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Raymond Aron, penser le déni

Le spectateur engagé est mort il y a quarante ans. En s’opposant à la doxa bien-pensante, cet intellectuel rationnel et clairvoyant a dénoncé l’aveuglement idéologique de la gauche. Alors que les diktats communistes d’hier sont devenus les injonctions wokes d’aujourd’hui, sa pensée est cruellement actuelle


Il y a quarante ans disparaissait Raymond Aron (mars 1905 – octobre 1983). Normalien et agrégé de philosophie, au temps où ces diplômes avaient une valeur, titulaire de la chaire « Sociologie de la civilisation moderne » au Collège de France à une époque où un esprit libéral pouvait être sociologue et aussi faire cours au Collège de France, trente ans éditorialiste au Figaro au temps où l’on achetait la presse écrite, spectateur engagé mais fantasmé en conseiller du prince quand il y avait encore des conseillers pour les princes et, surtout, des princes pour les conseillers, il fut l’un des esprits les plus remarquables de la France d’avant. Intellectuel anticonformiste, à la confluence des sciences sociales et politiques, de l’histoire et de la philosophie, il marqua une époque où certaines figures se pliaient encore à l’exigence de la conversation et où l’anticonformisme dénonçait l’aveuglement d’une intelligentsia communiste et communisante tout à sa construction fanatique ou complaisamment littéraire de la réalité.

Quand le réel ne s’expliquait pas par les ressentis

Cette époque est en grande partie révolue. Les intellectuels sont devenus des experts et la pensée s’est subdivisée en de multiples microspécialités étanches. La confluence des disciplines et des outils rationnels de compréhension du monde s’est muée en une convergence d’un nouveau type, l’intersectionnalité, carrefour pluridisciplinaire des ressentis et des jérémiades victimaires élevés au rang de système d’explication de tout. La conversation, nécessairement âpre pour être fructueuse, a été remplacée par l’invective et l’injure, doux héritage du monologue sartrien : moi qui ai raison et tous ces chiens qui ne partagent pas mon avis. Quant à l’anticonformisme, il est devenu une sorte de rupture conventionnelle prévue par la société elle-même : subventionner la dissidence et attribuer des homologations en pensée « disruptive »sont les meilleurs moyens de consolider les bases du mainstream.

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Une constante néanmoins, au milieu de tous ces bouleversements : le persistant aveuglement de ce « vague ensemble » de la gauche (délicieuse expression aronienne) toujours convaincue de sa supériorité morale et qui continue à juger « préférable d’admettre non pas la réalité mais la réalité telle qu’elle serait si elle était conforme à ses désirs ». La lecture, en 2023, de L’Opium des intellectuels(1955) et du Spectateur engagé (1981) est saisissante d’actualité : personne mieux que Raymond Aron n’a brossé avec autant de clarté le portrait idéologique de ces belles âmes, « impitoyables aux défaillances des démocraties mais indulgentes aux plus grands crimes, pourvu qu’ils soient commis au nom des bonnes doctrines ». Les bonnes doctrines d’aujourd’hui (écoféminisme, transgenrisme, intersectionnalisme, etc.) ont des noms en –isme à géométrie variable, mais àegométrie invariable. Elles hurlent ensemble aux inégalités structurelles, au racisme systémique et à l’incurie écologique, vomissent la VeRépublique et l’Anthropocène, mais justifient l’agressivité des rapports humains, la haine des riches et des classes moyennes, la sédition politico-religieuse, les émeutes urbaines et le vandalisme dans les campagnes, la hargne entre les sexes, l’hystérie du genre, le retour de la notion de race et l’éco-anxiété. Ces bonnes doctrines n’ont pas encore fait des dizaines de millions de morts comme le communisme, mais elles ont obtenu la mort sociale de nombreux universitaires, réécrit les livres d’histoire, les manuels scolaires et les livres pour les tout-petits. Elles ont repensé l’école, le monde du travail et les loisirs, enfermé les gens dans un quant-à-soi prudent, transformé des faits de société alarmants en faits divers dérisoires, tout en inscrivant le racisme, le sexisme, l’islamo-grosso-trans-phobisme comme crimes quotidiens contre l’humanité. Elles ont suspecté la haine de l’Autre dans l’indécrottable attachement à notre culture, demandé aux plus jeunes de ne plus rêver d’avions, aux adolescents d’avoir peur pour leur avenir et à leurs parents de prouver leur progressisme.

La gauche et la condamnation du réel

« Tout peut se reproduire en histoire », « nos sociétés sont toutes menacées par les systèmes totalitaires », disait Raymond Aron. Il était bien placé pour le dire ayant vécu, à lui seul, cinquante ans d’histoire, de la Grande Guerre à la guerre d’Algérie. Clairvoyant sur la montée du nazisme et la catastrophe à venir lors de son séjour en Allemagne entre 1930 et 1933, exaspéré de voir qu’avec le marxisme-léninisme, l’intelligentsia retombait dans le piège du totalitarisme au nom, cette fois, d’une doctrine généreuse, il a pensé le déni, qu’il nommait « la condamnation du réel », comme un élément constitutif des idéologies de gauche. Contestation du lien entre réalité et vérité, le déni est aujourd’hui le métavers idéologique à travers lequel nous sommes priés de voir ce que nous sommes contraints de souhaiter. Cas d’école en la matière : « Les résultats du baccalauréat de juin dernier sont un peu inférieurs à ceux de 2022, ce qui prouve que le baccalauréat est un examen exigeant » (Pap N’Diaye, ancien ministre de l’Éducation nationale).

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Au-delà de l’hommage qu’on lui doit, lire Raymond Aron est, plus que jamais, un exercice d’hygiène intellectuelle. En ces temps ensuqués par l’hyperinclusivisme émotionnel et les messianismes de caniveau, la pensée rationnelle d’un homme qui, sa vie durant, s’est refusé à jouer à la conscience universelle et a rappelé à qui ne voulait surtout pas l’entendre que le réel est complexe et équivoque, est une consolation et une voie à suivre.

« Je trouve un peu prétentieux de rappeler à chaque instant mon amour de l’humanité. » Le jour où des adolescents se promèneront avec cette phrase sur leur T-shirt, la partie sera, peut-être, gagnée.

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Érotisons la vie (intérieure)!

Avec Nolwenn Pétoin, l’ennui n’est pas de mise. À l’issue de la lecture de ses propos iconoclastes, la perception de votre paysage domestique sera changée.


Dans la profusion de livres, il arrive de tomber sur un ovni. C’est le cas avec l’ouvrage de Nolwenn Pétoin. Déjà le titre, provocateur : Érotique de la vie domestique. Ne vous attendez pas à un traité érotique écrit à la manière de Georges Bataille. Ici, l’érotisme ne débouche pas sur la noirceur et la mort, mais la vie solaire. Nolwenn Pétoin est née en 1983, à Saint-Malo. L’air marin, probablement respiré sur le Grand Bé où est enterré Chateaubriand, a fortifié son style. Agrégée de philosophie, son propos est iconoclaste, plein d’humour, et parfois ponctué de métaphores audacieuses. Vous l’aurez compris : l’ennui n’est jamais de mise. Et pourtant, Nolwenn nous invite à rester dans notre chambre, « une chambre à soi », comme le réclamait Virginie Woolf. L’homme pressé va demander : « Que faire chez soi, que faire de cette chambre ? »

Congédions les passions tristes

C’est tout l’enjeu de ce livre audacieux qui propose de tout repenser dans le but de nous conduire à la sagesse et à l’épanouissement de soi. C’est frais, à la fois tonique et doux. Dans un monde en proie à la barbarie, l’univers quotidien, avec ses tâches qu’on juge lassantes, doit nous permettre de nous recentrer et de jouir de cette vie domestique dans ce qu’elle a de plus trivial. Ce n’est pas évident, car il convient de la réinventer.

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Tout part donc de la chambre, qui doit être noire, c’est-à-dire qu’elle va révéler ce que nous sommes réellement. Notre chambre sert à « dormir, dire des bêtises, jouer de la musique ou travailler à notre « grand œuvre ». Nous asseoir et dilapider notre temps. » Nous allons congédier les passions tristes. Au passage, l’auteure révèle qu’elle a vécu dans sa chambre durant trois ans. Elle n’allait pas au lycée, mais elle travaillait « avec un sérieux suffisant ». Sûrement protégée des scories d’un enseignement idéologique, très éloigné de la nature et de ce hennissement de vitalité prôné par Nietzsche. Dans sa chambre, qui ressemble à celle du poète René Baer, mis en musique par Léo Ferré, l’auteure expérimente une catharsis qui lui permet un nettoyage spirituel salvateur. Il reste alors à mettre en valeur le corps, à l’entretenir avec des produits frais, cuisinés avec respect et lenteur, à le caresser sans le brusquer. Nolwenn Pétoin nous convie à retrouver le vibrato de nos cinq sens. Ce que nous cuisinons, par exemple, est un révélateur de ce que nous sommes. Elle écrit : « La cuisine aussi est un style, qui exprime l’ensemble du spectre d’une présence. C’est l’ombre portée de notre vie que nous mangeons. » Elle note qu’il y a « un plaisir de moine à découper les légumes. Leur fraîcheur et leur humidité, leur innocence et leur bonne grâce rendent l’éminçage hypnotique. » Les mots sont choisis avec précision. La cuisine est un art, souligne-t-elle encore. Au passage, elle en profite pour donner la définition de l’artiste. C’est celui qui se libère des règles apprises pour entrer dans un jeu créatif jamais exploré. Nolwenn Pétoin avoue que son alimentation est « non violente », donc végétale et bio, mais elle ne culpabilise pas ceux qui « rôtissent des hécatombes sur l’autel de la convivialité humaine ». Aucun anathème lancé, mais une revendication, celle de la bonté : « Respecter l’humanité en soi, c’est choisir ce que, seuls parmi tous les animaux, nous sommes libres de choisir : l’amour de tout ce qui vit et la compassion, par-delà l’aveugle violence de la chaîne alimentaire. » Et de conclure : « J’aime mieux manger ce qui veut l’être, comme les fruits, dont la pulpe sucrée n’a d’autre vocation que de nous séduire. » Cela résume parfaitement l’entreprise, tendre et sensuelle, de l’auteure.

À la fin de l’ouvrage, à offrir à tous les grands agités, la perception de notre paysage domestique sera singulièrement transformée, et notre vie aura gagné en plénitude subversive.

Nolwenn Pétoin, Érotique de la vie domestique, préface de Kankyo Tannier, Le Passeur Éditeur.

Vapotez, vapotez, il restera au moins ça…

La semaine où le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, présente son plan anti-tabac liberticide, Elisabeth Borne se fait sermonner à l’Assemblée nationale par une élue de l’opposition, l’infirmière « insoumise » Caroline Fiat. « La loi est la même pour tout le monde ! » a lancé la députée, trop contente de pouvoir coincer le Premier ministre qui vapotait dans l’hémicycle.


Trop souvent, nous demeurons sans voix devant l’extraordinaire sens des priorités dont nos gouvernants font preuve. Tout un chacun conviendra sans peine qu’il n’y avait rien de plus impérieux, de plus urgent que de concocter une loi visant à interdire de fumer à la plage. Il y va, nous assure-t-on, de la santé de nos bronches et du bon exemple à donner aux bambins affairés à bâtir – eux aussi, comme si souvent ces mêmes gouvernants – sur du sable. D’ailleurs, avec la loi nouvelle, il serait également prohibé à l’avenir de pétuner – comme on ne dit plus de nos jours, hélas !- aux abords des monuments publics et, plus particulièrement, si nous avons bien compris, des lieux que fréquente la belle jeunesse de ce pays : écoles, centres de vacances, patronages (s’il en subsiste), centres aérés et, bien entendu, les points de deal dont on sait combien ils sont prisés de certains jeunes qu’il serait très injuste – et discriminant – de tenir à l’écart de ces mesures de salubrité publique.

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Enfumage !

Monsieur le ministre de la Santé a exposé par le menu les tenants et aboutissants de son urgentissime croisade devant les parlementaires. Le lendemain, une députée de la France Insoumise lui succédait à la tribune. On s’attendait tout naturellement à la diatribe woko-gaucho-éructo habituelle, mais voilà bien que, sortant soudain de son répertoire de référence, la dame s’interrompt et s’en prend très directement à Madame la Première ministre qui, ne prévoyant pas, elle non plus, devoir entendre quoi que ce soit de bien neuf, attendait tranquillou sur son banc que ça se passe. Elle patientait en vapotant, histoire de meubler le vide, vraisemblablement. Nous avons en effet un Première ministre vapoteuse. C’est sa marque distinctive. D’autres hôtes de Matignon se sont illustrés en leur temps, par exemple en s’attaquant pour de vrai au chômage, en tâchant de juguler l’inflation, voire en s’efforçant de remettre de l’ordre dans le Landerneau, de replacer l’école et son enseignement au centre du village républicain, l’actuel cheffe du gouvernement, elle, vapote. Sera-ce suffisant pour lui assurer une place dans l’histoire ? L’avenir nous le dira.

Cependant, j’ai trouvé injustes et surtout inappropriées les remontrances de madame la parlementaire. Quelle mouche l’a-t-elle donc piquée d’aller ainsi titiller l’intéressée sur ce dont elle-même, son gouvernement, sa majorité, se sont fait une spécialité dans laquelle tous se montrent parfaitement insurpassables: l’enfumage?

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Tout au contraire, il aurait été autrement piquant que l’oratrice encense l’intrépide pour ne pas craindre de jouer crânement la transparence en « enfumant » ainsi la représentation nationale au vu et au su de la France entière. Non point au figuré, en l’occurrence mais au sens propre. Si la chose, le geste, la pratique sont délibérés, on aura rarement vu une telle franchise, un tel panache (si, si..) à un si haut niveau de la sphère politique. Cela vous aurait alors un petit parfum d’aveu canaille, impertinent, mêlé d’un soupçon de pied de nez, de bras d’honneur presque bon enfant. Pour un peu on en sourirait. On applaudirait à tant de subtilité.

Est-ce que vapoter, c’est fumer ?

Cela dit, toujours dans le souci de coller à l’urgence des priorités, je pense que nous ne devrions pas tarder à voir se constituer une commission parlementaire ayant pour enjeu de démêler l’épineuse question de savoir si vapoter c’est fumer, puisque fumer est interdit dans l’hémicycle. Une loi ad hoc, peut-être? Un 49.3 ? Probablement. Quel qu’en serait le résultat, Madame la vapoteuse de Matignon aurait tout de même, croyons-nous, une petite chance d’entrer dans l’histoire. La loi porterait sans doute son nom.

Un peu comme la loi Marthe Richard, voyez-vous. On a les gloires qu’on peut.

Sur Sud Radio, Elisabeth Lévy pousse un coup de gueule contre le plan anti-tabac

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Contrer le nouveau prêt-à-penser antijuif

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Le philosophe et psychanalyste existentiel Georges-Elia Sarfati analyse le nouveau discours judéophobe et rappelle qu’Israël joue actuellement sa survie.


Causeur. Georges-Elia Sarfati, vous êtes franco-israélien, philosophe, linguiste et psychanalyste existentiel. Vous avez longtemps enseigné en qualité de professeur titulaire à l’Université de Tel-Aviv, entre la signature des accords d’Oslo et le début des années 2000 : « une des périodes de l’histoire du pays les plus violentes et les plus contradictoires » dites-vous. Vous aviez alors manifesté un immense enthousiasme pour ces accords qui constituaient à vos yeux « les prémisses de la résolution d’un conflit qui dure, non pas depuis soixante-dix ans, comme on le dit trop légèrement, mais depuis un siècle. Le refus arabe d’une présence juive souveraine sur la terre d’Israël, ne date pas de 1947, mais du début des années vingt, de l’époque du Mandat Britannique. » Aujourd’hui, Israël vous semble-t-il menacé dans sa survie ?

Georges-Elia Sarfati. Israël mène une guerre existentielle, car en tant qu’Etat il a été violemment contesté dans son intégrité matérielle –territoriale, humaine et symbolique- en subissant le massacre de plus de 1500 de ses citoyens, demeurés sans défense, exactement comme à l’époque des pogroms et des farhoud, perpétrés dans les différentes communautés, d’Europe ou d’Orient. Il s’agit d’une confrontation radicale entre deux principes, deux états d’être, dont le paradigme se trouve dans le récit biblique de l’épisode au cours duquel Amalec – incarnation de la figure du mal absolu- attaque Israël, qui vient juste de s’affranchir de la servitude en Egypte. Mais sur la longue durée, l’histoire nous enseigne aussi, que dans les temps de crise et de grands périls, Israël s’égale à son principe natif : netsah israel, qui veut à la fois dire éternité et victoire d’Israël. Pourquoi ? Parce qu’Israël sait que chaque fois qu’il faut relever un défi existentiel, il le fait aussi pour l’humanité qui ne veut pas se soumettre au règne de la pulsion de mort.

Israël est perçu comme un Etat oppresseur par une grande partie de la jeunesse occidentale : sur quoi repose cette perception selon vous?

DR

Le discours judéophobe n’a pas connu de cesse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tout au plus était-il en sommeil, l’antisémitisme étant devenu tabou du fait de l’hitlérisme. Mais tandis qu’il s’éclipsait en Europe, le nationalisme palestinien lui a donné un regain de vitalité, cette fois sous le motif de l’antisionisme. Sa résurgence s’explique aussi par la méconnaissance de l’histoire, surtout celle du peuple juif, qui n’a jamais été enseignée. Il en résulte que les multitudes sont avant tout exposées à un faisceau de discours idéologiques, qui leur offre un prêt-à-penser, par ailleurs très efficace. Les variations de ce discours ont toutes un lien avec la théorie du complot : les sionistes ceci, les sionistes cela, etc. Les thèmes de cette propagande s’inscrivent dans la droite ligne de l’archive judéophobe et judéocide. Son principal ressort aujourd’hui consiste notamment à se réclamer du progressisme. Voilà pourquoi, être antijuif aujourd’hui peut aisément se justifier au nom de l’humanisme…

A l’heure où des humoristes de Radio France payés par nos impôts trouvent drôle de nazifier les Juifs, ne faudrait-il pas rappeler que le nazisme, dans son essence, c’était la volonté de tuer les Juifs et d’exterminer Israël, avec toute l’éthique et l’humanisme (détestés par Hitler) que ce peuple a apportés à l’humanité? De ce point de vue, où sont et qui sont les Nazis aujourd’hui?  

Si l’on tient absolument à reconduire la catégorie du nazisme pour désigner l’ignominie et la violence irrédentiste, alors il faut aussi lire l’histoire de notre temps avec des lunettes qui reconnaissent que le nazisme n’est pas le danger d’aujourd’hui.  Mais si l’on est soucieux de réfléchir l’histoire sans se couper des déterminations du passé, alors il faut dire que l’islamisme contemporain s’impose comme l’héritier méthodologique du nazisme. Méthodologique et non pas ontologique, car le nazisme est raciste, alors que l’islamisme, qui est une version violente de l’islam, est un universalisme dévoyé, exactement comme l’a été le marxisme soviétique ou chinois. La méthode est la même : elle consiste dans un déferlement de barbarie, relayée par une puissante propagande, aux fins d’asseoir une hégémonie sans partage. L’autre trait commun, c’est la mentalité complotiste et la poursuite d’un ennemi désigné – le signe juif et toutes ses manifestations humaines et culturelles (la chrétienté, la laïcité, la démocratie, etc.). A ce seul point de vue, il n’est donc pas fortuit que la mémoire de l’hitlérisme fasse partie du corpus de l’antisionisme radical professé par l’islam djihadiste.

Dans son combat contre l’islamo-nazisme, l’Occident est-il à la hauteur?

Je ne pense pas que l’expression d’islamo-nazisme soit adaptée, il nous faudrait du temps pour en dire les raisons. Sur le fond, il faut considérer les choses au cas par cas. Tous les pays occidentaux n’ont pas la même expérience de l’islam, ni de l’islamisme. Les Etats-Unis ont en fait les frais au moment du 11 Septembre 2001, puisqu’ils étaient désignés comme les fourriers de l’impérialisme… En Europe, c’est la France qui est aux premières loges, puis la Grande Bretagne, mais aussi l’Allemagne et l’Autriche, du fait de la présence d’une forte population d’origine musulmane, pas seulement issue des pays arabes, mais aussi de Turquie. Comme vous le savez, les Frères musulmans considèrent depuis longtemps que la France est « le ventre mou de l’Europe ». Cela est paradoxal : la France, qui a été présente au Maghreb pendant plus d’un siècle, n’a-t-elle tiré aucune leçon de sa propre histoire ? A côté du laxisme français, l’aire germanophone se montre plus vigilante, notamment en interdisant, depuis le mois d’octobre 2023, la plupart des grandes organisations musulmanes proches du Hamas et du Hezbollah. Les mesures de police ne suffisent évidemment pas, sur le fond l’Europe doit aussi réformer son système éducatif.

