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L’Aube, déjà au firmament

En à peine sept mois, Thibault Nizard a conquis les guides et les critiques et, le plus important, les clients aussi


L’Aube, déjà au firmament
Thibault et Élinor Nizard, un couple à la ville et en salle © Hannah Assouline

En sept mois, L’Aube s’est imposée parmi les grandes tables de la capitale. Avec passion et détermination, son jeune chef, Thibault Nizard, défend la tradition gastronomique française, de la cuisine jusqu’au service en salle. Une démonstration de l’excellence qu’il a reçue en héritage.


« Tradition, tradition et uniquement la tradition. Et surtout, le savoir-faire français ! » Qui ose s’exprimer en ces termes ? Thibault Nizard, 30 ans, tatoué de la tête aux pieds. Un chef surdoué. Depuis le mois d’avril, il est aux fourneaux de L’Aube, au Palais-Royal, un restaurant qu’il a eu le courage de créer ex-nihilo. Après avoir bénéficié de la confiance des banques – ce qui n’est pas rien –, il a su s’entourer pour lancer une formidable aventure collective. Sa petite brigade se compose de compagnons de route, des jeunes, comme lui, rencontrés dans les prestigieuses maisons dans lesquelles il a officié, telles Drouant et le 110 Taillevent. « On se connaît depuis huit ans, dix ans pour certains, remarque-t-il avec une certaine émotion. Mes équipes me font confiance et m’ont fait grandir. On a grandi ensemble, ils m’ont suivi et je les ai fait évoluer au fil de mes nominations. Je leur rends cette confiance au quotidien. » Cette aventure amicale se double d’une histoire d’amour : Élinor, qui dirige la salle, n’est autre que son épouse… Ça fait quoi, d’ailleurs, de travailler en couple ? « C’est spécial… Elle travaille dans la restauration depuis aussi longtemps que moi. Avant, on se voyait cinq à six heures par semaine, maintenant c’est vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Et c’est formidable. C’est la personne qui me connaît le mieux, qui est en salle pour expliquer mes plats, ma vision. Elle vit le restaurant autant que moi. C’est un état de symbiose. »

© Hannah Assouline

Cet épanouissement explique sûrement l’aisance avec laquelle se déroule chaque service. Dans la salle feutrée, entièrement repensée pour devenir « simple, chic et épurée », les regards convergent vers la cuisine ouverte. Le ballet des chefs est un spectacle qui ne peut lasser les amateurs. Fluidité des mouvements, précision des gestes… les assiettes sont dressées sur un îlot central sous l’œil du chef qui ajoute la dernière touche, la pointe de sauce, l’herbe fraîche qui parachève l’équilibre de la composition. Si l’épure est toute contemporaine, les plats, eux, s’inscrivent dans la longue tradition. Thibault Nizard est de haute noblesse gastronomique : saucier de formation ! À contrecourant de la déconstruction culinaire, il sait l’importance de l’héritage – en cuisine comme ailleurs. Il voue le même profond respect aux produits :« Lorsque j’annonce une daurade, je sers une daurade, non une ballotine qui ne ressemble à rien. Le poisson a une certaine forme, une certaine élégance que l’on doit retrouver dans l’assiette. Et l’on peut dire la même chose d’une tomate ! » ; comme envers les recettes de saison : « Je suis féru de chasse et de gibiers à plumes, j’adore ça ! Je les défends à ma table avec l’Oreiller de la belle Aurore, le faisan… C’est une cuisine qui me ressemble vraiment. Et en hiver, nous faisons nos charcuteries : rillettes, saucisses, foie gras… » Et bien sûr, le lièvre à la royale ! Thibault Nizard le sert en deux services, en médaillon (chairs finement hachées autour d’un cœur de foie gras), puis à la « sénateur Couteaux » (chairs effilochées). Ce plat riche et puissant en bouche, créé pour un Louis XIV édenté mais toujours friand de gibiers, retrouve à cette table une nouvelle jeunesse sans rien perdre de ses extraordinaires saveurs, ni même sa fabuleuse sauce au sang. C’est la touche Nizard. « Nous sommes en 2023, nous nous devons d’apporter une touche de modernité et de raffinement sans décevoir nos pairs qui nous ont appris à faire de bonnes sauces et de bons fonds ! »

Les cèpes, champignons de saison ! ©Hannah Assouline

On retrouve ce respect de la tradition jusque dans le « geste de salle », Thibault et Élinor Nizard étant attachés au service sur chariot à découpe et à flambage. « Vous trouverez toujours à la carte au moins un plat découpé ou flambé devant les clients, explique-t-il. Il est important de préserver ces gestes. Ces moments d’élégance et de prestige ne durent qu’une dizaine de minutes, mais demeurent comme un rite de passage. Et après des années cela m’impressionne encore ! On ne doit pas dénoter à cette belle tradition. » Ainsi nous permettent-ils de conclure un repas en contemplant avec des yeux d’enfants ces crêpes Suzette qui semblent s’animer après avoir été roulées dans le sirop d’orange puis flambées au Grand-Marnier.

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Crêpes Suzette flambées. © Hannah Assouline

Sans vin, il manquerait un pied à la grande table française. Cela ne risque pas d’arriver à L’Aube où le chef et son sommelier travaillent continuellement à améliorer une cave à la hauteur de la cuisine. « Nous avons actuellement 5 000 bouteilles et j’aimerais, à terme, arriver à 7 000 environ. Ma prédilection va aux vins du Rhône, mon sommelier apprécie davantage le bordelais… mais nous travaillons ensemble ! Nous accordons une grande importance aux accords mets-vins. Il a de toute façon carte blanche pour élaborer cette cave. Une cave est un travail de longue haleine. C’est aussi une histoire de rencontres, il faut aller à la rencontre des vignerons, connaître leurs vignobles. On peut ensuite raconter toute l’énergie, toute l’histoire qu’il y a dans une bouteille. Ça ne se fait pas en passant un coup de téléphone ! » Cette exigence, cet amour du métier ont d’ores et déjà été récompensés par le prix Lebey de la meilleure carte des vins de Paris 2023.

Un décor aussi feutré qu’épuré. ©Hannah Assouline

En à peine sept mois, Thibault Nizard a conquis les guides et les critiques et, le plus important, les clients aussi. Les habitués se comptent depuis l’ouverture, car il y a une promesse de L’Aube : le repas suivant sera aussi succulent que le précédent sans être identique, la carte évoluant au fil des semaines. L’élégance, la discrétion et l’attention du service, elles, ne varient pas. Le repas gastronomique français classé par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité trouve ici une ambassade, d’autant que, voisin immédiat de la Comédie-Française, le restaurant a été inspiré de proposer un service « après spectacle[1] ». Dans le temps, on appelait cela un souper !

L’Aube

10, rue de Richelieu,75001 Paris
Tél. : 01 42 44 00 60 www.laube-paris.com

Menus : 49 et 95 euros (déjeuner et dîner); 150 et 190 euros (dîner).


[1]. Sur réservation.

Novembre 2023 – Causeur #117

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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