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Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner?

Okinawa: la beauté, c’est la perfection


Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner?
Kyoto. DR.

Notre chroniqueur s’étant proposé de partir au Japon pour envoyer à Causeur des reportages pris sur le vif, la Rédaction lui a donné le feu vert,­ d’autant qu’il annonçait en même temps qu’il le ferait à ses frais.
Et comme nous sommes pauvres…


Jean-Paul Brighelli en voyage au pays du soleil levant (1)


Sans doute vous rappelez-vous Brel :

« J’vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c’est périssable… »

Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner ? En France, il y a toujours la solution de la bouteille de Bordeaux made in Occitania (je ne plaisante pas, j’ai longtemps habité Nébian, dans l’Hérault, juste au-dessus d’une cave viticole où les vignerons apportaient le vrac, et où les camions-citerne immatriculés en 33 venaient faire le plein de médocs et de graves pour supermarchés bas de gamme). Si vous êtes vraiment distingué, vous faites envoyer à la maîtresse de maison une douzaine de roses qui devront arriver une heure avant vous.

Au Japon, vous apportez un fruit.

Comment ? Un fruit ? Vous êtes sûr ? Ça ne fait pas un peu chiche ?

Hmm…  Un melon, c’est 14000 yens — soit près de 90€. Une mangue vaut 16 200 yens, soit une petite centaine d’euros. Et la corbeille de fruits (oh, rien d’extraordinaire, melon, mangue, pomme, une orange…), c’est 31 320 yens, soit 190 €. Soit, reconverti en roses de chez nous, une soixantaine de roses ­— un beau bouquet, mazette…

Cela ne signifie pas que le Japon ne produit pas de mangues — surtout à Okinawa, où je me suis posé. Ni de melons, et autres fruits du jardin d’Eden. C’est une île tropicale bénie des dieux, où tout croule sous les orchidées (qui décorent l’aéroport de Naha, par exemple) et en hibiscus, qui bordent les trottoirs. Non : c’est seulement que les fruits que l’on vous vend sont tout simplement parfaits. Objets d’une sélection impitoyable. Le Japon ne tolère que la perfection.

Les amateurs de jolies voitures savent bien qu’entre une voiture japonaise et une voiture européenne, dans la même gamme, il n’y a pas photo en termes de ligne, de motorisation et de fiabilité. D’une vertu commune au pays du soleil levant, les industriels de là-bas ont fait un argument de vente. Sans se forcer, puisque la perfection est la norme.

(Parenthèse. Il n’y a pas si longtemps, nous osions offrir des fruits aux dames dont nous entreprenions la conquête. Pas forcément des pommes, dont la symbolique biblique est un peu lourde, mais par exemple des belles poires : c’est ce que fait Bel-Ami, dans le roman homonyme de Maupassant, pour séduire Mme Walter, l’épouse de son patron).

A lire aussi, du même auteur: Uniforme à l’école? Osons un référendum!

Il est très difficile, commercialement parlant, de rivaliser avec des perfectionnistes, et de les concurrencer. Le grand linguiste Edward T. Hall (Comprendre les Japonais, Seuil, 1991) raconte comment une firme de vaisselle fine, à Limoges, s’est vu refuser un premier envoi de 100 000 théières en porcelaine blanche parce qu’elles étaient imperceptiblement bancales, quand on les posait sur une table laquée — un défaut qui passe inaperçu en Europe, où l’on pose les théières sur un napperon qui égalise les micro-défauts. Et comment Renault n’était parvenu à vendre aucune voiture, n’ayant pas daigné mettre le volant à droite en inversant les commandes, dans un pays où l’on roule à gauche, ce qu’apparemment le constructeur français ignorait. Quand l’ignorance le dispute à la prétention…

D’où le goût des Japonais pour les uniformes (scolaires aujourd’hui, militaires autrefois), pour les jolis habits (il faut voir le regard de mépris qu’ils jettent sur les Américains vêtus de jeans troués) et pour les carnations et les dentitions parfaites.

(Seconde parenthèse. Il faudra que l’on m’explique pourquoi les Européens disent « les Jaunes ». Le teint standard des jolies Japonaises hésite entre la perle nacrée et l’ivoire pâle. Si vous ajoutez à cela qu’elles ont des cheveux noirs « comme l’ébène », dirait Perrault dans Blanche-Neige, vous obtenez un standard de beauté très élevé, auquel nous n’avons à opposer que Kim Kardashian et Aya Nakamura. C’est vrai aussi chez les hommes : pas un hasard si Alain Delon, au faîte de sa gloire, jouissait d’une réputation inégalée dans l’archipel, simplement parce qu’à l’époque du Guépard ou de Plein soleil, il était remarquablement beau).

La France a longtemps été une référence incontournable dans ce domaine. Nous avons produit, entre le XVIe et le début du XXe siècle, des chefs-d’œuvre dans tous les arts — à commencer par la mode. Mais c’est fini : quand on en est à admirer les bouses que produisent des « créateurs » imbus de leur personne sans réel motif, c’est qu’on a renoncé à se battre sur le seul terrain culturellement et commercialement viable, celui de la beauté. Nous n’exportons plus guère que de la haute cuisine au Japon, parce que l’art culinaire sait que la dégustation commence dès le premier regard sur l’assiette. Et j’espère que c’est toujours ce que l’on apprend, dans les lycées hôteliers, aux élèves en formation, derniers remparts de la présence française dans le monde.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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