L’ignorance et l’inculture sont le terreau de la haine. On est ainsi quand même étonné de voir que très peu de théologiens et de philosophes prennent la peine de dire que juifs, chrétiens et musulmans, nous croyons tous au même Dieu, celui d’Abraham, de Moïse, de Jésus-Christ et de Mahomet et que, de fait, nous sommes tous frères dans le monothéisme. Cette parole est-elle donc devenue inaudible ?

Pour que cet enseignement majeur soit accessible, sinon audible, encore faudrait-il que ce que l’on appelle le fait religieux ne soit pas étranger à la plupart de nos contemporains. Sur les trois monothéismes, seuls le judaïsme et le christianisme, dans leurs différentes composantes, ont envisagé de s’ouvrir à la critique historique ou au remaniement de leurs archaïsmes respectifs (substrats polémiques, statut des femmes, accueil de la laïcité, acceptation des principes de la société ouverte, intérêt pour un dialogue fraternel, etc.) ; mais pour l’heure, l’islam est tendanciellement resté hermétique à ces changements. Il ne faut pas oublier néanmoins ce que l’humanité doit aux acquis de la modernité, à commencer par le fait de circonscrire l’instance religieuse afin qu’elle soit dessaisie de l’exercice du pouvoir temporel. Au mieux, le développement culturel et spirituel des différentes fractions de l’humanité devrait-il favoriser la dimension éthique des traditions révélées, de manière à servir de support et d’inspiration morale aux pratiques sociétale (la compassion, la solidarité, l’accueil de l’étranger qui respecte les lois du pays d’adoption, la défense de la veuve et de l’orphelin, etc.). Mais en tant que Judéen, citoyen français et israélien, je ne nourris aucune nostalgie pour l’ère théocratique, ni aucune prédilection pour sa restauration !

En tant que philosophe, êtes-vous frappé par le fait que, dès son apparition, il y a 4000 ans, le peuple hébreu ait suscité la méfiance et la haine chez les autres peuples ? Comment comprenez-vous ce fait historique ?

Je vous répondrai en reprenant à mon compte les thèses de deux de mes maîtres, dont je prolonge modestement l’enseignement. Pour Claude Tresmontant, la méfiance et la haine des autres peuples à l’égard des Hébreux, relève de ce qu’il a appelé, dans l’un de ses grands livres, l’opposition métaphysique au monothéisme hébreu. Le « phylum hébraïque » est porteur d’une anthropologie, et d’une cosmologie qui nous enseigne d’une part que le monde n’est pas éternel, d’autre part que l’être humain entretient avec son Créateur une relation personnelle. Ces deux idées majeures constituent un scandale pour l’humanité polythéiste. Cette double bizarrerie, au temps du paganisme préchrétien, heurte la sensibilité des peuples dominés par des chefs divinisés, et des récits fondateurs, marqués par le particularisme. Emmanuel Lévinas, qui était phénoménologue, pose quant à lui que c’est la pensée biblique qui invente le primat de ce qu’il appelle la rationalité éthique, l’impératif de la relation déférente à l’égard de l’autre homme. Cela n’est rien de naturel, cette sortie de soi, au nom du droit d’autrui. Donc l’hébraïsme, et cela a été assez reproché aux Juifs (Claude Tresmondant a raison de dénoncer ce terme, lui préférant celui de Judéens) apporte une loi d’antinature, appelant l’humanité à ce que Freud a appelé la sublimation des pulsions, manière toute psychanalytique de parler de symbolisation, dont les œuvres de culture constituent l’expression la plus aboutie. En langage mystique, on pourrait parler de spiritualisation, cheminement qui culmine in fine dans la sainteté, laquelle représente, selon moi, la forme la plus haute de la singularisation personnelle. Avant de constituer un « fait historique », il conviendrait de voir d’abord dans cet état de choses l’expression d’un antagonisme ontologique, qui revêt par la suite différentes formes historiques. A cela s’ajoute en effet, sur le long terme, le tressage des différentes modalités historiques du refus du message hébraïque. L’historien Léon Poliakov, dont je fus l’un des collaborateurs dans ma jeunesse, a décrit ce processus au long cours, très complexe, dans l’importante Histoire de l’antisémitime. Ces différentes expressions de l’hostilité ont un point commun : la criminalisation du fait juif. Dans l’ordre : d’abord, la torsion que la polémique théologique contre le judaïsme, d’origine chrétienne puis musulmane, impose à la révolution catégorielle du monothéisme hébreu et judéen, ensuite la diabolisation d’un peuple d’exilés, par l’antisémitisme politique. Enfin, la diabolisation d’Israël par l’antisionisme radical. Ce qui est fascinant c’est le nouage, au cours de l’histoire du XXe siècle, de l’antisémitisme et de l’antisionisme, qui recycle et projette à l’échelle d’un jeune Etat, ce qui s’est dit pendant deux millénaires d’une diaspora entière. J’ai consacré de nombreuses études à démêler les mécanismes de cette logique inextinguible.

On rêverait d’un lieu où des gens éclairés et de bonne foi pourraient discuter et argumenter de toutes ces questions dans l’espoir de trouver une solution rationnelle : autrefois, ce lieu, c’était l’université… Les choses ont bien changé, non ? 

Le rêve, comme l’oubli, sont deux fonctions du psychisme humain, et il est heureux que nous y soyons accessibles. C’est du rêve que procèdent les plus belles utopies, et d’une forme d’oubli, l’émoussement de la morsure que nous infligent les plus tenaces souffrances morales, comme les deuils traumatiques. Ce que j’ai appris de l’université, c’est, là encore, contre toute attente raisonnable, que cette instance qui devrait par essence être un espace sanctuarisé : celui de l’étude, de la connaissance désintéressée, et de la convivialité intelligente, ne vérifie rien de tout cela. Ce n’est d’ailleurs pas une exception contemporaine, mais un invariant de l’histoire des universités dans les époques de crise, ou d’involution totalitaire. Comme je l’ai rappelé dans une analyse récemment parue dans la presse1, les universités ont été les principaux laboratoires du suivisme, du conformisme, et de la mise au pas du collectif, à l’époque des régimes autoritaires. Cette constante ne souffre pas la moindre exception : ce fut le cas à l’époque stalinienne, ce fut le cas sous les régimes du despotisme  oriental de teinture marxiste, ce fut le cas sous le régime de Vichy, ce fut le cas sous le régime national-socialiste. Par exemple, le fait que Martin Heidegger ait accepté la fonction de recteur de l’université allemande, en 1933 – même s’il en a démissionné par la suite – montre bien que les représentants de l’élite sont les premiers garants de l’ordre. En France, cela fait un quart de siècle, que les universités publiques – de lettres notamment – sont devenues les matrices du nouvel antisémitisme, du nouveau prêt à penser antijuif. Cela signe-t-il un changement ? Il faut rappeler que la politique a fait son entrée dans les universités en 1968, sans doute avec une part de bonnes raisons ; mais depuis lors, ce qui était un facteur de conscientisation (des inégalités, de la sclérose de certaines disciplines et manières de transmettre, du mandarinat dans ce qu’il pouvait aussi avoir d’arbitraire ou de discrétionnaire, etc.) s’est mué en contexte de délitement d’une part des chaînes de transmission, d’autre part de l’éthique de la connaissance : wokisme, décolonialisme, néo-racisme, néo-féminisme mysandre, inclusivisme, idéologies du genre, et autres conséquences d’une déconstruction nihiliste, se sont érigés en nouvelle normativité. Mais je veux aussi croire que le nihilisme est par définition voué à s’autodétruire, et qu’il en résultera une nouvelle ère de renaissance. D’ici là, nous devons assumer un travail de veille et de vigilance, quitte à passer pour ‘’rétrogrades’’. Mais comme vous le savez, les véritables révolutions sont toujours venues de l’esprit de la tradition. Les idées neuves ne sont jamais le fruit du spontanéisme.

  1. https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/grinshpun-sarfati-comment-la-parole-antijuive-sest-liberee-a-luniversite-MNLBQSFG5VGPLAFBANO3JUCUQY/ ↩︎

Le cas Notre-Dame

Malgré les polémiques qui l’entourent, le chantier de la cathédrale de Paris est exemplaire. Pour en arriver là, il a fallu qu’elle soit ravagée par les flammes. Dans Notre-Dame : une affaire d’État, Didier Rykner démontre que si nos politiques n’étaient pas si négligents et incompétents, ce drame aurait pu être évité.


L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, était-il évitable ? À la lecture du nouveau livre de Didier Rykner, la réponse est oui, incontestablement, car il était prévisible. Depuis quatre ans, le fondateur et directeur de La Tribune de l’art compile les informations officielles et glane des renseignements officieux pour tenter de comprendre les causes de ce drame car, après quatre ans, l’enquête n’a toujours pas abouti. Son travail d’investigation ne prétend pas résoudre ce que les experts de la police judiciaire cherchent à élucider. Il dresse un constat, et celui-ci est atterrant. De l’agent de sécurité aux plus hauts échelons de l’État, on découvre une invraisemblable chaîne de manquements, d’incompétences et de négligences qui ne pouvaient que mener à cette catastrophe. Ou à une autre.

15 avril 2019 – 18 h 23

Parce que le diable se niche dans les détails, comprendre l’origine du sinistre nécessite de se pencher sur cette soirée du 15 avril, minute par minute. L’enquête de Didier Rykner s’ouvre sur ce pointage implacable. Avec minutie, il démontre qu’il n’y a pas un coupable, mais une ribambelle de responsables. Absence d’alarmes incendie, personnel de sécurité en sous-effectif et mal formé, appel tardif aux pompiers… de multiples causes expliquent que de si longues minutes se soient écoulées entre le départ du feu à 18 h 23 et l’arrivée des premiers camions de pompiers sur place. Quant au premier BEA (bras élévateur aérien) nécessaire pour arroser le foyer par le haut et non par le bas, il n’est opérationnel qu’à 20 h 45 : il a fallu aller le chercher dans les Yvelines… et les deux autres, venus des Hauts-de-Seine et de Seine-Maritime sont arrivés trop tard pour pouvoir intervenir !

Quelle origine ?

Ce qui est certain, c’est que l’incendie n’est pas criminel. Aucune intrusion sur le chantier n’a été signalée, aucun accélérateur de flammes n’a été relevé dans les décombres et rien ne vient étayer la piste terroriste ou celle du mégot mal éteint. L’origine du feu serait à chercher du côté du chantier, précisément. En avril 2019, la flèche de la cathédrale est en restauration. Le 11 avril, les statues en bronze monumentales des évangélistes et des apôtres situées à sa base sont retirées. Officiellement, celles-ci ont été déboulonnées. Mais en observant de près les photos de cette opération, publiées sur le site du diocèse de Paris, Didier Rykner et un expert-pompier remarquent distinctement un camion transportant, outre les sculptures, une bouteille de propane pour chalumeau : un chalumeau ou une disqueuse, ou les deux, auraient donc pu être employés pour les desceller. Ces outils projettent des étincelles qui peuvent créer des « points chauds » à l’origine de quasiment tous les incendies de chantiers sur monuments anciens (celui de l’hôtel Lambert en est un exemple récent). Un « point chaud » aurait ainsi pu faire naître un « feu couvant » sous la toiture, à la base de la flèche, jusqu’à ce qu’il s’embrase quatre jours plus tard.

Entre ignorance et incompétence

Comme le précise le sous-titre de l’ouvrage, l’incendie de Notre-Dame est bien « une affaire d’État ». Nos politiques ne sont pas, c’est un euphémisme, à la hauteur de notre patrimoine. En 2016, la France est en alerte maximale face aux menaces d’attentats islamistes. Dans ce contexte, le CNRS commande une étude sur les risques qui pèsent sur la cathédrale. Mais l’homme qui la rédige, Paolo Vannucci, professeur d’ingénierie mécanique à l’université de Versailles, va rapidement aller au-delà de la seule menace terroriste. Dans une interview accordée à Marianne, le 19 avril 2019, il affirme que« le risque d’embrasement de la toiture existait » et qu’« il fallait absolument la protéger et installer un système d’extinction. […] En vérité, il n’y avait pratiquement aucun système anti-incendie, notamment dans les combles où il n’y avait aucun système électrique pour éviter les risques de court-circuit et d’étincelles. […] Même la foudre aurait pu déclencher un feu et il aurait donc fallu installer tout un système de prévention. » Et Rykner de constater : « Quelles actions a-t-on entreprises après la publication de ce rapport ? Aucune. Que le gouvernement n’ait pas voulu rendre publics les résultats de cette étude peut se comprendre : il n’était pas question de donner des idées aux terroristes. Mais qu’aucune mesure de protection supplémentaire n’ait été prise, voilà qui en dit long sur les responsabilités incontestables de l’État. » Responsabilités aggravées lorsqu’on apprend que la ministre de la Culture d’alors, Audrey Azoulay – qui a forcément eu connaissance de ce rapport –, a péniblement accordé 20 millions d’euros sur dix ans pour la restauration (extérieure) du monument, mais n’a pas hésité à valider un budget de 466 millions sur sept ans pour transformer le Grand Palais en « Monument-Monde, vitrine de la société contemporaine et de ses grandes tendances[1] ». À l’époque, le tiers de cette somme aurait suffi à restaurer entièrement Notre-Dame. Un exemple parmi tant d’autres qu’épingle Rykneravec colère – partagée.

L’Autre-Dame de Paris

Un malheur n’arrivant jamais seul, la Ville de Paris a décidé de profiter de cette catastrophe pour « embellir » les abords de la cathédrale. Anne Hidalgo qui avait promis de donner 50 millions d’euros pour sa restauration est revenue sur sa promesse (ça ne lui ressemble pas) en annonçant que cette somme serait affectée au réaménagement du parvis – une zone qui appartient de toute façon à la ville. Sa générosité, Hidalgo la met dans ses bonnes idées. Ainsi est-il suggéré de créer un dallage en verre pour voir la crypte, de redessiner le ravissant jardin de l’Archevêché en rasant des arbres « gênants », et de faire du parvis un lieu dédié aux « événements », jusqu’à 270 par an, espère la Mairie ! Alors que Notre-Dame bénéficie malgré tout d’une restauration exemplaire, un prochain chantier s’annonce de taille lui aussi : empêcher la Ville de saccager les abords immédiats de notre chère cathédrale.

Didier Rykner, Notre-Dame : une affaire d’État, Les Belles Lettres, 2023.

Notre-Dame: Une affaire d'Etat

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[1]. Ce beau projet a depuis été largement remanié mais son budget colossal, lui, demeure identique.

Sociétés multiculturelles vs Dar al-Islam

D’un côté, le monde occidental multiculturel est sommé, plus que jamais, de s’ouvrir à la « diversité ». De l’autre, les pays musulmans, du Sahel au Pakistan en passant par le Maghreb et la Turquie, imposent par la force l’homogénéisation ethnoreligieuse de leur société. Face à eux, ayons la bonté de perdre.


Depuis 1945, les trajectoires historiques de l’Europe et du grand Moyen-Orient divergent radicalement, tels deux continents que tout oppose. D’un côté, l’américanisation des sociétés d’Europe de l’Ouest a été orchestrée par les dirigeants occidentaux, afin d’effacer l’opprobre du crime nazi de purification ethnique et de rendre impossible son éventuelle récidive : le melting-pot inventé aux États-Unis, converti au début du XXIe siècle en modèle de société multiculturelle, est devenu l’ultime idéologie politique de l’Occident euro-américain (le riche Japon étant resté sourd à cette perspective). En attestent tant l’idéologie dominante que le discours et les messages publicitaires, ou les manuels scolaires transcrivant les directives officielles.

L’islam ou l’exil

Au sud en revanche, du Pakistan au Maroc, la sortie du monde colonial post-ottoman a été l’occasion d’engager un vaste programme d’homogénéisation des sociétés par expulsion ou élimination des éléments culturels et religieux jugés hétérogènes. Là, la pureté a été perçue comme le gage du retour à l’authenticité fantasmée des origines. Européens (colons ou immigrés), juifs natifs ou immigrés, chrétiens d’Orient, minorités religieuses (baïas, zoroastriens, musulmans convertis à d’autres religions, yazidis…) ou culturelles (Kurdes, Berbères…) ont été tour à tour chassés, acculturés, combattus, expulsés, vendus, voire éliminés. L’actualité récente nous donne trois exemples tragiques de cette dynamique, jamais interrompue depuis trois quarts de siècle, qui travaille inlassablement à l’homogénéisation ethnoreligieuse des sociétés musulmanes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – et désormais du Sahel –dans le cadre oppressant d’une salafisation idéologique devenue hégémonique.

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Considérons d’abord la Tunisie. En février 2023, le président Kaïs Saïed a tenu de violents propos hostiles à l’immigration subsaharienne, déclenchant des ratonnades meurtrières à Sfax et des renvois d’immigrants en Afrique de l’Ouest. Ayant soulevé un tonnerre de réprobations à l’étranger, le président a finalement décidé de laisser passer les migrants (la Tunisie n’est pas le « garde-frontière de l’Europe »), étant entendu que« les hordes de migrants clandestins »ne sauraient accomplir « un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie » (sic). Ces propos sont soutenus par plus de la moitié du pays, sondages à l’appui.

En septembre 2023, après un an de siège, l’armée d’Azerbaïdjan a pénétré au Haut-Karabakh pour chasser de cette petite région ses 120 000 Arméniens chrétiens – dont la présence est bien antérieure à l’arrivée de l’islam dans la région au Moyen Âge –, funeste prélude à la réoccupation des lieux par des populations musulmanes transférées après destruction des églises millénaires et de toute trace du christianisme et de ses anciens habitants. C’est la dernière étape d’un processus de nettoyage ethnique et religieux génocidaire en faveur de l’islam turco-kurde en vigueur depuis les massacres hamidiens de 1894-1897. Si l’on additionne les victimes de ces premiers massacres (0,3 million) aux 1,5 million de morts du double génocide arménien et syriaque (1915-1924), et à ceux du génocide des Grecs pontiques et de la mer Égée (au moins 0,45 million), le nettoyage ethnique de l’Anatolie a physiquement liquidé 2,25 millions de chrétiens (non comptés juifs et yazidis) pour édifier la Turquie moderne. Les coreligionnaires des victimes n’ont eu de choix qu’entre la conversion à l’islam ou l’exil.

Enfin, le 7 octobre 2023, au moins 2000 membres fanatisés et kamikazes du Hamas (1 500 sont morts sur le sol d’Israël) ont pénétré par surprise en Israël, où ils auraient commis des actes de guerre en tuant près de 200 soldats israéliens, n’était-ce la volonté exterminatrice de tuer toute personne, quelque soit son âge, sa condition et son sexe, rencontrée sur leur passage ; en outre, plus de 200 personnes ont été capturées et conduites à Gaza comme otages. Il ne fait guère de doute, vu la nature des crimes commis, des corps torturés, déchiquetés et brûlés, que la détermination génocidaire aurait fait bien plus de morts si la chose eût été possible. En 2023, cette cruelle atrocité rappelle le fait que, lors de la guerre israélo-arabe de 1948, les forces arabes abattaient les soldats israéliens capturés et blessés tombés entre leurs mains.

Frères musulmans à la manoeuvre

Ainsi, de nos jours, au terme d’une longue construction en miroir, ces deux modèles antinomiques fonctionnent en interaction l’un avec l’autre : étreint par son sanglot, « l’Homme blanc » européen n’en finit pas de s’excuser des actions coloniales de générations aujourd’hui décédées ; il a, par voie de conséquence, renoncé à toute pression sur les pays islamiques (ainsi définis dans leurs Constitutions), quelle que soit la nature des exactions conduites sur leurs propres minorités ou ressortissants, sauf quand elles prennent une ampleur criminelle ou génocidaire telle que même l’ONU ou des dirigeants musulmans s’en émeuvent (massacre des Kurdes et des chiites d’Irak par Saddam Hussein en 1991, politique criminelle de Daech contre les chrétiens et les yazidis de 2004 à 2007, etc.).

