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«Je ne veux pas la mort de CNews»

En 2015, la présidente de France Télévisions promettait plus de « diversité » à l’antenne et moins de « mâles blancs de plus de 50 ans ». C’est fait. Mais Delphine Ernotte Cunci réfute toute orientation idéologique. Elle estime que le service public est équilibré. Et rappelle que la cancel culture n’y a pas sa place – la preuve par J’accuse et Illusions perdues, deux films diffusés récemment.


On ne devrait jamais rencontrer les personnalités dont on parle. Ainsi pourrait-on émettre confortablement des jugements péremptoires qu’aucune réalité concrète ne contrarierait. En me rendant à mon rendez-vous avec Delphine Ernotte, mes préventions étaient déjà un peu entamées. Alors que nos aimables confrères des journaux convenables nous taillent des costards à coups d’« extrême droite » et de « fachos », la présidente de France Télévisions a accepté de parler à Causeur – et à votre servante. Elle refuse de se laisser dicter ses fréquentations par le qu’en-dira-t-on. Dans le microclimat des médias, où le sectarisme est bien partagé, cela prouve sa liberté d’esprit.

Cependant, ne connaissant guère d’elle que quelques déclarations plutôt malheureuses, je m’attendais à rencontrer non pas une passionaria gauchiste, mais une femme dogmatique, se pensant missionnée pour rééduquer le populo et combattre l’extrême droite. Alors, Delphine Ernotte voudrait sans doute que France Télévisions contribue à l’émergence d’une société plus « inclusive », mais elle n’a pas la naïveté ou la forfanterie de croire qu’on change l’être humain par l’intimidation ou l’injonction. J’ai donc été un peu désarçonnée de me trouver face à une personne malicieuse et batailleuse, rendant les coups avec intelligence et humour, sans une once de méchanceté ou de ressentiment. Pendant les deux heures qu’a duré notre discussion, elle a répondu honnêtement à toutes mes interpellations. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, tombées d’accord sur tout, mais sur l’essentiel qui est, précisément, le droit au désaccord civilisé. Humour, légèreté : si besoin était, c’est la preuve irréfutable que Delphine Ernotte n’est pas woke.


Causeur. Que vous inspirent la plainte de Reporters sans frontières contre CNews et, plus généralement, la décision du Conseil d’État ?

Delphine Ernotte Cunci. D’abord, il me semble très positif qu’on se soucie de pluralisme à la télévision. À France Télévisions, nous faisons très attention à équilibrer notre contenu et à être honnêtes. Ces règles-là ne me posent aucun problème. Donc je comprends l’esprit de la décision du Conseil d’État, mais suis plus circonspecte sur la lettre et son application. Le boulot d’un éditorialiste est de donner un point de vue ! Mais je fais entièrement confiance à l’Arcom, qui défend avant tout la liberté d’expression, pour trouver un moyen de faire cela intelligemment.

C’est-à-dire de ne pas le faire…

En tout cas, il faut concilier l’exigence de pluralisme avec un autre grand principe, qui est la liberté éditoriale. Évidemment, il est impossible de répertorier des chroniqueurs, invités et intervenants en fonction de leurs opinions supposées. Je ne le souhaite pas et je pense que cela n’arrivera pour personne.

Si quelqu’un demandait la fermeture de CNews, l’approuveriez-vous ?

Non, je ne veux pas la mort de CNews. Mais il est normal qu’elle respecte les règles, comme tout le monde. Les fréquences TNT ont une grande valeur marchande. En France, elles sont attribuées gratuitement par la collectivité en contrepartie du respect d’obligations et de conventions, notamment en termes de pluralisme.

Personne ne peut respecter une règle qui n’existe pas encore. Cependant, merci, il est rassurant que la patronne de la télévision publique (la place de la Concorde des médias) défende la liberté !

Je n’ai jamais défendu autre chose. M’avez-vous déjà entendu dire un mot contre une autre chaîne de télévision en France ? Chacun doit rester à sa place. Le législateur, c’est le Parlement, le régulateur, c’est l’Arcom. Mon travail, c’est le pluralisme sur les antennes de France Télévisions.

Encore faut-il le définir…

Dans un État de droit, le pluralisme est un ensemble de règles auxquelles nous sommes tous soumis. Sinon, on considère que le pluralisme est une affaire d’opinion et on pourrait, au prétexte qu’on ne l’aime pas, sanctionner CNews… Ce n’est évidemment pas ma façon de voir les choses.

Marc-Édouard Nabe est l’invité de Frédéric Taddeï dans l’émission « Ce soir ou jamais ! » sur France 2, 10 janvier 2014. DR.

Sauf qu’avec l’arrêt du Conseil d’État, l’Arcom pourrait devenir le gendarme de la bien-pensance…

Je ne peux pas spéculer sur ce qui va se passer. Mais je défends nos lois qui garantissent les libertés fondamentales, la liberté d’expression étant l’une des plus précieuses, comme le précise la Déclaration des droits de l’homme. La loi de 1986, qui régule notre secteur, est avant tout une grande loi de liberté éditoriale et d’expression. C’est d’ailleurs le titre de ce texte fondateur.

La notion de pluralisme n’est pas seulement juridique. C’est aussi un état d’esprit, une façon d’accueillir la controverse loyale. Êtes-vous satisfaite de France Télévisions de ce point de vue ?

L’important, c’est de savoir si les Français sont satisfaits de leur service public. Et ils votent avec leur télécommande. Un Français sur deux nous regarde chaque jour, huit sur dix chaque semaine. À ce niveau de couverture, ils sont représentatifs de toutes les opinions. Il y a des Français qui votent pour tous les partis, et même qui ne votent pas et qui se reconnaissent dans nos chaînes. Nous sommes plébiscités par les Français et ils reconnaissent notre exigence de pluralisme et d’impartialité.

Cela ne signifie pas qu’ils vous trouvent dénués de biais idéologiques ! De plus, contrairement aux autres chaînes, votre groupe est financé par l’argent public, aussi a-t-il en plus de l’obligation de pluralisme et d’honnêteté de l’information, celle de neutralité.

Je n’aime pas beaucoup ce mot, car la neutralité est une notion chimiquement totalement impure. Cela n’existe pas. Pour moi, le service public doit d’abord et avant tout être équilibré, et représenter toutes les opinions et tous les courants de pensée.

Peut-être, mais sauf erreur, le mot« neutralité » figure dans la loi. Comme tous les médias, France Télévisions a, sinon une ligne, une couleur idéologique. La plupart des animateurs, présentateurs et chroniqueurs réguliers sont, sinon de gauche, représentants du même progressisme bon teint…

Alors ça c’est drôle, vous voilà à compter les gens selon leurs opinions ! Moi qui pensais que cela vous offusquait…

D’accord, vous marquez un point. Mais vous voyez bien ce que je veux dire… « Quelle époque ! » Léa Salamé…

Léa est de gauche, première nouvelle ! Vous n’en savez rien, moi non plus. Et c’est très bien ainsi.

Vous avez raison, il serait détestable de l’assigner aux positions de son compagnon. Mais elle officie avec Christophe Dechavanne, qui se fait une gloire de son anti-lepénisme. Comme Laurent Ruquier, qui occupait précédemment cette case. On pourrait aussi citer Karim Rissouli ou Michel Drucker…

… ou d’excellents animateurs qui n’ont rien à voir avec la politique, comme Stéphane Bern ou Franck Ferrand, qui commente le Tour de France. Quant à mes présentateurs de journaux, je ne sais pas pour qui ils votent. Et puis, à vous entendre, il faudrait qu’il n’y ait plus personne de gauche sur le service public !

Nous ne courons pas ce danger ! Le problème n’est pas la présence de ces personnalités talentueuses, mais qu’il n’y ait pas de présence équivalente, dans les émissions politiques ou métapolitiques, de personnalités conservatrices. Pourquoi pas une grande émission animée par quelqu’un comme Eugénie Bastié ?

Toutes les cultures politiques ont droit de cité chez nous. Geoffroy Lejeune est déjà venu, mais nous avons eu Mathieu Bock-Côté plusieurs fois, et nous avons même voulu lui confier un documentaire sur la présidentielle. Ça ne s’est pas fait, car CNews a refusé.

Certes, mais encore une fois, ils sont invités quand d’autres sont la puissance invitante. Tout de même quand on regarde « C à vous », « C ce soir », ou « C politique », ce sont toujours les mêmes opinions qui jouent à domicile.

Je ne suis pas d’accord. Et ce n’est pas ce qui remonte des téléspectateurs. Toutes les études nous accordent un crédit énorme en termes de sérieux, d’indépendance, d’impartialité. Ce sont les invités qui donnent la tonalité. Et j’ajoute qu’ils peuvent nous critiquer. Après le « Complément d’enquête » sur Hanouna, il a été invité à « C médiatique » sur France 5 et il a pu s’exprimer en toute liberté. Aucun autre média ne propose un tel spectre d’émissions, où des points de vue antagonistes peuvent se rencontrer et débattre. Le service public de l’audiovisuel est une maison commune : il appartient à tous et tout le monde doit s’y sentir chez soi.

Pendant la campagne présidentielle, Éric Zemmour était l’invité de « Quelle époque ! ».Il s’est retrouvé face à une meute déchaînée…

C’est votre sentiment. Et puis, une émission peut être plus ou moins réussie, mais j’adore « Quelle époque ! ». Et en tout cas, Monsieur Zemmour a été le premier invité, ce n’est pas rien.

Pourquoi Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du frérisme, qui subit de nombreuses attaques et menaces sur les réseaux, n’est-elle pas invitée chez vous ?

Des experts qui écrivent sur les Frères musulmans, et le fondamentalisme religieux en général, sont très souvent invités sur nos antennes, comme Caroline Fourest, par exemple.

Justement, pourquoi ne pas varier les points de vue ? Une autre personnalité n’est jamais invitée, Gilles-William Goldnadel.

Mais je n’ai pas à justifier nos choix, nous avons encore la liberté d’inviter qui nous voulons. Nous ne choisissons pas les personnalités en fonction de ce qu’ils votent ou de ce qu’ils pensent, mais uniquement en fonction de leur talent et de leurs compétences.

D’accord. Je vous parle aussi d’une petite musique. Je vous parle du traitement de l’insécurité et de ses liens avec l’immigration (désormais attestés par les statistiques du ministère de l’Intérieur). Après la mort de Lola, France 2 s’est déchaînée contre ceux qui y voyaient une faillite de notre politique migratoire. Il faut voir ce que l’on voit, dit Péguy, et ce n’est pas votre plus grand talent.

C’est un fait tragique qui a bouleversé tout le pays. Mais ce que vous dites est totalement faux : notre couverture a été exemplaire.

Si vous le dites…On peut aussi trouver faiblard votre traitement du séparatisme islamiste. Si j’interroge vos journalistes sur l’origine de l’antisémitisme, je vous parie qu’une majorité citera l’extrême droite.

Qu’en savez-vous ? Ce sont des procès d’intention.

Cyril Hanouna est l’invité de « C médiatique » sur France 5, après la diffusion du « Complément d’enquête » qui lui était consacré, 17 septembre 2023. DR.

Referiez-vous une émission comme « Ce soir ou jamais », qui invitait des personnalités proches de l’extrême droite et de l’extrêmegauche ?

Bien sûr, à condition qu’on sache d’où parlent les gens. Le problème que nous avons eu avec cette émission est que des invités étaient présents sans préciser leurs autres activités, parfois très engagées et sans que cela soit clairement dit.

Ces questions d’étiquetage passent à côté de l’essentiel : il régnait sur le plateau de Taddeï une atmosphère de liberté véritable, où des adversaires irréconciliables pouvaient se parler, des points de vue choquants s’affronter.

On ne cherche pas le clash, c’est vrai. On essaie de prendre du champ et d’avoir des débats profonds et contextualisés.

Bienséants, convenables…

On dirait que pour vous, tout débat doit être polémique.

Oui, le débat est un combat.

Il arrive que le ton monte sur nos plateaux, mais ce n’est pas notre objectif. Notre combat, c’est le débat et la pluralité des points de vue. C’est ce que les Français attendent du service public et c’est ce qu’ils trouveront tou »jours chez nous.

Donc, vous n’avez rien à vous reprocher…

Nous pouvons toujours progresser. Mais ce que je peux affirmer avec force, c’est qu’il n’y a pas de ligne idéologique, ni d’exclusive.

Je vous l’accorde, si on peut discuter votre neutralité, particulièrement sur France 5, vous êtes beaucoup moins gauchistes que France Inter.

Je vous laisse la responsabilité de ces propos injustes. S’agissant de France 5, de « C dans l’air » à « C ce soir » en passant par « C àvous », elle est la seule chaîne à proposer quatre heures par jour de décryptage avec des experts, des personnalités publiques. Notre ligne éditoriale est d’éviter le commentaire, de favoriser l’explication, de donner des clés au téléspectateur : libre à lui de se forger son opinion.

Il faut dire que TF1, première chaîne privée d’Europe, autrefois moquée comme la chaîne des « ploucs » de droite, vous double sur votre gauche. Et elle vient de déposer une plainte contre vous pour aide d’État illégale.

C’est une plainte contre l’État, nous ne nous accordons pas les subventions tout seuls ! C’est la troisième fois en quelques années… et une bataille toujours perdue. Surtout, cette guerre menée par TF1 contre le service public est terriblement xxe siècle. À l’âge de YouTube et Netflix, croyez-vous vraiment que les audiences de France 2 soient leur principal problèmed’avenir? Le sujet n’est plus là.

Il est où ?

L’univers médiatique est devenu très concurrentiel. Cette profusion de contenus est une excellente chose pour les publics, mais il faut que nos médias nationaux puissent résister. Nous devons le faire ensemble, médias publics et privés réunis. Je l’ai toujours dit et toujours prouvé. Quand TF1 et M6 ont décidé de fusionner, je les ai soutenues. Récemment, j’ai défendu le fait que toutes les chaînes de la TNT soient concernées par les mesures de visibilité sur les téléviseurs connectés, et pas seulement le service public. C’est ce que l’Arcom a décidé et je m’en félicite. Entre médias nationaux, nous devons nous serrer les coudes. C’est notre souveraineté culturelle et informationnelle qui est en jeu face aux offensives des plates-formes et des réseaux sociaux américains ou chinois.

L’argument de TF1 est que vous êtes une entreprise de télévision comme les autres et que vous bénéficiez donc d’un avantage concurrentiel indu. Après tout, si c’est pour passer les mêmes séries américaines que la concurrence, ils ont peut-être raison…

Vous voilà prise en flagrant délit de fake news. Cela fait trois ans que nous ne passons plus de séries américaines pour privilégier la création française. Nous proposons très peu de divertissement et aucune téléréalité. Quant à ce qui nous distingue, je vous conseille la lecture de notre cahier des charges ou tout simplement une soirée télé ! Notre différence est flagrante, évidente. Notre première mission, c’est d’informer. Et lorsque l’on demande si les Français font confiance à notre information, ils sont 75 % à dire oui. C’est vingt points de plus que les chaînes commerciales.

La suite demain sur le site Causeur.fr

Richard Malka sur l’affaire CNews/RSF: «L’interdiction revient toujours en boomerang»

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Le célèbre avocat avance qu’on ne pourra jamais avoir autant de canaux que d’opinions, et qu’il est donc impératif d’obtenir une diversité d’opinions à l’intérieur de chaque chaîne info. Il ne se satisfait pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Une parole trop rare.


Causeur. Une organisation censée promouvoir la liberté de la presse dénonce un média qu’elle ne trouve pas assez pluraliste parce qu’il a une sensibilité de droite (en réalité « conservatrice »), contrairement à tous les autres qui sont spontanément «progressistes » et demande au Conseil d’Etat d’obliger le régulateur à fliquer tous les intervenants (demande déjà rejetée par ledit régulateur). Que vous inspire cette demande de RSF, vous qui êtes l’un des grands défenseurs de la liberté d’expression ?

Richard Malka. Essayons de dépasser un peu les polémiques et d’approfondir ce débat qui est assez important pour mériter autre chose que des caricatures. D’abord, on ne peut vraiment pas contester que RSF lutte pour le journalisme et la liberté d’expression partout dans le monde. C’est une des rares organisations qui ose encore défendre le droit au blasphème, y compris devant les organisations internationales. J’ai trouvé le procès qui lui était fait assez injuste. Deuxième point, la préoccupation de RSF vise le pluralisme. Mais qui peut sérieusement être «  contre » le pluralisme ?

Non, la requête de RSF vise CNews, nommément. Si leur objectif était le pluralisme, ils auraient cité d’autres médias.

Pour qu’il y ait un contentieux, il faut bien agir contre une partie identifiée, mais vous n’allez pas vous satisfaire de cette réponse juridique, donc je n’ai aucune difficulté pour vous dire que si j’avais rédigé cette requête, j’aurais trouvé nécessaire de globaliser et de citer d’autres médias ou émissions. Par souci d’équilibre et aussi de pragmatisme afin de ne pas être soupçonné d’agir en fonction d’un biais idéologique.
Ce qui transforme ce débat en champ de bataille, c’est précisément qu’il a été soulevé à propos de CNews. Je peux comprendre les réactions courroucées de cette chaine, mais la décision du Conseil d’Etat s’appliquera à tout l’audiovisuel sans discrimination. Il ne peut évidemment en être autrement. Enfin, il ne faut pas confondre pluralisme et liberté de choisir sa ligne éditoriale ce qui est parfaitement légitime. Qu’il y ait des médias de gauche comme de droite, c’est parfait ; ce qui me choque, c’est l’absence de contradiction car alors, on quitte l’information pour rejoindre la propagande, la facilité de la radicalité et du simplisme. Les chaines de télévision doivent autre chose à leur public. C’est un impératif de permettre la contradiction.

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La question porte donc sur les moyens d’y parvenir et il n’est pas absurde d’adapter l’appréciation du pluralisme à l’évolution du monde et des médias, près de 40 ans après la loi de 1986 qui prévoit cette obligation dans l’audiovisuel où les fréquences sont limitées et où les chaines s’offrent au public. Qu’il y ait des dangers en matière de liberté d’expression au regard des critères qui pourraient être retenus pour apprécier ce pluralisme, c’est certain, et il faudra être d’une absolue vigilance mais cela n’empêche pas de réfléchir à la manière d’aboutir à cet objectif. Je serais l’Arcom, je convoquerais tout le monde pour y réfléchir car c’est l’intérêt de tous.
Je ne dis rien de plus. Je ne me satisfais pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Ce serait le plus sûr chemin vers la bêtise.

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Mais laissez le public choisir ! Et puis ce souci du contradictoire est à géométrie très variable. D’ardents défenseurs du droit au blasphème ont leurs vapeurs dès qu’on professe une opinion hétérodoxe. Dites que MeToo est une catastrophe, opinion parfaitement blasphématoire et on verra qui vous défend !

Pardon d’avoir l’ambition de m’adresser à l’intelligence et à la raison plutôt qu’aux passions, à la rage, aux excès. Pardon aussi de vous dire que les médias ont une responsabilité : ne pas transformer le peuple en une foule féroce car je sais ce que peut être la foule et je m’y inclus. Vous faites comme si vous n’aviez pas conscience qu’un média peut aussi devenir une arme redoutable pouvant mener au pire. Les règles sont nécessaires pour l’éviter. Ce sont des équilibres très délicats que l’on n’atteindra pas si on se comporte de tous côtés comme des éléphants énervés dans un magasin de porcelaine. Dire que MeToo en bloc est une catastrophe me semble être une ânerie mais libre à vous de le dire.

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Eh bien oui, et c’est heureux. Une sorte de rapport sur CNews a été bricolé par une sorte d’universitaire qui l’a regardée pendant quinze jours il y a deux ans. Entre autres griefs, il s’étonne que CNews fasse d’autres choix éditoriaux que BFMTV, comme si BFM était l’étalon-information. Il déclare que X ou Y est d’extrême droite parce que Le Monde le dit. Et la plainte de RSF est fondée sur ce rapport….

Je n’ai aucune idée de ce qu’est ce rapport mais il est évident que seul un rapport objectif réalisé éventuellement par les services de l’Arcom serait recevable.

La décision du Conseil d’Etat rompt avec sa jurisprudence précédente (et avec celle de la CEDH) qui estime que plus il y a de pluralisme externe (multiplicité des médias), plus chacun peut avoir de liberté éditoriale. Que vous inspire ce revirement ? Cet arrêt n’est-il pas dangereux pour nos libertés ?

Je ne le lis pas du tout ainsi. Il peut y avoir une infinité de journaux écrits mais uniquement quelques chaines TNT. La pluralité est limitée par les ondes. On ne pourra jamais avoir autant de chaines que d’opinions donc il faut une diversité d’opinions à l’intérieur de ces chaines mais vraiment, je ne comprends pas comment on peut réclamer d’avoir une chaîne univoque. Toute chaîne, publique ou privée, qui s’offre au public, contrairement à la presse écrite que l’on fait la démarche d’acheter, se doit de s’ouvrir à un pluralisme minimal d’opinions.
Si l’on cherche à éclairer plutôt qu’à abrutir, c’est quand même bien de permettre à des avis divergents de s’exprimer. Ça vaut pour tout le monde.

Mais personne ne conteste ça ! Vous avez déjà regardé CNews ? Pensez-vous que je travaillerais dans un média qui interdit la contradiction ?

Je regarde CNews régulièrement comme tous les autres médias d’information. Mais je vous retourne la question… Regardez-vous cette chaine quand vous n’y êtes pas ? Hier, j’ai vu Onfray et quoi que je puisse en penser, il développe une pensée et c’est intéressant et pas si fréquent d’avoir le temps de s’exprimer si longuement. Mais ce que je vois dans la même journée, c’est que lorsqu’un invité n’est pas dans la ligne, on lui tombe dessus à plusieurs avec, en leader, un journaliste présentateur hyper-offensif plutôt qu’adoptant une position de Monsieur Loyal. Cela crée un déséquilibre total. On semble chercher l’écrasement d’une idée par une autre, le ricanement et non l’échange. Il faut comprendre que ca ne donne pas une folle envie d’y aller à certains.

