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Monsieur Attal, l’école ne pourra pas seule venir à bout de l’islamisme

Ordre républicain. L’école est la meilleure arme pour combattre les islamistes, avance Gabriel Attal. Peut-être. Mais elle est dans un sale état, et cela n’est pas suffisant; un virage radical reste à prendre par la République française pour faire face à ces adversaires mortels.


Le choix d’organiser, lundi 11 mars, une « cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme » dans une école était bien sûr hautement symbolique. Gabriel Attal a ainsi centré son discours d’Arras sur le fait que « les terroristes haïssent l’école, c’est normal : l’école est la meilleure arme pour les combattre »1. C’est vrai, l’école est un enjeu majeur du conflit entre la libre pensée et les pensées de l’orthodoxie. L’école des « hussards noirs de la République » (comme on appelait les instituteurs sous la Troisième République) avait pour mission de contrebalancer les influences familiales, communautaires et religieuses, voire de les combattre lorsqu’elles divergeaient trop par rapport au projet républicain. À ce titre aujourd’hui, l’école républicaine a le devoir de s’opposer à l’idéologie salafo-frériste, et constitue donc une cible privilégiée des islamistes.

L’islam tente de s’immiscer dans les classes ou à la cantine depuis des années

Les islamistes s’attaquent à l’école pour y imposer leur vision dogmatique et dissuader l’enseignement contraire à leurs principes religieux. Ainsi, depuis 1989 se sont multipliés les tentatives d’introduire le voilement du corps des femmes dans les salles de cours et les menus hallal à la cantine, d’interdire la transmission de certains savoirs scientifiques, d’empêcher les filles de participer aux cours d’éducation physique, ou de refuser l’apprentissage de la musique. Et aussi, des centaines de collégiennes ont été enlevées au Nigeria ou en Irak sur le chemin de l’école, des dizaines d’enfants et de jeunes gens ont été assassinés dans leurs écoles au Pakistan, et en France des enfants juifs sont harcelés au point de devoir changer d’école, et d’autres ont même été tués dans leur école. Mais contrairement à la vision optimiste du Premier ministre, toute seule, « la victoire de l’école [ne pourra pas sonner] le glas de l’obscurantisme ». Et cela pour deux raisons principales.

Photo prise le 09 octobre 1989 à Creil (Oise) au domicile de Fatima Achaboun (D) et de sa soeur Leila (G), élèves d’un lycée de Creil qui leur a interdit de porter le tchador en classe. Au centre est assis leur père Ali. AFP PHOTO LEIMDORFER (Photo by LEIMDORFER / AFP)

Le niveau baisse !

D’une part, parce que l’éducation nationale a été désarmée depuis des années à cause de la diffusion d’un multiculturalisme islamo-gauchiste et de l’abandon par leur hiérarchie des enseignants confrontés à l’offensive islamiste. L’installation du « paradigme déficitariste »2 qui a consisté à abaisser régulièrement le niveau général pour prétendument aider les élèves des familles culturellement plus défavorisées, constitue également un facteur d’affaiblissement global de l’école.

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En incitant les enseignants à être de moins en moins exigeants avec leurs élèves, on aboutit finalement à l’opposé du but que l’on dit rechercher : ceux qui peuvent trouver hors de l’école les ressources culturelles nécessaires à leur éducation et à leur élévation intellectuelle progressent généralement vite et bien, ceux qui en revanche n’ont que l’école pour ce faire sont dans leur grande majorité les victimes de cet enseignement au rabais délivré à tous sans distinction. Au lieu d’en donner plus à ceux qui en ont le plus besoin, on en donne moins à tous, augmentant ainsi les inégalités sociales de départ plutôt que les compenser. Or, le renoncement par la nouvelle ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet, à l’instauration de groupes de niveaux en mathématiques et en français, voulu par Gabriel Attal lui-même, est à cet égard, un signal bien négatif.

Le ver est dans le fruit

D’autre part, outre l’école où « tout commence », « l’hydre islamiste » comme l’appelle à juste titre Gabriel Attal, doit être combattue sur plusieurs fronts. Aujourd’hui, quand bien même l’école, effectuant un virage à 180 degrés, reviendrait à une éducation républicaine c’est-à-dire résolument laïque et exigeante pour les nouvelles générations, le terrain gagné depuis quarante ans par l’islamisme en population générale est tel, dans les esprits, dans les mœurs et dans les institutions, que c’est tout l’appareil d’État et les ressources multiples de résistance dans la société civile qui doivent être mobilisés.

Il s’agit en effet de comprendre enfin que l’islam ne pose pas le problème de la laïcité dans les mêmes termes que l’a fait le catholicisme au cours de l’histoire. En Occident, l’islam n’est pas et n’a jamais été une religion d’État (sauf la Péninsule ibérique sous le califat ou les territoires des Balkans à la Grèce sous domination ottomane qui étaient alors « terres d’islam » mais non pas « terres de djihad » comme le sont les États occidentaux actuels). Les prétentions de l’islam à imposer aujourd’hui en France et en Europe des pratiques d’inspiration religieuse et/ou traditionnelle venues du monde musulman prennent alors les institutions non seulement de court, mais à contre-pied. Tandis que l’État s’est hier séparé de l’Église catholique pour parfaire sa construction républicaine, il doit aujourd’hui résister aux assauts extérieurs d’un islam conquérant pour préserver l’unité nationale. Une simple application des lois de notre République – conçues initialement pour encadrer et limiter les exigences de la religion catholique – n’est manifestement pas une solution satisfaisante pour encadrer les exigences politiques de l’islam. 

La République doit prendre un virage radical

Or, l’entêtement des gouvernements d’Emmanuel Macron à persévérer dans l’erreur de leurs prédécesseurs (de gauche comme de droite) ne laisse hélas pas présager le changement de cap radical indispensable.  Le voilement des femmes n’est pas un simple « signe religieux » parmi d’autres à proscrire à l’école et dans les services publics ; c’est la marque de la misogynie foncière de l’islamisme qui contrevient à toutes nos lois garantissant l’égalité hommes/femmes. Les expressions et les agressions antisémites ne sont pas dues à « la politique de l’extrême droite israélienne » ou à la riposte de Tsahal à l’attaque génocidaire du 7 octobre, mais à une haine foncière des Juifs qui s’enracine dans les textes « sacrés » de l’islam et la tradition réactivée par les islamistes. Leur augmentation exponentielle est également liée à une islamo-complaisance coupable. Et surtout, les attentats terroristes islamistes ne sont que la partie émergée de l’iceberg politico-religieux, l’élément spectaculaire d’une offensive de grande ampleur qui progresse par infiltration, influence, pression et menace.

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Certes, l’État se doit de répliquer directement au djihadisme en utilisant « la violence légitime » dont les États de droit ont censément le monopole. Mais le passage à la violence djihadiste n’est qu’un saut qualitatif à partir d’une intensification de la conviction de détenir la vraie foi, d’être victimes des mécréants, de la nécessité de punir les ennemis de l’islam. C’est pourquoi les militants islamistes parviennent facilement à créer une solidarité entre eux-mêmes et la « communauté » musulmane qu’ils contribuent en grande part à consolider. Les liens tant logistiques qu’idéologiques sont complexes, car l’islamisme tire sa force à la fois d’une sociologie de proximité voire de promiscuité (au sein de la famille, du quartier, de la bande, du réseau mafieux…) qu’elle va irriguer, et d’une vacuité de sens qu’elle vient combler par sa projection eschatologique.

Paris, 6 septembre 2020 © GODONG/ BSIP via AFP

Ce mouvement révolutionnaire islamiste polymorphe qui articule des éléments à la fois anciens (mépris des femmes, haine des Juifs, des chrétiens et des mécréants, rejet du doute et de l’interprétation) et nouveaux (nouvelles technologies et méthodes de propagande les plus modernes) réanime dans le monde occidental une question qui semblait close, à savoir la place du religieux dans la société et par rapport au pouvoir politique. Les Occidentaux manifestent alors une difficulté d’analyse à cause de leur sécularisation avancée d’une part, d’un travers intellectuel sociologisant d’autre part, et enfin d’une fâcheuse tendance à la culpabilisation et à une exaltation messianique du « dominé ». C’est donc à un « réarmement » policier, militaire et de renseignement, mais tout autant idéologique, politique et institutionnel que la France et l’Occident tout entier doivent se consacrer.

Pour cela, il faudrait au minimum une intransigeance résolue en parole et en actes, dans la politique migratoire et dans le refus de la séparation des sexes et des communautés par chez nous, une solidarité active avec les laïques du monde entier et tout particulièrement avec les femmes iraniennes et afghanes, et un soutien sans réticence à Israël et à sa lutte contre le Hamas, ses alliés et ses protecteurs qui sont aussi nos ennemis. Il y a urgence et pourtant, nous n’en prenons manifestement pas le chemin.

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  1. Voir ici le discours prononcé à l’occasion de la cérémonie nationale d’hommage aux victimes du terrorisme, le 11 mars 2024 ↩︎
  2. Concept développé par Jean-Pierre Terrail dans son ouvrage Pour une école de l’exigence, Ed. La Dispute, 2016. ↩︎

Le curieux et soudain bellicisme d’Emmanuel Macron

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En macronie, quiconque ose douter des décisions guerrières du président est coupable d’intelligence avec l’ennemi, déplore notre chroniqueur.


Emmanuel Macron brûle d’affronter Vladimir Poutine les armes à la main – ou du moins s’attache-t-il à en donner l’impression. Mais pourquoi alors ne montre-t-il pas une telle ardeur dans d’autres cas, qui pourtant le justifieraient au moins autant, et pour certains nettement plus ?

À entendre le chef de l’Etat, quiconque ne partage pas cette ferveur est animé par « l’esprit de défaite »… y compris la Maison Blanche, dont un porte-parole, le contre-amiral John Kirby, s’est empressé de désavouer notre président ? Y compris le ministre de la Défense, qui a expliqué qu’il n’était « pas question d’envoyer des troupes combattantes » le lendemain du jour où le président, lui, affirmait qu’il n’y avait « aucune limite » à notre soutien à l’Ukraine ? Qu’importe la confusion entretenue, Emmanuel Macron dit vouloir « bousculer » les alliés de l’Ukraine, appelle les Européens à « ne pas être lâches », et quand on lui demande si ce propos vise l’Allemagne il répond sans hésiter : « pas seulement l’Allemagne, tout le monde ! » Et à en croire nombre de macronistes, toute personne réticente devant ce soudain bellicisme est pire que lâche, elle fait partie des « troupes de Poutine ». Qu’on se le dise : oser douter des décisions du président, c’est forcément être coupable d’intelligence avec l’ennemi !

On verra qui est pour Zelensky et qui est pour Poutine… 

On pourrait croire à une stratégie « gentil flic, méchant flic », Emmanuel Macron jouant le rôle d’un va-t-en-guerre forcené pour permettre à Olaf Scholz de négocier en coulisses en disant à Poutine : « Vladimir, il faut vraiment que tu retires tes troupes d’Ukraine, sinon je ne vais plus pouvoir retenir ce fou de Français et il va déclencher la Troisième Guerre mondiale ». Mais la France à elle seule ne serait pas une menace suffisante aux yeux de la Russie pour que cela fonctionne.

Alors on prend l’excitation martiale du président au premier degré, et on tombe dans le piège qu’il a lui-même avoué : « on verra qui est pour Zelensky et qui est pour Poutine », comme si cette ligne de démarcation caricaturale était l’alpha et l’omega de toute chose. Et on oublie l’essentiel.

Cet essentiel, le voici : le plus important n’est pas le bellicisme d’Emmanuel Macron face à la Russie, mais le contraste entre ce bellicisme et sa pusillanimité face aux Comores, au Qatar, à la Turquie, à l’Algérie, à l’Arabie Saoudite, à l’Iran. Ce contraste interroge.

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Ce sont là des pays qui ne respectent pas les Droits de l’Homme plus que ne les respecte le régime de Poutine – ils les respectent même généralement moins. Et si la mort d’Alexeï Navalny est une ligne rouge, on ne voit pas pourquoi celle de Jamal Khashoggi n’en serait pas une également.

Ce sont des pays qui piétinent volontiers le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et multiplient les exactions, au Kurdistan comme au Yémen, sans même parler du fait que le Qatar finance, protège et héberge toujours le Hamas malgré le pogrom/razzia du 7 octobre.

Les drôles d’exigences de la realpolitik

Et ce sont des pays qui nous agressent bien plus que ne le fait la Russie, par la violence, la déstabilisation, la corruption, l’influence toxique. Les Comores – avec d’ailleurs le soutien affiché de la Russie – organisent l’invasion et la mise à sac de Mayotte, c’est-à-dire du territoire français. Le Qatar use de son influence pour déstabiliser le pays (que l’on se souvienne de la propagande d’AJ+ lors des émeutes du début de l’été 2023), répandre la corruption (pas seulement au Parlement Européen), soutenir l’islamisme, attiser les flammes de la haine anti-israélienne et de l’antisémitisme, et appuyer les Frères Musulmans dans leur entrisme systémique au sein de nos institutions. L’Algérie cultive la haine anti-France dans sa population et sa diaspora, dont le poids dans la délinquance sur notre sol est démesuré. L’Arabie Saoudite et sa Ligue Islamique Mondiale veulent interdire toute critique sérieuse de l’islam en œuvrant à l’instauration planétaire d’un délit de blasphème. On pourrait poursuivre longuement l’énumération, qui n’a rigoureusement rien à envier à la liste des torts de Vladimir Poutine.

Bien sûr, les fautes du Qatar n’effacent pas celles de la Russie, mais la réciproque est vraie, les fautes de la Russie n’effacent pas celles du Qatar. Bien sûr, la Russie nous est désormais hostile, et débattre à l’infini des responsabilités des uns et des autres dans cette hostilité ne changera pas la situation présente, mais les Comores et l’Algérie le sont au moins autant. Bien sûr, la realpolitik a ses exigences, encore faut-il que ses défenseurs aient la décence de l’assumer au lieu de se draper dans des postures morales hypocrites : on peut considérer que l’appui de l’aviation qatarie au désengagement de Barkhane ou notre présence sur la base d’Al-Udeid justifient que nous acceptions la contribution du Qatar aux réseaux islamistes qui attisent partout en Europe l’avidité des fous d’Allah et la haine antisémite, mais il me semble que l’on aurait aussi d’excellentes raisons d’estimer que le prix à payer pour « l’amitié » de l’émirat est bien trop élevé ! Bien sûr aussi, il faut choisir ses combats, la France ne peut pas voler au secours de tous les peuples envahis ni combattre tous les tyrans de la planète, et l’Ukraine est pour ainsi dire notre voisin. Mais il y a une différence de taille entre ne pas combattre un tyran, et le courtiser en encourageant sa propagande. Il y en a une autre, énorme, entre ne pas intervenir partout pour privilégier notre voisinage proche, et préférer défendre l’Ukraine plutôt que la France elle-même, vouloir sauver Kiev des troupes russes tout en abandonnant Mamoudzou aux bandes comoriennes. Et laisser le champ libre à AJ+ quand on interdit RT France est une incohérence qui en dit long.

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Si les raisons invoquées par Emmanuel Macron pour expliquer son attitude contre la Russie étaient vraies, s’il s’agissait bel et bien de défendre les principes qu’il dit professer, l’Europe et les intérêts vitaux de la France, alors a fortiori il se montrerait déterminé et martial contre les Comores pour protéger notre territoire et nos concitoyens à Mayotte. Il ne ferait pas de courbettes au Qatar, et ne lui vendrait pas des éléments stratégiques de notre économie. Il ne tolérerait pas la servilité de l’ONU envers la dictature abjecte des mollahs.

Voilà ce dont devrait se préoccuper toute la classe politique, et plus encore ceux qui pensent qu’il serait bon d’intensifier notre soutien à Kiev, y compris par un engagement militaire : de toute évidence, les motivations d’Emmanuel Macron dans cette affaire ne sont pas celles qu’il déclare. Quelles sont-elles ? Je ne peux que hasarder diverses hypothèses : une diversion après son fiasco au Salon de l’agriculture ; une manœuvre pour essayer de rediaboliser le RN à l’approche des élections européennes ; un prétexte pour transférer toujours plus de pouvoir aux institutions non-élues de l’UE au détriment de la démocratie, et sans doute renforcer le contrôle de l’information ; l’appétit pour les opportunités qu’une « économie de guerre » offrirait à Bercy ; une tentative de se donner une stature de meneur au sein de la dynamique otanienne….

Dans tous les cas, l’essentiel demeure : même si l’on croit que notre participation à la guerre en Ukraine est juste et nécessaire, pouvons-nous réellement l’envisager avec un chef des armées dont nous ignorons les véritables objectifs ? Il faudrait au minimum des garanties extrêmement solides, mais comment accorder la moindre confiance aux garanties que donnerait Emmanuel Macron, alors qu’il n’a eu aucun scrupule à escroquer jusqu’au Sénat au sujet de la Loi immigration, saisissant lui-même le Conseil Constitutionnel pour faire censurer tout ce que son gouvernement avait fait mine de concéder à la représentation nationale ?

Telle est la question que personne ne pose, alors qu’elle est celle dont nous devrions tous débattre.

« À France Télévisions, la cancel culture ne fait pas débat. Elle n’existe pas »

En 2015, la présidente de France Télévisions promettait plus de « diversité » à l’antenne et moins de « mâles blancs de plus de 50 ans ». C’est fait. Mais Delphine Ernotte Cunci réfute toute orientation idéologique. Elle estime que le service public est équilibré. Et rappelle que la cancel culture n’y a pas sa place – la preuve par J’accuse et Illusions perdues, deux films diffusés récemment.