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En face, les élites du Moyen-Orient, qui ont toute liberté d’action, n’ayant pas de compte à rendre à leurs populations soumises à un régime autoritaire voire dictatorial, ont parfaitement compris les règles de fonctionnement de l’État de droit européen tel qu’il se déploie en ce début de XXIe siècle. Elles peuvent en user et en abuser librement, dès lors que la paralysie morale et intellectuelle gouverne tant à Bruxelles qu’à la CEDH, au Conseil de l’Europe, voire à la tête des juridictions nationales. L’objet et la raison d’être de ces institutions, autoproclamées garantes de l’État de droit des nations démocratiques, n’est pas de protéger la souveraineté des peuples dont elles émanent, fût-ce le peuple européen, mais de garantir le bon fonctionnement de règles de droit autoréférencées qui assurent la protection universelle des minorités et des droits de l’Homme réfugié ou déplacé en Europe, dès lors qu’il a atteint les eaux territoriales et/ou le territoire des pays européens.

On a ainsi vu le président-dictateur tunisien donner des leçons de démocratie aux instances européennes, à qui il demande d’accepter les demandeurs d’asile en transit sur son territoire (voire en provenant), alors qu’il peine à assurer les conditions minimales de leur survie sur son sol ;le même président qui a couvert des ratonnades et expulsions de migrants subsahariens de son pays, et qui refuse l’argent promis par l’Europe pour garantir l’étanchéité de ses frontières – sauf aux migrations et voyages réguliers. Ce signe d’orgueil étonne dans un pays presque failli, qui ne compte sur son sol que 45 000 migrants africains, quand 1,5 million de ses citoyens (de nationalité ou d’origine) séjournent légalement ou illégalement en Europe.

Au sud du détroit de Sicile, la société de Tunisie est presque ethniquement et religieusement unifiée, les communautés juives résiduelles étant ultra-marginales (quelques centaines de personnes à Djerba), tandis que les autres étrangers non musulmans ne sont que de passage. Au nord du détroit, en revanche, l’Italie accueille sur son sol des millions de migrants depuis qu’elle est devenue une terre d’immigration dans les années 1980. En moins de quarante ans, la très catholique Italie se retrouve avec plus de 5 millions d’immigrés dont 1,5 million de musulmans. Tous les jours, le pape argentin lui intime l’ordre de s’ouvrir davantage à la « diversité ».

La société diversitaire occidentale n’est plus seulement une réalité multiculturelle et multiethnique. Elle est devenue une idéologie dont le « wokisme inclusif » est la langue : cette langue est parlée à Bruxelles, déclinée par les multinationales et une partie des élites culturelles nationales, et bien maîtrisée par les élites des Frères musulmans qui sont à la manœuvre en Europe, depuis que leur idéologie est criminalisée dans le monde arabe suite au fiasco de leurs tentatives de prise du pouvoir.

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En revanche, dès lors qu’il s’agit du monde musulman, en particulier des terres qui l’ont vu naître au Moyen-Orient et au nord de l’Afrique– où il a liquidé et remplacé le christianisme –, il n’est plus question d’inclusivité. Les Européens ont abandonné toute exigence de diversité à l’égard de ces pays (c’est bien le message qu’a compris l’Azerbaïdjan qui ne craignait que les Russes), et ils avalisent l’absence de liberté religieuse et la proscription des musulmans qui apostasient ; l’ONU a abandonné toute prétention en la matière ; les pays arabes eux-mêmes, qui ont chassé ou vendu leurs juifs nationaux (un million de personnes au départ), ce qui a doublé la population juive israélienne, trouvent normal que le pays hébreu héberge des millions d’Arabes palestiniens, au moment où les chrétiens d’Orient s’effondrent au Moyen-Orient, Égypte exceptée – sans que le semi-apartheid qui les oppresse n’y soit d’ailleurs remis en question.

Entre folie idéologique et oubli de l’Histoire et de ses enjeux, une étrange liquéfaction des esprits interdit d’observer le réel. Pense-t-on vraiment qu’à long terme, ce qui fut un monde islamique multiculturel, aujourd’hui presque entièrement monocolore, puisse cohabiter pacifiquement avec un monde européen ouvert, multiculturel et incessamment conspué pour sa fermeture et son rejet de l’Autre ?

Justice: les organisateurs de Sainte-Soline n’iront pas en prison

Alors que le procès des organisateurs des manifestations écolos violentes a lieu devant le tribunal correctionnel de Niort (58), un rapport parlementaire rendu public le 14 novembre révèle la responsabilité « écrasante » des organisateurs dans les violences à Sainte-Soline (79). 9 personnes sont jugées pour y avoir organisé des rassemblements interdits le 29 octobre 2022 et le 25 mars 2023. 6 à 12 mois de prison avec sursis ont été requis à l’encontre des organisateurs. Le jugement sera rendu le 17 janvier.


Qui peut encore dire qu’il n’a jamais entendu parler de Sainte-Soline ? Si cette personne existe, ne lui en tenons pas rigueur : entre la réforme des retraites, les projets de mégabassines, la mort de Nahel ou les manifestations pro-Gaza, 2023 a été très mouvementée.

Mardi 14 novembre, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences » a rendu son rapport public. Si, dans les médias de grand chemin et sur les réseaux sociaux, le débat sur les responsables et la légitimité des violences continue de faire rage, après six mois de travaux, les conclusions des députés sont, elles, sans appel. Elles pointent l’immense responsabilité des organisateurs.

Les scènes chaotiques de bataille se multiplient

La récurrence des manifestations violentes dans l’hexagone inquiète. De manière quasi-systématique, ce qui est supposé n’être au départ qu’une manifestation peut finir en violente guérilla. Nous avons tous observé ces scènes de batailles chaotiques autour du chantier des fameuses méga-bassines.

Le 25 mars, près de Sainte-Soline, commune des Deux-Sèvres de 359 habitants, nous avons d’un côté, les forces de l’ordre, déployant tous les moyens possibles pour empêcher les manifestants d’atteindre les mégabassines, et de l’autre, des milliers de manifestants, bravant l’interdiction, certains prêts à bastonner du flic pour passer. Voire, à juste bastonner du flic…  Bilan : une quarantaine de blessés chez les gendarmes, et 200 blessés chez les manifestants. Bien qu’une partie des manifestants fût réellement là pour s’opposer de manière pacifique au projet agricole, la manifestation a très mal tourné, et on a assisté à une violence désinhibée.

Alors, à qui la faute ?

Culpabilités

Selon la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), et son communiqué publié le 10 juillet 2023, le coupable, choisi d’avance, c’est évidemment l’État. Dans son rapport, la LDH reproche au ministère de l’Intérieur d’avoir interdit la manifestation dans le but de « disqualifier et criminaliser » une gentille mobilisation contre les bassines. Pourtant, quelques machettes, épées et cocktails Molotov ont été saisis le jour même [1]. Le rapport de l’association d’extrême gauche, ayant récupéré à son profit les « droits de l’homme », accusait aussi le Samu de « volonté délibérée de ne pas porter secours au plus vite ».

Patrick Hetzel, député LR de la 7e circonscription du Bas-Rhin, et président de la commission parlementaire sur les violences de Sainte-Soline ne l’entend pas du tout de cette oreille.

Interrogé, il remet les pendules à l’heure : « Ce rapport a omis bien des angles de l’affaire ! Ils ont par exemple oublié de dire que les organisateurs distribuaient des flyers demandant de ne pas se faire secourir par les secours officiels, de ne faire confiance qu’aux « street médics »[2]. De même, des appels ont été passés auprès des services de secours… Mais il ne s’agissait là que de leurres, et lorsque le Samu arrivait sur les lieux où on leur avait signalé un blessé, il n’y en avait pas », déplore-t-il, avant d’accuser : « Les organisateurs ne semblaient pas vouloir maintenir le minimum d’ordre civil. Les services préfectoraux ont tenté d’établir des relations avec les organisateurs, cela n’a mené à rien. Les manifestations interdites ont été maintenues par ces mêmes organisateurs, qui ne voulaient en aucun cas parlementer avec les autorités ». Une centaine de personnes – allant des membres des organisations comme « Bassines non merci » au ministre de l’Intérieur lui-même – ont été auditionnées par les rapporteurs, dont le compte-rendu détaillé s’étale sur 621 pages.

Quelques meneurs peuvent tout faire basculer

Après six mois de travaux, Patrick Hetzel dresse le constat suivant auprès de Causeur : « Il y a deux choses de nature différente : d’abord, l’arrivée systématique d’activistes voulant en découdre. C’était pareil pour le 49.3 : quelques meneurs peuvent tout faire basculer. Ensuite, concernant la thématique environnementale, nous avons constaté qu’il y a de plus en plus de légitimation de la violence. Ces gens font plus que dévoyer le concept de désobéissance civile. » Mais, malgré son inquiétude quant à ces milices organisées d’énergumènes portant masque sur le museau ou cagoule sur la caboche, le député LR ne va pas jusqu’à reprendre le terme d’« écoterrorisme » utilisé par Gérald Darmanin : « L’écoterrorisme laisserait supposer qu’il y aurait des organisations se revendiquant de la cause environnementale qui auraient basculé vers le terrorisme. Nous n’avons pas d’éléments dans nos travaux et nos auditions qui attestent précisément cela. »

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Et qu’en est-il des accusations de « violences policières » formulées par l’extrême gauche et souvent reprises avec complaisance par la presse ? « C’est simple, s’il y a eu contact, c’est que les manifestants ont voulu aller au contact : les forces de l’ordre étaient purement statiques ! Les maires des alentours étaient très inquiets, ils ont vécu les évènements très difficilement, voyant arriver du jour au lendemain des voitures avec des plaques d’immatriculation dissimulées avec à bord des gens qui n’étaient vraiment pas là pour une promenade dominicale… »


[1] Selon le rapport de Gendarmerie et de la préfète des Deux-Sèvres, des opérations d’ordre public du 24 au 26 mars 2023.

[2] Les street medics sont des militants fournissant des premiers secours dans un contexte de lutte politique NDLR

Parlement européen: un coup d’État en douce

En novembre, le Parlement européen a voté une résolution demandant tout simplement qu’on lui confie des pouvoirs exercés actuellement par le Conseil européen et le Conseil de l’UE et qu’il puisse partager des compétences appartenant à présent aux États-membres. S’il est peu probable que le Conseil européen accède immédiatement à sa demande, le Parlement, qui a des soutiens en haut lieu, ne cessera pas de lui mettre la pression.


Le secret des prestidigitateurs consiste à détourner l’attention des spectateurs. Pendant que ces derniers sont occupés par autre chose, hop ! le vrai tour-de-main se fait ailleurs à l’insu de tous. C’est ainsi que les magiciens du Parlement européen ont profité du détournement de l’attention générale par les crises qu’ont provoquées les guerres en Ukraine et au Moyen Orient pour faire progresser un projet de révision des traités fondamentaux de l’UE. Le 22 novembre, les eurodéputés ont approuvé un rapport allant dans ce sens et ont adopté une résolution appelant à une Convention pour modifier profondément le fonctionnement de la démocratie en Europe. Leur programme consiste à s’arroger des pouvoirs au détriment du Conseil de l’Union européenne (qui réunit les ministres des États-membres), du Conseil européen (l’assemblée des chefs des États-membres) et des États-membres eux-mêmes. Autrement dit, il s’agit d’imposer de nouvelles limites à la souveraineté nationale.

« Le super-État, c’est moi ! »

Actuellement, le Parlement joue un rôle de colégislateur avec le Conseil de l’UE, mais le rapport propose que plus de décisions soient (1) soumises à la « procédure législative ordinaire », qui met les deux institutions sur un pied d’égalité, et (2) votées au Conseil par la « majorité qualifiée », qui nécessite l’approbation d’au moins 55% des États-membres représentant au moins 65% de la population totale de l’UE. Pour le moment, l’unanimité est requise au Conseil sur toute une série de sujets – la politique étrangère, la justice, la fiscalité, la politique sociale, le budget à long terme, l’élargissement, et la modification des traités – donnant un véto à chaque État-membre. Mais le Parlement voudrait réduire cette liste et donc le pouvoir de véto.

Il réclame aussi pour l’UE une compétence exclusive en matière d’environnement et le partage des compétences avec les États-membres en matière de santé, menaces sanitaires et droits sexuels et reproductifs, ainsi que dans les domaines de l’industrie, de l’éducation et de la protection civile. Il souhaite aussi étendre son influence sur la politique étrangère, la défense, l’énergie et les frontières extérieures. Ses revendications comprennent plus de pouvoir sur la définition du budget pluriannuel, aux dépens de la Commission et du Conseil européen, et l’inversion des rôles dans la désignation du Président de la Commission : ce dernier est actuellement proposé par le Conseil européen et approuvé par le Parlement. Une fois désigné, le Président, tout en respectant l’équilibre géographique et démographique, nommerait son propre collège qui recevrait le titre sinistre d’« exécutif européen ». Le Parlement garderait un droit de censure mais, le Président étant libre d’imposer ses propres préférences politiques, plus de pouvoir reviendrait aux partis, comme dans un gouvernement national. Un pas de plus sur le chemin d’un super-État européen.

Joyeux Noël, les Parlementaires !

Les eurodéputés ont exigé que le rapport et l’appel à révision des traités soient transmis « immédiatement et sans délibération » par le Conseil de l’UE au Conseil européen pour que ce dernier en délibère lors de son prochain sommet, les 14 et 15 décembre. Afin de modifier les traités, il faudrait constituer une Convention, composée de représentants des institutions de l’UE, des exécutifs des États-membres et de leurs parlements. L’Espagne de Pedro Sánchez, qui a la présidence du Conseil de l’UE, a déjà indiqué qu’elle allait obtempérer à la demande impérieuse du Parlement. Vue la proximité des fêtes, les revendications exorbitantes font penser à une liste du père Noël. Comment justifier une telle ribambelle de réformes ? Leurs partisans invoquent le fait que le monde a changé depuis le traité de Lisbonne, signé en 2007 et entré en vigueur en 2009. Le monde d’aujourd’hui, selon un des rapporteurs, le fédéraliste Guy Verhofstadt, serait « plus brutal » que celui d’il y a 15 ans. L’UE devra donc pouvoir réagir avec beaucoup plus de rapidité, de vigueur et d’unité aux menaces qui l’assaillent. Selon lui, les Européens sont « paralysés par l’exigence d’unanimité ». Il semble voir de la paralysie là où il y a des checks and balances (freins et contrepoids). En octobre, le rapporteur écologiste allemand, Daniel Freund, avait déjà déclaré que les vétos nationaux constituent « un risque pour la sécurité de l’Europe ». Sans y aller par quatre chemins, il a cité explicitement le cas du trouble-fête hongrois, Viktor Orban. Les révisions permettraient donc de réduire ce dernier à l’impuissance sur des questions internationales. Un autre argument est l’élargissement éventuel de l’UE. Il y a huit pays candidats à l’adhésion (avec deux candidats potentiels en attente) : une UE à 35 membres aurait besoin de plus de centralisation.

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Loin d’emporter l’adhésion générale, le rapport n’a été approuvé que par une faible majorité d’eurodéputés, 305 voix contre 276, avec 29 abstentions, et la résolution par une majorité encore plus fragile : 291 contre 274 et 44 abstentions. Des cinq rapporteurs, un est Belge et les quatre autres Allemands. Tous représentent des groupes du centre-droite et de la gauche (PPE, S&D, Verts/ALE, La Gauche et Renew – le groupe de Renaissance, le parti de Macron), sans aucune contribution des eurosceptiques. Devant la radicalité des changements proposés, les partis ont été très divisés, notamment les démocrates-chrétiens du Parti populaire européen. Les arguments de ceux qui sont avides de plus de pouvoir ne font pas l’unanimité même chez les élus.

Le silence des agneaux politiques

La nouvelle de cette « petite révolution », comme l’appelle M. Verhofstadt, a été accueillie par une indifférence générale, à l’exception d’une dénonciation de la part de Marine Le Pen sur France-Inter le lendemain du vote. Le silence des milieux politiques s’explique soit par leur approbation tacite des propositions, soit par leur assurance qu’elles n’aboutiront pas. En effet, il est peu probable que le Conseil européen, où toute modification des traités nécessite l’unanimité, exauce les vœux des parlementaires. Mais la complaisance est dangereuse. Des concessions finiront par être faites et les pouvoirs des États-membres graduellement rongés. La pression exercé par les eurodéputés ne faiblira pas. Les propositions actuelles sont le résultat d’un long processus qui se poursuivra. L’épisode actuel est l’aboutissement d’un cycle initié par Emmanuel Macron en mars 2019, quand il a proposé, dans une tribune publiée dans différents journaux européens, une grande opération de consultation des citoyens. Ce projet, qui a reçu le soutien de l’Allemagne et de la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a été lancé sous le titre de Conférence sur l’avenir de l’Europe en mai 2021. Un an de travaux (deux ans étaient prévus initialement mais la pandémie a raccourci la durée) auxquels ont participé 800 citoyens européens répartis en quatre « panels » a donné lieu à un rapport, qui a intégré aussi 43 000 contributions via une plateforme numérique, publié en mai 2022. Le rapport approuvé par les eurodéputés en novembre se présente comme une réponse au rapport produit par la consultation des citoyens, dont les propositions préfiguraient largement celles formulées par le Parlement lui-même. D’ailleurs, ce dernier avait déjà voté une résolution le 4 mai 2022 appelant à une révision des traités fondamentaux de l’UE. Cinq jours plus tard, Ursula von de Leyen exprimait son accord. Le 9 juin, les eurodéputés ont approuvé l’envoi d’une demande de révision des traités au Conseil européen, tout comme en novembre 2023.

Ainsi, de mai 2021 à novembre 2023, tout a l’air d’un coup monté soigneusement orchestré. Si le nombre des citoyens consultés semble impressionnant au premier abord, c’est peu de chose comparé aux 448,4 millions d’habitants de l’UE. Une bonne règle en politique consiste à ne jamais consulter que les gens qui risquent d’abonder dans le sens de celui qui les interroge. Il est peu probable que des Européens connaissant mal l’UE ou s’en méfiant aient participé à la Conférence. La pression continue exercée sur le Conseil par le Parlement trouve un relais dans d’autres rapports préparés cette fois par des experts. Le 18 septembre 2023 a vu la publication d’une étude, « Naviguer en haute mer », commandée par les gouvernements français et allemands, portant sur la manière de préparer l’UE à accueillir de nouveaux États-membres. Sans surprise, les spécialistes ont conclu à la nécessité de réviser les traités et notamment d’étendre le recours au vote à la majorité qualifiée. En octobre, un autre rapport, indépendant cette fois, mais rédigé par des experts européens dont certains les mêmes que pour le précédent, a vu le jour, accompagné d’une tribune dans Le Monde. Publié par le think tank proeuropéen, EuropaNova, « EU Treaties – Why they need targeted changes » rejoue la même mélodie que tous les autres rapports. L’important ici, c’est de voir que le coup d’État actuel du Parlement n’est pas du tout un incident isolé, mais représente une étape de plus – et certainement pas la dernière – dans une campagne qui roule inexorablement vers son objectif final. Et sous le haut patronage d’Emmanuel Macron. 

Forçons les citoyens à être libres !

Est-il raisonnable d’étendre les pouvoirs du Parlement européen ? Les élections parlementaires européennes ne sont pas de celles qui enthousiasment le plus les électeurs. Les dernières, en 2019, n’ont mobilisé que 50,66% de la population de l’UE – et c’est le plus haut pourcentage depuis 1994. La confiance des électeurs dans cette institution n’est pas impressionnante non plus. Selon Eurostat, 50% faisaient confiance au Parlement en décembre 2022. Et c’était juste avant l’annonce des arrestations et enquêtes faisant partie de la grande affaire de corruption que l’on connaît maintenant sous le nom de Qatargate, qui a été suivi de près par le Marocgate. Si les eurodéputés ne semblent pas du tout impossibles à corrompre pour des puissances étrangères, ils sont potentiellement ouverts au chant des Sirènes des lobbystes LGBTQIA+. N’oublions pas que les propositions de réforme réclament pour le Parlement le partage des compétences en matière de droits reproductifs. La proposition 31 veut remplacer l’« égalité entre les hommes et les femmes » par l’« égalité de genre ». Ce sont des questions sur lesquelles les États-membres ont des opinions très divergentes. Un Parlement tout puissant passerait sans difficultés par-dessus de telles divergences. Il est évident que, à l’heure actuelle, cette institution n’inspire pas une majorité des électeurs européens et que ses visées ne sont pas de nature à les inspirer.

Pourtant, l’actuelle tentative de coup de force du Parlement est fondée sur un pari cynique : quand il aura beaucoup plus de pouvoir, tous les citoyens seront obligés de s’y intéresser.  

Amphét’, whisky et dents gâtées : Les Pogues, une ivresse poétique à partager

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Le chanteur des Pogues, Shane MacGowan, vient de mourir. Il avait 65 ans.


