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Depuis la loi Gayssot, la France s’est perdue dans ses odes à la censure

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Mathilde Panot, Rima Hassan et Sihame Assbague entendues par la police dans le cadre d’une plainte pour « apologie du terrorisme »: la gauche islamo-gauchiste récolte ce qu’elle a semé.


Le culte de la censure, sacralisée par la gauche totalitaire, revient en boomerang sur les grands prêtres de LFI et leurs alliés de l’islamo-palestinisme. Ils se croyaient intouchables. Or les voici, Mathilde Panot et Jean-Luc Mélenchon en tête, qui hurlent à « l’intimidation » après la convocation policière de la chef de file des députés insoumis, pour « apologie du terrorisme » : une accusation née de la justification du pogrom anti-juifs du 7 octobre. La procédure a été ouverte après une plainte de l’Organisation juive européenne (OJE). Elle intervient après la convocation par la PJ de la candidate LFI aux Européennes, Rima Hassan, pour le même grief. La militante « antiraciste » Sihame Assbague avait auparavant connu un sort identique. Détestable est, il est vrai, la judiciarisation de la liberté d’expression afin de museler l’esprit critique. Mais jusqu’alors, l’extrême gauche islamisée incarnait ce terrorisme intellectuel. Elle dénonçait les déviants et applaudissait aux poursuites, quand elle ne les suscitait pas.

Mathilde Panot hésitante sur une question concernant le Hamas, Assemblée nationale, 10 octobre 2023. D.R.

Jamais LFI n’a protégé l’esprit critique ni le débat démocratique. Son allié aujourd’hui dissous, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), avec qui elle défila le 10 novembre 2019 à Paris sous les « Allah Akbar ! », n’avait cessé de mener son djihad judiciaire pour tenter de faire taire les oppositions à l’islam politique. J’ai eu à subir les harcèlements de cette organisation[1], dans une procédure uniquement destinée à tenter de soumettre la presse aux exigences coraniques, avec le soutien de la gauche liberticide.

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Bref, la gauche stalinienne – et désormais islamofasciste – récolte ce qu’elle a semé. L’effet comique de l’arroseur arrosé fait sourire : je confesse un amusement à entendre Mélenchon juger la convocation de Panot comme « un événement sans précédent dans l’histoire de notre démocratie », ou à écouter Rima Hassan maudire ses accusateurs en leur promettant son terrible courroux. Néanmoins, je persiste et je signe : ces atteintes à la liberté d’expression sont indignes de la France et des Lumières. Hormis les appels au meurtre et à la violence, ni les lois ni les idéologies ne devraient pouvoir réduire les opinions à un seuil autorisé. Durant toute ma carrière de journaliste, je n’ai cessé de dénoncer les oukases du camp du Bien, les intolérances du politiquement correct, la tyrannie de la religion des droits de l’homme, les procès en sorcellerie des orphelins du communisme, les fatwas de l’islam révolutionnaire, plus récemment les chasses à l’homme blanc de l’antiracisme et du wokisme. J’ai toujours estimé contre-productives les lois mémorielles, et notamment la loi Gayssot de 1990 qui sanctionne la négation du génocide des juifs, mais permet à la loi Taubira (2001) de nier la traite et l’esclavage pratiqué par le monde musulman et africain. La loi Gayssot, dans ses bons sentiments, n’a fait qu’amplifier l’antisémitisme des adeptes du complot. Aujourd’hui, Mélenchon prend la pose victimaire et dénonce une volonté de « protéger un génocide » à Gaza. Dans ces surenchères de cloueurs de becs, tout le monde est perdant. La France en premier.


[1] https://www.lefigaro.fr/blogs/rioufol/2015/11/le-collectif-contre-lislamopho.html

Ruffin: du rififi à LFI ?

L’équipe du député LFI François Ruffin a commandé un sondage dans lequel il apparait nettement mieux placé que Mélenchon si la gauche s’unit à la prochaine présidentielle. Il ferait même jeu égal face à Marine Le Pen au second tour, alors que le vieux chef se fait bananer. Mais de la à y voir la fin de Mélenchon, actuellement en campagne pour les européennes sur le thème unique de Gaza…


Cette fois, l’étincelle qui pourrait bien mettre le feu aux poudres prend la forme d’un sondage. En l’occurrence celui effectué du 2 au 5 avril par l’institut Cluster 17 pour le compte de Picardie Debout, le mouvement du député de la Somme François Ruffin, enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1700 personnes représentatif, selon la formule consacrée, de l’ensemble du corps électoral. Il s’agissait d’évaluer les intentions de vote pour les élections présidentielles de 2027 dans le cadre d’une candidature unique de la gauche (hors NPA). Bien entendu, ce sondage, dont on peut penser qu’il aurait dû demeurer confidentiel, a « fuité ». Il faut dire que ses résultats sont tellement favorables au chef de file du mouvement en question qu’on voit mal comment ses commanditaires auraient pu résister à la tentation de leur donner un maximum de publicité.

Mélenchon largement distancé

Qu’on en juge ! Dans le cadre donc d’une candidature unique de la gauche aux prochaines présidentielles, François Ruffin ferait grandement mieux que le leader historique des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon. Plus encore, il le renverrait à ses chères études. Premier tour : Ruffin candidat de cette gauche unie (le rêve n’étant jamais interdit, même en matière de sondage) rassemblerait sur son nom 29% des suffrages, juste un point de moins que Marine Le Pen et quatre de plus qu’Edouard Philippe, tous deux retenus comme hypothèse de candidature dans la présente étude. Cela alors même que Mélenchon candidat ne glanerait que 18% des votes. Donc, largement derrière Marine Le Pen (32%) et Edouard Philippe (31%). Exclu sans appel du second tour, le sieur Mélenchon. (Et quand bien même parviendrait-il à s’y hisser, il s’y vautrerait lamentablement avec un petit 35%.) Une apocalyptique Bérézina qui, humiliation cauchemardesque pour lui-même et son camp, supposerait une Marine Le Pen élue présidente de la République avec quelque 65% des suffrages.

Un commentaire plus que tout autre donne la mesure du camouflet infligé par ce sondage au chef de la France Insoumise. « Il n’est plus l’évidence ».

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On imagine sans difficulté la colère – tonitruante ou sourde, qu’importe – de l’intéressé recevant cette claque en pleine face. « Moi, Mélenchon 1er, je ne serais plus l’évidence ! Comment cela se peut-il ! Il y aurait une alternative à ma personne ? Ruffin le rufian de Picardie, ce journaleux de rencontre, serait en mesure de me tailler des croupières. À moi à qui il doit tout. Tous, d’ailleurs, me doivent tout ! Aux armes citoyens ! Sauvons la Patrie et mes miches en grand danger! » Certes, on se représente la scène, le coup de grisou force 10.

Cela dit, on s’imagine tout aussi bien la suite.

Mélenchon veut la 6e République, mais pour la démocratie interne on peut attendre

Pour un mouvement politique tel que celui de M. Mélenchon, relevant de la tradition de la gauche radicale et révolutionnaire, cet épisode, qui serait à considérer comme fort dommageable chez tout autre parti, s’inscrit au contraire dans la norme et relève d’une logique spécifique de fonctionnement. En fait, avec cette émergence de crise, LFI n’entre pas dans la tourmente, mais au contraire dans une zone de confort. Il se voit offrir l’exercice de ce qu’il sait faire de mieux et qui assure, renforce sa cohésion chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Anathème, délation, procès en hérésie, etc. Bref, l’intégral du spectre de violence dont tout mouvement de cette nature fait son miel. Violence interne corollaire de la violence externe. Jean-Paul Sartre, qui s’y connaissait en la matière, analyse fort clairement ce phénomène dans Critique de la raison dialectique. Cette violence double face s’inscrit dans le principe même du groupe révolutionnaire, expose-t-il. Elle est son moteur. De plus, élément constitutif absolument indispensable, elle doit toujours pouvoir revendiquer le fait que sa propre violence ne serait qu’une réponse à la violence de l’autre. Il faut donc avant tout s’employer à la fabriquer, à l’inventer, cette « violence de l’autre ». Diaboliser systématiquement, fasciser celui qui n’est pas d’accord, nazifier Israël par exemple, extrême-droitiser toute pensée non assujettie, etc, etc. On connaît la chanson. Voilà schématiquement pour la violence externe. 

En ce qui concerne la violence interne, c’est ce à quoi nous n’allons pas manquer d’assister sur la base de ce sondage.

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Puisqu’il rassemblerait en deçà de la gauche extrême et radicale, Ruffin se trouvera automatiquement affublé de l’étiquette social-traître, accusé de se « soc démiser », de frayer avec la sociale démocratie, de se « droitiser ». Puis viendra le procès en trahison proprement dit. Trahison, du parti, de son chef, du prolétariat, des minorités opprimées, bref toute la lyre des péchés inexpiables. Le moindre de ses propos sera analysé à l’aune de la pureté idéologique. Un mot de travers, une virgule mal placée, et ce sera la sentence de mort. Ruffin pactisant avec le diable, allié objectif de la peste brune. Là encore, air connu. Robespierre, Lénine, Staline et consorts tels qu’en eux-mêmes.

Maladresses

Qu’on ne se laisse pas abuser, c’est sur cette base-là que le groupement révolutionnaire se survit à lui-même, se régénère, recrée, retisse son unité, cette fameuse « unité qui s’incarne, au sommet dans la personne d’un chef charismatique qui la symbolise, la met en scène dans des manifestations de force et des explosions de violence verbale », écrit René Sitterlin, dans La violence. (Au demeurant, Hannah Arendt n’exprime pas autre chose lorsqu’elle écrit « le totalitarisme se nourrit de sa propre violence. » Sans celle-ci, il s’asphyxie, il se délite, il meurt).

Aussi, le sondage, par ses résultats, n’est peut-être pas une très bonne nouvelle pour M. Mélenchon sur le plan strictement électoral, mais, parce qu’il est annonciateur de rififi dans son pré carré, il lui rend l’insigne service de l’installer plus fermement que jamais dans son espace de performance, de lui conférer pour les deux années à venir le rôle qui lui convient le mieux, celui d’inquisiteur en chef, de gourou dépositaire exclusif de la vérité vraie, de grand prêtre du dogme. Là, nul doute que son ego s’en donnera à cœur joie. Et nous autres y trouverons probablement de quoi rigoler. Ruffin, moins peut-être…

À la parution du sondage, un député LFI commentait, lucide – amère mais lucide – : « Ça ne peut pas bien finir ». Pour qui ? Là est la question. François Ruffin avouait récemment qu’il voyait en Mélenchon « un génie de la politique ». Un « génie » qui lâchait voilà peu cet avis frappé au coin de l’expérience : « Ces maladroits qui partent trop tôt, les premiers morts ce seront eux. » À qui pensait-il disant cela ? Nous avons notre petite idée là-dessus. Affaire à suivre, donc.


Source : « Pour François Ruffin, un sondage qui montre le chemin », Charlotte Belaïch, Libération, 21 avril 2024.

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Esprit de Résistance, es-tu là?

Ce qui différencie la Résistance de la résistance est plus qu’une majuscule. Devenu un concept fourre-tout, la résistance permet à chacun de défendre sa cause, du réchauffement climatique à la cause palestinienne, tout en se prenant pour Jean Moulin.


« Résistance » est un trop beau mot pour qu’on en mésuse ou en abuse. À cet égard, l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, de son épouse Mélinée et du groupe des 23 fait figure de salutaire rappel à l’ordre. Ceux-là au moins n’ont pas cédé au défaitisme munichois, brandi comme un épouvantail par Gabriel Attal qui en appelait récemment à « l’esprit français de résistance » pour convaincre les députés de soutenir l’Ukraine. La décence voudrait pourtant qu’on se souvienne que cet « esprit » n’a pas soufflé sur tout le peuple français ; elle voudrait aussi qu’on s’aperçoive que la « défaite » française a gagné du terrain à l’école comme dans les quartiers gangrenés par l’insécurité, dans les campagnes sinistrées comme à l’hôpital, et qu’elle tient davantage à l’incurie ou à la lâcheté des responsables politiques qu’au défaitisme de la population. N’allez donc pas invoquer les mânes des maquisards face aux Français qui résistent comme ils peuvent pour ne pas s’abandonner à l’insanité d’une vie qui de toutes parts se défait[1]!

Car la « résistance » est dans l’air du temps, un peu comme la résilience qui en est une variante : une manière de rebondir, en force ou en douceur, face à des événements traumatisants. Libre à chacun bien sûr de se sentir une âme de « résistant » et d’en épouser la posture tout en étant convaincu d’être le roc sur lequel viendront s’échouer toutes les formes de dictature. Qu’on en soit conscient ou non, l’image qu’on se fait aujourd’hui en France de la résistance reste fortement marquée par ce qu’on sait de la « Résistance », de ses héros et de ses traîtres, de ses faits d’armes et de ses échecs. Si les circonstances ont fait que la Résistance contre l’occupant allemand s’est inscrite dans la durée et a nécessité la clandestinité, est-ce toujours ainsi qu’on résiste aujourd’hui ? Pourquoi refuserait-on par ailleurs le titre de « résistants » à des militants, des combattants dont on désapprouve les méthodes autant que l’idéologie totalitaire et sanguinaire ?

Terroristes ou résistants ?

Ainsi n’est-ce pas parce que les combattants du Hamas sont des terroristes coupables d’actes de barbarie qu’on doit ne pas voir en eux des « résistants » ? Les maquisards n’ont-ils pas été eux aussi qualifiés de « terroristes » par le gouvernement de Vichy? Les choses se compliquent cependant dès lors que ces combattants affirment résister à l’« occupation » sioniste. Il ne faut pourtant pas être très calé en histoire pour savoir que les juifs sont eux aussi des « Palestiniens » dont la présence, sur ce bout de terre entre le Jourdain et la mer, est attestée depuis environ trois millénaires, tandis que l’invasion arabo-musulmane de ce petit territoire qu’est la Palestine ne date que du VIIe siècle de notre ère. Ce qui ne veut évidemment pas dire que les descendants de ces conquérants n’ont pas acquis au fil des siècles le droit d’y vivre eux aussi en paix, et de résister si on le leur refuse.

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Il n’empêche que « résister » en soi ne prouve rien, et n’est parfois qu’un déni de réalité –dont témoigne la « résistance » en psychanalyse – ou une obstination indéfendable. La résistance ne s’ennoblit que de la cause qu’elle défend et des moyens d’action possibles qu’elle est capable de mettre en œuvre. Mais comment s’y retrouver entre protestation, rébellion, insoumission, dissidence ? Le rebelle, à qui Ernst Jünger a consacré un traité[2], est un résistant tout comme le militant ; à cette différence près que le militant est un soldat (du latin miles) qui va au front, alors que le résistant est comparable à un coureur de fond qu’aucun accident de terrain ne décourage, hormis la désertion de ceux qu’il pensait être ses compagnons. Mais il faut quelque chose de plus pour que son endurance devienne exemplaire, et s’inscrive dans la mémoire collective :  on se souvient encore aujourd’hui des juifs résistant héroïquement à l’assaut des Romains dans la forteresse de Massada, et des cathares cernés à Montségur par les troupes du sénéchal de Carcassonne. Est-ce à dire qu’on résiste parce qu’on a la foi en des raisons de vivre d’ordre « spirituel » qui renvoient au second plan les engagements militants pour des « valeurs » ?