Relire la première partie

Causeur. Venons-en à quelques déclarations qui vous ont fait, peut-être injustement, une réputation de wokisme. Vous avez commencé en fanfare en affirmant qu’il y avait trop de mâles blancs de plus de 50 ans à France Télévisions. Le regrettez-vous ?

Delphine Ernotte Cunci. Je venais d’être nommée, j’étais interviewée par Jean-Pierre Elkabbach, autant vous dire que j’étais dans mes petits souliers. Ce n’était pas préparé, c’est sorti, mais je ne le regrette pas. Au début de mon premier mandat en 2015, la mixité n’était pas respectée à la télévision publique. C’est pourtant une obligation qui nous est assignée. J’ai fixé des objectifs. On était à 25 % de femmes expertes sur nos plateaux. Nous sommes à 50 % aujourd’hui.

C’est humiliant qu’on choisisse des expertes parce que ce sont des femmes.

Vous êtes contre la loi Copé-Zimmerman qui a fixé des quotas dans les conseils d’administration ?

Oui, d’ailleurs je me fiche du nombre de femmes dans les conseils d’administration.

Pas moi ! Je suis pour les quotas, car cela permet de passer une étape et après, on n’en a plus besoin, car les choses se font naturellement.

Cette politique de promotion des femmes crée des injustices. S’il n’y a pas assez de femmes, il y a trop d’hommes. Donc des hommes sont écartés parce qu’ils sont des hommes.

Oui, à un moment de l’histoire, les quotas sont sans doute un peu injustes pour les hommes. Mais c’est indispensable pour que les choses changent. La mixité, ce n’est pas l’éradication des hommes dans les rôles à responsabilité : c’est un partage. Le temps que ça s’installe, c’est vrai, cela peut créer de la frustration. Y compris chez certains que j’ai remerciés, comme Patrick Sébastien.

Pourquoi l’avoir limogé ? Il n’avait plus de public ?

La télévision est un média d’habitudes. Il faut savoir les bousculer en ne proposant pas toujours ce que les gens aiment déjà, mais ce qu’ils pourraient aimer. C’est notre grande force : nous testons et innovons sans cesse. L’innovation éditoriale à la télévision, c’est le service public qui la porte aujourd’hui.

Deuxième déclaration, devant une commission de l’Assemblée nationale : « On ne représente pas la France telle qu’elle est, on essaie de la représenter telle qu’on voudrait qu’elle soit. » Vous parliez (encore) de la place des femmes, mais cette phrase a laissé penser que vous meniez un combat culturel avec l’argent du contribuable.

C’est totalement faux. J’étais alors interrogée sur nos obligations en termes de mixité. Nous avions été réprimandés au moment du Covid, parce qu’il n’y avait pas assez de femmes médecins sur nos plateaux. Je n’ai pas le choix et, en plus, je suis d’accord avec cela. Si on veut convaincre les petites filles de faire des études scientifiques, ce qui est depuis toujours l’un de mes grands combats, il faut qu’elles voient aussi des femmes physiciennes, mathématiciennes, médecins. Quand je parle de la France telle qu’on voudrait qu’elle soit, je fais référence à cet objectif, que je partage, de proposer des rôles et modèles mixtes à la télévision.

Admettons que cette déclaration ait été mal interprétée. Mais vous avez aussi déclaré en arrivant que vous auriez la diversité pour fil rouge. En précisant que c’était à la fois la demande de l’Arcom et celle des téléspectateurs.

Nos études le montrent, la toute première demande des Français, c’est qu’on reflète la France sous toutes ses coutures : sociales (les foyers modestes autant que les classes aisées), territoriales (l’outremer et la ruralité autant que les grandes villes). Et nous devons aussi représenter la diversité de genre, d’origine, le handicap… Nous sommes le reflet et le miroir du public.

Pour refléter l’opinion du public, il faudrait que 70 % des gens apparaissant sur vos antennes soient favorables à une réduction drastique de l’immigration…

Je n’ai jamais dit que nous devions être le porte-parole de la pensée majoritaire, quelle qu’elle soit. Je dis simplement que, lorsqu’on regarde la télé, il faut se voir, se reconnaître et s’identifier. Donc il faut qu’on donne à voir des gens de toutes les opinions et toutes les origines. Il est vrai que c’est facile à énoncer, beaucoup moins à mettre en œuvre.

Le mot « diversité » renvoie spontanément à la représentation des minorités ethniques. D’ailleurs, vous n’aviez pas seulement ciblé les mâles, mais les « mâles blancs ». Et devant les parlementaires, vous avez déclaré : « Contrairement à la mixité où l’on peut compter le nombre de femmes, on n’a pas le droit de compter les autres signes de diversité. »Si vous le pouviez, vous compteriez les Maghrébins, les Noirs, les juifs ?

Nous n’en avons pas le droit.

Si vous l’aviez ?

Non. Je trouve plus intéressante la notion de perception de cette juste représentation : les gens se sentent-ils ou pas représentés sur nos antennes. Nos obligations votées par la représentation nationale comportent un objectif de représentation de la diversité, nous nous y conformons. Point.

Il y a juste le mot « diversité », sans précision chiffrée ?

Oui, un mot.

Pourtant vous avez déclaré au Monde que « d’après l’Arcom, les personnes perçues comme nonblanches représenteraient environ 25 % de la société française contre 15 % à la télévision ».

Effectivement, ce sont les statistiques de l’Arcom.

Sans disposer de statistiques, vous avez estimé qu’il y avait un énorme rattrapage à faire. Y êtes-vous parvenue ? Comment faites-vous concrètement ?

Nous travaillons avec les producteurs d’émissions, les directeurs de casting pour que nos jeux, nos magazines, nos séries représentent toutes les diversités : sociale, territoriale, de handicap, d’âge ou de couleur de peau. On n’a pas de règles magiques. Mais c’est une politique publique exigée par la loi, je la comprends et je l’assume.

Aux États-Unis, il ne suffit pas d’avoir des « non-Blancs » pour reprendre votre terminologie, il faut aussi qu’ils soient représentés dans des positions valorisantes. Est-ce votre ligne ?

Pas valorisantes, juste normales : le reflet de notre société.

Il y a beaucoup de policiers, médecins, professeurs issus de l’immigration. Il est naturel qu’on le voie dans vos fictions. Mais il y a aussi une face sombre, une faillite de l’intégration, qui se traduit par une surreprésentation de l’immigration dans la délinquance. Faut-il le montrer ?

On n’est pas là pour stigmatiser.

Il ne s’agit pas de stigmatiser. Il s’agit de montrer la société telle qu’elle est. Mais permettez-moi une question taquine. Je suis sûre que votre comité de direction est parfaitement représentatif en termes de mixité et de diversité ?

De mixité, oui ; de diversité sociale et d’origine, on pourrait sans doute mieux faire.

Le« Complément d’enquête » consacré à Gérard Depardieu est intitulé « La chute d’un ogre ». Aviez-vous été consultée sur ce titre ?

Non. Notre rédaction est parfaitement indépendante.

Un de vos collaborateurs a laissé entendre que France Télévisions, non seulement ne travaillerait plus avec Depardieu, mais ne diffuserait plus les films où il joue.

Ce n’est pas exact. Je défends évidemment la libération de la parole des femmes et nous l’avons prouvé à maintes reprises sur nos antennes. Mais je refuse aussi, et dans le même mouvement, la cancel culture. Quelques jours après le « Complément d’enquête », nous avons d’ailleurs diffusé Illusions perdues, avec Gérard Depardieu. En revanche, on ne programmerait pas une grande soirée en son honneur.

Passerez-vous des films de Doillon ou de Jacquot ?

Je pense, oui. Nous sommes coproducteurs du dernier film de Doillon. Nous ne soutenons pas un homme, mais un film, et cette distinction sera toujours ma ligne. Ceci étant, je ne vais pas non plus passer demain un film de Jacquot avec Judith Godrèche.

On parviendra à endurer cette privation. Mais merci d’avoir diffusé J’accuse de Roman Polanski.

On l’a coproduit et on l’a diffusé. Encore une fois, à France Télévisions, la cancel culture ne fait pas débat. Elle n’existe pas. Oui, je suis féministe. Mais non, je ne suis pas pour éradiquer les hommes ou déboulonner les statues.

Avez-vous déjà été militante ?

Non. J’adore les responsables politiques, je les trouve passionnants souvent, mais ce n’est pas mon truc. Je suis une patronne d’entreprise et rien d’autre. Ce que j’aime, c’est manager et décider.

Recevez-vous beaucoup de protestations des téléspectateurs ? Qu’est-ce qui les a énervés récemment ?

La suppression de « Un si grand soleil » pour basculer directement en émission politique après le « 20 heures » !

L’irresponsable fuite en avant de la macronie aux abois

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La comparaison entre Marine Le Pen et Édouard Daladier de la macroniste Valérie Hayer ulcère le Rassemblement national, et fait hurler les historiens.


Valérie Hayer a osé. Elle non plus n’aura pas de limites. Samedi, à Lille, la tête de liste « Renaissance » aux européennes a repris l’injure des trolls marconistes qui inondent les réseaux sociaux sur la guerre en Ukraine: « Hier Daladier et Chamberlain, aujourd’hui Le Pen et Orban (…) Nous sommes à Munich en 1938 ».

Le président des riches pas au clair sur l’immigration

L’esprit munichois, c’est-à-dire le choix de l’apaisement face à l’ennemi, rode assurément. Mais s’il doit être déniché, c’est au cœur du pouvoir aux abois, capitulard face à l’islam conquérant et à son économie liée à la drogue.

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La même Valérie Hayer, interrogée le 4 mars sur le point de savoir s’il y avait trop d’immigration, avait répondu : « Je… J’attends la position des acteurs économiques ». La nation se fracture, l’école s’effondre, l’insécurité se généralise, les cartels criminels imposent leur loi, mais le parti présidentiel continue d’être à l’écoute exclusive des intérêts financiers. Emmanuel Macron reste l’obligé des faiseurs de roi qui l’auront soutenu dès 2016 dans son ascension vers le pouvoir. L’euphorie du Cac 40, qui a crevé les plafonds le 7 mars, est d’ailleurs venue saluer sa politique pour les riches. Est-ce pour faire oublier ses échecs intérieurs que le chef de l’Etat agite aujourd’hui, outre des sujets sociétaux à la mode, la guerre contre Poutine ? Emettre cette trop grossière hypothèse fait honte. Pourtant : tout démontre que Macron veut artificiellement placer l’Ukraine au centre du débat électoral, afin de feindre un courage qu’il n’a pas.

Reductio ad hitlerum usé jusqu’à la corde

Le « no limit » n’est pas propre à Hayer. Le président a lui-même théorisé cette fuite en avant irresponsable, jeudi dernier à l’Elysée, devant les représentants politiques : il ne se fixera « aucune limite » ni « aucune ligne rouge » dans le soutien de la France à l’Ukraine. C’est à peine si le démenti du ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, a été entendu le lendemain, assurant qu’il n’y aura « pas de troupes au sol combattantes » alors que le président avait laissé entendre l’inverse. Or rien n’est plus dangereux qu’un chef d’Etat immature qui choisit d’instrumentaliser le risque de guerre nucléaire pour espérer limiter une défaite électorale et une humiliation personnelle. 

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« Ne laissez pas entrer les nationalismes », a-t-il enjoint à son gouvernement le 6 mars. « Ils étaient déjà la guerre, ils sont désormais la défaite face à la Russie ». Mais quelle plus belle illustration de la crise de l’intelligence politique que j’évoquai la semaine dernière que ce recours à la reductio ad hitlerum, usé jusqu’à la corde ! En mai, Macron avait recadré Elisabeth Borne, qui avait qualifié le RN d’« héritier de Pétain ». En laissant Hayer traiter les opposants à la guerre de « munichois », il fait pire encore dans la bêtise historique. Poutine est un détestable autocrate, soit. Mais ce n’est pas Hitler, et le collaborateur nazi Bandera a son nom et ses statues en Ukraine. Mardi et mercredi, les parlementaires vont être invités à voter sur l’accord de sécurité conclu le 16 février entre Macron et Volodymyr Zelensky. Les députés et sénateurs oseront-ils dénoncer le jeu de dupes mené par Macron, dans son seul intérêt ? La décence, elle, a des limites.

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Militant mais pas trop

Alexander Soros, l’héritier de l’Empire Soros, est sur le point d’acquérir l’un des plus gros réseaux de radios américain, et entend faire barrage à Donald Trump.


Le parrain du sans-frontiérisme mondial ne s’appelle plus George Soros. En juin dernier, le milliardaire américain, âgé de 93 ans, a pris sa retraite et cédé à son fils Alexander la présidence d’Open Society Foundations (OSF), l’immense structure « philanthropique » qu’il a fondée en 1979 pour promouvoir les valeurs de la « société ouverte » à travers la planète (en finançant notamment l’association Reporters sans frontières en France). Dès sa prise de fonction, le jeune héritier de 38 ans, qui se déclare « plus politique » que son père, a fait savoir qu’il se montrerait un peu moins généreux envers les ONG soutenues par OSF en Europe (à hauteur tout de même de 200 millions de dollars par an), et qu’il privilégierait la lutte, dans son pays, contre Donald Trump. Résultat, en cette année cruciale, il prévoit de verser 125 millions de dollars pour la campagne électorale de Joe Biden, un montant égal à la contribution record que son père avait accordée au même Biden en 2019.

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Mais la croisade d’Alexander risque d’aller plus loin. Le fonds d’investissement familial dont il est vice-président est en passe de prendre le contrôle de la société Audacy, deuxième réseau radiophonique américain, qui compte 230 stations FM et 170 millions d’auditeurs mensuels. À droite, certains redoutent que l’objectif de la manœuvre soit de transformer le puissant groupe médiatique, connu pour son pluralisme, en canal de propagande des idées progressistes. L’entourage du jeune activiste objecte qu’il s’agit d’une opération à visée purement économique, placée sous la supervision d’une banquière réputée, Dawn Fitzpatrick, uniquement chargée de faire fructifier la fortune des Soros et connue pour ses opinions conservatrices. Inutile de dire que les républicains ne sont pas pour autant rassurés et scrutent avec attention la ligne éditoriale d’Audacy. Le premier donateur du Parti démocrate se montrera-t-il respectueux de l’indépendance de la presse, ou essaiera-t-il au contraire de se servir des ondes pour influencer la présidentielle ? Réponse à la fin de l’année.

Un procès à la noix

Aux États-Unis, il laisse ses bijoux de famille dans le frigo de son ex, puis le poursuit au tribunal.


États-Unis. Michigan. Dans son tribunal de Pontiac, le juge Bowie n’en a d’abord pas cru ses yeux lorsqu’il a vu débarquer Brianna Kingsley, une virulente femme transgenre enturbannée. Puis il n’en a pas cru ses oreilles lorsqu’il l’a entendue lui expliquer d’une voix geignarde que ses testicules « extraits chirurgicalement » étaient depuis huit mois conservés dans un bocal, « juste à côté des œufs », dans le réfrigérateur de William, son ex-compagnon. Arguant du fait que ce dernier refusait de lui rendre ses « nuts » (en argot anglais), Brianna a réclamé la somme de 6 500 dollars au titre de dédommagement ainsi que la possibilité de récupérer son bien. Après leur séparation, lors d’une visite autorisée à l’ex-nid d’amour, Brianna n’a pas cru bon de réclamer ses testicules, s’est défendu William avant d’ajouter qu’il les avait finalement jetés à la poubelle :« Elle ne les a pas gardés dans un récipient à risque biologique comme elle était censée le faire. Ils pourrissaient dans mon réfrigérateur, c’était dégoûtant. » Depuis leur rupture, Brianna n’a pas cessé de le harceler. « Mais, a tenté de se justifier cette dernière, nous parlons de mes noix. Il m’a refusé l’accès à des parties de mon propre corps. »

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Malgré l’ablation de ses nuts, il semblerait que Brianna ait conservé quelques réflexes masculinistes – à preuve, sa prochaine convocation au même tribunal pour destruction de biens, en l’occurrence la porte d’entrée de la maison de son ex-petit ami. En attendant cette nouvelle confrontation, le juge Bowie a refusé d’accorder à la plaignante le dédommagement financier qu’elle réclamait. Comme cette dernière protestait en soulignant que son opération avait coûté 20 000 dollars, le magistrat, excédé, lui a cloué le bec en lui rappelant qu’en raison de son « handicap » (sa dysphorie de genre) et de ses faibles revenus, l’État avait réglé la facture. Dans la foulée, il a rejeté la demande d’indemnisation réclamée par William pour « l’humiliation » qu’il aurait subie. Pour le juge Bowie, plus aucun doute n’est possible, pour ce qui est des couillonnades, les deux ex-amants font la paire. La paire d’andouilles, bien entendu.

Oser le virtuose?

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La Musikfest Parisienne permettra de retrouver du 13 au 15 mars 2024 sur la scène de la Salle Cortot dans le 17e arrondissement l’altiste Lise Berthaud, les pianistes Théo Fouchenneret, Alexandre Kantorow, Adam Laloum et Pavel Kolesnikov, les violoncellistes Edgar Moreau, Victor Julien-Laferrière et Aurélien Pascal ou encore la violoniste Liya Petrova (notre photo), directrice artistique du festival. Il promet de répondre cette année à une question : Qu’est-ce qu’un virtuose ? Est-ce un prodige dont le don surhumain vient peut-être du diable lui-même, ou celui qui, passé maître dans son art, cherche la perfection dans chaque note ?


Le pur joyau architectural de la petite salle Cortot – commande, comme chacun sait, du pianiste français éponyme à l’architecte Auguste Perret, en 1929, pour y abriter la salle de concert de l’École normale de musique – reste encore une fois le lieu d’accueil de la Musikfest Parisienne, manifestation très prisée des amateurs de musique de chambre, dont c’est la cinquième édition, toujours sous le patronage artistique de la violoniste bulgare Liya Petrova.