« RIP Shane, tu m’as donné quelques-uns des plus beaux moments de ma jeunesse, et tu continues. Le concert à L’Electric Ballroom avec Joe (Strummer, du groupe The Clash NDLA), me donne encore des frissons. Dieu te bénisse. » Ce commentaire trouvé sous la vidéo d’un concert de The Pogues, sur YouTube, ne peut que toucher ceux qui ont aimé le chanteur du groupe, Shane MacGowan, qui nous a quittés jeudi 30 novembre, à l’âge de 65 ans. Parlons-en justement des concerts des Pogues, de véritables épopées, chaotiques et joyeuses, desquelles nous ressortions justement trempés de sueur aux relents de bière, les pieds en sang, mais heureux. Trêve de souvenirs. Revenons à celui que tout le monde s’accorde à qualifier, à raison, de poète.

Une incarnation de l’Irlande née en Angleterre

Cette figure tutélaire irlandaise est née en Angleterre, dans le Kent. Ce summum de campagne anglaise sage et verdoyante, bien loin de l’imagerie de la lande irlandaise, ne colle pas au personnage. Shane MacGowan vécut cependant six ans de sa vie en Irlande, à Nenagh, dans le comté de Tippererary (Michel, si tu nous lis…). Là se construit sa part celtique, car, comme toutes les personnalités exceptionnelles, MacGowan était un homme complexe, pas simplement le punk-barde alcoolique d’origine irlandaise, à la dentition ravagée par les amphétamines, qui a marqué nos esprits.

Son enfance irlandaise, il nous en parle dans le très beau documentaire de Julian Temple, Crock of Gold, déjà rediffusé sur Arte. Il y apparaît usé, en fauteuil roulant, mais la verve est intacte lorsqu’il raconte le petit garçon timide, doué à l’école, qui fut élevé par sa mère et ses tantes, d’excentriques irlandaises au verbe haut. Lui, rêve de devenir prêtre. On sent son besoin d’absolu, qui se verra très vite comblé par… l’alcool.

A lire aussi, Thomas Morales: Astérix, Corto, Gaston, Alix, Clifton, Blake et Mortimer: les «nouveaux» héros…

Il raconte sa première cuite, à quatorze ans – au whisky évidemment – et le bien-être que celle-ci lui a procuré, presqu’une épiphanie. Il se vantait de « ne pas avoir été sobre depuis l’âge de quatorze ans ». Sa femme, la journaliste Victoria Mary Clark, ne se souvient pas, sauf à la fin, l’avoir connu sobre non plus.  Le whisky était son sang, son sang était le whisky. Il y aurait presque là un aspect christique.

Shane MacGowan, c’est aussi cet Irlandais londonien d’adoption qui, comme tous ceux de sa génération, furent fascinés par les Sex Pistols. Après un concert de ces derniers, Shane se rebaptise un temps : Shane O’Hooligan, comme pour faire disparaître le petit garçon timide de Tippererary qui se rêvait prêtre.

Dandy dadais

Le critique rock anglais Nick Kent, dans son indispensable recueil d’articles : L’envers du  Rock (The  Dark Stuff), écrit à son sujet : « Il fait preuve d’un attachement très romantique à son héritage celtique, mais ses manières, son attitude sont celles du zonard punk londonien typique. Disons qu’il y a chez lui un délicat mélange d’aristocrate et de crétin, de dandy et de dadais. Il n’a pas son pareil pour faire rimer académique et bordélique. » Kent a tout compris. Cependant, ce « crétin » avait le don inné de la poésie, et a écrit la plus belle chanson qui soit sur l’exil des Irlandais lors de la grande famine de 1850 : Thousand are sailing : « Thousand are sailing/Across the western ocean/To a land of opportunity/That some of them will never see » (Ils voguent par milliers à travers l’Océan Atlantique, vers une terre d’opportunités, que beaucoup d’entre eux ne verrons jamais). D’une diaspora l’autre, les Irlandais sont les nègres de l’Europe, dit-on, la musique leur est consubstantielle. Elle est leur véritable patrie.

Et comme les Irlandais – dont Freud aurait dit qu’ils étaient imperméables à la psychanalyse – sont tous reliés entre eux, par la magie de la musique, de l’alcool et de la poésie, les Pogues, sur la pochette intérieure de leur chef-d’œuvre,  If I Should Fall from Grace with God, posent tous en James Joyce : « ce mec qui nous ressemblait plus ou moins, soixante ans en arrière » déclare MacGowan. Académique et bordélique. 

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Henry Kissinger, le dernier diplomate

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La disparition du diplomate américain (1923-2023), prix Nobel de la Paix 1973, survient alors que l’ordre mondial dominé par l’Amérique vacille. La présente réflexion tend à qualifier la pensée d’Henry Kissinger dans sa singularité et à établir un bilan de son action.


La mort à 100 ans d’Henry Kissinger est un événement historique et, à bien des égards, un symbole. Avec lui disparaît l’une des figures les plus emblématiques de la grande tradition diplomatique classique, née en Europe au XVIIe siècle, avec l’État moderne.

Émule de Metternich et lecteur de Kant, Henry Kissinger aura œuvré, en fait, à une actualisation en notre temps de la pensée de l’équilibre, qui fait découler la paix d’une mise en dialogue des intérêts nationaux. Promoteur d’un modèle de politique internationale prenant la rationalité pour boussole, il aura toujours veillé à entretenir le dialogue des grandes puissances, sur un mode westphalien, pour apporter une réponse aux crises contemporaines et toujours mieux consolider l’ordre du monde.

A une époque où la compétition des puissances se fait de plus en plus rude, les leçons que nous laisse Henry Kissinger sont plus que jamais précieuses pour tenter d’encadrer et d’accorder, par la diplomatie, en un point d’équilibre mutuel, l’expression de leurs intérêts.

Ces leçons, comment les reformuler ? La pensée et l’action d’Henry Kissinger définissent, en fait, un réalisme original, qui ne peut ressortir strictement aux catégories très rationalistes et mécaniques définies par les penseurs et praticiens américains ayant dominé la théorie des relations internationales au XXe siècle. Ainsi entrevu, le réalisme kissingérien serait avant tout de nature ou d’origine européenne et consisterait en une perpétuation de la tradition diplomatique de l’âge classique.

Cette philosophie particulière des relations internationales a pour axe l’équilibre des puissances et des intérêts nationaux et repose sur une limitation rationalisée par la négociation des aspirations des États. Intellectuellement contemporain des négociations du congrès de Vienne et de l’époque moderne, le réalisme de Kissinger serait, de façon paradoxale, virtuellement antérieur aux théories réalistes développées aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale ; et il semblerait, dans le même temps, plus adapté que les doctrines réalistes les plus rigides aux caractéristiques de l’ère post-moderne, où la recherche d’une nouvelle structure de paix, mettant en équilibre les puissances qui s’affirment paraît plus que jamais nécessaire.

C’est que l’équilibre qu’il nous pousse à rechercher ne procède pas uniquement de la comparaison des arsenaux : il a une plus grande subtilité. Il fait place, à côté de la mesure physique de la force, à un élément psychologique, l’engagement des hommes d’État, et à un élément moral, la légitimité de l’ordre mondial et le sens des continuités historiques. En un mot, il donne toute sa valeur, parmi les nations qui aspirent à la stabilité, au jeu de la diplomatie.

Avec le président Richard Nixon, auprès de qui il a œuvré à la consolidation de la détente, Henry Kissinger a permis la lente acclimatation de cette tradition diplomatique européenne sous les latitudes américaines, au point qu’une sorte de retournement historique semble s’être finalement accompli, en particulier après le paroxysme idéaliste en quoi a consisté la politique de George W. Bush. La tradition diplomatique européenne, dont Kissinger a été l’une des dernières incarnations, s’est trouvée, en un sens, transplantée en Amérique, où avaient fleuri déjà de nombreuses écoles réalistes, tandis que les Européens se trouvaient peu à peu gagnés à une sorte d’idéalisme impuissant. Ce retournement n’a pas été, certes, sans conséquences. Il est venu sceller une forme de translatio imperii au profit du nouveau monde, ou bien indiquer, au gré des jeux d’une sorte de « ruse de la raison » hégélienne, le « sens de l’histoire », qui fut le premier sujet de recherche de l’étudiant Kissinger.

Cette translation de la tradition diplomatique européenne se trouve confirmée, peu ou prou, par l’évolution contemporaine de la politique des États-Unis, qui se découvre chaque jour plus centrée sur ses intérêts nationaux et moins soucieuse de messianisme, quand les Européens, désorientés, demeurent constitutivement incapables de retrouver la boussole du réalisme et de la politique d’équilibre, qui mène à la paix, dont ils ont pourtant été les savants concepteurs.

Dans un contexte, où, par-delà même cette translation, de nouvelles puissances, comme la Chine, se rapprochent et progressent vers l’empire, la vision de Kissinger est plus que jamais actuelle. L’évolution en cours du monde conduit, en effet, à un retour des intérêts nationaux. Certaines puissances avaient anticipé ce retournement, quoi que l’on pense de leurs dirigeants. C’est un fait que la Chine n’a jamais cessé de penser d’abord à la promotion de ses intérêts nationaux.

Par comparaison, la faiblesse de l’Europe continentale, prise en étau entre les États-Unis et le Chine, dans ce qui paraît être le début d’une nouvelle réduction bipolaire, est patente. L’Europe, aux yeux du monde, est comme vouée à l’entropie, sous les effets conjugués de son affaiblissement politique et militaire, de son déclassement économique, de sa perte de vitalité démographique et du repli de sa créativité. Pour préparer un renouveau, la pensée et l’œuvre de Kissinger, qui fut le plus Européen des Américains, peut utilement servir de référence pour stimuler les réflexions stratégiques éparses des Européens.

Toujours en mouvement, Kissinger n’aura cessé, jusqu’à sa mort, d’analyser le monde qui change, élargissant ses réflexions aux défis de l’intelligence artificielle, aux conséquences de la crise sanitaire, à l’acuité de vulnérabilités nouvelles, dont l’opinion a peu conscience et qui sont liées à l’usage, désormais incontournable, pour le fonctionnement des sociétés humaines, des nouvelles technologies informatiques.

Témoin de bien des crises ayant mis à l’épreuve, sans le subvertir, l’ordre westphalien, Henry Kissinger nous laisse des leçons à méditer pour penser le monde en proie à bien des convulsions et le remettre d’aplomb, quand les doctrines qui étaient soudain apparues, au lendemain de la guerre froide, ont aussitôt disparu, comme autant de sombres météores : le néoconservatisme, avatar botté de l’idéalisme, s’est discrédité par les désordres que ses entreprises martiales ont répandus. Le libéralisme centré sur l’individu semble affecté d’une pathologie qui pourrait annoncer son obsolescence. Le temps semble venu de renouer avec le réalisme consubstantiel à l’ordre westphalien du monde. Peut-être la disparition du grand diplomate que fut Kissinger permettra-t-elle à nos contemporains de reconnaître le bien-fondé de ses positions?

Au moment d’établir le bilan de l’œuvre du dernier diplomate qu’a été Kissinger et de tenter de qualifier le réalisme kissingérien en sa singularité, il paraît possible d’affirmer que son œuvre d’universitaire et d’homme d’État trace et prolonge en diplomatie la ligne claire d’un vrai classicisme.

Cette ligne claire, partie historiquement d’Europe, se démarque des perspectives développées par les réalistes apparus après la Seconde Guerre mondiale, qui soit cherchaient l’origine de la conflictualité internationale dans la nature humaine, soit prétendaient ériger leur pensée en pure théorie, dégagée de tout horizon historique. Dans les débats paradigmatiques, Henry Kissinger fait donc figure de vrai classique, virtuellement antérieur aux réalistes contemporains. La politique étrangère qu’il a conduite et inspirée a poursuivi et actualisé la tradition diplomatique des cabinets européens des XVIIIe et XIXe siècles, considérant les relations internationales comme le champ où interagissent, se confrontent et négocient les personnes publiques souveraines que sont les États, détenteurs du monopole de la violence légitime.

Intellectuellement proche de Raymond Aron, Henry Kissinger établit un lien entre l’œuvre des fondateurs et promoteurs historiques de l’ordre international classique, Jean Bodin, le cardinal de Richelieu, mais aussi le comte de Vergennes, qu’étonnamment, il ne cite pas dans Diplomatie, et sa reformulation postérieure selon des concepts germaniques, accomplie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, quand l’Allemagne fut parvenue à sceller son unité.

Chez Kissinger, qui trouve sa boussole dans les traités de Westphalie, la politique étrangère n’implique que secondairement les particuliers et les sociétés civiles ; elle est le fait des hommes d’État et de leurs entourages, commis à la préservation et à la négociation des intérêts souverains dont ils sont les dépositaires. Se référant à l’histoire et à la permanence des continuités qu’elle forge, il voit dans les relations internationales l’espace vaste où se font face tragiquement, mues chacune par ses intérêts propres, les personnes publiques que sont les États souverains.

Dans cette focalisation sur l’action des souverains se situe le champ du vrai classicisme, incarné, perpétué et mis en œuvre par Henry Kissinger, celui des monarchies bodiniennes des XVIIe et XVIIIe siècles, celui des historiens prussiens du XIXe siècle, et qui voit dans l’histoire des relations internationales celle des grandes personnes que sont les États, liés les uns aux autres par un commun recours à l’outil diplomatique ou aux moyens de la guerre. De cet espace anarchique et souvent violent, les particuliers sont juridiquement absents.

Le réalisme vraiment classique de Kissinger est aussi structurel, certes, au sens où cette vision est déterminée par la qualité et les attributions des acteurs légitimes se mouvant dans l’espace considéré.

En ce sens, le réalisme de Kissinger est une pensée dont le champ et la substance même sont l’histoire. Son œuvre ne donnerait-elle pas, en effet, la formule d’une « cliopolitique », valorisant les héritages de l’histoire, proche de la pensée aronienne, distincte du réalisme aux accents anthropologiques de Morgenthau, autant que du néoréalisme structuraliste de Waltz et du néoréalisme offensif de Mearsheimer?

Il semble que Kissinger a défini dans ses travaux universitaires et mis en œuvre dans sa politique une Weltanschauung westphalienne, axiologiquement neutre, valorisant l’arkhè historique (ἀρχή), au sens de précédent normatif, mais aussi, par extension, d’usages fondateurs en diplomatie, qui, partagés par les États et par leurs leaders, contribuent à étoffer un ordre mondial légitime.

Au fond, la dialectique fondamentale sur laquelle repose le réalisme kissingérien, qui articule la particularité historique et l’ambition théorique, n’est certes pas sans parenté avec le « réalisme vrai » de Raymond Aron, « réalisme authentique capable de faire la discrimination entre modalités historiques et traits permanents de la politique étrangère capable aussi de ne pas ignorer que aspiration des valeurs est partie intégrante de la réalité humaine individuelle et collective ».

Nanti d’une telle gémellité intellectuelle, Henry Kissinger s’est imposé comme un vrai classique et l’un des derniers diplomates, allant à contre-courant dans un monde occidental, désorienté, médiatiquement gagné à un idéalisme pauvre et sentimental, qui sert ordinairement de prétexte à toutes les entreprises violentes unilatérales.

Cette vie, cette pensée, cette œuvre peuvent éclairer les hommes d’aujourd’hui. Tandis que le consensus libéral s’érode, l’apport classique kissingérien offre une matrice pour promouvoir un profond renouvellement intellectuel des élites politiques et diplomatiques pour aborder le domaine des relations internationales et répondre aux bouleversements qu’il connaît actuellement.

Dernier vrai diplomate de notre temps, Henry Kissinger établit, par son destin, un lien entre l’ordre classique, qu’avait déréglé l’irruption des idéologies révolutionnaires totalitaires, et un monde en métamorphose, où se mesurent les ambitions de puissances nouvellement émergentes. Il donne à ceux qui l’écoutent des clefs pour comprendre les fondements sur lesquels il est toujours possible d’établir une stabilité internationale, en soulignant la nécessité de reconstruire un équilibre des grandes puissances de nature à mettre en balance leurs intérêts concurrents et à pacifier le monde.

La cohérence intellectuelle et la liberté de parole dont Henry Kissinger a témoigné à travers les époques différentes qu’il a traversées lui confèrent un statut d’exception dans l’histoire des États-Unis et dans l’histoire des relations internationales. La clarté des positions de Kissinger, perpétuellement soucieux de conserver son assiette à l’ordre du monde, lui-même hérité, sous ses divers avatars, des traités de Westphalie, tranche singulièrement avec le vague idéalisme sans vision de la plupart des politiciens occidentaux, esclaves de l’opinion.

Figure tutélaire que la plupart des Américains saluent comme le secrétaire d’État le plus marquant de l’après-guerre, Henry Kissinger est pour notre temps la dernière incarnation de la diplomatie classique d’origine européenne. À rebours de toutes les tentatives et tentations impériales, propres à bouleverser l’ordre du monde par refus d’admettre sa réalité polymorphe, Henry Kissinger invite par ses réflexions les hommes d’État, les analystes et les peuples à proportionner la portée de leurs desseins et à chercher à consolider avec leurs interlocuteurs souverains et selon les usages légitimes de la diplomatie, un équilibre synonyme de paix. Pour les États souverains, l’équilibre de leurs intérêts concurrents, que limite, précisément, leur interaction et que canalisent les usages de la diplomatie, est de nature à consolider l’ordre du monde et à renforcer sa stabilité.

Révélée dans ses multiples œuvres, qui vont de sa thèse, publiée en 1957 sous le titre A World restored, à Leadership, son dernier livre, paru en 2022, en passant par ses volumineux mémoires et par Diplomatie, la pensée de Kissinger nous donne la formule d’un réalisme authentiquement classique, au sens où, à la différence notable de Morgenthau, il valorise, pour expliquer les logiques innervant le système mondial, le rôle des unités politiques fondamentales que sont les États souverains en faisant l’économie de toute réflexion sur les origines de la conflictualité et les liens qu’elle pourrait avoir avec la nature humaine.

La mort de ce géant de la diplomatie devrait conduire les hommes d’État de notre temps à reconnaître, après lui, que l’histoire est tragique et que la tâche particulière qui leur incombe consiste à assumer cette dimension de la politique, sans croire que la réalité extérieure puisse être aisément remodelée selon les formes d’un idéal culturellement déterminé.

Clairement démarquées des tentations de nature impériale, en décalage avec la réalité plurielle du monde, l’œuvre et la pensée librement classiques d’Henry Kissinger ouvrent aux nations la troisième voie d’un équilibre procédant de la souveraineté étatique et gagné par la négociation.

La permanente validité de son message tient certes à sa compréhension de la nécessité de la souveraineté, donc de la politique, pour permettre la cohabitation mondiale des hommes, historiquement regroupés en nations. Elle tient ainsi à la cohérence de ses vues, qui trouvent leur premier enracinement intellectuel dans sa thèse, consacrée à la consolidation, dans l’équilibre, du concert européen, au lendemain de l’ère napoléonienne. Cependant, le réalisme d’Henry Kissinger vient aussi répondre, de manière plus profonde et radicale, comme peu d’observateurs l’ont relevé, à une interrogation plus existentielle, par laquelle les hommes, livrés dans l’histoire à l’empire du temps et des déterminismes, examinent la valeur et la portée de leur liberté. A cette question universelle, qu’il avait posée, antérieurement à sa thèse, dans son mémoire de premier cycle, Henry Kissinger a répondu par ses œuvres, en plaçant, par l’action, la liberté individuelle de l’homme d’État, en proie au temps comme ses semblables, au service de la liberté souveraine des États, entités de nature politique, qui, dans le monde, touchent, par comparaison avec la finitude individuelle, à la permanence la plus manifeste. Henry Kissinger trouve ainsi dans un engagement d’ordre politique, au sens le plus fort et le plus élevé du terme, dans un combat mené pour permettre à la nation qu’il sert de résister elle-même à l’entropie des civilisations, donc in fine dans le mouvement d’une histoire transcendante l’illustrant, le sens qu’il cherchait à donner à la liberté.

Source: revue Conflits

Raymond Aron, penser le déni

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Raymond Aron, octobre 1983 © Sipa

Le spectateur engagé est mort il y a quarante ans. En s’opposant à la doxa bien-pensante, cet intellectuel rationnel et clairvoyant a dénoncé l’aveuglement idéologique de la gauche. Alors que les diktats communistes d’hier sont devenus les injonctions wokes d’aujourd’hui, sa pensée est cruellement actuelle


Il y a quarante ans disparaissait Raymond Aron (mars 1905 – octobre 1983). Normalien et agrégé de philosophie, au temps où ces diplômes avaient une valeur, titulaire de la chaire « Sociologie de la civilisation moderne » au Collège de France à une époque où un esprit libéral pouvait être sociologue et aussi faire cours au Collège de France, trente ans éditorialiste au Figaro au temps où l’on achetait la presse écrite, spectateur engagé mais fantasmé en conseiller du prince quand il y avait encore des conseillers pour les princes et, surtout, des princes pour les conseillers, il fut l’un des esprits les plus remarquables de la France d’avant. Intellectuel anticonformiste, à la confluence des sciences sociales et politiques, de l’histoire et de la philosophie, il marqua une époque où certaines figures se pliaient encore à l’exigence de la conversation et où l’anticonformisme dénonçait l’aveuglement d’une intelligentsia communiste et communisante tout à sa construction fanatique ou complaisamment littéraire de la réalité.

