux politiciens atypiques, anti-établissement sans être des rebelles, partagent une certaine nostalgie des Pays-Bas d’antan, quand l’Etat-providence n’était pas encore entamé par le néo-libéralisme, quand l’immigration de masse, à laquelle ils s’opposent, n’avait pas encore changé la physionomie du pays.

Caroline van der Plas D.R.

Consensus et cris d’orfraie

Comme c’est étrange, ce quasi-consensus sur un sujet longtemps resté “tabou” non seulement pour la gauche, mais également pour la droite modérée dirigée par Mark Rutte, qui, après 13 ans de règne ininterrompu, annonça son retrait de la politique en juin dernier. C’était quelques jours après la chute de sa coalition quadripartite bringuebalante sur un projet limitant modestement le regroupement familial. Pour ses partenaires de centre-gauche, c’était encore trop. Mme Yesilgöz, ministre de la Justice, se proclama candidate Première ministre, entama un virage à droite et refusa de frapper M. Wilders d’ostracisme. Sur ce, le candidat de l’union Groen/Links, entre socialistes et Verts, M. Frans Timmermans, poussa des cris d’orfraie. Mme Yesilgöz serait coupable de « rapprochement avec l’extrême droite ». Après quoi cet ancien commissaire européen de 62 ans commença à stagner dans les sondages qu’il avait un moment dominés. Ses quatre principaux concurrents lui reprochent sa “mollesse” sur le terrain de l’immigration, que ses alliés Verts considèrent comme miné par des racistes xénophobes, si ce n’est l’inverse. Pas de vagues, donc.

Des remous en tous genres…

Pendant la campagne électorale, l’actualité favorisait M. Wilders quand la télévision publique et d’autres médias dévoilaient les malheurs des Néerlandais vivant à proximité de centres de réfugiés. Plusieurs citoyens avaient formé des “milices” pour lutter contre les fréquents larcins, vols, atteintes à l’ordre public, menaces, exhibitionnisme, maltraitance de chauffeurs de bus, cambriolages, vols dans des voitures, conduite machiste envers les jeunes filles, défécations dans les jardins… Les valeureux habitants qui osèrent manifester leur mécontentement se firent traiter de racistes.

… et de bien curieuses priorités

Un autre tabou tomba: celui qui établit un lien entre immigration et pénurie de logements, véritable fléau dans le pays. A un moment donné, la ville d’Utrecht avait eu recours à la préférence étrangère. Des demandeurs d’asile régularisés étaient temporairement prioritaires dans l’attribution de logements sociaux. Les Néerlandais qui avaient passé des années sur les listes d’attente étaient priés de patienter encore un peu. Selon des autorités embarrassées, les centres d’accueil de réfugiés étaient pleins à craquer avec des régularisés ayant droit à un logement. Aidez-nous d’abord à délester les centres, chers Néerlandais, votre tour viendra, un jour, peut-être… C’était le signe d’un sursaut national, constata l’autre jour un observateur dans le journal NRC. Il était grand temps de ne plus considérer l’immigration provenant du tiers-monde comme un phénomène naturel, mais de la restreindre dans un pays surpeuplé qui n’en peut plus. C’est le souhait, selon un récent sondage, de deux-tiers des Néerlandais. Raison pour laquelle, en campagne, M. Wilders aime-t-il citer ce sondage, preuve qu’il a eu raison avant tous ses concurrents et qu’il mériterait peut-être de codiriger le pays.

Ces pacifistes qui refusent de «prendre parti»

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Marche pour la paix, Paris, 19 novembre 2023 © ISA HARSIN/SIPA

Face à l’islamisme, le pacifisme est une lâcheté française, s’indigne notre chroniqueur


La lâcheté française a un visage : celui, satisfait, des pacifistes. Dimanche, ceux-ci s’étaient rassemblés à Paris pour une Marche pour la paix, organisée à l’initiative de 500 personnalités de la culture et du show-biz. Le défilé, qui appelait à ressouder les liens entre Juifs et Musulmans, Israéliens et Palestiniens, a été suivi par quelques milliers de personnes, très majoritairement blanches et âgées, agitant les drapeaux blancs de la paix, mais aussi de la reddition. Une grande banderole blanche et muette ouvrait la manifestation, silencieuse et prudente.