Les soirées de concerts de l’année 2021 étaient placées à l’enseigne du répertoire brahmsien. Le millésime 2022 célébrait la Belle époque. L’an passé, ce fut au prisme – prémonitoire ? – des conflits du XXème siècle que le très riche programme trouvait une inspiration délibérément éclectique, entre Chostakovitch et Weinberg, Ravel et Elgar…

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Estampillée Virtuoso, cette saison se décline, de façon explicite, sous le signe de la maestria, du brio, du savoir-faire, de l’agilité, du prodige – tout ce que résume, pour le meilleur et pour le pire en musique, le vocable « virtuosité » : notion ambivalente s’il en est, tiraillée entre l’exigence de perfection et l’écueil de la démonstration, entre le triomphe de l’excellence et la vacuité de l’exercice congelé.

Sur ce registre intimidant, il n’y a que l’embarras du choix. Liya Petrova et sa fidèle « troupe » de jeunes artistes relèveront donc, cette semaine, l’espace de ces trois soirées, le défi de briller sans clinquant.

On a toute confiance dans les talents très sûrs d’un pianiste comme Alexandre Kantorow, d’un violoncelliste comme Victor Julien-Laferrière, d’un alto comme Lise Berthaud – pour ne citer qu’eux. De Rovelli à Janàcek, de Piazzola à Bartok, de Mozart à Offenbach, de Schumann à Stravinski, de Haendel à Paganini, le spectre Virtuoso n’a pas de limites. Franchissons-les avec gourmandise –  et beaucoup de curiosité.


La Musikfest Parisienne. Les 13, 14 et 15 mars à 20h. Salle Cortot, 78 rue Cardinet, Paris 17ème
Programme et réservations : www.lamusikfestparisienne.com
À noter que les concerts sont gratuits pour les jeunes et les enfants de moins de 18 ans, et pour tous les étudiants (sur présentation d’un justificatif).

Fanny Ardant échappe toujours au cinématographiquement correct

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Fanny Ardant a accordé un entretien à l’hebdomadaire Version Femina. Ses confidences ont passionné notre chroniqueur.


Ardente Ardant… Pas d’adjectif plus approprié pour définir cette brûlante personnalité qu’est Fanny Ardant ! Certes je pourrais ne pas abandonner le terrain politique et dénoncer les dérives sociétales du président de la République qui, confronté à l’impuissance de faire, se consacre à défaire ce qui maintenait la « condition humaine » – ce que déplore Jean-Pierre Le Goff dans Le Figaro. Mais il me semble que, si on n’est pas persuadé d’énoncer autre chose que des platitudes sans être capable de les vivifier grâce à une forme inventive, mieux vaut se livrer au plaisir de commenter ce que l’actualité vous a offert de remarquable, notamment sur le plan artistique.

Pas de côté

Et c’est dans ce domaine que surgit l’inimitable Fanny Ardant qui, âgée de 74 ans, est incapable de proférer la moindre banalité. Elle parvient ainsi à donner du prix au questionnement même le plus inévitable (Version Femina) et dépasse ce que le caractère en partie promotionnel des échanges pourrait avoir d’artificiel. Tout serait à retenir parce que Fanny Ardant échappe au cinématographiquement correct et jouit d’une solitude qui préserve son absolue singularité.
Deux passages m’ont particulièrement intéressé. Le premier concerne cette interrogation : « Rien ne vous fait donc peur ? ». Fanny Ardant développe alors, en peu de mots, une conception de la vie sociale et de l’existence intime qui me touche d’autant plus que, sans la moindre vanité, je la perçois comme familière et presque consubstantielle à mon être.

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Que dit Fanny Ardant ? « Je suis arrivée à ce point de ma vie où les jeux sont faits : j’ai vécu et aimé ce que j’ai vécu… Je n’ai pas plus d’amis que cela, je suis peu sociable et sors rarement, car la mondanité est creuse et la vraie conversation devient difficile pour une femme qui comme moi s’enflamme pour des causes… Mon père me demandait d’être douce et de ne pas donner de leçons, mais j’ai toujours vendu le bonheur contre l’intensité ».

Fanny Ardant, la certitude de la flamme

Je ne crois pas qu’on puisse, même avec une joyeuse résignation, soutenir à quelque âge que ce soit que « les jeux sont faits ». Il y a toujours du futur et de l’indéterminé, du possible, de la surprise en attente. C’est pour cela que je n’ai jamais jugé « la vieillesse comme un naufrage », à partir du moment où on ne l’appréhendait pas comme une fin mais telle une nouvelle page de sa destinée. L’inquiétude sur la finitude n’en était pas dissipée pour autant mais au moins, au quotidien, « l’intensité » ne faisait jamais défaut. Comme je comprends Fanny Ardant qui, dans l’arbitrage à opérer à tout instant entre le calme et l’extrême, choisit cette intensité. Avec la démonstration éclatante de la nécessité de soi, plutôt que le parfum tiède du bonheur. La certitude de la flamme plus que la béatitude trompeuse du feu doux.

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La seconde fulgurance de Fanny Ardant, directement raccordée aux controverses d’aujourd’hui sur les rapports entre les femmes et les hommes et les comportements décents à adopter, est liée, alors qu’elle a trois filles, à son bonheur de pouvoir continuer à considérer l’homme comme « un mystère ». Elle aime les hommes pour cela : ils sont « un territoire inconnu, des contrées étrangères. Et je ne supporte pas qu’on les domestique car cela ne m’intéresse pas qu’ils deviennent une reproduction de la femme ». Quel talent, quelle profondeur ! Qu’on ne les sous-estime pas, c’est du grand art de savoir parler de soi sans tomber dans le narcissisme, en s’efforçant de penser, à partir de soi, pour l’intelligence de tous.
Oui, ardente Ardant !

Fanny Ardant est à l’affiche de Les Rois de la piste, de Thierry Klifa, demain en salles NDLR.

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«Je ne veux pas la mort de CNews»

En 2015, la présidente de France Télévisions promettait plus de « diversité » à l’antenne et moins de « mâles blancs de plus de 50 ans ». C’est fait. Mais Delphine Ernotte Cunci réfute toute orientation idéologique. Elle estime que le service public est équilibré. Et rappelle que la cancel culture n’y a pas sa place – la preuve par J’accuse et Illusions perdues, deux films diffusés récemment.


On ne devrait jamais rencontrer les personnalités dont on parle. Ainsi pourrait-on émettre confortablement des jugements péremptoires qu’aucune réalité concrète ne contrarierait. En me rendant à mon rendez-vous avec Delphine Ernotte, mes préventions étaient déjà un peu entamées. Alors que nos aimables confrères des journaux convenables nous taillent des costards à coups d’« extrême droite » et de « fachos », la présidente de France Télévisions a accepté de parler à Causeur – et à votre servante. Elle refuse de se laisser dicter ses fréquentations par le qu’en-dira-t-on. Dans le microclimat des médias, où le sectarisme est bien partagé, cela prouve sa liberté d’esprit.

Cependant, ne connaissant guère d’elle que quelques déclarations plutôt malheureuses, je m’attendais à rencontrer non pas une passionaria gauchiste, mais une femme dogmatique, se pensant missionnée pour rééduquer le populo et combattre l’extrême droite. Alors, Delphine Ernotte voudrait sans doute que France Télévisions contribue à l’émergence d’une société plus « inclusive », mais elle n’a pas la naïveté ou la forfanterie de croire qu’on change l’être humain par l’intimidation ou l’injonction. J’ai donc été un peu désarçonnée de me trouver face à une personne malicieuse et batailleuse, rendant les coups avec intelligence et humour, sans une once de méchanceté ou de ressentiment. Pendant les deux heures qu’a duré notre discussion, elle a répondu honnêtement à toutes mes interpellations. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, tombées d’accord sur tout, mais sur l’essentiel qui est, précisément, le droit au désaccord civilisé. Humour, légèreté : si besoin était, c’est la preuve irréfutable que Delphine Ernotte n’est pas woke.


Causeur. Que vous inspirent la plainte de Reporters sans frontières contre CNews et, plus généralement, la décision du Conseil d’État ?

Delphine Ernotte Cunci. D’abord, il me semble très positif qu’on se soucie de pluralisme à la télévision. À France Télévisions, nous faisons très attention à équilibrer notre contenu et à être honnêtes. Ces règles-là ne me posent aucun problème. Donc je comprends l’esprit de la décision du Conseil d’État, mais suis plus circonspecte sur la lettre et son application. Le boulot d’un éditorialiste est de donner un point de vue ! Mais je fais entièrement confiance à l’Arcom, qui défend avant tout la liberté d’expression, pour trouver un moyen de faire cela intelligemment.

C’est-à-dire de ne pas le faire…

En tout cas, il faut concilier l’exigence de pluralisme avec un autre grand principe, qui est la liberté éditoriale. Évidemment, il est impossible de répertorier des chroniqueurs, invités et intervenants en fonction de leurs opinions supposées. Je ne le souhaite pas et je pense que cela n’arrivera pour personne.

Si quelqu’un demandait la fermeture de CNews, l’approuveriez-vous ?

Non, je ne veux pas la mort de CNews. Mais il est normal qu’elle respecte les règles, comme tout le monde. Les fréquences TNT ont une grande valeur marchande. En France, elles sont attribuées gratuitement par la collectivité en contrepartie du respect d’obligations et de conventions, notamment en termes de pluralisme.

Personne ne peut respecter une règle qui n’existe pas encore. Cependant, merci, il est rassurant que la patronne de la télévision publique (la place de la Concorde des médias) défende la liberté !

Je n’ai jamais défendu autre chose. M’avez-vous déjà entendu dire un mot contre une autre chaîne de télévision en France ? Chacun doit rester à sa place. Le législateur, c’est le Parlement, le régulateur, c’est l’Arcom. Mon travail, c’est le pluralisme sur les antennes de France Télévisions.

Encore faut-il le définir…

Dans un État de droit, le pluralisme est un ensemble de règles auxquelles nous sommes tous soumis. Sinon, on considère que le pluralisme est une affaire d’opinion et on pourrait, au prétexte qu’on ne l’aime pas, sanctionner CNews… Ce n’est évidemment pas ma façon de voir les choses.

Marc-Édouard Nabe est l’invité de Frédéric Taddeï dans l’émission « Ce soir ou jamais ! » sur France 2, 10 janvier 2014. DR.

Sauf qu’avec l’arrêt du Conseil d’État, l’Arcom pourrait devenir le gendarme de la bien-pensance…

Je ne peux pas spéculer sur ce qui va se passer. Mais je défends nos lois qui garantissent les libertés fondamentales, la liberté d’expression étant l’une des plus précieuses, comme le précise la Déclaration des droits de l’homme. La loi de 1986, qui régule notre secteur, est avant tout une grande loi de liberté éditoriale et d’expression. C’est d’ailleurs le titre de ce texte fondateur.

La notion de pluralisme n’est pas seulement juridique. C’est aussi un état d’esprit, une façon d’accueillir la controverse loyale. Êtes-vous satisfaite de France Télévisions de ce point de vue ?

L’important, c’est de savoir si les Français sont satisfaits de leur service public. Et ils votent avec leur télécommande. Un Français sur deux nous regarde chaque jour, huit sur dix chaque semaine. À ce niveau de couverture, ils sont représentatifs de toutes les opinions. Il y a des Français qui votent pour tous les partis, et même qui ne votent pas et qui se reconnaissent dans nos chaînes. Nous sommes plébiscités par les Français et ils reconnaissent notre exigence de pluralisme et d’impartialité.

Cela ne signifie pas qu’ils vous trouvent dénués de biais idéologiques ! De plus, contrairement aux autres chaînes, votre groupe est financé par l’argent public, aussi a-t-il en plus de l’obligation de pluralisme et d’honnêteté de l’information, celle de neutralité.

Je n’aime pas beaucoup ce mot, car la neutralité est une notion chimiquement totalement impure. Cela n’existe pas. Pour moi, le service public doit d’abord et avant tout être équilibré, et représenter toutes les opinions et tous les courants de pensée.

Peut-être, mais sauf erreur, le mot« neutralité » figure dans la loi. Comme tous les médias, France Télévisions a, sinon une ligne, une couleur idéologique. La plupart des animateurs, présentateurs et chroniqueurs réguliers sont, sinon de gauche, représentants du même progressisme bon teint…

Alors ça c’est drôle, vous voilà à compter les gens selon leurs opinions ! Moi qui pensais que cela vous offusquait…

D’accord, vous marquez un point. Mais vous voyez bien ce que je veux dire… « Quelle époque ! » Léa Salamé…

Léa est de gauche, première nouvelle ! Vous n’en savez rien, moi non plus. Et c’est très bien ainsi.

Vous avez raison, il serait détestable de l’assigner aux positions de son compagnon. Mais elle officie avec Christophe Dechavanne, qui se fait une gloire de son anti-lepénisme. Comme Laurent Ruquier, qui occupait précédemment cette case. On pourrait aussi citer Karim Rissouli ou Michel Drucker…

… ou d’excellents animateurs qui n’ont rien à voir avec la politique, comme Stéphane Bern ou Franck Ferrand, qui commente le Tour de France. Quant à mes présentateurs de journaux, je ne sais pas pour qui ils votent. Et puis, à vous entendre, il faudrait qu’il n’y ait plus personne de gauche sur le service public !

Nous ne courons pas ce danger ! Le problème n’est pas la présence de ces personnalités talentueuses, mais qu’il n’y ait pas de présence équivalente, dans les émissions politiques ou métapolitiques, de personnalités conservatrices. Pourquoi pas une grande émission animée par quelqu’un comme Eugénie Bastié ?

Toutes les cultures politiques ont droit de cité chez nous. Geoffroy Lejeune est déjà venu, mais nous avons eu Mathieu Bock-Côté plusieurs fois, et nous avons même voulu lui confier un documentaire sur la présidentielle. Ça ne s’est pas fait, car CNews a refusé.

Certes, mais encore une fois, ils sont invités quand d’autres sont la puissance invitante. Tout de même quand on regarde « C à vous », « C ce soir », ou « C politique », ce sont toujours les mêmes opinions qui jouent à domicile.

Je ne suis pas d’accord. Et ce n’est pas ce qui remonte des téléspectateurs. Toutes les études nous accordent un crédit énorme en termes de sérieux, d’indépendance, d’impartialité. Ce sont les invités qui donnent la tonalité. Et j’ajoute qu’ils peuvent nous critiquer. Après le « Complément d’enquête » sur Hanouna, il a été invité à « C médiatique » sur France 5 et il a pu s’exprimer en toute liberté. Aucun autre média ne propose un tel spectre d’émissions, où des points de vue antagonistes peuvent se rencontrer et débattre. Le service public de l’audiovisuel est une maison commune : il appartient à tous et tout le monde doit s’y sentir chez soi.

Pendant la campagne présidentielle, Éric Zemmour était l’invité de « Quelle époque ! ».Il s’est retrouvé face à une meute déchaînée…

C’est votre sentiment. Et puis, une émission peut être plus ou moins réussie, mais j’adore « Quelle époque ! ». Et en tout cas, Monsieur Zemmour a été le premier invité, ce n’est pas rien.

Pourquoi Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du frérisme, qui subit de nombreuses attaques et menaces sur les réseaux, n’est-elle pas invitée chez vous ?

Des experts qui écrivent sur les Frères musulmans, et le fondamentalisme religieux en général, sont très souvent invités sur nos antennes, comme Caroline Fourest, par exemple.

Justement, pourquoi ne pas varier les points de vue ? Une autre personnalité n’est jamais invitée, Gilles-William Goldnadel.

Mais je n’ai pas à justifier nos choix, nous avons encore la liberté d’inviter qui nous voulons. Nous ne choisissons pas les personnalités en fonction de ce qu’ils votent ou de ce qu’ils pensent, mais uniquement en fonction de leur talent et de leurs compétences.

D’accord. Je vous parle aussi d’une petite musique. Je vous parle du traitement de l’insécurité et de ses liens avec l’immigration (désormais attestés par les statistiques du ministère de l’Intérieur). Après la mort de Lola, France 2 s’est déchaînée contre ceux qui y voyaient une faillite de notre politique migratoire. Il faut voir ce que l’on voit, dit Péguy, et ce n’est pas votre plus grand talent.

C’est un fait tragique qui a bouleversé tout le pays. Mais ce que vous dites est totalement faux : notre couverture a été exemplaire.

Si vous le dites…On peut aussi trouver faiblard votre traitement du séparatisme islamiste. Si j’interroge vos journalistes sur l’origine de l’antisémitisme, je vous parie qu’une majorité citera l’extrême droite.

Qu’en savez-vous ? Ce sont des procès d’intention.

Cyril Hanouna est l’invité de « C médiatique » sur France 5, après la diffusion du « Complément d’enquête » qui lui était consacré, 17 septembre 2023. DR.

Referiez-vous une émission comme « Ce soir ou jamais », qui invitait des personnalités proches de l’extrême droite et de l’extrêmegauche ?

Bien sûr, à condition qu’on sache d’où parlent les gens. Le problème que nous avons eu avec cette émission est que des invités étaient présents sans préciser leurs autres activités, parfois très engagées et sans que cela soit clairement dit.

Ces questions d’étiquetage passent à côté de l’essentiel : il régnait sur le plateau de Taddeï une atmosphère de liberté véritable, où des adversaires irréconciliables pouvaient se parler, des points de vue choquants s’affronter.

On ne cherche pas le clash, c’est vrai. On essaie de prendre du champ et d’avoir des débats profonds et contextualisés.