Pardon, mais dans les débats, quelle que soit la chaîne, il y a souvent des gagnants et des perdants. Mais je ne vous convaincrai pas. Le secrétaire général de RSF oppose le bon journalisme au commentaire. Est-il légitime pour décréter que le bon journalisme c’est ceci ou cela ? N’est-il pas inquiétant que cette personne soit chargée des Etats généraux de la presse ?

Vous me ramenez à la polémique… Evidemment le commentaire fait partie du journalisme sinon il faudrait supprimer toutes les chaînes infos et pas seulement CNews. Cela n’a pas de sens. Informer le public cela passe par des rappels de faits, des analyses, des enquêtes, des éditoriaux, des interviews, des débats… Pour autant, l’information ne peut pas être non plus que du commentaire. C’est aussi cette diversité des formats qui fait une information de qualité.

Christophe Deloire, de Reporters Sans Frontières, photographié en 2023 © CELINE BREGAND/SIPA

Vous, que reprochez-vous à CNews ?

Mais ce n’est pas la question. Je ne veux pas personnaliser, c’est le piège à éviter si l’on veut avancer. Je peste en permanence contre tous les médias car j’ai une immense ambition les concernant et donc une profonde exigence. Ils sont un rouage démocratique majeur. Ils devraient selon moi par exemple être bien davantage un rempart contre la violence des réseaux sociaux, qu’ils suivent trop souvent, ou un antidote contre tous les conspirationnismes.

Ceux qui prétendent que CNews n’est pas pluraliste refusent d’y aller parce qu’ils ont peur d’être contaminés. Dans le camp du Bien, on refuse la confrontation des arguments, on agite des gousses d’ail. D’ailleurs, la plupart des gens veulent une télé avec laquelle ils sont d’accord.

Eh bien si c’est le cas, alors personne ne pourra rien reprocher à CNews en matière de pluralisme. Il suffira que les dirigeants de la chaîne se présentent avec leur liste d’invités, l’histoire sera réglée avec un brevet de bonne conduite et ils en sortiront gagnants. On ne va évidemment pas reprocher à un média un manque de pluralisme s’il est dû aux invités qui ne veulent pas venir. Quant à moi, dans l’hypothèse ou je serais visé par votre question, on ne peut pas me faire ce reproche. Je refuse neuf invitations sur dix mais je fais très attention à parler sur tous les médias (ce que je prouve aussi par cette interview, puisque c’est à vous que j’ai réservé mon expression sur ce sujet). En revanche, on ne peut pas non plus imposer à une personne publique d’accepter un format qu’il n’aime pas, par exemple celui du débat à six ou dix. Cela fait bien longtemps que je refuse ce format sur CNews, comme sur BFMTV ou LCI. C’est aussi ma liberté et sur CNews, j’ai l’impression que c’est un format très présent – mais je me trompe peut être.

Vous n’étiez pas du tout visé, je sais que vous n’êtes pas sectaire. Ceci étant, il faut s’interroger sur les raisons du succès de CNews. Beaucoup de gens se sentent représentés par cette chaîne. Avant, disent-ils, aucune télévision ne parlait de ce qu’on vit. N’est-ce pas excellent pour le pluralisme ?

Il ne me viendrait pas à l’idée une seule seconde de contester que la « sensibilité conservatrice » comme vous l’appelez, puisse avoir son canal de diffusion parce que sinon, demain, ce sera la gauche qui ne pourra plus s’exprimer. En revanche, s’agissant de la télévision, média de masse, il faut des règles du jeu plus strictes que pour le papier. La diversité d’opinion est indispensable, le lavage de cerveaux est détestable. Je pense que nous pourrions a minima nous retrouver sur cette évidence. Et pour anticiper vos protestations, je parle de la droite comme de la gauche. Il y a d’autres médias que CNews sur lesquels un peu plus d’équilibre dans le temps d’expression serait bienvenu.

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On l’accuse également de trop parler d’insécurité et de « transformer des faits divers en faits de société ». Mais qui décide que ce sont des faits divers ? Peut-être que les autres n’en parlent pas assez.

Peut-être mais peut-être aussi que les faits divers font l’objet d’instrumentalisation pour créer de la peur. Certains considèrent que des médias sont dans le déni du réel par bonne conscience, et d’autres dans la surexploitation hystérique de faits divers. Qui a raison ?

Pour moi, aucun doute. Il y a des médias qui veulent nous interdire de voir ce que l’on voit, vous l’avez vécu aux premières loges sur la question de l’islamisme et du séparatisme. 

Certes, mais ceux qui parlent de surexploitation ont aussi raison. Je n’ai aucune légitimité pour le dire mais ce double grief est audible.La seule solution pour en sortir, c’est que différents points de vue puissent s’exprimer. Certains ont l’air de considérer que l’information c’est du foin pour les vaches. Tant que la vache est contente, on ne lui change pas sa nourriture. Moi je considère qu’une nourriture variée c’est bon pour la santé.

J’attendais une levée de boucliers des journalistes contre le Conseil d’Etat sur le thème « je ne partage pas leurs idées mais je me battrai etc. ». Mais une partie des médias applaudit, et l’autre n’a réagi que quand elle a compris qu’elle pourrait aussi être visée. Bref, personne ne défend la liberté des autres. Est-ce inquiétant ?

L’humain a tendance à vouloir interdire ce qui le choque. Cela me désole à un point que vous ne pouvez imaginer. On n’a toujours pas compris qu’ainsi nous étions les artisans de notre propre malheur car l’interdiction revient toujours en boomerang.

Finalement, on n’a pas trouvé le moyen satisfaisant de réguler l’expression publique. Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions, le système américain de liberté non pas totale mais très large n’est-il pas préférable, dans la mesure où il permet réellement la confrontation des opinions ?

Eh bien justement, cette question démontre a quelle point j’ai raison ! Aucun pays démocratique ne protège autant la liberté d’expression dans les textes et regardez la situation : la gauche woke comme la droite trumpiste s’en donnent à cœur joie pour canceller des livres, des films, virer des profs pour un mot, dresser de constants procès en sorcellerie, interdire des représentations féminines dénudées dans des tableaux…
Voilà ce que donne une société polarisée à l’extrême. Les médias ont un rôle à jouer pour l’éviter.

Que ce soit en matière de liberté sexuelle ou de liberté d’expression, on voit toujours la gauche en première ligne pour les limiter. Comment la gauche est-elle devenue le parti de la censure ?

Pardon mais pas « la gauche ». Je suis de gauche et j’ai consacré ma vie à me battre contre la censure. Je ne peux toutefois vous en vouloir de cette généralisation car il arrive que je m’en rende moi-même coupable tant cette situation me déprime et m’inquiète. Oui, il y a une gauche de la censure, il ne serait pas honnête de le contester. Mais il y a une autre gauche restée attachée aux libertés. Elle n’a malheureusement plus beaucoup de porte-paroles politiques.

L’effet d’une blonde

Voilà une foule qui n’entend pas faire le ramadan ! En meeting ce dimanche au Dôme de Paris, Porte de Versailles, Marion Maréchal a lancé sa campagne des élections européennes. Les discours étaient calibrés pour plaire aux déçus chez LR et au RN, et réaffirmaient la volonté farouche de « Reconquête !» de lutter contre l’islamisation du continent européen. « Jamais ! Même pas en rêve, même pas en cauchemar, nous ne pouvons pas être musulmans, nous ne le voulons pas ! » a notamment déclaré Éric Zemmour à la tribune. Causeur est allé écouter.


Quatre-vingt-dix jours ! C’est le temps qui sépare le coup d’envoi du meeting organisé par « Reconquête ! » ce dimanche 10 mars du scrutin européen de juin prochain. Marion Maréchal réunissait un parterre de militants et cadres du parti, porte de Versailles. 

Le paradoxe Marion Maréchal

Depuis le début de l’année, il est difficile de vivre dans l’ombre de la bardellamania. Crédité de près de 30% dans les sondages, rien ne semble arrêter le jeune président du Rassemblement national.
Au même moment, Marion Maréchal, tête de liste « Reconquête ! », dévisse d’un demi-point dans le sondage d’Elabe, l’institut qui place le plus bas le parti d’Éric Zemmour depuis le début de la campagne. Un demi-point de perdu : de quoi redescendre en dessous de la barre des 5% ? La perspective de n’envoyer aucun député à Bruxelles en juin prochain ? C’est peu probable.

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Alors, quand les cadres du parti se réunissent ce dimanche matin, en amont du meeting, Philippe Vardon, directeur de la communication militante et électorale, remobilise ses troupes : « Depuis le début de la campagne, nous sommes à une moyenne de 6,7%. Les sondeurs les plus fiables sont ceux qui nous placent le plus haut ». C’est qu’il y a pour l’instant un paradoxe Marion Maréchal : elle est la quatrième personnalité préférée des Français, selon l’IFOP ; et pourtant, le fait qu’elle sera à la tête d’une liste concurrente de LR et du RN n’a pas encore été bien intégré par tous les électeurs français. « À Nice, dans un territoire très favorable à la droite nationale, le maire, qui a de très bons outils pour mesurer le terrain, observe que la moitié des électeurs n’ont pas encore intégré que Marion mènera une liste en juin ». Le meeting, diffusé sur les chaînes d’information, était donc l’occasion de rattraper ce déficit de notoriété, au-delà des habitués et des encartés. 

Olivier Ubeda toujours en coulisses

À « Reconquête ! », le meeting est un art que l’on maîtrise à la perfection. Les musiques d’intro sont un peu moins épiques que lors de la présidentielle de 2022 mais Olivier Ubeda, toujours à la manœuvre, continue de déambuler avec ses baskets et de distiller ses ordres. En 1964, les Beatles assuraient la première partie de Sylvie Vartan à l’Olympia. Pour Marion Maréchal, ce sont Stanislas Rigault, Guillaume Peltier, numéro 2 de la liste, Nicolas Bay, Nicola Procaccini (député italien du groupe ECR) et Éric Zemmour qui tour à tour se succèdent. « Es-tu prêt demain à voir ta sœur voilée, ta grand-mère agressée, ton église remplacée et ta liberté de vivre balayée ? (…) Demain, un seul enjeu : voulez-vous que l’Europe devienne musulmane ? », demande Guillaume Peltier. L’enjeu civilisationnel, pour « Reconquête ! », est non plus seulement français, mais européen. C’est pour cela que les grands noms européens sont évoqués au même titre que les grands noms français. Mais aucun pour rivaliser à l’applaudimètre avec Napoléon et Charles de Gaulle. Éric Zemmour laisse même jouer quelques notes de Mozart en plein discours, pour illustrer le génie européen. 

Adoubée par le chef du parti, la tête de liste Marion Maréchal va pouvoir prendre la parole. Pendant que l’ancienne députée du Vaucluse monte à la tribune, un court film est projeté, qui se termine par l’image d’une immense salle de prière bondée de fidèles musulmans. Bronca générale dans la salle. Marion Maréchal continue d’appuyer sur les fondamentaux : « Je veux que chacun d’entre vous en ait conscience : il y a désormais deux peuples sur notre terre, deux France « face à face », deux France qui se font face. Deux France qui ne rient plus aux mêmes joies, ne pleurent plus aux mêmes peines, qui ne communient plus dans un même idéal commun » s’exclame-t-elle.

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Droites dispersées

Lors de sa fondation, la promesse de « Reconquête ! » était l’union des droites. Alors cette fois-ci, à l’évocation des formations concurrentes, les coups ont été plutôt mouchetés. Aux frexiteurs et souverainistes, Éric Zemmour et Marion Maréchal ont fait des appels du pied. La formation de droite nationale peut aussi engranger des voix auprès des électeurs de droite n’aimant pas ce président Macron qui, quoiqu’à la tête d’un État en quasi-faillite, se pose en chef de guerre pour l’Ukraine, et aussi en directeur de conscience du continent avec son idée d’européaniser l’IVG ! Le président du parti a pu affirmer : « Gardons tout ce qu’il y a de bon dans l’idée du Frexit, la souveraineté, l’indépendance, la nation, le refus de l’uniformité et de la bureaucratie ». À l’adresse des électeurs LR et RN, ça a été même une effusion de sentiments. « On vous aime », scande le public, en direction des familles dispersées de la droite. La main est tendue, et si ce n’est pas pour cette fois, ça sera pour la prochaine : « Vous ne nous rejoindrez peut-être pas, ou pas tout de suite, mais, dans l’isoloir, je le sais, vous penserez que votre vrai bulletin, c’est celui de Marion ».

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Haut-Commissariat à l’enfumage

Emmanuel Macron l’a bien compris. Les droits des femmes sont menacés par un backlash dans tout l’Occident. Reste pour lui à déterminer qui tient le bâton, exactement.


L’inscription de « la liberté garantie » d’avorter dans la Constitution française a remis dans l’actualité deux rapports datant de 2023, l’un livré par la Fondation Jean-Jaurès associée à l’ONG Équipop, l’autre concocté par le Haut-Commissariat à l’Égalité Homme-Femme. Deux travaux, mais une préoccupation commune, tout entière exprimée d’ailleurs dans l’intitulé du texte de La Fondation et de l’ONG : « Droits des femmes : combattre le backlash »[1].

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La menace masculiniste

Notons au passage que ce pauvre Jean Jaurès aurait probablement préféré l’expression bien française « retour de bâton » plutôt que ce backlash d’importation. Cela dit, le recours à cet anglicisme des Amériques présente l’intérêt de bien situer la démarche dans sa filiation historique. En effet, en 1991 paraissait aux Etats-Unis l’essai féministe militant de Susan Faludi : Backlash : la guerre froide contre les femmes. (Against American Women, précisait l’édition d’origine). La thèse centrale est que, en réponse – ou plus exactement en représailles – à chaque progrès en matière de droits de la femme, la domination masculine s’empresserait de veiller à ce que ces avancées, ces droits nouveaux soient contestés et si possible réduits à néant. Voilà ce qu’est le backlash, le retour de bâton. L’illustration récente de cette entreprise masculiniste, machiste, obscurantiste et, vous l’aurez deviné, fascisante, de rétorsion retenue par les rapports mentionnés est bien évidemment l’abolition du droit à l’avortement dans certains États américains. L’ouvrage de Susan Faludi que nous venons de mentionner désigne très clairement les coupables de ces crimes de régression sociétale: « les mouvements conservateurs ou réactionnaires », tous, comme on sait bien, obsessionnellement hostiles à tout progrès dans ce domaine.

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L’ouvrage date de 1991, nous le disions. En un peu plus de trente ans, les données du problème ne sont certainement pas tout à fait les mêmes, parfaitement superposables et interchangeables. Il s’en faut de beaucoup. Or, la Fondation Jean-Jaurès, Équipop et le Haut-Commissariat à l’Égalité Homme Femme s’en tiennent très fidèlement à ce schéma, à cette approche idéologique. Si coupable il y a, c’est du côté des conservateurs et des réacs qu’il faut aller le traquer. « Le sexisme est très prégnant, s’aggravant même d’une année sur l’autre dans certaines catégories de la population, écrivent la Fondation et l’ONG dans leur rapport en 2023. Chez les jeunes adultes masculins, mais aussi chez les femmes, on observe un retour-aux-valeurs-traditionnelles.« Partout dans le monde, la diplomatie féministe reste impuissante et s’efface sous les poussées de l’extrême droite », renchérit le HCE. Et on lit encore, ceci : « Une partie des hommes se sent fragilisée, parfois en danger, réagit dans l’agressivité et peut trouver une voix d’expression politique dans de nouveaux mouvements virilistes et très masculins comme Reconquête. »
Bien sûr le rapport HCE élargit quelque peu la focale et mentionne le rôle négatif de structures internationales : l’Organisation de coopération islamique qui rassemble cinquante-sept États d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, le Congrès Mondial des Familles, l’ONG Family Watch,  et, pour faire bonne mesure, le Vatican.

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Oui, le Vatican est mis à l’honneur. Mais pas les Frères Musulmans ou tant d’autres organes et organismes d’islamisation infiltrés chez nous. Silence. Très étonnant silence. Inquiétante complaisance.

Démission devant le réel

De même – et c’est bien ce qu’il y a de plus grave dans l’affaire ! – à aucun moment l’évolution sociologique du pays ces dernières décennies n’est prise en compte. Or, il est bien clair que plus on verra accourir de populations nourries d’idéologies religieuses ou autres selon lesquelles la femme est par essence, par nature, inférieure à l’homme, qu’elle doit lui être soumise, demeurer l’otage permanent de ses lois, la dégradation des droits et du statut que ces rapports prétendent dénoncer ne fera que croître et embellir. Ne pas en dire un seul mot ne traduit pas seulement une terrifiante lacune intellectuelle, une violation sidérante de l’esprit de méthode, mais surtout cela constitue à n’en pas douter une forme – qu’on voudra bien feindre de croire inconsciente – de démission devant le réel. En matière de droits humains, de droits des femmes, comme d’ailleurs en mille autres choses, le déni – car il s’agit bien de cela – est toujours – oui, toujours ! – le plus sûr chemin qui conduit à l’échec, à la défaite, à la déroute. Un Jean Jaurès, sortant de sa tombe, revenant ici et prenant la parole ne manquerait assurément pas de clamer que s’il est un retour de bâton à redouter, celui que provoque précisément le déni, l’enfumage est, de tous, le plus violent, le plus dévastateur, le plus délétère qui se puisse imaginer.

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Numéro de février de Causeur

[1] https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/02/Rapport_Backlash.pdf

IVG: À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire

Le 8 mars, avant que l’impayable chanteuse des Rita Mitsouko massacre la Marseillaise et affiche ostensiblement du dédain envers les papouilles présidentielles, Emmanuel Macron a promis l’inscription de l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne… Récit.


Conspué lors du Salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron a sans doute espéré faire remonter sa cote de popularité à l’occasion du match retour qui s’est joué place Vendôme, vendredi 8 mars. Tout avait été finement pensé : notre stratège, qu’on connaît labile, sait aussi se montrer habile. Aussi, il s’était arrangé pour faire coïncider la cérémonie de scellement de l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution avec la Journée internationale des droits des femmes. Le public composé de militantes féministes, de personnalités, d’élus de tous bords comme de spectateurs anonymes prévoyait de partager aux côtés du président « une cérémonie populaire ». On était réuni pour fêter « l’aboutissement du combat collectif » engagé par Simone Veil ; le barde jouait sur du velours. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. », ne manquerez-vous pas de me rappeler ; on n’en disconvient pas. Toutefois il faut bien mesurer que la perspective de remporter enfin quelque succès, même facile, avait de quoi légitimement réjouir notre homme.

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Un discours qui baigne dans l’emphase comme un mauvais churro dans une huile recuite

Ça a débuté comme ça ; avec la diffusion d’un clip retraçant le combat pour l’IVG en France. Puis Gabriel Attal, Éric Dupond-Moretti, Yaël Braun-Pivet, mais aussi Mélanie Vogel et Mathilde Panot ont accompagné Emmanuel Macron en tribune. Ensuite, sans surprise, l’aède, la narine frémissant d’émotion, l’air pénétré et le regard embué, nous a servi la purge dont il a le secret : l’un de ses accablants discours qui baignent dans l’emphase comme un mauvais churros dans une huile recuite. « Le sceau de la République scelle en ce jour un long combat pour la liberté. Un combat fait de larmes, de drames, de destins brisés », a-t-il tout d’abord lancé, prudhommesque. Le troubadour a poursuivi en rendant hommage aux grandes figures de la lutte en faveur de l’IVG. Il a aussi salué « celles et ceux » qui, plus récemment, ont combattu à ses côtés pour faire inscrire dans la Constitution ledit droit qu’on bat maintenant en brèche, c’est bien connu, dans notre pays.  Avec moult anaphores, juxtapositions, cabrioles verbales et autres boursouflures stylistiques, le trouvère ne nous a pas épargné non plus les subtiles allusions littéraires à Simone de Beauvoir ou à Annie Ernaux alors qu’il évoquait les « destins des jeunes filles rangées », ceux « des femmes dans la force de l’âge » sans oublier les « destins aux armoires vides ». Notre rhéteur a enfin exposé son ambition nouvelle : œuvrer pour inscrire le doit à l’IVG à l’échelle européenne : « Je souhaite l’inscription de l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, où plus rien n’est acquis et tout est à défendre. » Notre enragé sectateur du Bien, qui voit toujours très loin quand il s’agit de parler, a ajouté, chimérique : « Au-delà de l’Europe, nous nous battrons pour que ce droit devienne universel et effectif. » Jusque-là, convenons-en, l’escamoteur réalisait le sans-faute espéré. Force est de le constater, une fois de plus, le bougre est définitivement plus à son affaire quand il s’agit de promouvoir le bien et le juste à l’échelle cosmique que quand il est question de défendre les intérêts triviaux des jacques.