Capitulards

La France diversitaire, invitée au dialogue par ce monde tremblotant de pétitionnaires progressistes, n’était pas présente. La ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, qui s’était jointe au cortège, a déclaré pour sa part : « Arrêtons les injonctions de prendre partie ». Voici donc pourquoi cette France vieillissante personnifie la lâcheté : elle refuse de choisir son camp et de désigner l’ennemi. Au prétexte légitime de ne pas opposer inutilement l’Islam et l’Occident, les belles âmes ne feront rien pour contrarier l’islamisme et son projet de conquête. L’esprit munichois habite les faux gentils. Ils ne voient pas l’urgence d’avoir à résister à l’islamisme, ce totalitarisme qui emprunte au communisme sa révolution des dominés et au nazisme son suprémacisme de l’homme supérieur. L’islam djihadiste n’a rien à craindre de ces capitulards.

À lire aussi, les carnets d’Ivan Rioufol: Capitulations et traîtrises ont assez duré

Le « vivre-ensemble » serait-il plus important que nos otages ?

Mais la lâcheté ne se réduit pas à la caricature de cet univers éthéré, incapable d’énoncer une seule idée audacieuse de peur de flétrir sa réputation. Le silence du monde intellectuel et médiatique sur le sort des huit otages franco-israéliens est également assourdissant. Hormis CNews, qui rappelle désormais régulièrement les visages des victimes du Hamas, et Le Parisien Dimanche, qui titrait hier sous leurs portraits : « Ne les oublions pas ! », l’indifférence est la règle[1].

Pire : les photos placardées dans les rues sont souvent arrachées par des militants de la cause palestinienne qui croient y voir une propagande d’Israël. Le non-dit est, au prétexte de rester neutre dans le conflit, de ne pas soutenir l’État hébreu dans son combat pour sa survie. Mais ce choix de la débandade ne fait qu’asseoir la stratégie de la terreur abjecte du Hamas. Qui, pour résister à l’infiltration sophistiquée des Frères musulmans et à leur subversion des esprits les plus malléables ?

Ce lundi, la presse somnolente n’évoquait qu’à la marge l’attaque commise dans la nuit de samedi à dimanche contre les participants à une fête de village à Crépol (Drôme). Un jeune rugbyman, Thomas, a été tué au couteau et quinze autres ont été blessés par des « jeunes » venus probablement du quartier de La Monnaie, à Romans-sur-Isère. Alors que le « vivre ensemble » vole en éclats, la couardise médiatique s’empêche encore de décrire ces deux France qui se détestent, se séparent et deviennent irréconciliables. Cette lâcheté est mortelle pour la France.


[1] Notre chroniqueur oublie Elisabeth Lévy ! NDLR -> https://www.causeur.fr/n-oublions-pas-ces-huit-noms-otages-francais-gaza-269507

Quand Trump commence à croire les sondeurs

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Donald Trump pose avec une policière dans le Texas, le 19 novembre 2023. © Eric Gay/AP/SIPA

Un an avant l’élection présidentielle américaine, les sondages montrent qu’un match retour opposant Trump et Biden est très probable, tout comme la victoire de l’homme d’affaires…


À un an de l’élection présidentielle américaine, tout porte à croire que Trump et Biden vont répéter leur affrontement de 2020. Si cette perspective n’enchante guère outre-Atlantique, il est peu probable que nous échappions à leurs candidatures respectives. Pourtant, cette élection pourrait ne pas être une simple copie de celle d’il y a quatre ans, avec une issue différente. En effet, à moins d’un an de l’élection, Donald Trump est le grand favori.

Vers un scenario similaire à 2020

Joe Biden et Donald Trump sont les mieux placés dans leurs camps respectifs pour remporter l’investiture et se présenter à l’élection présidentielle de novembre 2024. Pour Biden, le suspense était inexistant et il était acquis que le président sortant allait de nouveau défendre les couleurs du parti démocrate. La candidature de Robert Kennedy Jr. à la primaire démocrate ne trompait personne tant elle était vouée à l’échec, mais avec le retrait de celui-ci, Biden a désormais le champ libre. De son côté, Trump fait également la course en tête chez les Républicains et Ron DeSantis, qui semblait pouvoir inquiéter l’ancien président, s’est effondré dans les sondages ces derniers mois. Ainsi, plus de 60% des sympathisants des deux partis historiques veulent voir Trump et Biden se présenter à l’élection présidentielle, ce qui confirme qu’ils se sont imposés comme les meilleurs candidats.