Une affaire de courage

Les raisons de « résister » se sont par ailleurs multipliées depuis la dernière guerre, à l’image d’un monde de plus en plus multipolaire dont le centre de gravité ne cesse de se déplacer. La résistance est, elle aussi, devenue itinérante, à l’image de celle des agriculteurs sillonnant la France sur leurs tracteurs, et se veut spectaculaire plutôt que clandestine : grèves, manifestations, blocages, piratages informatiques se partagent la tâche de déstabiliser ou de paralyser un système jugé nocif ou pervers. On résiste aussi en triant ses déchets, en évitant de prendre l’avion, en mangeant bio et en roulant à vélo. La résistance est désormais plus verte que rouge, et le décalage n’en est que plus flagrant entre la vie politique qui reste marquée par l’exemple de la Résistance et ses clichés – droite collabo, gauche résistante –, et les actes de micro-résistance effectués au quotidien et diffusés sur les réseaux sociaux.

Résistez donc tant que vous pouvez face aux ennemis réels ou imaginaires que vous pensez devoir défier, mais ne vous sentez pas obligés de vous recommander pour cela de la Résistance. Et si vous le faites, assurez-vous au moins, en votre for intérieur, que vous auriez résisté à la torture, caché des juifs ou des résistants au prix de la sécurité de votre famille, et accepté de quitter la vie sans un sanglot pour tout ce que vous allez laisser derrière vous. Tout le reste n’est que verbiage car la résistance, c’est d’abord une affaire de courage.


[1] On lira à ce propos le bel essai de Pierre Mari, En pays défait, Pierre Guillaume de Roux, 2019.

[2] Ernst Jünger, Traité du rebelle ou le Recours aux forêts (trad. H. Plard), Christian Bourgois,1981.

Faut-il déchoir Kémi Séba de sa nationalité ou le laisser parler?

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L’activiste franco-béninois a déjà mis le feu à son passeport, en réponse aux menaces du gouvernement français. Quel est son parcours ?


Kémi Séba est l’un des militants d’opposition à la France qui, s’appuyant sur les réseaux sociaux et un imaginaire reconstruit, s’attaque à la présence française et aux soutiens de Paris en Afrique. Le gouvernement français a engagé une procédure de destitution de nationalité à son égard, réponse aux tentatives de déstabilisation dont la France est victime.

Kémi Séba aime manier le feu. En mars 2024, interdit de conférence à Fleury-Mérogis, il brûle son passeport français[1], témoignant de sa rupture avec le pays où il est né. Déjà, en août 2017, à Dakar, il brûlait un billet de 5 000 francs CFA pour manifester son opposition à cette monnaie. Kémi Séba aime aussi manier les réseaux sociaux et les codes contemporains. Ses interventions polémiques y sont filmées et diffusées, ses discours politiques y sont repris, pour toucher le plus grand nombre dans l’Afrique francophone et la diaspora africaine en France.

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De Strasbourg à Los Angeles

Rien ne prédisposait ce natif de Strasbourg à conduire la carrière d’opposition à la France qui lui vaut aujourd’hui une procédure en destitution de nationalité. Né à Strasbourg en 1981, de parents béninois, il a passé sa jeunesse en Île-de-France. C’est lors d’un voyage devenu initiatique à Los Angeles en 1999 qu’il découvre les mouvements panafricanistes afro-américains, leur radicalité et leurs combats politiques. Radical, Kémi Séba l’est assurément. Il ne fait rien dans la demi-mesure et se donne totalement pour la cause qu’il défend[2]. Mais loin d’être linéaire, son parcours est chaotique. Aux États-Unis, il adhère au groupe Nation of islam qui regroupe des Noirs américains musulmans dans la mouvance d’un Malcom X. Puis il fait scission avec ce groupe, crée son propre mouvement, rejette l’islam et adopte le kémitisme, religion fabriquée qui a l’ambition de restaurer les cultes égyptiens disparus. Dans le sillon d’un Cheikh Anta Diop, il voit dans l’Égypte antique la quintessence de la civilisation africaine, qui aurait tout donné à l’Europe et aux Blancs. Après avoir créé sa propre structure du kémitisme, la Tribu Ka (2004) il revient à l’islam, dans un parcours intellectuel et politique fait d’à coups et de revirements.

Un panafricaniste opposé à la France

Imprégné d’un discours racialiste qui lui fait défendre la pureté de la race noire, il refuse le métissage, défend le retour des Noirs en Afrique, affirme sa haine des juifs, qui seraient responsables de l’esclavage et de la traite. Après la dissolution de la Tribu Ka (2006), il fonde le Mouvement des damnées de l’impérialisme (MDI) en 2008, résolument panafricaniste. C’est grâce à ce mouvement qu’il peut rejoindre le Sénégal en 2011, où il commence à fréquenter les plateaux de télévision, à tenir des chroniques et à se faire connaitre. Ses discours volontaristes et provocateurs trouvent un certain écho parmi la jeunesse africaine. Maniant les codes des réseaux sociaux, il sait se faire mousser et se faire connaitre. Trop radical aux yeux des gouvernements africains, il se fait expulser du Sénégal puis du Burkina Faso, avant de rejoindre le Bénin, dont il possède la nationalité, tout en insultant le président du pays, le considérant comme « un mafieux à la solde de la France. »

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Ses postures anti-françaises le font inviter par des pays qui ont intérêt à manipuler son aura et à l’utiliser pour défendre leurs intérêts. En février 2024 il est ainsi convié à Téhéran pour participer au sommet de la multipolarité, durant lequel il se livre à un discours antioccidental, accusant l’Occident de dégénérescence et de décadence. Ses vidéos sur Twitter et YouTube rencontrent une certaine audience et le font mousser auprès d’une jeunesse connectée qui regarde le monde à travers ses yeux. Européens « pions des Rothschild et de la finance apatride », Afrique soumise « à la domination occidentale et au lobby sioniste »[3], ses discours reprennent les thèmes classiques de l’antisémitisme et du tiers-mondisme, matinées de références panafricanistes contre le franc CFA et les dirigeants africains accusés d’être trop proches de la France, donc forcément, à ses yeux, esclaves de celle-ci.

Une aura heureusement limitée

Son aura en Afrique est toutefois limitée. Il s’est certes rapproché des putschistes du Mali et du Burkina Faso, mais son audience ne prend pas au Bénin et en Côte d’Ivoire, là où le développement économique et l’instruction sont plus élevés. Kémi Seba sert, peut-être à son corps défendant, les intérêts d’États adversaires de la France. Selon Jeune Afrique, les autorités nigériennes compteraient sur l’activiste « pour continuer ce travail de déconstruction de la Françafrique et de propagation du panafricanisme ». Militant politique conscient de ses actes et de son influence, ou militant des réseaux utilisés par des États peu scrupuleux, difficile de trancher. Toujours est-il que son audience demeure limitée dans les pays les plus développés.

Source : Conflits


[1] https://www.bfmtv.com/societe/qui-est-kemi-seba-le-militant-aux-millions-de-vues-sur-facebook-bientot-dechu-de-sa-nationalite-francaise_AN-202403050187.html

[2] https://www.leparisien.fr/faits-divers/une-posture-resolument-anti-francaise-lactiviste-kemi-seba-vise-par-une-procedure-de-decheance-de-nationalite-05-03-2024-WHDHJWM4VVGOVIDDMQHIEA7AOU.php

[3] https://www.courrierinternational.com/long-format/portrait-kemi-seba-l-autoproclame-prophete-panafricaniste-adoube-par-l-extreme-droite-europeenne

«Sweet Mambo», ou la grandeur des danseurs

Sweet Mambo, de Pina Bausch, est actuellement donné par les danseurs du Tanztheater de Wuppertal au Théâtre de la Ville. Une leçon de virtuosité à ne pas manquer.


On a peur, très peur pour l’avenir des ouvrages de Pina Bausch, pour la sauvegarde du répertoire du Tanztheater de Wuppertal jusque-là magnifiquement préservé par les disciples de la chorégraphe allemande. Après les lamentables représentations parisiennes, l’an dernier, d’un « Café Müller » vidé de tout sens, dénaturé par des interprètes qui étaient des ectoplasmes (les hommes surtout), à l’exception notable d’une danseuse russe qui relevait le rôle alors porté par deux figures mythiques de la compagnie, l’Australienne Meryl Tankard et l’Espagnole Nazareth Panadero ; plus encore après cette imposture qu’est « Liberté Cathédrale », produite sous le nom du Tanztheater par celui qui en a été nommé le nouveau directeur, et dont la seule présence à la tête de la troupe représente une hérésie, on pourrait croire effectivement à la ruine de la compagnie.

Mais grâce à de fortes personnalités, au talent éblouissant de danseuses-comédiennes « historiques » comme Nazareth Panadero, Héléna Pikon, Julie Shanahan ou Julie Anne Stanzak qui sont aujourd’hui des icônes dont l’aura confine au sublime, « Sweet Mambo », qui se donne au Théâtre de la Ville, où on l’avait déjà vu en 2009, échappe à la malédiction. Les danseurs de Pina Bausch résistent avec conviction à l’épreuve qui leur est infligée, résistent de toute la force de leur savoir et de leur foi. Il est vrai que sur les dix interprètes de « Sweet Mambo », sept ou huit appartiennent aux générations qui ont travaillé sous le charme de Pina Bausch. Et parmi les « nouveaux », il y a des découvertes surprenantes : la flamboyante Naomi Brito qui s’est glissée dans le répertoire bauschien avec un chic, une aisance diabolique, et ce remarquable danseur qu’est Reginald Lefebvre qui lui aussi s’intègre avec bonheur à un travail si puissant, si particulier, qu’il est difficile de s’y mesurer.

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« Sweet Mambo » n’est pas à ranger parmi les chefs-d’œuvre de Pina Bausch. Cette pièce n’en a ni la portée, ni la profondeur. Ponctuée de scènes, de tableaux fascinants, elle est toutefois magnifique, même si elle s’étire et se répète à l’excès avec de subtiles variantes.

La danseuse et chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009) © Wilfried Krüger

Elle vaut surtout, peut-être, pour l’interprétation qu’en donnent ces fidèles. Mais quand ceux-ci se seront définitivement retirés de la scène, tant les séquences exigent une virtuosité physique terriblement difficile à soutenir, qu’en sera-t-il de ce répertoire qui a bouleversé toute la fin du XXe siècle ? Les danseurs historiques ont maintenu jusque-là magnifiquement l’esprit et la lettre des œuvres majeures de Pina Bausch. Ils sont même parvenus à les transmettre à des compagnies aussi éloignées de son univers que le Ballet de l’Opéra de Paris qui portait il y a peu à son répertoire un chef-d’œuvre comme « Kontakthof » avec une intelligence et une sensibilité inattendues. Mais quand ces générations qui ont servi avec tant de ferveur ce Saint Graal, quand ces générations se seront effacées, qu’adviendra-t-il de l’univers de Pina Bausch alors que rien n’est plus fragile que les chefs-d’œuvre et quand des individus, à commencer par des proches de Pina Bausch, sont prêts à les trahir ?

À voir :

« Sweet Manbo » de Pina Bausch, avec le Tanztheater de Wuppertal. Théâtre de la Ville, jusqu’au 7 mai. www.theatredelaville-paris.com

Prière de ne pas y toucher

L’art a toujours porté la promesse de nous libérer du temps et de la mort. Devenu « contemporain », il s’est soumis au présent et à l’argent. Désacralisé par la modernité, l’art n’honore plus la vie. Ce qui signifie qu’il se meurt.


Ce que nous appelons « art » est cet objet inutile qui se laissait autrefois entrevoir dans les temples, puis dans les églises du MoyenÂge, à demi caché et relégué dans les hauteurs, déployé enfin dans les palais des puissants, et aujourd’hui ce fourbi sans destinataire et sans but qui s’étale dans les musées.

Soumission au temps

L’art « contemporain », par son étymologie, est l’art de son temps, né de son temps. Concubinage chaque fois renouvelé de la création avec la poussée des heures, il fait parfois apparaître des monstres, des êtres dont on supporte à peine la vue.

Curieusement, depuis que le mot « art » lui-même s’est imposé pour désigner la capacité de fabriquer des œuvres qui ne seraient plus d’ordre utilitaire, pratique ou consumériste, il ne prétend plus se délivrer du temps. « Contemporain », l’art est au contraire celui de la soumission au temps. Et, version militante, quasi guerrière, il y a l’art d’« avant-garde », pratiqué par des milices héroïques, devant des amateurs ébahis, pour explorer le champ militarisé du présent.

Le temps mène à la mort et l’art est supposé nous donner le pouvoir de dominer le temps. Ce qu’on appelle aujourd’hui – par habitude ou par paresse – « art » a toujours été l’exercice d’une activité permettant d’échapper à la maladie du temps et à notre condition d’être mortel. À l’origine, l’art fut une promesse, celle de la transfiguration : accéder à la beauté des dieux et des déesses antiques, côtoyer les Anges et les Dominations, puis les rois et les reines, les courtisans et les courtisanes, les capitaines d’industrie et les « créateurs » de l’esprit. Ainsi sommes-nous passés de l’époque antique à l’époque moderne. Aujourd’hui, parvenus au terme de la transcendance, qui représenter, admirer, honorer ou sublimer ?

Comment « canceller » une culture déjà défaite ?

Notre modernité est marquée par la grande confusion des combats. La cancel culture est l’un d’eux. Mais comment annuler, effacer, « canceller » une culture déjà défaite ? La cancel culture est un champ de mines posé sur un champ de ruines. Que reste-t-il, par exemple, de notre compréhension de l’iconographie médiévale, cet art d’une richesse, d’une beauté et d’une philosophie sacrale sans équivalent ? Savons-nous encore ce qu’est une Pietà ? L’oubli par l’ignorance rivalise avec les idéologies du moment. Nous voici ramenés à la boue, à la gadoue, aux soupes monochromes lancées sur des tableaux dans les musées, à la matière informe qui rappelle les giclées de peinture de l’art abstrait et les exubérances excrémentielles des créations des années 1960.

L’art contemporain se comprendrait comme le processus du renversement de la sainte trinité freudienne, la topique qui, dans le psychisme d’un individu, s’équilibre entre le Moi, le Ça et le Surmoi. Une dynamique entre exigences pulsionnelles et inconscientes du présent, et formation d’idéaux et d’exigences venus d’un passé lointain. Ce retournement fait apparaître la domination du Ça sur le Moi, et fait disparaître le Surmoi.

Notre culture est effacée depuis longtemps. Laïcisé, désacralisé, l’art relève aujourd’hui de la sensibilité et du goût, plus que du savoir et de la connaissance. Il suffit de montrer une paire de seins pour que l’on crie à l’obscénité, alors que les plus grandes œuvres de la peinture sont des œuvres érotiques. L’histoire de l’art, que l’on n’enseigne pas assez, et que j’ai apprise aux États-Unis lorsque j’étais étudiant grâce à une pléiade de savants formés à Vienne, est une discipline aussi riche que l’histoire des idées. L’iconographie raconte les images, le sens profond délivré par un ensemble de formes et de couleurs qui n’ont rien d’arbitraire et ne sont pas la manifestation d’une subjectivité devenue folle.