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L’hymne national revisité

Le parterre énamouré, envoûté, ne pipait mot ; l’affaire était dans le sac : communion dans la divine parole et union sacrée autour du président. Victoire sans appel pour le bateleur. Sur la fin, pourtant, les cartes ont été rebattues, in extremis. Catherine Ringer des Rita Mitsouko, très assurée face à un Emmanuel Macron béat, s’est lancée dans une Marseillaise qu’elle avait pris sous son bonnet de « revisiter » à la sauce inclusive. « Aux armes citoyens, citoyennes, marchons, chantons cette loi pure dans la Constitution. »  La chanteuse, plongeant l’auditoire dans la perplexité, s’affranchissait ainsi des mots du refrain de l’hymne national, à défaut de s’émanciper du patriarcat. Le président a semblé goûter ces libertés prises par rapport aux paroles de Rouget de Lisle. Quant au public, il a dû se demander si c’était du lard ou du cochon. Sur X, on a commenté largement. Les hommes politiques de gauche ont salué « l’audacieuse démarche artistique ». « Magnifique interprétation de La Marseillaise par Catherine Ringer. Le combat continue pour les droits de toutes les femmes dans le monde » a écrit le sénateur communiste Ian Brossat. Gabriel Attal a repris « Aux armes citoyens, citoyennes » en préambule à une publication dans laquelle il évoquait la cérémonie.

Ringer la joue comme Mbappé

Si à droite on a été plus critique sur une performance qui adultérait indéniablement l’hymne national, on a été également consterné par la désinvolture qu’affichait de surcroît la chanteuse vis-à-vis du chef de l’État. En mode Mbappé, en effet, Catherine Ringer n’a pas hésité à se soustraire au baisemain dont voulait la gratifier Emmanuel Macron afin de la remercier pour la prestation. Décidément, face aux papouilles présidentielles, c’est courage fuyons. Cette séquence, de quelques secondes seulement, a été très partagée sur les réseaux sociaux. Là où certains se sont contentés, magnanimes, de sourire du « râteau » pris par le chef de l’État, la chanteuse Princess Erika a pointé, avec une élégance qui rend femmage à la gent féminine, la leçon donnée à « ceux et celles qui instrumentalisent les femmes de courage et se servent de cette journée pour chouiner ou lécher (…) » Contacté par BFMTV, l’Élysée assure ne pas avoir été mis au courant de cette réinterprétation de La Marseillaise par Catherine Ringer. « C’est une artiste talentueuse. C’était élégant et adapté au moment », indique-t-on, au Palais. « Elle l’a fait en liberté » a ensuite commenté Emmanuel Macron, tout sourire devant la presse.

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Le tour de chant continue avec Olivia Grégoire

Voilà la fête du slip lancée et la Macronie en roue libre. Une fois l’exemple donné, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation s’est à son tour lâchée, lors d’une allocution à Matignon, toujours en ce 8 mars. Aux côtés d’un Gabriel Attal passablement crispé, désinhibée, elle a repris la chanson « La Grenade » de Clara Luciani puis a publié sur son compte X la vidéo de sa prestation, sans omettre d’y ajouter une petite touche personnelle : « Sous vos seins la grenade. Sous vos seins, énormément d’entreprises. Soyez fières. » Karl Olive, sur X encore, a lui aussi partagé une vidéo. On l’y voyait fredonnant quelques paroles de la chanson de Julien Clerc « Femmes, je vous aime. » L’intitulé de sa publication était : « Ma petite contribution en cette Journée des droits des femmes. » On pouvait lire aussi, pour introduire la séquence vidéo et certainement en référence à toutes les péripéties musicales du jour : « l’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne ! Même chez les députés ! » Pour le triomphe du président, on repassera, mais on s’est quand même bien amusé.

Samuel Beckett a dit : « Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter. » C’est bien ce qu’on va faire aussi.

Guerre russo-ukrainienne: comment en est-on arrivé là?

 Nos députés votent mardi sur l’accord de sécurité entre Paris et Kiev. Il ne suffit pas de dire, comme Bernard Guetta, « Poutine est stupide ».


La Russie n’aurait pas dû envahir l’Ukraine, la cause est entendue. Mais comment en est-on arrivé là ? De nombreux diplomates et d’anciens ministres considèrent que les pays occidentaux, les États-Unis en premier lieu, ont joué, durant ces trois dernières décennies, une partition géopolitique navrante vis-à-vis des dirigeants et du peuple russes qui se sont sentis humiliés par des États pensant les avoir réduits à faire de la figuration sur la scène internationale après la chute de l’empire soviétique. On l’a oublié mais, aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, Boris Eltsine (en 1994) puis Vladimir Poutine (en 2000) évoquèrent avec le président américain Bill Clinton la possibilité d’une adhésion de la Russie à l’OTAN. Tergiversations, barrage des pays de l’ex-bloc soviétique eux-mêmes demandeurs de la protection américaine et craignant un impérialisme new-look de la Russie, soupçons des pays de l’Europe de l’Ouest – selon l’historien britannique d’origine russe Sergey Radchenko, « en étant trop réaliste et pas assez idéaliste à un moment où il aurait pu faire une différence, Bill Clinton a peut-être contribué à faire de la résurgence impérialiste de la Russie une prophétie autoréalisatrice ».

L’Europe s’américanise d’un côté et s’islamise de l’autre

Nous sommes en 2021. Seize ans après un nouvel agrandissement de la zone d’influence américaine en Europe de l’Est (entrée dans l’OTAN de la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Roumanie), se souvenant que les Américains avaient déjà proposé en 2008 l’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN et que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s’étaient opposés à cette idée en promettant toutefois d’y revenir plus tard, Vladimir Poutine s’enquiert auprès des diplomaties occidentales sur la relance d’un projet d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN, ce qui serait pour lui un casus belli. Sur France Culture, lors de l’émission Répliques du 2 mars, Pierre Lellouche, ex-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, a rappelé comment la Russie avait officiellement demandé à la mi-décembre 2021 que soit entérinée, en échange du maintien de la souveraineté ukrainienne et de l’ouverture de négociations pour sortir de la crise du Donbass, la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Américains et Européens décident alors d’humilier les Russes en ignorant purement et simplement leur requête, en n’y répondant pas et en laissant planer le doute. Hubert Védrine parlera d’une « provocation dangereuse ». Le 24 février 2022, les troupes russes pénètrent en Ukraine. Un mois après le début des hostilités, alors que Volodomyr Zelensky se dit prêt à négocier directement avec Vladimir Poutine, le petit télégraphiste de Washington, Boris Johnson, se rend à Kiev pour demander au président ukrainien de ne rien négocier du tout, l’assurant du soutien inconditionnel, en armes et en argent, des Américains et des Britanniques. Dès le début, les Américains voient dans ce conflit un moyen radical pour séparer l’Europe occidentale, surtout l’Allemagne, de la Russie. Tous les moyens sont bons. Y compris le sabotage des gazoducs Nord Stream – le 6 février 2022, Joe Biden, lors d’une conférence de presse avec Olaf Scholz, avait prévenu : « Si la Russie envahit l’Ukraine, Nord Stream 2 n’existera plus. Nous y mettrons fin. » À la question : « Comment ferez-vous ? », Biden avait répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. » Les Américains ont encouragé les Ukrainiens à poursuivre une guerre qu’ils savaient perdue d’avance. En même temps qu’ils espèrent affaiblir militairement la Russie, ils comptent ébranler l’Allemagne et ses prétentions d’extension économique : la charge financière que représente l’achat du gaz américain, quatre fois plus cher que le gaz russe, est en train d’étouffer l’industrie allemande. Au passage, ils vendent leurs avions et hélicoptères militaires aux Allemands et aux Polonais qui chantent l’Europe de la Défense mais achètent américain. La Finlande, à peine entrée dans l’OTAN, débloque 1,7 milliard d’euros pour l’achat de matériel militaire… américain. L’Europe, qui ne sait plus où elle habite, qui s’américanise d’un côté et s’islamise de l’autre, qui achève son agriculture après avoir bradé son industrie, est anéantie par une organisation corrompue dirigée par une Allemagne vassale des États-Unis, l’impératrice Ursula et ses sbires fédéralistes et atlantistes. Les États-Unis, à la recherche de nouveaux marchés et d’un raffermissement stratégique et géopolitique dans la partie la plus orientale de l’Europe, ne voient pas d’un si mauvais œil la continuation du conflit russo-ukrainien. En même temps, ils anticipent l’inévitable après-guerre en envoyant des représentants en Ukraine afin de discuter d’ores et déjà de la reconstruction de ce pays ruiné et de garantir aux entreprises américaines une place de choix lors des futurs appels d’offres dans le cadre de cette reconstruction qui sera essentiellement financée par… l’Union Européenne. Business is business

Macron consterne les chancelleries occidentales

Le 25 février dernier, le New York Times a révélé le financement américain, dès 2014, de 12 bases militaires ukrainiennes de renseignement établies tout le long de la frontière russe. Investissement juteux : en 2015, le chef du renseignement militaire ukrainien livre à la CIA des informations importantes sur les sous-marins nucléaires russes. Malgré les réticences des Américains, les services secrets ukrainiens assassinent des leaders russes ou séparatistes. 2014, c’est aussi l’année du coup d’État de Maïdan à Kiev soutenu (fomenté ?) par les Américains afin de chasser un gouvernement considéré comme trop pro-russe. Soulignons encore que ces bases sont installées au moment où les accords de Minsk (Minsk I en septembre 2014 puis Minsk II en février 2015), supervisés par la France et l’Allemagne, sont signés entre l’Ukraine et la Russie afin de tenter de résoudre le conflit entre Kiev et les séparatistes pro-russes du Donbass. Ces accords ne seront jamais véritablement appliqués. L’Ukraine ne respectera pas le point prévoyant une réforme constitutionnelle pour introduire un nouveau statut d’autonomie des deux Républiques séparatistes. Les élections qui devaient avoir lieu sont annulées, les russophones du Donbass sont régulièrement humiliés par le gouvernement ukrainien, des troupes miliciennes ukrainiennes font régner leur loi. « Porochenko d’abord, puis Zelensky ont accepté les principes de l’accord mais ne l’ont finalement jamais appliqué », affirmera l’ancien ambassadeur de France à Moscou, Jean de Gliniasty. Mais ces accords avaient-ils réellement pour objectif de régler les différends entre Kiev et Moscou ? L’ex-chancelière allemande, Angela Merkel, vend la mèche dans un entretien donné à Der Spiegel le 24 novembre 2022 : « Les accords de Minsk ont servi à donner du temps à lUkraine. […] Il était évident pour nous tous que le conflit allait être gelé, que le problème n’était pas réglé, mais cela a justement donné un temps précieux à l’Ukraine. » François Hollande confirmera les propos de l’ex-chancelière. Aveuglé par les nombreux discours officiels d’Angela Merkel insistant sur le fait que la levée des sanctions contre la Russie était conditionnée à la mise en œuvre des accords de Minsk, Vladimir Poutine n’a visiblement pas vu le coup venir ; celui-ci est d’autant plus rude que les relations entre l’ex-chancelière allemande et le président russe avaient toujours été excellentes et ont profité aux deux pays, en particulier à l’Allemagne – le gaz russe, abondant et peu cher, a longtemps fait le bonheur des industriels et des ménages allemands.

Soutien à l’Ukraine : un débat vicié

Dirigé par un histrion incompétent et égocentrique, la France est en train de s’échouer sur les rives arides de la politique étrangère et des relations internationales. Au pays de Talleyrand, la nomination de Stéphane Séjourné au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères serait du plus haut comique si elle n’était pas le reflet du délabrement total de l’État français. Au milieu du désastre, Narcisse 1er gonfle son petit torse et convoque les dieux de la guerre qui rient de voir ce nain se prendre à la fois pour Jupiter et Mars. Les chancelleries occidentales sont consternées et commencent à se demander si le tourbillonnant président français a toute sa raison. Par pur réflexe, le président russe rappelle qu’il possède l’arme atomique – en réalité, la tarasconnade de notre divin ridicule a dû amuser Poutine, l’homme aux douze cancers guéris par les plantes. En revanche, l’ex-KGBiste et président actuel d’un pays où la propagande politique est considérée depuis plus d’un siècle comme un art à part entière, a certainement apprécié à sa juste valeur la puissance de la propagande occidentale après l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny : devenu une icône intouchable, Navalny a miraculeusement échappé aux investigations des journalistes occidentaux qui auraient pu rappeler le passé plus que douteux de cet ultra-nationaliste réputé pour son racisme, pour sa xénophobie, pour un clip dans lequel il préconisait la « déportation » des migrants et pour une vidéo dans laquelle il expliquait, gestes à l’appui, comment exterminer les mouches, les cafards et les… musulmans tchétchènes. Si le monde occidental s’est prosterné devant la dépouille de Navalny, il n’en a rien été à Kiev – et pour cause : les Ukrainiens ont souvenir de quelques déclarations de Navalny qui leur restent en travers de la gorge, en particulier celles sur un « monde russe » plus large que la Russie et une politique étrangère russe devant par conséquent viser« au maximum l’intégration avec l’Ukraine et la Biélorussie ». Les Occidentaux accusent Vladimir Poutine d’avoir harcelé Alexei Navalny jusqu’à le faire mourir mais se soucient assez peu du sort de Julian Assange. Poursuivi par les l’États-Unis, isolé dans une prison de haute sécurité au Royaume-Uni, très affaibli physiquement et psychologiquement, le lanceur d’alerte australien est dans l’attente d’une possible extradition vers un pays qui l’a d’ores et déjà condamné à 175 ans d’emprisonnement pour avoir révélé les exactions des services secrets et militaires américains. Curieusement (ou pas), les médias occidentaux s’épanchent depuis des années sur le cas de Navalny mais restent relativement discrets sur celui d’Assange.  

Dans un entretien récent donné au Figaro, Jean-Pierre Chevènement souligne l’incohérence politique et l’amateurisme géopolitique d’Emmanuel Macron. « Les intérêts vitaux de la France ne se situent pas en Ukraine », rappelle-t-il. L’ancien ministre de la Défense souhaite, au sujet de l’engagement de la France dans le conflit russo-ukrainien comme au sujet d’une « européanisation de la dissuasion nucléaire », un débat au parlement, débat qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps s’il existait une véritable opposition parlementaire pour le réclamer. Ce débat sur l’engagement de la France en Ukraine doit enfin se tenir à l’Assemblée puis au Sénat cette semaine. À trois mois des élections européennes, le vote parlementaire qui suivra ce débat est un piège grossier reposant sur un simplisme manichéen et strictement politicien, au plus mauvais sens du terme : soit vous votez pour le plan de soutien de la France à l’Ukraine – et alors, bravo, vous êtes dans le camp du Bien – soit vous votez contre – et alors, rien à faire, quels que soient vos arguments, vous devenez un suppôt de Poutine, un traître, un espion à la solde du régime russe, un anti-démocrate en puissance. Une grosse claque électorale étant annoncée, la stratégie macronienne pour les élections européennes se résume à « faire barrage au RN » et, conjointement, à pousser sur le devant de la scène le conflit en Ukraine afin d’escamoter les sujets primordiaux que sont l’immigration, la sécurité, l’énergie, l’agriculture, le rôle de la Commission, du Parlement européen, l’avenir des traités, etc. Les électeurs seront-ils dupes ?

Sur France Culture, face à un Bernard Guetta hoquetant une argumentation chétive sur l’air de « Poutine est stupide »,  Emmanuel Todd a affirmé que « de fait, les Russes ont gagné la guerre ». Le mieux que la France puisse faire, a déclaré de son côté Pierre Lellouche, est de tenter de prendre part aux prochaines négociations qui ne manqueront pas d’avoir lieu lorsqu’il apparaîtra que l’Ukraine, économiquement, démographiquement et militairement exsangue, ne peut tout simplement pas gagner cette guerre. Négociations qui s’avéreront difficiles, qui ne devront humilier aucune des parties, qui demanderont par conséquent beaucoup de doigté diplomatique ainsi qu’une parfaite connaissance de l’histoire intriquée des pays belligérants et des enjeux géopolitiques de toute la région. Autant dire que la France, si elle est représentée par Narcisse 1er et M. Séjourné à ce moment-là, fera tapisserie.

La Bulgarie, un État toujours gangréné par la corruption

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41% des Bulgares ont déclaré avoir eu recours à des pratiques corruptives pour accéder facilement aux services publics en 2019. Et, alors que le pays rentre (partiellement) ce mois-ci dans l’espace Schengen, les migrants qui transitent par ce pays y restent les otages de réseaux avec lesquels la justice est bien complaisante.


Les élections européennes sont propices à la formulation de nombreuses critiques sur le fonctionnement de l’Union européenne, souvent perçue comme technocratique et éloignée des réalités quotidiennes des citoyens. Ce procès est peut-être un peu hâtif lorsque l’on s’intéresse de plus près aux États qui la composent et qui l’ont librement rejointe, notamment lors des différents élargissements aux pays ex-communistes entre 2004 et 2007. S’il y avait un devoir presque historique d’accepter les « pays d’Europe centrale et orientale » dans la famille européenne, certains États éprouvaient des difficultés et peinent encore à se conformer aux normes politiques, juridiques, économiques et sociales en usage au sein de l’UE. La Bulgarie est l’un de ces pays.

La Bulgarie a officiellement rejoint l’UE le 1er janvier 2007 en vertu du Traité de Luxembourg, en même temps que la Roumanie. Ces deux pays étaient alors parmi les plus pauvres du continent, mais les institutions européennes et les Etats-membres ont considéré que les progrès réalisés depuis le début des négociations justifiaient l’adhésion. Toutefois, ni Bucarest, ni Sofia ne faisaient partie de l’espace Schengen. Les deux États font une entrée — partielle — dans cette espace en mars 2024, malgré la réticence de plusieurs capitales qui estiment qu’ils ne remplissent pas suffisamment les critères, et pointent notamment, dans le cas de la Bulgarie, la corruption généralisée, à tous les niveaux, qui sévit dans ce pays.

Alerte sur la corruption dans les flux migratoires

Il convient de rappeler que selon l’ONG Transparency International, la référence mondiale de mesure de la corruption, la Bulgarie est, avec la Hongrie, le pays le plus corrompu de l’Union européenne, occupant la 67e place sur 180 pays étudiés en 2023. En 2019, 41% des Bulgares ont déclaré avoir eu recours à des pratiques corruptives pour accéder facilement aux services publics… Parmi de nombreux secteurs où se pratique cette corruption, deux sont emblématiques : la politique migratoire et l’usage de la justice à des fins politiques.

Le cas de la gestion des migrants, provenant essentiellement du Moyen-Orient utilisant la route transitant par la Turquie, illustre ce niveau de corruption. Les migrants sont otages de réseaux mafieux qui agissent en quasi-impunité, tant la police et la justice sont clémentes à leur égard, voire complices. Ces réseaux, parfois liés à certains milieux politiques, sont coupables de trafic de migrants, depuis le passage des frontières jusqu’à l’installation des réfugiés ou encore des pots-de-vin versés à la police pour faciliter le transit vers l’Europe occidentale. Alors que l’UE traverse régulièrement des crises migratoires, les administrations bulgares impliquées bénéficient financièrement de la situation. Il n’est pas sûr que l’entrée partielle dans l’espace Schengen améliore cette situation.

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Autre fait grave au regard du respect de l’État de droit (et donc de l’adhésion aux valeurs et aux normes européennes), l’instrumentalisation de la justice par les élites au pouvoir pour gêner l’opposition politique qui dénonce la corruption de l’État. Cette pratique est digne des manies propres aux pays autoritaires où les dirigeants ne souhaitent en aucun cas quitter le pouvoir. Et tous les moyens sont bons. Ainsi, une fintech internationale implantée en Bulgarie, Nexo, a été victime d’un harcèlement judiciaire injustifié pour une raison officieuse peu avouable : les dirigeants de cette société auraient été proches de l’opposition au pouvoir. C’est suffisant pour que la justice bulgare, par le biais de l’ancien procureur général Ivan Geshev, perquisitionne en janvier 2023 les bureaux locaux de Nexo avec une accusation toute trouvée pour cibler un acteur du secteur des cryptomonnaies : le blanchiment d’argent. « Dans le modèle bulgare, hérité de celui soviétique, le procureur général est l’institution qui concentre le plus de pouvoirs. Il est au sommet d’une pyramide, intouchable, et ne rend de comptes à personne. Il décide qui doit être poursuivi et qui ne l’est pas. Et au lieu de protéger les gens des bandits, notre procureur général fait tout le contraire : il protège ses amis comme un parapluie et frappe ses ennemis comme une batte de base-ball », expliquait au Monde, en 2020, Lozan Panov, alors président de la Cour de cassation bulgare et ennemi juré de Ivan Geshev.  

L’affaire, très médiatisée, a fait l’objet d’une bataille judiciaire qui s’est achevée par la clôture du dossier faute de preuve, et Nexo demande maintenant des dommages et intérêts conséquents à l’État bulgare (3 milliards de $) auprès d’une cour d’arbitrage internationale, leur réputation ternie ayant empêché une introduction en bourse. Il convient de préciser que M. Geshev était une personnalité extrêmement controversée, impliquée dans d’autres scandales judiciaires. Il a finalement été renvoyé, mais son successeur par intérim Borislav Sarafov, fait l’objet de critiques notables, ce qui illustre les difficultés de réformer la justice dans un tel contexte de corruption. Dans un contexte de marché unique européen et d’une inclusion de la Bulgarie à l’espace Schengen, cette corruption endémique peut constituer un risque réel pour les citoyens européens.

Des répercussions notables sur les populations européennes

Il ne faut en effet pas croire que les citoyens européens ne sont pas concernés. Outre les effets que le trafic de migrants peut avoir sur les sociétés européennes, il en va aussi de la cohérence du projet européen : laissons-nous agir sans réel contrôle les institutions d’un pays qui ne respecte pas les règles que d’autres s’imposent — à raison ? De même, est-il normal que des fonds de l’UE (financés par les citoyens européens) aient été détournés par une partie de l’administration et de la classe politique bulgare, au détriment de la population ?