Ron DeSantis à Sioux Center (Iowa), 13 mai 2023 © Charlie Neibergall/AP/SIPA

Pour autant, si Biden et Trump ont réussi à s’imposer dans leur camp respectif, les Américains ne veulent pas voir l’affrontement de 2020 se répéter. Un sondage récent de la chaîne CNN montre que seulement 36% des Américains veulent assister à un match retour entre Trump et Biden. Il y a quelques jours, c’est David Axelrod, ancien conseiller spécial de Barack Obama, qui a remis en question la candidature de Biden pointant du doigt les mauvais sondages. Trump ne fait pas non plus l’unanimité chez les Américains ou dans son propre camp (notamment dans l’establishment) car il est vu comme trop clivant et extrême. Malgré ce rejet et faute d’alternative, il semble que nous nous dirigeons vers une répétition de 2020.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Biden peut-il perdre en 2024 à cause du vote musulman?

Mais de nombreuses différences avec 2020

La prochaine élection présidentielle va avoir lieu dans des conditions bien différentes de celle de 2020 sur les plans politique, économique et géopolitique. La pandémie de coronavirus avait empêché les deux candidats de faire campagne normalement en 2020, ce qui avait procuré un avantage à Biden. Ainsi, le Covid-19 ne sera plus un thème principal, ce qui forcera Biden à faire campagne et ne lui donnera plus un avantage précieux auprès des électeurs retraités qui avaient été effrayés par les prises de position de Trump sur la gestion de la crise. Économiquement, l’inflation durant le mandat de Biden a été a son plus haut depuis 40 ans, ce que ne manquera pas de pointer du doigt Trump. Ainsi, le pouvoir d’achat des ménages et notamment des classes moyennes et populaires s’est effondré. C’était déjà sur ce thème que les États de la Rust Belt avaient fui les Démocrates d’Hillary Clinton en 2016. Sur le plan géopolitique, la situation est pour le moins morose alors que les États-Unis sont engagés dans une guerre par procuration avec la Russie par le biais de l’Ukraine, que le pays soutient financièrement et matériellement. Alors que cette aide est déjà de plus en plus remise en cause par les Américains, s’est ajouté le soutien à l’allié historique israélien victime d’atrocités de la part du Hamas.

A lire aussi : Management antiraciste

L’élection de 2024 va vraisemblablement se jouer sur des thèmes annexes, loin d’être politiques. Tout d’abord, l’âge avancé des deux candidats devrait vraisemblablement faire couler beaucoup d’encre et surtout servir d’argument. Ainsi, Robert Kennedy qui est beaucoup plus jeune que ses opposants, insiste sur sa jeunesse pour plaire aux électeurs. Trump n’a lui aucun remord à se moquer d’un Biden jugé gâteux et incapable d’assurer ses fonctions. Les affaires judiciaires de Trump vont aussi faire énormément parler et les Démocrates vont à coup sûr s’en donner à cœur joie pour décrédibiliser leur adversaire. Les ennuis de Hunter Biden, fils du président sortant, pourraient également servir d’argument durant la campagne alors que celui-ci est sous le coup d’une enquête pour ses agissements en Ukraine. Enfin, l’élection de 2024 pourrait voir un troisième homme, en la personne de RFK, neveu complotiste de l’ancien président, remporter plus de 15% des voix au niveau national, une première depuis 1992.

Devant cette pagaille, peut-on dire que Trump est favori ?

Donald Trump semble mieux parti que Biden pour l’emporter en 2024. Un récent sondage commandé par le New York Times a montré que l’ancien locataire de la Maison-Blanche était en mesure de l’emporter au Nevada, en Arizona, au Michigan, en Géorgie ou en Pennsylvanie. Donald Trump emporterait ces états clefs qui se sont régulièrement montrés décisifs lors des dernières élections, avec une large avance alors qu’ils avaient préféré Biden en 2020. D’un côté, ce signal est inquiétant pour Joe Biden car il perd ces États clés par un large écart, bien au-delà de la marge d’erreur. De l’autre côté, les sondages en 2016 et 2020 avaient toujours surestimé le vote démocrate, ce qui pourrait signifier que le mécontentement envers l’actuel locataire de la Maison Blanche est encore plus important que ce que mesurent actuellement les enquêtes d’opinion.