S’il s’agit de sa valeur, l’art n’a plus qu’une valeur monétaire. Une œuvre d’art, c’est désormais le prix qu’on lui assigne en salle des ventes. Un objet précieux, de l’argent qui dépasse toutes les valeurs, de cet or qu’on a si longtemps cependant comparé, dans son surgissement soudain, aux fèces.

Stade ultime donc : retour à l’excrément.

Gustave Flaubert, que je lis en ce moment, est sans doute celui qui, au cœur même du xixe siècle, a le mieux décrit ces processus dont il fut le contemporain : le personnage de Jacques Arnoux, le propriétaire de l’Art industriel, un marchand de tableaux, qui vend des boîtes de couleurs, des pinceaux, des chevalets et des faux en peinture, « un homme qui bat monnaie avec des turpitudes politiques ». Quant à Bouvard et Pécuchet, ils incarnent mieux que quiconque la fausse science, le mauvais goût, la rapacité et la prétention d’une classe bourgeoise naissante qui fut, en son temps, la parfaite préfiguration des partisans du wokisme aujourd’hui. 

J’ai toujours été convaincu du sérieux de l’art. Le musée a un rôle important : il est le lieu où l’on rassemble les icônes, étymologiquement les images, et qui, débarrassées de leur dimension sacrée, n’en gardent pas moins une puissance incroyable, un magnétisme qui ne faiblit pas. Mais l’art, comme la science dont il a longtemps été inséparable, est en train de crever. L’art crève à partir du moment où il n’est plus là pour honorer la vie ; la science crève de n’être vouée qu’à apaiser les souffrances finales. Honorer la vie, c’est honorer l’individu, son visage, honorer l’homme en tant que personne. Car l’homme n’est ni interchangeable ni renouvelable.

Rendons à la culture son pouvoir de rendre le monde habitable.


À lire
Jean Clair, Le Livre des amis, Gallimard, 2023.

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Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner?

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Notre chroniqueur s’étant proposé de partir au Japon pour envoyer à Causeur des reportages pris sur le vif, la Rédaction lui a donné le feu vert,­ d’autant qu’il annonçait en même temps qu’il le ferait à ses frais.
Et comme nous sommes pauvres…


Jean-Paul Brighelli en voyage au pays du soleil levant (1)


Sans doute vous rappelez-vous Brel :

« J’vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c’est périssable… »

Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner ? En France, il y a toujours la solution de la bouteille de Bordeaux made in Occitania (je ne plaisante pas, j’ai longtemps habité Nébian, dans l’Hérault, juste au-dessus d’une cave viticole où les vignerons apportaient le vrac, et où les camions-citerne immatriculés en 33 venaient faire le plein de médocs et de graves pour supermarchés bas de gamme). Si vous êtes vraiment distingué, vous faites envoyer à la maîtresse de maison une douzaine de roses qui devront arriver une heure avant vous.

Au Japon, vous apportez un fruit.

Comment ? Un fruit ? Vous êtes sûr ? Ça ne fait pas un peu chiche ?

Hmm…  Un melon, c’est 14000 yens — soit près de 90€. Une mangue vaut 16 200 yens, soit une petite centaine d’euros. Et la corbeille de fruits (oh, rien d’extraordinaire, melon, mangue, pomme, une orange…), c’est 31 320 yens, soit 190 €. Soit, reconverti en roses de chez nous, une soixantaine de roses ­— un beau bouquet, mazette…

Cela ne signifie pas que le Japon ne produit pas de mangues — surtout à Okinawa, où je me suis posé. Ni de melons, et autres fruits du jardin d’Eden. C’est une île tropicale bénie des dieux, où tout croule sous les orchidées (qui décorent l’aéroport de Naha, par exemple) et en hibiscus, qui bordent les trottoirs. Non : c’est seulement que les fruits que l’on vous vend sont tout simplement parfaits. Objets d’une sélection impitoyable. Le Japon ne tolère que la perfection.

Les amateurs de jolies voitures savent bien qu’entre une voiture japonaise et une voiture européenne, dans la même gamme, il n’y a pas photo en termes de ligne, de motorisation et de fiabilité. D’une vertu commune au pays du soleil levant, les industriels de là-bas ont fait un argument de vente. Sans se forcer, puisque la perfection est la norme.

(Parenthèse. Il n’y a pas si longtemps, nous osions offrir des fruits aux dames dont nous entreprenions la conquête. Pas forcément des pommes, dont la symbolique biblique est un peu lourde, mais par exemple des belles poires : c’est ce que fait Bel-Ami, dans le roman homonyme de Maupassant, pour séduire Mme Walter, l’épouse de son patron).

A lire aussi, du même auteur: Uniforme à l’école? Osons un référendum!

Il est très difficile, commercialement parlant, de rivaliser avec des perfectionnistes, et de les concurrencer. Le grand linguiste Edward T. Hall (Comprendre les Japonais, Seuil, 1991) raconte comment une firme de vaisselle fine, à Limoges, s’est vu refuser un premier envoi de 100 000 théières en porcelaine blanche parce qu’elles étaient imperceptiblement bancales, quand on les posait sur une table laquée — un défaut qui passe inaperçu en Europe, où l’on pose les théières sur un napperon qui égalise les micro-défauts. Et comment Renault n’était parvenu à vendre aucune voiture, n’ayant pas daigné mettre le volant à droite en inversant les commandes, dans un pays où l’on roule à gauche, ce qu’apparemment le constructeur français ignorait. Quand l’ignorance le dispute à la prétention…

D’où le goût des Japonais pour les uniformes (scolaires aujourd’hui, militaires autrefois), pour les jolis habits (il faut voir le regard de mépris qu’ils jettent sur les Américains vêtus de jeans troués) et pour les carnations et les dentitions parfaites.

(Seconde parenthèse. Il faudra que l’on m’explique pourquoi les Européens disent « les Jaunes ». Le teint standard des jolies Japonaises hésite entre la perle nacrée et l’ivoire pâle. Si vous ajoutez à cela qu’elles ont des cheveux noirs « comme l’ébène », dirait Perrault dans Blanche-Neige, vous obtenez un standard de beauté très élevé, auquel nous n’avons à opposer que Kim Kardashian et Aya Nakamura. C’est vrai aussi chez les hommes : pas un hasard si Alain Delon, au faîte de sa gloire, jouissait d’une réputation inégalée dans l’archipel, simplement parce qu’à l’époque du Guépard ou de Plein soleil, il était remarquablement beau).

La France a longtemps été une référence incontournable dans ce domaine. Nous avons produit, entre le XVIe et le début du XXe siècle, des chefs-d’œuvre dans tous les arts — à commencer par la mode. Mais c’est fini : quand on en est à admirer les bouses que produisent des « créateurs » imbus de leur personne sans réel motif, c’est qu’on a renoncé à se battre sur le seul terrain culturellement et commercialement viable, celui de la beauté. Nous n’exportons plus guère que de la haute cuisine au Japon, parce que l’art culinaire sait que la dégustation commence dès le premier regard sur l’assiette. Et j’espère que c’est toujours ce que l’on apprend, dans les lycées hôteliers, aux élèves en formation, derniers remparts de la présence française dans le monde.

Kaboul-sur-Seine

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Quand Stefan Zweig nous éclaire sur l’actualité : le monde d’hier, c’est celui d’aujourd’hui.


Notre civilisation française, et plus largement européenne, est malmenée et vacille, tout comme ce fut le cas entre les deux guerres mondiales.  Certes, les menaces auxquelles elle est confrontée ne sont plus celles d’autrefois. 
Actuellement, nous sommes fragilisés par une immigration massive et surtout par l’islam politique que nombreux, parmi les nouveaux arrivants, tentent d’imposer. Les rares qui s’y opposent sont anathématisés, les autres majoritaires, laissent faire par couardise ou accompagnent le mouvement par opportunisme.  
On observe alors dans notre pays les mêmes comportements décadents, la même atmosphère de folie débridée que ceux qui préludèrent au deuxième conflit mondial. Il suffit pour s’en assurer de relire Le Monde d’Hier, dernier livre rédigé par Stefan Zweig avant qu’il ne mît fin à ses jours.

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La France confrontée à la violence ou à l’islamisme du quotidien

D’où qu’on se tourne, depuis quelques temps, en France, c’est la Bérézina : on larde ou on tabasse qui ne se plie pas à la charia. Samara à Montpellier (34) a été passée à tabac parce qu’elle se vêtait à l’européenne. Shemseddine, À Viry-Châtillon (91), a été battu à mort pour avoir dragué la sœur de deux garçons. À Bordeaux (33), c’est un Afghan enturbanné qui, surin au poing, a fondu sur deux Algériens qui avaient eu la témérité de consommer de l’alcool, le jour de la fête de l’Aïd-el-Fitr. Il a tué l’un d’entre eux. Philippe, à Grande-Synthe (59), vient d’être roué de coups par des mineurs, il en est mort. Samedi dernier, c’était Kaboul à Paris : on a y vu des Afghans manifester après l’incendie de la rue de Charonne et dévaster tout un quartier du onzième arrondissement. Dimanche, la joyeuse bande des Insoumis, Louis Boyard et Mathilde Panot en tête, accompagnés de Salah Hamouri (soupçonné d’être membre d’un mouvement reconnu comme terroriste : le Front populaire de libération de la Palestine) marchait contre le racisme et l’islamophobie. Des milliers de manifestants les accompagnaient scandant les habituels slogans obscènes comme : « Urgence, urgence, la police assassine ». Dans le même temps, on apprenait la démission de Claude Cohen, maire de Mions (69), une commune proche de Lyon, las d’essuyer des insultes antisémites et des menaces de mort parce que Juif. Bien sûr, on vous passe les « refus d’obtempérer » et les rafales de Kalachnikov autour de points de deal tenus par des gamins à peine sortis des couches. Forcément, on est tenu, dans un grand renversement carnavalesque, de considérer les agresseurs, tueurs, racistes et autres agitateurs comme les vraies victimes ou, à tout le moins, de leur trouver des excuses et des circonstances atténuantes.

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Attal, dernière chance pour l’école ?

Dans cette ambiance crépusculaire, il s’agit bien de faire table rase du passé et quand Zweig parle de l’Autriche d’avant la Seconde Guerre mondiale, c’est bien de la France d’aujourd’hui qu’il nous parle : « Dans les écoles, on constituait, sur le modèle russe, des comités de classe qui surveillaient les professeurs, « le plan d’étude » était aboli, car les enfants ne devaient et ne voulaient apprendre que ce qu’il leur plaisait. » Voilà qui fait furieusement songer à nos propres écoles, en ce moment. Nos écoliers n’y font, eux aussi, que ce qu’ils veulent et seront toujours plus enclins à se lever pour Danette qu’à la vue d’un professeur, n’en déplaise à Gabriel Attal. Poursuivons notre édifiante lecture : « Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté de la langue. Les articles « le, la, les » furent supprimés, la construction de la phrase mise cul par-dessus tête (…) » Tout ça n’est sans rappeler tous les délires artistiques actuels et la folie de l’écriture inclusive. On lit encore, toujours dans Le Monde d’Hier : « On se révoltait contre toutes formes valables pour le seul goût de la révolte, même contre le vœu de la nature, contre l’éternelle polarité des sexes (…), l’homosexualité et les mœurs lesbiennes furent la grande mode, non pas par un penchant inné, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles (…) de l’amour. »  Aujourd’hui, pas mieux. C’est toujours sus au bon sens ! Ainsi, aussitôt paru, le livre Transmania, signé Dora Moutot et Marguerite Stern, enquête nourrie sur les dérives de l’idéologie transgenre, se voit censuré1. La Mairie de Paris, suivie par celle de Lyon (jamais en reste), exige de l’afficheur JCDecaux qu’il retire sa publicité pour l’ouvrage. SOS homophobie déclare sur X le 20 avril : « La transphobie tue » et annonce porter plainte contre les auteurs de Transmania. Zweig poursuit : « Dans tous les domaines s’ouvrait une école d’expérimentations des plus téméraires et l’on prétendait, d’un seul bond fougueux, dépasser ce qui avait été fait, enfanté et produit ; plus un homme était jeune, moins il avait appris, plus il était le bienvenu par le seul fait qu’il ne se rattachait à aucune tradition. »

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L’ivresse de Mélenchon

Et, puis, il y a ceux qui surfent sur le tragique des époques pour assouvir leurs ambitions personnelles ; et hier, là encore, c’est aujourd’hui : « (…) dans la politique le communisme et le fascisme étaient les seules extrêmes qu’on accueillît favorablement. » Voyez plutôt le vociférant Jean-Luc Mélenchon et ses non moins braillards affidés sans cesse éructant contre qui n’adhère pas à la fable de la diversité heureuse ; leur seul but : capter les voix des électeurs des « quartiers ». Qu’importe au Lider Minimo s’il contribue ainsi au développement d’un antisémitisme nouveau, version XXIe siècle, voire à l’application de la charia dans certaines zones du territoire ; il aura l’ivresse de gouverner. Que dire enfin de ceux, qui au pouvoir, sont prodigues de mots, mais avares d’actions susceptibles d’enrayer la faillite générale sur laquelle ils ont fermé les yeux par intérêt ou par lâcheté ? « Nous ne laisserons rien passer », clament-ils, en chœur, tous les jours, parce que tous les jours, se passe ce qui ne devrait pas se passer. Gabriel Attal, du reste, vient, à Nice, de s’exprimer sur les comportements « violents » de « certains jeunes », à l’école, et voici qu’il s’auto-congratule, qualifiant son allocution de « discours de vérité et d’autorité. » Il précise, ça va de soi, que stopper la violence des jeunes est « sa priorité. » On attend les actes.

Citons, pour conclure, Zweig, encore, toujours dans son ouvrage ultime : « rien ne donne une impression plus spectrale que de voir soudain revenir a vous, dans sa même forme et sa même apparence, ce qu’on croyait, depuis longtemps, mort et enterré. »

Le Monde d'hier: Souvenirs d'un Européen

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  1. https://www.causeur.fr/transmania-le-plus-gros-casse-conceptuel-du-moment-281069 ↩︎

Et l’art, c’est du poulet ?

Impossible d’entendre les noms de Polanski ou de Depardieu sans qu’y soit accolée l’étiquette de prédateur sexuel. Leur culpabilité supposée a effacé leur œuvre. Pour les militants de la bonne cause, la dimension artistique n’existe plus, car l’art « n’est pas le sujet » !


« J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma… » C’est par ces mots que s’est ouverte la plaidoirie de maître Delphine Meillet le 5 mars dernier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce jour-là, on juge Polanski pour diffamation. La plaignante, c’est Charlotte Lewis, qui accuse publiquement (depuis 2010) le réalisateur de viol. Aujourd’hui elle l’attaque pour diffamation en raison de propos tenus par le cinéaste dans Paris Match en 2019 au sujet de ce viol allégué. Lorsque le journaliste évoque les accusations de Lewis, Polanski répond : «Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever ces contradictions. » Et lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui la pousseraient à mentir, il déclare : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? Il faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens, que sais-je. » Voilà l’objet de la supposée diffamation.