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Certes, la Bulgarie est une démocratie encore jeune, où le passé communiste a laissé des pesanteurs dans le fonctionnement de l’État. Mais c’est le cas d’autres pays à l’Histoire similaire. Il est malheureusement très complexe de lutter efficacement contre l’enracinement profond de ces pratiques condamnables, et même criminelles, au sein d’une oligarchie politique, administrative et judiciaire qui tient à conserver ses privilèges.

Toutefois, l’espoir est permis. Le Premier ministre Nikolaï Denkov, entré en fonction en juin 2023, s’est fait élire sur un programme pro-européen, pro-OTAN et surtout insistant sur la lutte contre le fléau de la corruption. Le départ du procureur général Geshev n’a pas tardé. Il existe une vraie attente de la société bulgare pour le changement, tant elle est lasse des pratiques qu’elle subit sans avoir de réels recours. Il est du devoir des institutions européennes, mais aussi des autres États, de soutenir M. Denkov pour enfin débarrasser la Bulgarie des pratiques qui n’ont rien à faire dans l’Europe du XXIe siècle. L’avenir dira s’il arrive à aligner le pays sur les standards européens.

Effet de serre

Art lyrique. L’Ange exterminateur, œuvre opératique inspirée de Luis Buñuel, à voir en ce moment à l’Opéra Bastille.


En 1962, Luis Buñuel réalise El Angel exterminador (L’Ange exterminateur), chef-d’œuvre entre les chefs-d’œuvre du maître aragonais, joyau absolu de sa longue et féconde période mexicaine (cf. Los Olvidados, La Vie criminelle d’Archibald de La Cruz)…

Au sortir d’une soirée à l’opéra, près d’une vingtaine de grands bourgeois très policés – un colonel, une cantatrice, un chef d’orchestre, un homme de lettres, un franc-maçon, un médecin, une pianiste… – se retrouvent pour un raout dans une splendide maison de ville, à l’invitation du marquis Edmundo de Nobile et de son épouse, Lucia. Alors que, mystérieusement, à l’exception du majordome, les domestiques ont filé à l’anglaise, un sortilège empêche les invités de quitter les lieux. Peu à peu, on tombe la veste, on se déboutonne, on se lâche. La fatigue, la maladie, la faim, la soif finissent par tenailler la petite assemblée : les bonnes manières du grand monde le cèdent aux instincts les plus primaires…

Huis-clos lyrique sans entracte

C’est ce film en noir et blanc proprement génial dont le compositeur britannique Thomas Adès, chef d’orchestre, pianiste et figure incontournable de la création musicale contemporaine (cf. l’opéra The Tempest, d’après Shakespeare, au Royal Opera House de Londres, ou encore la partition du ballet de Wane McGregor The Dante Project, qu’il dirigeait en mai dernier au Palais Garnier) méditait de longue date la transposition lyrique. Sur un magnifique livret co-écrit avec l’Irlandais Tom Cairns, également metteur en scène, The Exterminating Angel, créé en 2016 dans le cadre du Festival de Salzbourg, nous arrive à Paris dans une régie de l’Espagnol Calixto Bieto dont, hasard du calendrier, la salle de la Bastille accueille, dès cette semaine (première ce mardi 12 mars), la reprise du mélodrame verdien Simon Bocanegra dans une mise en scène millésimée 2018, tout aussi réussie, dans le souvenir qu’en garde votre serviteur. Qui y reviendra, bien sûr, dans les tout prochains jours, sur votre site Causeur bien-aimé.  

En attendant, il est encore temps de se précipiter à l’une des dernières représentations de cet Ange exterminateur anglo-saxon, huis-clos lyrique sans entracte qui, deux heures durant, vous prend littéralement aux tripes. Ceint dans l’étau d’un salon lambrissé d’un blanc immaculé que meuble, autour de la table de réception, une théorie de chaises tapissées de rouge vif, le chromatisme incandescent d’une verrière Belle Epoque ouvre son rectangle aux vitres jointées de noir dans la perspective d’un très haut plafond. Solennellement y entrent, par une double croisée en fond de scène, outre le majordome et les domestiques, lesquels quant à eux ne tarderont pas à s’éclipser, la douzaine de commensaux sur leur trente-et-un (frac et robes longues de rigueur) accueillis, en l’honneur de la cantatrice Leticia Maymar (la soprano Gloria Tronel) qui vient tout juste de triompher dans Lucia de Lammermoor, par l’adipeux amphitryon Nobile (campé par l’excellent ténor écossais Nicky Spence) et sa femme (la brune Jacquelyn Stucker, splendide soprano, fulgurante dans les aigus stratosphériques qu’exige le rôle) : pas plus indemnes que les murs bientôt fracassés à la hache, maculés de sang, canalisations percées, où leur confinement s’abîmera jusqu’à la perdition : inceste, viol, mutilations, sacrifice rituel, cadavres abandonnés au sol… De ce piège, ils ne sortiront pas : dénudation, au propre comme au figuré, dont le colonel Alvaro Gomez, sous les traits attrayants du duveteux, viril et charpenté baryton américain Jarrett Ott, sera l’incarnation sacrificielle.

Corrosif

Enjambant la défunte table-rase du sérialisme comme l’obsolescence inévitable de la musique électronique, la partition de Thomas Adès revendique un syncrétisme luxuriant qui prend appui sur quatre siècles de tradition lyrique occidentale, dans un alliage dépassant le poncif tonalité versus atonalité, sans craindre d’incorporer au tissu chatoyant de ses harmonies chromatiques, tout aussi bien un solo de guitare, que des ponctuations percussives ou des arias raccourcis à l’extrême, ou même encore une voix de contre-ténor (montré de surcroît avec causticité comme gay – Anthony Roth Costanzo parfait dans le rôle). Sans compter, outre les sirènes de ces ondes Martenot censées timbrer la puissance exterminatrice, ces relents de valses viennoises ou ces citations tout droit échappées de l’esthétique post-romantique… Invisibles, les chœurs inondent par instants la vastitude de la salle, le plus beau moment musical étant réservé, à mon sens, à ce duo du troisième acte où s’unissent les voix de Beatriz et d’Eduardo (la soprano Amina Edris et le ténor Filipe Manu) sur un texte qui puise dans les poèmes de Buñuel himself : « Roule ton corps dans le mien, / Cache toi dans sa main. / Dépecé, tu m’as révélé des muscles de bois, / De tes veines je ferai des forêts de luxure./ Quel désir, quel soif de mers brisées, / Changées en nickel,/ Naîtront, oiseaux de nos bouches accouplées, / Quand la mort entrera par nos pieds ».

THE EXTERMINATING ANGEL © Agathe Poupeney / OnP – 26/02/2024 – Opéra Bastille – Opéra national de Paris – Paris

Pleinement fidèle à l’esprit du film El Angel exterminador, le spectacle n’en respecte pas la lettre et c’est tant mieux. La volée de cloches qui ouvre et referme ce drame tellement insolite, ou encore la présence liminaire du jeune enfant porteur de ballons gonflables en forme de moutons, entrant en scène en bêlant tel un ovidé, renvoient subtilement à ce hors champ cinématographique qui faisait, chez Buñuel, s’égayer dans la ville un troupeau de brebis, tandis que les hôtes hagards, miraculeusement libérés de leur envoûtement, se confiaient aux pompes et aux ors de l’église toute proche, dans un dénouement corrosif à souhait…


The Exterminating Angel. Opéra en trois actes de Thomas Adès. Livret Tom Cairns et Thomas Adès.  

Avec: Jacquelyn Strucker, Gloria Tronel, Hilary Summers, Claudia Boyle, Christine Rice, Ilanah Lobel-Torres, Nicky Spence, Frédéric Antoun, Jarrett Ott, Anthony Roth Costanzo, Filipe Manu, Philippe Sly, Paul Gay, Clive Bayley, Thomas Faulkner, Julien Henric, Nicholas Jones, Andres Cascante, Bethany Horak-Hallett, Régis Mengus, Arthur Harmonic…
Direction : Thomas Adès. Mise en scène : Calixto Bieito. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  
Livret en anglais (surtitré anglais et français). Durée : 2h.
Opéra Bastille, les 13 et 23 mars à 20h. Le 17 mars à 14h30.
Diffusion à partir du 22 mars sur Medici.tv. Le 20 avril sur France-Musique.

DVD, édition Met Opera de New-York/ Erato, dans la première mise en scène, signée Tom Cairns.

La déroute de la pensée unique est programmée

L’assaut mené contre CNews par Reporters sans frontières illustre la défaite de la presse moralisatrice : elle demande au gouvernement et aux juges de faire taire un média coupable de décrire le réel. Cette machination a aussi révélé le militantisme du Conseil d’État et sa proximité avec la gauche intolérante.


Un monde finissant s’accroche à ses fauteuils. La déroute des puissants est programmée, tant leurs lubies sur la « société ouverte » se révèlent désastreuses. Leur idéal déraciné, qui sévit depuis un demi-siècle, est à bout de souffle. La colère paysanne, ce « soulèvement du peuple de la terre » (Robert Redeker), en est le symbole. Le système ne tient plus que parla rage des faillis. Pour ces vendeurs de nuages, seule compte leur survie. Or un peuple mal guidé n’a d’autre issue que de chasser ses maltraitants. Les Français ont atteint, pour une partie d’entre eux, ce stade ultime de l’exaspération. Les derniers feux, lancés par la caste assiégée, expriment la panique du gouvernement. Il ne sait plus convaincre autrement que par la propagande et le bâillon. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu ici [1] : la pente liberticide de l’État le rapproche des régimes illibéraux, voire totalitaires. C’est au nom d’une défense orwellienne de la démocratie et de la liberté qu’une coalition de politiques, de juges et de journalistes, issus de la gauche et de l’extrême gauche, cherche à imposer un discours diversitaire obligé. Même la mémoire de Missak Manouchian, l’étranger devenu résistant communiste, est réquisitionnée à cette fin. Seule, croient-ils, une obéissance décrétée pourrait conforter leur pensée unique, qui ne produit que slogans, interdits, excommunications. Cependant, ces adeptes du confinement des esprits ont des pétoires à bouchon à la place du cerveau. Oui, leur sort est de disparaître. Le plus tôt serait le mieux.

Défaite de la presse moralisatrice

L’histoire s’accélère. L’ancien régime agonisant promet des soubresauts féroces. Incapables de se réconcilier avec les citoyens ordinaires, les sursitaires ont choisi de les faire taire. Les lanceurs d’alerte et les médias indépendants sont dans le collimateur de l’État censeur et de ses rabatteurs à cartes de presse. L’assaut contre CNews, mené par Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) et responsable des états généraux de l’information, voulus par Emmanuel Macron, illustre la défaite de la presse moralisatrice : elle exige du gouvernement et des juges qu’ils imposent le silence à un média coupable de décrire le réel et ses insécurités, ce qui explique son succès. En l’occurrence, la machination contre la chaîne de Vincent Bolloré a révélé le militantisme du Conseil d’État et sa proximité avec la gauche intolérante. C’est en France, et non en Russie, qu’une télévision privée voit sa ligne éditoriale, mais aussi ses chroniqueurs, ses animateurs et ses invités, menacés d’être mis sous surveillance, avec les applaudissements de la presse « progressiste » et le silence approbateur des Sociétés de rédacteurs, y compris du Figaro. En 1882, Nietzsche écrivait : « Encore un siècle de journalisme et les mots pueront. »La puanteur est partout. Depuis le 15 février, une disposition anti-Raoult introduite par le gouvernement dans la loi antisecte permet même de sanctionner toute contestation du discours sanitaire de l’État-Mamma, en dépit de ses mensonges sur l’efficacité des vaccins anti-Covid. Urgent d’ouvrir les fenêtres.

Les jours des squatteurs de la démocratie sont comptés. Aucune réconciliation n’est plus possible entre « les responsables du sommet et ce que vit la base », en dépit de ce que veut croire François Bayrou qui alerte sur le divorce. Il est trop tard. Le coup d’État judiciaire contre une télévision trop libre, putsch impensé et voué à l’échec, a été rendu possible par l’emprise de la bêtise au front de taureau : elle règne sur un monde infatué, réfugié dans l’autocongratulation. La Macronie est coresponsable de ce naufrage. Elle a encouragé les épurations des dissidents, jetés dans le petit goulag de l’« extrême droite ». Le service public de l’audiovisuel, fermé au pluralisme, a laissé voir l’imposture des places fortes agitant leur humanisme. Vues de près, ces citadelles de la gauche-bernique puent le renfermé. Le mince rapport (14 pages) du sémiologue François Jost, qui a servi d’argumentaire au Conseil d’État contre CNews, est stupéfiant de médiocrité bâclée. Le camp du Bien ne pense plus. Il ânonne. Ses beaux merles affichent une prétention comique, dont le journaliste-prêcheur Thomas Legrand pourrait être le symbole. Quand Romain Desarbres (Europe 1) demande au macroniste Éric Woerth, le 13 février, son avis sur la suppression du droit du sol à toute la France plutôt qu’à Mayotte, il se voit répondre : « On n’y a pas assez réfléchi. »L’aveu dit l’hébétude d’une classe politique décérébrée face à l’enjeu migratoire.

La France veut un président enraciné

Tout est faux dans le discours officiel. La confusion des esprits est la norme. L’ex-Premier ministre Édouard Philippe fait un bon diagnostic quand il décrit le profil idéal du futur occupant de l’Élysée : « Enraciné, grave, qui parle peu mais fait. » (La Tribune Dimanche, 11 février). Or la Macronie, déracinée, bavarde et aboulique, est le modèle opposé. À peine avait-elle succédé à Gabriel Attal à l’Éducation que Nicole Belloubet écartait son projet de classes de niveau. Les agriculteurs demandent moins d’Europe technocratique et moins de jacobinisme : Macron, feignant lâcher du lest, leur en remet davantage en les classant, au passage, « métiers en tension »ouverts aux clandestins. Le 7 février aux Invalides, dans son hommage aux 42 victimes françaises du Hamas, le chef de l’État n’a pas même osé prononcer,ne serait-ce qu’une fois, les mots « islamisme » ni « Israël » dans sa dénonciation du terrorisme et de l’antisémitisme.L’État sait être brutal quand il s’agit de se faire obéir des silencieux.Mais seule la lâcheté pousse Macron à taire la responsabilité de l’islam djihadiste, qui prospère en France, dans le pogrom antijuif du 7 octobre lancé de Gaza. La mollesse de ses dirigeants met le pays en danger.

L’avenir est aux élites à la pensée claire et aux yeux ouverts. Lorsque la maire (divers droite) de Romans-sur-Isère (Drôme), Marie-Hélène Thoraval, met des mots simples sur des évidences, elle aide à l’effondrement des faux-semblants. Elle participe à la révolution du Réel. À ceux qui veulent censurer CNews, l’élue répond (Europe 1, 16 février) : « Laissez-nous choisir ! » On ne saurait mieux dire.


[1] Voir, notamment, les chroniques de mars et octobre 2023.

Philippe Muray ou le rire libérateur du moraliste

Vous n’avez pas lu une ligne du génial Philippe Muray? Mais qui est ce grand écrivain que Causeur présente comme sa figure tutélaire, à la fin, vous demandez-vous? Muray pour les nuls, par Jacques Aboucaya…


S’il n’était pas mort prématurément en mars 2006, la soixantaine juste atteinte, Philippe Muray eût fait son miel de notre époque récente dont il pointait déjà la décadence.
Celle-ci s’accélère et il n’est pas douteux qu’elle eût alimenté la verve de ce philosophe moraliste, essayiste, diariste et romancier, pamphlétaire redoutable,  qui a laissé une œuvre copieuse et originale.

Le père de l’Homo festivus

Qui était Philippe Muray ? Tous ses écrits en témoignent : un bretteur impitoyable et sarcastique. Aussi goguenard que provocateur. A rebours des théoriciens verbeux, il s’en prend au tout festif, au tout cultureux. Il se borne à constater, sans jamais prétendre à théoriser. Son Homo festivus, prototype de nos concitoyens lambda, a marqué les esprits. La formule maintes fois utilisée Castigat ridendo mores, il corrige les mœurs par le rire, lui va comme un gant.
C’est que Muray ne se perd pas en abstractions. Il braque sur son époque post-moderne, la nôtre, un projecteur qui en fait ressortir les contradictions. Et d’abord cet esprit de sérieux, lequel, pourtant, s’exprime dans une doxa où la fête se trouve prônée, mais encadrée, définie en fonction de normes précises. Où elle devient une obligation, avec le culte béat du bonheur imposé.
Le ricanement de Muray, pas plus que celui de Céline dont il est, dans une certaine mesure, un héritier, auquel il se réfère souvent, ne reflète jamais le cynisme. Plutôt une manière de tendresse déçue, et désolée, envers ses frères humains, fourvoyés dans l’imposture du Progrès. « C’est une grande infortune, écrit-il dans sa préface à L’Empire du Bien, que de vivre en des temps si abominables. Mais c’est un malheur encore pire que de ne pas tenter, au moins une fois, pour la beauté du geste, de les prendre à la gorge ».

Un proche parent de Céline et de Vialatte

Sa prose, elle aussi, prend à la gorge. Elle s’adresse, avant même de gagner l’empyrée des idées, à nos sensations, à nos émois. Elle aiguillonne, fait toucher du doigt le conformisme béat dans lequel, sans en avoir conscience, nous nous vautrons au quotidien.

A lire aussi, Georges Liébert: Philippe Muray, Pythie sans pitié

Il y a aussi, chez lui, outre Céline, un lien de parenté avec Alexandre Vialatte. Pas seulement parce que les deux donnèrent des chroniques à La Montagne de Clermont-Ferrand, mais pour la cocasserie de leurs observations. L’un et l’autre savent trouver le bon angle de vision pour commenter une actualité dont ils débusquent avec délectation les incohérences. L’Homo festivus, ce « fils naturel de Guy Debord et du web », est le cousin germain de l’Homme de Vialatte (Dernières nouvelles de l’Homme). L’un et l’autre fustigent « les mondialisateurs  professionnels et les frénétiques modernocrates ».

En pleine actualité

Voici que l’auteur des Exorcismes spirituels fait son retour dans l’actualité. Les Belles Lettres qui se sont lancées dans la réédition de son œuvre intégrale, viennent, en effet, de publier son essai Le XIXe siècle à travers les âges, initialement paru chez Gallimard en 1999. Philippe Muray y développe, avec son brio habituel, une thèse infiniment originale : le XIXe siècle, si différent, en apparence, des siècles suivants, portait en germe tout ce qui caractérise notre époque. L’analyse des divers courants qui l’ont traversé démontre qu’ils n’étaient contradictoires qu’en apparence. Ils obéissaient, en réalité, à un code commun que Muray s’attache à décrypter. Etablir une parenté entre le socialisme, l’occultisme, le féminisme, l’antisémitisme et le culte du progrès relève du paradoxe. Ou de la haute voltige – bien que la résurgence actuelle de ces courants dénote une inquiétante proximité. Hugo, Auguste Comte, Blanqui et Zola, mais aussi Balzac, Flaubert, Michelet et Baudelaire sont convoqués, avec leur œuvre respective, pour étayer une constatation qui se révèle, au bout du compte, plus convaincante que tout raisonnement. On y retrouve l’écrivain avec sa vaste culture, son goût des paradoxes (« Le XIXe siècle est devant nous), ses néologismes (la dixneuvièmité, l’Homo dixneuviemis). Sans oublier, bien sûr, le style, inimitable. L’humour omniprésent. Une force de conviction qui use volontiers de la provocation.
Tout aussi attachant, encore que dans un registre assez différent où la confidence trouve sa place, son journal intime dont le titre, énigmatique au premier abord, laisse apparaître la dilection de l’auteur pour le latin ou ce qui lui ressemble. Tiré du dicton traditionnel figurant sur les cadrans solaires, Vulnerant omnes, ultima necat (toutes (les heures) blessent, la dernière tue), il présente, en quelque sorte, la face cachée de l’écrivain. Celui-ci s’y livre sans fard, confiant ses incertitudes, ses enthousiasmes comme ses découragements devant les contraintes matérielles qui viennent entraver la genèse de son roman On ferme.
Ces deux derniers volumes, comme les précédents, abordent les sujets les plus divers. Seule constante, l’observation aiguë de l’époque décadente que nous traversons et le diagnostic sans appel qui en découle. Autant dire que Muray ne mâche pas plus ses mots qu’il ne cherche à séduire ni à convaincre. Cette « brutalité » de la pensée et du propos peut parfois choquer. Elle est le gage de la sincérité de l’écrivain. Et sa marque de fabrique.


Aux éditions Les Belles Lettres :

Essais (L’Empire du Bien, Après l’Histoire I-II, Exorcismes spirituels I-IV.  812 p. avec index.

Essais : L'Empire du Bien, Apres l'Histoire I-II, Exorcismes spirituels I-IV

Price: 34,89 €

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Le XIXe siècle à travers les âges. 656 p.

Le XIXe siècle à travers les âges

Price: 29,00 €

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Ultima necat V (1994-1995), 608 p.

Ultima Necat: Journal intime Tome 5, 1994-1995

Price: 35,00 €

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VI (1996-1997),  400 p.

Ultima Necat: Journal intime Tome 6, 1996-1997

Price: 35,00 €

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«Je ne veux pas la mort de CNews»

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Delphine Ernotte Cunci © Delphine GHOSAROSSIAN/FTV

En 2015, la présidente de France Télévisions promettait plus de « diversité » à l’antenne et moins de « mâles blancs de plus de 50 ans ». C’est fait. Mais Delphine Ernotte Cunci réfute toute orientation idéologique. Elle estime que le service public est équilibré. Et rappelle que la cancel culture n’y a pas sa place – la preuve par J’accuse et Illusions perdues, deux films diffusés récemment.