Quand le réel ne s’expliquait pas par les ressentis

Cette époque est en grande partie révolue. Les intellectuels sont devenus des experts et la pensée s’est subdivisée en de multiples microspécialités étanches. La confluence des disciplines et des outils rationnels de compréhension du monde s’est muée en une convergence d’un nouveau type, l’intersectionnalité, carrefour pluridisciplinaire des ressentis et des jérémiades victimaires élevés au rang de système d’explication de tout. La conversation, nécessairement âpre pour être fructueuse, a été remplacée par l’invective et l’injure, doux héritage du monologue sartrien : moi qui ai raison et tous ces chiens qui ne partagent pas mon avis. Quant à l’anticonformisme, il est devenu une sorte de rupture conventionnelle prévue par la société elle-même : subventionner la dissidence et attribuer des homologations en pensée « disruptive »sont les meilleurs moyens de consolider les bases du mainstream.

À lire aussi, Pierre Vermeren: Sociétés multiculturelles vs Dar al-Islam

Une constante néanmoins, au milieu de tous ces bouleversements : le persistant aveuglement de ce « vague ensemble » de la gauche (délicieuse expression aronienne) toujours convaincue de sa supériorité morale et qui continue à juger « préférable d’admettre non pas la réalité mais la réalité telle qu’elle serait si elle était conforme à ses désirs ». La lecture, en 2023, de L’Opium des intellectuels(1955) et du Spectateur engagé (1981) est saisissante d’actualité : personne mieux que Raymond Aron n’a brossé avec autant de clarté le portrait idéologique de ces belles âmes, « impitoyables aux défaillances des démocraties mais indulgentes aux plus grands crimes, pourvu qu’ils soient commis au nom des bonnes doctrines ». Les bonnes doctrines d’aujourd’hui (écoféminisme, transgenrisme, intersectionnalisme, etc.) ont des noms en –isme à géométrie variable, mais àegométrie invariable. Elles hurlent ensemble aux inégalités structurelles, au racisme systémique et à l’incurie écologique, vomissent la VeRépublique et l’Anthropocène, mais justifient l’agressivité des rapports humains, la haine des riches et des classes moyennes, la sédition politico-religieuse, les émeutes urbaines et le vandalisme dans les campagnes, la hargne entre les sexes, l’hystérie du genre, le retour de la notion de race et l’éco-anxiété. Ces bonnes doctrines n’ont pas encore fait des dizaines de millions de morts comme le communisme, mais elles ont obtenu la mort sociale de nombreux universitaires, réécrit les livres d’histoire, les manuels scolaires et les livres pour les tout-petits. Elles ont repensé l’école, le monde du travail et les loisirs, enfermé les gens dans un quant-à-soi prudent, transformé des faits de société alarmants en faits divers dérisoires, tout en inscrivant le racisme, le sexisme, l’islamo-grosso-trans-phobisme comme crimes quotidiens contre l’humanité. Elles ont suspecté la haine de l’Autre dans l’indécrottable attachement à notre culture, demandé aux plus jeunes de ne plus rêver d’avions, aux adolescents d’avoir peur pour leur avenir et à leurs parents de prouver leur progressisme.

La gauche et la condamnation du réel

« Tout peut se reproduire en histoire », « nos sociétés sont toutes menacées par les systèmes totalitaires », disait Raymond Aron. Il était bien placé pour le dire ayant vécu, à lui seul, cinquante ans d’histoire, de la Grande Guerre à la guerre d’Algérie. Clairvoyant sur la montée du nazisme et la catastrophe à venir lors de son séjour en Allemagne entre 1930 et 1933, exaspéré de voir qu’avec le marxisme-léninisme, l’intelligentsia retombait dans le piège du totalitarisme au nom, cette fois, d’une doctrine généreuse, il a pensé le déni, qu’il nommait « la condamnation du réel », comme un élément constitutif des idéologies de gauche. Contestation du lien entre réalité et vérité, le déni est aujourd’hui le métavers idéologique à travers lequel nous sommes priés de voir ce que nous sommes contraints de souhaiter. Cas d’école en la matière : « Les résultats du baccalauréat de juin dernier sont un peu inférieurs à ceux de 2022, ce qui prouve que le baccalauréat est un examen exigeant » (Pap N’Diaye, ancien ministre de l’Éducation nationale).

A lire ensuite, Jonathan Siksou: Le cas Notre-Dame

Au-delà de l’hommage qu’on lui doit, lire Raymond Aron est, plus que jamais, un exercice d’hygiène intellectuelle. En ces temps ensuqués par l’hyperinclusivisme émotionnel et les messianismes de caniveau, la pensée rationnelle d’un homme qui, sa vie durant, s’est refusé à jouer à la conscience universelle et a rappelé à qui ne voulait surtout pas l’entendre que le réel est complexe et équivoque, est une consolation et une voie à suivre.

« Je trouve un peu prétentieux de rappeler à chaque instant mon amour de l’humanité. » Le jour où des adolescents se promèneront avec cette phrase sur leur T-shirt, la partie sera, peut-être, gagnée.

L'opium des intellectuels

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Érotisons la vie (intérieure)!

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Nolwenn Pétoin est professeur de philosophie et signe "Érotique de la vie domestique". DR.

Avec Nolwenn Pétoin, l’ennui n’est pas de mise. À l’issue de la lecture de ses propos iconoclastes, la perception de votre paysage domestique sera changée.


Dans la profusion de livres, il arrive de tomber sur un ovni. C’est le cas avec l’ouvrage de Nolwenn Pétoin. Déjà le titre, provocateur : Érotique de la vie domestique. Ne vous attendez pas à un traité érotique écrit à la manière de Georges Bataille. Ici, l’érotisme ne débouche pas sur la noirceur et la mort, mais la vie solaire. Nolwenn Pétoin est née en 1983, à Saint-Malo. L’air marin, probablement respiré sur le Grand Bé où est enterré Chateaubriand, a fortifié son style. Agrégée de philosophie, son propos est iconoclaste, plein d’humour, et parfois ponctué de métaphores audacieuses. Vous l’aurez compris : l’ennui n’est jamais de mise. Et pourtant, Nolwenn nous invite à rester dans notre chambre, « une chambre à soi », comme le réclamait Virginie Woolf. L’homme pressé va demander : « Que faire chez soi, que faire de cette chambre ? »

Congédions les passions tristes

C’est tout l’enjeu de ce livre audacieux qui propose de tout repenser dans le but de nous conduire à la sagesse et à l’épanouissement de soi. C’est frais, à la fois tonique et doux. Dans un monde en proie à la barbarie, l’univers quotidien, avec ses tâches qu’on juge lassantes, doit nous permettre de nous recentrer et de jouir de cette vie domestique dans ce qu’elle a de plus trivial. Ce n’est pas évident, car il convient de la réinventer.

A lire aussi: À l’Ouest, du nouveau!

Tout part donc de la chambre, qui doit être noire, c’est-à-dire qu’elle va révéler ce que nous sommes réellement. Notre chambre sert à « dormir, dire des bêtises, jouer de la musique ou travailler à notre « grand œuvre ». Nous asseoir et dilapider notre temps. » Nous allons congédier les passions tristes. Au passage, l’auteure révèle qu’elle a vécu dans sa chambre durant trois ans. Elle n’allait pas au lycée, mais elle travaillait « avec un sérieux suffisant ». Sûrement protégée des scories d’un enseignement idéologique, très éloigné de la nature et de ce hennissement de vitalité prôné par Nietzsche. Dans sa chambre, qui ressemble à celle du poète René Baer, mis en musique par Léo Ferré, l’auteure expérimente une catharsis qui lui permet un nettoyage spirituel salvateur. Il reste alors à mettre en valeur le corps, à l’entretenir avec des produits frais, cuisinés avec respect et lenteur, à le caresser sans le brusquer. Nolwenn Pétoin nous convie à retrouver le vibrato de nos cinq sens. Ce que nous cuisinons, par exemple, est un révélateur de ce que nous sommes. Elle écrit : « La cuisine aussi est un style, qui exprime l’ensemble du spectre d’une présence. C’est l’ombre portée de notre vie que nous mangeons. » Elle note qu’il y a « un plaisir de moine à découper les légumes. Leur fraîcheur et leur humidité, leur innocence et leur bonne grâce rendent l’éminçage hypnotique. » Les mots sont choisis avec précision. La cuisine est un art, souligne-t-elle encore. Au passage, elle en profite pour donner la définition de l’artiste. C’est celui qui se libère des règles apprises pour entrer dans un jeu créatif jamais exploré. Nolwenn Pétoin avoue que son alimentation est « non violente », donc végétale et bio, mais elle ne culpabilise pas ceux qui « rôtissent des hécatombes sur l’autel de la convivialité humaine ». Aucun anathème lancé, mais une revendication, celle de la bonté : « Respecter l’humanité en soi, c’est choisir ce que, seuls parmi tous les animaux, nous sommes libres de choisir : l’amour de tout ce qui vit et la compassion, par-delà l’aveugle violence de la chaîne alimentaire. » Et de conclure : « J’aime mieux manger ce qui veut l’être, comme les fruits, dont la pulpe sucrée n’a d’autre vocation que de nous séduire. » Cela résume parfaitement l’entreprise, tendre et sensuelle, de l’auteure.

À la fin de l’ouvrage, à offrir à tous les grands agités, la perception de notre paysage domestique sera singulièrement transformée, et notre vie aura gagné en plénitude subversive.

Nolwenn Pétoin, Érotique de la vie domestique, préface de Kankyo Tannier, Le Passeur Éditeur.

Vapotez, vapotez, il restera au moins ça…

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© NICOLAS MESSYASZ/SIPA

La semaine où le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, présente son plan anti-tabac liberticide, Elisabeth Borne se fait sermonner à l’Assemblée nationale par une élue de l’opposition, l’infirmière « insoumise » Caroline Fiat. « La loi est la même pour tout le monde ! » a lancé la députée, trop contente de pouvoir coincer le Premier ministre qui vapotait dans l’hémicycle.


Trop souvent, nous demeurons sans voix devant l’extraordinaire sens des priorités dont nos gouvernants font preuve. Tout un chacun conviendra sans peine qu’il n’y avait rien de plus impérieux, de plus urgent que de concocter une loi visant à interdire de fumer à la plage. Il y va, nous assure-t-on, de la santé de nos bronches et du bon exemple à donner aux bambins affairés à bâtir – eux aussi, comme si souvent ces mêmes gouvernants – sur du sable. D’ailleurs, avec la loi nouvelle, il serait également prohibé à l’avenir de pétuner – comme on ne dit plus de nos jours, hélas !- aux abords des monuments publics et, plus particulièrement, si nous avons bien compris, des lieux que fréquente la belle jeunesse de ce pays : écoles, centres de vacances, patronages (s’il en subsiste), centres aérés et, bien entendu, les points de deal dont on sait combien ils sont prisés de certains jeunes qu’il serait très injuste – et discriminant – de tenir à l’écart de ces mesures de salubrité publique.

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Enfumage !

Monsieur le ministre de la Santé a exposé par le menu les tenants et aboutissants de son urgentissime croisade devant les parlementaires. Le lendemain, une députée de la France Insoumise lui succédait à la tribune. On s’attendait tout naturellement à la diatribe woko-gaucho-éructo habituelle, mais voilà bien que, sortant soudain de son répertoire de référence, la dame s’interrompt et s’en prend très directement à Madame la Première ministre qui, ne prévoyant pas, elle non plus, devoir entendre quoi que ce soit de bien neuf, attendait tranquillou sur son banc que ça se passe. Elle patientait en vapotant, histoire de meubler le vide, vraisemblablement. Nous avons en effet un Première ministre vapoteuse. C’est sa marque distinctive. D’autres hôtes de Matignon se sont illustrés en leur temps, par exemple en s’attaquant pour de vrai au chômage, en tâchant de juguler l’inflation, voire en s’efforçant de remettre de l’ordre dans le Landerneau, de replacer l’école et son enseignement au centre du village républicain, l’actuel cheffe du gouvernement, elle, vapote. Sera-ce suffisant pour lui assurer une place dans l’histoire ? L’avenir nous le dira.

Cependant, j’ai trouvé injustes et surtout inappropriées les remontrances de madame la parlementaire. Quelle mouche l’a-t-elle donc piquée d’aller ainsi titiller l’intéressée sur ce dont elle-même, son gouvernement, sa majorité, se sont fait une spécialité dans laquelle tous se montrent parfaitement insurpassables: l’enfumage?

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Tout au contraire, il aurait été autrement piquant que l’oratrice encense l’intrépide pour ne pas craindre de jouer crânement la transparence en « enfumant » ainsi la représentation nationale au vu et au su de la France entière. Non point au figuré, en l’occurrence mais au sens propre. Si la chose, le geste, la pratique sont délibérés, on aura rarement vu une telle franchise, un tel panache (si, si..) à un si haut niveau de la sphère politique. Cela vous aurait alors un petit parfum d’aveu canaille, impertinent, mêlé d’un soupçon de pied de nez, de bras d’honneur presque bon enfant. Pour un peu on en sourirait. On applaudirait à tant de subtilité.

Est-ce que vapoter, c’est fumer ?

Cela dit, toujours dans le souci de coller à l’urgence des priorités, je pense que nous ne devrions pas tarder à voir se constituer une commission parlementaire ayant pour enjeu de démêler l’épineuse question de savoir si vapoter c’est fumer, puisque fumer est interdit dans l’hémicycle. Une loi ad hoc, peut-être? Un 49.3 ? Probablement. Quel qu’en serait le résultat, Madame la vapoteuse de Matignon aurait tout de même, croyons-nous, une petite chance d’entrer dans l’histoire. La loi porterait sans doute son nom.

Un peu comme la loi Marthe Richard, voyez-vous. On a les gloires qu’on peut.

Mitterrand, Don Juan en politique

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Sur Sud Radio, Elisabeth Lévy pousse un coup de gueule contre le plan anti-tabac

Retrouvez la directrice de la rédaction de Causeur du lundi au jeudi dans la matinale

Contrer le nouveau prêt-à-penser antijuif

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Secours et enquêteurs après un attentat islamiste survenu le 30 novembre 2023, et revendiqué par le Hamas, Jerusalem, Israël © Ohad Zwigenberg/AP/SIPA

Le philosophe et psychanalyste existentiel Georges-Elia Sarfati analyse le nouveau discours judéophobe et rappelle qu’Israël joue actuellement sa survie.


Causeur. Georges-Elia Sarfati, vous êtes franco-israélien, philosophe, linguiste et psychanalyste existentiel. Vous avez longtemps enseigné en qualité de professeur titulaire à l’Université de Tel-Aviv, entre la signature des accords d’Oslo et le début des années 2000 : « une des périodes de l’histoire du pays les plus violentes et les plus contradictoires » dites-vous. Vous aviez alors manifesté un immense enthousiasme pour ces accords qui constituaient à vos yeux « les prémisses de la résolution d’un conflit qui dure, non pas depuis soixante-dix ans, comme on le dit trop légèrement, mais depuis un siècle. Le refus arabe d’une présence juive souveraine sur la terre d’Israël, ne date pas de 1947, mais du début des années vingt, de l’époque du Mandat Britannique. » Aujourd’hui, Israël vous semble-t-il menacé dans sa survie ?

Georges-Elia Sarfati. Israël mène une guerre existentielle, car en tant qu’Etat il a été violemment contesté dans son intégrité matérielle –territoriale, humaine et symbolique- en subissant le massacre de plus de 1500 de ses citoyens, demeurés sans défense, exactement comme à l’époque des pogroms et des farhoud, perpétrés dans les différentes communautés, d’Europe ou d’Orient. Il s’agit d’une confrontation radicale entre deux principes, deux états d’être, dont le paradigme se trouve dans le récit biblique de l’épisode au cours duquel Amalec – incarnation de la figure du mal absolu- attaque Israël, qui vient juste de s’affranchir de la servitude en Egypte. Mais sur la longue durée, l’histoire nous enseigne aussi, que dans les temps de crise et de grands périls, Israël s’égale à son principe natif : netsah israel, qui veut à la fois dire éternité et victoire d’Israël. Pourquoi ? Parce qu’Israël sait que chaque fois qu’il faut relever un défi existentiel, il le fait aussi pour l’humanité qui ne veut pas se soumettre au règne de la pulsion de mort.

Israël est perçu comme un Etat oppresseur par une grande partie de la jeunesse occidentale : sur quoi repose cette perception selon vous?

DR

Le discours judéophobe n’a pas connu de cesse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tout au plus était-il en sommeil, l’antisémitisme étant devenu tabou du fait de l’hitlérisme. Mais tandis qu’il s’éclipsait en Europe, le nationalisme palestinien lui a donné un regain de vitalité, cette fois sous le motif de l’antisionisme. Sa résurgence s’explique aussi par la méconnaissance de l’histoire, surtout celle du peuple juif, qui n’a jamais été enseignée. Il en résulte que les multitudes sont avant tout exposées à un faisceau de discours idéologiques, qui leur offre un prêt-à-penser, par ailleurs très efficace. Les variations de ce discours ont toutes un lien avec la théorie du complot : les sionistes ceci, les sionistes cela, etc. Les thèmes de cette propagande s’inscrivent dans la droite ligne de l’archive judéophobe et judéocide. Son principal ressort aujourd’hui consiste notamment à se réclamer du progressisme. Voilà pourquoi, être antijuif aujourd’hui peut aisément se justifier au nom de l’humanisme…

A l’heure où des humoristes de Radio France payés par nos impôts trouvent drôle de nazifier les Juifs, ne faudrait-il pas rappeler que le nazisme, dans son essence, c’était la volonté de tuer les Juifs et d’exterminer Israël, avec toute l’éthique et l’humanisme (détestés par Hitler) que ce peuple a apportés à l’humanité? De ce point de vue, où sont et qui sont les Nazis aujourd’hui?  

Si l’on tient absolument à reconduire la catégorie du nazisme pour désigner l’ignominie et la violence irrédentiste, alors il faut aussi lire l’histoire de notre temps avec des lunettes qui reconnaissent que le nazisme n’est pas le danger d’aujourd’hui.  Mais si l’on est soucieux de réfléchir l’histoire sans se couper des déterminations du passé, alors il faut dire que l’islamisme contemporain s’impose comme l’héritier méthodologique du nazisme. Méthodologique et non pas ontologique, car le nazisme est raciste, alors que l’islamisme, qui est une version violente de l’islam, est un universalisme dévoyé, exactement comme l’a été le marxisme soviétique ou chinois. La méthode est la même : elle consiste dans un déferlement de barbarie, relayée par une puissante propagande, aux fins d’asseoir une hégémonie sans partage. L’autre trait commun, c’est la mentalité complotiste et la poursuite d’un ennemi désigné – le signe juif et toutes ses manifestations humaines et culturelles (la chrétienté, la laïcité, la démocratie, etc.). A ce seul point de vue, il n’est donc pas fortuit que la mémoire de l’hitlérisme fasse partie du corpus de l’antisionisme radical professé par l’islam djihadiste.

Dans son combat contre l’islamo-nazisme, l’Occident est-il à la hauteur?

Je ne pense pas que l’expression d’islamo-nazisme soit adaptée, il nous faudrait du temps pour en dire les raisons. Sur le fond, il faut considérer les choses au cas par cas. Tous les pays occidentaux n’ont pas la même expérience de l’islam, ni de l’islamisme. Les Etats-Unis ont en fait les frais au moment du 11 Septembre 2001, puisqu’ils étaient désignés comme les fourriers de l’impérialisme… En Europe, c’est la France qui est aux premières loges, puis la Grande Bretagne, mais aussi l’Allemagne et l’Autriche, du fait de la présence d’une forte population d’origine musulmane, pas seulement issue des pays arabes, mais aussi de Turquie. Comme vous le savez, les Frères musulmans considèrent depuis longtemps que la France est « le ventre mou de l’Europe ». Cela est paradoxal : la France, qui a été présente au Maghreb pendant plus d’un siècle, n’a-t-elle tiré aucune leçon de sa propre histoire ? A côté du laxisme français, l’aire germanophone se montre plus vigilante, notamment en interdisant, depuis le mois d’octobre 2023, la plupart des grandes organisations musulmanes proches du Hamas et du Hezbollah. Les mesures de police ne suffisent évidemment pas, sur le fond l’Europe doit aussi réformer son système éducatif.