C’est pas le sujet !

Mais ce procès n’est pas ce dont je veux parler ici. « J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. » Comment Delphine Meillet a-t-elle osé prononcer ces mots ? Rappeler et affirmer aujourd’hui que Polanski est « l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma » relève de la résistance. « Et alors ? Quel est le rapport ? C’est pas le sujet ! » dit-on dans les chaumières néoféministes. Et c’est bien vrai ! L’art n’est pas le sujet. Ni là, ni ailleurs. L’art n’est plus le sujet. Nulle part. Jamais. L’art ne compte pas. De Polanski, désormais, n’importe plus que le scandale. C’est le monde en train d’advenir. Polanski est un pédophile, Depardieu un gros porc et un violeur. Point. Leur œuvre : à la trappe. Ce n’est pas le sujet ! Il faut nier la dimension artistique, l’ignorer. Elle ne doit plus exister. Il faut la remplacer. La remplacer par autre chose. La remplacer par ce qui les obsède : les violences sexistes et sexuelles. Il ne faut plus que leurs noms soient synonymes d’art mais de viol, de violence, d’horreur. Des collages féministes affichaient d’ailleurs dans les rues en lettres capitales « VIOLANSKI ». Et voilà, le tour est joué ! Introduire le viol jusque dans son nom. Ainsi, le viol sera toujours le sujet. L’art, lui, le sera de moins en moins.

Adèle Haenel – au hasard ! – accepterait-elle de participer à un débat purement centré sur l’œuvre de Polanski, où les accusations de viol ne seraient pas le sujet ? Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que pour elle, comme pour beaucoup de militants MeToo, l’art ne compte pas. L’artiste ne vaut rien. Imaginez-vous la scène ! Allez, on se projette.

Deux ou trois personnes, dans une émission TV consacrée au cinéma, parlent du Bal des vampires. Elles analysent le génie avec lequel la scène du bal est tournée et décryptent avec passion l’immense numéro d’acteur burlesque de Jack MacGowran et Polanski tentant de tuer le comte Van Krolock endormi dans son cercueil. Mais, soudain, Adèle Haenel – silencieuse jusque-là – s’exclame : « Vous plaisantez ?! On parle d’un homme accusé de viol là ! Vous avez écouté les témoignages des victimes ? »« Adèle, ce n’est pas le sujet… », lui rétorque le présentateur.« Ce n’est pas le sujet ? Polanski est un violeur et ce n’est pas le sujet ? Bien sûr que c’est le sujet ! C’est le seul sujet ! »hurle Haenel.

J’imagine tellement la scène. Je la vois. C’est toujours le sujet ! Évidemment. C’est le seul sujet qui compte. Mais sortons de mon imagination. Dans la réalité actuelle, aucun présentateur ne se permettra de dire à Madame Haenel ou à Madame Mouglalis que « ce n’est pas le sujet ». On ose dire que l’art n’est pas le sujet. Ça on ose ! À longueur de journée ! Ça, on le rabâche. On le martèle. Comme pour nous faire croire que là, en l’occurrence, ce n’est pas le sujet. Et que ce serait le sujet dans une autre discussion, centrée sur l’art. Mais cette autre discussion n’a jamais lieu. Et si elle avait lieu, on y parlerait tout de même de viol. On entend déjà le journaliste cinéma du jour : « Nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’œuvre de Roman Polanski sans rappeler qu’il est accusé de ceci et de cela par tel nombre de femmes, etc., etc. »

Sauver l’art

Ces gens de chez MeToo prétendent souvent ne pas vouloir faire interdire les œuvres des artistes accusés de violences sexistes ou sexuelles. Eux ne regarderont plus les films de Polanski ou de Depardieu, mais ils assurent ne pas vouloir en priver les autres. Pour le moment, oui. Taqiya ! Stratégie de dissimulation ! Patience… ! De toute façon, ils savent bien que leurs méthodes d’intimidation créent déjà de la censure. Ils savent que ça marche. Qui va recevoir dans son cinéma ou dans son festival un artiste que l’on qualifie de violeurà longueur d’émissions ? On annule la projection d’un film dans tel festival, on annule des concerts de Depardieu dans telle ou telle ville. C’est comme ça que ça se passe. Ce n’est pas une censure totale, mais des sabotages ici et là qui, additionnés, font masse et en entraînent d’autres. Ces militants ont en tête qu’ils doivent marquer « viol » au fer rouge sur le front des accusés. Lorsqu’on tape Polanski sur internet, ce sont les mots« agression sexuelle »« viol »« violences sexuelles » qui tapissent les pages Google. Pour Richard Berry c’est « inceste ».  Pour Benoît Jacquot c’est « emprise » et « viol ». « Mais qui parle de supprimer leurs œuvres ? » m’a-t-on plusieurs fois demandé sur les plateaux TV. Ils ne le disent pas… mais évidemment qu’ils en crèvent d’envie. Pour l’instant, certains d’entre eux disent vouloir« contextualiser » les œuvres pour que l’on sache bien si les participants d’un film sont tout à fait blanc-bleu. Dans leur monde rêvé, il y aurait donc sur les jaquettes des DVD des films de Polanski un bandeau « Ce film a été réalisé par un violeur » avec, au dos, la liste des crimes dont on l’accuse, comme on trouve écrit sur une barquette de cuisses de poulet « Élevé en plein air et sans traitement antibiotiques ». Son film, c’est du poulet ? Pas plus ? Eh bien je crois que nous y sommes, oui. L’art, c’est du poulet. L’art, c’est une chose comme une autre. Il doit y avoir une traçabilité du produit. Il ne faut plus que dans un article de presse, dans une revue de cinéma ou sur une affiche de film le nom d’un accusé se trouve à plus de cinq centimètres du mot viol. D’ailleurs, dans notre tribune « N’effacez pas Gérard Depardieu », publiée en décembre dernier dans Le Figaro, quelles sont les phrases qui ont le plus gêné ? « Lorsqu’on attaque Gérard Depardieu, c’est l’art qu’on attaque »« Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs » e« par son génie d’acteur, Gérard Depardieu participe au rayonnement artistique de notre pays ». Voilà des phrases impardonnables méritant le fameux « C’est pas le sujet ! ». Elles étaient pourtant nécessaires. Quand on ne parle de Depardieu que comme d’un porc et d’un violeur (au mépris de la présomption d’innocence en ce qui concerne le viol), que 56 artistes signent un texte rappelant que cet homme est un artiste majeur, était à mon avis salutaire. C’était un devoir de le faire. Chacun sa mission, chacun son combat. Le mien est de sauver les œuvres. De sauver l’art. C’est ce pour quoi j’ai choisi de me battre. Je voue un culte au grand art et je sais combien il sauve, combien il est nécessaire. Ça aussi, on pourrait en parler ! De tout le bien que Polanski a fait par ses films. Des masses qu’il a fait rêver, des âmes qu’il a sauvées de leur triste quotidien, du rêve qu’il a offert, de tous ceux qu’il a fait réfléchir, à qui il a ouvert les yeux à travers son regard aiguisé sur les abysses de l’humain. Mais non, l’art ne compte pas. Il ne sert à rien. La beauté non plus. Je me demande quel rapport Adèle Haenel, Caroline De Haas, Marine Turchi et Edwy Plenel entretiennent avec Mozart, Schumann et Strauss. Mon instinct me dit qu’ils sont imperméables à la beauté.En tout cas, ce n’est pas leur sujet ! Sur France Inter, Guillaume Meurice a consacré une chronique à l’hommage de la Cinémathèque à Roman Polanski. Un des quidams à qui il tend le micro pour les ridiculiser lui dit : « En ce moment c’est un peu la mode de parler de harcèlement sexuel et tout ça quoi […] et la Cinémathèque n’invite pas un obsédé sexuel ou quoi que ce soit, elle invite un cinéaste qui est là pour parler de cinéma. Pas de son cul ou de sa bite. » Réponse de Meurice : « Mais parlons cinéma enfin ! Merde ! C’est vrai ça, ça m’énerve. C’est pareil, à chaque fois qu’on parle de Guy Georges dans une émission, on parle que de ses crimes ! Le mec fait une super polenta et on n’en parle absolument jamais. » L’excellente polenta d’un tueur en série n’est effectivement pas un sujet.En revanche, l’œuvre d’un grand réalisateur (même accusé de viol !) est un sujet. Un sujet majeur ! Je refuse de mettre Rosemary’s Baby et la polenta de Guy Georges dans la même gamelle ! Pardon ? Oui, je sais : c’est pas le sujet !

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Pauvre Bitos, pauvre Anouilh, sa pièce raccourcie car trop contre révolutionnaire?

Le jeu de massacre grinçant de Jean Anouilh, « Pauvre Bitos – le Dîner de têtes », est de retour au théâtre Hébertot.


On connait bien sûr le sens d’un dîner de famille, ou d’un dîner de cons. Dans certains cas, ces deux-là forment un pléonasme ! Celui d’un dîner de têtes est nettement moins connu. Passée de mode, l’expression a été remplacée par la formule plus festive de la « soirée à thème » ou de la « soirée déguisée », ce qui signifie la même chose sauf que concernant le dîner de têtes, seule la tête est grimée. Thierry Harcout la remet au goût du jour en mettant en scène Pauvre Bitos au Théâtre Hébertot, une des pièces les plus grinçantes de Jean Anouilh, où le rire n’est jamais léger et insouciant mais grave et plombant.

Qu’on lui coupe la tête !

Le récit se déroule après la Deuxième Guerre mondiale, au moment où la Libération du pays fait place à l’épuration des traitres. Un groupe d’amis, appartenant tous à la bonne société d’une petite ville de province, convie André Bitos, un ancien camarade de classe devenu un magistrat un peu raide suscitant exaspération et jalousie. Quoi de plus propice pour régler ses comptes avec l’intéressé, que de jouer un des acteurs de la Terreur révolutionnaire ? Derrière leurs masques de Saint-Just, Danton, Desmoulins, Mirabeau ou Tallien, les convives ravivent quelques rancœurs passées et s’adonnent à leurs envies pressantes de vengeance contre celui qui est la tête de Turc du diner : Bitos. Mais ce dernier n’a malheureusement pas pris comme tête d’époque celle de la victime expiatoire, Louis XVI, mais celle de Maximilien de Robespierre dit l’Incorruptible. Dire que des députés Insoumis comme Antoine Lémaument revendiquent sans vergogne l’héritage de ce dernier qu’ils considèrent républicain, alors qu’il n’est qu’un meurtrier !

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Le spectateur est donc transporté à une époque où garder sa tête pouvait relever de l’exception au regard de la cadence infernale avec laquelle le rasoir national fonctionnait. Les répliques fusent, les formules respirent un cynisme jubilatoire, on rit – mais on rit jaune – devant le télescopage de ces deux époques sombres de notre histoire où la dénonciation de son voisin devient un sport national.

L’Incorruptible voulait une République vertueuse, il a instauré une République tueuse

Pour mieux souligner le rapprochement entre l’épuration et la Terreur – ce qui fit tant scandale à l’époque – Anouilh joue sur le mélange entre fiction et réalité. Au fil de sa pièce, les masques deviennent les têtes et le magistrat Bitos se transforme en l’avocat d’Arras. L’auteur insiste sur leur similitude qui dépasse leur fonction sociale pour embrasser celle de leur caractère. Bitos comme Robespierre est aussi raide qu’une pique, aussi tranchant qu’une lame. Mais surtout, il partage avec l’Incorruptible le fantasme d’une vertu virginale et un dégoût immodéré pour le peuple qu’il se targue de défendre alors qu’il ne fait que le mépriser. « Je n’aime personne, même pas le peuple, il pue… » assène-t-il. Autre sortie haineuse : « Je vous ferai passer le goût de vivre et d’être des hommes, je vous ferai propre, moi ! ». Anouilh rend cette évocation de la propreté récurrente dans la bouche de Bitos, alias Robespierre. Et ce n’est pas anodin. Il faut très certainement y voir la référence à la guillotine qui fut jugée à l’époque comme une invention humaniste. C’est que la grande Veuve tuait mécaniquement, anonymement, rapidement – en « un clin d’œil » comme on disait à l’époque – et surtout, proprement. Le bourreau n’avait plus qu’à actionner le couperet. Exit la hache, l’épuisement physique d’un homme, sa souffrance morale. Plus de marre de sang, place nette. « Je vous ferai propre moi ! », dans ce cri fiévreux, résonne tout le projet révolutionnaire de créer un homme nouveau qui jaillirait de la cuisse de la Terreur révolutionnaire. Pour les agités du hachoir, c’est par et grâce à la guillotine que le peuple peut et doit se régénérer pour former une république vertueuse. Dans son Rapport sur les principes de morale politique, Robespierre légitimait la Terreur comme n’étant pas « autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible (…) une émanation de la vertu ».

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Dès la publication de la pièce en 1956, Anouilh rouvre donc, avec un temps d’avance, le livre noir de la Révolution française, dévoilant l’idéologie meurtrière de la Terreur et le fanatisme de ses acteurs, comme le feront, quelques années plus tard, François Furet, Mona Ozouf, Stéphane Courtois ou encore Patrice Gueniffey.

Un spectacle ramené à 1h20

Si on ne peut que saluer la mise en scène enlevée et le jeu des acteurs qui font résonner toute l’actualité de la pièce d’Anouilh, il est difficile de ne pas regretter les coupures du metteur en scène. Certaines scènes manquent cruellement. Notamment celle où Robespierre et Saint-Just, rédigent la loi du 22 Prairial (10 juin 1794). Avec cette loi, les « suspects » à interroger deviennent des « ennemis du peuple » à exterminer et l’arbitraire est poussé jusqu’à son paroxysme – puisqu’elle supprime l’audition des témoins, abrège les plaidoiries et réduit les procès à des comparutions devant les juges du tribunal révolutionnaire où la seule alternative est la vie ou la guillotine.

Cette loi inaugure la Grande Terreur robespierriste pendant laquelle les « guillotinades » fonctionnent à plein régime à tel point qu’on pouvait entendre dire « Y a-t-il guillotine aujourd’hui ? – Oui, lui répliqua un franc patriote, car il y a toujours trahison. »[1] Est-ce par crainte de faire trop long, ou par peur de trop appuyer la critique contre-révolutionnaire de Jean Anouilh que Thierry Harcourt a fait tomber le couperet sur ces scènes ? Quoi qu’il en soit, le spectateur repart de la salle plus en frissonnant qu’en riant.

Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne. Mise en scène Thierry Harcourt.  78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris.


[1] Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf.

Depuis la loi Gayssot, la France s’est perdue dans ses odes à la censure

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Manuel Bompard, Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon, Villepinte, 16 mars 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Mathilde Panot, Rima Hassan et Sihame Assbague entendues par la police dans le cadre d’une plainte pour « apologie du terrorisme »: la gauche islamo-gauchiste récolte ce qu’elle a semé.