Bienséants, convenables…

On dirait que pour vous, tout débat doit être polémique.

Oui, le débat est un combat.

Il arrive que le ton monte sur nos plateaux, mais ce n’est pas notre objectif. Notre combat, c’est le débat et la pluralité des points de vue. C’est ce que les Français attendent du service public et c’est ce qu’ils trouveront tou »jours chez nous.

Donc, vous n’avez rien à vous reprocher…

Nous pouvons toujours progresser. Mais ce que je peux affirmer avec force, c’est qu’il n’y a pas de ligne idéologique, ni d’exclusive.

Je vous l’accorde, si on peut discuter votre neutralité, particulièrement sur France 5, vous êtes beaucoup moins gauchistes que France Inter.

Je vous laisse la responsabilité de ces propos injustes. S’agissant de France 5, de « C dans l’air » à « C ce soir » en passant par « C àvous », elle est la seule chaîne à proposer quatre heures par jour de décryptage avec des experts, des personnalités publiques. Notre ligne éditoriale est d’éviter le commentaire, de favoriser l’explication, de donner des clés au téléspectateur : libre à lui de se forger son opinion.

Il faut dire que TF1, première chaîne privée d’Europe, autrefois moquée comme la chaîne des « ploucs » de droite, vous double sur votre gauche. Et elle vient de déposer une plainte contre vous pour aide d’État illégale.

C’est une plainte contre l’État, nous ne nous accordons pas les subventions tout seuls ! C’est la troisième fois en quelques années… et une bataille toujours perdue. Surtout, cette guerre menée par TF1 contre le service public est terriblement xxe siècle. À l’âge de YouTube et Netflix, croyez-vous vraiment que les audiences de France 2 soient leur principal problèmed’avenir? Le sujet n’est plus là.

Il est où ?

L’univers médiatique est devenu très concurrentiel. Cette profusion de contenus est une excellente chose pour les publics, mais il faut que nos médias nationaux puissent résister. Nous devons le faire ensemble, médias publics et privés réunis. Je l’ai toujours dit et toujours prouvé. Quand TF1 et M6 ont décidé de fusionner, je les ai soutenues. Récemment, j’ai défendu le fait que toutes les chaînes de la TNT soient concernées par les mesures de visibilité sur les téléviseurs connectés, et pas seulement le service public. C’est ce que l’Arcom a décidé et je m’en félicite. Entre médias nationaux, nous devons nous serrer les coudes. C’est notre souveraineté culturelle et informationnelle qui est en jeu face aux offensives des plates-formes et des réseaux sociaux américains ou chinois.

L’argument de TF1 est que vous êtes une entreprise de télévision comme les autres et que vous bénéficiez donc d’un avantage concurrentiel indu. Après tout, si c’est pour passer les mêmes séries américaines que la concurrence, ils ont peut-être raison…

Vous voilà prise en flagrant délit de fake news. Cela fait trois ans que nous ne passons plus de séries américaines pour privilégier la création française. Nous proposons très peu de divertissement et aucune téléréalité. Quant à ce qui nous distingue, je vous conseille la lecture de notre cahier des charges ou tout simplement une soirée télé ! Notre différence est flagrante, évidente. Notre première mission, c’est d’informer. Et lorsque l’on demande si les Français font confiance à notre information, ils sont 75 % à dire oui. C’est vingt points de plus que les chaînes commerciales.

La suite demain sur le site Causeur.fr

Richard Malka sur l’affaire CNews/RSF: «L’interdiction revient toujours en boomerang»

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Le célèbre avocat avance qu’on ne pourra jamais avoir autant de canaux que d’opinions, et qu’il est donc impératif d’obtenir une diversité d’opinions à l’intérieur de chaque chaîne info. Il ne se satisfait pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Une parole trop rare.


Causeur. Une organisation censée promouvoir la liberté de la presse dénonce un média qu’elle ne trouve pas assez pluraliste parce qu’il a une sensibilité de droite (en réalité « conservatrice »), contrairement à tous les autres qui sont spontanément «progressistes » et demande au Conseil d’Etat d’obliger le régulateur à fliquer tous les intervenants (demande déjà rejetée par ledit régulateur). Que vous inspire cette demande de RSF, vous qui êtes l’un des grands défenseurs de la liberté d’expression ?

Richard Malka. Essayons de dépasser un peu les polémiques et d’approfondir ce débat qui est assez important pour mériter autre chose que des caricatures. D’abord, on ne peut vraiment pas contester que RSF lutte pour le journalisme et la liberté d’expression partout dans le monde. C’est une des rares organisations qui ose encore défendre le droit au blasphème, y compris devant les organisations internationales. J’ai trouvé le procès qui lui était fait assez injuste. Deuxième point, la préoccupation de RSF vise le pluralisme. Mais qui peut sérieusement être «  contre » le pluralisme ?

Non, la requête de RSF vise CNews, nommément. Si leur objectif était le pluralisme, ils auraient cité d’autres médias.

Pour qu’il y ait un contentieux, il faut bien agir contre une partie identifiée, mais vous n’allez pas vous satisfaire de cette réponse juridique, donc je n’ai aucune difficulté pour vous dire que si j’avais rédigé cette requête, j’aurais trouvé nécessaire de globaliser et de citer d’autres médias ou émissions. Par souci d’équilibre et aussi de pragmatisme afin de ne pas être soupçonné d’agir en fonction d’un biais idéologique.
Ce qui transforme ce débat en champ de bataille, c’est précisément qu’il a été soulevé à propos de CNews. Je peux comprendre les réactions courroucées de cette chaine, mais la décision du Conseil d’Etat s’appliquera à tout l’audiovisuel sans discrimination. Il ne peut évidemment en être autrement. Enfin, il ne faut pas confondre pluralisme et liberté de choisir sa ligne éditoriale ce qui est parfaitement légitime. Qu’il y ait des médias de gauche comme de droite, c’est parfait ; ce qui me choque, c’est l’absence de contradiction car alors, on quitte l’information pour rejoindre la propagande, la facilité de la radicalité et du simplisme. Les chaines de télévision doivent autre chose à leur public. C’est un impératif de permettre la contradiction.

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La question porte donc sur les moyens d’y parvenir et il n’est pas absurde d’adapter l’appréciation du pluralisme à l’évolution du monde et des médias, près de 40 ans après la loi de 1986 qui prévoit cette obligation dans l’audiovisuel où les fréquences sont limitées et où les chaines s’offrent au public. Qu’il y ait des dangers en matière de liberté d’expression au regard des critères qui pourraient être retenus pour apprécier ce pluralisme, c’est certain, et il faudra être d’une absolue vigilance mais cela n’empêche pas de réfléchir à la manière d’aboutir à cet objectif. Je serais l’Arcom, je convoquerais tout le monde pour y réfléchir car c’est l’intérêt de tous.
Je ne dis rien de plus. Je ne me satisfais pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Ce serait le plus sûr chemin vers la bêtise.

Le nouveau numéro de Causeur actuellement en vente.

Mais laissez le public choisir ! Et puis ce souci du contradictoire est à géométrie très variable. D’ardents défenseurs du droit au blasphème ont leurs vapeurs dès qu’on professe une opinion hétérodoxe. Dites que MeToo est une catastrophe, opinion parfaitement blasphématoire et on verra qui vous défend !

Pardon d’avoir l’ambition de m’adresser à l’intelligence et à la raison plutôt qu’aux passions, à la rage, aux excès. Pardon aussi de vous dire que les médias ont une responsabilité : ne pas transformer le peuple en une foule féroce car je sais ce que peut être la foule et je m’y inclus. Vous faites comme si vous n’aviez pas conscience qu’un média peut aussi devenir une arme redoutable pouvant mener au pire. Les règles sont nécessaires pour l’éviter. Ce sont des équilibres très délicats que l’on n’atteindra pas si on se comporte de tous côtés comme des éléphants énervés dans un magasin de porcelaine. Dire que MeToo en bloc est une catastrophe me semble être une ânerie mais libre à vous de le dire.

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Eh bien oui, et c’est heureux. Une sorte de rapport sur CNews a été bricolé par une sorte d’universitaire qui l’a regardée pendant quinze jours il y a deux ans. Entre autres griefs, il s’étonne que CNews fasse d’autres choix éditoriaux que BFMTV, comme si BFM était l’étalon-information. Il déclare que X ou Y est d’extrême droite parce que Le Monde le dit. Et la plainte de RSF est fondée sur ce rapport….

Je n’ai aucune idée de ce qu’est ce rapport mais il est évident que seul un rapport objectif réalisé éventuellement par les services de l’Arcom serait recevable.

La décision du Conseil d’Etat rompt avec sa jurisprudence précédente (et avec celle de la CEDH) qui estime que plus il y a de pluralisme externe (multiplicité des médias), plus chacun peut avoir de liberté éditoriale. Que vous inspire ce revirement ? Cet arrêt n’est-il pas dangereux pour nos libertés ?

Je ne le lis pas du tout ainsi. Il peut y avoir une infinité de journaux écrits mais uniquement quelques chaines TNT. La pluralité est limitée par les ondes. On ne pourra jamais avoir autant de chaines que d’opinions donc il faut une diversité d’opinions à l’intérieur de ces chaines mais vraiment, je ne comprends pas comment on peut réclamer d’avoir une chaîne univoque. Toute chaîne, publique ou privée, qui s’offre au public, contrairement à la presse écrite que l’on fait la démarche d’acheter, se doit de s’ouvrir à un pluralisme minimal d’opinions.
Si l’on cherche à éclairer plutôt qu’à abrutir, c’est quand même bien de permettre à des avis divergents de s’exprimer. Ça vaut pour tout le monde.

Mais personne ne conteste ça ! Vous avez déjà regardé CNews ? Pensez-vous que je travaillerais dans un média qui interdit la contradiction ?

Je regarde CNews régulièrement comme tous les autres médias d’information. Mais je vous retourne la question… Regardez-vous cette chaine quand vous n’y êtes pas ? Hier, j’ai vu Onfray et quoi que je puisse en penser, il développe une pensée et c’est intéressant et pas si fréquent d’avoir le temps de s’exprimer si longuement. Mais ce que je vois dans la même journée, c’est que lorsqu’un invité n’est pas dans la ligne, on lui tombe dessus à plusieurs avec, en leader, un journaliste présentateur hyper-offensif plutôt qu’adoptant une position de Monsieur Loyal. Cela crée un déséquilibre total. On semble chercher l’écrasement d’une idée par une autre, le ricanement et non l’échange. Il faut comprendre que ca ne donne pas une folle envie d’y aller à certains.

Pardon, mais dans les débats, quelle que soit la chaîne, il y a souvent des gagnants et des perdants. Mais je ne vous convaincrai pas. Le secrétaire général de RSF oppose le bon journalisme au commentaire. Est-il légitime pour décréter que le bon journalisme c’est ceci ou cela ? N’est-il pas inquiétant que cette personne soit chargée des Etats généraux de la presse ?

Vous me ramenez à la polémique… Evidemment le commentaire fait partie du journalisme sinon il faudrait supprimer toutes les chaînes infos et pas seulement CNews. Cela n’a pas de sens. Informer le public cela passe par des rappels de faits, des analyses, des enquêtes, des éditoriaux, des interviews, des débats… Pour autant, l’information ne peut pas être non plus que du commentaire. C’est aussi cette diversité des formats qui fait une information de qualité.

Christophe Deloire, de Reporters Sans Frontières, photographié en 2023 © CELINE BREGAND/SIPA

Vous, que reprochez-vous à CNews ?

Mais ce n’est pas la question. Je ne veux pas personnaliser, c’est le piège à éviter si l’on veut avancer. Je peste en permanence contre tous les médias car j’ai une immense ambition les concernant et donc une profonde exigence. Ils sont un rouage démocratique majeur. Ils devraient selon moi par exemple être bien davantage un rempart contre la violence des réseaux sociaux, qu’ils suivent trop souvent, ou un antidote contre tous les conspirationnismes.

Ceux qui prétendent que CNews n’est pas pluraliste refusent d’y aller parce qu’ils ont peur d’être contaminés. Dans le camp du Bien, on refuse la confrontation des arguments, on agite des gousses d’ail. D’ailleurs, la plupart des gens veulent une télé avec laquelle ils sont d’accord.

Eh bien si c’est le cas, alors personne ne pourra rien reprocher à CNews en matière de pluralisme. Il suffira que les dirigeants de la chaîne se présentent avec leur liste d’invités, l’histoire sera réglée avec un brevet de bonne conduite et ils en sortiront gagnants. On ne va évidemment pas reprocher à un média un manque de pluralisme s’il est dû aux invités qui ne veulent pas venir. Quant à moi, dans l’hypothèse ou je serais visé par votre question, on ne peut pas me faire ce reproche. Je refuse neuf invitations sur dix mais je fais très attention à parler sur tous les médias (ce que je prouve aussi par cette interview, puisque c’est à vous que j’ai réservé mon expression sur ce sujet). En revanche, on ne peut pas non plus imposer à une personne publique d’accepter un format qu’il n’aime pas, par exemple celui du débat à six ou dix. Cela fait bien longtemps que je refuse ce format sur CNews, comme sur BFMTV ou LCI. C’est aussi ma liberté et sur CNews, j’ai l’impression que c’est un format très présent – mais je me trompe peut être.

Vous n’étiez pas du tout visé, je sais que vous n’êtes pas sectaire. Ceci étant, il faut s’interroger sur les raisons du succès de CNews. Beaucoup de gens se sentent représentés par cette chaîne. Avant, disent-ils, aucune télévision ne parlait de ce qu’on vit. N’est-ce pas excellent pour le pluralisme ?

Il ne me viendrait pas à l’idée une seule seconde de contester que la « sensibilité conservatrice » comme vous l’appelez, puisse avoir son canal de diffusion parce que sinon, demain, ce sera la gauche qui ne pourra plus s’exprimer. En revanche, s’agissant de la télévision, média de masse, il faut des règles du jeu plus strictes que pour le papier. La diversité d’opinion est indispensable, le lavage de cerveaux est détestable. Je pense que nous pourrions a minima nous retrouver sur cette évidence. Et pour anticiper vos protestations, je parle de la droite comme de la gauche. Il y a d’autres médias que CNews sur lesquels un peu plus d’équilibre dans le temps d’expression serait bienvenu.

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On l’accuse également de trop parler d’insécurité et de « transformer des faits divers en faits de société ». Mais qui décide que ce sont des faits divers ? Peut-être que les autres n’en parlent pas assez.

Peut-être mais peut-être aussi que les faits divers font l’objet d’instrumentalisation pour créer de la peur. Certains considèrent que des médias sont dans le déni du réel par bonne conscience, et d’autres dans la surexploitation hystérique de faits divers. Qui a raison ?

Pour moi, aucun doute. Il y a des médias qui veulent nous interdire de voir ce que l’on voit, vous l’avez vécu aux premières loges sur la question de l’islamisme et du séparatisme. 

Certes, mais ceux qui parlent de surexploitation ont aussi raison. Je n’ai aucune légitimité pour le dire mais ce double grief est audible.La seule solution pour en sortir, c’est que différents points de vue puissent s’exprimer. Certains ont l’air de considérer que l’information c’est du foin pour les vaches. Tant que la vache est contente, on ne lui change pas sa nourriture. Moi je considère qu’une nourriture variée c’est bon pour la santé.

J’attendais une levée de boucliers des journalistes contre le Conseil d’Etat sur le thème « je ne partage pas leurs idées mais je me battrai etc. ». Mais une partie des médias applaudit, et l’autre n’a réagi que quand elle a compris qu’elle pourrait aussi être visée. Bref, personne ne défend la liberté des autres. Est-ce inquiétant ?

L’humain a tendance à vouloir interdire ce qui le choque. Cela me désole à un point que vous ne pouvez imaginer. On n’a toujours pas compris qu’ainsi nous étions les artisans de notre propre malheur car l’interdiction revient toujours en boomerang.

Finalement, on n’a pas trouvé le moyen satisfaisant de réguler l’expression publique. Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions, le système américain de liberté non pas totale mais très large n’est-il pas préférable, dans la mesure où il permet réellement la confrontation des opinions ?

Eh bien justement, cette question démontre a quelle point j’ai raison ! Aucun pays démocratique ne protège autant la liberté d’expression dans les textes et regardez la situation : la gauche woke comme la droite trumpiste s’en donnent à cœur joie pour canceller des livres, des films, virer des profs pour un mot, dresser de constants procès en sorcellerie, interdire des représentations féminines dénudées dans des tableaux…
Voilà ce que donne une société polarisée à l’extrême. Les médias ont un rôle à jouer pour l’éviter.

Que ce soit en matière de liberté sexuelle ou de liberté d’expression, on voit toujours la gauche en première ligne pour les limiter. Comment la gauche est-elle devenue le parti de la censure ?

Pardon mais pas « la gauche ». Je suis de gauche et j’ai consacré ma vie à me battre contre la censure. Je ne peux toutefois vous en vouloir de cette généralisation car il arrive que je m’en rende moi-même coupable tant cette situation me déprime et m’inquiète. Oui, il y a une gauche de la censure, il ne serait pas honnête de le contester. Mais il y a une autre gauche restée attachée aux libertés. Elle n’a malheureusement plus beaucoup de porte-paroles politiques.

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Monsieur Attal, l’école ne pourra pas seule venir à bout de l’islamisme

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Arras, Journée nationale d'hommage aux victimes du terrorisme, 11 mars 2024 © Courdji / POOL/SIPA

Ordre républicain. L’école est la meilleure arme pour combattre les islamistes, avance Gabriel Attal. Peut-être. Mais elle est dans un sale état, et cela n’est pas suffisant; un virage radical reste à prendre par la République française pour faire face à ces adversaires mortels.