L’ignorance et l’inculture sont le terreau de la haine. On est ainsi quand même étonné de voir que très peu de théologiens et de philosophes prennent la peine de dire que juifs, chrétiens et musulmans, nous croyons tous au même Dieu, celui d’Abraham, de Moïse, de Jésus-Christ et de Mahomet et que, de fait, nous sommes tous frères dans le monothéisme. Cette parole est-elle donc devenue inaudible ?

Pour que cet enseignement majeur soit accessible, sinon audible, encore faudrait-il que ce que l’on appelle le fait religieux ne soit pas étranger à la plupart de nos contemporains. Sur les trois monothéismes, seuls le judaïsme et le christianisme, dans leurs différentes composantes, ont envisagé de s’ouvrir à la critique historique ou au remaniement de leurs archaïsmes respectifs (substrats polémiques, statut des femmes, accueil de la laïcité, acceptation des principes de la société ouverte, intérêt pour un dialogue fraternel, etc.) ; mais pour l’heure, l’islam est tendanciellement resté hermétique à ces changements. Il ne faut pas oublier néanmoins ce que l’humanité doit aux acquis de la modernité, à commencer par le fait de circonscrire l’instance religieuse afin qu’elle soit dessaisie de l’exercice du pouvoir temporel. Au mieux, le développement culturel et spirituel des différentes fractions de l’humanité devrait-il favoriser la dimension éthique des traditions révélées, de manière à servir de support et d’inspiration morale aux pratiques sociétale (la compassion, la solidarité, l’accueil de l’étranger qui respecte les lois du pays d’adoption, la défense de la veuve et de l’orphelin, etc.). Mais en tant que Judéen, citoyen français et israélien, je ne nourris aucune nostalgie pour l’ère théocratique, ni aucune prédilection pour sa restauration !

En tant que philosophe, êtes-vous frappé par le fait que, dès son apparition, il y a 4000 ans, le peuple hébreu ait suscité la méfiance et la haine chez les autres peuples ? Comment comprenez-vous ce fait historique ?

Je vous répondrai en reprenant à mon compte les thèses de deux de mes maîtres, dont je prolonge modestement l’enseignement. Pour Claude Tresmontant, la méfiance et la haine des autres peuples à l’égard des Hébreux, relève de ce qu’il a appelé, dans l’un de ses grands livres, l’opposition métaphysique au monothéisme hébreu. Le « phylum hébraïque » est porteur d’une anthropologie, et d’une cosmologie qui nous enseigne d’une part que le monde n’est pas éternel, d’autre part que l’être humain entretient avec son Créateur une relation personnelle. Ces deux idées majeures constituent un scandale pour l’humanité polythéiste. Cette double bizarrerie, au temps du paganisme préchrétien, heurte la sensibilité des peuples dominés par des chefs divinisés, et des récits fondateurs, marqués par le particularisme. Emmanuel Lévinas, qui était phénoménologue, pose quant à lui que c’est la pensée biblique qui invente le primat de ce qu’il appelle la rationalité éthique, l’impératif de la relation déférente à l’égard de l’autre homme. Cela n’est rien de naturel, cette sortie de soi, au nom du droit d’autrui. Donc l’hébraïsme, et cela a été assez reproché aux Juifs (Claude Tresmondant a raison de dénoncer ce terme, lui préférant celui de Judéens) apporte une loi d’antinature, appelant l’humanité à ce que Freud a appelé la sublimation des pulsions, manière toute psychanalytique de parler de symbolisation, dont les œuvres de culture constituent l’expression la plus aboutie. En langage mystique, on pourrait parler de spiritualisation, cheminement qui culmine in fine dans la sainteté, laquelle représente, selon moi, la forme la plus haute de la singularisation personnelle. Avant de constituer un « fait historique », il conviendrait de voir d’abord dans cet état de choses l’expression d’un antagonisme ontologique, qui revêt par la suite différentes formes historiques. A cela s’ajoute en effet, sur le long terme, le tressage des différentes modalités historiques du refus du message hébraïque. L’historien Léon Poliakov, dont je fus l’un des collaborateurs dans ma jeunesse, a décrit ce processus au long cours, très complexe, dans l’importante Histoire de l’antisémitime. Ces différentes expressions de l’hostilité ont un point commun : la criminalisation du fait juif. Dans l’ordre : d’abord, la torsion que la polémique théologique contre le judaïsme, d’origine chrétienne puis musulmane, impose à la révolution catégorielle du monothéisme hébreu et judéen, ensuite la diabolisation d’un peuple d’exilés, par l’antisémitisme politique. Enfin, la diabolisation d’Israël par l’antisionisme radical. Ce qui est fascinant c’est le nouage, au cours de l’histoire du XXe siècle, de l’antisémitisme et de l’antisionisme, qui recycle et projette à l’échelle d’un jeune Etat, ce qui s’est dit pendant deux millénaires d’une diaspora entière. J’ai consacré de nombreuses études à démêler les mécanismes de cette logique inextinguible.

On rêverait d’un lieu où des gens éclairés et de bonne foi pourraient discuter et argumenter de toutes ces questions dans l’espoir de trouver une solution rationnelle : autrefois, ce lieu, c’était l’université… Les choses ont bien changé, non ? 

Le rêve, comme l’oubli, sont deux fonctions du psychisme humain, et il est heureux que nous y soyons accessibles. C’est du rêve que procèdent les plus belles utopies, et d’une forme d’oubli, l’émoussement de la morsure que nous infligent les plus tenaces souffrances morales, comme les deuils traumatiques. Ce que j’ai appris de l’université, c’est, là encore, contre toute attente raisonnable, que cette instance qui devrait par essence être un espace sanctuarisé : celui de l’étude, de la connaissance désintéressée, et de la convivialité intelligente, ne vérifie rien de tout cela. Ce n’est d’ailleurs pas une exception contemporaine, mais un invariant de l’histoire des universités dans les époques de crise, ou d’involution totalitaire. Comme je l’ai rappelé dans une analyse récemment parue dans la presse1, les universités ont été les principaux laboratoires du suivisme, du conformisme, et de la mise au pas du collectif, à l’époque des régimes autoritaires. Cette constante ne souffre pas la moindre exception : ce fut le cas à l’époque stalinienne, ce fut le cas sous les régimes du despotisme  oriental de teinture marxiste, ce fut le cas sous le régime de Vichy, ce fut le cas sous le régime national-socialiste. Par exemple, le fait que Martin Heidegger ait accepté la fonction de recteur de l’université allemande, en 1933 – même s’il en a démissionné par la suite – montre bien que les représentants de l’élite sont les premiers garants de l’ordre. En France, cela fait un quart de siècle, que les universités publiques – de lettres notamment – sont devenues les matrices du nouvel antisémitisme, du nouveau prêt à penser antijuif. Cela signe-t-il un changement ? Il faut rappeler que la politique a fait son entrée dans les universités en 1968, sans doute avec une part de bonnes raisons ; mais depuis lors, ce qui était un facteur de conscientisation (des inégalités, de la sclérose de certaines disciplines et manières de transmettre, du mandarinat dans ce qu’il pouvait aussi avoir d’arbitraire ou de discrétionnaire, etc.) s’est mué en contexte de délitement d’une part des chaînes de transmission, d’autre part de l’éthique de la connaissance : wokisme, décolonialisme, néo-racisme, néo-féminisme mysandre, inclusivisme, idéologies du genre, et autres conséquences d’une déconstruction nihiliste, se sont érigés en nouvelle normativité. Mais je veux aussi croire que le nihilisme est par définition voué à s’autodétruire, et qu’il en résultera une nouvelle ère de renaissance. D’ici là, nous devons assumer un travail de veille et de vigilance, quitte à passer pour ‘’rétrogrades’’. Mais comme vous le savez, les véritables révolutions sont toujours venues de l’esprit de la tradition. Les idées neuves ne sont jamais le fruit du spontanéisme.

  1. https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/grinshpun-sarfati-comment-la-parole-antijuive-sest-liberee-a-luniversite-MNLBQSFG5VGPLAFBANO3JUCUQY/ ↩︎

Le cas Notre-Dame

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Notre-Dame de Paris ravagée par les flammes, 15 avril 2019 © File photo/Sipa

Malgré les polémiques qui l’entourent, le chantier de la cathédrale de Paris est exemplaire. Pour en arriver là, il a fallu qu’elle soit ravagée par les flammes. Dans Notre-Dame : une affaire d’État, Didier Rykner démontre que si nos politiques n’étaient pas si négligents et incompétents, ce drame aurait pu être évité.


L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, était-il évitable ? À la lecture du nouveau livre de Didier Rykner, la réponse est oui, incontestablement, car il était prévisible. Depuis quatre ans, le fondateur et directeur de La Tribune de l’art compile les informations officielles et glane des renseignements officieux pour tenter de comprendre les causes de ce drame car, après quatre ans, l’enquête n’a toujours pas abouti. Son travail d’investigation ne prétend pas résoudre ce que les experts de la police judiciaire cherchent à élucider. Il dresse un constat, et celui-ci est atterrant. De l’agent de sécurité aux plus hauts échelons de l’État, on découvre une invraisemblable chaîne de manquements, d’incompétences et de négligences qui ne pouvaient que mener à cette catastrophe. Ou à une autre.

15 avril 2019 – 18 h 23

Parce que le diable se niche dans les détails, comprendre l’origine du sinistre nécessite de se pencher sur cette soirée du 15 avril, minute par minute. L’enquête de Didier Rykner s’ouvre sur ce pointage implacable. Avec minutie, il démontre qu’il n’y a pas un coupable, mais une ribambelle de responsables. Absence d’alarmes incendie, personnel de sécurité en sous-effectif et mal formé, appel tardif aux pompiers… de multiples causes expliquent que de si longues minutes se soient écoulées entre le départ du feu à 18 h 23 et l’arrivée des premiers camions de pompiers sur place. Quant au premier BEA (bras élévateur aérien) nécessaire pour arroser le foyer par le haut et non par le bas, il n’est opérationnel qu’à 20 h 45 : il a fallu aller le chercher dans les Yvelines… et les deux autres, venus des Hauts-de-Seine et de Seine-Maritime sont arrivés trop tard pour pouvoir intervenir !

Quelle origine ?

Ce qui est certain, c’est que l’incendie n’est pas criminel. Aucune intrusion sur le chantier n’a été signalée, aucun accélérateur de flammes n’a été relevé dans les décombres et rien ne vient étayer la piste terroriste ou celle du mégot mal éteint. L’origine du feu serait à chercher du côté du chantier, précisément. En avril 2019, la flèche de la cathédrale est en restauration. Le 11 avril, les statues en bronze monumentales des évangélistes et des apôtres situées à sa base sont retirées. Officiellement, celles-ci ont été déboulonnées. Mais en observant de près les photos de cette opération, publiées sur le site du diocèse de Paris, Didier Rykner et un expert-pompier remarquent distinctement un camion transportant, outre les sculptures, une bouteille de propane pour chalumeau : un chalumeau ou une disqueuse, ou les deux, auraient donc pu être employés pour les desceller. Ces outils projettent des étincelles qui peuvent créer des « points chauds » à l’origine de quasiment tous les incendies de chantiers sur monuments anciens (celui de l’hôtel Lambert en est un exemple récent). Un « point chaud » aurait ainsi pu faire naître un « feu couvant » sous la toiture, à la base de la flèche, jusqu’à ce qu’il s’embrase quatre jours plus tard.

Entre ignorance et incompétence

Comme le précise le sous-titre de l’ouvrage, l’incendie de Notre-Dame est bien « une affaire d’État ». Nos politiques ne sont pas, c’est un euphémisme, à la hauteur de notre patrimoine. En 2016, la France est en alerte maximale face aux menaces d’attentats islamistes. Dans ce contexte, le CNRS commande une étude sur les risques qui pèsent sur la cathédrale. Mais l’homme qui la rédige, Paolo Vannucci, professeur d’ingénierie mécanique à l’université de Versailles, va rapidement aller au-delà de la seule menace terroriste. Dans une interview accordée à Marianne, le 19 avril 2019, il affirme que« le risque d’embrasement de la toiture existait » et qu’« il fallait absolument la protéger et installer un système d’extinction. […] En vérité, il n’y avait pratiquement aucun système anti-incendie, notamment dans les combles où il n’y avait aucun système électrique pour éviter les risques de court-circuit et d’étincelles. […] Même la foudre aurait pu déclencher un feu et il aurait donc fallu installer tout un système de prévention. » Et Rykner de constater : « Quelles actions a-t-on entreprises après la publication de ce rapport ? Aucune. Que le gouvernement n’ait pas voulu rendre publics les résultats de cette étude peut se comprendre : il n’était pas question de donner des idées aux terroristes. Mais qu’aucune mesure de protection supplémentaire n’ait été prise, voilà qui en dit long sur les responsabilités incontestables de l’État. » Responsabilités aggravées lorsqu’on apprend que la ministre de la Culture d’alors, Audrey Azoulay – qui a forcément eu connaissance de ce rapport –, a péniblement accordé 20 millions d’euros sur dix ans pour la restauration (extérieure) du monument, mais n’a pas hésité à valider un budget de 466 millions sur sept ans pour transformer le Grand Palais en « Monument-Monde, vitrine de la société contemporaine et de ses grandes tendances[1] ». À l’époque, le tiers de cette somme aurait suffi à restaurer entièrement Notre-Dame. Un exemple parmi tant d’autres qu’épingle Rykneravec colère – partagée.

L’Autre-Dame de Paris

Un malheur n’arrivant jamais seul, la Ville de Paris a décidé de profiter de cette catastrophe pour « embellir » les abords de la cathédrale. Anne Hidalgo qui avait promis de donner 50 millions d’euros pour sa restauration est revenue sur sa promesse (ça ne lui ressemble pas) en annonçant que cette somme serait affectée au réaménagement du parvis – une zone qui appartient de toute façon à la ville. Sa générosité, Hidalgo la met dans ses bonnes idées. Ainsi est-il suggéré de créer un dallage en verre pour voir la crypte, de redessiner le ravissant jardin de l’Archevêché en rasant des arbres « gênants », et de faire du parvis un lieu dédié aux « événements », jusqu’à 270 par an, espère la Mairie ! Alors que Notre-Dame bénéficie malgré tout d’une restauration exemplaire, un prochain chantier s’annonce de taille lui aussi : empêcher la Ville de saccager les abords immédiats de notre chère cathédrale.

Didier Rykner, Notre-Dame : une affaire d’État, Les Belles Lettres, 2023.

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[1]. Ce beau projet a depuis été largement remanié mais son budget colossal, lui, demeure identique.

Sociétés multiculturelles vs Dar al-Islam

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Des fidèles chiites célèbrent l’Achoura dans une mosquée de Téhéran, 5 septembre 2019 © AP Photo/Ebrahim Noroozi/Sipa

D’un côté, le monde occidental multiculturel est sommé, plus que jamais, de s’ouvrir à la « diversité ». De l’autre, les pays musulmans, du Sahel au Pakistan en passant par le Maghreb et la Turquie, imposent par la force l’homogénéisation ethnoreligieuse de leur société. Face à eux, ayons la bonté de perdre.


Depuis 1945, les trajectoires historiques de l’Europe et du grand Moyen-Orient divergent radicalement, tels deux continents que tout oppose. D’un côté, l’américanisation des sociétés d’Europe de l’Ouest a été orchestrée par les dirigeants occidentaux, afin d’effacer l’opprobre du crime nazi de purification ethnique et de rendre impossible son éventuelle récidive : le melting-pot inventé aux États-Unis, converti au début du XXIe siècle en modèle de société multiculturelle, est devenu l’ultime idéologie politique de l’Occident euro-américain (le riche Japon étant resté sourd à cette perspective). En attestent tant l’idéologie dominante que le discours et les messages publicitaires, ou les manuels scolaires transcrivant les directives officielles.

L’islam ou l’exil

Au sud en revanche, du Pakistan au Maroc, la sortie du monde colonial post-ottoman a été l’occasion d’engager un vaste programme d’homogénéisation des sociétés par expulsion ou élimination des éléments culturels et religieux jugés hétérogènes. Là, la pureté a été perçue comme le gage du retour à l’authenticité fantasmée des origines. Européens (colons ou immigrés), juifs natifs ou immigrés, chrétiens d’Orient, minorités religieuses (baïas, zoroastriens, musulmans convertis à d’autres religions, yazidis…) ou culturelles (Kurdes, Berbères…) ont été tour à tour chassés, acculturés, combattus, expulsés, vendus, voire éliminés. L’actualité récente nous donne trois exemples tragiques de cette dynamique, jamais interrompue depuis trois quarts de siècle, qui travaille inlassablement à l’homogénéisation ethnoreligieuse des sociétés musulmanes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – et désormais du Sahel –dans le cadre oppressant d’une salafisation idéologique devenue hégémonique.

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Considérons d’abord la Tunisie. En février 2023, le président Kaïs Saïed a tenu de violents propos hostiles à l’immigration subsaharienne, déclenchant des ratonnades meurtrières à Sfax et des renvois d’immigrants en Afrique de l’Ouest. Ayant soulevé un tonnerre de réprobations à l’étranger, le président a finalement décidé de laisser passer les migrants (la Tunisie n’est pas le « garde-frontière de l’Europe »), étant entendu que« les hordes de migrants clandestins »ne sauraient accomplir « un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie » (sic). Ces propos sont soutenus par plus de la moitié du pays, sondages à l’appui.

En septembre 2023, après un an de siège, l’armée d’Azerbaïdjan a pénétré au Haut-Karabakh pour chasser de cette petite région ses 120 000 Arméniens chrétiens – dont la présence est bien antérieure à l’arrivée de l’islam dans la région au Moyen Âge –, funeste prélude à la réoccupation des lieux par des populations musulmanes transférées après destruction des églises millénaires et de toute trace du christianisme et de ses anciens habitants. C’est la dernière étape d’un processus de nettoyage ethnique et religieux génocidaire en faveur de l’islam turco-kurde en vigueur depuis les massacres hamidiens de 1894-1897. Si l’on additionne les victimes de ces premiers massacres (0,3 million) aux 1,5 million de morts du double génocide arménien et syriaque (1915-1924), et à ceux du génocide des Grecs pontiques et de la mer Égée (au moins 0,45 million), le nettoyage ethnique de l’Anatolie a physiquement liquidé 2,25 millions de chrétiens (non comptés juifs et yazidis) pour édifier la Turquie moderne. Les coreligionnaires des victimes n’ont eu de choix qu’entre la conversion à l’islam ou l’exil.

Enfin, le 7 octobre 2023, au moins 2000 membres fanatisés et kamikazes du Hamas (1 500 sont morts sur le sol d’Israël) ont pénétré par surprise en Israël, où ils auraient commis des actes de guerre en tuant près de 200 soldats israéliens, n’était-ce la volonté exterminatrice de tuer toute personne, quelque soit son âge, sa condition et son sexe, rencontrée sur leur passage ; en outre, plus de 200 personnes ont été capturées et conduites à Gaza comme otages. Il ne fait guère de doute, vu la nature des crimes commis, des corps torturés, déchiquetés et brûlés, que la détermination génocidaire aurait fait bien plus de morts si la chose eût été possible. En 2023, cette cruelle atrocité rappelle le fait que, lors de la guerre israélo-arabe de 1948, les forces arabes abattaient les soldats israéliens capturés et blessés tombés entre leurs mains.

Frères musulmans à la manoeuvre

Ainsi, de nos jours, au terme d’une longue construction en miroir, ces deux modèles antinomiques fonctionnent en interaction l’un avec l’autre : étreint par son sanglot, « l’Homme blanc » européen n’en finit pas de s’excuser des actions coloniales de générations aujourd’hui décédées ; il a, par voie de conséquence, renoncé à toute pression sur les pays islamiques (ainsi définis dans leurs Constitutions), quelle que soit la nature des exactions conduites sur leurs propres minorités ou ressortissants, sauf quand elles prennent une ampleur criminelle ou génocidaire telle que même l’ONU ou des dirigeants musulmans s’en émeuvent (massacre des Kurdes et des chiites d’Irak par Saddam Hussein en 1991, politique criminelle de Daech contre les chrétiens et les yazidis de 2004 à 2007, etc.).