Le culte de la censure, sacralisée par la gauche totalitaire, revient en boomerang sur les grands prêtres de LFI et leurs alliés de l’islamo-palestinisme. Ils se croyaient intouchables. Or les voici, Mathilde Panot et Jean-Luc Mélenchon en tête, qui hurlent à « l’intimidation » après la convocation policière de la chef de file des députés insoumis, pour « apologie du terrorisme » : une accusation née de la justification du pogrom anti-juifs du 7 octobre. La procédure a été ouverte après une plainte de l’Organisation juive européenne (OJE). Elle intervient après la convocation par la PJ de la candidate LFI aux Européennes, Rima Hassan, pour le même grief. La militante « antiraciste » Sihame Assbague avait auparavant connu un sort identique. Détestable est, il est vrai, la judiciarisation de la liberté d’expression afin de museler l’esprit critique. Mais jusqu’alors, l’extrême gauche islamisée incarnait ce terrorisme intellectuel. Elle dénonçait les déviants et applaudissait aux poursuites, quand elle ne les suscitait pas.

Mathilde Panot hésitante sur une question concernant le Hamas, Assemblée nationale, 10 octobre 2023. D.R.

Jamais LFI n’a protégé l’esprit critique ni le débat démocratique. Son allié aujourd’hui dissous, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), avec qui elle défila le 10 novembre 2019 à Paris sous les « Allah Akbar ! », n’avait cessé de mener son djihad judiciaire pour tenter de faire taire les oppositions à l’islam politique. J’ai eu à subir les harcèlements de cette organisation[1], dans une procédure uniquement destinée à tenter de soumettre la presse aux exigences coraniques, avec le soutien de la gauche liberticide.

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Bref, la gauche stalinienne – et désormais islamofasciste – récolte ce qu’elle a semé. L’effet comique de l’arroseur arrosé fait sourire : je confesse un amusement à entendre Mélenchon juger la convocation de Panot comme « un événement sans précédent dans l’histoire de notre démocratie », ou à écouter Rima Hassan maudire ses accusateurs en leur promettant son terrible courroux. Néanmoins, je persiste et je signe : ces atteintes à la liberté d’expression sont indignes de la France et des Lumières. Hormis les appels au meurtre et à la violence, ni les lois ni les idéologies ne devraient pouvoir réduire les opinions à un seuil autorisé. Durant toute ma carrière de journaliste, je n’ai cessé de dénoncer les oukases du camp du Bien, les intolérances du politiquement correct, la tyrannie de la religion des droits de l’homme, les procès en sorcellerie des orphelins du communisme, les fatwas de l’islam révolutionnaire, plus récemment les chasses à l’homme blanc de l’antiracisme et du wokisme. J’ai toujours estimé contre-productives les lois mémorielles, et notamment la loi Gayssot de 1990 qui sanctionne la négation du génocide des juifs, mais permet à la loi Taubira (2001) de nier la traite et l’esclavage pratiqué par le monde musulman et africain. La loi Gayssot, dans ses bons sentiments, n’a fait qu’amplifier l’antisémitisme des adeptes du complot. Aujourd’hui, Mélenchon prend la pose victimaire et dénonce une volonté de « protéger un génocide » à Gaza. Dans ces surenchères de cloueurs de becs, tout le monde est perdant. La France en premier.


[1] https://www.lefigaro.fr/blogs/rioufol/2015/11/le-collectif-contre-lislamopho.html

Ruffin: du rififi à LFI ?

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François Ruffin, colloque pour une économie de guerre climatique, juin 2023, Paris © MARTIN CHANG/SIPA

L’équipe du député LFI François Ruffin a commandé un sondage dans lequel il apparait nettement mieux placé que Mélenchon si la gauche s’unit à la prochaine présidentielle. Il ferait même jeu égal face à Marine Le Pen au second tour, alors que le vieux chef se fait bananer. Mais de la à y voir la fin de Mélenchon, actuellement en campagne pour les européennes sur le thème unique de Gaza…


Cette fois, l’étincelle qui pourrait bien mettre le feu aux poudres prend la forme d’un sondage. En l’occurrence celui effectué du 2 au 5 avril par l’institut Cluster 17 pour le compte de Picardie Debout, le mouvement du député de la Somme François Ruffin, enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1700 personnes représentatif, selon la formule consacrée, de l’ensemble du corps électoral. Il s’agissait d’évaluer les intentions de vote pour les élections présidentielles de 2027 dans le cadre d’une candidature unique de la gauche (hors NPA). Bien entendu, ce sondage, dont on peut penser qu’il aurait dû demeurer confidentiel, a « fuité ». Il faut dire que ses résultats sont tellement favorables au chef de file du mouvement en question qu’on voit mal comment ses commanditaires auraient pu résister à la tentation de leur donner un maximum de publicité.

Mélenchon largement distancé

Qu’on en juge ! Dans le cadre donc d’une candidature unique de la gauche aux prochaines présidentielles, François Ruffin ferait grandement mieux que le leader historique des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon. Plus encore, il le renverrait à ses chères études. Premier tour : Ruffin candidat de cette gauche unie (le rêve n’étant jamais interdit, même en matière de sondage) rassemblerait sur son nom 29% des suffrages, juste un point de moins que Marine Le Pen et quatre de plus qu’Edouard Philippe, tous deux retenus comme hypothèse de candidature dans la présente étude. Cela alors même que Mélenchon candidat ne glanerait que 18% des votes. Donc, largement derrière Marine Le Pen (32%) et Edouard Philippe (31%). Exclu sans appel du second tour, le sieur Mélenchon. (Et quand bien même parviendrait-il à s’y hisser, il s’y vautrerait lamentablement avec un petit 35%.) Une apocalyptique Bérézina qui, humiliation cauchemardesque pour lui-même et son camp, supposerait une Marine Le Pen élue présidente de la République avec quelque 65% des suffrages.

Un commentaire plus que tout autre donne la mesure du camouflet infligé par ce sondage au chef de la France Insoumise. « Il n’est plus l’évidence ».

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On imagine sans difficulté la colère – tonitruante ou sourde, qu’importe – de l’intéressé recevant cette claque en pleine face. « Moi, Mélenchon 1er, je ne serais plus l’évidence ! Comment cela se peut-il ! Il y aurait une alternative à ma personne ? Ruffin le rufian de Picardie, ce journaleux de rencontre, serait en mesure de me tailler des croupières. À moi à qui il doit tout. Tous, d’ailleurs, me doivent tout ! Aux armes citoyens ! Sauvons la Patrie et mes miches en grand danger! » Certes, on se représente la scène, le coup de grisou force 10.

Cela dit, on s’imagine tout aussi bien la suite.

Mélenchon veut la 6e République, mais pour la démocratie interne on peut attendre

Pour un mouvement politique tel que celui de M. Mélenchon, relevant de la tradition de la gauche radicale et révolutionnaire, cet épisode, qui serait à considérer comme fort dommageable chez tout autre parti, s’inscrit au contraire dans la norme et relève d’une logique spécifique de fonctionnement. En fait, avec cette émergence de crise, LFI n’entre pas dans la tourmente, mais au contraire dans une zone de confort. Il se voit offrir l’exercice de ce qu’il sait faire de mieux et qui assure, renforce sa cohésion chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Anathème, délation, procès en hérésie, etc. Bref, l’intégral du spectre de violence dont tout mouvement de cette nature fait son miel. Violence interne corollaire de la violence externe. Jean-Paul Sartre, qui s’y connaissait en la matière, analyse fort clairement ce phénomène dans Critique de la raison dialectique. Cette violence double face s’inscrit dans le principe même du groupe révolutionnaire, expose-t-il. Elle est son moteur. De plus, élément constitutif absolument indispensable, elle doit toujours pouvoir revendiquer le fait que sa propre violence ne serait qu’une réponse à la violence de l’autre. Il faut donc avant tout s’employer à la fabriquer, à l’inventer, cette « violence de l’autre ». Diaboliser systématiquement, fasciser celui qui n’est pas d’accord, nazifier Israël par exemple, extrême-droitiser toute pensée non assujettie, etc, etc. On connaît la chanson. Voilà schématiquement pour la violence externe. 

En ce qui concerne la violence interne, c’est ce à quoi nous n’allons pas manquer d’assister sur la base de ce sondage.

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Puisqu’il rassemblerait en deçà de la gauche extrême et radicale, Ruffin se trouvera automatiquement affublé de l’étiquette social-traître, accusé de se « soc démiser », de frayer avec la sociale démocratie, de se « droitiser ». Puis viendra le procès en trahison proprement dit. Trahison, du parti, de son chef, du prolétariat, des minorités opprimées, bref toute la lyre des péchés inexpiables. Le moindre de ses propos sera analysé à l’aune de la pureté idéologique. Un mot de travers, une virgule mal placée, et ce sera la sentence de mort. Ruffin pactisant avec le diable, allié objectif de la peste brune. Là encore, air connu. Robespierre, Lénine, Staline et consorts tels qu’en eux-mêmes.

Maladresses

Qu’on ne se laisse pas abuser, c’est sur cette base-là que le groupement révolutionnaire se survit à lui-même, se régénère, recrée, retisse son unité, cette fameuse « unité qui s’incarne, au sommet dans la personne d’un chef charismatique qui la symbolise, la met en scène dans des manifestations de force et des explosions de violence verbale », écrit René Sitterlin, dans La violence. (Au demeurant, Hannah Arendt n’exprime pas autre chose lorsqu’elle écrit « le totalitarisme se nourrit de sa propre violence. » Sans celle-ci, il s’asphyxie, il se délite, il meurt).

Aussi, le sondage, par ses résultats, n’est peut-être pas une très bonne nouvelle pour M. Mélenchon sur le plan strictement électoral, mais, parce qu’il est annonciateur de rififi dans son pré carré, il lui rend l’insigne service de l’installer plus fermement que jamais dans son espace de performance, de lui conférer pour les deux années à venir le rôle qui lui convient le mieux, celui d’inquisiteur en chef, de gourou dépositaire exclusif de la vérité vraie, de grand prêtre du dogme. Là, nul doute que son ego s’en donnera à cœur joie. Et nous autres y trouverons probablement de quoi rigoler. Ruffin, moins peut-être…

À la parution du sondage, un député LFI commentait, lucide – amère mais lucide – : « Ça ne peut pas bien finir ». Pour qui ? Là est la question. François Ruffin avouait récemment qu’il voyait en Mélenchon « un génie de la politique ». Un « génie » qui lâchait voilà peu cet avis frappé au coin de l’expérience : « Ces maladroits qui partent trop tôt, les premiers morts ce seront eux. » À qui pensait-il disant cela ? Nous avons notre petite idée là-dessus. Affaire à suivre, donc.


Source : « Pour François Ruffin, un sondage qui montre le chemin », Charlotte Belaïch, Libération, 21 avril 2024.

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Esprit de Résistance, es-tu là?

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Emmanuel Macron préside la cérémonie d’intronisation au Panthéon du résistant Missak Manouchian et de son épouse Mélinée, Paris, 21 février 2024. © Eliot Blondet/ABACAPRESS/SIPA

Ce qui différencie la Résistance de la résistance est plus qu’une majuscule. Devenu un concept fourre-tout, la résistance permet à chacun de défendre sa cause, du réchauffement climatique à la cause palestinienne, tout en se prenant pour Jean Moulin.


« Résistance » est un trop beau mot pour qu’on en mésuse ou en abuse. À cet égard, l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, de son épouse Mélinée et du groupe des 23 fait figure de salutaire rappel à l’ordre. Ceux-là au moins n’ont pas cédé au défaitisme munichois, brandi comme un épouvantail par Gabriel Attal qui en appelait récemment à « l’esprit français de résistance » pour convaincre les députés de soutenir l’Ukraine. La décence voudrait pourtant qu’on se souvienne que cet « esprit » n’a pas soufflé sur tout le peuple français ; elle voudrait aussi qu’on s’aperçoive que la « défaite » française a gagné du terrain à l’école comme dans les quartiers gangrenés par l’insécurité, dans les campagnes sinistrées comme à l’hôpital, et qu’elle tient davantage à l’incurie ou à la lâcheté des responsables politiques qu’au défaitisme de la population. N’allez donc pas invoquer les mânes des maquisards face aux Français qui résistent comme ils peuvent pour ne pas s’abandonner à l’insanité d’une vie qui de toutes parts se défait[1]!

Car la « résistance » est dans l’air du temps, un peu comme la résilience qui en est une variante : une manière de rebondir, en force ou en douceur, face à des événements traumatisants. Libre à chacun bien sûr de se sentir une âme de « résistant » et d’en épouser la posture tout en étant convaincu d’être le roc sur lequel viendront s’échouer toutes les formes de dictature. Qu’on en soit conscient ou non, l’image qu’on se fait aujourd’hui en France de la résistance reste fortement marquée par ce qu’on sait de la « Résistance », de ses héros et de ses traîtres, de ses faits d’armes et de ses échecs. Si les circonstances ont fait que la Résistance contre l’occupant allemand s’est inscrite dans la durée et a nécessité la clandestinité, est-ce toujours ainsi qu’on résiste aujourd’hui ? Pourquoi refuserait-on par ailleurs le titre de « résistants » à des militants, des combattants dont on désapprouve les méthodes autant que l’idéologie totalitaire et sanguinaire ?

Terroristes ou résistants ?

Ainsi n’est-ce pas parce que les combattants du Hamas sont des terroristes coupables d’actes de barbarie qu’on doit ne pas voir en eux des « résistants » ? Les maquisards n’ont-ils pas été eux aussi qualifiés de « terroristes » par le gouvernement de Vichy? Les choses se compliquent cependant dès lors que ces combattants affirment résister à l’« occupation » sioniste. Il ne faut pourtant pas être très calé en histoire pour savoir que les juifs sont eux aussi des « Palestiniens » dont la présence, sur ce bout de terre entre le Jourdain et la mer, est attestée depuis environ trois millénaires, tandis que l’invasion arabo-musulmane de ce petit territoire qu’est la Palestine ne date que du VIIe siècle de notre ère. Ce qui ne veut évidemment pas dire que les descendants de ces conquérants n’ont pas acquis au fil des siècles le droit d’y vivre eux aussi en paix, et de résister si on le leur refuse.

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Il n’empêche que « résister » en soi ne prouve rien, et n’est parfois qu’un déni de réalité –dont témoigne la « résistance » en psychanalyse – ou une obstination indéfendable. La résistance ne s’ennoblit que de la cause qu’elle défend et des moyens d’action possibles qu’elle est capable de mettre en œuvre. Mais comment s’y retrouver entre protestation, rébellion, insoumission, dissidence ? Le rebelle, à qui Ernst Jünger a consacré un traité[2], est un résistant tout comme le militant ; à cette différence près que le militant est un soldat (du latin miles) qui va au front, alors que le résistant est comparable à un coureur de fond qu’aucun accident de terrain ne décourage, hormis la désertion de ceux qu’il pensait être ses compagnons. Mais il faut quelque chose de plus pour que son endurance devienne exemplaire, et s’inscrive dans la mémoire collective :  on se souvient encore aujourd’hui des juifs résistant héroïquement à l’assaut des Romains dans la forteresse de Massada, et des cathares cernés à Montségur par les troupes du sénéchal de Carcassonne. Est-ce à dire qu’on résiste parce qu’on a la foi en des raisons de vivre d’ordre « spirituel » qui renvoient au second plan les engagements militants pour des « valeurs » ?