On ne devrait jamais rencontrer les personnalités dont on parle. Ainsi pourrait-on émettre confortablement des jugements péremptoires qu’aucune réalité concrète ne contrarierait. En me rendant à mon rendez-vous avec Delphine Ernotte, mes préventions étaient déjà un peu entamées. Alors que nos aimables confrères des journaux convenables nous taillent des costards à coups d’« extrême droite » et de « fachos », la présidente de France Télévisions a accepté de parler à Causeur – et à votre servante. Elle refuse de se laisser dicter ses fréquentations par le qu’en-dira-t-on. Dans le microclimat des médias, où le sectarisme est bien partagé, cela prouve sa liberté d’esprit.

Cependant, ne connaissant guère d’elle que quelques déclarations plutôt malheureuses, je m’attendais à rencontrer non pas une passionaria gauchiste, mais une femme dogmatique, se pensant missionnée pour rééduquer le populo et combattre l’extrême droite. Alors, Delphine Ernotte voudrait sans doute que France Télévisions contribue à l’émergence d’une société plus « inclusive », mais elle n’a pas la naïveté ou la forfanterie de croire qu’on change l’être humain par l’intimidation ou l’injonction. J’ai donc été un peu désarçonnée de me trouver face à une personne malicieuse et batailleuse, rendant les coups avec intelligence et humour, sans une once de méchanceté ou de ressentiment. Pendant les deux heures qu’a duré notre discussion, elle a répondu honnêtement à toutes mes interpellations. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, tombées d’accord sur tout, mais sur l’essentiel qui est, précisément, le droit au désaccord civilisé. Humour, légèreté : si besoin était, c’est la preuve irréfutable que Delphine Ernotte n’est pas woke.


Causeur. Que vous inspirent la plainte de Reporters sans frontières contre CNews et, plus généralement, la décision du Conseil d’État ?

Delphine Ernotte Cunci. D’abord, il me semble très positif qu’on se soucie de pluralisme à la télévision. À France Télévisions, nous faisons très attention à équilibrer notre contenu et à être honnêtes. Ces règles-là ne me posent aucun problème. Donc je comprends l’esprit de la décision du Conseil d’État, mais suis plus circonspecte sur la lettre et son application. Le boulot d’un éditorialiste est de donner un point de vue ! Mais je fais entièrement confiance à l’Arcom, qui défend avant tout la liberté d’expression, pour trouver un moyen de faire cela intelligemment.

C’est-à-dire de ne pas le faire…

En tout cas, il faut concilier l’exigence de pluralisme avec un autre grand principe, qui est la liberté éditoriale. Évidemment, il est impossible de répertorier des chroniqueurs, invités et intervenants en fonction de leurs opinions supposées. Je ne le souhaite pas et je pense que cela n’arrivera pour personne.

Si quelqu’un demandait la fermeture de CNews, l’approuveriez-vous ?

Non, je ne veux pas la mort de CNews. Mais il est normal qu’elle respecte les règles, comme tout le monde. Les fréquences TNT ont une grande valeur marchande. En France, elles sont attribuées gratuitement par la collectivité en contrepartie du respect d’obligations et de conventions, notamment en termes de pluralisme.

Personne ne peut respecter une règle qui n’existe pas encore. Cependant, merci, il est rassurant que la patronne de la télévision publique (la place de la Concorde des médias) défende la liberté !

Je n’ai jamais défendu autre chose. M’avez-vous déjà entendu dire un mot contre une autre chaîne de télévision en France ? Chacun doit rester à sa place. Le législateur, c’est le Parlement, le régulateur, c’est l’Arcom. Mon travail, c’est le pluralisme sur les antennes de France Télévisions.

Encore faut-il le définir…

Dans un État de droit, le pluralisme est un ensemble de règles auxquelles nous sommes tous soumis. Sinon, on considère que le pluralisme est une affaire d’opinion et on pourrait, au prétexte qu’on ne l’aime pas, sanctionner CNews… Ce n’est évidemment pas ma façon de voir les choses.

Marc-Édouard Nabe est l’invité de Frédéric Taddeï dans l’émission « Ce soir ou jamais ! » sur France 2, 10 janvier 2014. DR.

Sauf qu’avec l’arrêt du Conseil d’État, l’Arcom pourrait devenir le gendarme de la bien-pensance…

Je ne peux pas spéculer sur ce qui va se passer. Mais je défends nos lois qui garantissent les libertés fondamentales, la liberté d’expression étant l’une des plus précieuses, comme le précise la Déclaration des droits de l’homme. La loi de 1986, qui régule notre secteur, est avant tout une grande loi de liberté éditoriale et d’expression. C’est d’ailleurs le titre de ce texte fondateur.

La notion de pluralisme n’est pas seulement juridique. C’est aussi un état d’esprit, une façon d’accueillir la controverse loyale. Êtes-vous satisfaite de France Télévisions de ce point de vue ?

L’important, c’est de savoir si les Français sont satisfaits de leur service public. Et ils votent avec leur télécommande. Un Français sur deux nous regarde chaque jour, huit sur dix chaque semaine. À ce niveau de couverture, ils sont représentatifs de toutes les opinions. Il y a des Français qui votent pour tous les partis, et même qui ne votent pas et qui se reconnaissent dans nos chaînes. Nous sommes plébiscités par les Français et ils reconnaissent notre exigence de pluralisme et d’impartialité.

Cela ne signifie pas qu’ils vous trouvent dénués de biais idéologiques ! De plus, contrairement aux autres chaînes, votre groupe est financé par l’argent public, aussi a-t-il en plus de l’obligation de pluralisme et d’honnêteté de l’information, celle de neutralité.

Je n’aime pas beaucoup ce mot, car la neutralité est une notion chimiquement totalement impure. Cela n’existe pas. Pour moi, le service public doit d’abord et avant tout être équilibré, et représenter toutes les opinions et tous les courants de pensée.

Peut-être, mais sauf erreur, le mot« neutralité » figure dans la loi. Comme tous les médias, France Télévisions a, sinon une ligne, une couleur idéologique. La plupart des animateurs, présentateurs et chroniqueurs réguliers sont, sinon de gauche, représentants du même progressisme bon teint…

Alors ça c’est drôle, vous voilà à compter les gens selon leurs opinions ! Moi qui pensais que cela vous offusquait…

D’accord, vous marquez un point. Mais vous voyez bien ce que je veux dire… « Quelle époque ! » Léa Salamé…

Léa est de gauche, première nouvelle ! Vous n’en savez rien, moi non plus. Et c’est très bien ainsi.

Vous avez raison, il serait détestable de l’assigner aux positions de son compagnon. Mais elle officie avec Christophe Dechavanne, qui se fait une gloire de son anti-lepénisme. Comme Laurent Ruquier, qui occupait précédemment cette case. On pourrait aussi citer Karim Rissouli ou Michel Drucker…

… ou d’excellents animateurs qui n’ont rien à voir avec la politique, comme Stéphane Bern ou Franck Ferrand, qui commente le Tour de France. Quant à mes présentateurs de journaux, je ne sais pas pour qui ils votent. Et puis, à vous entendre, il faudrait qu’il n’y ait plus personne de gauche sur le service public !

Nous ne courons pas ce danger ! Le problème n’est pas la présence de ces personnalités talentueuses, mais qu’il n’y ait pas de présence équivalente, dans les émissions politiques ou métapolitiques, de personnalités conservatrices. Pourquoi pas une grande émission animée par quelqu’un comme Eugénie Bastié ?

Toutes les cultures politiques ont droit de cité chez nous. Geoffroy Lejeune est déjà venu, mais nous avons eu Mathieu Bock-Côté plusieurs fois, et nous avons même voulu lui confier un documentaire sur la présidentielle. Ça ne s’est pas fait, car CNews a refusé.

Certes, mais encore une fois, ils sont invités quand d’autres sont la puissance invitante. Tout de même quand on regarde « C à vous », « C ce soir », ou « C politique », ce sont toujours les mêmes opinions qui jouent à domicile.

Je ne suis pas d’accord. Et ce n’est pas ce qui remonte des téléspectateurs. Toutes les études nous accordent un crédit énorme en termes de sérieux, d’indépendance, d’impartialité. Ce sont les invités qui donnent la tonalité. Et j’ajoute qu’ils peuvent nous critiquer. Après le « Complément d’enquête » sur Hanouna, il a été invité à « C médiatique » sur France 5 et il a pu s’exprimer en toute liberté. Aucun autre média ne propose un tel spectre d’émissions, où des points de vue antagonistes peuvent se rencontrer et débattre. Le service public de l’audiovisuel est une maison commune : il appartient à tous et tout le monde doit s’y sentir chez soi.

Pendant la campagne présidentielle, Éric Zemmour était l’invité de « Quelle époque ! ».Il s’est retrouvé face à une meute déchaînée…

C’est votre sentiment. Et puis, une émission peut être plus ou moins réussie, mais j’adore « Quelle époque ! ». Et en tout cas, Monsieur Zemmour a été le premier invité, ce n’est pas rien.

Pourquoi Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du frérisme, qui subit de nombreuses attaques et menaces sur les réseaux, n’est-elle pas invitée chez vous ?

Des experts qui écrivent sur les Frères musulmans, et le fondamentalisme religieux en général, sont très souvent invités sur nos antennes, comme Caroline Fourest, par exemple.

Justement, pourquoi ne pas varier les points de vue ? Une autre personnalité n’est jamais invitée, Gilles-William Goldnadel.

Mais je n’ai pas à justifier nos choix, nous avons encore la liberté d’inviter qui nous voulons. Nous ne choisissons pas les personnalités en fonction de ce qu’ils votent ou de ce qu’ils pensent, mais uniquement en fonction de leur talent et de leurs compétences.

D’accord. Je vous parle aussi d’une petite musique. Je vous parle du traitement de l’insécurité et de ses liens avec l’immigration (désormais attestés par les statistiques du ministère de l’Intérieur). Après la mort de Lola, France 2 s’est déchaînée contre ceux qui y voyaient une faillite de notre politique migratoire. Il faut voir ce que l’on voit, dit Péguy, et ce n’est pas votre plus grand talent.

C’est un fait tragique qui a bouleversé tout le pays. Mais ce que vous dites est totalement faux : notre couverture a été exemplaire.

Si vous le dites…On peut aussi trouver faiblard votre traitement du séparatisme islamiste. Si j’interroge vos journalistes sur l’origine de l’antisémitisme, je vous parie qu’une majorité citera l’extrême droite.

Qu’en savez-vous ? Ce sont des procès d’intention.

Cyril Hanouna est l’invité de « C médiatique » sur France 5, après la diffusion du « Complément d’enquête » qui lui était consacré, 17 septembre 2023. DR.

Referiez-vous une émission comme « Ce soir ou jamais », qui invitait des personnalités proches de l’extrême droite et de l’extrêmegauche ?

Bien sûr, à condition qu’on sache d’où parlent les gens. Le problème que nous avons eu avec cette émission est que des invités étaient présents sans préciser leurs autres activités, parfois très engagées et sans que cela soit clairement dit.

Ces questions d’étiquetage passent à côté de l’essentiel : il régnait sur le plateau de Taddeï une atmosphère de liberté véritable, où des adversaires irréconciliables pouvaient se parler, des points de vue choquants s’affronter.

On ne cherche pas le clash, c’est vrai. On essaie de prendre du champ et d’avoir des débats profonds et contextualisés.

Bienséants, convenables…

On dirait que pour vous, tout débat doit être polémique.

Oui, le débat est un combat.

Il arrive que le ton monte sur nos plateaux, mais ce n’est pas notre objectif. Notre combat, c’est le débat et la pluralité des points de vue. C’est ce que les Français attendent du service public et c’est ce qu’ils trouveront tou »jours chez nous.

Donc, vous n’avez rien à vous reprocher…

Nous pouvons toujours progresser. Mais ce que je peux affirmer avec force, c’est qu’il n’y a pas de ligne idéologique, ni d’exclusive.

Je vous l’accorde, si on peut discuter votre neutralité, particulièrement sur France 5, vous êtes beaucoup moins gauchistes que France Inter.

Je vous laisse la responsabilité de ces propos injustes. S’agissant de France 5, de « C dans l’air » à « C ce soir » en passant par « C àvous », elle est la seule chaîne à proposer quatre heures par jour de décryptage avec des experts, des personnalités publiques. Notre ligne éditoriale est d’éviter le commentaire, de favoriser l’explication, de donner des clés au téléspectateur : libre à lui de se forger son opinion.

Il faut dire que TF1, première chaîne privée d’Europe, autrefois moquée comme la chaîne des « ploucs » de droite, vous double sur votre gauche. Et elle vient de déposer une plainte contre vous pour aide d’État illégale.

C’est une plainte contre l’État, nous ne nous accordons pas les subventions tout seuls ! C’est la troisième fois en quelques années… et une bataille toujours perdue. Surtout, cette guerre menée par TF1 contre le service public est terriblement xxe siècle. À l’âge de YouTube et Netflix, croyez-vous vraiment que les audiences de France 2 soient leur principal problèmed’avenir? Le sujet n’est plus là.

Il est où ?

L’univers médiatique est devenu très concurrentiel. Cette profusion de contenus est une excellente chose pour les publics, mais il faut que nos médias nationaux puissent résister. Nous devons le faire ensemble, médias publics et privés réunis. Je l’ai toujours dit et toujours prouvé. Quand TF1 et M6 ont décidé de fusionner, je les ai soutenues. Récemment, j’ai défendu le fait que toutes les chaînes de la TNT soient concernées par les mesures de visibilité sur les téléviseurs connectés, et pas seulement le service public. C’est ce que l’Arcom a décidé et je m’en félicite. Entre médias nationaux, nous devons nous serrer les coudes. C’est notre souveraineté culturelle et informationnelle qui est en jeu face aux offensives des plates-formes et des réseaux sociaux américains ou chinois.

L’argument de TF1 est que vous êtes une entreprise de télévision comme les autres et que vous bénéficiez donc d’un avantage concurrentiel indu. Après tout, si c’est pour passer les mêmes séries américaines que la concurrence, ils ont peut-être raison…

Vous voilà prise en flagrant délit de fake news. Cela fait trois ans que nous ne passons plus de séries américaines pour privilégier la création française. Nous proposons très peu de divertissement et aucune téléréalité. Quant à ce qui nous distingue, je vous conseille la lecture de notre cahier des charges ou tout simplement une soirée télé ! Notre différence est flagrante, évidente. Notre première mission, c’est d’informer. Et lorsque l’on demande si les Français font confiance à notre information, ils sont 75 % à dire oui. C’est vingt points de plus que les chaînes commerciales.

La suite demain sur le site Causeur.fr

Richard Malka sur l’affaire CNews/RSF: «L’interdiction revient toujours en boomerang»

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L'avocat Richard Malka © Hannah Assouline

Le célèbre avocat avance qu’on ne pourra jamais avoir autant de canaux que d’opinions, et qu’il est donc impératif d’obtenir une diversité d’opinions à l’intérieur de chaque chaîne info. Il ne se satisfait pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Une parole trop rare.


Causeur. Une organisation censée promouvoir la liberté de la presse dénonce un média qu’elle ne trouve pas assez pluraliste parce qu’il a une sensibilité de droite (en réalité « conservatrice »), contrairement à tous les autres qui sont spontanément «progressistes » et demande au Conseil d’Etat d’obliger le régulateur à fliquer tous les intervenants (demande déjà rejetée par ledit régulateur). Que vous inspire cette demande de RSF, vous qui êtes l’un des grands défenseurs de la liberté d’expression ?

Richard Malka. Essayons de dépasser un peu les polémiques et d’approfondir ce débat qui est assez important pour mériter autre chose que des caricatures. D’abord, on ne peut vraiment pas contester que RSF lutte pour le journalisme et la liberté d’expression partout dans le monde. C’est une des rares organisations qui ose encore défendre le droit au blasphème, y compris devant les organisations internationales. J’ai trouvé le procès qui lui était fait assez injuste. Deuxième point, la préoccupation de RSF vise le pluralisme. Mais qui peut sérieusement être «  contre » le pluralisme ?

Non, la requête de RSF vise CNews, nommément. Si leur objectif était le pluralisme, ils auraient cité d’autres médias.

Pour qu’il y ait un contentieux, il faut bien agir contre une partie identifiée, mais vous n’allez pas vous satisfaire de cette réponse juridique, donc je n’ai aucune difficulté pour vous dire que si j’avais rédigé cette requête, j’aurais trouvé nécessaire de globaliser et de citer d’autres médias ou émissions. Par souci d’équilibre et aussi de pragmatisme afin de ne pas être soupçonné d’agir en fonction d’un biais idéologique.
Ce qui transforme ce débat en champ de bataille, c’est précisément qu’il a été soulevé à propos de CNews. Je peux comprendre les réactions courroucées de cette chaine, mais la décision du Conseil d’Etat s’appliquera à tout l’audiovisuel sans discrimination. Il ne peut évidemment en être autrement. Enfin, il ne faut pas confondre pluralisme et liberté de choisir sa ligne éditoriale ce qui est parfaitement légitime. Qu’il y ait des médias de gauche comme de droite, c’est parfait ; ce qui me choque, c’est l’absence de contradiction car alors, on quitte l’information pour rejoindre la propagande, la facilité de la radicalité et du simplisme. Les chaines de télévision doivent autre chose à leur public. C’est un impératif de permettre la contradiction.

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La question porte donc sur les moyens d’y parvenir et il n’est pas absurde d’adapter l’appréciation du pluralisme à l’évolution du monde et des médias, près de 40 ans après la loi de 1986 qui prévoit cette obligation dans l’audiovisuel où les fréquences sont limitées et où les chaines s’offrent au public. Qu’il y ait des dangers en matière de liberté d’expression au regard des critères qui pourraient être retenus pour apprécier ce pluralisme, c’est certain, et il faudra être d’une absolue vigilance mais cela n’empêche pas de réfléchir à la manière d’aboutir à cet objectif. Je serais l’Arcom, je convoquerais tout le monde pour y réfléchir car c’est l’intérêt de tous.
Je ne dis rien de plus. Je ne me satisfais pas d’un monde où les gens de gauche n’écouteraient que des discours de gauche et les gens de droite idem. Ce serait le plus sûr chemin vers la bêtise.

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Mais laissez le public choisir ! Et puis ce souci du contradictoire est à géométrie très variable. D’ardents défenseurs du droit au blasphème ont leurs vapeurs dès qu’on professe une opinion hétérodoxe. Dites que MeToo est une catastrophe, opinion parfaitement blasphématoire et on verra qui vous défend !

Pardon d’avoir l’ambition de m’adresser à l’intelligence et à la raison plutôt qu’aux passions, à la rage, aux excès. Pardon aussi de vous dire que les médias ont une responsabilité : ne pas transformer le peuple en une foule féroce car je sais ce que peut être la foule et je m’y inclus. Vous faites comme si vous n’aviez pas conscience qu’un média peut aussi devenir une arme redoutable pouvant mener au pire. Les règles sont nécessaires pour l’éviter. Ce sont des équilibres très délicats que l’on n’atteindra pas si on se comporte de tous côtés comme des éléphants énervés dans un magasin de porcelaine. Dire que MeToo en bloc est une catastrophe me semble être une ânerie mais libre à vous de le dire.

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Eh bien oui, et c’est heureux. Une sorte de rapport sur CNews a été bricolé par une sorte d’universitaire qui l’a regardée pendant quinze jours il y a deux ans. Entre autres griefs, il s’étonne que CNews fasse d’autres choix éditoriaux que BFMTV, comme si BFM était l’étalon-information. Il déclare que X ou Y est d’extrême droite parce que Le Monde le dit. Et la plainte de RSF est fondée sur ce rapport….

Je n’ai aucune idée de ce qu’est ce rapport mais il est évident que seul un rapport objectif réalisé éventuellement par les services de l’Arcom serait recevable.

La décision du Conseil d’Etat rompt avec sa jurisprudence précédente (et avec celle de la CEDH) qui estime que plus il y a de pluralisme externe (multiplicité des médias), plus chacun peut avoir de liberté éditoriale. Que vous inspire ce revirement ? Cet arrêt n’est-il pas dangereux pour nos libertés ?

Je ne le lis pas du tout ainsi. Il peut y avoir une infinité de journaux écrits mais uniquement quelques chaines TNT. La pluralité est limitée par les ondes. On ne pourra jamais avoir autant de chaines que d’opinions donc il faut une diversité d’opinions à l’intérieur de ces chaines mais vraiment, je ne comprends pas comment on peut réclamer d’avoir une chaîne univoque. Toute chaîne, publique ou privée, qui s’offre au public, contrairement à la presse écrite que l’on fait la démarche d’acheter, se doit de s’ouvrir à un pluralisme minimal d’opinions.
Si l’on cherche à éclairer plutôt qu’à abrutir, c’est quand même bien de permettre à des avis divergents de s’exprimer. Ça vaut pour tout le monde.

Mais personne ne conteste ça ! Vous avez déjà regardé CNews ? Pensez-vous que je travaillerais dans un média qui interdit la contradiction ?

Je regarde CNews régulièrement comme tous les autres médias d’information. Mais je vous retourne la question… Regardez-vous cette chaine quand vous n’y êtes pas ? Hier, j’ai vu Onfray et quoi que je puisse en penser, il développe une pensée et c’est intéressant et pas si fréquent d’avoir le temps de s’exprimer si longuement. Mais ce que je vois dans la même journée, c’est que lorsqu’un invité n’est pas dans la ligne, on lui tombe dessus à plusieurs avec, en leader, un journaliste présentateur hyper-offensif plutôt qu’adoptant une position de Monsieur Loyal. Cela crée un déséquilibre total. On semble chercher l’écrasement d’une idée par une autre, le ricanement et non l’échange. Il faut comprendre que ca ne donne pas une folle envie d’y aller à certains.