Le choix d’organiser, lundi 11 mars, une « cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme » dans une école était bien sûr hautement symbolique. Gabriel Attal a ainsi centré son discours d’Arras sur le fait que « les terroristes haïssent l’école, c’est normal : l’école est la meilleure arme pour les combattre »1. C’est vrai, l’école est un enjeu majeur du conflit entre la libre pensée et les pensées de l’orthodoxie. L’école des « hussards noirs de la République » (comme on appelait les instituteurs sous la Troisième République) avait pour mission de contrebalancer les influences familiales, communautaires et religieuses, voire de les combattre lorsqu’elles divergeaient trop par rapport au projet républicain. À ce titre aujourd’hui, l’école républicaine a le devoir de s’opposer à l’idéologie salafo-frériste, et constitue donc une cible privilégiée des islamistes.

L’islam tente de s’immiscer dans les classes ou à la cantine depuis des années

Les islamistes s’attaquent à l’école pour y imposer leur vision dogmatique et dissuader l’enseignement contraire à leurs principes religieux. Ainsi, depuis 1989 se sont multipliés les tentatives d’introduire le voilement du corps des femmes dans les salles de cours et les menus hallal à la cantine, d’interdire la transmission de certains savoirs scientifiques, d’empêcher les filles de participer aux cours d’éducation physique, ou de refuser l’apprentissage de la musique. Et aussi, des centaines de collégiennes ont été enlevées au Nigeria ou en Irak sur le chemin de l’école, des dizaines d’enfants et de jeunes gens ont été assassinés dans leurs écoles au Pakistan, et en France des enfants juifs sont harcelés au point de devoir changer d’école, et d’autres ont même été tués dans leur école. Mais contrairement à la vision optimiste du Premier ministre, toute seule, « la victoire de l’école [ne pourra pas sonner] le glas de l’obscurantisme ». Et cela pour deux raisons principales.

Photo prise le 09 octobre 1989 à Creil (Oise) au domicile de Fatima Achaboun (D) et de sa soeur Leila (G), élèves d’un lycée de Creil qui leur a interdit de porter le tchador en classe. Au centre est assis leur père Ali. AFP PHOTO LEIMDORFER (Photo by LEIMDORFER / AFP)

Le niveau baisse !

D’une part, parce que l’éducation nationale a été désarmée depuis des années à cause de la diffusion d’un multiculturalisme islamo-gauchiste et de l’abandon par leur hiérarchie des enseignants confrontés à l’offensive islamiste. L’installation du « paradigme déficitariste »2 qui a consisté à abaisser régulièrement le niveau général pour prétendument aider les élèves des familles culturellement plus défavorisées, constitue également un facteur d’affaiblissement global de l’école.

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En incitant les enseignants à être de moins en moins exigeants avec leurs élèves, on aboutit finalement à l’opposé du but que l’on dit rechercher : ceux qui peuvent trouver hors de l’école les ressources culturelles nécessaires à leur éducation et à leur élévation intellectuelle progressent généralement vite et bien, ceux qui en revanche n’ont que l’école pour ce faire sont dans leur grande majorité les victimes de cet enseignement au rabais délivré à tous sans distinction. Au lieu d’en donner plus à ceux qui en ont le plus besoin, on en donne moins à tous, augmentant ainsi les inégalités sociales de départ plutôt que les compenser. Or, le renoncement par la nouvelle ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet, à l’instauration de groupes de niveaux en mathématiques et en français, voulu par Gabriel Attal lui-même, est à cet égard, un signal bien négatif.

Le ver est dans le fruit

D’autre part, outre l’école où « tout commence », « l’hydre islamiste » comme l’appelle à juste titre Gabriel Attal, doit être combattue sur plusieurs fronts. Aujourd’hui, quand bien même l’école, effectuant un virage à 180 degrés, reviendrait à une éducation républicaine c’est-à-dire résolument laïque et exigeante pour les nouvelles générations, le terrain gagné depuis quarante ans par l’islamisme en population générale est tel, dans les esprits, dans les mœurs et dans les institutions, que c’est tout l’appareil d’État et les ressources multiples de résistance dans la société civile qui doivent être mobilisés.

Il s’agit en effet de comprendre enfin que l’islam ne pose pas le problème de la laïcité dans les mêmes termes que l’a fait le catholicisme au cours de l’histoire. En Occident, l’islam n’est pas et n’a jamais été une religion d’État (sauf la Péninsule ibérique sous le califat ou les territoires des Balkans à la Grèce sous domination ottomane qui étaient alors « terres d’islam » mais non pas « terres de djihad » comme le sont les États occidentaux actuels). Les prétentions de l’islam à imposer aujourd’hui en France et en Europe des pratiques d’inspiration religieuse et/ou traditionnelle venues du monde musulman prennent alors les institutions non seulement de court, mais à contre-pied. Tandis que l’État s’est hier séparé de l’Église catholique pour parfaire sa construction républicaine, il doit aujourd’hui résister aux assauts extérieurs d’un islam conquérant pour préserver l’unité nationale. Une simple application des lois de notre République – conçues initialement pour encadrer et limiter les exigences de la religion catholique – n’est manifestement pas une solution satisfaisante pour encadrer les exigences politiques de l’islam. 

La République doit prendre un virage radical

Or, l’entêtement des gouvernements d’Emmanuel Macron à persévérer dans l’erreur de leurs prédécesseurs (de gauche comme de droite) ne laisse hélas pas présager le changement de cap radical indispensable.  Le voilement des femmes n’est pas un simple « signe religieux » parmi d’autres à proscrire à l’école et dans les services publics ; c’est la marque de la misogynie foncière de l’islamisme qui contrevient à toutes nos lois garantissant l’égalité hommes/femmes. Les expressions et les agressions antisémites ne sont pas dues à « la politique de l’extrême droite israélienne » ou à la riposte de Tsahal à l’attaque génocidaire du 7 octobre, mais à une haine foncière des Juifs qui s’enracine dans les textes « sacrés » de l’islam et la tradition réactivée par les islamistes. Leur augmentation exponentielle est également liée à une islamo-complaisance coupable. Et surtout, les attentats terroristes islamistes ne sont que la partie émergée de l’iceberg politico-religieux, l’élément spectaculaire d’une offensive de grande ampleur qui progresse par infiltration, influence, pression et menace.

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Certes, l’État se doit de répliquer directement au djihadisme en utilisant « la violence légitime » dont les États de droit ont censément le monopole. Mais le passage à la violence djihadiste n’est qu’un saut qualitatif à partir d’une intensification de la conviction de détenir la vraie foi, d’être victimes des mécréants, de la nécessité de punir les ennemis de l’islam. C’est pourquoi les militants islamistes parviennent facilement à créer une solidarité entre eux-mêmes et la « communauté » musulmane qu’ils contribuent en grande part à consolider. Les liens tant logistiques qu’idéologiques sont complexes, car l’islamisme tire sa force à la fois d’une sociologie de proximité voire de promiscuité (au sein de la famille, du quartier, de la bande, du réseau mafieux…) qu’elle va irriguer, et d’une vacuité de sens qu’elle vient combler par sa projection eschatologique.

Paris, 6 septembre 2020 © GODONG/ BSIP via AFP

Ce mouvement révolutionnaire islamiste polymorphe qui articule des éléments à la fois anciens (mépris des femmes, haine des Juifs, des chrétiens et des mécréants, rejet du doute et de l’interprétation) et nouveaux (nouvelles technologies et méthodes de propagande les plus modernes) réanime dans le monde occidental une question qui semblait close, à savoir la place du religieux dans la société et par rapport au pouvoir politique. Les Occidentaux manifestent alors une difficulté d’analyse à cause de leur sécularisation avancée d’une part, d’un travers intellectuel sociologisant d’autre part, et enfin d’une fâcheuse tendance à la culpabilisation et à une exaltation messianique du « dominé ». C’est donc à un « réarmement » policier, militaire et de renseignement, mais tout autant idéologique, politique et institutionnel que la France et l’Occident tout entier doivent se consacrer.

Pour cela, il faudrait au minimum une intransigeance résolue en parole et en actes, dans la politique migratoire et dans le refus de la séparation des sexes et des communautés par chez nous, une solidarité active avec les laïques du monde entier et tout particulièrement avec les femmes iraniennes et afghanes, et un soutien sans réticence à Israël et à sa lutte contre le Hamas, ses alliés et ses protecteurs qui sont aussi nos ennemis. Il y a urgence et pourtant, nous n’en prenons manifestement pas le chemin.

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  1. Voir ici le discours prononcé à l’occasion de la cérémonie nationale d’hommage aux victimes du terrorisme, le 11 mars 2024 ↩︎
  2. Concept développé par Jean-Pierre Terrail dans son ouvrage Pour une école de l’exigence, Ed. La Dispute, 2016. ↩︎

Le curieux et soudain bellicisme d’Emmanuel Macron

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les présidents Zelensky et Macron, Paris, 16 février 2024 © Ukrainian Presidency/SIPA

En macronie, quiconque ose douter des décisions guerrières du président est coupable d’intelligence avec l’ennemi, déplore notre chroniqueur.


Emmanuel Macron brûle d’affronter Vladimir Poutine les armes à la main – ou du moins s’attache-t-il à en donner l’impression. Mais pourquoi alors ne montre-t-il pas une telle ardeur dans d’autres cas, qui pourtant le justifieraient au moins autant, et pour certains nettement plus ?

À entendre le chef de l’Etat, quiconque ne partage pas cette ferveur est animé par « l’esprit de défaite »… y compris la Maison Blanche, dont un porte-parole, le contre-amiral John Kirby, s’est empressé de désavouer notre président ? Y compris le ministre de la Défense, qui a expliqué qu’il n’était « pas question d’envoyer des troupes combattantes » le lendemain du jour où le président, lui, affirmait qu’il n’y avait « aucune limite » à notre soutien à l’Ukraine ? Qu’importe la confusion entretenue, Emmanuel Macron dit vouloir « bousculer » les alliés de l’Ukraine, appelle les Européens à « ne pas être lâches », et quand on lui demande si ce propos vise l’Allemagne il répond sans hésiter : « pas seulement l’Allemagne, tout le monde ! » Et à en croire nombre de macronistes, toute personne réticente devant ce soudain bellicisme est pire que lâche, elle fait partie des « troupes de Poutine ». Qu’on se le dise : oser douter des décisions du président, c’est forcément être coupable d’intelligence avec l’ennemi !

On verra qui est pour Zelensky et qui est pour Poutine… 

On pourrait croire à une stratégie « gentil flic, méchant flic », Emmanuel Macron jouant le rôle d’un va-t-en-guerre forcené pour permettre à Olaf Scholz de négocier en coulisses en disant à Poutine : « Vladimir, il faut vraiment que tu retires tes troupes d’Ukraine, sinon je ne vais plus pouvoir retenir ce fou de Français et il va déclencher la Troisième Guerre mondiale ». Mais la France à elle seule ne serait pas une menace suffisante aux yeux de la Russie pour que cela fonctionne.

Alors on prend l’excitation martiale du président au premier degré, et on tombe dans le piège qu’il a lui-même avoué : « on verra qui est pour Zelensky et qui est pour Poutine », comme si cette ligne de démarcation caricaturale était l’alpha et l’omega de toute chose. Et on oublie l’essentiel.

Cet essentiel, le voici : le plus important n’est pas le bellicisme d’Emmanuel Macron face à la Russie, mais le contraste entre ce bellicisme et sa pusillanimité face aux Comores, au Qatar, à la Turquie, à l’Algérie, à l’Arabie Saoudite, à l’Iran. Ce contraste interroge.

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Ce sont là des pays qui ne respectent pas les Droits de l’Homme plus que ne les respecte le régime de Poutine – ils les respectent même généralement moins. Et si la mort d’Alexeï Navalny est une ligne rouge, on ne voit pas pourquoi celle de Jamal Khashoggi n’en serait pas une également.

Ce sont des pays qui piétinent volontiers le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et multiplient les exactions, au Kurdistan comme au Yémen, sans même parler du fait que le Qatar finance, protège et héberge toujours le Hamas malgré le pogrom/razzia du 7 octobre.

Les drôles d’exigences de la realpolitik

Et ce sont des pays qui nous agressent bien plus que ne le fait la Russie, par la violence, la déstabilisation, la corruption, l’influence toxique. Les Comores – avec d’ailleurs le soutien affiché de la Russie – organisent l’invasion et la mise à sac de Mayotte, c’est-à-dire du territoire français. Le Qatar use de son influence pour déstabiliser le pays (que l’on se souvienne de la propagande d’AJ+ lors des émeutes du début de l’été 2023), répandre la corruption (pas seulement au Parlement Européen), soutenir l’islamisme, attiser les flammes de la haine anti-israélienne et de l’antisémitisme, et appuyer les Frères Musulmans dans leur entrisme systémique au sein de nos institutions. L’Algérie cultive la haine anti-France dans sa population et sa diaspora, dont le poids dans la délinquance sur notre sol est démesuré. L’Arabie Saoudite et sa Ligue Islamique Mondiale veulent interdire toute critique sérieuse de l’islam en œuvrant à l’instauration planétaire d’un délit de blasphème. On pourrait poursuivre longuement l’énumération, qui n’a rigoureusement rien à envier à la liste des torts de Vladimir Poutine.

Bien sûr, les fautes du Qatar n’effacent pas celles de la Russie, mais la réciproque est vraie, les fautes de la Russie n’effacent pas celles du Qatar. Bien sûr, la Russie nous est désormais hostile, et débattre à l’infini des responsabilités des uns et des autres dans cette hostilité ne changera pas la situation présente, mais les Comores et l’Algérie le sont au moins autant. Bien sûr, la realpolitik a ses exigences, encore faut-il que ses défenseurs aient la décence de l’assumer au lieu de se draper dans des postures morales hypocrites : on peut considérer que l’appui de l’aviation qatarie au désengagement de Barkhane ou notre présence sur la base d’Al-Udeid justifient que nous acceptions la contribution du Qatar aux réseaux islamistes qui attisent partout en Europe l’avidité des fous d’Allah et la haine antisémite, mais il me semble que l’on aurait aussi d’excellentes raisons d’estimer que le prix à payer pour « l’amitié » de l’émirat est bien trop élevé ! Bien sûr aussi, il faut choisir ses combats, la France ne peut pas voler au secours de tous les peuples envahis ni combattre tous les tyrans de la planète, et l’Ukraine est pour ainsi dire notre voisin. Mais il y a une différence de taille entre ne pas combattre un tyran, et le courtiser en encourageant sa propagande. Il y en a une autre, énorme, entre ne pas intervenir partout pour privilégier notre voisinage proche, et préférer défendre l’Ukraine plutôt que la France elle-même, vouloir sauver Kiev des troupes russes tout en abandonnant Mamoudzou aux bandes comoriennes. Et laisser le champ libre à AJ+ quand on interdit RT France est une incohérence qui en dit long.

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Si les raisons invoquées par Emmanuel Macron pour expliquer son attitude contre la Russie étaient vraies, s’il s’agissait bel et bien de défendre les principes qu’il dit professer, l’Europe et les intérêts vitaux de la France, alors a fortiori il se montrerait déterminé et martial contre les Comores pour protéger notre territoire et nos concitoyens à Mayotte. Il ne ferait pas de courbettes au Qatar, et ne lui vendrait pas des éléments stratégiques de notre économie. Il ne tolérerait pas la servilité de l’ONU envers la dictature abjecte des mollahs.

Voilà ce dont devrait se préoccuper toute la classe politique, et plus encore ceux qui pensent qu’il serait bon d’intensifier notre soutien à Kiev, y compris par un engagement militaire : de toute évidence, les motivations d’Emmanuel Macron dans cette affaire ne sont pas celles qu’il déclare. Quelles sont-elles ? Je ne peux que hasarder diverses hypothèses : une diversion après son fiasco au Salon de l’agriculture ; une manœuvre pour essayer de rediaboliser le RN à l’approche des élections européennes ; un prétexte pour transférer toujours plus de pouvoir aux institutions non-élues de l’UE au détriment de la démocratie, et sans doute renforcer le contrôle de l’information ; l’appétit pour les opportunités qu’une « économie de guerre » offrirait à Bercy ; une tentative de se donner une stature de meneur au sein de la dynamique otanienne….

Dans tous les cas, l’essentiel demeure : même si l’on croit que notre participation à la guerre en Ukraine est juste et nécessaire, pouvons-nous réellement l’envisager avec un chef des armées dont nous ignorons les véritables objectifs ? Il faudrait au minimum des garanties extrêmement solides, mais comment accorder la moindre confiance aux garanties que donnerait Emmanuel Macron, alors qu’il n’a eu aucun scrupule à escroquer jusqu’au Sénat au sujet de la Loi immigration, saisissant lui-même le Conseil Constitutionnel pour faire censurer tout ce que son gouvernement avait fait mine de concéder à la représentation nationale ?

Telle est la question que personne ne pose, alors qu’elle est celle dont nous devrions tous débattre.

« À France Télévisions, la cancel culture ne fait pas débat. Elle n’existe pas »

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Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, répond à Elisabeth Lévy dans un long entretien de 7 pages pour le magazine "Causeur" © Delphine GHOSAROSSIAN - FTV

En 2015, la présidente de France Télévisions promettait plus de « diversité » à l’antenne et moins de « mâles blancs de plus de 50 ans ». C’est fait. Mais Delphine Ernotte Cunci réfute toute orientation idéologique. Elle estime que le service public est équilibré. Et rappelle que la cancel culture n’y a pas sa place – la preuve par J’accuse et Illusions perdues, deux films diffusés récemment.


Relire la première partie

Causeur. Venons-en à quelques déclarations qui vous ont fait, peut-être injustement, une réputation de wokisme. Vous avez commencé en fanfare en affirmant qu’il y avait trop de mâles blancs de plus de 50 ans à France Télévisions. Le regrettez-vous ?