Une affaire de courage

Les raisons de « résister » se sont par ailleurs multipliées depuis la dernière guerre, à l’image d’un monde de plus en plus multipolaire dont le centre de gravité ne cesse de se déplacer. La résistance est, elle aussi, devenue itinérante, à l’image de celle des agriculteurs sillonnant la France sur leurs tracteurs, et se veut spectaculaire plutôt que clandestine : grèves, manifestations, blocages, piratages informatiques se partagent la tâche de déstabiliser ou de paralyser un système jugé nocif ou pervers. On résiste aussi en triant ses déchets, en évitant de prendre l’avion, en mangeant bio et en roulant à vélo. La résistance est désormais plus verte que rouge, et le décalage n’en est que plus flagrant entre la vie politique qui reste marquée par l’exemple de la Résistance et ses clichés – droite collabo, gauche résistante –, et les actes de micro-résistance effectués au quotidien et diffusés sur les réseaux sociaux.

Résistez donc tant que vous pouvez face aux ennemis réels ou imaginaires que vous pensez devoir défier, mais ne vous sentez pas obligés de vous recommander pour cela de la Résistance. Et si vous le faites, assurez-vous au moins, en votre for intérieur, que vous auriez résisté à la torture, caché des juifs ou des résistants au prix de la sécurité de votre famille, et accepté de quitter la vie sans un sanglot pour tout ce que vous allez laisser derrière vous. Tout le reste n’est que verbiage car la résistance, c’est d’abord une affaire de courage.


[1] On lira à ce propos le bel essai de Pierre Mari, En pays défait, Pierre Guillaume de Roux, 2019.

[2] Ernst Jünger, Traité du rebelle ou le Recours aux forêts (trad. H. Plard), Christian Bourgois,1981.

Faut-il déchoir Kémi Séba de sa nationalité ou le laisser parler?

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Le leader de la « Tribu Ka », Kémi Seba, à droite, s’exprime à Paris le mercredi 28 juin 2006 © AP/MICHEL EULER)/FRANCE_KA_TRIBE_MEU108/0606281733

L’activiste franco-béninois a déjà mis le feu à son passeport, en réponse aux menaces du gouvernement français. Quel est son parcours ?


Kémi Séba est l’un des militants d’opposition à la France qui, s’appuyant sur les réseaux sociaux et un imaginaire reconstruit, s’attaque à la présence française et aux soutiens de Paris en Afrique. Le gouvernement français a engagé une procédure de destitution de nationalité à son égard, réponse aux tentatives de déstabilisation dont la France est victime.

Kémi Séba aime manier le feu. En mars 2024, interdit de conférence à Fleury-Mérogis, il brûle son passeport français[1], témoignant de sa rupture avec le pays où il est né. Déjà, en août 2017, à Dakar, il brûlait un billet de 5 000 francs CFA pour manifester son opposition à cette monnaie. Kémi Séba aime aussi manier les réseaux sociaux et les codes contemporains. Ses interventions polémiques y sont filmées et diffusées, ses discours politiques y sont repris, pour toucher le plus grand nombre dans l’Afrique francophone et la diaspora africaine en France.

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De Strasbourg à Los Angeles

Rien ne prédisposait ce natif de Strasbourg à conduire la carrière d’opposition à la France qui lui vaut aujourd’hui une procédure en destitution de nationalité. Né à Strasbourg en 1981, de parents béninois, il a passé sa jeunesse en Île-de-France. C’est lors d’un voyage devenu initiatique à Los Angeles en 1999 qu’il découvre les mouvements panafricanistes afro-américains, leur radicalité et leurs combats politiques. Radical, Kémi Séba l’est assurément. Il ne fait rien dans la demi-mesure et se donne totalement pour la cause qu’il défend[2]. Mais loin d’être linéaire, son parcours est chaotique. Aux États-Unis, il adhère au groupe Nation of islam qui regroupe des Noirs américains musulmans dans la mouvance d’un Malcom X. Puis il fait scission avec ce groupe, crée son propre mouvement, rejette l’islam et adopte le kémitisme, religion fabriquée qui a l’ambition de restaurer les cultes égyptiens disparus. Dans le sillon d’un Cheikh Anta Diop, il voit dans l’Égypte antique la quintessence de la civilisation africaine, qui aurait tout donné à l’Europe et aux Blancs. Après avoir créé sa propre structure du kémitisme, la Tribu Ka (2004) il revient à l’islam, dans un parcours intellectuel et politique fait d’à coups et de revirements.

Un panafricaniste opposé à la France

Imprégné d’un discours racialiste qui lui fait défendre la pureté de la race noire, il refuse le métissage, défend le retour des Noirs en Afrique, affirme sa haine des juifs, qui seraient responsables de l’esclavage et de la traite. Après la dissolution de la Tribu Ka (2006), il fonde le Mouvement des damnées de l’impérialisme (MDI) en 2008, résolument panafricaniste. C’est grâce à ce mouvement qu’il peut rejoindre le Sénégal en 2011, où il commence à fréquenter les plateaux de télévision, à tenir des chroniques et à se faire connaitre. Ses discours volontaristes et provocateurs trouvent un certain écho parmi la jeunesse africaine. Maniant les codes des réseaux sociaux, il sait se faire mousser et se faire connaitre. Trop radical aux yeux des gouvernements africains, il se fait expulser du Sénégal puis du Burkina Faso, avant de rejoindre le Bénin, dont il possède la nationalité, tout en insultant le président du pays, le considérant comme « un mafieux à la solde de la France. »

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Ses postures anti-françaises le font inviter par des pays qui ont intérêt à manipuler son aura et à l’utiliser pour défendre leurs intérêts. En février 2024 il est ainsi convié à Téhéran pour participer au sommet de la multipolarité, durant lequel il se livre à un discours antioccidental, accusant l’Occident de dégénérescence et de décadence. Ses vidéos sur Twitter et YouTube rencontrent une certaine audience et le font mousser auprès d’une jeunesse connectée qui regarde le monde à travers ses yeux. Européens « pions des Rothschild et de la finance apatride », Afrique soumise « à la domination occidentale et au lobby sioniste »[3], ses discours reprennent les thèmes classiques de l’antisémitisme et du tiers-mondisme, matinées de références panafricanistes contre le franc CFA et les dirigeants africains accusés d’être trop proches de la France, donc forcément, à ses yeux, esclaves de celle-ci.

Une aura heureusement limitée

Son aura en Afrique est toutefois limitée. Il s’est certes rapproché des putschistes du Mali et du Burkina Faso, mais son audience ne prend pas au Bénin et en Côte d’Ivoire, là où le développement économique et l’instruction sont plus élevés. Kémi Seba sert, peut-être à son corps défendant, les intérêts d’États adversaires de la France. Selon Jeune Afrique, les autorités nigériennes compteraient sur l’activiste « pour continuer ce travail de déconstruction de la Françafrique et de propagation du panafricanisme ». Militant politique conscient de ses actes et de son influence, ou militant des réseaux utilisés par des États peu scrupuleux, difficile de trancher. Toujours est-il que son audience demeure limitée dans les pays les plus développés.

Source : Conflits


[1] https://www.bfmtv.com/societe/qui-est-kemi-seba-le-militant-aux-millions-de-vues-sur-facebook-bientot-dechu-de-sa-nationalite-francaise_AN-202403050187.html

[2] https://www.leparisien.fr/faits-divers/une-posture-resolument-anti-francaise-lactiviste-kemi-seba-vise-par-une-procedure-de-decheance-de-nationalite-05-03-2024-WHDHJWM4VVGOVIDDMQHIEA7AOU.php

[3] https://www.courrierinternational.com/long-format/portrait-kemi-seba-l-autoproclame-prophete-panafricaniste-adoube-par-l-extreme-droite-europeenne

«Sweet Mambo», ou la grandeur des danseurs

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Andrey Berezin, Michael Strecker, Julie Anne Stanzak © Oliver Look

Sweet Mambo, de Pina Bausch, est actuellement donné par les danseurs du Tanztheater de Wuppertal au Théâtre de la Ville. Une leçon de virtuosité à ne pas manquer.


On a peur, très peur pour l’avenir des ouvrages de Pina Bausch, pour la sauvegarde du répertoire du Tanztheater de Wuppertal jusque-là magnifiquement préservé par les disciples de la chorégraphe allemande. Après les lamentables représentations parisiennes, l’an dernier, d’un « Café Müller » vidé de tout sens, dénaturé par des interprètes qui étaient des ectoplasmes (les hommes surtout), à l’exception notable d’une danseuse russe qui relevait le rôle alors porté par deux figures mythiques de la compagnie, l’Australienne Meryl Tankard et l’Espagnole Nazareth Panadero ; plus encore après cette imposture qu’est « Liberté Cathédrale », produite sous le nom du Tanztheater par celui qui en a été nommé le nouveau directeur, et dont la seule présence à la tête de la troupe représente une hérésie, on pourrait croire effectivement à la ruine de la compagnie.

Mais grâce à de fortes personnalités, au talent éblouissant de danseuses-comédiennes « historiques » comme Nazareth Panadero, Héléna Pikon, Julie Shanahan ou Julie Anne Stanzak qui sont aujourd’hui des icônes dont l’aura confine au sublime, « Sweet Mambo », qui se donne au Théâtre de la Ville, où on l’avait déjà vu en 2009, échappe à la malédiction. Les danseurs de Pina Bausch résistent avec conviction à l’épreuve qui leur est infligée, résistent de toute la force de leur savoir et de leur foi. Il est vrai que sur les dix interprètes de « Sweet Mambo », sept ou huit appartiennent aux générations qui ont travaillé sous le charme de Pina Bausch. Et parmi les « nouveaux », il y a des découvertes surprenantes : la flamboyante Naomi Brito qui s’est glissée dans le répertoire bauschien avec un chic, une aisance diabolique, et ce remarquable danseur qu’est Reginald Lefebvre qui lui aussi s’intègre avec bonheur à un travail si puissant, si particulier, qu’il est difficile de s’y mesurer.

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« Sweet Mambo » n’est pas à ranger parmi les chefs-d’œuvre de Pina Bausch. Cette pièce n’en a ni la portée, ni la profondeur. Ponctuée de scènes, de tableaux fascinants, elle est toutefois magnifique, même si elle s’étire et se répète à l’excès avec de subtiles variantes.

La danseuse et chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009) © Wilfried Krüger

Elle vaut surtout, peut-être, pour l’interprétation qu’en donnent ces fidèles. Mais quand ceux-ci se seront définitivement retirés de la scène, tant les séquences exigent une virtuosité physique terriblement difficile à soutenir, qu’en sera-t-il de ce répertoire qui a bouleversé toute la fin du XXe siècle ? Les danseurs historiques ont maintenu jusque-là magnifiquement l’esprit et la lettre des œuvres majeures de Pina Bausch. Ils sont même parvenus à les transmettre à des compagnies aussi éloignées de son univers que le Ballet de l’Opéra de Paris qui portait il y a peu à son répertoire un chef-d’œuvre comme « Kontakthof » avec une intelligence et une sensibilité inattendues. Mais quand ces générations qui ont servi avec tant de ferveur ce Saint Graal, quand ces générations se seront effacées, qu’adviendra-t-il de l’univers de Pina Bausch alors que rien n’est plus fragile que les chefs-d’œuvre et quand des individus, à commencer par des proches de Pina Bausch, sont prêts à les trahir ?

À voir :

« Sweet Manbo » de Pina Bausch, avec le Tanztheater de Wuppertal. Théâtre de la Ville, jusqu’au 7 mai. www.theatredelaville-paris.com

Prière de ne pas y toucher

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Jean Clair © Hannah Assouline

L’art a toujours porté la promesse de nous libérer du temps et de la mort. Devenu « contemporain », il s’est soumis au présent et à l’argent. Désacralisé par la modernité, l’art n’honore plus la vie. Ce qui signifie qu’il se meurt.


Ce que nous appelons « art » est cet objet inutile qui se laissait autrefois entrevoir dans les temples, puis dans les églises du MoyenÂge, à demi caché et relégué dans les hauteurs, déployé enfin dans les palais des puissants, et aujourd’hui ce fourbi sans destinataire et sans but qui s’étale dans les musées.

Soumission au temps

L’art « contemporain », par son étymologie, est l’art de son temps, né de son temps. Concubinage chaque fois renouvelé de la création avec la poussée des heures, il fait parfois apparaître des monstres, des êtres dont on supporte à peine la vue.

Curieusement, depuis que le mot « art » lui-même s’est imposé pour désigner la capacité de fabriquer des œuvres qui ne seraient plus d’ordre utilitaire, pratique ou consumériste, il ne prétend plus se délivrer du temps. « Contemporain », l’art est au contraire celui de la soumission au temps. Et, version militante, quasi guerrière, il y a l’art d’« avant-garde », pratiqué par des milices héroïques, devant des amateurs ébahis, pour explorer le champ militarisé du présent.

Le temps mène à la mort et l’art est supposé nous donner le pouvoir de dominer le temps. Ce qu’on appelle aujourd’hui – par habitude ou par paresse – « art » a toujours été l’exercice d’une activité permettant d’échapper à la maladie du temps et à notre condition d’être mortel. À l’origine, l’art fut une promesse, celle de la transfiguration : accéder à la beauté des dieux et des déesses antiques, côtoyer les Anges et les Dominations, puis les rois et les reines, les courtisans et les courtisanes, les capitaines d’industrie et les « créateurs » de l’esprit. Ainsi sommes-nous passés de l’époque antique à l’époque moderne. Aujourd’hui, parvenus au terme de la transcendance, qui représenter, admirer, honorer ou sublimer ?

Comment « canceller » une culture déjà défaite ?

Notre modernité est marquée par la grande confusion des combats. La cancel culture est l’un d’eux. Mais comment annuler, effacer, « canceller » une culture déjà défaite ? La cancel culture est un champ de mines posé sur un champ de ruines. Que reste-t-il, par exemple, de notre compréhension de l’iconographie médiévale, cet art d’une richesse, d’une beauté et d’une philosophie sacrale sans équivalent ? Savons-nous encore ce qu’est une Pietà ? L’oubli par l’ignorance rivalise avec les idéologies du moment. Nous voici ramenés à la boue, à la gadoue, aux soupes monochromes lancées sur des tableaux dans les musées, à la matière informe qui rappelle les giclées de peinture de l’art abstrait et les exubérances excrémentielles des créations des années 1960.

L’art contemporain se comprendrait comme le processus du renversement de la sainte trinité freudienne, la topique qui, dans le psychisme d’un individu, s’équilibre entre le Moi, le Ça et le Surmoi. Une dynamique entre exigences pulsionnelles et inconscientes du présent, et formation d’idéaux et d’exigences venus d’un passé lointain. Ce retournement fait apparaître la domination du Ça sur le Moi, et fait disparaître le Surmoi.

Notre culture est effacée depuis longtemps. Laïcisé, désacralisé, l’art relève aujourd’hui de la sensibilité et du goût, plus que du savoir et de la connaissance. Il suffit de montrer une paire de seins pour que l’on crie à l’obscénité, alors que les plus grandes œuvres de la peinture sont des œuvres érotiques. L’histoire de l’art, que l’on n’enseigne pas assez, et que j’ai apprise aux États-Unis lorsque j’étais étudiant grâce à une pléiade de savants formés à Vienne, est une discipline aussi riche que l’histoire des idées. L’iconographie raconte les images, le sens profond délivré par un ensemble de formes et de couleurs qui n’ont rien d’arbitraire et ne sont pas la manifestation d’une subjectivité devenue folle.