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Précisément, les enquêtes révèlent un changement de mentalité aux États-Unis qui pourrait traduire l’échec de la stratégie des partis de gauche en faveur des « minorités ». Tout d’abord, le vote des jeunes qui est traditionnellement favorable aux démocrates, le serait beaucoup moins en 2024 que par le passé. Ensuite, ce que l’on appelle le « gender gap » soit la différence entre le vote féminin favorable au démocrate et le vote masculin favorable au républicain ne l’est plus dans la même proportion que dans la précédente élection. Ainsi, les femmes sont moins hostiles à Donald Trump ; qui enregistre toujours un soutien massif des hommes. Enfin, le vote des « minorités » hispaniques et afro-américaines poursuit la même tendance que lors de la précédente élection de 2020. En effet, les « minorités » votent de moins en moins automatiquement pour les démocrates et Donald Trump devrait battre le record de suffrages obtenus par un candidat républicain (qui appartenait déjà à Trump en 2020) auprès de « ces cibles électorales ».

Si le milliardaire semble être l’immense favori à un an de l’élection, de nombreux obstacles se dressent face à lui. La polarisation probable de la campagne autour des thèmes annexes à l’élection comme les affaires pourraient faire changer l’avis des modérés et des indécis qui bousculeraient l’élection. Autre indice d’incertitude : les candidatures possibles de deux personnalités d’envergure avec Robert Kennedy et Cornel West. Ces candidats supplémentaires pourraient, à défaut de rivaliser pour la première place, faire tomber les deux grands rivaux.


William Thay, Politologue et fondateur du Milllénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaire, spécialiste des questions européennes et internationales.

La Corse, un «safe space» pour les juifs?

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Manifestation de soutien à Israël, Ajaccio (20), 12 octobre 2023. D.R.

« Des Juifs songent sérieusement à venir s’installer en Corse face à la recrudescence des actes antisémites en France. J’ai reçu une dizaine d’appels téléphoniques, rien que la semaine dernière », indique Levi Pinson, rabbin de Corse.


En juin dernier, des milliers de casseurs semaient le chaos dans plusieurs villes de France après la mort du jeune délinquant Nahel. La Corse fut la seule région française épargnée par les dégradations et les violences. Quelques mois plus tard, l’ile de beauté se distingue, de nouveau, du continent marqué par le développement d’un antisémitisme débridé. En Corse, pas une seule mezouza n’a été retirée, pas un seul patronyme n’a été effacé sur les boîtes aux lettres, pas une seule étoile de David ni de croix gammée n’a été taguée, pas un seul chant néonazi n’a été hurlé dans les transports en communs, pas un seul slogan anti israélien n’a été crié dans les rues ajacciennes par une foule brandissant des drapeaux palestiniens. En Corse, les synagogues d’Ajaccio, de Bastia et de Porto Vecchio n’ont pas été vandalisées, et les rabbins ne sont pas plus menacés de mort que les quatre à cinq cent membres de la communauté juive de corse.

Alors que les actes antisémites se propagent à une vitesse grand V sur le continent, la Corse s’honore à n’en compter pas un seul. L’île serait-elle la seule région de France, voire d’Europe, où les juifs peuvent vivre en sécurité, à tel point que des familles de confession juive vivant en métropole souhaitent s’y installer ? « Attention tout de même à ne pas trop idéaliser. Il y a comme partout des antisémites en Corse mais il y en a peu », relativise le président de l’association d’amitié corso-israélienne, « Terra Eretz Corsica Israël », Frédéric Joseph Bianchi avant d’ajouter que « la grande différence avec le continent est que l’antisémitisme n’ose pas se manifester : il ne trouve aucun relais dans la classe politique, et en Corse la notion de respect de l’autre reste encore fondamentalement très présente. »

La manif pro-Gaza fait un flop

Les Corses n’ont pas tergiversé pour soutenir Israël et le peuple juif comme en témoigne la manifestation du 12 octobre, organisée par l’association, à Ajaccio, qui a rassemblé 300 personnes, des Corses, juifs et non juifs, des élus. Des drapeaux corses et israéliens trônaient place Foch. En métropole, c’est plutôt le trouillomètre qui domine. À peine accroché aux frontons de certaines mairies que le drapeau d’Israël fut retiré. Comme à Strasbourg où il a tenu deux jours.

Depuis les attaques, Frédéric Joseph Bianchi a lancé un appel aux dons pour aider à la reconstruction des kibboutz détruits par les attaques du Hamas et prévoit une conférence sur l’antisémitisme dans les prochaines semaines.