Delphine Ernotte Cunci. Je venais d’être nommée, j’étais interviewée par Jean-Pierre Elkabbach, autant vous dire que j’étais dans mes petits souliers. Ce n’était pas préparé, c’est sorti, mais je ne le regrette pas. Au début de mon premier mandat en 2015, la mixité n’était pas respectée à la télévision publique. C’est pourtant une obligation qui nous est assignée. J’ai fixé des objectifs. On était à 25 % de femmes expertes sur nos plateaux. Nous sommes à 50 % aujourd’hui.

C’est humiliant qu’on choisisse des expertes parce que ce sont des femmes.

Vous êtes contre la loi Copé-Zimmerman qui a fixé des quotas dans les conseils d’administration ?

Oui, d’ailleurs je me fiche du nombre de femmes dans les conseils d’administration.

Pas moi ! Je suis pour les quotas, car cela permet de passer une étape et après, on n’en a plus besoin, car les choses se font naturellement.

Cette politique de promotion des femmes crée des injustices. S’il n’y a pas assez de femmes, il y a trop d’hommes. Donc des hommes sont écartés parce qu’ils sont des hommes.

Oui, à un moment de l’histoire, les quotas sont sans doute un peu injustes pour les hommes. Mais c’est indispensable pour que les choses changent. La mixité, ce n’est pas l’éradication des hommes dans les rôles à responsabilité : c’est un partage. Le temps que ça s’installe, c’est vrai, cela peut créer de la frustration. Y compris chez certains que j’ai remerciés, comme Patrick Sébastien.

Pourquoi l’avoir limogé ? Il n’avait plus de public ?

La télévision est un média d’habitudes. Il faut savoir les bousculer en ne proposant pas toujours ce que les gens aiment déjà, mais ce qu’ils pourraient aimer. C’est notre grande force : nous testons et innovons sans cesse. L’innovation éditoriale à la télévision, c’est le service public qui la porte aujourd’hui.

Deuxième déclaration, devant une commission de l’Assemblée nationale : « On ne représente pas la France telle qu’elle est, on essaie de la représenter telle qu’on voudrait qu’elle soit. » Vous parliez (encore) de la place des femmes, mais cette phrase a laissé penser que vous meniez un combat culturel avec l’argent du contribuable.

C’est totalement faux. J’étais alors interrogée sur nos obligations en termes de mixité. Nous avions été réprimandés au moment du Covid, parce qu’il n’y avait pas assez de femmes médecins sur nos plateaux. Je n’ai pas le choix et, en plus, je suis d’accord avec cela. Si on veut convaincre les petites filles de faire des études scientifiques, ce qui est depuis toujours l’un de mes grands combats, il faut qu’elles voient aussi des femmes physiciennes, mathématiciennes, médecins. Quand je parle de la France telle qu’on voudrait qu’elle soit, je fais référence à cet objectif, que je partage, de proposer des rôles et modèles mixtes à la télévision.

Admettons que cette déclaration ait été mal interprétée. Mais vous avez aussi déclaré en arrivant que vous auriez la diversité pour fil rouge. En précisant que c’était à la fois la demande de l’Arcom et celle des téléspectateurs.

Nos études le montrent, la toute première demande des Français, c’est qu’on reflète la France sous toutes ses coutures : sociales (les foyers modestes autant que les classes aisées), territoriales (l’outremer et la ruralité autant que les grandes villes). Et nous devons aussi représenter la diversité de genre, d’origine, le handicap… Nous sommes le reflet et le miroir du public.

Pour refléter l’opinion du public, il faudrait que 70 % des gens apparaissant sur vos antennes soient favorables à une réduction drastique de l’immigration…

Je n’ai jamais dit que nous devions être le porte-parole de la pensée majoritaire, quelle qu’elle soit. Je dis simplement que, lorsqu’on regarde la télé, il faut se voir, se reconnaître et s’identifier. Donc il faut qu’on donne à voir des gens de toutes les opinions et toutes les origines. Il est vrai que c’est facile à énoncer, beaucoup moins à mettre en œuvre.

Le mot « diversité » renvoie spontanément à la représentation des minorités ethniques. D’ailleurs, vous n’aviez pas seulement ciblé les mâles, mais les « mâles blancs ». Et devant les parlementaires, vous avez déclaré : « Contrairement à la mixité où l’on peut compter le nombre de femmes, on n’a pas le droit de compter les autres signes de diversité. »Si vous le pouviez, vous compteriez les Maghrébins, les Noirs, les juifs ?

Nous n’en avons pas le droit.

Si vous l’aviez ?

Non. Je trouve plus intéressante la notion de perception de cette juste représentation : les gens se sentent-ils ou pas représentés sur nos antennes. Nos obligations votées par la représentation nationale comportent un objectif de représentation de la diversité, nous nous y conformons. Point.

Il y a juste le mot « diversité », sans précision chiffrée ?

Oui, un mot.

Pourtant vous avez déclaré au Monde que « d’après l’Arcom, les personnes perçues comme nonblanches représenteraient environ 25 % de la société française contre 15 % à la télévision ».

Effectivement, ce sont les statistiques de l’Arcom.

Sans disposer de statistiques, vous avez estimé qu’il y avait un énorme rattrapage à faire. Y êtes-vous parvenue ? Comment faites-vous concrètement ?

Nous travaillons avec les producteurs d’émissions, les directeurs de casting pour que nos jeux, nos magazines, nos séries représentent toutes les diversités : sociale, territoriale, de handicap, d’âge ou de couleur de peau. On n’a pas de règles magiques. Mais c’est une politique publique exigée par la loi, je la comprends et je l’assume.

Aux États-Unis, il ne suffit pas d’avoir des « non-Blancs » pour reprendre votre terminologie, il faut aussi qu’ils soient représentés dans des positions valorisantes. Est-ce votre ligne ?

Pas valorisantes, juste normales : le reflet de notre société.

Il y a beaucoup de policiers, médecins, professeurs issus de l’immigration. Il est naturel qu’on le voie dans vos fictions. Mais il y a aussi une face sombre, une faillite de l’intégration, qui se traduit par une surreprésentation de l’immigration dans la délinquance. Faut-il le montrer ?

On n’est pas là pour stigmatiser.

Il ne s’agit pas de stigmatiser. Il s’agit de montrer la société telle qu’elle est. Mais permettez-moi une question taquine. Je suis sûre que votre comité de direction est parfaitement représentatif en termes de mixité et de diversité ?

De mixité, oui ; de diversité sociale et d’origine, on pourrait sans doute mieux faire.

Le« Complément d’enquête » consacré à Gérard Depardieu est intitulé « La chute d’un ogre ». Aviez-vous été consultée sur ce titre ?

Non. Notre rédaction est parfaitement indépendante.

Un de vos collaborateurs a laissé entendre que France Télévisions, non seulement ne travaillerait plus avec Depardieu, mais ne diffuserait plus les films où il joue.

Ce n’est pas exact. Je défends évidemment la libération de la parole des femmes et nous l’avons prouvé à maintes reprises sur nos antennes. Mais je refuse aussi, et dans le même mouvement, la cancel culture. Quelques jours après le « Complément d’enquête », nous avons d’ailleurs diffusé Illusions perdues, avec Gérard Depardieu. En revanche, on ne programmerait pas une grande soirée en son honneur.

Passerez-vous des films de Doillon ou de Jacquot ?

Je pense, oui. Nous sommes coproducteurs du dernier film de Doillon. Nous ne soutenons pas un homme, mais un film, et cette distinction sera toujours ma ligne. Ceci étant, je ne vais pas non plus passer demain un film de Jacquot avec Judith Godrèche.

On parviendra à endurer cette privation. Mais merci d’avoir diffusé J’accuse de Roman Polanski.

On l’a coproduit et on l’a diffusé. Encore une fois, à France Télévisions, la cancel culture ne fait pas débat. Elle n’existe pas. Oui, je suis féministe. Mais non, je ne suis pas pour éradiquer les hommes ou déboulonner les statues.

Avez-vous déjà été militante ?

Non. J’adore les responsables politiques, je les trouve passionnants souvent, mais ce n’est pas mon truc. Je suis une patronne d’entreprise et rien d’autre. Ce que j’aime, c’est manager et décider.

Recevez-vous beaucoup de protestations des téléspectateurs ? Qu’est-ce qui les a énervés récemment ?

La suppression de « Un si grand soleil » pour basculer directement en émission politique après le « 20 heures » !

L’irresponsable fuite en avant de la macronie aux abois

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De gauche à droite, Edouard Philippe, Gabriel Attal, Valérie Hayer et Yaël Braun-Pivet. Meeting de renaissance pour les élections européennes, Lille, 9 mars 2024 © Jacques Witt/SIPA

La comparaison entre Marine Le Pen et Édouard Daladier de la macroniste Valérie Hayer ulcère le Rassemblement national, et fait hurler les historiens.


Valérie Hayer a osé. Elle non plus n’aura pas de limites. Samedi, à Lille, la tête de liste « Renaissance » aux européennes a repris l’injure des trolls marconistes qui inondent les réseaux sociaux sur la guerre en Ukraine: « Hier Daladier et Chamberlain, aujourd’hui Le Pen et Orban (…) Nous sommes à Munich en 1938 ».

Le président des riches pas au clair sur l’immigration

L’esprit munichois, c’est-à-dire le choix de l’apaisement face à l’ennemi, rode assurément. Mais s’il doit être déniché, c’est au cœur du pouvoir aux abois, capitulard face à l’islam conquérant et à son économie liée à la drogue.

A lire aussi, Delphine Ernotte Cunci: «Je ne veux pas la mort de CNews»

La même Valérie Hayer, interrogée le 4 mars sur le point de savoir s’il y avait trop d’immigration, avait répondu : « Je… J’attends la position des acteurs économiques ». La nation se fracture, l’école s’effondre, l’insécurité se généralise, les cartels criminels imposent leur loi, mais le parti présidentiel continue d’être à l’écoute exclusive des intérêts financiers. Emmanuel Macron reste l’obligé des faiseurs de roi qui l’auront soutenu dès 2016 dans son ascension vers le pouvoir. L’euphorie du Cac 40, qui a crevé les plafonds le 7 mars, est d’ailleurs venue saluer sa politique pour les riches. Est-ce pour faire oublier ses échecs intérieurs que le chef de l’Etat agite aujourd’hui, outre des sujets sociétaux à la mode, la guerre contre Poutine ? Emettre cette trop grossière hypothèse fait honte. Pourtant : tout démontre que Macron veut artificiellement placer l’Ukraine au centre du débat électoral, afin de feindre un courage qu’il n’a pas.

Reductio ad hitlerum usé jusqu’à la corde

Le « no limit » n’est pas propre à Hayer. Le président a lui-même théorisé cette fuite en avant irresponsable, jeudi dernier à l’Elysée, devant les représentants politiques : il ne se fixera « aucune limite » ni « aucune ligne rouge » dans le soutien de la France à l’Ukraine. C’est à peine si le démenti du ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, a été entendu le lendemain, assurant qu’il n’y aura « pas de troupes au sol combattantes » alors que le président avait laissé entendre l’inverse. Or rien n’est plus dangereux qu’un chef d’Etat immature qui choisit d’instrumentaliser le risque de guerre nucléaire pour espérer limiter une défaite électorale et une humiliation personnelle. 

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« Ne laissez pas entrer les nationalismes », a-t-il enjoint à son gouvernement le 6 mars. « Ils étaient déjà la guerre, ils sont désormais la défaite face à la Russie ». Mais quelle plus belle illustration de la crise de l’intelligence politique que j’évoquai la semaine dernière que ce recours à la reductio ad hitlerum, usé jusqu’à la corde ! En mai, Macron avait recadré Elisabeth Borne, qui avait qualifié le RN d’« héritier de Pétain ». En laissant Hayer traiter les opposants à la guerre de « munichois », il fait pire encore dans la bêtise historique. Poutine est un détestable autocrate, soit. Mais ce n’est pas Hitler, et le collaborateur nazi Bandera a son nom et ses statues en Ukraine. Mardi et mercredi, les parlementaires vont être invités à voter sur l’accord de sécurité conclu le 16 février entre Macron et Volodymyr Zelensky. Les députés et sénateurs oseront-ils dénoncer le jeu de dupes mené par Macron, dans son seul intérêt ? La décence, elle, a des limites.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

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Militant mais pas trop

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D.R

Alexander Soros, l’héritier de l’Empire Soros, est sur le point d’acquérir l’un des plus gros réseaux de radios américain, et entend faire barrage à Donald Trump.


Le parrain du sans-frontiérisme mondial ne s’appelle plus George Soros. En juin dernier, le milliardaire américain, âgé de 93 ans, a pris sa retraite et cédé à son fils Alexander la présidence d’Open Society Foundations (OSF), l’immense structure « philanthropique » qu’il a fondée en 1979 pour promouvoir les valeurs de la « société ouverte » à travers la planète (en finançant notamment l’association Reporters sans frontières en France). Dès sa prise de fonction, le jeune héritier de 38 ans, qui se déclare « plus politique » que son père, a fait savoir qu’il se montrerait un peu moins généreux envers les ONG soutenues par OSF en Europe (à hauteur tout de même de 200 millions de dollars par an), et qu’il privilégierait la lutte, dans son pays, contre Donald Trump. Résultat, en cette année cruciale, il prévoit de verser 125 millions de dollars pour la campagne électorale de Joe Biden, un montant égal à la contribution record que son père avait accordée au même Biden en 2019.

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Mais la croisade d’Alexander risque d’aller plus loin. Le fonds d’investissement familial dont il est vice-président est en passe de prendre le contrôle de la société Audacy, deuxième réseau radiophonique américain, qui compte 230 stations FM et 170 millions d’auditeurs mensuels. À droite, certains redoutent que l’objectif de la manœuvre soit de transformer le puissant groupe médiatique, connu pour son pluralisme, en canal de propagande des idées progressistes. L’entourage du jeune activiste objecte qu’il s’agit d’une opération à visée purement économique, placée sous la supervision d’une banquière réputée, Dawn Fitzpatrick, uniquement chargée de faire fructifier la fortune des Soros et connue pour ses opinions conservatrices. Inutile de dire que les républicains ne sont pas pour autant rassurés et scrutent avec attention la ligne éditoriale d’Audacy. Le premier donateur du Parti démocrate se montrera-t-il respectueux de l’indépendance de la presse, ou essaiera-t-il au contraire de se servir des ondes pour influencer la présidentielle ? Réponse à la fin de l’année.

Un procès à la noix

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D.R

Aux États-Unis, il laisse ses bijoux de famille dans le frigo de son ex, puis le poursuit au tribunal.


États-Unis. Michigan. Dans son tribunal de Pontiac, le juge Bowie n’en a d’abord pas cru ses yeux lorsqu’il a vu débarquer Brianna Kingsley, une virulente femme transgenre enturbannée. Puis il n’en a pas cru ses oreilles lorsqu’il l’a entendue lui expliquer d’une voix geignarde que ses testicules « extraits chirurgicalement » étaient depuis huit mois conservés dans un bocal, « juste à côté des œufs », dans le réfrigérateur de William, son ex-compagnon. Arguant du fait que ce dernier refusait de lui rendre ses « nuts » (en argot anglais), Brianna a réclamé la somme de 6 500 dollars au titre de dédommagement ainsi que la possibilité de récupérer son bien. Après leur séparation, lors d’une visite autorisée à l’ex-nid d’amour, Brianna n’a pas cru bon de réclamer ses testicules, s’est défendu William avant d’ajouter qu’il les avait finalement jetés à la poubelle :« Elle ne les a pas gardés dans un récipient à risque biologique comme elle était censée le faire. Ils pourrissaient dans mon réfrigérateur, c’était dégoûtant. » Depuis leur rupture, Brianna n’a pas cessé de le harceler. « Mais, a tenté de se justifier cette dernière, nous parlons de mes noix. Il m’a refusé l’accès à des parties de mon propre corps. »

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Malgré l’ablation de ses nuts, il semblerait que Brianna ait conservé quelques réflexes masculinistes – à preuve, sa prochaine convocation au même tribunal pour destruction de biens, en l’occurrence la porte d’entrée de la maison de son ex-petit ami. En attendant cette nouvelle confrontation, le juge Bowie a refusé d’accorder à la plaignante le dédommagement financier qu’elle réclamait. Comme cette dernière protestait en soulignant que son opération avait coûté 20 000 dollars, le magistrat, excédé, lui a cloué le bec en lui rappelant qu’en raison de son « handicap » (sa dysphorie de genre) et de ses faibles revenus, l’État avait réglé la facture. Dans la foulée, il a rejeté la demande d’indemnisation réclamée par William pour « l’humiliation » qu’il aurait subie. Pour le juge Bowie, plus aucun doute n’est possible, pour ce qui est des couillonnades, les deux ex-amants font la paire. La paire d’andouilles, bien entendu.

Oser le virtuose?

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La violoniste bulgare Liya Petrova © Lyodoh Kaneko

La Musikfest Parisienne permettra de retrouver du 13 au 15 mars 2024 sur la scène de la Salle Cortot dans le 17e arrondissement l’altiste Lise Berthaud, les pianistes Théo Fouchenneret, Alexandre Kantorow, Adam Laloum et Pavel Kolesnikov, les violoncellistes Edgar Moreau, Victor Julien-Laferrière et Aurélien Pascal ou encore la violoniste Liya Petrova (notre photo), directrice artistique du festival. Il promet de répondre cette année à une question : Qu’est-ce qu’un virtuose ? Est-ce un prodige dont le don surhumain vient peut-être du diable lui-même, ou celui qui, passé maître dans son art, cherche la perfection dans chaque note ?


Le pur joyau architectural de la petite salle Cortot – commande, comme chacun sait, du pianiste français éponyme à l’architecte Auguste Perret, en 1929, pour y abriter la salle de concert de l’École normale de musique – reste encore une fois le lieu d’accueil de la Musikfest Parisienne, manifestation très prisée des amateurs de musique de chambre, dont c’est la cinquième édition, toujours sous le patronage artistique de la violoniste bulgare Liya Petrova.

Les soirées de concerts de l’année 2021 étaient placées à l’enseigne du répertoire brahmsien. Le millésime 2022 célébrait la Belle époque. L’an passé, ce fut au prisme – prémonitoire ? – des conflits du XXème siècle que le très riche programme trouvait une inspiration délibérément éclectique, entre Chostakovitch et Weinberg, Ravel et Elgar…

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Estampillée Virtuoso, cette saison se décline, de façon explicite, sous le signe de la maestria, du brio, du savoir-faire, de l’agilité, du prodige – tout ce que résume, pour le meilleur et pour le pire en musique, le vocable « virtuosité » : notion ambivalente s’il en est, tiraillée entre l’exigence de perfection et l’écueil de la démonstration, entre le triomphe de l’excellence et la vacuité de l’exercice congelé.

Sur ce registre intimidant, il n’y a que l’embarras du choix. Liya Petrova et sa fidèle « troupe » de jeunes artistes relèveront donc, cette semaine, l’espace de ces trois soirées, le défi de briller sans clinquant.

On a toute confiance dans les talents très sûrs d’un pianiste comme Alexandre Kantorow, d’un violoncelliste comme Victor Julien-Laferrière, d’un alto comme Lise Berthaud – pour ne citer qu’eux. De Rovelli à Janàcek, de Piazzola à Bartok, de Mozart à Offenbach, de Schumann à Stravinski, de Haendel à Paganini, le spectre Virtuoso n’a pas de limites. Franchissons-les avec gourmandise –  et beaucoup de curiosité.


La Musikfest Parisienne. Les 13, 14 et 15 mars à 20h. Salle Cortot, 78 rue Cardinet, Paris 17ème
Programme et réservations : www.lamusikfestparisienne.com
À noter que les concerts sont gratuits pour les jeunes et les enfants de moins de 18 ans, et pour tous les étudiants (sur présentation d’un justificatif).

Fanny Ardant échappe toujours au cinématographiquement correct

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Fanny Ardant sur le tapis rouge de Cannes, en 2019. © SYSPEO/SIPA

Fanny Ardant a accordé un entretien à l’hebdomadaire Version Femina. Ses confidences ont passionné notre chroniqueur.


Ardente Ardant… Pas d’adjectif plus approprié pour définir cette brûlante personnalité qu’est Fanny Ardant ! Certes je pourrais ne pas abandonner le terrain politique et dénoncer les dérives sociétales du président de la République qui, confronté à l’impuissance de faire, se consacre à défaire ce qui maintenait la « condition humaine » – ce que déplore Jean-Pierre Le Goff dans Le Figaro. Mais il me semble que, si on n’est pas persuadé d’énoncer autre chose que des platitudes sans être capable de les vivifier grâce à une forme inventive, mieux vaut se livrer au plaisir de commenter ce que l’actualité vous a offert de remarquable, notamment sur le plan artistique.

Pas de côté

Et c’est dans ce domaine que surgit l’inimitable Fanny Ardant qui, âgée de 74 ans, est incapable de proférer la moindre banalité. Elle parvient ainsi à donner du prix au questionnement même le plus inévitable (Version Femina) et dépasse ce que le caractère en partie promotionnel des échanges pourrait avoir d’artificiel. Tout serait à retenir parce que Fanny Ardant échappe au cinématographiquement correct et jouit d’une solitude qui préserve son absolue singularité.
Deux passages m’ont particulièrement intéressé. Le premier concerne cette interrogation : « Rien ne vous fait donc peur ? ». Fanny Ardant développe alors, en peu de mots, une conception de la vie sociale et de l’existence intime qui me touche d’autant plus que, sans la moindre vanité, je la perçois comme familière et presque consubstantielle à mon être.

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Que dit Fanny Ardant ? « Je suis arrivée à ce point de ma vie où les jeux sont faits : j’ai vécu et aimé ce que j’ai vécu… Je n’ai pas plus d’amis que cela, je suis peu sociable et sors rarement, car la mondanité est creuse et la vraie conversation devient difficile pour une femme qui comme moi s’enflamme pour des causes… Mon père me demandait d’être douce et de ne pas donner de leçons, mais j’ai toujours vendu le bonheur contre l’intensité ».

Fanny Ardant, la certitude de la flamme

Je ne crois pas qu’on puisse, même avec une joyeuse résignation, soutenir à quelque âge que ce soit que « les jeux sont faits ». Il y a toujours du futur et de l’indéterminé, du possible, de la surprise en attente. C’est pour cela que je n’ai jamais jugé « la vieillesse comme un naufrage », à partir du moment où on ne l’appréhendait pas comme une fin mais telle une nouvelle page de sa destinée. L’inquiétude sur la finitude n’en était pas dissipée pour autant mais au moins, au quotidien, « l’intensité » ne faisait jamais défaut. Comme je comprends Fanny Ardant qui, dans l’arbitrage à opérer à tout instant entre le calme et l’extrême, choisit cette intensité. Avec la démonstration éclatante de la nécessité de soi, plutôt que le parfum tiède du bonheur. La certitude de la flamme plus que la béatitude trompeuse du feu doux.

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La seconde fulgurance de Fanny Ardant, directement raccordée aux controverses d’aujourd’hui sur les rapports entre les femmes et les hommes et les comportements décents à adopter, est liée, alors qu’elle a trois filles, à son bonheur de pouvoir continuer à considérer l’homme comme « un mystère ». Elle aime les hommes pour cela : ils sont « un territoire inconnu, des contrées étrangères. Et je ne supporte pas qu’on les domestique car cela ne m’intéresse pas qu’ils deviennent une reproduction de la femme ». Quel talent, quelle profondeur ! Qu’on ne les sous-estime pas, c’est du grand art de savoir parler de soi sans tomber dans le narcissisme, en s’efforçant de penser, à partir de soi, pour l’intelligence de tous.
Oui, ardente Ardant !

Fanny Ardant est à l’affiche de Les Rois de la piste, de Thierry Klifa, demain en salles NDLR.

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«Je ne veux pas la mort de CNews»

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Delphine Ernotte Cunci © Delphine GHOSAROSSIAN/FTV

En 2015, la présidente de France Télévisions promettait plus de « diversité » à l’antenne et moins de « mâles blancs de plus de 50 ans ». C’est fait. Mais Delphine Ernotte Cunci réfute toute orientation idéologique. Elle estime que le service public est équilibré. Et rappelle que la cancel culture n’y a pas sa place – la preuve par J’accuse et Illusions perdues, deux films diffusés récemment.


On ne devrait jamais rencontrer les personnalités dont on parle. Ainsi pourrait-on émettre confortablement des jugements péremptoires qu’aucune réalité concrète ne contrarierait. En me rendant à mon rendez-vous avec Delphine Ernotte, mes préventions étaient déjà un peu entamées. Alors que nos aimables confrères des journaux convenables nous taillent des costards à coups d’« extrême droite » et de « fachos », la présidente de France Télévisions a accepté de parler à Causeur – et à votre servante. Elle refuse de se laisser dicter ses fréquentations par le qu’en-dira-t-on. Dans le microclimat des médias, où le sectarisme est bien partagé, cela prouve sa liberté d’esprit.

Cependant, ne connaissant guère d’elle que quelques déclarations plutôt malheureuses, je m’attendais à rencontrer non pas une passionaria gauchiste, mais une femme dogmatique, se pensant missionnée pour rééduquer le populo et combattre l’extrême droite. Alors, Delphine Ernotte voudrait sans doute que France Télévisions contribue à l’émergence d’une société plus « inclusive », mais elle n’a pas la naïveté ou la forfanterie de croire qu’on change l’être humain par l’intimidation ou l’injonction. J’ai donc été un peu désarçonnée de me trouver face à une personne malicieuse et batailleuse, rendant les coups avec intelligence et humour, sans une once de méchanceté ou de ressentiment. Pendant les deux heures qu’a duré notre discussion, elle a répondu honnêtement à toutes mes interpellations. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, tombées d’accord sur tout, mais sur l’essentiel qui est, précisément, le droit au désaccord civilisé. Humour, légèreté : si besoin était, c’est la preuve irréfutable que Delphine Ernotte n’est pas woke.


Causeur. Que vous inspirent la plainte de Reporters sans frontières contre CNews et, plus généralement, la décision du Conseil d’État ?

Delphine Ernotte Cunci. D’abord, il me semble très positif qu’on se soucie de pluralisme à la télévision. À France Télévisions, nous faisons très attention à équilibrer notre contenu et à être honnêtes. Ces règles-là ne me posent aucun problème. Donc je comprends l’esprit de la décision du Conseil d’État, mais suis plus circonspecte sur la lettre et son application. Le boulot d’un éditorialiste est de donner un point de vue ! Mais je fais entièrement confiance à l’Arcom, qui défend avant tout la liberté d’expression, pour trouver un moyen de faire cela intelligemment.

C’est-à-dire de ne pas le faire…

En tout cas, il faut concilier l’exigence de pluralisme avec un autre grand principe, qui est la liberté éditoriale. Évidemment, il est impossible de répertorier des chroniqueurs, invités et intervenants en fonction de leurs opinions supposées. Je ne le souhaite pas et je pense que cela n’arrivera pour personne.

Si quelqu’un demandait la fermeture de CNews, l’approuveriez-vous ?

Non, je ne veux pas la mort de CNews. Mais il est normal qu’elle respecte les règles, comme tout le monde. Les fréquences TNT ont une grande valeur marchande. En France, elles sont attribuées gratuitement par la collectivité en contrepartie du respect d’obligations et de conventions, notamment en termes de pluralisme.

Personne ne peut respecter une règle qui n’existe pas encore. Cependant, merci, il est rassurant que la patronne de la télévision publique (la place de la Concorde des médias) défende la liberté !

Je n’ai jamais défendu autre chose. M’avez-vous déjà entendu dire un mot contre une autre chaîne de télévision en France ? Chacun doit rester à sa place. Le législateur, c’est le Parlement, le régulateur, c’est l’Arcom. Mon travail, c’est le pluralisme sur les antennes de France Télévisions.

Encore faut-il le définir…

Dans un État de droit, le pluralisme est un ensemble de règles auxquelles nous sommes tous soumis. Sinon, on considère que le pluralisme est une affaire d’opinion et on pourrait, au prétexte qu’on ne l’aime pas, sanctionner CNews… Ce n’est évidemment pas ma façon de voir les choses.

Marc-Édouard Nabe est l’invité de Frédéric Taddeï dans l’émission « Ce soir ou jamais ! » sur France 2, 10 janvier 2014. DR.

Sauf qu’avec l’arrêt du Conseil d’État, l’Arcom pourrait devenir le gendarme de la bien-pensance…

Je ne peux pas spéculer sur ce qui va se passer. Mais je défends nos lois qui garantissent les libertés fondamentales, la liberté d’expression étant l’une des plus précieuses, comme le précise la Déclaration des droits de l’homme. La loi de 1986, qui régule notre secteur, est avant tout une grande loi de liberté éditoriale et d’expression. C’est d’ailleurs le titre de ce texte fondateur.

La notion de pluralisme n’est pas seulement juridique. C’est aussi un état d’esprit, une façon d’accueillir la controverse loyale. Êtes-vous satisfaite de France Télévisions de ce point de vue ?

L’important, c’est de savoir si les Français sont satisfaits de leur service public. Et ils votent avec leur télécommande. Un Français sur deux nous regarde chaque jour, huit sur dix chaque semaine. À ce niveau de couverture, ils sont représentatifs de toutes les opinions. Il y a des Français qui votent pour tous les partis, et même qui ne votent pas et qui se reconnaissent dans nos chaînes. Nous sommes plébiscités par les Français et ils reconnaissent notre exigence de pluralisme et d’impartialité.

Cela ne signifie pas qu’ils vous trouvent dénués de biais idéologiques ! De plus, contrairement aux autres chaînes, votre groupe est financé par l’argent public, aussi a-t-il en plus de l’obligation de pluralisme et d’honnêteté de l’information, celle de neutralité.

Je n’aime pas beaucoup ce mot, car la neutralité est une notion chimiquement totalement impure. Cela n’existe pas. Pour moi, le service public doit d’abord et avant tout être équilibré, et représenter toutes les opinions et tous les courants de pensée.

Peut-être, mais sauf erreur, le mot« neutralité » figure dans la loi. Comme tous les médias, France Télévisions a, sinon une ligne, une couleur idéologique. La plupart des animateurs, présentateurs et chroniqueurs réguliers sont, sinon de gauche, représentants du même progressisme bon teint…

Alors ça c’est drôle, vous voilà à compter les gens selon leurs opinions ! Moi qui pensais que cela vous offusquait…

D’accord, vous marquez un point. Mais vous voyez bien ce que je veux dire… « Quelle époque ! » Léa Salamé…

Léa est de gauche, première nouvelle ! Vous n’en savez rien, moi non plus. Et c’est très bien ainsi.

Vous avez raison, il serait détestable de l’assigner aux positions de son compagnon. Mais elle officie avec Christophe Dechavanne, qui se fait une gloire de son anti-lepénisme. Comme Laurent Ruquier, qui occupait précédemment cette case. On pourrait aussi citer Karim Rissouli ou Michel Drucker…

… ou d’excellents animateurs qui n’ont rien à voir avec la politique, comme Stéphane Bern ou Franck Ferrand, qui commente le Tour de France. Quant à mes présentateurs de journaux, je ne sais pas pour qui ils votent. Et puis, à vous entendre, il faudrait qu’il n’y ait plus personne de gauche sur le service public !

Nous ne courons pas ce danger ! Le problème n’est pas la présence de ces personnalités talentueuses, mais qu’il n’y ait pas de présence équivalente, dans les émissions politiques ou métapolitiques, de personnalités conservatrices. Pourquoi pas une grande émission animée par quelqu’un comme Eugénie Bastié ?

Toutes les cultures politiques ont droit de cité chez nous. Geoffroy Lejeune est déjà venu, mais nous avons eu Mathieu Bock-Côté plusieurs fois, et nous avons même voulu lui confier un documentaire sur la présidentielle. Ça ne s’est pas fait, car CNews a refusé.

Certes, mais encore une fois, ils sont invités quand d’autres sont la puissance invitante. Tout de même quand on regarde « C à vous », « C ce soir », ou « C politique », ce sont toujours les mêmes opinions qui jouent à domicile.

Je ne suis pas d’accord. Et ce n’est pas ce qui remonte des téléspectateurs. Toutes les études nous accordent un crédit énorme en termes de sérieux, d’indépendance, d’impartialité. Ce sont les invités qui donnent la tonalité. Et j’ajoute qu’ils peuvent nous critiquer. Après le « Complément d’enquête » sur Hanouna, il a été invité à « C médiatique » sur France 5 et il a pu s’exprimer en toute liberté. Aucun autre média ne propose un tel spectre d’émissions, où des points de vue antagonistes peuvent se rencontrer et débattre. Le service public de l’audiovisuel est une maison commune : il appartient à tous et tout le monde doit s’y sentir chez soi.

Pendant la campagne présidentielle, Éric Zemmour était l’invité de « Quelle époque ! ».Il s’est retrouvé face à une meute déchaînée…

C’est votre sentiment. Et puis, une émission peut être plus ou moins réussie, mais j’adore « Quelle époque ! ». Et en tout cas, Monsieur Zemmour a été le premier invité, ce n’est pas rien.

Pourquoi Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du frérisme, qui subit de nombreuses attaques et menaces sur les réseaux, n’est-elle pas invitée chez vous ?

Des experts qui écrivent sur les Frères musulmans, et le fondamentalisme religieux en général, sont très souvent invités sur nos antennes, comme Caroline Fourest, par exemple.

Justement, pourquoi ne pas varier les points de vue ? Une autre personnalité n’est jamais invitée, Gilles-William Goldnadel.

Mais je n’ai pas à justifier nos choix, nous avons encore la liberté d’inviter qui nous voulons. Nous ne choisissons pas les personnalités en fonction de ce qu’ils votent ou de ce qu’ils pensent, mais uniquement en fonction de leur talent et de leurs compétences.

D’accord. Je vous parle aussi d’une petite musique. Je vous parle du traitement de l’insécurité et de ses liens avec l’immigration (désormais attestés par les statistiques du ministère de l’Intérieur). Après la mort de Lola, France 2 s’est déchaînée contre ceux qui y voyaient une faillite de notre politique migratoire. Il faut voir ce que l’on voit, dit Péguy, et ce n’est pas votre plus grand talent.

C’est un fait tragique qui a bouleversé tout le pays. Mais ce que vous dites est totalement faux : notre couverture a été exemplaire.

Si vous le dites…On peut aussi trouver faiblard votre traitement du séparatisme islamiste. Si j’interroge vos journalistes sur l’origine de l’antisémitisme, je vous parie qu’une majorité citera l’extrême droite.

Qu’en savez-vous ? Ce sont des procès d’intention.

Cyril Hanouna est l’invité de « C médiatique » sur France 5, après la diffusion du « Complément d’enquête » qui lui était consacré, 17 septembre 2023. DR.

Referiez-vous une émission comme « Ce soir ou jamais », qui invitait des personnalités proches de l’extrême droite et de l’extrêmegauche ?

