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Le cas Notre-Dame

"Notre-Dame : une affaire d’État", Didier Rykner (Les Belles Lettres, 2023)


Le cas Notre-Dame
Notre-Dame de Paris ravagée par les flammes, 15 avril 2019 © File photo/Sipa

Malgré les polémiques qui l’entourent, le chantier de la cathédrale de Paris est exemplaire. Pour en arriver là, il a fallu qu’elle soit ravagée par les flammes. Dans Notre-Dame : une affaire d’État, Didier Rykner démontre que si nos politiques n’étaient pas si négligents et incompétents, ce drame aurait pu être évité.


L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, était-il évitable ? À la lecture du nouveau livre de Didier Rykner, la réponse est oui, incontestablement, car il était prévisible. Depuis quatre ans, le fondateur et directeur de La Tribune de l’art compile les informations officielles et glane des renseignements officieux pour tenter de comprendre les causes de ce drame car, après quatre ans, l’enquête n’a toujours pas abouti. Son travail d’investigation ne prétend pas résoudre ce que les experts de la police judiciaire cherchent à élucider. Il dresse un constat, et celui-ci est atterrant. De l’agent de sécurité aux plus hauts échelons de l’État, on découvre une invraisemblable chaîne de manquements, d’incompétences et de négligences qui ne pouvaient que mener à cette catastrophe. Ou à une autre.

15 avril 2019 – 18 h 23

Parce que le diable se niche dans les détails, comprendre l’origine du sinistre nécessite de se pencher sur cette soirée du 15 avril, minute par minute. L’enquête de Didier Rykner s’ouvre sur ce pointage implacable. Avec minutie, il démontre qu’il n’y a pas un coupable, mais une ribambelle de responsables. Absence d’alarmes incendie, personnel de sécurité en sous-effectif et mal formé, appel tardif aux pompiers… de multiples causes expliquent que de si longues minutes se soient écoulées entre le départ du feu à 18 h 23 et l’arrivée des premiers camions de pompiers sur place. Quant au premier BEA (bras élévateur aérien) nécessaire pour arroser le foyer par le haut et non par le bas, il n’est opérationnel qu’à 20 h 45 : il a fallu aller le chercher dans les Yvelines… et les deux autres, venus des Hauts-de-Seine et de Seine-Maritime sont arrivés trop tard pour pouvoir intervenir !

Quelle origine ?

Ce qui est certain, c’est que l’incendie n’est pas criminel. Aucune intrusion sur le chantier n’a été signalée, aucun accélérateur de flammes n’a été relevé dans les décombres et rien ne vient étayer la piste terroriste ou celle du mégot mal éteint. L’origine du feu serait à chercher du côté du chantier, précisément. En avril 2019, la flèche de la cathédrale est en restauration. Le 11 avril, les statues en bronze monumentales des évangélistes et des apôtres situées à sa base sont retirées. Officiellement, celles-ci ont été déboulonnées. Mais en observant de près les photos de cette opération, publiées sur le site du diocèse de Paris, Didier Rykner et un expert-pompier remarquent distinctement un camion transportant, outre les sculptures, une bouteille de propane pour chalumeau : un chalumeau ou une disqueuse, ou les deux, auraient donc pu être employés pour les desceller. Ces outils projettent des étincelles qui peuvent créer des « points chauds » à l’origine de quasiment tous les incendies de chantiers sur monuments anciens (celui de l’hôtel Lambert en est un exemple récent). Un « point chaud » aurait ainsi pu faire naître un « feu couvant » sous la toiture, à la base de la flèche, jusqu’à ce qu’il s’embrase quatre jours plus tard.

Entre ignorance et incompétence

Comme le précise le sous-titre de l’ouvrage, l’incendie de Notre-Dame est bien « une affaire d’État ». Nos politiques ne sont pas, c’est un euphémisme, à la hauteur de notre patrimoine. En 2016, la France est en alerte maximale face aux menaces d’attentats islamistes. Dans ce contexte, le CNRS commande une étude sur les risques qui pèsent sur la cathédrale. Mais l’homme qui la rédige, Paolo Vannucci, professeur d’ingénierie mécanique à l’université de Versailles, va rapidement aller au-delà de la seule menace terroriste. Dans une interview accordée à Marianne, le 19 avril 2019, il affirme que« le risque d’embrasement de la toiture existait » et qu’« il fallait absolument la protéger et installer un système d’extinction. […] En vérité, il n’y avait pratiquement aucun système anti-incendie, notamment dans les combles où il n’y avait aucun système électrique pour éviter les risques de court-circuit et d’étincelles. […] Même la foudre aurait pu déclencher un feu et il aurait donc fallu installer tout un système de prévention. » Et Rykner de constater : « Quelles actions a-t-on entreprises après la publication de ce rapport ? Aucune. Que le gouvernement n’ait pas voulu rendre publics les résultats de cette étude peut se comprendre : il n’était pas question de donner des idées aux terroristes. Mais qu’aucune mesure de protection supplémentaire n’ait été prise, voilà qui en dit long sur les responsabilités incontestables de l’État. » Responsabilités aggravées lorsqu’on apprend que la ministre de la Culture d’alors, Audrey Azoulay – qui a forcément eu connaissance de ce rapport –, a péniblement accordé 20 millions d’euros sur dix ans pour la restauration (extérieure) du monument, mais n’a pas hésité à valider un budget de 466 millions sur sept ans pour transformer le Grand Palais en « Monument-Monde, vitrine de la société contemporaine et de ses grandes tendances[1] ». À l’époque, le tiers de cette somme aurait suffi à restaurer entièrement Notre-Dame. Un exemple parmi tant d’autres qu’épingle Rykneravec colère – partagée.

L’Autre-Dame de Paris

Un malheur n’arrivant jamais seul, la Ville de Paris a décidé de profiter de cette catastrophe pour « embellir » les abords de la cathédrale. Anne Hidalgo qui avait promis de donner 50 millions d’euros pour sa restauration est revenue sur sa promesse (ça ne lui ressemble pas) en annonçant que cette somme serait affectée au réaménagement du parvis – une zone qui appartient de toute façon à la ville. Sa générosité, Hidalgo la met dans ses bonnes idées. Ainsi est-il suggéré de créer un dallage en verre pour voir la crypte, de redessiner le ravissant jardin de l’Archevêché en rasant des arbres « gênants », et de faire du parvis un lieu dédié aux « événements », jusqu’à 270 par an, espère la Mairie ! Alors que Notre-Dame bénéficie malgré tout d’une restauration exemplaire, un prochain chantier s’annonce de taille lui aussi : empêcher la Ville de saccager les abords immédiats de notre chère cathédrale.

Didier Rykner, Notre-Dame : une affaire d’État, Les Belles Lettres, 2023.

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[1]. Ce beau projet a depuis été largement remanié mais son budget colossal, lui, demeure identique.

Novembre 2023 – Causeur #117

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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