A lire aussi, Philippe Delaroche: «Une sorte de nazi»: France Inter et l’hiver de l’humour

Les manifestations pro palestiniennes, quant à elles, ne prennent pas sur l’ile. Celle – unique – organisée, début novembre, à l’appel du PCF et de la CGT de Haute-Corse qui s’est tenue devant la préfecture de Bastia pour demander l’arrêt des bombardements sur Gaza, a rassemblé à peine trente personnes. Un flop. Un contraste saisissant avec la métropole où les manifestations rassemblent des dizaines de milliers de personnes qui, dissimulés derrière le paravent pacifique de l’appel au cessez-le-feu, crient leur haine d’Israël. Et pourtant, étant donné la part de population immigrée sur l’ile, la manifestation aurait pu prendre. Mais c’est bien mal connaitre l’ile que de le penser. Selon l’Insee, il y a environ 10% d’immigrés, notamment d’origine marocaine qui vivent en Corse.

La population musulmane priée d’être discrète

Mais voilà, la communauté maghrébine se tient à carreau. Ses membres savent bien que les Corses ne se laissent pas faire devant des revendications religieuses de l’islam radical – comme lors de l’affaire du burqini, en 2016, à Sisco – et qu’ils répliquent lorsque des délinquants s’en prennent aux représentants de la force légitime et de la préservation de la sécurité civile – comme lorsque les pompiers furent agressés dans le quartier des jardins de l’empereur, à Ajaccio. La population s’était alors sentie également blessée – toute famille corse comptant très souvent un pompier parmi ses membres – et était descendue dans la rue pour manifester son soutien, sa colère mais aussi pour mettre la pression sur les agresseurs issus de la communauté maghrébine. Bilan : 0 incident de ce genre depuis. Ce qui ne veut pas dire que la violence n’existe pas par ailleurs. La Corse reste une ile sauvage où la vendetta peut encore s’exercer et où la violence est souvent liée aux règlements de compte, notamment sur fond de trafic de drogue. Mais cette violence ne vient jamais frapper des « innocents ». Et, les insulaires ne vivent donc pas dans la peur de se faire agresser, violer, tuer comme c’est le cas sur le continent. Les femmes sont reines et les enfants sont rois. On n’y touche pas, ils sont sacrés comme les mœurs et la manière de vivre.

Mais si des juifs viennent s’installer en Corse, c’est aussi parce qu’il y a un lien historique et quasi existentiel qui les relie à l’île. Dans son dernier essai sur l’histoire de la Corse[1], paru début octobre, Paul-François Paoli rappelle que la Corse a été une terre d’accueil dans l’histoire pour le peuple du Livre. Lorsque le héros de l’indépendance de la Corse, Pascal Paoli, fonda le port de l’Ile Rousse en 1765, il fit venir des négociants juifs pour dynamiser l’économie insulaire grâce à leur savoir-faire dans l’art du commerce et des échanges. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Corses ont caché et protégé les juifs qui vivaient sur l’ile. Aucun n’a été déporté. Bravoure, sens de l’honneur et franchise composent le caractère des Corses qui exècrent au plus haut point la délation, la lâcheté et la traitrise. L’ile de beauté est ainsi devenue l’ile des « Justes ». Aujourd’hui, les Corses honorent leur statut une fois encore !

Mais, Frédéric Joseph Bianchi va un peu plus loin pour expliquer cette relation particulière qui unit les Corses aux juifs. « Les Corses et le peuple juif vivent sur deux terres qui dans l’histoire ont été occupées, la Corse par les Grecs, les Aragonais, la République de Pise, puis de Gènes avant de devenir française; Israël ce fut par les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Arabes, les Turcs et bien d’autres peuples jusqu’aux Anglais avant la création de l’Etat hébreu en 1948 ! » 

Pour le président de l’association Terra Eretz Corsica Israël, « cette identification mutuelle – les Corses se projetant dans le peuple juif et inversement – est l’un des moteurs de cette bienveillance réciproque. » À travers ce parallélisme historique, les Corses et les Juifs ont donc le sentiment de partager un même destin et un même rapport à la terre – terra en corse. Eretz, en hébreu, signifie une terre désirée comme promise et indépendante, une terre comprise comme patrie. Les Corses sont fiers de leur ile, de leurs racines, de leur identité et ne comprennent pas la façon dont les élites qui nous gouvernent ont instillé et développé la haine de ce qu’a été la France. C’est d’ailleurs pour cette raison que des Corses disent qu’ils ne se sentent plus français, et se replient sur leur identité corse. Tous les essais de Paul François Paoli analysent finement cette déception que ressentent les insulaires pour la France – autrefois admirée pour sa grandeur.