S’il s’agit de sa valeur, l’art n’a plus qu’une valeur monétaire. Une œuvre d’art, c’est désormais le prix qu’on lui assigne en salle des ventes. Un objet précieux, de l’argent qui dépasse toutes les valeurs, de cet or qu’on a si longtemps cependant comparé, dans son surgissement soudain, aux fèces.

Stade ultime donc : retour à l’excrément.

Gustave Flaubert, que je lis en ce moment, est sans doute celui qui, au cœur même du xixe siècle, a le mieux décrit ces processus dont il fut le contemporain : le personnage de Jacques Arnoux, le propriétaire de l’Art industriel, un marchand de tableaux, qui vend des boîtes de couleurs, des pinceaux, des chevalets et des faux en peinture, « un homme qui bat monnaie avec des turpitudes politiques ». Quant à Bouvard et Pécuchet, ils incarnent mieux que quiconque la fausse science, le mauvais goût, la rapacité et la prétention d’une classe bourgeoise naissante qui fut, en son temps, la parfaite préfiguration des partisans du wokisme aujourd’hui. 

J’ai toujours été convaincu du sérieux de l’art. Le musée a un rôle important : il est le lieu où l’on rassemble les icônes, étymologiquement les images, et qui, débarrassées de leur dimension sacrée, n’en gardent pas moins une puissance incroyable, un magnétisme qui ne faiblit pas. Mais l’art, comme la science dont il a longtemps été inséparable, est en train de crever. L’art crève à partir du moment où il n’est plus là pour honorer la vie ; la science crève de n’être vouée qu’à apaiser les souffrances finales. Honorer la vie, c’est honorer l’individu, son visage, honorer l’homme en tant que personne. Car l’homme n’est ni interchangeable ni renouvelable.

Rendons à la culture son pouvoir de rendre le monde habitable.


À lire
Jean Clair, Le Livre des amis, Gallimard, 2023.

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Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner?

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Kyoto. DR.

Notre chroniqueur s’étant proposé de partir au Japon pour envoyer à Causeur des reportages pris sur le vif, la Rédaction lui a donné le feu vert,­ d’autant qu’il annonçait en même temps qu’il le ferait à ses frais.
Et comme nous sommes pauvres…


Jean-Paul Brighelli en voyage au pays du soleil levant (1)


Sans doute vous rappelez-vous Brel :

« J’vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c’est périssable… »

Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner ? En France, il y a toujours la solution de la bouteille de Bordeaux made in Occitania (je ne plaisante pas, j’ai longtemps habité Nébian, dans l’Hérault, juste au-dessus d’une cave viticole où les vignerons apportaient le vrac, et où les camions-citerne immatriculés en 33 venaient faire le plein de médocs et de graves pour supermarchés bas de gamme). Si vous êtes vraiment distingué, vous faites envoyer à la maîtresse de maison une douzaine de roses qui devront arriver une heure avant vous.

Au Japon, vous apportez un fruit.

Comment ? Un fruit ? Vous êtes sûr ? Ça ne fait pas un peu chiche ?

Hmm…  Un melon, c’est 14000 yens — soit près de 90€. Une mangue vaut 16 200 yens, soit une petite centaine d’euros. Et la corbeille de fruits (oh, rien d’extraordinaire, melon, mangue, pomme, une orange…), c’est 31 320 yens, soit 190 €. Soit, reconverti en roses de chez nous, une soixantaine de roses ­— un beau bouquet, mazette…

Cela ne signifie pas que le Japon ne produit pas de mangues — surtout à Okinawa, où je me suis posé. Ni de melons, et autres fruits du jardin d’Eden. C’est une île tropicale bénie des dieux, où tout croule sous les orchidées (qui décorent l’aéroport de Naha, par exemple) et en hibiscus, qui bordent les trottoirs. Non : c’est seulement que les fruits que l’on vous vend sont tout simplement parfaits. Objets d’une sélection impitoyable. Le Japon ne tolère que la perfection.

Les amateurs de jolies voitures savent bien qu’entre une voiture japonaise et une voiture européenne, dans la même gamme, il n’y a pas photo en termes de ligne, de motorisation et de fiabilité. D’une vertu commune au pays du soleil levant, les industriels de là-bas ont fait un argument de vente. Sans se forcer, puisque la perfection est la norme.

(Parenthèse. Il n’y a pas si longtemps, nous osions offrir des fruits aux dames dont nous entreprenions la conquête. Pas forcément des pommes, dont la symbolique biblique est un peu lourde, mais par exemple des belles poires : c’est ce que fait Bel-Ami, dans le roman homonyme de Maupassant, pour séduire Mme Walter, l’épouse de son patron).

A lire aussi, du même auteur: Uniforme à l’école? Osons un référendum!

Il est très difficile, commercialement parlant, de rivaliser avec des perfectionnistes, et de les concurrencer. Le grand linguiste Edward T. Hall (Comprendre les Japonais, Seuil, 1991) raconte comment une firme de vaisselle fine, à Limoges, s’est vu refuser un premier envoi de 100 000 théières en porcelaine blanche parce qu’elles étaient imperceptiblement bancales, quand on les posait sur une table laquée — un défaut qui passe inaperçu en Europe, où l’on pose les théières sur un napperon qui égalise les micro-défauts. Et comment Renault n’était parvenu à vendre aucune voiture, n’ayant pas daigné mettre le volant à droite en inversant les commandes, dans un pays où l’on roule à gauche, ce qu’apparemment le constructeur français ignorait. Quand l’ignorance le dispute à la prétention…

D’où le goût des Japonais pour les uniformes (scolaires aujourd’hui, militaires autrefois), pour les jolis habits (il faut voir le regard de mépris qu’ils jettent sur les Américains vêtus de jeans troués) et pour les carnations et les dentitions parfaites.

(Seconde parenthèse. Il faudra que l’on m’explique pourquoi les Européens disent « les Jaunes ». Le teint standard des jolies Japonaises hésite entre la perle nacrée et l’ivoire pâle. Si vous ajoutez à cela qu’elles ont des cheveux noirs « comme l’ébène », dirait Perrault dans Blanche-Neige, vous obtenez un standard de beauté très élevé, auquel nous n’avons à opposer que Kim Kardashian et Aya Nakamura. C’est vrai aussi chez les hommes : pas un hasard si Alain Delon, au faîte de sa gloire, jouissait d’une réputation inégalée dans l’archipel, simplement parce qu’à l’époque du Guépard ou de Plein soleil, il était remarquablement beau).

La France a longtemps été une référence incontournable dans ce domaine. Nous avons produit, entre le XVIe et le début du XXe siècle, des chefs-d’œuvre dans tous les arts — à commencer par la mode. Mais c’est fini : quand on en est à admirer les bouses que produisent des « créateurs » imbus de leur personne sans réel motif, c’est qu’on a renoncé à se battre sur le seul terrain culturellement et commercialement viable, celui de la beauté. Nous n’exportons plus guère que de la haute cuisine au Japon, parce que l’art culinaire sait que la dégustation commence dès le premier regard sur l’assiette. Et j’espère que c’est toujours ce que l’on apprend, dans les lycées hôteliers, aux élèves en formation, derniers remparts de la présence française dans le monde.

Kaboul-sur-Seine

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Les députés LFI Louis Boyard et Mathilde Panot discutent avec le chanteur controversé Médine, Paris, 21 avril 2024. Image: réseaux sociaux.

Quand Stefan Zweig nous éclaire sur l’actualité : le monde d’hier, c’est celui d’aujourd’hui.


Notre civilisation française, et plus largement européenne, est malmenée et vacille, tout comme ce fut le cas entre les deux guerres mondiales.  Certes, les menaces auxquelles elle est confrontée ne sont plus celles d’autrefois. 
Actuellement, nous sommes fragilisés par une immigration massive et surtout par l’islam politique que nombreux, parmi les nouveaux arrivants, tentent d’imposer. Les rares qui s’y opposent sont anathématisés, les autres majoritaires, laissent faire par couardise ou accompagnent le mouvement par opportunisme.  
On observe alors dans notre pays les mêmes comportements décadents, la même atmosphère de folie débridée que ceux qui préludèrent au deuxième conflit mondial. Il suffit pour s’en assurer de relire Le Monde d’Hier, dernier livre rédigé par Stefan Zweig avant qu’il ne mît fin à ses jours.

A lire aussi, Gabriel Robin: Shemseddine tué devant son collège: de la culture de la honte

La France confrontée à la violence ou à l’islamisme du quotidien

D’où qu’on se tourne, depuis quelques temps, en France, c’est la Bérézina : on larde ou on tabasse qui ne se plie pas à la charia. Samara à Montpellier (34) a été passée à tabac parce qu’elle se vêtait à l’européenne. Shemseddine, À Viry-Châtillon (91), a été battu à mort pour avoir dragué la sœur de deux garçons. À Bordeaux (33), c’est un Afghan enturbanné qui, surin au poing, a fondu sur deux Algériens qui avaient eu la témérité de consommer de l’alcool, le jour de la fête de l’Aïd-el-Fitr. Il a tué l’un d’entre eux. Philippe, à Grande-Synthe (59), vient d’être roué de coups par des mineurs, il en est mort. Samedi dernier, c’était Kaboul à Paris : on a y vu des Afghans manifester après l’incendie de la rue de Charonne et dévaster tout un quartier du onzième arrondissement. Dimanche, la joyeuse bande des Insoumis, Louis Boyard et Mathilde Panot en tête, accompagnés de Salah Hamouri (soupçonné d’être membre d’un mouvement reconnu comme terroriste : le Front populaire de libération de la Palestine) marchait contre le racisme et l’islamophobie. Des milliers de manifestants les accompagnaient scandant les habituels slogans obscènes comme : « Urgence, urgence, la police assassine ». Dans le même temps, on apprenait la démission de Claude Cohen, maire de Mions (69), une commune proche de Lyon, las d’essuyer des insultes antisémites et des menaces de mort parce que Juif. Bien sûr, on vous passe les « refus d’obtempérer » et les rafales de Kalachnikov autour de points de deal tenus par des gamins à peine sortis des couches. Forcément, on est tenu, dans un grand renversement carnavalesque, de considérer les agresseurs, tueurs, racistes et autres agitateurs comme les vraies victimes ou, à tout le moins, de leur trouver des excuses et des circonstances atténuantes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Le temps est venu de ne plus craindre d’être «réac»

Attal, dernière chance pour l’école ?

Dans cette ambiance crépusculaire, il s’agit bien de faire table rase du passé et quand Zweig parle de l’Autriche d’avant la Seconde Guerre mondiale, c’est bien de la France d’aujourd’hui qu’il nous parle : « Dans les écoles, on constituait, sur le modèle russe, des comités de classe qui surveillaient les professeurs, « le plan d’étude » était aboli, car les enfants ne devaient et ne voulaient apprendre que ce qu’il leur plaisait. » Voilà qui fait furieusement songer à nos propres écoles, en ce moment. Nos écoliers n’y font, eux aussi, que ce qu’ils veulent et seront toujours plus enclins à se lever pour Danette qu’à la vue d’un professeur, n’en déplaise à Gabriel Attal. Poursuivons notre édifiante lecture : « Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté de la langue. Les articles « le, la, les » furent supprimés, la construction de la phrase mise cul par-dessus tête (…) » Tout ça n’est sans rappeler tous les délires artistiques actuels et la folie de l’écriture inclusive. On lit encore, toujours dans Le Monde d’Hier : « On se révoltait contre toutes formes valables pour le seul goût de la révolte, même contre le vœu de la nature, contre l’éternelle polarité des sexes (…), l’homosexualité et les mœurs lesbiennes furent la grande mode, non pas par un penchant inné, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles (…) de l’amour. »  Aujourd’hui, pas mieux. C’est toujours sus au bon sens ! Ainsi, aussitôt paru, le livre Transmania, signé Dora Moutot et Marguerite Stern, enquête nourrie sur les dérives de l’idéologie transgenre, se voit censuré1. La Mairie de Paris, suivie par celle de Lyon (jamais en reste), exige de l’afficheur JCDecaux qu’il retire sa publicité pour l’ouvrage. SOS homophobie déclare sur X le 20 avril : « La transphobie tue » et annonce porter plainte contre les auteurs de Transmania. Zweig poursuit : « Dans tous les domaines s’ouvrait une école d’expérimentations des plus téméraires et l’on prétendait, d’un seul bond fougueux, dépasser ce qui avait été fait, enfanté et produit ; plus un homme était jeune, moins il avait appris, plus il était le bienvenu par le seul fait qu’il ne se rattachait à aucune tradition. »

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L’ivresse de Mélenchon

Et, puis, il y a ceux qui surfent sur le tragique des époques pour assouvir leurs ambitions personnelles ; et hier, là encore, c’est aujourd’hui : « (…) dans la politique le communisme et le fascisme étaient les seules extrêmes qu’on accueillît favorablement. » Voyez plutôt le vociférant Jean-Luc Mélenchon et ses non moins braillards affidés sans cesse éructant contre qui n’adhère pas à la fable de la diversité heureuse ; leur seul but : capter les voix des électeurs des « quartiers ». Qu’importe au Lider Minimo s’il contribue ainsi au développement d’un antisémitisme nouveau, version XXIe siècle, voire à l’application de la charia dans certaines zones du territoire ; il aura l’ivresse de gouverner. Que dire enfin de ceux, qui au pouvoir, sont prodigues de mots, mais avares d’actions susceptibles d’enrayer la faillite générale sur laquelle ils ont fermé les yeux par intérêt ou par lâcheté ? « Nous ne laisserons rien passer », clament-ils, en chœur, tous les jours, parce que tous les jours, se passe ce qui ne devrait pas se passer. Gabriel Attal, du reste, vient, à Nice, de s’exprimer sur les comportements « violents » de « certains jeunes », à l’école, et voici qu’il s’auto-congratule, qualifiant son allocution de « discours de vérité et d’autorité. » Il précise, ça va de soi, que stopper la violence des jeunes est « sa priorité. » On attend les actes.

Citons, pour conclure, Zweig, encore, toujours dans son ouvrage ultime : « rien ne donne une impression plus spectrale que de voir soudain revenir a vous, dans sa même forme et sa même apparence, ce qu’on croyait, depuis longtemps, mort et enterré. »

Le Monde d'hier: Souvenirs d'un Européen

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  1. https://www.causeur.fr/transmania-le-plus-gros-casse-conceptuel-du-moment-281069 ↩︎

Et l’art, c’est du poulet ?

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Sharon Tate dans "Le Bal des vampires" de Roman Polanski en 1967 © Mary Evans/AF Archive/SIPA

Impossible d’entendre les noms de Polanski ou de Depardieu sans qu’y soit accolée l’étiquette de prédateur sexuel. Leur culpabilité supposée a effacé leur œuvre. Pour les militants de la bonne cause, la dimension artistique n’existe plus, car l’art « n’est pas le sujet » !