Pardon, mais dans les débats, quelle que soit la chaîne, il y a souvent des gagnants et des perdants. Mais je ne vous convaincrai pas. Le secrétaire général de RSF oppose le bon journalisme au commentaire. Est-il légitime pour décréter que le bon journalisme c’est ceci ou cela ? N’est-il pas inquiétant que cette personne soit chargée des Etats généraux de la presse ?

Vous me ramenez à la polémique… Evidemment le commentaire fait partie du journalisme sinon il faudrait supprimer toutes les chaînes infos et pas seulement CNews. Cela n’a pas de sens. Informer le public cela passe par des rappels de faits, des analyses, des enquêtes, des éditoriaux, des interviews, des débats… Pour autant, l’information ne peut pas être non plus que du commentaire. C’est aussi cette diversité des formats qui fait une information de qualité.

Christophe Deloire, de Reporters Sans Frontières, photographié en 2023 © CELINE BREGAND/SIPA

Vous, que reprochez-vous à CNews ?

Mais ce n’est pas la question. Je ne veux pas personnaliser, c’est le piège à éviter si l’on veut avancer. Je peste en permanence contre tous les médias car j’ai une immense ambition les concernant et donc une profonde exigence. Ils sont un rouage démocratique majeur. Ils devraient selon moi par exemple être bien davantage un rempart contre la violence des réseaux sociaux, qu’ils suivent trop souvent, ou un antidote contre tous les conspirationnismes.

Ceux qui prétendent que CNews n’est pas pluraliste refusent d’y aller parce qu’ils ont peur d’être contaminés. Dans le camp du Bien, on refuse la confrontation des arguments, on agite des gousses d’ail. D’ailleurs, la plupart des gens veulent une télé avec laquelle ils sont d’accord.

Eh bien si c’est le cas, alors personne ne pourra rien reprocher à CNews en matière de pluralisme. Il suffira que les dirigeants de la chaîne se présentent avec leur liste d’invités, l’histoire sera réglée avec un brevet de bonne conduite et ils en sortiront gagnants. On ne va évidemment pas reprocher à un média un manque de pluralisme s’il est dû aux invités qui ne veulent pas venir. Quant à moi, dans l’hypothèse ou je serais visé par votre question, on ne peut pas me faire ce reproche. Je refuse neuf invitations sur dix mais je fais très attention à parler sur tous les médias (ce que je prouve aussi par cette interview, puisque c’est à vous que j’ai réservé mon expression sur ce sujet). En revanche, on ne peut pas non plus imposer à une personne publique d’accepter un format qu’il n’aime pas, par exemple celui du débat à six ou dix. Cela fait bien longtemps que je refuse ce format sur CNews, comme sur BFMTV ou LCI. C’est aussi ma liberté et sur CNews, j’ai l’impression que c’est un format très présent – mais je me trompe peut être.

Vous n’étiez pas du tout visé, je sais que vous n’êtes pas sectaire. Ceci étant, il faut s’interroger sur les raisons du succès de CNews. Beaucoup de gens se sentent représentés par cette chaîne. Avant, disent-ils, aucune télévision ne parlait de ce qu’on vit. N’est-ce pas excellent pour le pluralisme ?

Il ne me viendrait pas à l’idée une seule seconde de contester que la « sensibilité conservatrice » comme vous l’appelez, puisse avoir son canal de diffusion parce que sinon, demain, ce sera la gauche qui ne pourra plus s’exprimer. En revanche, s’agissant de la télévision, média de masse, il faut des règles du jeu plus strictes que pour le papier. La diversité d’opinion est indispensable, le lavage de cerveaux est détestable. Je pense que nous pourrions a minima nous retrouver sur cette évidence. Et pour anticiper vos protestations, je parle de la droite comme de la gauche. Il y a d’autres médias que CNews sur lesquels un peu plus d’équilibre dans le temps d’expression serait bienvenu.

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On l’accuse également de trop parler d’insécurité et de « transformer des faits divers en faits de société ». Mais qui décide que ce sont des faits divers ? Peut-être que les autres n’en parlent pas assez.

Peut-être mais peut-être aussi que les faits divers font l’objet d’instrumentalisation pour créer de la peur. Certains considèrent que des médias sont dans le déni du réel par bonne conscience, et d’autres dans la surexploitation hystérique de faits divers. Qui a raison ?

Pour moi, aucun doute. Il y a des médias qui veulent nous interdire de voir ce que l’on voit, vous l’avez vécu aux premières loges sur la question de l’islamisme et du séparatisme. 

Certes, mais ceux qui parlent de surexploitation ont aussi raison. Je n’ai aucune légitimité pour le dire mais ce double grief est audible.La seule solution pour en sortir, c’est que différents points de vue puissent s’exprimer. Certains ont l’air de considérer que l’information c’est du foin pour les vaches. Tant que la vache est contente, on ne lui change pas sa nourriture. Moi je considère qu’une nourriture variée c’est bon pour la santé.

J’attendais une levée de boucliers des journalistes contre le Conseil d’Etat sur le thème « je ne partage pas leurs idées mais je me battrai etc. ». Mais une partie des médias applaudit, et l’autre n’a réagi que quand elle a compris qu’elle pourrait aussi être visée. Bref, personne ne défend la liberté des autres. Est-ce inquiétant ?

L’humain a tendance à vouloir interdire ce qui le choque. Cela me désole à un point que vous ne pouvez imaginer. On n’a toujours pas compris qu’ainsi nous étions les artisans de notre propre malheur car l’interdiction revient toujours en boomerang.

Finalement, on n’a pas trouvé le moyen satisfaisant de réguler l’expression publique. Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions, le système américain de liberté non pas totale mais très large n’est-il pas préférable, dans la mesure où il permet réellement la confrontation des opinions ?

Eh bien justement, cette question démontre a quelle point j’ai raison ! Aucun pays démocratique ne protège autant la liberté d’expression dans les textes et regardez la situation : la gauche woke comme la droite trumpiste s’en donnent à cœur joie pour canceller des livres, des films, virer des profs pour un mot, dresser de constants procès en sorcellerie, interdire des représentations féminines dénudées dans des tableaux…
Voilà ce que donne une société polarisée à l’extrême. Les médias ont un rôle à jouer pour l’éviter.

Que ce soit en matière de liberté sexuelle ou de liberté d’expression, on voit toujours la gauche en première ligne pour les limiter. Comment la gauche est-elle devenue le parti de la censure ?

Pardon mais pas « la gauche ». Je suis de gauche et j’ai consacré ma vie à me battre contre la censure. Je ne peux toutefois vous en vouloir de cette généralisation car il arrive que je m’en rende moi-même coupable tant cette situation me déprime et m’inquiète. Oui, il y a une gauche de la censure, il ne serait pas honnête de le contester. Mais il y a une autre gauche restée attachée aux libertés. Elle n’a malheureusement plus beaucoup de porte-paroles politiques.

L’effet d’une blonde

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Voilà une foule qui n’entend pas faire le ramadan ! En meeting ce dimanche au Dôme de Paris, Porte de Versailles, Marion Maréchal a lancé sa campagne des élections européennes. Les discours étaient calibrés pour plaire aux déçus chez LR et au RN, et réaffirmaient la volonté farouche de « Reconquête !» de lutter contre l’islamisation du continent européen. « Jamais ! Même pas en rêve, même pas en cauchemar, nous ne pouvons pas être musulmans, nous ne le voulons pas ! » a notamment déclaré Éric Zemmour à la tribune. Causeur est allé écouter.


Quatre-vingt-dix jours ! C’est le temps qui sépare le coup d’envoi du meeting organisé par « Reconquête ! » ce dimanche 10 mars du scrutin européen de juin prochain. Marion Maréchal réunissait un parterre de militants et cadres du parti, porte de Versailles. 

Le paradoxe Marion Maréchal

Depuis le début de l’année, il est difficile de vivre dans l’ombre de la bardellamania. Crédité de près de 30% dans les sondages, rien ne semble arrêter le jeune président du Rassemblement national.
Au même moment, Marion Maréchal, tête de liste « Reconquête ! », dévisse d’un demi-point dans le sondage d’Elabe, l’institut qui place le plus bas le parti d’Éric Zemmour depuis le début de la campagne. Un demi-point de perdu : de quoi redescendre en dessous de la barre des 5% ? La perspective de n’envoyer aucun député à Bruxelles en juin prochain ? C’est peu probable.

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Alors, quand les cadres du parti se réunissent ce dimanche matin, en amont du meeting, Philippe Vardon, directeur de la communication militante et électorale, remobilise ses troupes : « Depuis le début de la campagne, nous sommes à une moyenne de 6,7%. Les sondeurs les plus fiables sont ceux qui nous placent le plus haut ». C’est qu’il y a pour l’instant un paradoxe Marion Maréchal : elle est la quatrième personnalité préférée des Français, selon l’IFOP ; et pourtant, le fait qu’elle sera à la tête d’une liste concurrente de LR et du RN n’a pas encore été bien intégré par tous les électeurs français. « À Nice, dans un territoire très favorable à la droite nationale, le maire, qui a de très bons outils pour mesurer le terrain, observe que la moitié des électeurs n’ont pas encore intégré que Marion mènera une liste en juin ». Le meeting, diffusé sur les chaînes d’information, était donc l’occasion de rattraper ce déficit de notoriété, au-delà des habitués et des encartés. 

Olivier Ubeda toujours en coulisses

À « Reconquête ! », le meeting est un art que l’on maîtrise à la perfection. Les musiques d’intro sont un peu moins épiques que lors de la présidentielle de 2022 mais Olivier Ubeda, toujours à la manœuvre, continue de déambuler avec ses baskets et de distiller ses ordres. En 1964, les Beatles assuraient la première partie de Sylvie Vartan à l’Olympia. Pour Marion Maréchal, ce sont Stanislas Rigault, Guillaume Peltier, numéro 2 de la liste, Nicolas Bay, Nicola Procaccini (député italien du groupe ECR) et Éric Zemmour qui tour à tour se succèdent. « Es-tu prêt demain à voir ta sœur voilée, ta grand-mère agressée, ton église remplacée et ta liberté de vivre balayée ? (…) Demain, un seul enjeu : voulez-vous que l’Europe devienne musulmane ? », demande Guillaume Peltier. L’enjeu civilisationnel, pour « Reconquête ! », est non plus seulement français, mais européen. C’est pour cela que les grands noms européens sont évoqués au même titre que les grands noms français. Mais aucun pour rivaliser à l’applaudimètre avec Napoléon et Charles de Gaulle. Éric Zemmour laisse même jouer quelques notes de Mozart en plein discours, pour illustrer le génie européen. 

Adoubée par le chef du parti, la tête de liste Marion Maréchal va pouvoir prendre la parole. Pendant que l’ancienne députée du Vaucluse monte à la tribune, un court film est projeté, qui se termine par l’image d’une immense salle de prière bondée de fidèles musulmans. Bronca générale dans la salle. Marion Maréchal continue d’appuyer sur les fondamentaux : « Je veux que chacun d’entre vous en ait conscience : il y a désormais deux peuples sur notre terre, deux France « face à face », deux France qui se font face. Deux France qui ne rient plus aux mêmes joies, ne pleurent plus aux mêmes peines, qui ne communient plus dans un même idéal commun » s’exclame-t-elle.

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Droites dispersées

Lors de sa fondation, la promesse de « Reconquête ! » était l’union des droites. Alors cette fois-ci, à l’évocation des formations concurrentes, les coups ont été plutôt mouchetés. Aux frexiteurs et souverainistes, Éric Zemmour et Marion Maréchal ont fait des appels du pied. La formation de droite nationale peut aussi engranger des voix auprès des électeurs de droite n’aimant pas ce président Macron qui, quoiqu’à la tête d’un État en quasi-faillite, se pose en chef de guerre pour l’Ukraine, et aussi en directeur de conscience du continent avec son idée d’européaniser l’IVG ! Le président du parti a pu affirmer : « Gardons tout ce qu’il y a de bon dans l’idée du Frexit, la souveraineté, l’indépendance, la nation, le refus de l’uniformité et de la bureaucratie ». À l’adresse des électeurs LR et RN, ça a été même une effusion de sentiments. « On vous aime », scande le public, en direction des familles dispersées de la droite. La main est tendue, et si ce n’est pas pour cette fois, ça sera pour la prochaine : « Vous ne nous rejoindrez peut-être pas, ou pas tout de suite, mais, dans l’isoloir, je le sais, vous penserez que votre vrai bulletin, c’est celui de Marion ».

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Haut-Commissariat à l’enfumage

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Emmanuel Macron l’a bien compris. Les droits des femmes sont menacés par un backlash dans tout l’Occident. Reste pour lui à déterminer qui tient le bâton, exactement.


L’inscription de « la liberté garantie » d’avorter dans la Constitution française a remis dans l’actualité deux rapports datant de 2023, l’un livré par la Fondation Jean-Jaurès associée à l’ONG Équipop, l’autre concocté par le Haut-Commissariat à l’Égalité Homme-Femme. Deux travaux, mais une préoccupation commune, tout entière exprimée d’ailleurs dans l’intitulé du texte de La Fondation et de l’ONG : « Droits des femmes : combattre le backlash »[1].

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La menace masculiniste

Notons au passage que ce pauvre Jean Jaurès aurait probablement préféré l’expression bien française « retour de bâton » plutôt que ce backlash d’importation. Cela dit, le recours à cet anglicisme des Amériques présente l’intérêt de bien situer la démarche dans sa filiation historique. En effet, en 1991 paraissait aux Etats-Unis l’essai féministe militant de Susan Faludi : Backlash : la guerre froide contre les femmes. (Against American Women, précisait l’édition d’origine). La thèse centrale est que, en réponse – ou plus exactement en représailles – à chaque progrès en matière de droits de la femme, la domination masculine s’empresserait de veiller à ce que ces avancées, ces droits nouveaux soient contestés et si possible réduits à néant. Voilà ce qu’est le backlash, le retour de bâton. L’illustration récente de cette entreprise masculiniste, machiste, obscurantiste et, vous l’aurez deviné, fascisante, de rétorsion retenue par les rapports mentionnés est bien évidemment l’abolition du droit à l’avortement dans certains États américains. L’ouvrage de Susan Faludi que nous venons de mentionner désigne très clairement les coupables de ces crimes de régression sociétale: « les mouvements conservateurs ou réactionnaires », tous, comme on sait bien, obsessionnellement hostiles à tout progrès dans ce domaine.

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L’ouvrage date de 1991, nous le disions. En un peu plus de trente ans, les données du problème ne sont certainement pas tout à fait les mêmes, parfaitement superposables et interchangeables. Il s’en faut de beaucoup. Or, la Fondation Jean-Jaurès, Équipop et le Haut-Commissariat à l’Égalité Homme Femme s’en tiennent très fidèlement à ce schéma, à cette approche idéologique. Si coupable il y a, c’est du côté des conservateurs et des réacs qu’il faut aller le traquer. « Le sexisme est très prégnant, s’aggravant même d’une année sur l’autre dans certaines catégories de la population, écrivent la Fondation et l’ONG dans leur rapport en 2023. Chez les jeunes adultes masculins, mais aussi chez les femmes, on observe un retour-aux-valeurs-traditionnelles.« Partout dans le monde, la diplomatie féministe reste impuissante et s’efface sous les poussées de l’extrême droite », renchérit le HCE. Et on lit encore, ceci : « Une partie des hommes se sent fragilisée, parfois en danger, réagit dans l’agressivité et peut trouver une voix d’expression politique dans de nouveaux mouvements virilistes et très masculins comme Reconquête. »
Bien sûr le rapport HCE élargit quelque peu la focale et mentionne le rôle négatif de structures internationales : l’Organisation de coopération islamique qui rassemble cinquante-sept États d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, le Congrès Mondial des Familles, l’ONG Family Watch,  et, pour faire bonne mesure, le Vatican.

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Oui, le Vatican est mis à l’honneur. Mais pas les Frères Musulmans ou tant d’autres organes et organismes d’islamisation infiltrés chez nous. Silence. Très étonnant silence. Inquiétante complaisance.

Démission devant le réel

De même – et c’est bien ce qu’il y a de plus grave dans l’affaire ! – à aucun moment l’évolution sociologique du pays ces dernières décennies n’est prise en compte. Or, il est bien clair que plus on verra accourir de populations nourries d’idéologies religieuses ou autres selon lesquelles la femme est par essence, par nature, inférieure à l’homme, qu’elle doit lui être soumise, demeurer l’otage permanent de ses lois, la dégradation des droits et du statut que ces rapports prétendent dénoncer ne fera que croître et embellir. Ne pas en dire un seul mot ne traduit pas seulement une terrifiante lacune intellectuelle, une violation sidérante de l’esprit de méthode, mais surtout cela constitue à n’en pas douter une forme – qu’on voudra bien feindre de croire inconsciente – de démission devant le réel. En matière de droits humains, de droits des femmes, comme d’ailleurs en mille autres choses, le déni – car il s’agit bien de cela – est toujours – oui, toujours ! – le plus sûr chemin qui conduit à l’échec, à la défaite, à la déroute. Un Jean Jaurès, sortant de sa tombe, revenant ici et prenant la parole ne manquerait assurément pas de clamer que s’il est un retour de bâton à redouter, celui que provoque précisément le déni, l’enfumage est, de tous, le plus violent, le plus dévastateur, le plus délétère qui se puisse imaginer.

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Numéro de février de Causeur

[1] https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/02/Rapport_Backlash.pdf

IVG: À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire

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Le président Macron, avec le garde des Sceaux et Sophie Primas, vice-présidente du Sénat lors de la cérémonie publique de scellement de la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 portant sur la liberté de recourir l'IVG, au ministère de la Justice, place Vendome, Paris, 8 mars 2024 © Lemouton / POOL/SIPA

Le 8 mars, avant que l’impayable chanteuse des Rita Mitsouko massacre la Marseillaise et affiche ostensiblement du dédain envers les papouilles présidentielles, Emmanuel Macron a promis l’inscription de l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne… Récit.


Conspué lors du Salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron a sans doute espéré faire remonter sa cote de popularité à l’occasion du match retour qui s’est joué place Vendôme, vendredi 8 mars. Tout avait été finement pensé : notre stratège, qu’on connaît labile, sait aussi se montrer habile. Aussi, il s’était arrangé pour faire coïncider la cérémonie de scellement de l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution avec la Journée internationale des droits des femmes. Le public composé de militantes féministes, de personnalités, d’élus de tous bords comme de spectateurs anonymes prévoyait de partager aux côtés du président « une cérémonie populaire ». On était réuni pour fêter « l’aboutissement du combat collectif » engagé par Simone Veil ; le barde jouait sur du velours. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. », ne manquerez-vous pas de me rappeler ; on n’en disconvient pas. Toutefois il faut bien mesurer que la perspective de remporter enfin quelque succès, même facile, avait de quoi légitimement réjouir notre homme.

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Un discours qui baigne dans l’emphase comme un mauvais churro dans une huile recuite

Ça a débuté comme ça ; avec la diffusion d’un clip retraçant le combat pour l’IVG en France. Puis Gabriel Attal, Éric Dupond-Moretti, Yaël Braun-Pivet, mais aussi Mélanie Vogel et Mathilde Panot ont accompagné Emmanuel Macron en tribune. Ensuite, sans surprise, l’aède, la narine frémissant d’émotion, l’air pénétré et le regard embué, nous a servi la purge dont il a le secret : l’un de ses accablants discours qui baignent dans l’emphase comme un mauvais churros dans une huile recuite. « Le sceau de la République scelle en ce jour un long combat pour la liberté. Un combat fait de larmes, de drames, de destins brisés », a-t-il tout d’abord lancé, prudhommesque. Le troubadour a poursuivi en rendant hommage aux grandes figures de la lutte en faveur de l’IVG. Il a aussi salué « celles et ceux » qui, plus récemment, ont combattu à ses côtés pour faire inscrire dans la Constitution ledit droit qu’on bat maintenant en brèche, c’est bien connu, dans notre pays.  Avec moult anaphores, juxtapositions, cabrioles verbales et autres boursouflures stylistiques, le trouvère ne nous a pas épargné non plus les subtiles allusions littéraires à Simone de Beauvoir ou à Annie Ernaux alors qu’il évoquait les « destins des jeunes filles rangées », ceux « des femmes dans la force de l’âge » sans oublier les « destins aux armoires vides ». Notre rhéteur a enfin exposé son ambition nouvelle : œuvrer pour inscrire le doit à l’IVG à l’échelle européenne : « Je souhaite l’inscription de l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, où plus rien n’est acquis et tout est à défendre. » Notre enragé sectateur du Bien, qui voit toujours très loin quand il s’agit de parler, a ajouté, chimérique : « Au-delà de l’Europe, nous nous battrons pour que ce droit devienne universel et effectif. » Jusque-là, convenons-en, l’escamoteur réalisait le sans-faute espéré. Force est de le constater, une fois de plus, le bougre est définitivement plus à son affaire quand il s’agit de promouvoir le bien et le juste à l’échelle cosmique que quand il est question de défendre les intérêts triviaux des jacques.

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L’hymne national revisité

Le parterre énamouré, envoûté, ne pipait mot ; l’affaire était dans le sac : communion dans la divine parole et union sacrée autour du président. Victoire sans appel pour le bateleur. Sur la fin, pourtant, les cartes ont été rebattues, in extremis. Catherine Ringer des Rita Mitsouko, très assurée face à un Emmanuel Macron béat, s’est lancée dans une Marseillaise qu’elle avait pris sous son bonnet de « revisiter » à la sauce inclusive. « Aux armes citoyens, citoyennes, marchons, chantons cette loi pure dans la Constitution. »  La chanteuse, plongeant l’auditoire dans la perplexité, s’affranchissait ainsi des mots du refrain de l’hymne national, à défaut de s’émanciper du patriarcat. Le président a semblé goûter ces libertés prises par rapport aux paroles de Rouget de Lisle. Quant au public, il a dû se demander si c’était du lard ou du cochon. Sur X, on a commenté largement. Les hommes politiques de gauche ont salué « l’audacieuse démarche artistique ». « Magnifique interprétation de La Marseillaise par Catherine Ringer. Le combat continue pour les droits de toutes les femmes dans le monde » a écrit le sénateur communiste Ian Brossat. Gabriel Attal a repris « Aux armes citoyens, citoyennes » en préambule à une publication dans laquelle il évoquait la cérémonie.