Les juifs partagent avec les Corses un rapport émotionnel à la terre, au sacré profane et religieux, à l’identité – on ne devient pas Corse, on nait Corse comme on nait juif – et un certain sens du courage. Les Corses sauront défendre ces derniers s’ils sont attaqués.

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[1] Une histoire de la Corse française, de Sampiero Corso à nos jours, p.66, Paul-François Paoli, Edition Tallandier

Flûte alors!

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© Vincent Pontet

Le cinéaste progressiste Cédric Klapisch s’essaie à l’opéra, avec La Flûte enchantée de Mozart. Nous sommes allés écouter.


Ce n’est pas sans curiosité qu’en ce mardi 14 novembre l’on se rendait au Théâtre des Champs-Elysées pour assister à la première de Die Zauberflöte : comme chacun sait, l’ultime opéra du divin Mozart, millésimé 1791. Car c’est aussi la première mise en scène lyrique du cinéaste de L’Auberge espagnole, Cédric Klapisch.  

Couac

On y allait sans a priori : les plus grands du septième art n’ont-ils pas tâté de l’opéra, parfois même avant que d’avoir tourné leur premier film, tel l’immense Luchino Visconti ? De Michael Haneke à Kirill Serebrennikov en passant par Patrice Chéreau, Ingmar Bergman, Benoît Jacquot ou Franco Zeffirelli, le flambeau est passé par des mains parfois baguées au sceau du génie.

Or c’est peu dire que la flamme vacille, ranimée à feu très bas par Cédric Klapisch : sous la baguette de François-Xavier Roch à la tête de sa formation « Les Siècles » censée magnifier les interprétations sur instruments d’époque, ça commence par un couac bizarre du côté des cors, en plein milieu de l’ouverture de La flûte enchantée. Comme notre cinéaste a cru bon d’assaisonner son plateau d’un bruitage liminaire (le spectacle se verra ensuite grevé des sons variés de la nature, voire même, in extremis, des crépitements d’un incendie de forêt), on en était même venu à douter si le couac augural n’était pas intentionnel – une insolite ponctuation contemporaine fichée dans la partition ? La suite montrera que non : la battue (exagérément lente et piano) semble constamment hésiter entre esthétique baroqueuse et poussées de fièvre préromantique : on ne sait plus à quel parti pris orchestral se vouer.

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Entre en scène un Tamino plus rouge qu’une fleur de coquelicot, vêture criarde de pied en cap (et en cape), sous les traits du ténor Cyrille Dubois, habituellement de bonne facture vocale, mais son vibrato serré semble, avec le temps, devenu strident –  il chantait le rôle beaucoup mieux à la Bastille, il y a deux ans, dans la mise en scène autrement inspirée de Robert Carsen. Le baryton Florent Karrer, gallinacé à barbe rousse et à la voix grave, sa corpulence nappée d’un lourd plumage bigarré, ne remplace pas à son avantage, en Papageno, le bon Florian Sempey qui a déclaré forfait. Le sommet dans l’échec est tout de même atteint avec La Reine de la Nuit, laquelle dépare cette distribution essentiellement francophone, non tant en raison de son accent polonais (on ne saurait décemment en faire le reproche à la soprano Aleksandra Olczyk) que par une insuffisance avérée dans les vocalises, particulièrement dans les aigus. Il est entendu que le rôle, sur le plan technique, est en soi une performance de haut niveau. Reste que son vibrato, pesant, ébréché, criard, ne tirait de sa gorge qu’un nombre incalculable de fausses notes – on en était presque gêné pour elle.