Bien sûr, à condition qu’on sache d’où parlent les gens. Le problème que nous avons eu avec cette émission est que des invités étaient présents sans préciser leurs autres activités, parfois très engagées et sans que cela soit clairement dit.

Ces questions d’étiquetage passent à côté de l’essentiel : il régnait sur le plateau de Taddeï une atmosphère de liberté véritable, où des adversaires irréconciliables pouvaient se parler, des points de vue choquants s’affronter.

On ne cherche pas le clash, c’est vrai. On essaie de prendre du champ et d’avoir des débats profonds et contextualisés.

Bienséants, convenables…

On dirait que pour vous, tout débat doit être polémique.

Oui, le débat est un combat.

Il arrive que le ton monte sur nos plateaux, mais ce n’est pas notre objectif. Notre combat, c’est le débat et la pluralité des points de vue. C’est ce que les Français attendent du service public et c’est ce qu’ils trouveront tou »jours chez nous.

Donc, vous n’avez rien à vous reprocher…

Nous pouvons toujours progresser. Mais ce que je peux affirmer avec force, c’est qu’il n’y a pas de ligne idéologique, ni d’exclusive.

Je vous l’accorde, si on peut discuter votre neutralité, particulièrement sur France 5, vous êtes beaucoup moins gauchistes que France Inter.

Je vous laisse la responsabilité de ces propos injustes. S’agissant de France 5, de « C dans l’air » à « C ce soir » en passant par « C àvous », elle est la seule chaîne à proposer quatre heures par jour de décryptage avec des experts, des personnalités publiques. Notre ligne éditoriale est d’éviter le commentaire, de favoriser l’explication, de donner des clés au téléspectateur : libre à lui de se forger son opinion.

Il faut dire que TF1, première chaîne privée d’Europe, autrefois moquée comme la chaîne des « ploucs » de droite, vous double sur votre gauche. Et elle vient de déposer une plainte contre vous pour aide d’État illégale.

C’est une plainte contre l’État, nous ne nous accordons pas les subventions tout seuls ! C’est la troisième fois en quelques années… et une bataille toujours perdue. Surtout, cette guerre menée par TF1 contre le service public est terriblement xxe siècle. À l’âge de YouTube et Netflix, croyez-vous vraiment que les audiences de France 2 soient leur principal problèmed’avenir? Le sujet n’est plus là.

Il est où ?

L’univers médiatique est devenu très concurrentiel. Cette profusion de contenus est une excellente chose pour les publics, mais il faut que nos médias nationaux puissent résister. Nous devons le faire ensemble, médias publics et privés réunis. Je l’ai toujours dit et toujours prouvé. Quand TF1 et M6 ont décidé de fusionner, je les ai soutenues. Récemment, j’ai défendu le fait que toutes les chaînes de la TNT soient concernées par les mesures de visibilité sur les téléviseurs connectés, et pas seulement le service public. C’est ce que l’Arcom a décidé et je m’en félicite. Entre médias nationaux, nous devons nous serrer les coudes. C’est notre souveraineté culturelle et informationnelle qui est en jeu face aux offensives des plates-formes et des réseaux sociaux américains ou chinois.

L’argument de TF1 est que vous êtes une entreprise de télévision comme les autres et que vous bénéficiez donc d’un avantage concurrentiel indu. Après tout, si c’est pour passer les mêmes séries américaines que la concurrence, ils ont peut-être raison…

Vous voilà prise en flagrant délit de fake news. Cela fait trois ans que nous ne passons plus de séries américaines pour privilégier la création française. Nous proposons très peu de divertissement et aucune téléréalité. Quant à ce qui nous distingue, je vous conseille la lecture de notre cahier des charges ou tout simplement une soirée télé ! Notre différence est flagrante, évidente. Notre première mission, c’est d’informer. Et lorsque l’on demande si les Français font confiance à notre information, ils sont 75 % à dire oui. C’est vingt points de plus que les chaînes commerciales.

La suite demain sur le site Causeur.fr

Richard Malka sur l’affaire CNews/RSF: «L’interdiction revient toujours en boomerang»

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L'avocat Richard Malka © Hannah Assouline

Le célèbre avocat avance qu’on ne pourra jamais avoir autant de canaux que d’opinions, et qu’il est donc impératif d’obtenir une diversité d’opinions à l’intérieur de chaque chaîne info. Il ne se satisfait pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Une parole trop rare.


Causeur. Une organisation censée promouvoir la liberté de la presse dénonce un média qu’elle ne trouve pas assez pluraliste parce qu’il a une sensibilité de droite (en réalité « conservatrice »), contrairement à tous les autres qui sont spontanément «progressistes » et demande au Conseil d’Etat d’obliger le régulateur à fliquer tous les intervenants (demande déjà rejetée par ledit régulateur). Que vous inspire cette demande de RSF, vous qui êtes l’un des grands défenseurs de la liberté d’expression ?

Richard Malka. Essayons de dépasser un peu les polémiques et d’approfondir ce débat qui est assez important pour mériter autre chose que des caricatures. D’abord, on ne peut vraiment pas contester que RSF lutte pour le journalisme et la liberté d’expression partout dans le monde. C’est une des rares organisations qui ose encore défendre le droit au blasphème, y compris devant les organisations internationales. J’ai trouvé le procès qui lui était fait assez injuste. Deuxième point, la préoccupation de RSF vise le pluralisme. Mais qui peut sérieusement être «  contre » le pluralisme ?

Non, la requête de RSF vise CNews, nommément. Si leur objectif était le pluralisme, ils auraient cité d’autres médias.

Pour qu’il y ait un contentieux, il faut bien agir contre une partie identifiée, mais vous n’allez pas vous satisfaire de cette réponse juridique, donc je n’ai aucune difficulté pour vous dire que si j’avais rédigé cette requête, j’aurais trouvé nécessaire de globaliser et de citer d’autres médias ou émissions. Par souci d’équilibre et aussi de pragmatisme afin de ne pas être soupçonné d’agir en fonction d’un biais idéologique.
Ce qui transforme ce débat en champ de bataille, c’est précisément qu’il a été soulevé à propos de CNews. Je peux comprendre les réactions courroucées de cette chaine, mais la décision du Conseil d’Etat s’appliquera à tout l’audiovisuel sans discrimination. Il ne peut évidemment en être autrement. Enfin, il ne faut pas confondre pluralisme et liberté de choisir sa ligne éditoriale ce qui est parfaitement légitime. Qu’il y ait des médias de gauche comme de droite, c’est parfait ; ce qui me choque, c’est l’absence de contradiction car alors, on quitte l’information pour rejoindre la propagande, la facilité de la radicalité et du simplisme. Les chaines de télévision doivent autre chose à leur public. C’est un impératif de permettre la contradiction.

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La question porte donc sur les moyens d’y parvenir et il n’est pas absurde d’adapter l’appréciation du pluralisme à l’évolution du monde et des médias, près de 40 ans après la loi de 1986 qui prévoit cette obligation dans l’audiovisuel où les fréquences sont limitées et où les chaines s’offrent au public. Qu’il y ait des dangers en matière de liberté d’expression au regard des critères qui pourraient être retenus pour apprécier ce pluralisme, c’est certain, et il faudra être d’une absolue vigilance mais cela n’empêche pas de réfléchir à la manière d’aboutir à cet objectif. Je serais l’Arcom, je convoquerais tout le monde pour y réfléchir car c’est l’intérêt de tous.
Je ne dis rien de plus. Je ne me satisfais pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Ce serait le plus sûr chemin vers la bêtise.

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Mais laissez le public choisir ! Et puis ce souci du contradictoire est à géométrie très variable. D’ardents défenseurs du droit au blasphème ont leurs vapeurs dès qu’on professe une opinion hétérodoxe. Dites que MeToo est une catastrophe, opinion parfaitement blasphématoire et on verra qui vous défend !

Pardon d’avoir l’ambition de m’adresser à l’intelligence et à la raison plutôt qu’aux passions, à la rage, aux excès. Pardon aussi de vous dire que les médias ont une responsabilité : ne pas transformer le peuple en une foule féroce car je sais ce que peut être la foule et je m’y inclus. Vous faites comme si vous n’aviez pas conscience qu’un média peut aussi devenir une arme redoutable pouvant mener au pire. Les règles sont nécessaires pour l’éviter. Ce sont des équilibres très délicats que l’on n’atteindra pas si on se comporte de tous côtés comme des éléphants énervés dans un magasin de porcelaine. Dire que MeToo en bloc est une catastrophe me semble être une ânerie mais libre à vous de le dire.

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Eh bien oui, et c’est heureux. Une sorte de rapport sur CNews a été bricolé par une sorte d’universitaire qui l’a regardée pendant quinze jours il y a deux ans. Entre autres griefs, il s’étonne que CNews fasse d’autres choix éditoriaux que BFMTV, comme si BFM était l’étalon-information. Il déclare que X ou Y est d’extrême droite parce que Le Monde le dit. Et la plainte de RSF est fondée sur ce rapport….

Je n’ai aucune idée de ce qu’est ce rapport mais il est évident que seul un rapport objectif réalisé éventuellement par les services de l’Arcom serait recevable.

La décision du Conseil d’Etat rompt avec sa jurisprudence précédente (et avec celle de la CEDH) qui estime que plus il y a de pluralisme externe (multiplicité des médias), plus chacun peut avoir de liberté éditoriale. Que vous inspire ce revirement ? Cet arrêt n’est-il pas dangereux pour nos libertés ?

Je ne le lis pas du tout ainsi. Il peut y avoir une infinité de journaux écrits mais uniquement quelques chaines TNT. La pluralité est limitée par les ondes. On ne pourra jamais avoir autant de chaines que d’opinions donc il faut une diversité d’opinions à l’intérieur de ces chaines mais vraiment, je ne comprends pas comment on peut réclamer d’avoir une chaîne univoque. Toute chaîne, publique ou privée, qui s’offre au public, contrairement à la presse écrite que l’on fait la démarche d’acheter, se doit de s’ouvrir à un pluralisme minimal d’opinions.
Si l’on cherche à éclairer plutôt qu’à abrutir, c’est quand même bien de permettre à des avis divergents de s’exprimer. Ça vaut pour tout le monde.

Mais personne ne conteste ça ! Vous avez déjà regardé CNews ? Pensez-vous que je travaillerais dans un média qui interdit la contradiction ?

Je regarde CNews régulièrement comme tous les autres médias d’information. Mais je vous retourne la question… Regardez-vous cette chaine quand vous n’y êtes pas ? Hier, j’ai vu Onfray et quoi que je puisse en penser, il développe une pensée et c’est intéressant et pas si fréquent d’avoir le temps de s’exprimer si longuement. Mais ce que je vois dans la même journée, c’est que lorsqu’un invité n’est pas dans la ligne, on lui tombe dessus à plusieurs avec, en leader, un journaliste présentateur hyper-offensif plutôt qu’adoptant une position de Monsieur Loyal. Cela crée un déséquilibre total. On semble chercher l’écrasement d’une idée par une autre, le ricanement et non l’échange. Il faut comprendre que ca ne donne pas une folle envie d’y aller à certains.

Pardon, mais dans les débats, quelle que soit la chaîne, il y a souvent des gagnants et des perdants. Mais je ne vous convaincrai pas. Le secrétaire général de RSF oppose le bon journalisme au commentaire. Est-il légitime pour décréter que le bon journalisme c’est ceci ou cela ? N’est-il pas inquiétant que cette personne soit chargée des Etats généraux de la presse ?

Vous me ramenez à la polémique… Evidemment le commentaire fait partie du journalisme sinon il faudrait supprimer toutes les chaînes infos et pas seulement CNews. Cela n’a pas de sens. Informer le public cela passe par des rappels de faits, des analyses, des enquêtes, des éditoriaux, des interviews, des débats… Pour autant, l’information ne peut pas être non plus que du commentaire. C’est aussi cette diversité des formats qui fait une information de qualité.

Christophe Deloire, de Reporters Sans Frontières, photographié en 2023 © CELINE BREGAND/SIPA

Vous, que reprochez-vous à CNews ?

Mais ce n’est pas la question. Je ne veux pas personnaliser, c’est le piège à éviter si l’on veut avancer. Je peste en permanence contre tous les médias car j’ai une immense ambition les concernant et donc une profonde exigence. Ils sont un rouage démocratique majeur. Ils devraient selon moi par exemple être bien davantage un rempart contre la violence des réseaux sociaux, qu’ils suivent trop souvent, ou un antidote contre tous les conspirationnismes.

Ceux qui prétendent que CNews n’est pas pluraliste refusent d’y aller parce qu’ils ont peur d’être contaminés. Dans le camp du Bien, on refuse la confrontation des arguments, on agite des gousses d’ail. D’ailleurs, la plupart des gens veulent une télé avec laquelle ils sont d’accord.

Eh bien si c’est le cas, alors personne ne pourra rien reprocher à CNews en matière de pluralisme. Il suffira que les dirigeants de la chaîne se présentent avec leur liste d’invités, l’histoire sera réglée avec un brevet de bonne conduite et ils en sortiront gagnants. On ne va évidemment pas reprocher à un média un manque de pluralisme s’il est dû aux invités qui ne veulent pas venir. Quant à moi, dans l’hypothèse ou je serais visé par votre question, on ne peut pas me faire ce reproche. Je refuse neuf invitations sur dix mais je fais très attention à parler sur tous les médias (ce que je prouve aussi par cette interview, puisque c’est à vous que j’ai réservé mon expression sur ce sujet). En revanche, on ne peut pas non plus imposer à une personne publique d’accepter un format qu’il n’aime pas, par exemple celui du débat à six ou dix. Cela fait bien longtemps que je refuse ce format sur CNews, comme sur BFMTV ou LCI. C’est aussi ma liberté et sur CNews, j’ai l’impression que c’est un format très présent – mais je me trompe peut être.

Vous n’étiez pas du tout visé, je sais que vous n’êtes pas sectaire. Ceci étant, il faut s’interroger sur les raisons du succès de CNews. Beaucoup de gens se sentent représentés par cette chaîne. Avant, disent-ils, aucune télévision ne parlait de ce qu’on vit. N’est-ce pas excellent pour le pluralisme ?

Il ne me viendrait pas à l’idée une seule seconde de contester que la « sensibilité conservatrice » comme vous l’appelez, puisse avoir son canal de diffusion parce que sinon, demain, ce sera la gauche qui ne pourra plus s’exprimer. En revanche, s’agissant de la télévision, média de masse, il faut des règles du jeu plus strictes que pour le papier. La diversité d’opinion est indispensable, le lavage de cerveaux est détestable. Je pense que nous pourrions a minima nous retrouver sur cette évidence. Et pour anticiper vos protestations, je parle de la droite comme de la gauche. Il y a d’autres médias que CNews sur lesquels un peu plus d’équilibre dans le temps d’expression serait bienvenu.

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On l’accuse également de trop parler d’insécurité et de « transformer des faits divers en faits de société ». Mais qui décide que ce sont des faits divers ? Peut-être que les autres n’en parlent pas assez.

Peut-être mais peut-être aussi que les faits divers font l’objet d’instrumentalisation pour créer de la peur. Certains considèrent que des médias sont dans le déni du réel par bonne conscience, et d’autres dans la surexploitation hystérique de faits divers. Qui a raison ?

Pour moi, aucun doute. Il y a des médias qui veulent nous interdire de voir ce que l’on voit, vous l’avez vécu aux premières loges sur la question de l’islamisme et du séparatisme. 

Certes, mais ceux qui parlent de surexploitation ont aussi raison. Je n’ai aucune légitimité pour le dire mais ce double grief est audible.La seule solution pour en sortir, c’est que différents points de vue puissent s’exprimer. Certains ont l’air de considérer que l’information c’est du foin pour les vaches. Tant que la vache est contente, on ne lui change pas sa nourriture. Moi je considère qu’une nourriture variée c’est bon pour la santé.

J’attendais une levée de boucliers des journalistes contre le Conseil d’Etat sur le thème « je ne partage pas leurs idées mais je me battrai etc. ». Mais une partie des médias applaudit, et l’autre n’a réagi que quand elle a compris qu’elle pourrait aussi être visée. Bref, personne ne défend la liberté des autres. Est-ce inquiétant ?

L’humain a tendance à vouloir interdire ce qui le choque. Cela me désole à un point que vous ne pouvez imaginer. On n’a toujours pas compris qu’ainsi nous étions les artisans de notre propre malheur car l’interdiction revient toujours en boomerang.

Finalement, on n’a pas trouvé le moyen satisfaisant de réguler l’expression publique. Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions, le système américain de liberté non pas totale mais très large n’est-il pas préférable, dans la mesure où il permet réellement la confrontation des opinions ?

Eh bien justement, cette question démontre a quelle point j’ai raison ! Aucun pays démocratique ne protège autant la liberté d’expression dans les textes et regardez la situation : la gauche woke comme la droite trumpiste s’en donnent à cœur joie pour canceller des livres, des films, virer des profs pour un mot, dresser de constants procès en sorcellerie, interdire des représentations féminines dénudées dans des tableaux…
Voilà ce que donne une société polarisée à l’extrême. Les médias ont un rôle à jouer pour l’éviter.

Que ce soit en matière de liberté sexuelle ou de liberté d’expression, on voit toujours la gauche en première ligne pour les limiter. Comment la gauche est-elle devenue le parti de la censure ?

Pardon mais pas « la gauche ». Je suis de gauche et j’ai consacré ma vie à me battre contre la censure. Je ne peux toutefois vous en vouloir de cette généralisation car il arrive que je m’en rende moi-même coupable tant cette situation me déprime et m’inquiète. Oui, il y a une gauche de la censure, il ne serait pas honnête de le contester. Mais il y a une autre gauche restée attachée aux libertés. Elle n’a malheureusement plus beaucoup de porte-paroles politiques.

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