Ringer la joue comme Mbappé

Si à droite on a été plus critique sur une performance qui adultérait indéniablement l’hymne national, on a été également consterné par la désinvolture qu’affichait de surcroît la chanteuse vis-à-vis du chef de l’État. En mode Mbappé, en effet, Catherine Ringer n’a pas hésité à se soustraire au baisemain dont voulait la gratifier Emmanuel Macron afin de la remercier pour la prestation. Décidément, face aux papouilles présidentielles, c’est courage fuyons. Cette séquence, de quelques secondes seulement, a été très partagée sur les réseaux sociaux. Là où certains se sont contentés, magnanimes, de sourire du « râteau » pris par le chef de l’État, la chanteuse Princess Erika a pointé, avec une élégance qui rend femmage à la gent féminine, la leçon donnée à « ceux et celles qui instrumentalisent les femmes de courage et se servent de cette journée pour chouiner ou lécher (…) » Contacté par BFMTV, l’Élysée assure ne pas avoir été mis au courant de cette réinterprétation de La Marseillaise par Catherine Ringer. « C’est une artiste talentueuse. C’était élégant et adapté au moment », indique-t-on, au Palais. « Elle l’a fait en liberté » a ensuite commenté Emmanuel Macron, tout sourire devant la presse.

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Le tour de chant continue avec Olivia Grégoire

Voilà la fête du slip lancée et la Macronie en roue libre. Une fois l’exemple donné, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation s’est à son tour lâchée, lors d’une allocution à Matignon, toujours en ce 8 mars. Aux côtés d’un Gabriel Attal passablement crispé, désinhibée, elle a repris la chanson « La Grenade » de Clara Luciani puis a publié sur son compte X la vidéo de sa prestation, sans omettre d’y ajouter une petite touche personnelle : « Sous vos seins la grenade. Sous vos seins, énormément d’entreprises. Soyez fières. » Karl Olive, sur X encore, a lui aussi partagé une vidéo. On l’y voyait fredonnant quelques paroles de la chanson de Julien Clerc « Femmes, je vous aime. » L’intitulé de sa publication était : « Ma petite contribution en cette Journée des droits des femmes. » On pouvait lire aussi, pour introduire la séquence vidéo et certainement en référence à toutes les péripéties musicales du jour : « l’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne ! Même chez les députés ! » Pour le triomphe du président, on repassera, mais on s’est quand même bien amusé.

Samuel Beckett a dit : « Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter. » C’est bien ce qu’on va faire aussi.

Guerre russo-ukrainienne: comment en est-on arrivé là?

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Vladimir Poutine, Stavropol, 5 mars 2024 © Mikhail Tereshchenko/TASS/Sipa USA/SIPA

 Nos députés votent mardi sur l’accord de sécurité entre Paris et Kiev. Il ne suffit pas de dire, comme Bernard Guetta, « Poutine est stupide ».


La Russie n’aurait pas dû envahir l’Ukraine, la cause est entendue. Mais comment en est-on arrivé là ? De nombreux diplomates et d’anciens ministres considèrent que les pays occidentaux, les États-Unis en premier lieu, ont joué, durant ces trois dernières décennies, une partition géopolitique navrante vis-à-vis des dirigeants et du peuple russes qui se sont sentis humiliés par des États pensant les avoir réduits à faire de la figuration sur la scène internationale après la chute de l’empire soviétique. On l’a oublié mais, aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, Boris Eltsine (en 1994) puis Vladimir Poutine (en 2000) évoquèrent avec le président américain Bill Clinton la possibilité d’une adhésion de la Russie à l’OTAN. Tergiversations, barrage des pays de l’ex-bloc soviétique eux-mêmes demandeurs de la protection américaine et craignant un impérialisme new-look de la Russie, soupçons des pays de l’Europe de l’Ouest – selon l’historien britannique d’origine russe Sergey Radchenko, « en étant trop réaliste et pas assez idéaliste à un moment où il aurait pu faire une différence, Bill Clinton a peut-être contribué à faire de la résurgence impérialiste de la Russie une prophétie autoréalisatrice ».

L’Europe s’américanise d’un côté et s’islamise de l’autre

Nous sommes en 2021. Seize ans après un nouvel agrandissement de la zone d’influence américaine en Europe de l’Est (entrée dans l’OTAN de la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Roumanie), se souvenant que les Américains avaient déjà proposé en 2008 l’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN et que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s’étaient opposés à cette idée en promettant toutefois d’y revenir plus tard, Vladimir Poutine s’enquiert auprès des diplomaties occidentales sur la relance d’un projet d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN, ce qui serait pour lui un casus belli. Sur France Culture, lors de l’émission Répliques du 2 mars, Pierre Lellouche, ex-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, a rappelé comment la Russie avait officiellement demandé à la mi-décembre 2021 que soit entérinée, en échange du maintien de la souveraineté ukrainienne et de l’ouverture de négociations pour sortir de la crise du Donbass, la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Américains et Européens décident alors d’humilier les Russes en ignorant purement et simplement leur requête, en n’y répondant pas et en laissant planer le doute. Hubert Védrine parlera d’une « provocation dangereuse ». Le 24 février 2022, les troupes russes pénètrent en Ukraine. Un mois après le début des hostilités, alors que Volodomyr Zelensky se dit prêt à négocier directement avec Vladimir Poutine, le petit télégraphiste de Washington, Boris Johnson, se rend à Kiev pour demander au président ukrainien de ne rien négocier du tout, l’assurant du soutien inconditionnel, en armes et en argent, des Américains et des Britanniques. Dès le début, les Américains voient dans ce conflit un moyen radical pour séparer l’Europe occidentale, surtout l’Allemagne, de la Russie. Tous les moyens sont bons. Y compris le sabotage des gazoducs Nord Stream – le 6 février 2022, Joe Biden, lors d’une conférence de presse avec Olaf Scholz, avait prévenu : « Si la Russie envahit l’Ukraine, Nord Stream 2 n’existera plus. Nous y mettrons fin. » À la question : « Comment ferez-vous ? », Biden avait répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. » Les Américains ont encouragé les Ukrainiens à poursuivre une guerre qu’ils savaient perdue d’avance. En même temps qu’ils espèrent affaiblir militairement la Russie, ils comptent ébranler l’Allemagne et ses prétentions d’extension économique : la charge financière que représente l’achat du gaz américain, quatre fois plus cher que le gaz russe, est en train d’étouffer l’industrie allemande. Au passage, ils vendent leurs avions et hélicoptères militaires aux Allemands et aux Polonais qui chantent l’Europe de la Défense mais achètent américain. La Finlande, à peine entrée dans l’OTAN, débloque 1,7 milliard d’euros pour l’achat de matériel militaire… américain. L’Europe, qui ne sait plus où elle habite, qui s’américanise d’un côté et s’islamise de l’autre, qui achève son agriculture après avoir bradé son industrie, est anéantie par une organisation corrompue dirigée par une Allemagne vassale des États-Unis, l’impératrice Ursula et ses sbires fédéralistes et atlantistes. Les États-Unis, à la recherche de nouveaux marchés et d’un raffermissement stratégique et géopolitique dans la partie la plus orientale de l’Europe, ne voient pas d’un si mauvais œil la continuation du conflit russo-ukrainien. En même temps, ils anticipent l’inévitable après-guerre en envoyant des représentants en Ukraine afin de discuter d’ores et déjà de la reconstruction de ce pays ruiné et de garantir aux entreprises américaines une place de choix lors des futurs appels d’offres dans le cadre de cette reconstruction qui sera essentiellement financée par… l’Union Européenne. Business is business

Macron consterne les chancelleries occidentales

Le 25 février dernier, le New York Times a révélé le financement américain, dès 2014, de 12 bases militaires ukrainiennes de renseignement établies tout le long de la frontière russe. Investissement juteux : en 2015, le chef du renseignement militaire ukrainien livre à la CIA des informations importantes sur les sous-marins nucléaires russes. Malgré les réticences des Américains, les services secrets ukrainiens assassinent des leaders russes ou séparatistes. 2014, c’est aussi l’année du coup d’État de Maïdan à Kiev soutenu (fomenté ?) par les Américains afin de chasser un gouvernement considéré comme trop pro-russe. Soulignons encore que ces bases sont installées au moment où les accords de Minsk (Minsk I en septembre 2014 puis Minsk II en février 2015), supervisés par la France et l’Allemagne, sont signés entre l’Ukraine et la Russie afin de tenter de résoudre le conflit entre Kiev et les séparatistes pro-russes du Donbass. Ces accords ne seront jamais véritablement appliqués. L’Ukraine ne respectera pas le point prévoyant une réforme constitutionnelle pour introduire un nouveau statut d’autonomie des deux Républiques séparatistes. Les élections qui devaient avoir lieu sont annulées, les russophones du Donbass sont régulièrement humiliés par le gouvernement ukrainien, des troupes miliciennes ukrainiennes font régner leur loi. « Porochenko d’abord, puis Zelensky ont accepté les principes de l’accord mais ne l’ont finalement jamais appliqué », affirmera l’ancien ambassadeur de France à Moscou, Jean de Gliniasty. Mais ces accords avaient-ils réellement pour objectif de régler les différends entre Kiev et Moscou ? L’ex-chancelière allemande, Angela Merkel, vend la mèche dans un entretien donné à Der Spiegel le 24 novembre 2022 : « Les accords de Minsk ont servi à donner du temps à lUkraine. […] Il était évident pour nous tous que le conflit allait être gelé, que le problème n’était pas réglé, mais cela a justement donné un temps précieux à l’Ukraine. » François Hollande confirmera les propos de l’ex-chancelière. Aveuglé par les nombreux discours officiels d’Angela Merkel insistant sur le fait que la levée des sanctions contre la Russie était conditionnée à la mise en œuvre des accords de Minsk, Vladimir Poutine n’a visiblement pas vu le coup venir ; celui-ci est d’autant plus rude que les relations entre l’ex-chancelière allemande et le président russe avaient toujours été excellentes et ont profité aux deux pays, en particulier à l’Allemagne – le gaz russe, abondant et peu cher, a longtemps fait le bonheur des industriels et des ménages allemands.

Soutien à l’Ukraine : un débat vicié

Dirigé par un histrion incompétent et égocentrique, la France est en train de s’échouer sur les rives arides de la politique étrangère et des relations internationales. Au pays de Talleyrand, la nomination de Stéphane Séjourné au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères serait du plus haut comique si elle n’était pas le reflet du délabrement total de l’État français. Au milieu du désastre, Narcisse 1er gonfle son petit torse et convoque les dieux de la guerre qui rient de voir ce nain se prendre à la fois pour Jupiter et Mars. Les chancelleries occidentales sont consternées et commencent à se demander si le tourbillonnant président français a toute sa raison. Par pur réflexe, le président russe rappelle qu’il possède l’arme atomique – en réalité, la tarasconnade de notre divin ridicule a dû amuser Poutine, l’homme aux douze cancers guéris par les plantes. En revanche, l’ex-KGBiste et président actuel d’un pays où la propagande politique est considérée depuis plus d’un siècle comme un art à part entière, a certainement apprécié à sa juste valeur la puissance de la propagande occidentale après l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny : devenu une icône intouchable, Navalny a miraculeusement échappé aux investigations des journalistes occidentaux qui auraient pu rappeler le passé plus que douteux de cet ultra-nationaliste réputé pour son racisme, pour sa xénophobie, pour un clip dans lequel il préconisait la « déportation » des migrants et pour une vidéo dans laquelle il expliquait, gestes à l’appui, comment exterminer les mouches, les cafards et les… musulmans tchétchènes. Si le monde occidental s’est prosterné devant la dépouille de Navalny, il n’en a rien été à Kiev – et pour cause : les Ukrainiens ont souvenir de quelques déclarations de Navalny qui leur restent en travers de la gorge, en particulier celles sur un « monde russe » plus large que la Russie et une politique étrangère russe devant par conséquent viser« au maximum l’intégration avec l’Ukraine et la Biélorussie ». Les Occidentaux accusent Vladimir Poutine d’avoir harcelé Alexei Navalny jusqu’à le faire mourir mais se soucient assez peu du sort de Julian Assange. Poursuivi par les l’États-Unis, isolé dans une prison de haute sécurité au Royaume-Uni, très affaibli physiquement et psychologiquement, le lanceur d’alerte australien est dans l’attente d’une possible extradition vers un pays qui l’a d’ores et déjà condamné à 175 ans d’emprisonnement pour avoir révélé les exactions des services secrets et militaires américains. Curieusement (ou pas), les médias occidentaux s’épanchent depuis des années sur le cas de Navalny mais restent relativement discrets sur celui d’Assange.  

Dans un entretien récent donné au Figaro, Jean-Pierre Chevènement souligne l’incohérence politique et l’amateurisme géopolitique d’Emmanuel Macron. « Les intérêts vitaux de la France ne se situent pas en Ukraine », rappelle-t-il. L’ancien ministre de la Défense souhaite, au sujet de l’engagement de la France dans le conflit russo-ukrainien comme au sujet d’une « européanisation de la dissuasion nucléaire », un débat au parlement, débat qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps s’il existait une véritable opposition parlementaire pour le réclamer. Ce débat sur l’engagement de la France en Ukraine doit enfin se tenir à l’Assemblée puis au Sénat cette semaine. À trois mois des élections européennes, le vote parlementaire qui suivra ce débat est un piège grossier reposant sur un simplisme manichéen et strictement politicien, au plus mauvais sens du terme : soit vous votez pour le plan de soutien de la France à l’Ukraine – et alors, bravo, vous êtes dans le camp du Bien – soit vous votez contre – et alors, rien à faire, quels que soient vos arguments, vous devenez un suppôt de Poutine, un traître, un espion à la solde du régime russe, un anti-démocrate en puissance. Une grosse claque électorale étant annoncée, la stratégie macronienne pour les élections européennes se résume à « faire barrage au RN » et, conjointement, à pousser sur le devant de la scène le conflit en Ukraine afin d’escamoter les sujets primordiaux que sont l’immigration, la sécurité, l’énergie, l’agriculture, le rôle de la Commission, du Parlement européen, l’avenir des traités, etc. Les électeurs seront-ils dupes ?

Sur France Culture, face à un Bernard Guetta hoquetant une argumentation chétive sur l’air de « Poutine est stupide »,  Emmanuel Todd a affirmé que « de fait, les Russes ont gagné la guerre ». Le mieux que la France puisse faire, a déclaré de son côté Pierre Lellouche, est de tenter de prendre part aux prochaines négociations qui ne manqueront pas d’avoir lieu lorsqu’il apparaîtra que l’Ukraine, économiquement, démographiquement et militairement exsangue, ne peut tout simplement pas gagner cette guerre. Négociations qui s’avéreront difficiles, qui ne devront humilier aucune des parties, qui demanderont par conséquent beaucoup de doigté diplomatique ainsi qu’une parfaite connaissance de l’histoire intriquée des pays belligérants et des enjeux géopolitiques de toute la région. Autant dire que la France, si elle est représentée par Narcisse 1er et M. Séjourné à ce moment-là, fera tapisserie.

La Bulgarie, un État toujours gangréné par la corruption

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Le Premier ministre bulgare en fonction depuis le 6 juin 2023, Nikolaï Denkov © Valentina Petrova/AP/SIPA

41% des Bulgares ont déclaré avoir eu recours à des pratiques corruptives pour accéder facilement aux services publics en 2019. Et, alors que le pays rentre (partiellement) ce mois-ci dans l’espace Schengen, les migrants qui transitent par ce pays y restent les otages de réseaux avec lesquels la justice est bien complaisante.


Les élections européennes sont propices à la formulation de nombreuses critiques sur le fonctionnement de l’Union européenne, souvent perçue comme technocratique et éloignée des réalités quotidiennes des citoyens. Ce procès est peut-être un peu hâtif lorsque l’on s’intéresse de plus près aux États qui la composent et qui l’ont librement rejointe, notamment lors des différents élargissements aux pays ex-communistes entre 2004 et 2007. S’il y avait un devoir presque historique d’accepter les « pays d’Europe centrale et orientale » dans la famille européenne, certains États éprouvaient des difficultés et peinent encore à se conformer aux normes politiques, juridiques, économiques et sociales en usage au sein de l’UE. La Bulgarie est l’un de ces pays.

La Bulgarie a officiellement rejoint l’UE le 1er janvier 2007 en vertu du Traité de Luxembourg, en même temps que la Roumanie. Ces deux pays étaient alors parmi les plus pauvres du continent, mais les institutions européennes et les Etats-membres ont considéré que les progrès réalisés depuis le début des négociations justifiaient l’adhésion. Toutefois, ni Bucarest, ni Sofia ne faisaient partie de l’espace Schengen. Les deux États font une entrée — partielle — dans cette espace en mars 2024, malgré la réticence de plusieurs capitales qui estiment qu’ils ne remplissent pas suffisamment les critères, et pointent notamment, dans le cas de la Bulgarie, la corruption généralisée, à tous les niveaux, qui sévit dans ce pays.

Alerte sur la corruption dans les flux migratoires

Il convient de rappeler que selon l’ONG Transparency International, la référence mondiale de mesure de la corruption, la Bulgarie est, avec la Hongrie, le pays le plus corrompu de l’Union européenne, occupant la 67e place sur 180 pays étudiés en 2023. En 2019, 41% des Bulgares ont déclaré avoir eu recours à des pratiques corruptives pour accéder facilement aux services publics… Parmi de nombreux secteurs où se pratique cette corruption, deux sont emblématiques : la politique migratoire et l’usage de la justice à des fins politiques.

Le cas de la gestion des migrants, provenant essentiellement du Moyen-Orient utilisant la route transitant par la Turquie, illustre ce niveau de corruption. Les migrants sont otages de réseaux mafieux qui agissent en quasi-impunité, tant la police et la justice sont clémentes à leur égard, voire complices. Ces réseaux, parfois liés à certains milieux politiques, sont coupables de trafic de migrants, depuis le passage des frontières jusqu’à l’installation des réfugiés ou encore des pots-de-vin versés à la police pour faciliter le transit vers l’Europe occidentale. Alors que l’UE traverse régulièrement des crises migratoires, les administrations bulgares impliquées bénéficient financièrement de la situation. Il n’est pas sûr que l’entrée partielle dans l’espace Schengen améliore cette situation.

À lire aussi, Michèle Tribalat: Immigration clandestine: il serait plus efficace de dissuader d’entrer que d’obliger à partir

Autre fait grave au regard du respect de l’État de droit (et donc de l’adhésion aux valeurs et aux normes européennes), l’instrumentalisation de la justice par les élites au pouvoir pour gêner l’opposition politique qui dénonce la corruption de l’État. Cette pratique est digne des manies propres aux pays autoritaires où les dirigeants ne souhaitent en aucun cas quitter le pouvoir. Et tous les moyens sont bons. Ainsi, une fintech internationale implantée en Bulgarie, Nexo, a été victime d’un harcèlement judiciaire injustifié pour une raison officieuse peu avouable : les dirigeants de cette société auraient été proches de l’opposition au pouvoir. C’est suffisant pour que la justice bulgare, par le biais de l’ancien procureur général Ivan Geshev, perquisitionne en janvier 2023 les bureaux locaux de Nexo avec une accusation toute trouvée pour cibler un acteur du secteur des cryptomonnaies : le blanchiment d’argent. « Dans le modèle bulgare, hérité de celui soviétique, le procureur général est l’institution qui concentre le plus de pouvoirs. Il est au sommet d’une pyramide, intouchable, et ne rend de comptes à personne. Il décide qui doit être poursuivi et qui ne l’est pas. Et au lieu de protéger les gens des bandits, notre procureur général fait tout le contraire : il protège ses amis comme un parapluie et frappe ses ennemis comme une batte de base-ball », expliquait au Monde, en 2020, Lozan Panov, alors président de la Cour de cassation bulgare et ennemi juré de Ivan Geshev.  

L’affaire, très médiatisée, a fait l’objet d’une bataille judiciaire qui s’est achevée par la clôture du dossier faute de preuve, et Nexo demande maintenant des dommages et intérêts conséquents à l’État bulgare (3 milliards de $) auprès d’une cour d’arbitrage internationale, leur réputation ternie ayant empêché une introduction en bourse. Il convient de préciser que M. Geshev était une personnalité extrêmement controversée, impliquée dans d’autres scandales judiciaires. Il a finalement été renvoyé, mais son successeur par intérim Borislav Sarafov, fait l’objet de critiques notables, ce qui illustre les difficultés de réformer la justice dans un tel contexte de corruption. Dans un contexte de marché unique européen et d’une inclusion de la Bulgarie à l’espace Schengen, cette corruption endémique peut constituer un risque réel pour les citoyens européens.

Des répercussions notables sur les populations européennes

Il ne faut en effet pas croire que les citoyens européens ne sont pas concernés. Outre les effets que le trafic de migrants peut avoir sur les sociétés européennes, il en va aussi de la cohérence du projet européen : laissons-nous agir sans réel contrôle les institutions d’un pays qui ne respecte pas les règles que d’autres s’imposent — à raison ? De même, est-il normal que des fonds de l’UE (financés par les citoyens européens) aient été détournés par une partie de l’administration et de la classe politique bulgare, au détriment de la population ?