© Vincent Pontet

Beaucoup trop loin du livret original

Quant à Catherine Trottmann, elle nous aurait fait une Papagena acceptable si Cedric Klaplisch, tout à son souci de « moderniser » Mozart, entre autres par des récitatifs en français (pourquoi pas ?), ne poussait la « traduction » jusqu’à lui faire dire, à la toute fin du deuxième acte : « t’as kiffé ? », à l’adresse d’un Papageno qui, lui, s’avouera carrément « gérontophile » devant celle qui a pris, comme le veut l’intrigue, l’apparence trompeuse d’une vieillarde. Heureusement, Papagena réagit : « Eh, faites gaffe ! Un peu de délicatesse pour les vieilles dames ». Voilà ce que lui fait répondre notre Klapisch, s’échappant sans vergogne du livret original d’Emmanuel Schikaneder. Goûtant décidément l’anachronisme au point de ne résister à aucune trivialité, au Premier ministre enjoignant Papageno de se « comporter comme un homme », Klapisch invente la réplique qui suit : « Cette injonction est tellement genrée. J’hallucine ! Hello, on est en 1791, mec ! Le monde a changé ! ». Il fallait tout de même oser.  L’« immonde » Monostatos à « l’emprise toxique » -sic- (campé par le baryton Marc Mauillon) apparaît de bout en bout nippé en lycra noir façon SM, torse tatoué. Pamina, à Papageno : « – il est amoureux ? ». Réponse : « –de ouf ! » Bref, vous l’aurez compris, l’idiome du 9-3 a pénétré Mozart.

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C’est sans aucun doute la propension à raccorder, à n’importe quel prix, la savante fantasmagorie de ce Singspiel ouvertement franc-maçon aux préoccupations woke, écologistes, environnementales, qui a poussé Cédric Klapisch, hors de tout recours au cinéma (à part la projection de vignettes animalières stylisées en noir et blanc créées par Stéphane Blanquet), à concevoir avec sa scénographe Clémence Bezat (jadis assistante de Richard Peduzzi, le décorateur attitré de Chéreau) un plateau qui conjuguera, dans un rapport à l’univers mozartien tout à la fois tendancieux, artificiel et illisible, une sorte de résille architecturée, transparente, ajourée ; des lianes torsadées, verticales, comme de la fibre connectique ; de longs et purs voilages blancs qui tombent des cintres ; un vaste papier peint en toile de fond montrant un paysage inviolé de forêt tropicale ; et pour finir le tableau géant, en fond de scène, de quelque improbable mégalopole futuriste traversée d’îlots arborés, semées de tours sans fin et de membranes immaculées flottant dans l’azur – la Ville de l’an 2000 comme on se la figurait en 1950…  Signés Stéphane Rolland et Pierre Martinez, les costumes renvoient à je ne sais quelle haute couture d’anticipation (longues traînes miroitantes, Reine de la Nuit casquée d’un énorme compotier en résille argentée, « initiés » nippés tels des bonzes du Népal, trois enfants solistes en chasubles rouges – mais pourquoi une fillette, parmi eux, et non point trois garçons, tout simplement, comme c’est la règle ?

© Vincent Pontet

Bref, l’impératif manifeste de plaquer sur l’esthétique mozartienne l’échantillonnage complet des problématiques en vogue – exigence écologique, sexisme, changement climatique, etc. – rend le propos assez lourdingue, subordonné qu’il est à ses intentions moralisantes. D’ailleurs Cédric Klapisch ne s’en cache même pas : il est là pour catéchiser. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’entretien avec Vincent Borel qui figure dans la brochure-programme : « Le livret de La Flûte, observe-t-il sans rire, a des aspects misogynes, sexistes et parfois racistes (sic). Ainsi, poursuit le cinéaste-metteur en scène, il m’apparaît impossible de conserver cela sans pointer du doigt des propos auxquels je ne peux adhérer. L’utilisation de l’humour et du deuxième degré a souvent été mon choix pour me moquer sciemment de ces passages délicats et aider à les contextualiser ».

Mozart n’a plus qu’à remercier Klapisch de le remettre dans le droit chemin, et nous avec. Il était temps.  

La Flûte enchantée/ Die Zauberflöte. Opéra/ Singspiel en deux actes de W.A. Mozart.
Direction François-Xavier Roth. Mise en scène Cédric Klapisch. Orchestre Les Siècles.
Théâtre des Champs-Elysées. Jusqu’au 24 novembre.

Le cas Gilles Verdez

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D.R.

L’agaçant chroniqueur de Cyril Hanouna a fait son dada de la défense des musulmans que d’odieux Français s’échineraient à vouloir assimiler.


Il y a un phénomène physique récurrent dont j’aimerais entretenir mon lecteur. Chaque fois que, par inadvertance ou par plaisir coupable, je visionne une séquence de l’émission Touche pas à mon poste, ma main est prise d’une irrésistible envie de balancer la télécommande contre l’écran dès qu’y apparait Gilles Verdez. En effet, dans cette émission, la palme de l’intervention la plus stupéfiante de niaiserie revient systématiquement à ce journaliste. Récemment, l’avocat Pierre Gentillet s’est confronté à la meute de chroniqueurs de Touche pas à mon poste au sujet de l’actualité de l’antisémitisme en France.