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En face, les élites du Moyen-Orient, qui ont toute liberté d’action, n’ayant pas de compte à rendre à leurs populations soumises à un régime autoritaire voire dictatorial, ont parfaitement compris les règles de fonctionnement de l’État de droit européen tel qu’il se déploie en ce début de XXIe siècle. Elles peuvent en user et en abuser librement, dès lors que la paralysie morale et intellectuelle gouverne tant à Bruxelles qu’à la CEDH, au Conseil de l’Europe, voire à la tête des juridictions nationales. L’objet et la raison d’être de ces institutions, autoproclamées garantes de l’État de droit des nations démocratiques, n’est pas de protéger la souveraineté des peuples dont elles émanent, fût-ce le peuple européen, mais de garantir le bon fonctionnement de règles de droit autoréférencées qui assurent la protection universelle des minorités et des droits de l’Homme réfugié ou déplacé en Europe, dès lors qu’il a atteint les eaux territoriales et/ou le territoire des pays européens.

On a ainsi vu le président-dictateur tunisien donner des leçons de démocratie aux instances européennes, à qui il demande d’accepter les demandeurs d’asile en transit sur son territoire (voire en provenant), alors qu’il peine à assurer les conditions minimales de leur survie sur son sol ;le même président qui a couvert des ratonnades et expulsions de migrants subsahariens de son pays, et qui refuse l’argent promis par l’Europe pour garantir l’étanchéité de ses frontières – sauf aux migrations et voyages réguliers. Ce signe d’orgueil étonne dans un pays presque failli, qui ne compte sur son sol que 45 000 migrants africains, quand 1,5 million de ses citoyens (de nationalité ou d’origine) séjournent légalement ou illégalement en Europe.

Au sud du détroit de Sicile, la société de Tunisie est presque ethniquement et religieusement unifiée, les communautés juives résiduelles étant ultra-marginales (quelques centaines de personnes à Djerba), tandis que les autres étrangers non musulmans ne sont que de passage. Au nord du détroit, en revanche, l’Italie accueille sur son sol des millions de migrants depuis qu’elle est devenue une terre d’immigration dans les années 1980. En moins de quarante ans, la très catholique Italie se retrouve avec plus de 5 millions d’immigrés dont 1,5 million de musulmans. Tous les jours, le pape argentin lui intime l’ordre de s’ouvrir davantage à la « diversité ».

La société diversitaire occidentale n’est plus seulement une réalité multiculturelle et multiethnique. Elle est devenue une idéologie dont le « wokisme inclusif » est la langue : cette langue est parlée à Bruxelles, déclinée par les multinationales et une partie des élites culturelles nationales, et bien maîtrisée par les élites des Frères musulmans qui sont à la manœuvre en Europe, depuis que leur idéologie est criminalisée dans le monde arabe suite au fiasco de leurs tentatives de prise du pouvoir.

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En revanche, dès lors qu’il s’agit du monde musulman, en particulier des terres qui l’ont vu naître au Moyen-Orient et au nord de l’Afrique– où il a liquidé et remplacé le christianisme –, il n’est plus question d’inclusivité. Les Européens ont abandonné toute exigence de diversité à l’égard de ces pays (c’est bien le message qu’a compris l’Azerbaïdjan qui ne craignait que les Russes), et ils avalisent l’absence de liberté religieuse et la proscription des musulmans qui apostasient ; l’ONU a abandonné toute prétention en la matière ; les pays arabes eux-mêmes, qui ont chassé ou vendu leurs juifs nationaux (un million de personnes au départ), ce qui a doublé la population juive israélienne, trouvent normal que le pays hébreu héberge des millions d’Arabes palestiniens, au moment où les chrétiens d’Orient s’effondrent au Moyen-Orient, Égypte exceptée – sans que le semi-apartheid qui les oppresse n’y soit d’ailleurs remis en question.

Entre folie idéologique et oubli de l’Histoire et de ses enjeux, une étrange liquéfaction des esprits interdit d’observer le réel. Pense-t-on vraiment qu’à long terme, ce qui fut un monde islamique multiculturel, aujourd’hui presque entièrement monocolore, puisse cohabiter pacifiquement avec un monde européen ouvert, multiculturel et incessamment conspué pour sa fermeture et son rejet de l’Autre ?

Justice: les organisateurs de Sainte-Soline n’iront pas en prison

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Un manifestant lance une bouteille sur les forces de l'ordre lors de la manifestation contre les méga-bassines, le 25 mars 2023. © UGO AMEZ/SIPA

Alors que le procès des organisateurs des manifestations écolos violentes a lieu devant le tribunal correctionnel de Niort (58), un rapport parlementaire rendu public le 14 novembre révèle la responsabilité « écrasante » des organisateurs dans les violences à Sainte-Soline (79). 9 personnes sont jugées pour y avoir organisé des rassemblements interdits le 29 octobre 2022 et le 25 mars 2023. 6 à 12 mois de prison avec sursis ont été requis à l’encontre des organisateurs. Le jugement sera rendu le 17 janvier.


Qui peut encore dire qu’il n’a jamais entendu parler de Sainte-Soline ? Si cette personne existe, ne lui en tenons pas rigueur : entre la réforme des retraites, les projets de mégabassines, la mort de Nahel ou les manifestations pro-Gaza, 2023 a été très mouvementée.

Mardi 14 novembre, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences » a rendu son rapport public. Si, dans les médias de grand chemin et sur les réseaux sociaux, le débat sur les responsables et la légitimité des violences continue de faire rage, après six mois de travaux, les conclusions des députés sont, elles, sans appel. Elles pointent l’immense responsabilité des organisateurs.

Les scènes chaotiques de bataille se multiplient

La récurrence des manifestations violentes dans l’hexagone inquiète. De manière quasi-systématique, ce qui est supposé n’être au départ qu’une manifestation peut finir en violente guérilla. Nous avons tous observé ces scènes de batailles chaotiques autour du chantier des fameuses méga-bassines.

Le 25 mars, près de Sainte-Soline, commune des Deux-Sèvres de 359 habitants, nous avons d’un côté, les forces de l’ordre, déployant tous les moyens possibles pour empêcher les manifestants d’atteindre les mégabassines, et de l’autre, des milliers de manifestants, bravant l’interdiction, certains prêts à bastonner du flic pour passer. Voire, à juste bastonner du flic…  Bilan : une quarantaine de blessés chez les gendarmes, et 200 blessés chez les manifestants. Bien qu’une partie des manifestants fût réellement là pour s’opposer de manière pacifique au projet agricole, la manifestation a très mal tourné, et on a assisté à une violence désinhibée.

Alors, à qui la faute ?

Culpabilités

Selon la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), et son communiqué publié le 10 juillet 2023, le coupable, choisi d’avance, c’est évidemment l’État. Dans son rapport, la LDH reproche au ministère de l’Intérieur d’avoir interdit la manifestation dans le but de « disqualifier et criminaliser » une gentille mobilisation contre les bassines. Pourtant, quelques machettes, épées et cocktails Molotov ont été saisis le jour même [1]. Le rapport de l’association d’extrême gauche, ayant récupéré à son profit les « droits de l’homme », accusait aussi le Samu de « volonté délibérée de ne pas porter secours au plus vite ».

Patrick Hetzel, député LR de la 7e circonscription du Bas-Rhin, et président de la commission parlementaire sur les violences de Sainte-Soline ne l’entend pas du tout de cette oreille.

Interrogé, il remet les pendules à l’heure : « Ce rapport a omis bien des angles de l’affaire ! Ils ont par exemple oublié de dire que les organisateurs distribuaient des flyers demandant de ne pas se faire secourir par les secours officiels, de ne faire confiance qu’aux « street médics »[2]. De même, des appels ont été passés auprès des services de secours… Mais il ne s’agissait là que de leurres, et lorsque le Samu arrivait sur les lieux où on leur avait signalé un blessé, il n’y en avait pas », déplore-t-il, avant d’accuser : « Les organisateurs ne semblaient pas vouloir maintenir le minimum d’ordre civil. Les services préfectoraux ont tenté d’établir des relations avec les organisateurs, cela n’a mené à rien. Les manifestations interdites ont été maintenues par ces mêmes organisateurs, qui ne voulaient en aucun cas parlementer avec les autorités ». Une centaine de personnes – allant des membres des organisations comme « Bassines non merci » au ministre de l’Intérieur lui-même – ont été auditionnées par les rapporteurs, dont le compte-rendu détaillé s’étale sur 621 pages.

Quelques meneurs peuvent tout faire basculer

Après six mois de travaux, Patrick Hetzel dresse le constat suivant auprès de Causeur : « Il y a deux choses de nature différente : d’abord, l’arrivée systématique d’activistes voulant en découdre. C’était pareil pour le 49.3 : quelques meneurs peuvent tout faire basculer. Ensuite, concernant la thématique environnementale, nous avons constaté qu’il y a de plus en plus de légitimation de la violence. Ces gens font plus que dévoyer le concept de désobéissance civile. » Mais, malgré son inquiétude quant à ces milices organisées d’énergumènes portant masque sur le museau ou cagoule sur la caboche, le député LR ne va pas jusqu’à reprendre le terme d’« écoterrorisme » utilisé par Gérald Darmanin : « L’écoterrorisme laisserait supposer qu’il y aurait des organisations se revendiquant de la cause environnementale qui auraient basculé vers le terrorisme. Nous n’avons pas d’éléments dans nos travaux et nos auditions qui attestent précisément cela. »

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Et qu’en est-il des accusations de « violences policières » formulées par l’extrême gauche et souvent reprises avec complaisance par la presse ? « C’est simple, s’il y a eu contact, c’est que les manifestants ont voulu aller au contact : les forces de l’ordre étaient purement statiques ! Les maires des alentours étaient très inquiets, ils ont vécu les évènements très difficilement, voyant arriver du jour au lendemain des voitures avec des plaques d’immatriculation dissimulées avec à bord des gens qui n’étaient vraiment pas là pour une promenade dominicale… »


[1] Selon le rapport de Gendarmerie et de la préfète des Deux-Sèvres, des opérations d’ordre public du 24 au 26 mars 2023.

[2] Les street medics sont des militants fournissant des premiers secours dans un contexte de lutte politique NDLR

Parlement européen: un coup d’État en douce

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Le Belge Guy Verhofstadt, image d'archive © Eugene Hoshiko/AP/SIPA

En novembre, le Parlement européen a voté une résolution demandant tout simplement qu’on lui confie des pouvoirs exercés actuellement par le Conseil européen et le Conseil de l’UE et qu’il puisse partager des compétences appartenant à présent aux États-membres. S’il est peu probable que le Conseil européen accède immédiatement à sa demande, le Parlement, qui a des soutiens en haut lieu, ne cessera pas de lui mettre la pression.


Le secret des prestidigitateurs consiste à détourner l’attention des spectateurs. Pendant que ces derniers sont occupés par autre chose, hop ! le vrai tour-de-main se fait ailleurs à l’insu de tous. C’est ainsi que les magiciens du Parlement européen ont profité du détournement de l’attention générale par les crises qu’ont provoquées les guerres en Ukraine et au Moyen Orient pour faire progresser un projet de révision des traités fondamentaux de l’UE. Le 22 novembre, les eurodéputés ont approuvé un rapport allant dans ce sens et ont adopté une résolution appelant à une Convention pour modifier profondément le fonctionnement de la démocratie en Europe. Leur programme consiste à s’arroger des pouvoirs au détriment du Conseil de l’Union européenne (qui réunit les ministres des États-membres), du Conseil européen (l’assemblée des chefs des États-membres) et des États-membres eux-mêmes. Autrement dit, il s’agit d’imposer de nouvelles limites à la souveraineté nationale.

« Le super-État, c’est moi ! »

Actuellement, le Parlement joue un rôle de colégislateur avec le Conseil de l’UE, mais le rapport propose que plus de décisions soient (1) soumises à la « procédure législative ordinaire », qui met les deux institutions sur un pied d’égalité, et (2) votées au Conseil par la « majorité qualifiée », qui nécessite l’approbation d’au moins 55% des États-membres représentant au moins 65% de la population totale de l’UE. Pour le moment, l’unanimité est requise au Conseil sur toute une série de sujets – la politique étrangère, la justice, la fiscalité, la politique sociale, le budget à long terme, l’élargissement, et la modification des traités – donnant un véto à chaque État-membre. Mais le Parlement voudrait réduire cette liste et donc le pouvoir de véto.

Il réclame aussi pour l’UE une compétence exclusive en matière d’environnement et le partage des compétences avec les États-membres en matière de santé, menaces sanitaires et droits sexuels et reproductifs, ainsi que dans les domaines de l’industrie, de l’éducation et de la protection civile. Il souhaite aussi étendre son influence sur la politique étrangère, la défense, l’énergie et les frontières extérieures. Ses revendications comprennent plus de pouvoir sur la définition du budget pluriannuel, aux dépens de la Commission et du Conseil européen, et l’inversion des rôles dans la désignation du Président de la Commission : ce dernier est actuellement proposé par le Conseil européen et approuvé par le Parlement. Une fois désigné, le Président, tout en respectant l’équilibre géographique et démographique, nommerait son propre collège qui recevrait le titre sinistre d’« exécutif européen ». Le Parlement garderait un droit de censure mais, le Président étant libre d’imposer ses propres préférences politiques, plus de pouvoir reviendrait aux partis, comme dans un gouvernement national. Un pas de plus sur le chemin d’un super-État européen.

Joyeux Noël, les Parlementaires !

Les eurodéputés ont exigé que le rapport et l’appel à révision des traités soient transmis « immédiatement et sans délibération » par le Conseil de l’UE au Conseil européen pour que ce dernier en délibère lors de son prochain sommet, les 14 et 15 décembre. Afin de modifier les traités, il faudrait constituer une Convention, composée de représentants des institutions de l’UE, des exécutifs des États-membres et de leurs parlements. L’Espagne de Pedro Sánchez, qui a la présidence du Conseil de l’UE, a déjà indiqué qu’elle allait obtempérer à la demande impérieuse du Parlement. Vue la proximité des fêtes, les revendications exorbitantes font penser à une liste du père Noël. Comment justifier une telle ribambelle de réformes ? Leurs partisans invoquent le fait que le monde a changé depuis le traité de Lisbonne, signé en 2007 et entré en vigueur en 2009. Le monde d’aujourd’hui, selon un des rapporteurs, le fédéraliste Guy Verhofstadt, serait « plus brutal » que celui d’il y a 15 ans. L’UE devra donc pouvoir réagir avec beaucoup plus de rapidité, de vigueur et d’unité aux menaces qui l’assaillent. Selon lui, les Européens sont « paralysés par l’exigence d’unanimité ». Il semble voir de la paralysie là où il y a des checks and balances (freins et contrepoids). En octobre, le rapporteur écologiste allemand, Daniel Freund, avait déjà déclaré que les vétos nationaux constituent « un risque pour la sécurité de l’Europe ». Sans y aller par quatre chemins, il a cité explicitement le cas du trouble-fête hongrois, Viktor Orban. Les révisions permettraient donc de réduire ce dernier à l’impuissance sur des questions internationales. Un autre argument est l’élargissement éventuel de l’UE. Il y a huit pays candidats à l’adhésion (avec deux candidats potentiels en attente) : une UE à 35 membres aurait besoin de plus de centralisation.

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Loin d’emporter l’adhésion générale, le rapport n’a été approuvé que par une faible majorité d’eurodéputés, 305 voix contre 276, avec 29 abstentions, et la résolution par une majorité encore plus fragile : 291 contre 274 et 44 abstentions. Des cinq rapporteurs, un est Belge et les quatre autres Allemands. Tous représentent des groupes du centre-droite et de la gauche (PPE, S&D, Verts/ALE, La Gauche et Renew – le groupe de Renaissance, le parti de Macron), sans aucune contribution des eurosceptiques. Devant la radicalité des changements proposés, les partis ont été très divisés, notamment les démocrates-chrétiens du Parti populaire européen. Les arguments de ceux qui sont avides de plus de pouvoir ne font pas l’unanimité même chez les élus.

Le silence des agneaux politiques

La nouvelle de cette « petite révolution », comme l’appelle M. Verhofstadt, a été accueillie par une indifférence générale, à l’exception d’une dénonciation de la part de Marine Le Pen sur France-Inter le lendemain du vote. Le silence des milieux politiques s’explique soit par leur approbation tacite des propositions, soit par leur assurance qu’elles n’aboutiront pas. En effet, il est peu probable que le Conseil européen, où toute modification des traités nécessite l’unanimité, exauce les vœux des parlementaires. Mais la complaisance est dangereuse. Des concessions finiront par être faites et les pouvoirs des États-membres graduellement rongés. La pression exercé par les eurodéputés ne faiblira pas. Les propositions actuelles sont le résultat d’un long processus qui se poursuivra. L’épisode actuel est l’aboutissement d’un cycle initié par Emmanuel Macron en mars 2019, quand il a proposé, dans une tribune publiée dans différents journaux européens, une grande opération de consultation des citoyens. Ce projet, qui a reçu le soutien de l’Allemagne et de la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a été lancé sous le titre de Conférence sur l’avenir de l’Europe en mai 2021. Un an de travaux (deux ans étaient prévus initialement mais la pandémie a raccourci la durée) auxquels ont participé 800 citoyens européens répartis en quatre « panels » a donné lieu à un rapport, qui a intégré aussi 43 000 contributions via une plateforme numérique, publié en mai 2022. Le rapport approuvé par les eurodéputés en novembre se présente comme une réponse au rapport produit par la consultation des citoyens, dont les propositions préfiguraient largement celles formulées par le Parlement lui-même. D’ailleurs, ce dernier avait déjà voté une résolution le 4 mai 2022 appelant à une révision des traités fondamentaux de l’UE. Cinq jours plus tard, Ursula von de Leyen exprimait son accord. Le 9 juin, les eurodéputés ont approuvé l’envoi d’une demande de révision des traités au Conseil européen, tout comme en novembre 2023.

Ainsi, de mai 2021 à novembre 2023, tout a l’air d’un coup monté soigneusement orchestré. Si le nombre des citoyens consultés semble impressionnant au premier abord, c’est peu de chose comparé aux 448,4 millions d’habitants de l’UE. Une bonne règle en politique consiste à ne jamais consulter que les gens qui risquent d’abonder dans le sens de celui qui les interroge. Il est peu probable que des Européens connaissant mal l’UE ou s’en méfiant aient participé à la Conférence. La pression continue exercée sur le Conseil par le Parlement trouve un relais dans d’autres rapports préparés cette fois par des experts. Le 18 septembre 2023 a vu la publication d’une étude, « Naviguer en haute mer », commandée par les gouvernements français et allemands, portant sur la manière de préparer l’UE à accueillir de nouveaux États-membres. Sans surprise, les spécialistes ont conclu à la nécessité de réviser les traités et notamment d’étendre le recours au vote à la majorité qualifiée. En octobre, un autre rapport, indépendant cette fois, mais rédigé par des experts européens dont certains les mêmes que pour le précédent, a vu le jour, accompagné d’une tribune dans Le Monde. Publié par le think tank proeuropéen, EuropaNova, « EU Treaties – Why they need targeted changes » rejoue la même mélodie que tous les autres rapports. L’important ici, c’est de voir que le coup d’État actuel du Parlement n’est pas du tout un incident isolé, mais représente une étape de plus – et certainement pas la dernière – dans une campagne qui roule inexorablement vers son objectif final. Et sous le haut patronage d’Emmanuel Macron. 

Forçons les citoyens à être libres !

Est-il raisonnable d’étendre les pouvoirs du Parlement européen ? Les élections parlementaires européennes ne sont pas de celles qui enthousiasment le plus les électeurs. Les dernières, en 2019, n’ont mobilisé que 50,66% de la population de l’UE – et c’est le plus haut pourcentage depuis 1994. La confiance des électeurs dans cette institution n’est pas impressionnante non plus. Selon Eurostat, 50% faisaient confiance au Parlement en décembre 2022. Et c’était juste avant l’annonce des arrestations et enquêtes faisant partie de la grande affaire de corruption que l’on connaît maintenant sous le nom de Qatargate, qui a été suivi de près par le Marocgate. Si les eurodéputés ne semblent pas du tout impossibles à corrompre pour des puissances étrangères, ils sont potentiellement ouverts au chant des Sirènes des lobbystes LGBTQIA+. N’oublions pas que les propositions de réforme réclament pour le Parlement le partage des compétences en matière de droits reproductifs. La proposition 31 veut remplacer l’« égalité entre les hommes et les femmes » par l’« égalité de genre ». Ce sont des questions sur lesquelles les États-membres ont des opinions très divergentes. Un Parlement tout puissant passerait sans difficultés par-dessus de telles divergences. Il est évident que, à l’heure actuelle, cette institution n’inspire pas une majorité des électeurs européens et que ses visées ne sont pas de nature à les inspirer.