À lire aussi, Didier Desrimais: Guerre russo-ukrainienne: comment en est-on arrivé là?

Certes, la Bulgarie est une démocratie encore jeune, où le passé communiste a laissé des pesanteurs dans le fonctionnement de l’État. Mais c’est le cas d’autres pays à l’Histoire similaire. Il est malheureusement très complexe de lutter efficacement contre l’enracinement profond de ces pratiques condamnables, et même criminelles, au sein d’une oligarchie politique, administrative et judiciaire qui tient à conserver ses privilèges.

Toutefois, l’espoir est permis. Le Premier ministre Nikolaï Denkov, entré en fonction en juin 2023, s’est fait élire sur un programme pro-européen, pro-OTAN et surtout insistant sur la lutte contre le fléau de la corruption. Le départ du procureur général Geshev n’a pas tardé. Il existe une vraie attente de la société bulgare pour le changement, tant elle est lasse des pratiques qu’elle subit sans avoir de réels recours. Il est du devoir des institutions européennes, mais aussi des autres États, de soutenir M. Denkov pour enfin débarrasser la Bulgarie des pratiques qui n’ont rien à faire dans l’Europe du XXIe siècle. L’avenir dira s’il arrive à aligner le pays sur les standards européens.

Effet de serre

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The Exterminating Angel 23-24 © Agathe Poupeney-OnP

Art lyrique. L’Ange exterminateur, œuvre opératique inspirée de Luis Buñuel, à voir en ce moment à l’Opéra Bastille.


En 1962, Luis Buñuel réalise El Angel exterminador (L’Ange exterminateur), chef-d’œuvre entre les chefs-d’œuvre du maître aragonais, joyau absolu de sa longue et féconde période mexicaine (cf. Los Olvidados, La Vie criminelle d’Archibald de La Cruz)…

Au sortir d’une soirée à l’opéra, près d’une vingtaine de grands bourgeois très policés – un colonel, une cantatrice, un chef d’orchestre, un homme de lettres, un franc-maçon, un médecin, une pianiste… – se retrouvent pour un raout dans une splendide maison de ville, à l’invitation du marquis Edmundo de Nobile et de son épouse, Lucia. Alors que, mystérieusement, à l’exception du majordome, les domestiques ont filé à l’anglaise, un sortilège empêche les invités de quitter les lieux. Peu à peu, on tombe la veste, on se déboutonne, on se lâche. La fatigue, la maladie, la faim, la soif finissent par tenailler la petite assemblée : les bonnes manières du grand monde le cèdent aux instincts les plus primaires…

Huis-clos lyrique sans entracte

C’est ce film en noir et blanc proprement génial dont le compositeur britannique Thomas Adès, chef d’orchestre, pianiste et figure incontournable de la création musicale contemporaine (cf. l’opéra The Tempest, d’après Shakespeare, au Royal Opera House de Londres, ou encore la partition du ballet de Wane McGregor The Dante Project, qu’il dirigeait en mai dernier au Palais Garnier) méditait de longue date la transposition lyrique. Sur un magnifique livret co-écrit avec l’Irlandais Tom Cairns, également metteur en scène, The Exterminating Angel, créé en 2016 dans le cadre du Festival de Salzbourg, nous arrive à Paris dans une régie de l’Espagnol Calixto Bieto dont, hasard du calendrier, la salle de la Bastille accueille, dès cette semaine (première ce mardi 12 mars), la reprise du mélodrame verdien Simon Bocanegra dans une mise en scène millésimée 2018, tout aussi réussie, dans le souvenir qu’en garde votre serviteur. Qui y reviendra, bien sûr, dans les tout prochains jours, sur votre site Causeur bien-aimé.  

En attendant, il est encore temps de se précipiter à l’une des dernières représentations de cet Ange exterminateur anglo-saxon, huis-clos lyrique sans entracte qui, deux heures durant, vous prend littéralement aux tripes. Ceint dans l’étau d’un salon lambrissé d’un blanc immaculé que meuble, autour de la table de réception, une théorie de chaises tapissées de rouge vif, le chromatisme incandescent d’une verrière Belle Epoque ouvre son rectangle aux vitres jointées de noir dans la perspective d’un très haut plafond. Solennellement y entrent, par une double croisée en fond de scène, outre le majordome et les domestiques, lesquels quant à eux ne tarderont pas à s’éclipser, la douzaine de commensaux sur leur trente-et-un (frac et robes longues de rigueur) accueillis, en l’honneur de la cantatrice Leticia Maymar (la soprano Gloria Tronel) qui vient tout juste de triompher dans Lucia de Lammermoor, par l’adipeux amphitryon Nobile (campé par l’excellent ténor écossais Nicky Spence) et sa femme (la brune Jacquelyn Stucker, splendide soprano, fulgurante dans les aigus stratosphériques qu’exige le rôle) : pas plus indemnes que les murs bientôt fracassés à la hache, maculés de sang, canalisations percées, où leur confinement s’abîmera jusqu’à la perdition : inceste, viol, mutilations, sacrifice rituel, cadavres abandonnés au sol… De ce piège, ils ne sortiront pas : dénudation, au propre comme au figuré, dont le colonel Alvaro Gomez, sous les traits attrayants du duveteux, viril et charpenté baryton américain Jarrett Ott, sera l’incarnation sacrificielle.

Corrosif

Enjambant la défunte table-rase du sérialisme comme l’obsolescence inévitable de la musique électronique, la partition de Thomas Adès revendique un syncrétisme luxuriant qui prend appui sur quatre siècles de tradition lyrique occidentale, dans un alliage dépassant le poncif tonalité versus atonalité, sans craindre d’incorporer au tissu chatoyant de ses harmonies chromatiques, tout aussi bien un solo de guitare, que des ponctuations percussives ou des arias raccourcis à l’extrême, ou même encore une voix de contre-ténor (montré de surcroît avec causticité comme gay – Anthony Roth Costanzo parfait dans le rôle). Sans compter, outre les sirènes de ces ondes Martenot censées timbrer la puissance exterminatrice, ces relents de valses viennoises ou ces citations tout droit échappées de l’esthétique post-romantique… Invisibles, les chœurs inondent par instants la vastitude de la salle, le plus beau moment musical étant réservé, à mon sens, à ce duo du troisième acte où s’unissent les voix de Beatriz et d’Eduardo (la soprano Amina Edris et le ténor Filipe Manu) sur un texte qui puise dans les poèmes de Buñuel himself : « Roule ton corps dans le mien, / Cache toi dans sa main. / Dépecé, tu m’as révélé des muscles de bois, / De tes veines je ferai des forêts de luxure./ Quel désir, quel soif de mers brisées, / Changées en nickel,/ Naîtront, oiseaux de nos bouches accouplées, / Quand la mort entrera par nos pieds ».

THE EXTERMINATING ANGEL © Agathe Poupeney / OnP – 26/02/2024 – Opéra Bastille – Opéra national de Paris – Paris

Pleinement fidèle à l’esprit du film El Angel exterminador, le spectacle n’en respecte pas la lettre et c’est tant mieux. La volée de cloches qui ouvre et referme ce drame tellement insolite, ou encore la présence liminaire du jeune enfant porteur de ballons gonflables en forme de moutons, entrant en scène en bêlant tel un ovidé, renvoient subtilement à ce hors champ cinématographique qui faisait, chez Buñuel, s’égayer dans la ville un troupeau de brebis, tandis que les hôtes hagards, miraculeusement libérés de leur envoûtement, se confiaient aux pompes et aux ors de l’église toute proche, dans un dénouement corrosif à souhait…


The Exterminating Angel. Opéra en trois actes de Thomas Adès. Livret Tom Cairns et Thomas Adès.  

Avec: Jacquelyn Strucker, Gloria Tronel, Hilary Summers, Claudia Boyle, Christine Rice, Ilanah Lobel-Torres, Nicky Spence, Frédéric Antoun, Jarrett Ott, Anthony Roth Costanzo, Filipe Manu, Philippe Sly, Paul Gay, Clive Bayley, Thomas Faulkner, Julien Henric, Nicholas Jones, Andres Cascante, Bethany Horak-Hallett, Régis Mengus, Arthur Harmonic…
Direction : Thomas Adès. Mise en scène : Calixto Bieito. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  
Livret en anglais (surtitré anglais et français). Durée : 2h.
Opéra Bastille, les 13 et 23 mars à 20h. Le 17 mars à 14h30.
Diffusion à partir du 22 mars sur Medici.tv. Le 20 avril sur France-Musique.

DVD, édition Met Opera de New-York/ Erato, dans la première mise en scène, signée Tom Cairns.

La déroute de la pensée unique est programmée

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© liot Blondel/ABACAPRESS/Sipa

L’assaut mené contre CNews par Reporters sans frontières illustre la défaite de la presse moralisatrice : elle demande au gouvernement et aux juges de faire taire un média coupable de décrire le réel. Cette machination a aussi révélé le militantisme du Conseil d’État et sa proximité avec la gauche intolérante.


Un monde finissant s’accroche à ses fauteuils. La déroute des puissants est programmée, tant leurs lubies sur la « société ouverte » se révèlent désastreuses. Leur idéal déraciné, qui sévit depuis un demi-siècle, est à bout de souffle. La colère paysanne, ce « soulèvement du peuple de la terre » (Robert Redeker), en est le symbole. Le système ne tient plus que parla rage des faillis. Pour ces vendeurs de nuages, seule compte leur survie. Or un peuple mal guidé n’a d’autre issue que de chasser ses maltraitants. Les Français ont atteint, pour une partie d’entre eux, ce stade ultime de l’exaspération. Les derniers feux, lancés par la caste assiégée, expriment la panique du gouvernement. Il ne sait plus convaincre autrement que par la propagande et le bâillon. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu ici [1] : la pente liberticide de l’État le rapproche des régimes illibéraux, voire totalitaires. C’est au nom d’une défense orwellienne de la démocratie et de la liberté qu’une coalition de politiques, de juges et de journalistes, issus de la gauche et de l’extrême gauche, cherche à imposer un discours diversitaire obligé. Même la mémoire de Missak Manouchian, l’étranger devenu résistant communiste, est réquisitionnée à cette fin. Seule, croient-ils, une obéissance décrétée pourrait conforter leur pensée unique, qui ne produit que slogans, interdits, excommunications. Cependant, ces adeptes du confinement des esprits ont des pétoires à bouchon à la place du cerveau. Oui, leur sort est de disparaître. Le plus tôt serait le mieux.

Défaite de la presse moralisatrice

L’histoire s’accélère. L’ancien régime agonisant promet des soubresauts féroces. Incapables de se réconcilier avec les citoyens ordinaires, les sursitaires ont choisi de les faire taire. Les lanceurs d’alerte et les médias indépendants sont dans le collimateur de l’État censeur et de ses rabatteurs à cartes de presse. L’assaut contre CNews, mené par Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) et responsable des états généraux de l’information, voulus par Emmanuel Macron, illustre la défaite de la presse moralisatrice : elle exige du gouvernement et des juges qu’ils imposent le silence à un média coupable de décrire le réel et ses insécurités, ce qui explique son succès. En l’occurrence, la machination contre la chaîne de Vincent Bolloré a révélé le militantisme du Conseil d’État et sa proximité avec la gauche intolérante. C’est en France, et non en Russie, qu’une télévision privée voit sa ligne éditoriale, mais aussi ses chroniqueurs, ses animateurs et ses invités, menacés d’être mis sous surveillance, avec les applaudissements de la presse « progressiste » et le silence approbateur des Sociétés de rédacteurs, y compris du Figaro. En 1882, Nietzsche écrivait : « Encore un siècle de journalisme et les mots pueront. »La puanteur est partout. Depuis le 15 février, une disposition anti-Raoult introduite par le gouvernement dans la loi antisecte permet même de sanctionner toute contestation du discours sanitaire de l’État-Mamma, en dépit de ses mensonges sur l’efficacité des vaccins anti-Covid. Urgent d’ouvrir les fenêtres.

Les jours des squatteurs de la démocratie sont comptés. Aucune réconciliation n’est plus possible entre « les responsables du sommet et ce que vit la base », en dépit de ce que veut croire François Bayrou qui alerte sur le divorce. Il est trop tard. Le coup d’État judiciaire contre une télévision trop libre, putsch impensé et voué à l’échec, a été rendu possible par l’emprise de la bêtise au front de taureau : elle règne sur un monde infatué, réfugié dans l’autocongratulation. La Macronie est coresponsable de ce naufrage. Elle a encouragé les épurations des dissidents, jetés dans le petit goulag de l’« extrême droite ». Le service public de l’audiovisuel, fermé au pluralisme, a laissé voir l’imposture des places fortes agitant leur humanisme. Vues de près, ces citadelles de la gauche-bernique puent le renfermé. Le mince rapport (14 pages) du sémiologue François Jost, qui a servi d’argumentaire au Conseil d’État contre CNews, est stupéfiant de médiocrité bâclée. Le camp du Bien ne pense plus. Il ânonne. Ses beaux merles affichent une prétention comique, dont le journaliste-prêcheur Thomas Legrand pourrait être le symbole. Quand Romain Desarbres (Europe 1) demande au macroniste Éric Woerth, le 13 février, son avis sur la suppression du droit du sol à toute la France plutôt qu’à Mayotte, il se voit répondre : « On n’y a pas assez réfléchi. »L’aveu dit l’hébétude d’une classe politique décérébrée face à l’enjeu migratoire.

La France veut un président enraciné

Tout est faux dans le discours officiel. La confusion des esprits est la norme. L’ex-Premier ministre Édouard Philippe fait un bon diagnostic quand il décrit le profil idéal du futur occupant de l’Élysée : « Enraciné, grave, qui parle peu mais fait. » (La Tribune Dimanche, 11 février). Or la Macronie, déracinée, bavarde et aboulique, est le modèle opposé. À peine avait-elle succédé à Gabriel Attal à l’Éducation que Nicole Belloubet écartait son projet de classes de niveau. Les agriculteurs demandent moins d’Europe technocratique et moins de jacobinisme : Macron, feignant lâcher du lest, leur en remet davantage en les classant, au passage, « métiers en tension »ouverts aux clandestins. Le 7 février aux Invalides, dans son hommage aux 42 victimes françaises du Hamas, le chef de l’État n’a pas même osé prononcer,ne serait-ce qu’une fois, les mots « islamisme » ni « Israël » dans sa dénonciation du terrorisme et de l’antisémitisme.L’État sait être brutal quand il s’agit de se faire obéir des silencieux.Mais seule la lâcheté pousse Macron à taire la responsabilité de l’islam djihadiste, qui prospère en France, dans le pogrom antijuif du 7 octobre lancé de Gaza. La mollesse de ses dirigeants met le pays en danger.

L’avenir est aux élites à la pensée claire et aux yeux ouverts. Lorsque la maire (divers droite) de Romans-sur-Isère (Drôme), Marie-Hélène Thoraval, met des mots simples sur des évidences, elle aide à l’effondrement des faux-semblants. Elle participe à la révolution du Réel. À ceux qui veulent censurer CNews, l’élue répond (Europe 1, 16 février) : « Laissez-nous choisir ! » On ne saurait mieux dire.


[1] Voir, notamment, les chroniques de mars et octobre 2023.

Philippe Muray ou le rire libérateur du moraliste

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Philippe Muray © Hannah Assouline

Vous n’avez pas lu une ligne du génial Philippe Muray? Mais qui est ce grand écrivain que Causeur présente comme sa figure tutélaire, à la fin, vous demandez-vous? Muray pour les nuls, par Jacques Aboucaya…


S’il n’était pas mort prématurément en mars 2006, la soixantaine juste atteinte, Philippe Muray eût fait son miel de notre époque récente dont il pointait déjà la décadence.
Celle-ci s’accélère et il n’est pas douteux qu’elle eût alimenté la verve de ce philosophe moraliste, essayiste, diariste et romancier, pamphlétaire redoutable,  qui a laissé une œuvre copieuse et originale.

Le père de l’Homo festivus

Qui était Philippe Muray ? Tous ses écrits en témoignent : un bretteur impitoyable et sarcastique. Aussi goguenard que provocateur. A rebours des théoriciens verbeux, il s’en prend au tout festif, au tout cultureux. Il se borne à constater, sans jamais prétendre à théoriser. Son Homo festivus, prototype de nos concitoyens lambda, a marqué les esprits. La formule maintes fois utilisée Castigat ridendo mores, il corrige les mœurs par le rire, lui va comme un gant.
C’est que Muray ne se perd pas en abstractions. Il braque sur son époque post-moderne, la nôtre, un projecteur qui en fait ressortir les contradictions. Et d’abord cet esprit de sérieux, lequel, pourtant, s’exprime dans une doxa où la fête se trouve prônée, mais encadrée, définie en fonction de normes précises. Où elle devient une obligation, avec le culte béat du bonheur imposé.
Le ricanement de Muray, pas plus que celui de Céline dont il est, dans une certaine mesure, un héritier, auquel il se réfère souvent, ne reflète jamais le cynisme. Plutôt une manière de tendresse déçue, et désolée, envers ses frères humains, fourvoyés dans l’imposture du Progrès. « C’est une grande infortune, écrit-il dans sa préface à L’Empire du Bien, que de vivre en des temps si abominables. Mais c’est un malheur encore pire que de ne pas tenter, au moins une fois, pour la beauté du geste, de les prendre à la gorge ».

Un proche parent de Céline et de Vialatte

Sa prose, elle aussi, prend à la gorge. Elle s’adresse, avant même de gagner l’empyrée des idées, à nos sensations, à nos émois. Elle aiguillonne, fait toucher du doigt le conformisme béat dans lequel, sans en avoir conscience, nous nous vautrons au quotidien.

A lire aussi, Georges Liébert: Philippe Muray, Pythie sans pitié

Il y a aussi, chez lui, outre Céline, un lien de parenté avec Alexandre Vialatte. Pas seulement parce que les deux donnèrent des chroniques à La Montagne de Clermont-Ferrand, mais pour la cocasserie de leurs observations. L’un et l’autre savent trouver le bon angle de vision pour commenter une actualité dont ils débusquent avec délectation les incohérences. L’Homo festivus, ce « fils naturel de Guy Debord et du web », est le cousin germain de l’Homme de Vialatte (Dernières nouvelles de l’Homme). L’un et l’autre fustigent « les mondialisateurs  professionnels et les frénétiques modernocrates ».

En pleine actualité

Voici que l’auteur des Exorcismes spirituels fait son retour dans l’actualité. Les Belles Lettres qui se sont lancées dans la réédition de son œuvre intégrale, viennent, en effet, de publier son essai Le XIXe siècle à travers les âges, initialement paru chez Gallimard en 1999. Philippe Muray y développe, avec son brio habituel, une thèse infiniment originale : le XIXe siècle, si différent, en apparence, des siècles suivants, portait en germe tout ce qui caractérise notre époque. L’analyse des divers courants qui l’ont traversé démontre qu’ils n’étaient contradictoires qu’en apparence. Ils obéissaient, en réalité, à un code commun que Muray s’attache à décrypter. Etablir une parenté entre le socialisme, l’occultisme, le féminisme, l’antisémitisme et le culte du progrès relève du paradoxe. Ou de la haute voltige – bien que la résurgence actuelle de ces courants dénote une inquiétante proximité. Hugo, Auguste Comte, Blanqui et Zola, mais aussi Balzac, Flaubert, Michelet et Baudelaire sont convoqués, avec leur œuvre respective, pour étayer une constatation qui se révèle, au bout du compte, plus convaincante que tout raisonnement. On y retrouve l’écrivain avec sa vaste culture, son goût des paradoxes (« Le XIXe siècle est devant nous), ses néologismes (la dixneuvièmité, l’Homo dixneuviemis). Sans oublier, bien sûr, le style, inimitable. L’humour omniprésent. Une force de conviction qui use volontiers de la provocation.
Tout aussi attachant, encore que dans un registre assez différent où la confidence trouve sa place, son journal intime dont le titre, énigmatique au premier abord, laisse apparaître la dilection de l’auteur pour le latin ou ce qui lui ressemble. Tiré du dicton traditionnel figurant sur les cadrans solaires, Vulnerant omnes, ultima necat (toutes (les heures) blessent, la dernière tue), il présente, en quelque sorte, la face cachée de l’écrivain. Celui-ci s’y livre sans fard, confiant ses incertitudes, ses enthousiasmes comme ses découragements devant les contraintes matérielles qui viennent entraver la genèse de son roman On ferme.
Ces deux derniers volumes, comme les précédents, abordent les sujets les plus divers. Seule constante, l’observation aiguë de l’époque décadente que nous traversons et le diagnostic sans appel qui en découle. Autant dire que Muray ne mâche pas plus ses mots qu’il ne cherche à séduire ni à convaincre. Cette « brutalité » de la pensée et du propos peut parfois choquer. Elle est le gage de la sincérité de l’écrivain. Et sa marque de fabrique.


Aux éditions Les Belles Lettres :

Essais (L’Empire du Bien, Après l’Histoire I-II, Exorcismes spirituels I-IV.  812 p. avec index.

Essais : L'Empire du Bien, Apres l'Histoire I-II, Exorcismes spirituels I-IV

Price: 34,89 €

19 used & new available from 15,27 €

Le XIXe siècle à travers les âges. 656 p.

Le XIXe siècle à travers les âges

Price: 29,00 €

14 used & new available from 23,01 €

Ultima necat V (1994-1995), 608 p.

Ultima Necat: Journal intime Tome 5, 1994-1995

Price: 35,00 €

7 used & new available from 22,00 €

VI (1996-1997),  400 p.

Ultima Necat: Journal intime Tome 6, 1996-1997

Price: 35,00 €

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