L’indignation pour seule argumentation

Cet article se propose de comprendre comment les opinions de la première bobo gauchiste aux cheveux verts venue se retrouvent dans la bouche d’un vieil homme aux cheveux blancs. À l’instar d’un Torquemada du vivre-ensemble, Gilles Verdez ne prend pas la peine de discuter les opinions qui ne plaident pas en faveur du communautarisme; il se contente de les mettre à l’index de sa morale du jour bricolée au doigt mouillé, en les déclarant inacceptables. Chez lui, l’indignation perpétuelle remplace la démonstration.

« Parler des radicalisés à l’école, c’est très bien, mais en réalité ça pose une question politique en amont qui est la question de la montée de l’islamisme et aussi de la question migratoire, dit Me Gentillet.
– Vous êtes en train de vriller. Bientôt, vous allez nous dire que c’est à cause des musulmans, répond Verdez. 
« Oui, c’est à cause des chrétiens aussi, sans doute ? lui réplique Gentillet.
– Ah, donc vous dites ça ? Voilà voilà, là vous vrillez… » finit par lui opposer Verdez, les yeux exorbités.

S’il ne s’était réellement converti, je dirais que sa religion est, non pas l’islam, mais la défense de l’islam[1]. Et pas n’importe quel type de défense, non. Une défense systématique, qui intervient à la base de tous ses raisonnements plutôt qu’au moment de leur conclusion. Gilles Verdez s’astreint à un exercice difficile : déconsidérer et attaquer par principe toute personne ou tout groupe de personnes dès l’instant qu’elles remettent en cause le modèle de société multiculturelle dont le seul bonheur qu’il retire est visiblement sa femme, tout en prêchant son adhésion aux principes normalement partagés de laïcité, de liberté d’expression ou de sécurité publique. Mais à l’impossible nul n’est tenu, et, pour parvenir à cette contorsion intellectuelle, le chroniqueur doit accepter de faire partie de la catégorie des hommes extraordinaires. Non pas ceux ont le pouvoir de changer la réalité; ceux qu’ils ont la faiblesse de l’ignorer.

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Amusant personnage

Gilles Verdez doit se résoudre à jouer le rôle d’un personnage qui se situe à mi-chemin entre la précieuse ridicule et le bourgeois gentilhomme, ce qui n’est pas sans élever l’émission de C8. Ainsi, par exemple, lorsqu’il s’offusque qu’on puisse constater l’implication de la communauté arabo-musulmane dans la délinquance urbaine, ou dans les actes d’antisémitisme perpétrés ces derniers temps étrangement en même temps que la réactivation d’un conflit qui oppose Juifs et… Arabes. C’est par cette sorte de négationnisme politique que ce brave chroniqueur participe, avec des gens comme Yassine Bellatar et autres infiltrés du communautarisme musulman, à la prospération d’une étrange ambiance en France, c’est-à-dire à la banalisation et à la normalisation de l’instauration d’un mode de vie arabisant sur le sol français, qui ne tire sa justification que du nombre de ses adeptes. Ce qui va de la langue au vêtement en passant par les considérations géopolitiques, je crains que la ligne 3 du métro parisien dans laquelle se sont fait entendre des chants antijuifs à l’initiative de nos futurs compatriotes ne s’en souvienne si Gilles Verdez l’a oublié.

Gilles Verdez confond peut-être sa vie privée avec les affaires publiques. Il croit que, s’étant converti lui-même à l’islam, la société française serait tenue de le faire aussi. Qu’aimant une femme de culture musulmane, et je ne l’en blâme pas, puisque moi aussi, la France devrait s’accommoder des mêmes contraintes qu’on trouve dans son ménage. Or voilà, deux individus peuvent faire bon ménage, pas deux peuples sur le même sol, et les agréments qu’on trouve au seuil de la chambre à coucher n’ont pas leur pareil passé le seuil de sa porte d’entrée. Gilles Verdez le saurait, s’il sortait quelquefois dans la rue ou s’il ouvrait plus souvent les yeux plutôt que sa grande bouche.


[1] https://www.midilibre.fr/2022/11/18/tpmp-je-vais-faire-mon-premier-ramadan-annonce-le-chroniqueur-gilles-verdez-10812456.php