Pourtant, l’actuelle tentative de coup de force du Parlement est fondée sur un pari cynique : quand il aura beaucoup plus de pouvoir, tous les citoyens seront obligés de s’y intéresser.  

Amphét’, whisky et dents gâtées : Les Pogues, une ivresse poétique à partager

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Shane MacGowan (1957-2023), chanteur irlandais du groupe The Pogues, célèbre dans les années 1980. Ici photographié à Londres en 1999 © Michael Walter/AP/SIPA

Le chanteur des Pogues, Shane MacGowan, vient de mourir. Il avait 65 ans.


« RIP Shane, tu m’as donné quelques-uns des plus beaux moments de ma jeunesse, et tu continues. Le concert à L’Electric Ballroom avec Joe (Strummer, du groupe The Clash NDLA), me donne encore des frissons. Dieu te bénisse. » Ce commentaire trouvé sous la vidéo d’un concert de The Pogues, sur YouTube, ne peut que toucher ceux qui ont aimé le chanteur du groupe, Shane MacGowan, qui nous a quittés jeudi 30 novembre, à l’âge de 65 ans. Parlons-en justement des concerts des Pogues, de véritables épopées, chaotiques et joyeuses, desquelles nous ressortions justement trempés de sueur aux relents de bière, les pieds en sang, mais heureux. Trêve de souvenirs. Revenons à celui que tout le monde s’accorde à qualifier, à raison, de poète.

Une incarnation de l’Irlande née en Angleterre

Cette figure tutélaire irlandaise est née en Angleterre, dans le Kent. Ce summum de campagne anglaise sage et verdoyante, bien loin de l’imagerie de la lande irlandaise, ne colle pas au personnage. Shane MacGowan vécut cependant six ans de sa vie en Irlande, à Nenagh, dans le comté de Tippererary (Michel, si tu nous lis…). Là se construit sa part celtique, car, comme toutes les personnalités exceptionnelles, MacGowan était un homme complexe, pas simplement le punk-barde alcoolique d’origine irlandaise, à la dentition ravagée par les amphétamines, qui a marqué nos esprits.

Son enfance irlandaise, il nous en parle dans le très beau documentaire de Julian Temple, Crock of Gold, déjà rediffusé sur Arte. Il y apparaît usé, en fauteuil roulant, mais la verve est intacte lorsqu’il raconte le petit garçon timide, doué à l’école, qui fut élevé par sa mère et ses tantes, d’excentriques irlandaises au verbe haut. Lui, rêve de devenir prêtre. On sent son besoin d’absolu, qui se verra très vite comblé par… l’alcool.

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Il raconte sa première cuite, à quatorze ans – au whisky évidemment – et le bien-être que celle-ci lui a procuré, presqu’une épiphanie. Il se vantait de « ne pas avoir été sobre depuis l’âge de quatorze ans ». Sa femme, la journaliste Victoria Mary Clark, ne se souvient pas, sauf à la fin, l’avoir connu sobre non plus.  Le whisky était son sang, son sang était le whisky. Il y aurait presque là un aspect christique.

Shane MacGowan, c’est aussi cet Irlandais londonien d’adoption qui, comme tous ceux de sa génération, furent fascinés par les Sex Pistols. Après un concert de ces derniers, Shane se rebaptise un temps : Shane O’Hooligan, comme pour faire disparaître le petit garçon timide de Tippererary qui se rêvait prêtre.

Dandy dadais

Le critique rock anglais Nick Kent, dans son indispensable recueil d’articles : L’envers du  Rock (The  Dark Stuff), écrit à son sujet : « Il fait preuve d’un attachement très romantique à son héritage celtique, mais ses manières, son attitude sont celles du zonard punk londonien typique. Disons qu’il y a chez lui un délicat mélange d’aristocrate et de crétin, de dandy et de dadais. Il n’a pas son pareil pour faire rimer académique et bordélique. » Kent a tout compris. Cependant, ce « crétin » avait le don inné de la poésie, et a écrit la plus belle chanson qui soit sur l’exil des Irlandais lors de la grande famine de 1850 : Thousand are sailing : « Thousand are sailing/Across the western ocean/To a land of opportunity/That some of them will never see » (Ils voguent par milliers à travers l’Océan Atlantique, vers une terre d’opportunités, que beaucoup d’entre eux ne verrons jamais). D’une diaspora l’autre, les Irlandais sont les nègres de l’Europe, dit-on, la musique leur est consubstantielle. Elle est leur véritable patrie.

Et comme les Irlandais – dont Freud aurait dit qu’ils étaient imperméables à la psychanalyse – sont tous reliés entre eux, par la magie de la musique, de l’alcool et de la poésie, les Pogues, sur la pochette intérieure de leur chef-d’œuvre,  If I Should Fall from Grace with God, posent tous en James Joyce : « ce mec qui nous ressemblait plus ou moins, soixante ans en arrière » déclare MacGowan. Académique et bordélique. 

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Henry Kissinger, le dernier diplomate

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Henry Kissinger et le président Richard M. Nixon, à la Maison Blanche, le 22 septembre 1973. Kissinger est alors Secrétaire d'État © NEWSCOM/SIPA

La disparition du diplomate américain (1923-2023), prix Nobel de la Paix 1973, survient alors que l’ordre mondial dominé par l’Amérique vacille. La présente réflexion tend à qualifier la pensée d’Henry Kissinger dans sa singularité et à établir un bilan de son action.


La mort à 100 ans d’Henry Kissinger est un événement historique et, à bien des égards, un symbole. Avec lui disparaît l’une des figures les plus emblématiques de la grande tradition diplomatique classique, née en Europe au XVIIe siècle, avec l’État moderne.

Émule de Metternich et lecteur de Kant, Henry Kissinger aura œuvré, en fait, à une actualisation en notre temps de la pensée de l’équilibre, qui fait découler la paix d’une mise en dialogue des intérêts nationaux. Promoteur d’un modèle de politique internationale prenant la rationalité pour boussole, il aura toujours veillé à entretenir le dialogue des grandes puissances, sur un mode westphalien, pour apporter une réponse aux crises contemporaines et toujours mieux consolider l’ordre du monde.

A une époque où la compétition des puissances se fait de plus en plus rude, les leçons que nous laisse Henry Kissinger sont plus que jamais précieuses pour tenter d’encadrer et d’accorder, par la diplomatie, en un point d’équilibre mutuel, l’expression de leurs intérêts.

Ces leçons, comment les reformuler ? La pensée et l’action d’Henry Kissinger définissent, en fait, un réalisme original, qui ne peut ressortir strictement aux catégories très rationalistes et mécaniques définies par les penseurs et praticiens américains ayant dominé la théorie des relations internationales au XXe siècle. Ainsi entrevu, le réalisme kissingérien serait avant tout de nature ou d’origine européenne et consisterait en une perpétuation de la tradition diplomatique de l’âge classique.

Cette philosophie particulière des relations internationales a pour axe l’équilibre des puissances et des intérêts nationaux et repose sur une limitation rationalisée par la négociation des aspirations des États. Intellectuellement contemporain des négociations du congrès de Vienne et de l’époque moderne, le réalisme de Kissinger serait, de façon paradoxale, virtuellement antérieur aux théories réalistes développées aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale ; et il semblerait, dans le même temps, plus adapté que les doctrines réalistes les plus rigides aux caractéristiques de l’ère post-moderne, où la recherche d’une nouvelle structure de paix, mettant en équilibre les puissances qui s’affirment paraît plus que jamais nécessaire.

C’est que l’équilibre qu’il nous pousse à rechercher ne procède pas uniquement de la comparaison des arsenaux : il a une plus grande subtilité. Il fait place, à côté de la mesure physique de la force, à un élément psychologique, l’engagement des hommes d’État, et à un élément moral, la légitimité de l’ordre mondial et le sens des continuités historiques. En un mot, il donne toute sa valeur, parmi les nations qui aspirent à la stabilité, au jeu de la diplomatie.

Avec le président Richard Nixon, auprès de qui il a œuvré à la consolidation de la détente, Henry Kissinger a permis la lente acclimatation de cette tradition diplomatique européenne sous les latitudes américaines, au point qu’une sorte de retournement historique semble s’être finalement accompli, en particulier après le paroxysme idéaliste en quoi a consisté la politique de George W. Bush. La tradition diplomatique européenne, dont Kissinger a été l’une des dernières incarnations, s’est trouvée, en un sens, transplantée en Amérique, où avaient fleuri déjà de nombreuses écoles réalistes, tandis que les Européens se trouvaient peu à peu gagnés à une sorte d’idéalisme impuissant. Ce retournement n’a pas été, certes, sans conséquences. Il est venu sceller une forme de translatio imperii au profit du nouveau monde, ou bien indiquer, au gré des jeux d’une sorte de « ruse de la raison » hégélienne, le « sens de l’histoire », qui fut le premier sujet de recherche de l’étudiant Kissinger.

Cette translation de la tradition diplomatique européenne se trouve confirmée, peu ou prou, par l’évolution contemporaine de la politique des États-Unis, qui se découvre chaque jour plus centrée sur ses intérêts nationaux et moins soucieuse de messianisme, quand les Européens, désorientés, demeurent constitutivement incapables de retrouver la boussole du réalisme et de la politique d’équilibre, qui mène à la paix, dont ils ont pourtant été les savants concepteurs.

Dans un contexte, où, par-delà même cette translation, de nouvelles puissances, comme la Chine, se rapprochent et progressent vers l’empire, la vision de Kissinger est plus que jamais actuelle. L’évolution en cours du monde conduit, en effet, à un retour des intérêts nationaux. Certaines puissances avaient anticipé ce retournement, quoi que l’on pense de leurs dirigeants. C’est un fait que la Chine n’a jamais cessé de penser d’abord à la promotion de ses intérêts nationaux.

Par comparaison, la faiblesse de l’Europe continentale, prise en étau entre les États-Unis et le Chine, dans ce qui paraît être le début d’une nouvelle réduction bipolaire, est patente. L’Europe, aux yeux du monde, est comme vouée à l’entropie, sous les effets conjugués de son affaiblissement politique et militaire, de son déclassement économique, de sa perte de vitalité démographique et du repli de sa créativité. Pour préparer un renouveau, la pensée et l’œuvre de Kissinger, qui fut le plus Européen des Américains, peut utilement servir de référence pour stimuler les réflexions stratégiques éparses des Européens.

Toujours en mouvement, Kissinger n’aura cessé, jusqu’à sa mort, d’analyser le monde qui change, élargissant ses réflexions aux défis de l’intelligence artificielle, aux conséquences de la crise sanitaire, à l’acuité de vulnérabilités nouvelles, dont l’opinion a peu conscience et qui sont liées à l’usage, désormais incontournable, pour le fonctionnement des sociétés humaines, des nouvelles technologies informatiques.

Témoin de bien des crises ayant mis à l’épreuve, sans le subvertir, l’ordre westphalien, Henry Kissinger nous laisse des leçons à méditer pour penser le monde en proie à bien des convulsions et le remettre d’aplomb, quand les doctrines qui étaient soudain apparues, au lendemain de la guerre froide, ont aussitôt disparu, comme autant de sombres météores : le néoconservatisme, avatar botté de l’idéalisme, s’est discrédité par les désordres que ses entreprises martiales ont répandus. Le libéralisme centré sur l’individu semble affecté d’une pathologie qui pourrait annoncer son obsolescence. Le temps semble venu de renouer avec le réalisme consubstantiel à l’ordre westphalien du monde. Peut-être la disparition du grand diplomate que fut Kissinger permettra-t-elle à nos contemporains de reconnaître le bien-fondé de ses positions?

Au moment d’établir le bilan de l’œuvre du dernier diplomate qu’a été Kissinger et de tenter de qualifier le réalisme kissingérien en sa singularité, il paraît possible d’affirmer que son œuvre d’universitaire et d’homme d’État trace et prolonge en diplomatie la ligne claire d’un vrai classicisme.

Cette ligne claire, partie historiquement d’Europe, se démarque des perspectives développées par les réalistes apparus après la Seconde Guerre mondiale, qui soit cherchaient l’origine de la conflictualité internationale dans la nature humaine, soit prétendaient ériger leur pensée en pure théorie, dégagée de tout horizon historique. Dans les débats paradigmatiques, Henry Kissinger fait donc figure de vrai classique, virtuellement antérieur aux réalistes contemporains. La politique étrangère qu’il a conduite et inspirée a poursuivi et actualisé la tradition diplomatique des cabinets européens des XVIIIe et XIXe siècles, considérant les relations internationales comme le champ où interagissent, se confrontent et négocient les personnes publiques souveraines que sont les États, détenteurs du monopole de la violence légitime.

Intellectuellement proche de Raymond Aron, Henry Kissinger établit un lien entre l’œuvre des fondateurs et promoteurs historiques de l’ordre international classique, Jean Bodin, le cardinal de Richelieu, mais aussi le comte de Vergennes, qu’étonnamment, il ne cite pas dans Diplomatie, et sa reformulation postérieure selon des concepts germaniques, accomplie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, quand l’Allemagne fut parvenue à sceller son unité.

Chez Kissinger, qui trouve sa boussole dans les traités de Westphalie, la politique étrangère n’implique que secondairement les particuliers et les sociétés civiles ; elle est le fait des hommes d’État et de leurs entourages, commis à la préservation et à la négociation des intérêts souverains dont ils sont les dépositaires. Se référant à l’histoire et à la permanence des continuités qu’elle forge, il voit dans les relations internationales l’espace vaste où se font face tragiquement, mues chacune par ses intérêts propres, les personnes publiques que sont les États souverains.

Dans cette focalisation sur l’action des souverains se situe le champ du vrai classicisme, incarné, perpétué et mis en œuvre par Henry Kissinger, celui des monarchies bodiniennes des XVIIe et XVIIIe siècles, celui des historiens prussiens du XIXe siècle, et qui voit dans l’histoire des relations internationales celle des grandes personnes que sont les États, liés les uns aux autres par un commun recours à l’outil diplomatique ou aux moyens de la guerre. De cet espace anarchique et souvent violent, les particuliers sont juridiquement absents.

Le réalisme vraiment classique de Kissinger est aussi structurel, certes, au sens où cette vision est déterminée par la qualité et les attributions des acteurs légitimes se mouvant dans l’espace considéré.

En ce sens, le réalisme de Kissinger est une pensée dont le champ et la substance même sont l’histoire. Son œuvre ne donnerait-elle pas, en effet, la formule d’une « cliopolitique », valorisant les héritages de l’histoire, proche de la pensée aronienne, distincte du réalisme aux accents anthropologiques de Morgenthau, autant que du néoréalisme structuraliste de Waltz et du néoréalisme offensif de Mearsheimer?

Il semble que Kissinger a défini dans ses travaux universitaires et mis en œuvre dans sa politique une Weltanschauung westphalienne, axiologiquement neutre, valorisant l’arkhè historique (ἀρχή), au sens de précédent normatif, mais aussi, par extension, d’usages fondateurs en diplomatie, qui, partagés par les États et par leurs leaders, contribuent à étoffer un ordre mondial légitime.

Au fond, la dialectique fondamentale sur laquelle repose le réalisme kissingérien, qui articule la particularité historique et l’ambition théorique, n’est certes pas sans parenté avec le « réalisme vrai » de Raymond Aron, « réalisme authentique capable de faire la discrimination entre modalités historiques et traits permanents de la politique étrangère capable aussi de ne pas ignorer que aspiration des valeurs est partie intégrante de la réalité humaine individuelle et collective ».

Nanti d’une telle gémellité intellectuelle, Henry Kissinger s’est imposé comme un vrai classique et l’un des derniers diplomates, allant à contre-courant dans un monde occidental, désorienté, médiatiquement gagné à un idéalisme pauvre et sentimental, qui sert ordinairement de prétexte à toutes les entreprises violentes unilatérales.

Cette vie, cette pensée, cette œuvre peuvent éclairer les hommes d’aujourd’hui. Tandis que le consensus libéral s’érode, l’apport classique kissingérien offre une matrice pour promouvoir un profond renouvellement intellectuel des élites politiques et diplomatiques pour aborder le domaine des relations internationales et répondre aux bouleversements qu’il connaît actuellement.

Dernier vrai diplomate de notre temps, Henry Kissinger établit, par son destin, un lien entre l’ordre classique, qu’avait déréglé l’irruption des idéologies révolutionnaires totalitaires, et un monde en métamorphose, où se mesurent les ambitions de puissances nouvellement émergentes. Il donne à ceux qui l’écoutent des clefs pour comprendre les fondements sur lesquels il est toujours possible d’établir une stabilité internationale, en soulignant la nécessité de reconstruire un équilibre des grandes puissances de nature à mettre en balance leurs intérêts concurrents et à pacifier le monde.

La cohérence intellectuelle et la liberté de parole dont Henry Kissinger a témoigné à travers les époques différentes qu’il a traversées lui confèrent un statut d’exception dans l’histoire des États-Unis et dans l’histoire des relations internationales. La clarté des positions de Kissinger, perpétuellement soucieux de conserver son assiette à l’ordre du monde, lui-même hérité, sous ses divers avatars, des traités de Westphalie, tranche singulièrement avec le vague idéalisme sans vision de la plupart des politiciens occidentaux, esclaves de l’opinion.

Figure tutélaire que la plupart des Américains saluent comme le secrétaire d’État le plus marquant de l’après-guerre, Henry Kissinger est pour notre temps la dernière incarnation de la diplomatie classique d’origine européenne. À rebours de toutes les tentatives et tentations impériales, propres à bouleverser l’ordre du monde par refus d’admettre sa réalité polymorphe, Henry Kissinger invite par ses réflexions les hommes d’État, les analystes et les peuples à proportionner la portée de leurs desseins et à chercher à consolider avec leurs interlocuteurs souverains et selon les usages légitimes de la diplomatie, un équilibre synonyme de paix. Pour les États souverains, l’équilibre de leurs intérêts concurrents, que limite, précisément, leur interaction et que canalisent les usages de la diplomatie, est de nature à consolider l’ordre du monde et à renforcer sa stabilité.

Révélée dans ses multiples œuvres, qui vont de sa thèse, publiée en 1957 sous le titre A World restored, à Leadership, son dernier livre, paru en 2022, en passant par ses volumineux mémoires et par Diplomatie, la pensée de Kissinger nous donne la formule d’un réalisme authentiquement classique, au sens où, à la différence notable de Morgenthau, il valorise, pour expliquer les logiques innervant le système mondial, le rôle des unités politiques fondamentales que sont les États souverains en faisant l’économie de toute réflexion sur les origines de la conflictualité et les liens qu’elle pourrait avoir avec la nature humaine.

La mort de ce géant de la diplomatie devrait conduire les hommes d’État de notre temps à reconnaître, après lui, que l’histoire est tragique et que la tâche particulière qui leur incombe consiste à assumer cette dimension de la politique, sans croire que la réalité extérieure puisse être aisément remodelée selon les formes d’un idéal culturellement déterminé.

Clairement démarquées des tentations de nature impériale, en décalage avec la réalité plurielle du monde, l’œuvre et la pensée librement classiques d’Henry Kissinger ouvrent aux nations la troisième voie d’un équilibre procédant de la souveraineté étatique et gagné par la négociation.

La permanente validité de son message tient certes à sa compréhension de la nécessité de la souveraineté, donc de la politique, pour permettre la cohabitation mondiale des hommes, historiquement regroupés en nations. Elle tient ainsi à la cohérence de ses vues, qui trouvent leur premier enracinement intellectuel dans sa thèse, consacrée à la consolidation, dans l’équilibre, du concert européen, au lendemain de l’ère napoléonienne. Cependant, le réalisme d’Henry Kissinger vient aussi répondre, de manière plus profonde et radicale, comme peu d’observateurs l’ont relevé, à une interrogation plus existentielle, par laquelle les hommes, livrés dans l’histoire à l’empire du temps et des déterminismes, examinent la valeur et la portée de leur liberté. A cette question universelle, qu’il avait posée, antérieurement à sa thèse, dans son mémoire de premier cycle, Henry Kissinger a répondu par ses œuvres, en plaçant, par l’action, la liberté individuelle de l’homme d’État, en proie au temps comme ses semblables, au service de la liberté souveraine des États, entités de nature politique, qui, dans le monde, touchent, par comparaison avec la finitude individuelle, à la permanence la plus manifeste. Henry Kissinger trouve ainsi dans un engagement d’ordre politique, au sens le plus fort et le plus élevé du terme, dans un combat mené pour permettre à la nation qu’il sert de résister elle-même à l’entropie des civilisations, donc in fine dans le mouvement d’une histoire transcendante l’illustrant, le sens qu’il cherchait à donner à la liberté.

Source: revue Conflits