« J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma… » C’est par ces mots que s’est ouverte la plaidoirie de maître Delphine Meillet le 5 mars dernier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce jour-là, on juge Polanski pour diffamation. La plaignante, c’est Charlotte Lewis, qui accuse publiquement (depuis 2010) le réalisateur de viol. Aujourd’hui elle l’attaque pour diffamation en raison de propos tenus par le cinéaste dans Paris Match en 2019 au sujet de ce viol allégué. Lorsque le journaliste évoque les accusations de Lewis, Polanski répond : «Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever ces contradictions. » Et lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui la pousseraient à mentir, il déclare : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? Il faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens, que sais-je. » Voilà l’objet de la supposée diffamation.

C’est pas le sujet !

Mais ce procès n’est pas ce dont je veux parler ici. « J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. » Comment Delphine Meillet a-t-elle osé prononcer ces mots ? Rappeler et affirmer aujourd’hui que Polanski est « l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma » relève de la résistance. « Et alors ? Quel est le rapport ? C’est pas le sujet ! » dit-on dans les chaumières néoféministes. Et c’est bien vrai ! L’art n’est pas le sujet. Ni là, ni ailleurs. L’art n’est plus le sujet. Nulle part. Jamais. L’art ne compte pas. De Polanski, désormais, n’importe plus que le scandale. C’est le monde en train d’advenir. Polanski est un pédophile, Depardieu un gros porc et un violeur. Point. Leur œuvre : à la trappe. Ce n’est pas le sujet ! Il faut nier la dimension artistique, l’ignorer. Elle ne doit plus exister. Il faut la remplacer. La remplacer par autre chose. La remplacer par ce qui les obsède : les violences sexistes et sexuelles. Il ne faut plus que leurs noms soient synonymes d’art mais de viol, de violence, d’horreur. Des collages féministes affichaient d’ailleurs dans les rues en lettres capitales « VIOLANSKI ». Et voilà, le tour est joué ! Introduire le viol jusque dans son nom. Ainsi, le viol sera toujours le sujet. L’art, lui, le sera de moins en moins.

Adèle Haenel – au hasard ! – accepterait-elle de participer à un débat purement centré sur l’œuvre de Polanski, où les accusations de viol ne seraient pas le sujet ? Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que pour elle, comme pour beaucoup de militants MeToo, l’art ne compte pas. L’artiste ne vaut rien. Imaginez-vous la scène ! Allez, on se projette.

Deux ou trois personnes, dans une émission TV consacrée au cinéma, parlent du Bal des vampires. Elles analysent le génie avec lequel la scène du bal est tournée et décryptent avec passion l’immense numéro d’acteur burlesque de Jack MacGowran et Polanski tentant de tuer le comte Van Krolock endormi dans son cercueil. Mais, soudain, Adèle Haenel – silencieuse jusque-là – s’exclame : « Vous plaisantez ?! On parle d’un homme accusé de viol là ! Vous avez écouté les témoignages des victimes ? »« Adèle, ce n’est pas le sujet… », lui rétorque le présentateur.« Ce n’est pas le sujet ? Polanski est un violeur et ce n’est pas le sujet ? Bien sûr que c’est le sujet ! C’est le seul sujet ! »hurle Haenel.

J’imagine tellement la scène. Je la vois. C’est toujours le sujet ! Évidemment. C’est le seul sujet qui compte. Mais sortons de mon imagination. Dans la réalité actuelle, aucun présentateur ne se permettra de dire à Madame Haenel ou à Madame Mouglalis que « ce n’est pas le sujet ». On ose dire que l’art n’est pas le sujet. Ça on ose ! À longueur de journée ! Ça, on le rabâche. On le martèle. Comme pour nous faire croire que là, en l’occurrence, ce n’est pas le sujet. Et que ce serait le sujet dans une autre discussion, centrée sur l’art. Mais cette autre discussion n’a jamais lieu. Et si elle avait lieu, on y parlerait tout de même de viol. On entend déjà le journaliste cinéma du jour : « Nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’œuvre de Roman Polanski sans rappeler qu’il est accusé de ceci et de cela par tel nombre de femmes, etc., etc. »

Sauver l’art

Ces gens de chez MeToo prétendent souvent ne pas vouloir faire interdire les œuvres des artistes accusés de violences sexistes ou sexuelles. Eux ne regarderont plus les films de Polanski ou de Depardieu, mais ils assurent ne pas vouloir en priver les autres. Pour le moment, oui. Taqiya ! Stratégie de dissimulation ! Patience… ! De toute façon, ils savent bien que leurs méthodes d’intimidation créent déjà de la censure. Ils savent que ça marche. Qui va recevoir dans son cinéma ou dans son festival un artiste que l’on qualifie de violeurà longueur d’émissions ? On annule la projection d’un film dans tel festival, on annule des concerts de Depardieu dans telle ou telle ville. C’est comme ça que ça se passe. Ce n’est pas une censure totale, mais des sabotages ici et là qui, additionnés, font masse et en entraînent d’autres. Ces militants ont en tête qu’ils doivent marquer « viol » au fer rouge sur le front des accusés. Lorsqu’on tape Polanski sur internet, ce sont les mots« agression sexuelle »« viol »« violences sexuelles » qui tapissent les pages Google. Pour Richard Berry c’est « inceste ».  Pour Benoît Jacquot c’est « emprise » et « viol ». « Mais qui parle de supprimer leurs œuvres ? » m’a-t-on plusieurs fois demandé sur les plateaux TV. Ils ne le disent pas… mais évidemment qu’ils en crèvent d’envie. Pour l’instant, certains d’entre eux disent vouloir« contextualiser » les œuvres pour que l’on sache bien si les participants d’un film sont tout à fait blanc-bleu. Dans leur monde rêvé, il y aurait donc sur les jaquettes des DVD des films de Polanski un bandeau « Ce film a été réalisé par un violeur » avec, au dos, la liste des crimes dont on l’accuse, comme on trouve écrit sur une barquette de cuisses de poulet « Élevé en plein air et sans traitement antibiotiques ». Son film, c’est du poulet ? Pas plus ? Eh bien je crois que nous y sommes, oui. L’art, c’est du poulet. L’art, c’est une chose comme une autre. Il doit y avoir une traçabilité du produit. Il ne faut plus que dans un article de presse, dans une revue de cinéma ou sur une affiche de film le nom d’un accusé se trouve à plus de cinq centimètres du mot viol. D’ailleurs, dans notre tribune « N’effacez pas Gérard Depardieu », publiée en décembre dernier dans Le Figaro, quelles sont les phrases qui ont le plus gêné ? « Lorsqu’on attaque Gérard Depardieu, c’est l’art qu’on attaque »« Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs » e« par son génie d’acteur, Gérard Depardieu participe au rayonnement artistique de notre pays ». Voilà des phrases impardonnables méritant le fameux « C’est pas le sujet ! ». Elles étaient pourtant nécessaires. Quand on ne parle de Depardieu que comme d’un porc et d’un violeur (au mépris de la présomption d’innocence en ce qui concerne le viol), que 56 artistes signent un texte rappelant que cet homme est un artiste majeur, était à mon avis salutaire. C’était un devoir de le faire. Chacun sa mission, chacun son combat. Le mien est de sauver les œuvres. De sauver l’art. C’est ce pour quoi j’ai choisi de me battre. Je voue un culte au grand art et je sais combien il sauve, combien il est nécessaire. Ça aussi, on pourrait en parler ! De tout le bien que Polanski a fait par ses films. Des masses qu’il a fait rêver, des âmes qu’il a sauvées de leur triste quotidien, du rêve qu’il a offert, de tous ceux qu’il a fait réfléchir, à qui il a ouvert les yeux à travers son regard aiguisé sur les abysses de l’humain. Mais non, l’art ne compte pas. Il ne sert à rien. La beauté non plus. Je me demande quel rapport Adèle Haenel, Caroline De Haas, Marine Turchi et Edwy Plenel entretiennent avec Mozart, Schumann et Strauss. Mon instinct me dit qu’ils sont imperméables à la beauté.En tout cas, ce n’est pas leur sujet ! Sur France Inter, Guillaume Meurice a consacré une chronique à l’hommage de la Cinémathèque à Roman Polanski. Un des quidams à qui il tend le micro pour les ridiculiser lui dit : « En ce moment c’est un peu la mode de parler de harcèlement sexuel et tout ça quoi […] et la Cinémathèque n’invite pas un obsédé sexuel ou quoi que ce soit, elle invite un cinéaste qui est là pour parler de cinéma. Pas de son cul ou de sa bite. » Réponse de Meurice : « Mais parlons cinéma enfin ! Merde ! C’est vrai ça, ça m’énerve. C’est pareil, à chaque fois qu’on parle de Guy Georges dans une émission, on parle que de ses crimes ! Le mec fait une super polenta et on n’en parle absolument jamais. » L’excellente polenta d’un tueur en série n’est effectivement pas un sujet.En revanche, l’œuvre d’un grand réalisateur (même accusé de viol !) est un sujet. Un sujet majeur ! Je refuse de mettre Rosemary’s Baby et la polenta de Guy Georges dans la même gamelle ! Pardon ? Oui, je sais : c’est pas le sujet !

Minotaures: Voyage au coeur de la corrida

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Pauvre Bitos, pauvre Anouilh, sa pièce raccourcie car trop contre révolutionnaire?

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Le jeu de massacre grinçant de Jean Anouilh, « Pauvre Bitos – le Dîner de têtes », est de retour au théâtre Hébertot.


On connait bien sûr le sens d’un dîner de famille, ou d’un dîner de cons. Dans certains cas, ces deux-là forment un pléonasme ! Celui d’un dîner de têtes est nettement moins connu. Passée de mode, l’expression a été remplacée par la formule plus festive de la « soirée à thème » ou de la « soirée déguisée », ce qui signifie la même chose sauf que concernant le dîner de têtes, seule la tête est grimée. Thierry Harcout la remet au goût du jour en mettant en scène Pauvre Bitos au Théâtre Hébertot, une des pièces les plus grinçantes de Jean Anouilh, où le rire n’est jamais léger et insouciant mais grave et plombant.

Qu’on lui coupe la tête !

Le récit se déroule après la Deuxième Guerre mondiale, au moment où la Libération du pays fait place à l’épuration des traitres. Un groupe d’amis, appartenant tous à la bonne société d’une petite ville de province, convie André Bitos, un ancien camarade de classe devenu un magistrat un peu raide suscitant exaspération et jalousie. Quoi de plus propice pour régler ses comptes avec l’intéressé, que de jouer un des acteurs de la Terreur révolutionnaire ? Derrière leurs masques de Saint-Just, Danton, Desmoulins, Mirabeau ou Tallien, les convives ravivent quelques rancœurs passées et s’adonnent à leurs envies pressantes de vengeance contre celui qui est la tête de Turc du diner : Bitos. Mais ce dernier n’a malheureusement pas pris comme tête d’époque celle de la victime expiatoire, Louis XVI, mais celle de Maximilien de Robespierre dit l’Incorruptible. Dire que des députés Insoumis comme Antoine Lémaument revendiquent sans vergogne l’héritage de ce dernier qu’ils considèrent républicain, alors qu’il n’est qu’un meurtrier !

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Le spectateur est donc transporté à une époque où garder sa tête pouvait relever de l’exception au regard de la cadence infernale avec laquelle le rasoir national fonctionnait. Les répliques fusent, les formules respirent un cynisme jubilatoire, on rit – mais on rit jaune – devant le télescopage de ces deux époques sombres de notre histoire où la dénonciation de son voisin devient un sport national.

L’Incorruptible voulait une République vertueuse, il a instauré une République tueuse

Pour mieux souligner le rapprochement entre l’épuration et la Terreur – ce qui fit tant scandale à l’époque – Anouilh joue sur le mélange entre fiction et réalité. Au fil de sa pièce, les masques deviennent les têtes et le magistrat Bitos se transforme en l’avocat d’Arras. L’auteur insiste sur leur similitude qui dépasse leur fonction sociale pour embrasser celle de leur caractère. Bitos comme Robespierre est aussi raide qu’une pique, aussi tranchant qu’une lame. Mais surtout, il partage avec l’Incorruptible le fantasme d’une vertu virginale et un dégoût immodéré pour le peuple qu’il se targue de défendre alors qu’il ne fait que le mépriser. « Je n’aime personne, même pas le peuple, il pue… » assène-t-il. Autre sortie haineuse : « Je vous ferai passer le goût de vivre et d’être des hommes, je vous ferai propre, moi ! ». Anouilh rend cette évocation de la propreté récurrente dans la bouche de Bitos, alias Robespierre. Et ce n’est pas anodin. Il faut très certainement y voir la référence à la guillotine qui fut jugée à l’époque comme une invention humaniste. C’est que la grande Veuve tuait mécaniquement, anonymement, rapidement – en « un clin d’œil » comme on disait à l’époque – et surtout, proprement. Le bourreau n’avait plus qu’à actionner le couperet. Exit la hache, l’épuisement physique d’un homme, sa souffrance morale. Plus de marre de sang, place nette. « Je vous ferai propre moi ! », dans ce cri fiévreux, résonne tout le projet révolutionnaire de créer un homme nouveau qui jaillirait de la cuisse de la Terreur révolutionnaire. Pour les agités du hachoir, c’est par et grâce à la guillotine que le peuple peut et doit se régénérer pour former une république vertueuse. Dans son Rapport sur les principes de morale politique, Robespierre légitimait la Terreur comme n’étant pas « autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible (…) une émanation de la vertu ».

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Dès la publication de la pièce en 1956, Anouilh rouvre donc, avec un temps d’avance, le livre noir de la Révolution française, dévoilant l’idéologie meurtrière de la Terreur et le fanatisme de ses acteurs, comme le feront, quelques années plus tard, François Furet, Mona Ozouf, Stéphane Courtois ou encore Patrice Gueniffey.

Un spectacle ramené à 1h20

Si on ne peut que saluer la mise en scène enlevée et le jeu des acteurs qui font résonner toute l’actualité de la pièce d’Anouilh, il est difficile de ne pas regretter les coupures du metteur en scène. Certaines scènes manquent cruellement. Notamment celle où Robespierre et Saint-Just, rédigent la loi du 22 Prairial (10 juin 1794). Avec cette loi, les « suspects » à interroger deviennent des « ennemis du peuple » à exterminer et l’arbitraire est poussé jusqu’à son paroxysme – puisqu’elle supprime l’audition des témoins, abrège les plaidoiries et réduit les procès à des comparutions devant les juges du tribunal révolutionnaire où la seule alternative est la vie ou la guillotine.

Cette loi inaugure la Grande Terreur robespierriste pendant laquelle les « guillotinades » fonctionnent à plein régime à tel point qu’on pouvait entendre dire « Y a-t-il guillotine aujourd’hui ? – Oui, lui répliqua un franc patriote, car il y a toujours trahison. »[1] Est-ce par crainte de faire trop long, ou par peur de trop appuyer la critique contre-révolutionnaire de Jean Anouilh que Thierry Harcourt a fait tomber le couperet sur ces scènes ? Quoi qu’il en soit, le spectateur repart de la salle plus en frissonnant qu’en riant.

Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne. Mise en scène Thierry Harcourt.  78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris.


[1] Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf.